De la vie à la mort/Chapitre IV (suite)

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De la vie à la mort (tome second)
J. Maisonneuve (p. 1-156).


CHAPITRE IV
(Suite)


4o Croyances et superstitions


Les Chapelles de Champeaux


Lorsqu’on va de Champeaux au château d’Espinay, qui n’est qu’à un kilomètre du bourg, on longe une vallée encaissée entre deux coteaux. Sur chacun de ces deux coteaux se dressent en face l’une de l’autre deux petites chapelles dédiées l’une à saint Job et l’autre à saint Abraham. Elles sont dans le pays, elles aussi, l’objet d’une légende :

En 1512, Guy d’Espinay, en guerre avec un de ses voisins, fut un jour poursuivi de si près qu’il se vit sur le point d’être fait prisonnier. Cerné de tous côtés, il ne lui restait plus qu’à franchir l’immense espace compris entre les deux collines. Invoquant saint Abraham et saint Job, il fit vœu de leur élever à chacun une chapelle, s’il échappait à son ennemi. Aussitôt, éperonnant son cheval, il le fit s’élancer du haut du rocher de Saint-Job sur le coteau voisin. Les chapelles indiquent la distance du saut accompli par le coursier de Guy d’Espinay.

On ajoute que les deux maçons chargés de la construction de ces petits oratoires n’avaient qu’un marteau et qu’une truelle, qu’ils se lançaient de l’un à l’autre quand ils en avaient besoin.

Un jour, à la ferme appelée la Cônais, dans la commune des Iffs, des fermiers qui déménageaient trouvèrent dans une fenêtre les débris d’une vieille sainte Vierge.

Pour s’en débarrasser, ils la jetèrent parmi les objets inutiles qu’ils poussèrent du pied dans le feu de la cheminée.

Aussitôt une pendule qui ne marchait pas depuis plus de dix ans se mit à sonner sans qu’on pût l’arrêter. Elle sonna ainsi depuis quatre heures de l’après-midi jusqu’à quatre heures le lendemain matin. Le fermier eut beau coucher la pendule par terre, la tourner en tous sens, il ne parvint pas à l’empêcher de sonner.

Cette chose parut tellement étrange à tous les habitants de la ferme, qu’ils cherchèrent dans les cendres du foyer les débris de la Vierge pour les replacer dans la fenêtre où ils les avaient pris. Ce ne fut que lorsqu’on eut trouvé le dernier morceau, à quatre heures du matin, que la pendule cessa de sonner.

La commune de Saint-Médard-sur-Ille, dans le canton de Saint-Aubin-d’Aubigné, a son champ du miracle. Ce champ se trouve sur le bord de la route de Saint-Aubin à Aubigné. Une croix de bois l’indique d’ailleurs au passant.

Pendant la tourmente révolutionnaire, un prêtre portant le Viatique à un malade reçut une balle en pleine poitrine et tomba la face contre terre. Bien que plus d’un siècle se soit écoulé, on voit, toujours sur le sol l’empreinte d’une partie de son corps : les pieds, les genoux et la tête. Un peu plus loin est également marquée la place où le Saint-Ciboire, fut projeté. Jamais l’herbe n’a poussé aux endroits que nous venons d’indiquer et que les habitants de Saint-Médard font voir aux étrangers.

Dans la commune de Saint-Gondran, sur le bord de la route de Langan à Hédé, est un champ dans lequel la fougère ne pousse plus. Voici pourquoi :

Un cultivateur envoya un dimanche, et cela malgré elle, sa servante couper de la fougère, pour faire de la litière aux bestiaux, dans les fossés d’un champ dépendant de la ferme.

Ces fossés qui, le samedi, étaient remplis de fougères n’en possédaient plus le dimanche.

La servante revint chez son maître lui apprendre la nouvelle. — Ce n’est pas possible, s’écria-t-il, je vais y aller moi-même.

Il s’y rendit, en effet, et ne put que constater la véracité du fait.

Jamais depuis lors un seul brin de fougère n’a poussé dans ce champ.

La Tombe à la Fille

En quittant le bourg de Teillay et en pénétrant dans la forêt de ce nom, par la route aux Lièvres, on rencontre à l’extrémité de cette route, presque sur le bord de la grande ligne, une tombe recouverte de plus d’une centaine de croix. Le tronc du chêne qui l’abrite de ses rameaux est lui-même orné de fleurs, de couronnes, de reliquaires attachés là par les pèlerins qui viennent sur la Tombe à la fille, — c’est le nom qu’on lui donne, — demander à la pauvre victime, qui repose sous la mousse des bois, la guérison de leurs maux.

C’est là que fut enterrée, en 1793, Marie Martin. Bien que l’Église ne l’ait pas canonisée, elle est considérée comme une sainte martyre par les habitants de la contrée, qui racontent ainsi son histoire :

À l’époque de la Terreur, des bandits qui se faisaient passer pour des chouans, commettaient dans nos campagnes des crimes abominables. M. Rocher, directeur des forges de Moisdon, fut tué par eux d’une façon barbare : Ils le mutilèrent, lui coupèrent le nez, la langue, et le laissèrent expirer au bout de son sang.

En apprenant ce meurtre, Marie Martin ne put retenir un cri d’indignation. Elle fut entendue, dénoncée et bientôt enlevée de chez son oncle, avec lequel elle demeurait, et conduite dans la forêt de Teillay.

Là, les misérables la violèrent, l’attachèrent à un arbre, lui arrachèrent les yeux, lui coupèrent les seins. La mort ne mit fin à ses tortures qu’au bout de trois jours.

Des bûcherons enterrèrent ce pauvre petit corps ainsi déchiré.

Depuis ce jour des miracles nombreux ont été et sont toujours la récompense des prières faites sur la Tombe à la fille. Les fièvres disparaissent comme par enchantement, les paralytiques y laissent leurs béquilles, les femmes stériles deviennent fécondes, les enfants chétifs recouvrent des forces, et ceux qui ne marchent pas encore ne tardent pas à trotter comme des lapins. Les couronnes appendues aux branches, les offrandes déposées au pied du chêne prouvent la reconnaissance et la confiance des affligés envers la victime des brigands.

Près des ruines de l’ancien château de la Thébaudaye, non loin du bourg de Saint-Ganton, existait autrefois une antique chapelle sous l’invocation de saint Mathelin. Ce saint a le pouvoir, paraît-il, de guérir les animaux malades, et les paysans y allaient prier pour leurs bestiaux.

Deux cultivateurs du bourg de Saint-Just s’y rendirent pour demander au saint d’exaucer leurs vœux. L’un d’eux avait une vache qui avait été condamnée par le sorcier, et le bonhomme désolé, s’écria devant son compagnon :

— Ô mon bon saint Mathelin, si tu guéris ma vache, je te donnerai une moche de beurre aussi grosse que la bête.

— Que dis-tu là ? dit l’autre paysan, tu ne pourras jamais accomplir ta promesse.

Tais-ta donc, tais-ta donc, répondit tout bas l’homme à la vache, on peut toujours promettre et ne pas tenir.

Mais il ne fait pas bon, paraît-il, ruser avec les saints, car la vache mourut le soir même.

Il n’y a pas vingt ans, on voyait dans l’ancienne église de Bédée, un saint Antoine entouré de fers à cheval. Intrigué par ce singulier décor, je demandai à une bonne femme ce que cela signifiait. Elle me répondit :

« Les cultivateurs des environs viennent prier saint Antoine de guérir leurs animaux malades et apportent comme offrande, pour un cheval un fer, pour une vache une moche de beurre, pour une brebis de la laine.

» Les pèlerins promettent aussi, si leurs bestiaux guérissent, d’offrir aux saints Anges la première barattée de lait de la vache malade, le premier agneau de la brebis, un morceau de lard du cochon, etc., etc.

» Ces dons sont vendus au profit de la fabrique. »

Vilain Bezillier[1]

Saint Amand qui se trouve dans l’église de Pipriac, a été fait avec le bois d’un arbre que les bonnes gens du pays appellent un bezillier.

Cet arbre était autrefois au village de la Hallatais.

Une vieille avaricieuse, qui convoitait la succession de l’un des siens, rendait de fréquentes visites à saint Amand et le priait d’exaucer ses vœux.

Le parent mourut ; mais par testament il légua tout son bien à d’autres qu’à l’avare.

La bonne femme furieuse s’en alla trouver saint Amand, dans l’église de Pipriac, et l’apostropha ainsi :

« Failli bezillier, tu n’as jamais ren valu ; du temps que tu étais au village de la Hallatais, tu donnais des bezilles que les cochons ne voulaient seulement pas manger ; et à cette heure que te v’la saint, tu fais des embarras, mais tu n’en vaux pas mieux ! Il fera chaud, sois-en sûr, quand je reviendrai te demander quelque chose et t’apporter des offrandes, vilain bezillier. »

Une fois soulagée, la vieille sortit de l’église en maugréant et regagna son village.

La paroisse de Pipriac avait autrefois saint Amand pour patron ; mais à une époque où l’on reconstruisit l’église celle-ci fut mise sous la protection de saint Nicolas. La statue du pauvre saint Amand fut enlevée et déposée sous le porche de l’église, exposée à la pluie, à la neige et aux intempéries de toutes les saisons. Aussi qu’arriva-t-il ?

Il y a chaque année à Pipriac, la foire de Saint-Amand qui commence le 26 octobre et qui dure trois jours. C’est une des foires les plus importantes de la contrée. Or, pendant trois ou quatre ans de suite, la pluie ne cessa de tomber pendant tout le temps de la foire. Ce fut un véritable déluge. Les châtaignes mouillées ne purent être conservées, les grains germèrent, les bestiaux attrapèrent des fluxions de poitrine, les vaches perdirent leur lait. Tout le monde était dans la désolation.

Les anciens du pays qui avaient vu avec regret expulser saint Amand de l’église supposèrent que c’était lui, qui sans doute, pour prouver son mécontentement, avait demandé au bon Dieu de les punir de la sorte. Ils allèrent trouver le curé et demandèrent la réintégration de saint Amand.

Leur démarche fut agréée, et saint Amand reprit sa place qu’il a conservée dans l’église de Pipriac.

Depuis ce moment, il fait généralement beau à la foire du 26 octobre.

Voici pour quelques maladies les saints qu’on invoque :

Maux de dents. — Saint Blaise et ses fontaines.

Dysenterie. — Saint Roch.

Hémorroïdes. — Saint Fiacre.

Yeux. — Notre-Dame-de-la-Clarté.

Manque de sommeil. — Notre-Dame-de-Bon-Repos.

Les fièvres. — Notre-Dame-de-la-Rivière.

Pour avoir de bonnes couches. — Sainte Marguerite.

Enfants idiots ou inintelligents. — Le Saint-Esprit, et les faire évangéliser le lundi de la Pentecôte.

Le Lapin traversant une route

Un habitant de Rennes que des affaires avaient appelé dans la petite ville de Bain revenait à la gare dans la voiture d’un ami.

Sur la route ils rencontrèrent un militaire que le conducteur reconnut et auquel il dit :

— Tiens, c’est toi, José, où vas-tu donc de ce pas pressé ?

— Je vais à la gare, et je crains bien de manquer le chemin de fer. Ma permission est expirée, et si je ne rentre pas ce soir à Versailles, où mon régiment tient garnison, je serai certainement puni.

— Alors monte vite avec nous.

L’habitant de Rennes qui était à ce moment à côté du conducteur, alla s’asseoir sur un second banc qui se trouvait au milieu de la carriole ; le militaire l’y suivit et prit place sur le même banc, mais dans le coin opposé.

Le cheval trottait assez bien, et ils avaient déjà fait cinq à six kilomètres, lorsque le Rennais apercevant un taillis, fit cette réflexion : « Voilà un bois où les lièvres doivent se plaire. Le pays est-il giboyeux ? »

Le militaire au lieu de répondre fit une sorte de grognement.

Le voyageur réitéra sa question et ne fut pas plus heureux.

Le soldat dit entre ses dents : « Je n’aime pas ça ? »

Le conducteur sembla lui-même marmotter des paroles inintelligibles.

— Voyons, je ne vous comprends pas, insista le voyageur : Je demande si le pays est giboyeux, et vous me répondez, comme si ma question était indiscrète.

— Vous n’avez donc rien vu ? dirent ensemble le militaire et le conducteur.

— Non, absolument rien.

— Comment ! vous n’avez pas vu un lapin traverser la route devant nous ?

— Non, et puis qu’est-ce qu’il y a d’extraordinaire à ce qu’un lapin se promène sur la route ?

— C’est signe de malheur.

— Ah ! par exemple, vous êtes drôles tous les deux.

— C’est la vérité, dit le militaire d’un air navré : Dans un voyage que je fis il y a quelques années, un lapin passa comme aujourd’hui devant la voiture dans laquelle j’étais avec des amis, la voiture versa et un camarade fut tué.

— C’est un malheur bien regrettable, en effet ; mais le pauvre lapin n’y était pour rien.

— Ah ! vous croyez cela ? s’écrièrent ensemble le conducteur et le militaire.

Cette conversation venait à peine de prendre fin, lorsqu’une masse noire passa devant les yeux du voyageur. C’était le militaire qui était projeté dans le fossé ; le cheval venait de s’abattre, le conducteur était par terre, et le seul être — qui n’avait pas vu le lapin — était resté à sa place dans la carriole sans avoir aucun mal.

Le militaire avait un pouce démis, le conducteur était contusionné, le cheval couronné, les traits brisés et le voyageur et le militaire durent continuer la route à pied. Ils arrivèrent cependant à temps pour prendre le train, maudissant le lapin, cause de tant d’accidents.

(Conté par M. Fenaut, de Rennes, auquel est arrivée la présente aventure.)

Les paysans de la commune du Pertre se lèvent vers minuit, dans la nuit du trente avril au premier mai, pour aller répandre du sel sur les échaliers de leurs prairies, afin d’empêcher les sorciers de prendre leur beurre.

Ces derniers vont, paraît-il, cette nuit-là, courir les champs en disant :

Le lait à ta.
Le beurre à ma.

Pendant toute l’année, le malheureux fermier ensorcelé ne peut faire de beurre, tandis que le sorcier (qui est souvent un voisin) en a en abondance.

Heureusement que le sel mis sur l’échalier empêche tout sortilège.

On retrouve cette superstition, avec une variante, dans l’arrondissement de Redon :

Le premier mai, au matin, si l’on va avant que le soleil soit levé, promener un balai, entouré d’une guenille sur les prairies de ses voisins, on dérobe ainsi tout le beurre que les plantes pourraient produire.

Pour en faire profiter ses vaches, il faut, le premier mai, leur donner à boire de l’eau puisée, — toujours avant le lever du soleil, — et dans laquelle on a trempé la guenille du balai qui a frôlé les plantes d’autrui.

Vaches empoisonnées par les vlins[2]

Quand une lièvre[3], une sourde[4] et une envine[5] sont chaudes, autrement dit en amour, toutes les herbes sur lesquelles elles pissent rendent les vaches malades.

Pour les guérir, il faut leur faire une croix jusqu’au sang, avec une épingle jaune (en cuivre), sur le nez, sur les deux oreilles et sur le devant de la tête à l’endroit où il n’y a point de poil. Puis leur frotter la croupe avec du beurre et leur faire avaler une poignée de sel mélangé avec du beurre et enveloppé dans une feuille de chou. (Le Grand-Fougeray.)

On ne doit pas enlever les cendres du foyer, ni changer de chemise le vendredi, parce que cela porte malheur.

Les paysannes qui viennent vendre leurs denrées (beurre, volailles, œufs, fruits, légumes, etc.), sur la place des Lices à Rennes, les jours de marchés, ont des préférences marquées pour certaines personnes se présentant les premières à leur étalage.

Si ces personnes leur ont porté chance une fois, elles les attendent patiemment, refuseront plutôt de vendre leurs marchandises, qu’elles laisseront à leurs préférées à meilleur marché qu’aux autres.

Elles ne manqueront jamais non plus, avant de mettre dans leur poche le premier argent qu’elles reçoivent, de faire le signe de la croix et de dire : Que le Bon Dieu bénisse la main qui m’étrenne.

Les bonnes gens de Bruz se figurent qu’ils font grossir leurs citrouilles en leur inoculant, chaque matin, du lait doux par la tige.

Lorsqu’on a des verrues, voici le moyen employé pour les faire disparaître.

On jette une poignée de petits pois dans un puits ou dans une fontaine, et au fur et à mesure que les pois germent les verrues s’en vont.

Longtemps à Lohéac un jouou de violon fut guérissou de fièvres.

Quand un malade allait le consulter, il joignait les mains, levait les yeux au ciel et s’écriait :

« Notre-Seigneur Jésus-Christ qui n’avez pas tremblé quand on vous a crucifié entre deux larrons, souffrirez-vous que (nom de la personne malade) tremble la fièvre ! »

Après cette invocation le sorcier et le malade allaient boire un coup, puis celui-ci rentrait chez lui convaincu que la fièvre allait le quitter.

Il y avait autrefois à Tinténiac un vieux mendiant appelé le père Duhil, qui avait la réputation de passer les fièvres.

Ses remèdes étaient des plus étranges.

En voici un : Monter dans un tremble, entailler l’écorce avec un couteau, sucer la sève en disant : « Tremble, tremble plus fort que je tremble. » Et le tremblement du malade devait passer dans l’arbre.

Pour passer les fièvres du mois de mars, fièvres intermittentes qui durent neuf mois, il faut, au dire des bonnes femmes de la commune de Saint-Symphorien dans le canton de Hédé, se procurer des œufs frais et les porter pendant trois jours consécutifs, à jeun, avant le lever du soleil, dans une fourmilière.

Il existait, il n’y a pas plus de dix ans, au village du Châtellier, dans la commune de Messac, un homme qui avait le privilège de guérir les écrouelles.

Les guérissous d’écrouelles sont rares parce qu’il faut être le septième d’une famille de sept garçons consécutifs. S’il est né une fille entre l’un d’eux, le dernier n’est pas doué.

Le traitement se fait de la manière suivante :

Un pansement a lieu pendant douze jours à l’époque des quatre-temps. Si pour une raison quelconque l’on n’a pu s’y rendre l’un des jours prescrits, l’opération peut être remise au vendredi saint.

Elle doit être faite le matin, avant le lever du soleil, et il est indispensable que le médecin et le malade soient tous les deux à jeun. Ce dernier ne doit même ni manger ni boire avant midi.

L’homme doué fait un ou plusieurs signes de croix, et de son doigt majeur, préalablement trempé dans l’eau bénite et mouillé de sa salive, il décrit un cercle autour des plaies.

Il recommence l’opération autant de fois qu’il y a de clients.

Les charrettes qui amenaient les malades crédules de plus de dix lieues à la ronde encombraient le village.

Un ancien marin est venu s’établir comme menuisier à Vitré.

Il a au haut de la cuisse gauche, près de la fesse, une fleur de lis très bien marquée, assez grande, ayant une teinte bleuâtre. On assure que c’est un don que Dieu lui a fait pour pouvoir, ainsi que les rois de France, guérir les écrouelles.

Les scrofuleux de tout l’arrondissement vont le trouver et approchent de la fleur de lis la partie malade de leur corps.

Pour la circonstance le menuisier a fait faire un pantalon très large qu’il lui suffit de relever.

On lui fait des cadeaux en argent et en nature qui lui rapportent beaucoup plus que son métier de menuisier.

Si le pain est tourné à l’envers sur la table, ou si la salière est renversée, ce sont des signes de malheur.

Si au contraire on renverse poivre et sel en même temps sans qu’il y ait mélange, c’est signe de bonheur.

Araignée du matin : chagrin ;
Araignée du midi : pluie ;
Araignée du soir : espoir.

Si on casse un miroir ou une glace, signe de malheur.

Lorsqu’on entend le bois gémir en brûlant, ou si l’on aperçoit à la mèche de la chandelle comme une étincelle tournée vers vous, c’est qu’une nouvelle importante va vous arriver.

On ne doit jamais mettre le couteau et la fourchette en croix sur une table, c’est un présage de malheur.

Les femmes prennent bien garde, en faisant la lessive, de mettre en adent, c’est à dire sens dessus dessous les chemises dans la cuve. Celle qui commettrait cette faute mourrait dans l’année.

On croit également qu’une touffe de joubarbe, sur le toit d’une maison empêche les maléfices et les sortilèges.

Il ne faut jamais offrir un couteau comme cadeau, parce que cela coupe l’amitié.

Au contraire, offrir des épingles, c’est le moyen de s’attacher l’amitié des gens.

La jeune fille qui a le dernier verre d’une bouteille se marie dans l’année.

Quand un enfant vient au monde avec des cheveux, on dit qu’il est né coiffé, et qu’en conséquence il devra réussir dans tout ce qu’il entreprendra dans le cours de son existence.

L’enfant qui, dès son bas âge, est doué de beaucoup d’esprit naturel et semble devoir être un petit prodige, mourra jeune. Il a, dit-on, trop d’esprit pour vivre longtemps.

Toucher la bosse d’un bossu porte chance.

Toucher du fer évite un malheur.

Si l’oreille droite vous tinte, c’est qu’on parle favorablement de vous ; si c’est la gauche, c’est qu’on en dit du mal.

En buvant dans le même verre qu’une autre personne, on doit connaître sa pensée. C’est sans doute pour cette raison que les fiancés boivent dans le même verre.

D’une manière générale les rêves doivent être interprétés à l’inverse de ce qu’on a vu en dormant.

Si l’on rêve dans la mort, c’est qu’on doit aller aux noces.

Si l’on rêve aux noces, c’est qu’on doit aller à un enterrement.

Rêver naissance, c’est un décès dans sa famille.

Rêver décès, c’est, au contraire, une naissance que l’on doit apprendre.

Si l’on rêve d’une personne et que, le lendemain et les jours suivants, on vient à vous parler d’elle, le rêve est effacé.

Si un chasseur en partant fait la rencontre d’un prêtre, il est certain de rentrer bredouille. De même que si quelqu’un lui souhaite bonne chance, il ne verra pas de gibier, ou s’il en rencontre, il le manquera.

Dans les magasins de Rennes, on croit généralement que si la première personne qui se présente le matin pour faire une acquisition est un prêtre ou une religieuse, la vente sera mauvaise tout le jour ; et qu’elle sera bonne au contraire, si c’est une fille de joie qui étrenne.

Certaines personnes douées font disparaître les taches que l’on peut avoir sur la figure ou sur le corps et que l’on nomme des envies. Elles les frottent de leur salive avec le doigt, et cela doit suffire.

Lorsqu’on a le ventre tendu et gonflé, on va chez le guérissou se faire passer le carreau. Celui-ci fait des signes cabalistiques sur le ventre pour qu’il revienne à son état naturel.

Quand on a l’estomac à bas, c’est-à-dire des maux d’estomac suivis de vomissements, on envoie quelqu’un chez une femme douée qui récite tout bas des prières. Après qu’elle les a récitées elle bâille, et ce bâillement est le signe certain de la guérison du malade.

À Bruz, on appelle les Zièmes les loupes ou tumeurs enkystées qui croissent sur la tête.

Un jumeau du même sexe que le malade les fait disparaître rien qu’en les touchant.

Pour guérir les verrues, certaines personnes douées n’ont qu’à les regarder, et dès le lendemain elles n’existent plus.

Lorsqu’une épingle est tombée par terre, si la pointe est tournée vers vous, il ne faut pas la relever, ou il vous arriverait malheur.

Lorsqu’on coupe le pain, il faut que la tranche soit nette et droite : plus il y a de bosses, plus les filles de la maison tarderont à se marier.

Dans les familles où il y a une fille à marier, on enlève le trépied en même temps que le chaudron et la marmite, parce que sans cela la jeune personne serait retardée de trois ans pour se marier.

Lorsque onze heures sonnent à l’horloge de l’église pendant le chant des Sanctus, l’une des personnes présentes à la messe mourra dans la semaine.

5o Les sorts

Les sorciers, les reboutoux, les jeteurs de sorts ont de tout temps, exercé une influence considérable sur l’esprit des paysans.

Qu’un mendiant ivre aille à la porte d’une ferme demander l’aumône, et soit assez insolent pour qu’on lui refuse du pain et le logement, — car sans cela, dans nos campagnes on ne refuse jamais de pain aux pauvres, — et qu’il dise en s’en allant : « Vous vous en repentirez ! » c’est une désolation dans la maison. Bien sûr, c’est un jeteur de sorts. Les malheurs vont fondre sur la ferme et, comme chaque jour apporte sa peine, les choses qui, à un autre moment, passeraient inaperçues, deviennent aussitôt la confirmation de ce que l’on redoutait.

Le fermier s’est-il blessé en coupant une branche d’arbre ? c’est un sort.

La fermière s’est-elle donnée une entorse en marchant avec des sabots ? c’est un sort.

Une vache vient-elle à avorter ? c’est un sort.

Les poules ont-elles la pépie ? c’est un sort.

Mais comment déjouer ce sort ?

On va trouver un individu qui a la réputation d’être sorcier, pour lui demander ce qu’il faut faire.

Voici généralement ce qu’il indique :

Acheter un pot de grosse terre qui n’ait jamais servi (c’est une condition essentielle), le payer avec une poignée de sous, sans compter, sans marchander.

Aller ensuite chez le cloutier et l’inviter à mettre une poignée de clous dans le pot, sans les compter, sans les peser, et les payer de la même manière que le pot avec une poignée de sous.

Puis rentrer chez soi, remplir le pot d’eau et faire bouillir.

Les clous, pendant tout le temps qu’ils seront dans l’eau bouillante, doivent torturer le jeteur de sorts qui, ainsi vaincu, cesse ses maléfices sur les gens à qui il en voulait.

Dans le canton du Sel, on déjouait autrefois les sorts d’une autre manière :

On achetait un cœur de bœuf, qui était mis à sécher dans la cheminée à la façon des andouilles et, chaque jour, des clous étaient enfoncés dans ce viscère, clous qui devaient faire souffrir le jeteur de sorts au point de le faire renoncer à sa vengeance.

Le cœur de bœuf et les clous devaient être achetés et payés comme nous l’avons dit plus haut.

Le vingt février 1896, on conduisait de la petite ville de Bain à l’asile des aliénés de Rennes, trois pauvres fous, la mère, le fils et la fille.

Le père et les deux autres filles restés dans le pays étaient presque aussi malades que les trois premiers.

Voici la cause de cet affreux malheur :

La famille M… habite un village de la commune de Bain. C’est une famille à l’aise et qui jouissait, avant le malheur qui vient de la frapper, d’une certaine considération.

Il y a quelques années, ces braves gens avaient pour voisin un fermier du nom de B… C’était un être brutal, redouté, qui avait la réputation d’être un peu sorcier et de jeter des sorts.

Un jour, il alla chez ses voisins les M… leur demander à lui prêter les bœufs de leur ferme pour le lendemain. Ils n’osèrent les lui refuser.

Après une journée d’un travail pénible, B… ramena les bœufs à l’écurie. Les pauvres bêtes avaient le poil hérissé et semblaient harrassées de fatigue.

En les voyant ainsi le père M… dit à son fils : — Si le voisin vient demain matin pour prendre nos bœufs il ne faudra pas les lui prêter. Il nous les tuerait.

— Pour plus de sûreté, répondit le fils, je vais cacher le joug. Comme cela il ne pourra les emmener.

En effet le lendemain matin, B… vint pour prendre les bœufs dans l’étable, mais ne trouva pas le joug. Il s’en allait en maugréant lorsqu’il aperçut le jeune M… auquel il dit : « C’est toi qui as caché le joug des bœufs » mais tu t’en repentiras, tu crèveras dans un fossé.

L’enfant rentra chez lui sans répondre.

À quelque temps de là, on apprit dans le village que B… venait de jeter un sort à un autre fermier :

Étant à boire dans un cabaret, plusieurs cultivateurs racontèrent que des rats, dans une maison, avaient mangé jusqu’aux harnais des chevaux. L’un d’eux répondit : — Il y a des rats partout, mais si on leur fait la chasse on les empêche toujours de faire d’aussi grands dégâts.

— Prends garde, toi qui parles, s’écria B…, de voir avant quinze jours ton logis dévasté par les rats.

Les quinze jours ne s’étaient pas écoulés que le cultivateur auquel B… avait adressé la parole, eut chez lui une invasion de rongeurs qui mangèrent jusqu’aux couvertures des lits.

Le fils M… en écoutant cette histoire se rappela la menace dont il avait été l’objet de la part de leur voisin et, à partir de ce jour, il devint triste et sauvage.

Bientôt il ne rentra presque plus chez lui. Il errait dans les champs toute la journée et le soir allait coucher dans les arbres creux où sa mère lui portait à manger, car sans cela, il serait mort de faim.

La pauvre femme, en l’écoutant divaguer, perdit, elle aussi, la tête. Quand son fils revenait avec elle à la maison c’était pour écrire sur un livre le nom des personnes qu’il connaissait. D’un côté étaient les élus et de l’autre côté les réprouvés.

Sa mère disait dans le village : « Mon gars est un grand saint, il a des visions. »

B… quitta le pays, mais le fils M… ne guérit pas.

Au mois de février 1896, il dit qu’il fallait faire une procession dans l’église de Bain, et il écrivit à ses sœurs, qui étaient domestiques au loin, de venir se joindre à eux.

Elles obéirent, et le père, la mère, les sœurs, l’insensé et des voisins s’en allèrent tous à la suite les uns des autres du village à la ville. Le fils M… marchait en tête ayant de l’eau bénite dans une assiette et une branche de buis à la main. Il faisait le simulacre de bénir tout ce qu’il rencontrait sur son chemin : les passants, les arbres, les animaux.

Ils arrivèrent ainsi à l’église laissant sur leur passage tout le monde étonné d’une pareille mascarade.

Il leur fallait, disaient-ils, pour être guéris, toucher le pied de la bannière.

On les chassa de l’église et ils allèrent dans le cimetière bénir les tombes.

Les M… avaient laissé grandes ouvertes les portes et les fenêtres de leur maison pendant leur absence.

Une enquête fut faite par la gendarmerie et les jeunes filles, placées comme domestiques dans des fermes éloignées, déclarèrent que chaque fois qu’elles revenaient dans la maison de leurs parents, elles se sentaient malades et commençaient à déraisonner.

Le maire et le juge de paix se rendirent sur les lieux, et l’on demanda à l’autorité l’internement des trois plus malades dans un asile d’aliénés.

Lorsque l’on conduisit ces malheureux à Rennes, la voiture s’arrêta en route pour faire souffler les chevaux. Le conducteur offrit aux voyageurs de manger quelque chose. La mère demanda un morceau de pain sec et de l’eau qu’on lui apporta.

Pour les empêcher de s’évader, on pria un homme de garder la portière de la voiture. Quand la femme M… aperçut cet individu elle poussa des cris terribles en disant : « Voilà le diable ! C’est le diable ! » Et elle l’aspergea avec l’eau qu’elle avait dans l’écuelle.

La mère et la fille sont revenues guéries dans leur village ; mais le fils est toujours dans l’asile des aliénés de Rennes d’où il ne sortira probablement jamais.

Une bonne femme d’un village de la commune de Pléchâtel fut plusieurs années sans pouvoir dormir dans sa demeure parce qu’un sort lui avait été jeté.

Le long des nuits, elle avait des visions terrifiantes. Elle voyait des animaux par bandes, sortes de monstres qui lui grimpaient sur le corps et l’étouffaient.

Au début, les voisins accoururent à ses cris, mais ne virent rien. Ils entendirent seulement des bruits étranges. Ils s’habituèrent à entendre leur voisine se plaindre et gémir et n’allèrent plus la voir.

La malheureuse n’avait de repos que dans un lieu qui avait été bénit, une église par exemple ; aussi y passait-elle le plus de temps qu’elle pouvait.

Le curé de la paroisse fut appelé pour bénir la demeure de cette femme. Il entendit, lui aussi, des voix qui lui causèrent une telle peur que la sueur lui coulait sur le front. Ne pouvant surmonter son effroi, il s’écria : « Que la bonne femme fasse ce qu’elle voudra, quant à moi, je quitte cette maison dans laquelle je ne rentrerai jamais. »

Un sorcier, qui fut consulté dit à la pauvre vieille : — C’est une femme qui vous a jeté un sort. Si vous le voulez, nous pourrons la punir et lui faire beaucoup de mal.

— Non, répondit-elle, je ne le veux pas. Il y a assez de moi à souffrir sans faire souffrir les autres.

À partir de ce moment, elle n’entendit et ne vit plus rien. Elle vécut tranquille le reste de ses jours.

Il arrive quelquefois que des gens très propres soient tout à coup couverts de vermine.

Pas de doute possible, c’est un sort.

Pour se débarrasser de ces bêtes gênantes il faut aller, avant le lever du soleil, au bord d’une rivière et battre sa chemise pendant une heure avec une branche d’épine noire.

Les vaches d’un fermier du village des Riais, dans la commune de Bain, ont avorté pendant plus d’un an. Tous les remèdes usités en pareil cas n’ont abouti à aucun résultat.

Ben sûr, dit le bonhomme, qu’un sort a été jeté sur mes bêtes.

— Faut aller à Châteaubriant, lui répondit-on, consulter le devin.

Celui-ci fit venir le fermier trois mercredis de suite, lui recommandant de partir de chez lui pendant la nuit, afin d’arriver à Châteaubriant avant le lever du soleil.

Enfin au troisième voyage il lui dit :

« Lorsqu’une de tes vaches vêlera, si c’est encore un veau mort, tu creuseras devant la porte de l’étable une fosse dans laquelle tu enfouiras le cadavre du veau, les pieds en l’air. »

Le fermier s’est conformé à ces prescriptions, et depuis ce jour le bonhomme assure que ses vaches ne mettent plus au monde que des veaux vivants et bien constitués.

À Chavagne, d’après les conseils d’un sorcier, si une vache avorte parce qu’un sort lui a été jeté, il faut pendre, dans la cheminée de la ferme, le cœur même du veau mort-né, et enfoncer dedans, de temps à autre, les piquants d’un prunellier qui est, comme on sait, l’épine noire.

Une femme L***, de Bruz, fut il y a quelques années, atteinte d’une singulière maladie : Elle se mit à aboyer et à hurler comme un chien, tantôt la nuit, tantôt le jour. On l’entendait de très loin.

Elle avait, quand cette espèce de toux la prenait, des crises nerveuses effrayantes. Plusieurs personnes étaient obligées de la tenir pour l’empêcher de tomber par terre et de se blesser. Malgré tous leurs efforts, elle s’arrachait les cheveux en criant : « V’là du foin, qu’est-ce qu’en veut ? »

C’était elle qui d’habitude faisait le pain de la maison ; mais à partir du jour où un sort lui fut jeté, — car c’en était un à n’en pas douter, — elle ne fabriquait plus que du pain qu’on ne pouvait manger. C’était la pâte qui levait mal ou le feu du four qui ne la cuisait pas assez ou qui la carbonisait.

Elle fut forcée de renoncer à ce travail jusqu’au moment où un sorcier de la commune de Tresbœuf, qui était aveugle et qu’on alla chercher, put déjouer le sort.

Il lui fit mettre les bras en croix pendant une heure, prononça tout le temps des paroles magiques, et lui attacha sur la poitrine un pochon en toile, autrement dit un petit sac, qui renfermait des ingrédients qui avaient ben mauvaise sente, mais qui devaient guérir la malade. Et c’est, en effet, ce qui arriva.

Dans la même commune, une autre femme devint comme folle et courait nuit et jour, les pieds nus dans les chemins et les champs, presque sans s’arrêter.

Elle avait également des crises nerveuses, perdait connaissance et marmottait des prières qui n’avaient aucun sens. On entendait seulement : « À l’heure de notre mort, ainsi soit-il, » répétés plusieurs fois.

L’aveugle de Tresbœuf conjura le sort et lui rendit la raison et la santé.

Les vieilles gens de la petite ville de Bain racontent qu’autrefois, à l’auberge de la Croix-Verte, il arriva un moment où il fut impossible d’obtenir du beurre en barattant le lait.

Un sorcier consulté déclara que c’était un sort qui avait été jeté et qu’on ne parviendrait à le déjouer qu’en allant une fois baratter le lait dans une paroisse voisine.

Le domestique de l’auberge, dont on se rappelle encore le nom, Paul Delalande, surnommé Paul Bagage, s’en alla, avec l’un des fils de la maison, dans un champ situé dans la commune de Pléchâtel.

Là, on baratta le lait, et le beurre se fit aussitôt comme par enchantement.

La prédiction du sorcier se réalisa et le sort fut ainsi déjoué.

Dans beaucoup de communes de l’arrondissement de Vitré, lorsqu’un fermier ne peut plus faire de beurre, il en cherche la raison, et la plupart du temps il découvre sur le fumier de sa cour, une espèce de champignon sans pied, large comme une assiette, qu’on nomme dans le pays un fromage blanc. C’est un sort, dit-il, qui m’a été jeté.

Pour le déjouer il faut fricasser trois pierres rondes (sortes de galets) pendant trois nuits de suite, et les lancer avec force dans la mare la plus voisine du fumier.

La première nuit, ces pierres vont frapper le jeteur de sorts et le font réfléchir. La seconde nuit, elles le font souffrir davantage, et enfin, la troisième il cède dans la crainte de voir ses souffrances augmenter. Le sort est ainsi déjoué.

Dans le patois de Châteaugiron, on appelle un jeteur de sort un encrauleur.

Une année que la récolte avait été mauvaise et que le grain était rare, un mendiant d’un village de la commune de Domloup revenait de demander l’aumône, un bissac sur le dos. En passant devant la demeure d’une de ses voisines qui, à ce moment, jetait du blé noir à ses poules, il dit en tendant son bissac :

— Donnez-moi une écuellée de grain, j’en ai plus besoin que vos poules.

— Non, répondit la femme, vous avez du pain dans votre bissac et mes poules n’ont rien dans le jabot.

— Vous vous en repentirez, grommela le mendiant en s’en allant.

Dès le lendemain, en effet, la fermière trouva une poule crevée au pied du perchoir sur lequel couchaient ses volailles.

Le surlendemain, pareille chose se produisit, et ainsi de suite les jours suivants.

Lorsqu’il ne lui resta plus qu’une poule, l’infortunée fermière se décida à envoyer, non pas une écuellée, mais bien une mesure de blé noir à son voisin.

À partir de ce jour, elle put regarnir sa basse-cour, les poules ne crevèrent plus dans le poulailler.

La victime de cette farce crut qu’elle avait été encraulée.

Il y a quelques années, un nommé Pierre Garnier, domestique de ferme dans la commune de Thourie, avait la spécialité de conjurer les sorts jetés sur les gens ou les bestiaux. Sa réputation s’étendait à plusieurs lieues à la ronde.

Il se rendait à domicile, ouvrait un livre magique, faisait des signes de croix sur toutes les pages et sur le dos des personnes ou des animaux ensorcelés. Il marmottait ensuite des paroles incompréhensibles qui devaient déjouer le sort presque immédiatement.

Garnier fut condamné à plusieurs mois de prison par le tribunal de Vitré pour avoir exercé ce métier, et réclamé une somme d’argent à un cultivateur qui porta plainte contre lui.

Autrefois au Pertre, dans l’arrondissement de Vitré, un homme appelé Pierre Beaugendre avait, lui aussi, le pouvoir de conjurer les sorts.

C’était un affreux petit nain, d’une laideur repoussante, couvert de vermine, parcourant la campagne habillé d’une peau de bique, hiver comme été.

Il portait sur l’épaule une grande latte à laquelle étaient clouées trois autres petites lattes, de grandeur inégale, la plus petite étant au sommet.

À ces divers bois étaient fixés des crochets auxquels pendaient des taupes presque toujours en putréfaction.

Quand on rencontrait Pierre Beaugendre par les chemins il fallait le fuir, en se bouchant le nez, tellement sa marchandise et lui-même exhalaient une odeur épouvantable.

Les animaux ainsi promenés avaient été l’objet de la part du nain de conjurations et de pratiques de sorcellerie dont celui-ci gardait le secret.

Il les portait de village en village, de ferme en ferme, pour les vendre aux ensorcelés qui avaient recours à lui.

À l’une des branches étaient les taupes qui devaient déjouer les sorts jetés sur la fabrication du beurre. Il suffisait d’en enterrer une à l’entrée de l’étable et immédiatement le lait qui ne fournissait plus de crème en donnait en abondance.

La seconde latte portait les bêtes qui devaient conjurer les maladies des poules. Il fallait également enfouir la taupe dans le poulailler et, chose étonnante, les poules malades engraissaient au point de devenir stériles. Il en était de même des coqs qui s’empâtaient de façon à être impuissants. Mais poules et coqs atteignaient les proportions, le poids et la finesse de goût du chapon et se vendaient fort cher.

Enfin à la troisième latte se trouvaient les taupes qui avaient le privilège d’empêcher les vaches d’avorter et de les préserver de toutes sortes de maux.

À une époque presque tout le monde à la campagne avait un sobriquet, le nommé Legaud, boulanger au Châtellier dans la commune de Pléchâtel, était plus connu sous le nom de Père Satou que sous son nom véritable.

Un mendiant, qui avait la réputation d’être sorcier, vint un jour demander l’aumône à la boulangerie du père Satou qui lui dit :

— Est-ce vrai que tu jettes des sorts et que ta spécialité est de donner des poux aux gens à qui tu en veux ?

— Oh ! père Satou, pouvez-vous croire une chose pareille ?

— Dame ! si tu me jouais un tour semblable je te jure que je te rosserais d’importance.

Le sorcier s’en alla en maugréant.

Quinze jours ne s’étaient pas écoulés que le boulanger avait sa chemise pleine de poux. Ni ses ouvriers, ni ses domestiques, ni même sa femme qui couchait avec lui, n’en étaient incommodés, tandis que lui en avait sur tout le corps et jusque dans les cheveux.

Une mendiante, qui avait entendu parler de cela, vint le trouver et lui donna l’assurance qu’elle avait le pouvoir de déjouer le sort et même d’obliger celui qui l’avait jeté à se présenter à la porte de la boulangerie.

— Je te récompenserai si tu fais cela.

Elle acheta des clous, les fit bouillir et le mendiant revint à la porte du père Satou qui lui administra une volée de coups de bâton.

À partir de ce jour le boulanger fut débarrassé de sa vermine.

On se rappelle encore à Bain d’une pauvre mendiante, presque folle, que l’on appelait Jeanne de Bonne Rencontre.

Cette femme, elle aussi, avait la réputation de jeter des sorts.

Un cultivateur, supposant que c’était cette malheureuse qui faisait périr ses bestiaux, l’assomma au coin d’un champ.

On la trouva morte entre le Château-Gaillard et la Ferronnais, dans la commune de Pléchâtel.

6o Prières et cantiques
En prenant de l’eau bénite :

Eau bénite, je te prends,
Si la mort me surprend,
Tu me serviras de sacrement.

Oraisons :

Je me couche dans ce lit,
Si la mort me surprend,
Je rends mon âme à Dieu,
Au père qui m’a créé,
Au Fils qui m’a racheté,
Au Saint-Esprit qui m’a illuminé.
Dormez, Jésus, dormez, Sauveur,
Dormez au milieu de mon cœur.

St-Jean, St-Luc, St-Marc, St-Mathieu,
Les quatre évangélistes du bon Dieu,
Soyez aux quatre cônières[6] de mon lit,

À mon coucher, à mon lever,
À mon trépas, quand je mourrai,
Le bon Jésus au milieu de mon cœur.
Soyez mes protecteurs, mes défenseurs,
De la part du bon Dieu et de la Vierge Marie,
Pendant ma vie,
Et particulièrement à l’heure de ma mort.
Ainsi soit-il.

L’ange Gabriel,
Descendant du ciel,
Dit à la Vierge :
— Dormez-vous ? Dormez-vous ?
— Non, Je pense à mon enfant Jésus
Qui est mort sur la croix,
Les pieds cloués,
Les bras tendus,
La couronne d’épines sur la tête.

Variantes :

Sainte Marie-Magdeleine,
Quarantaine,
Trois sœurs, trois vierges,
Rencontrent saint Pierre :
— Qui cherchez-vous ?
— Le doux Jésus,
— Où est-il ?
— Sur l’arbre de la croix,
Les pieds cloués,
Les bras tendus,
La couronne d’épines sur la tête.

Ceux qui diront trois fois, soir et matin,
Cette petite oraison,
Jamais flammes de l’enfer ne verront.

Prière du soir

Le soir, en vous déshabillant, pensez que les bourreaux dépouillèrent Jésus-Christ pour le crucifier :

Les pieds cloués,
Les bras tendus,

La couronne d’épines sur la tête.

Et dites : « Mon Dieu, faites-moi la grâce de passer une bonne nuit, meilleure que je n’ai passé la journée, et tous les jours en suivant. »

En passant devant une croix

Croix bénie, je vous salue.
Prenez mon cœur en bonne pensée,
Mon âme sera sauvée.

Invocation à Sainte Barbe contre le tonnerre

Sainte Barbe, sainte Claire,
Préservez-nous du tonnerre,
Et quand le tonnerre tombera,
Sainte Barbe me préservera.

Variantes :

Sainte Barbe, sainte Fleur,
Par la croix de mon Sauveur,
Préservez-moi du tonnerre,

Quand le tonnerre tombera,
Sainte Barbe me gardera.

Quelques personnes riches de la ville de Rennes possèdent une petite cloche bénite à Notre-Dame de Lorette qu’elles agitent pendant les orages. Cette sonnette a le privilège, elle aussi, de préserver du tonnerre.

Pour faire passer le Hoquet

Dire sept fois sans respirer :

— J’ai le hoquet,
— Qui l’a fait ?
— C’est le Jésus.
Orémus,
Je ne l’ai plus !

Lorsque les habitants des cantons d’Antrain et de Saint-Aubin-d’Aubigné passent, le jour, devant un calvaire ou une croix, ils se découvrent en disant :

Croix de mon Sauveur,
Préservez-moi de tout malheur,
Et surtout de la damnation éternelle.

Mais après le coucher du soleil jusqu’au lever du jour, ils passent indifférents devant la croix, sans se signer, sans se découvrir, sans prier, et cela parce que, disent-ils, c’est l’heure à laquelle les âmes du purgatoire viennent demander à Dieu le pardon de leurs fautes.

Les vivants ne doivent pas distraire ces pauvres âmes qui seraient alors obligées de recommencer leur prière.

NOËLS
Le Pommier de Noa[7].

La bonn’ Vierge et saint Josè,
À Noa s’en sont allés
À Noa ! Noa ! Noa !


Dans l’chemin ont rencontré
Un gentil petit pommier,
À Noa ! Noa ! Noa !

La saint’ Vierg’ dit à Josè :
— De ce fruit je veux manger,
À Noa ! Noa ! Noa !

— Nenni, nenni, c’est péché
De toucher à ce pommier,
À Noa ! Noa ! Noa !

La saint’ Vierg’ fut pour en prendre,
Le pommier s’est abaissé,
À Noa ! Noa ! Noa !

Saint Josè voulut en prendre,
Le pommier s’est relevé,
À Noa ! Noa ! Noa !

C’est à c’moment que Josè
Vit bien qu’il avait péché,
À Noa ! Noa ! Noa !

Aux pieds de la saint’ Vierge,
À genoux il s’est jeté,
À Noa ! Noa ! Noa !


« Ah ! relevez-vous, Josè,
Votr’péché est pardonné. »
À Noa ! Noa ! Noa !

(Noël des religieuses de l’ancien monastère de Teillay, dans le canton de Bain.)

— D’où viens-tu, bergère ?
D’où viens-tu ?
— Je viens d’une étable,
Voir l’enfant Jésus,
La Vierge sa mère,
Saint Joseph en plus.

— Est-il beau, bergère ?
Est-il beau ?
— Plus beau que la lune
Et que le soleil ;
Jamais sur la terre,
On n’vit son pareil.

— Rien de plus, bergère ?
Rien de plus ?
— Saint Joseph, son père,
Saint Jean son parrain,
Et sa bonne mère
Qui lui donne le sein.


— Rien de plus, bergère ?
Rien de plus ?
— Quatre petits anges
Descendus du ciel,
Chantant les louanges
Du Père éternel.

Allons voir cet enfant Dieu
Tout glorieux (bis).
C’est une vierge qui l’a conçu
Dans une étable ;
C’est une vierge qui l’a conçu
Vers le minuit.

Saint Joseph dit à l’enfant :
« Voilà votre maman (bis),
» Car pour moi, je ne suis pas
» Votre vrai père ;
» Car pour moi je ne suis pas,
» Votre papa.

» Votre père est dans les cieux,
» Tout glorieux (bis),
» Et je ne suis qu’adorateur

» De son image ;
» Car je ne suis qu’adorateur,
» Son serviteur. »

Saint Joseph dit à Jésus :
« À l’âge de douze ans (bis),
» Je vous apprendrai le métier,
» De ma boutique ;
» Je vous apprendrai le métier
» De charpentier. »

Saint Joseph dit à Jésus :
« Voilà du bois pour faire une croix (bis),
» Et cette croix vous conduira
« Jusqu’au Calvaire,
» Et cette croix vous conduira
» Jusqu’au trépas. »

Dialogue des Bergers

— Michaud, qui cause ce grand bruit
Que l’on a fait toute la nuit
Tout autour de notr’ voisinage ?
J’ai pensé me mettre en courroux

D’entendre crier du village
Sus, sus, bergers, réveillez-vous (bis).

Ce bruit croissait de plus en plus,
Il criait comme un déperdu :
C’est trop dormir ! qu’on se réveille !
Il répétait toujours cela :
Bergers, venez voir la merveille
Et vos troupeaux laissez-les là (bis).

— Eh quoi ! Pierrot, ne sais-tu pas
Qu’un Dieu vient de naître ici-bas ?
Il s’est réduit dans une grange !
Il n’a ni langes ni berceau ;
Et dans cette misère étrange
Tu le verras : rien n’est si beau (bis).

— Michaud, parle plus clairement,
Tu me mets dans l’étonnement
Sans que je puisse y rien comprendre,
Je t’en conjure, explique-toi.
Mais pour te faire mieux entendre,
Mon cher voisin, entre chez moi (bis).

Qui t’a dit, voisin, qu’en ce lieu,
Voulut bien s’abaisser un Dieu

Pour qui rien n’est trop magnifique ?
— Les anges nous l’ont fait savoir
Par cette charmante musique
Que l’on entendit hier au soir (bis).

Allons, berger, car il est temps,
Allons lui porter un présent
Et lui faire la révérence.
Voyez Jeannot comme il y va ;
Suivons-le tous en diligence
Et nos troupeaux laissons-les là (bis).

Colin qui porte un agnelet.
Son petit-fils un pot au lait
Et deux oiseaux dans une cage.
Robin, lui, porte un gâteau ;
Pierrot du beurre et du fromage,
Et le gros Jean un petit veau (bis).

Nous lui fîmes tous nos présents ;
Nos souhaits et nos compliments.
Tout autour de lui, en cadence,
Nous lui souhaitâm’s le bonsoir
En lui faisant la révérence,
Adieu, poupon, jusqu’au revoir (bis).

La Passion et la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ

Les jeunes gars des villages des cantons de Bécherel, de Tinténiac, de Hédé, ont conservé une vieille coutume. Ils s’en vont dans la nuit du samedi au dimanche de la Passion, chanter devant la porte des fermes, le cantique que nous donnons ci-après.

On leur remet pour leur peine, des œufs, du cidre et des pièces de monnaie. Dans les maisons où les fermiers ne sont pas encore couchés, on invite les chanteurs à entrer, et on leur offre à boire et à manger.

Ils sont armés de perches, et lorsqu’ils sont mal accueillis, ils abattent avec leurs gaules, les têtes de choux dans les jardins et les courtils.

Chanterons-nous la Passion
Du doux Jésus, c’est l’oraison.
Chantons donc tous, à haute voix,
Vive Jésus, vive sa croix !

Jésus descend du Paradis
Pour venir sur la croix mouri.

À descendre par pluie et vent,
Pour endurer plus de tourments.

Judas, plus traître qu’un lion,
Vendit son maître sans raison.
Trent’ pièc’s d’argent assurément,
Judas vendit son Tout-Puissant.

Trente deniers, argent reçu,
Judas vendit son doux Jésus.
Tu l’as vendu, tu l’as trahi,
Sur la croix tu l’verras mouri.

Judas, de rage et de dépit,
Trouva un arbre et s’y pendit.
— Judas, Judas, ne t’y pends pas,
Demand’ ton pardon, tu l’auras.

— Ah ! quel pardon lui demander ?
Un Dieu que j’ai tant offensé !
— Pardonnez, pardonnez, mon fils ;
Pardonnez à ce peuple ici.

— Faudra-t-il lui pardonner ?
Il foula mon sang sous ses pieds.
Quand les trompettes sonneront,
Trois anges du ciel descendront,


Diront aux morts : « Relevez-vous,
Venez au jugement si doux. »
Ce jugement sera si grand,
Que l’on jug’ra petits et grands.

Chacun de nous sera jugé,
Suivant qu’il aura mérité.
Ah ! qu’il fait noir, mauvais marcher !
Le point du jour est égaré.

Si v’n’avez ren à nous donner,
Pourquoi nous fair’ tant espérer ?
Le Dieu sauveur un jour viendra ;
Ce sera lui qui pardonn’ra.

Chanterons-nous la Passion ?
Du doux Jésus c’est l’oraison.
Chantons donc tous à haute voix :
Vive Jésus ! vive sa croix !

Lorsqu’une porte reste fermée, l’un des jeunes gens chante :

Si v’n’avez ren à nous donner,
Donnez-nous la fill’ de l’Hôté[8],
Un camarade la ramènera. — Alléluia,
Alleluia, alleluia, alleluia !

Autre cantique de la Passion, chanté également aux portes des fermes, la veille du dimanche de la Passion, dans la commune de Loutehel :

La Passion du doux Jésus,
Vous plairait-il entendre ?
Écoutez-la, petits et grands,
Et prenez-y exemple :

Quand le doux Jésus était p’tit,
Y faisait pénitence :
Il a jeuné quarante jours,
Quarante nuits suivantes,
Sans jamais ni boir’, ni manger
Qu’une pomme d’orange,
Que sa saint’ mèr’ l’i avait donné
Dans sa jolie main bianche.
Encor’ ne l’a-t-il pas mangée,
En fit part à ses anges,
Et à saint Pierre et à saint Paul,
À saint Michel archange.
Saint Pierre il a dit à saint Jean :
— Que la misère est grande !
Le doux Jésus l’ia répondu :
— Vous en voirez ben d’autres ;

Vous voirez la mer fiamboyer
Comme un fiambeau qui fiambe.
Vous voirez les petits oisiaux
Mouri de sur la branche.
Vous voirez la terre trembler,
Et les rochers se fendre ;
Vous voirez mon sang ruisseler,
Tout oleva[9] de mes membres.

Cantique de la résurrection
Qui se chante dans la nuit qui précède la fête de Pâques

Nous sommes venus vous annoncer
Que Jésus est ressuscité,
Ils ont chanté le Gloria. — Alleluia,
Alleluia, Alleluia, Alleluia !

Séchez les larmes de vos yeux,
Le roi de la terre et des cieux
Est ressuscité glorieux. — Alleluia,
Alleluia, Alleluia, Alleluia !


Pour vivre avec le roi des rois,
Espérons au pied de sa croix,
Que ses exemples soient nos lois. — Alleluia,
Alleluia, alleluia, alleluia !

Les fill’s, les femm’s ne pleurez plus,
Car de carême y n’ien a plus.
Ils ont chanté le Gloria. — Alleluia,
Alleluia, alleluia, alleluia !

J’ai un p’tit coq dans mon panier,
Qui n’a point cor du tout chanté ;
Au point du jour il chantera. — Alleluia,
Alleluia, alleluia, alleluia !

Une partie du produit de la quête est portée au curé de la paroisse qui, en raison de la somme qui lui est remise, fait dire un certain nombre de messes pour les pauvres défunts.

La Légende du Christ

Notre-Seigneur ayant appris que les Juifs avaient décidé sa mort, s’en alla prier dans un champ de choux. Ses ennemis le cherchaient lorsqu’une pie, perchée sur un arbre, chanta de toutes ses forces : « Dans les choux y est ! » un corbeau indigné s’écria : « Y n’y est pas ! »

Jésus ayant terminé sa prière se dirigea vers ses bourreaux qui le chargèrent de chaînes.

Plus tard, lorsque le Sauveur du monde fut cloué sur une croix, deux oiseaux vinrent se percher sur l’instrument du supplice.

Le premier était la pie de tout à l’heure qui osa encore insulter le Christ expirant. Cet oiseau, à cette époque, était sans égal. Il portait une aigrette sur la tête, sa queue était aussi splendide que celle du paon et tout son plumage avait des couleurs d’une richesse inouïe ; mais il était, hélas ! aussi méchant que superbe.

Le second était un tout petit oiseau, au plumage gris, qui s’approcha timidement du crucifié en jetant quelques cris plaintifs ; de ses ailes il essuya les larmes qui coulaient des yeux du divin Rédempteur, et de son bec, il arracha les épines qui lui entraient dans la tête.

Tout à coup, une goutte de sang, échappée du front de Notre-Seigneur, tomba sur la gorge du petit oiseau et colora pour toujours son humble plumage. « Sois béni, lui dit le Christ attendri, toi qui prends part à mes douleurs. Partout où tu iras, le bonheur et la joie t’accompagneront. Tes œufs, auront la couleur de l’azur du ciel et tu seras désormais le rouge-gorge, l’oiseau du bon Dieu, le porteur des messages heureux. Toi, dit-il à la pie, tu seras maudite ; tu n’auras plus cette aigrette, ni ce brillant manteau dont tu t’enorgueillis et dont tu n’es pas digne. Ton plumage sera celui du deuil et du malheur. Va-t’en, méchant oiseau, tu seras forcé de construire un augeard[10] au-dessus de ton nid pour le préserver de la pluie, et, malgré tout ce que tu pourras faire, l’eau du ciel tombera sur tes petits. Quant au corbeau, ajouta-t-il, qui a cherché, ce matin, à éloigner mes bourreaux, la demeure de sa couvée pourra rester sans abri, la pluie ne l’atteindra pas.

Les paroles de Jésus ont reçu leur exécution.


7o assistance publique


Nous avons, en hiver, des fourneaux économiques dans les principales villes du département d’Ille-et-Vilaine.

Les œuvres philanthropiques de cette nature remontent à la première moitié du xviie siècle. En effet, dès 1643, quelques personnes de la ville de Rennes fondèrent l’établissement d’une Marmite des pauvres pour le soulagement des indigents honteux ou malades.

Voulant s’assurer la coopération des Filles de Saint-Vincent-de-Paul, la Marmite donna, par acte du 9 septembre 1673, une rente de 450 livres à leur congrégation, pour l’entretien des trois sœurs chargées de l’administration de l’œuvre.

Les statuts portaient que la compagnie serait composée de deux supérieurs spirituels, de quatre administrateurs dits « Pères des pauvres », d’une supérieure, d’une assistante et d’un secrétaire. On y admettait, sur l’avis du conseil, tel nombre de dames et de demoiselles vertueuses dont les supérieures jugeaient l’annexion utile.

L’œuvre de la Marmite cessa avec les troubles de 1793, mais fut reprise, plus tard, par les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul. Ces dernières continuent, de nos jours, à Rennes, et dans la même maison, la distribution de soupe et d’aliments aux indigents.

En 1894, on découvrit, à Saint-Malo, une plaque de cuivre, que l’on a conservée, et sur laquelle on lit :

« L’an MDCCLXXXIX
sous le règne de
Louis XVI
et
sous l’épiscopat de Gabriel
Cortois de Pressigny.

« Ce bâtiment a été élevé au profit de la Marmite des pauvres malades de cette ville, sur un terrain concédé par l’ancienne confrérie de Saint-Jean, avec les dons charitables des personnes pieuses et par les soins de Jean François Nouail de la Villegille, administrateur de cet établissement.

» Rob. Aug. Veron archit. graphid., et operibus perfecit. »

À Vitré, la Société de secours aux indigents fut créée le 2 juillet 1655, sous le nom de « Dames de la Marmite des Pauvres ».

Les règlements de cette Société sont assez curieux pour que nous en citions quelques passages :

« Le plus grand nombre des dames qui entrent dans l’association sont mariées. Elles occupent dans le monde un rang honorable et y sont retenues par leur devoir d’épouses et de mères. Ne pouvant dès lors pratiquer de la vie religieuse que ce qui est compatible avec ces conditions, elles observeront au moins en toute leur conduite la modestie et l’honnêteté, sans cesser d’observer les bienséances ; elles éviteront autant qu’elles le pourront, les bals, les comédies, la lecture des romans, et tous les jeux blessant la charité.

» Elles s’assembleront tous les quinze jours, le jeudi, après avoir assisté à la messe du Saint-Sacrement.

» Chaque sociétaire sera chargée à son tour, de faire pendant quinze jours les provisions et de préparer le bouillon destiné aux pauvres. Elle prendra ce dernier soin chez elle où la marmite de l’œuvre sera portée avec ses accessoires, car il est bon qu’elle ne soit pas enlevée à son ménage, que ses enfants soient témoins du bien qu’elle fera, qu’ils y soient souvent associés tout jeunes, afin qu’ils se trouvent ainsi préparés à le faire à leur tour quand le temps en sera venu.

» La sociétaire en charge pourra se faire accompagner au marché et chez les pauvres par sa domestique, parce que en dérogeant aux habitudes que sa position sociale exige, elle pourrait prêter à la critique.

» Mais si la domestique porte le panier destiné aux provisions, la sociétaire fera elle-même les marchés, et dans la visite aux pauvres, elle fera l’aumône d’une pieuse pensée en subvenant aux besoins du corps. Autant qu’elle le pourra, elle ne se fera pas accompagner chez les pauvres par sa domestique, mais par une associée de l’œuvre.

» Elles iront ainsi toujours deux ensemble servir, instruire chaque jour les malades à l’hôpital, après avoir fait tout d’abord une visite au Saint-Sacrement.

» Les membres de l’œuvre suivront à l’aller et au retour le Saint-Viatique chez les malades et orneront convenablement les maisons où il est porté.

» Elles veilleront à ce que chaque défunt pauvre ait au moins une messe.

» Elles procureront un asile aux jeunes filles sortant de l’hôpital sans en avoir de convenable.

» Elles paieront l’apprentissage des enfants pauvres des deux sexes pour leur procurer un état.

» Elles auront soin que les enfants soient bien instruits de la religion et formés à la crainte de Dieu.

» Les dames de la Marmite possèdent un magasin pour serrer les provisions, le linge, les sabots, le charbon, le bois, le blé, même les vieux meubles qu’elles distribueront aux pauvres, et leurs réunions sont présidées par le curé de Notre-Dame. »

Le Carnaval des Pauvres

Jusqu’à l’époque de la Révolution, le mardi-gras, à Dol, tous les mendiants du pays étaient conviés à un repas que leur offrait l’évêque. L’invitation était faite à l’avance au prône de la grand’messe des églises et chapelles du diocèse.

Des tables étaient dressées dans la cour de l’évêché où tous les malheureux venaient s’asseoir.

L’évêque et son chapitre faisaient le service de table.

Après le repas, on distribuait aux convives ce qui restait de pain et de viande, et on leur remettait aussi des effets et de l’argent.

8° Les propos villageois


— Ça viendra, ça viendra.

— Pourquoi ça ne viendrait-il pas ? la quoue (queue) du chat est bien venue.

Oh ! c’est y une bonne fille : on ne peut li rendre le plus petit service sans qu’elle vous donne tout de suite un tour de goule (un baiser).

Les filles de Melesse,
N’ont ni tétons ni fesses ;
Les filles de Betton,
N’ont ni fesses ni tétons ;
Les filles de Bruz,
La chemise ne dépasse pas le cul.

Quand un homme fait un pet devant un enfant, il ne manque jamais de dire :

« Prends-le par la main et mène-le danser. »

Ou bien encore :

« Passe-le par tes dents pour voir s’il n’a pas de nœuds. »

Y n’peut tenir en place, il est comme un pet dans un penier (panier). Se dit d’un enfant qui est toujours en mouvement.

Le Chasseur et la Bonne Femme sourde

— Vous pétez, vieille ?

— Oui, Monsieu, j’cherche mes ouailles.

— Vous pétez en marchant ?

— Oui y’en a un na (noir) et un blanc.

— Au diable la bonne femme et son cul !

— Hélas ! oui j’cré qui sont perdus.

Quand une fille de la campagne met un corset, les gars disent qu’elle met ses tétons à joc. Joc est le perchoir sur lequel les poules vont se coucher.

Dans l’arrondissement de Redon on a toujours appelé le derrière d’un homme un prussien et cela bien avant la guerre de 1870.

Les enfants disent entre eux : « Ne regarde pas mon prussien. » Ou bien : « J’vas te faire embrasser mon prussien. »

Mariage de Pivert

Quand on voit des indigents se marier sans faire de noce, on ne manque pas dire : « C’est un mariage de pivert, ils font l’amour su le trou.

Les piverts, en effet, s’accouplent isolément et se font des caresses sur le bord du trou qu’ils ont creusé dans un arbre pour faire leur nid.

Quand des malheureux se marient et font une noce, on dit :

« C’est une noce de bondrée,
Chacun porte sa becquée. »

Lorsque quelqu’un s’est absenté d’un village et qu’il y revient, il s’enquiert naturellement des nouvelles du pays, et s’il demande ce qu’est devenue une personne qu’il a connue, et qui est décédée, on lui répond :

« Il y a beau temps qu’elle est dans le royaume des taupes. »

Ou bien encore :

« À faire du sucre o le dos.

» À manger des pissenlits par la racine. »

À Balazé, les gens ont la réputation d’être peu intelligents, aussi dit-on, dans tous les environs de Vitré, quand on veut parler de quelqu’un qui a l’esprit lourd et borné : C’ti là est ben de Balazé.


9° Les grivoiseries du foyer


La Fille possédée du Démon

Il y avait une fois, dans une paroisse des bords de la Vilaine, une fille qui était possédée du diable.

Elle faisait la désolation de ses parents qui résolurent de la conduire au curé pour la faire exorciser.

Le prêtre l’aspergea d’eau bénite et ordonna au diable de sortir.

— Je ne sortirai pas, s’écria le démon.

— Tu sortiras, répondit le curé en continuant d’asperger la fille.

Le diable, qui luttait tant qu’il pouvait, mais qui se sentait vaincu, s’écria : « Je veux bien sortir du corps de cette fille, mais pour rentrer dans le corps du sacristain. »

— Ah ! mais non, s’écria celui-ci indigné. Le curé qui commençait, lui aussi, à en avoir assez d’asperger son sujet, dit au démon : « C’est une chose convenue, tu vas sortir par la bouche de la fille et rentrer par le derrière du sacristain. »

Celui-ci, en entendant cela, fut s’asseoir dans le bénitier et s’écria :

« Qu’il y vienne maintenant ! »

Le diable qui était sorti du corps de la fille, fut poursuivi à coup de goupillon par le prêtre qui le chassa de l’église et l’obligea à retourner en enfer.

(Conté par le père Constant Tual, de Bain, couturier à la journée.)

Il est d’usage en été, à la campagne, de laisser la porte de l’église ouverte le dimanche pendant la grand’messe.

Les paysans habitués à respirer le grand air, n’aiment pas à être enfermés, et beaucoup d’entre eux se tiennent même au dehors de l’église. On les aperçoit, assis sur des billes de bois, ou sur des pierres, récitant leur chapelet.

Un dimanche, dans le petit bourg de Pierric, non loin du Grand-Fougeray, le curé était en chaire, en train de prêcher et, dans son sermon, il répétait sans cesse : « D’où vient le tort ? mes frères, d’où vient le tort ? »

Un homme appelé justement Letort, qui passait sur la place en ce moment, traînant une vache à sa remorque, crut que le curé ne le voyant pas dans l’église demandait où il était.

Il avança jusqu’à la porte et dit : « Me v’la monsieur le curé ; je viens de mener ma vache au taurain. »

Je vous laisse à penser si les fidèles éclatèrent de rire.

Le curé ordonna ce jour-là de fermer la porte de l’église.

(Conté par Langevin, couturier à Fougeray.)

Le cardinal Saint-Marc, archevêque de Rennes, était un savant et un homme d’esprit. D’un caractère gai, il aimait les joyeux propos, et se plaisait à jouer des tours à ses bons vieux curés lorsqu’il leur offrait l’hospitalité à l’archevêché.

Les paysans des bords de la Vilaine ne l’ont point oublié et aiment à rappeler ses plaisanteries lorsqu’il allait à son château du Boschet, dans la belle vallée de Bourg-des-Comptes.

Un jour, disent-ils, qu’il se promenait dans les petits chemins verts cachés sous les arbres, il aperçut une bonne femme accroupie dans un fossé.

La pauvre vieille, voyant Monseigneur qui se dirigeait vers l’endroit où elle se trouvait, s’apprêtait à se relever lorsqu’elle entendit la voix du cardinal qui lui criait : Ne bougez pas, ma bonne femme, j’aime mieux voir la foule que l’œuf.

Le Curé de Guer

Il y avait autrefois, à Guer, un saint homme de curé, tellement charitable qu’il donnait aux pauvres tout ce qu’il possédait, ne gardant pour lui que juste ce qu’il fallait pour ne pas mourir de faim.

C’était au point que le pauvre vieillard n’avait qu’une soutane et encore si misérable, si effiloquée, que ses paroissiens en eurent pitié et résolurent de faire une quête dans la paroisse, pour lui acheter une soutane neuve.

Comme le vénérable pasteur était adoré de ses ouailles, le produit de la quête fut plus que suffisant pour l’emploi qu’on voulait en faire. Les quêteurs voyant cela, glissèrent le surplus dans les poches du vêtement.

Jamais le curé ne s’était vu si riche ; aussi craignait-il d’être volé, et afin de conserver son argent pour soulager des infortunes, il eut l’idée de faire coudre une pièce de vingt sous, sous chacun des boutons de sa soutane. De cette façon, se disait-il, il me suffira d’enlever un bouton pour faire l’aumône.

Le sacristain, paresseux, ivrogne et mauvais sujet, qui avait vu l’ouvrière coudre les boutons, convoita la soutane, et chercha un moyen de s’en emparer. Ce n’était pas chose aisée, attendu que le prêtre ne la quittait jamais.

Un soir, le curé fut appelé près d’un malade, et comme il devait traverser un bois isolé, le sacristain s’habilla en charbonnier, se noircit la figure et s’en alla attendre le prêtre derrière un buisson.

Lorsqu’il l’aperçut, il s’élança sur lui, le saisit par le bras, et s’écria : « La bourse ou la vie. »

— Vous me prenez sans doute pour un autre ? répondit le curé sans s’émouvoir. Je n’ai rien à moi, mon ami.

— C’est votre soutane que je veux.

« Tiens, tiens, pensa le curé, le sacristain, seul, sait que j’ai de l’argent sous mes boutons, et c’est lui sans doute, qui se cache sous ce déguisement. »

— C’est toi, René Michaud, qui viens m’attendre au coin d’un bois pour me voler ? Malheureux ! je savais que tu ne valais pas cher ; mais, c’est égal, je ne t’aurais jamais cru capable d’un fait pareil.

Le brigand lui arracha sa soutane et, tout en secouant le saint homme, il répétait : « Jurez-moi que vous ne direz à personne qui je suis, ou bien je vous tue sur-le-champ.

Le curé, voyant que le misérable parlait sérieusement, jura de ne dire son nom à personne, se réservant de le punir comme il le méritait. Or, voici ce qu’il fit :

Le dimanche suivant, au milieu de la grand’messe, à la préface, il chanta :

 « Connaissez-vous Michaud René,
Qu’a volé la soutane au curé,
Et son argent qui était dedans ?
Il a fait promettre par serment
De n’en parler à homme vivant,
Aussi je le chante ad Jesum
Christum Dominum nostrum. »

— Monsieur le Curé, vous m’aviez juré de n’en pas parler, s’écria le sacristain.

— Je n’en ai parlé à personne, répondit le vieillard ; mais tu ne m’as pas défendu de chanter ta mauvaise action, et tu te dénonces toi-même.

Les paroissiens s’emparèrent du sacristain, et lui auraient fait un mauvais parti sans l’intervention du curé, qui l’obligea toutefois à lui payer sa soutane, et à lui restituer l’argent de ses pauvres.

À un moment le curé de M*** cessa presque de se rendre à son confessionnal. Ses paroissiens s’en plaignirent à l’évêque.

Celui-ci enjoignit aussitôt au curé de confesser toute la semaine suivante, en le prévenant qu’il enverrait son grand vicaire s’assurer si ses ordres étaient exécutés.

Le dimanche, le curé monta en chaire et dit : « Mes frères, plusieurs d’entre vous se sont plaints que je ne confessais pas assez, et m’on fait donner l’ordre de le faire toute la semaine prochaine. Je ne demande pas mieux ; mais comme vous ne pouvez pas venir tous ensemble, je vais, pour éviter un encombrement, vous assigner des jours :

Les ivrognes viendront le lundi,
Les voleurs le mardi,
Les gourmands le mercredi,
Les orgueilleux le jeudi,
Les cotillonniers le vendredi,
Et les autres le samedi. »

La semaine suivante, il se rendit régulièrement, chaque jour, au confessionnal, où pas un chat ne se présenta.

— Vous le voyez bien, dit-il au vicaire général, c’est une farce qu’ils ont voulu jouer à Monseigneur : pas un seul pénitent n’approche du tribunal.

— C’est vrai, répondit le grand vicaire, j’en rendrai compte à Sa Grandeur.

(Conté par M. de L…, de Loutehel.)

Une fille se rendit à confesse et dit :

— Oh ! mon père, j’ai péché mortellement, il n’y a point de pardon pour mes fautes.

— Qu’avez-vous donc fait ? mon enfant.

— J’ai tué ma mère, j’ai empoisonné mon père, j’ai laissé mon fruit perdre, et j’ai donné mon corps aux gars.

— Je viens de voir votre père à l’instant ; vous n’avez donc pu l’empoisonner.

Vous me semblez surexcitée, allez-vous-en, et revenez dans quelques jours m’expliquer ce que signifient les paroles que vous venez de prononcer.

La fille retourna à confesse et s’expliqua ainsi : « Quand ma mère m’a mis au monde, elle est morte.

» L’autre jour, j’ai fait un pet devant mon père qui m’a dit : « Va pu lin, vilaine bête, tu m’empoisonnes. »

» J’ai mieux aimé laisser pourrir les fruits du courtil que de les donner aux pauvres. »

— Ça c’est mal, mon enfant.

« Enfin j’avais lavé mon corset, et l’avais mis à sécher sur une haie lorsque Gros-Jean, est passé par là, qui a voulu le prendre. J’avons tiré chacun de notre bout, mais il a été le plus fort et il a emporté mon cor, mon cor, mon corset. »

(Conté par la femme Delamarre, de Bruz.)
Les Saints en révolution dans la chapelle de l’Ermitage

Il existe dans la commune de Goven, à trois kilomètres de ce bourg, sur la route de Baulon, une vieille chapelle appelée Notre-Dame-de-l’Ermitage. Son nom lui vient, paraît-il, de ce qu’un ermite, — qui, croit-on, fut saint Thurial, — habita jadis ces lieux déserts.

Cette chapelle, qui est l’objet dans le pays de la légende suivante, était autrefois desservie par le clergé de Goven :

Un jour, le curé ayant appris que des voleurs dévalisaient les églises des environs, donna l’ordre à son domestique, qui remplissait également les fonctions de sacristain, d’aller fermer à clef la chapelle, dont la porte restait ordinairement toujours ouverte.

Justement ce jour-là, le curé n’ayant pas été satisfait du travail de trois ouvriers qu’il occupait au presbytère, se contenta de payer leur salaire sans leur offrir gracieusement, comme il avait l’habitude de le faire, le repas du soir.

Ces hommes mécontents résolurent de se venger : Deux d’entre eux prirent dans le fruitier du presbytère des noix et des poires blettes ; puis ils conseillèrent au troisième de se glisser la nuit dans l’étable et d’y dérober un jeune agneau qu’un paroissien avait offert à son pasteur. — « Tu viendras nous rejoindre, lui dirent-ils, dans la chapelle de l’Ermitage où nous t’attendrons. Là, nous cuirons la bête, et nous ferons bombance. »

Lorsque le domestique du curé arriva près de la chapelle, il entendit un tel tapage, qu’il s’enfuit au presbytère, où il raconta à son maître que les saints étaient en révolution. Pendant que les uns s’embrassaient, ajouta-t-il, — parce qu’il avait entendu le bruit des lèvres sous les poires molles, — les autres se donnaient des claques, — parce qu’il avait perçu le bruit que faisaient les voleurs en cassant leurs noix à coups de pierre.

Le curé, gros et goutteux pouvait à peine marcher, et cependant il voulut voir ce qui se passait dans sa chapelle. « Porte-moi sur ton dos, dit-il à son domestique. »

Celui-ci, fort comme un Turc, le chargea sur ses larges épaules et s’en alla vers l’Ermitage.

Entendant le pas lourd du sacristain et prenant le surplis blanc du curé pour l’agneau, les deux voleurs dirent ensemble à celui qu’ils croyaient être leur camarade : — Est-il gras ou maigre ? Apporte-le vite, qu’on le tue.

Le domestique, plus mort que vif, en entendant ces paroles répondit : — Maigre ou gras, le v’la, et il jeta le malheureux curé par terre, en se sauvant à toutes jambes vers Goven, où il raconta tout ce qu’il avait entendu dans la chapelle.

Lorsque les habitants de Goven se rendirent à l’Ermitage, ils furent d’autant plus convaincus que les événements racontés par le sacristain étaient vrais, qu’ils trouvèrent leur curé mort, étendu par terre, le crâne brisé sur un caillou.

À partir de ce moment, la messe ne fut plus célébrée dans la chapelle qui devint un objet de frayeur pour tout le monde. On ne passait devant elle qu’en se signant, croyant toujours que les saints étaient en révolution. On affirmait même qu’on les entendait la nuit se livrer à des scènes épouvantables.

Ce ne fut qu’au lit de mort de l’un des voleurs que la vérité fut connue. Il fit la révélation du larcin qu’il avait commis, et expliqua les suites terribles qui en furent la conséquence.

Mille-Boutons, le garde champêtre de Noë-Blanche

Le garde champêtre de la commune de Noë-Blanche était plus connu sous le sobriquet de Mille-Boutons que sous son nom véritable, et cela, parce que lorsqu’il revint du service militaire, il avait son costume de chasseur à cheval avec de gros boutons de plomb sur la poitrine.

Un jour, au marché de Bain, il aperçut un braconnier condamné par le tribunal à une amende de chasse et qui venait de toucher le prix d’une vache. Il saisit l’infortuné paysan au collet et le conduisit devant le Contrôlou. Les receveurs de l’administration des Domaines ne sont pas désignés autrement dans nos campagnes.

— M. le Contrôlou, dit Mille-Boutons, voici un délinquant que je vous amène. C’est Jean Chopin, un mauvais sujet, un mauvais garnement qui se moque de la municipalité, de M. le Maire et de MM. les Adjoints, mais qui ne se moquera pas de vous, M. le Contrôlou, c’est moi qui en réponds. Il a de l’argent, il va payer, il va abouler !

Té ta donc, té ta donc, répétait Jean Chopin d’un air ahuri, — car il n’avait pas ménagé les chopines en vendant sa vache, — tu causes trop, tu ennuies M. le Contrôlou.

— Tu auras beau dire, beau faire, reprit Mille-Boutons furieux, tu n’es qu’un chenapan : Tu as fait ton fossé sur les communs et tu n’en as pas le droit, aussi tu l’abattras, sois-en sûr, oui tu l’abattras ras pied ras terre, c’est moi qui te le dis, car vois-tu, Jean Chopin ! j’ai prêté serment à la République de l’Empire, ma tête en dépend, tant pis pour ton cul !

Le Barrage de l’étang de Combourg

Une fille de Combourg s’en alla à confesse à son curé qui lui dit après l’avoir écoutée attentivement : « Vous me reviendrez dans quinze jours, ma fille, et je vous donnerai l’absolution. Allez et ne péchez plus. »

La fille, qui avait l’oreille un peu paresseuse, crut avoir entendu : « Allez et ne pissez plus. »

Singulière pénitence qu’il m’a donnée là. Rester quinze jours sans pisser me paraît bien difficile. Je n’sai pas si je pourrai y’attendre. Enfin j’essaierai tout de même.

La malheureuse resta douze jours sans boire et sans satisfaire ses petits besoins ; mais n’y tenant plus, elle courut au presbytère et dit au curé : « Monsieur le Curé, ce n’est pas possible, je ne pourrai jamais rester quinze jours sans pisser, je souffre trop ; malgré moi ça m’échappe. »

— Ma fille, que dites-vous là ? Jamais je ne vous ai donné pareille pénitence. Je vous ai dit : « Allez et ne péchez plus. »

— Ah ! mon Dieu ! si j’avions su ! Ciel ! quel bonheur ! et la fille alla s’accroupir au pied du château de Combourg. Elle pissa pendant trois heures et toutes les pierres qui se trouvaient sur le coteau roulèrent dans l’étang et formèrent le barrage que l’on voit encore aujourd’hui.

(Conté par le nommé Pierre, barbier à Rennes.)
Le Guérissou et la malade

Une vieille femme veuve, qui vivait avec son fils presque idiot, tombe malade et envoie chercher le médecin.

Celui-ci arrive, lui tâte le pouls, lui regarde la langue et lui demande :

— Allez-vous bien à la selle ?

— Ah ! grand Dieu ! à la selle ; j’n’avons seulement pas un pauvre penêt[11].

C’n’est pas ça que j’vous demande. Chiou ben ?

— Peuh ! je chie, je n’chie pas, j’chie tout de même. Hier au sa[12], dans le courtil, j’en ai fait gros comme une runche[13]. Pelo[14], prends M. le guérissou[15] par la main et mène-le dans le courtil.

Le guérissou se laisse faire et revient près de la malade.

— Vous mangez bien malgré votre maladie.

— Peuh ! je mange, je n’mange pas, j’mange tout de même.

C’matin, Pelo m’a cuet[16] un poulet, j’ai mangé les dou zailes, les dou quesses et la corporaille[17], Pelo a mangé le reste.

Un jour, la malade tombe de son lit, se fait des meurtrissures et le guérissou dit à Pelo que des sangsues sont nécessaires. Le gars achète des sangsues, les fricasse et les fait manger à sa mère.

La bonne femme n’allant pas mieux, le guérissou ordonne des bains.

— Tu mettras le doigt dans l’eau, dit-il à Pelo, et comme cela tu verras si elle n’est pas trop chaude.

— Oui, monsieur le guérissou.

Le gars, qui n’aimait pas plus l’eau chaude que l’eau froide, ne mit point le doigt dans la cuve. Il y trempa les dents d’une fourche qui nécessairement ne se plaignit point.

Voyant cela, il prit sa mère à moitié morte dans son lit, et la déposa dans un bain d’eau bouillante.

La bonne femme faisait des grimaces épouvantables et le gars disait : « Ça lui fait tout de même du bien, car la v’la qui rit. »

Les voisins arrivèrent et s’empressèrent de retirer la vieille du bain ; mais il était trop tard, la bonne femme était cuite.

— Comment ! malheureux, dirent-ils à Pelo, tu as tué ta mère.

Nennin[18] ben sûr ; j’s’avais ben que memin[19] ne m’aimait point, c’est un tour qu’elle a v’lu[20] me jouer.

(Conté par le père Constant Tual, couturier à Bain.)
Le Tour de Lit

Une fille de la commune de Saint-Senoux, fut à confesse à son curé et s’accusa d’avoir pris un tour de lit.

— Il faut le rendre, mon enfant, lui dit le prêtre.

— Je n’ose le porter.

— S’il en est ainsi, apportez-le-moi au presbytère, et je ferai la restitution.

— Je vous remercie bien ; ce sera un grand service me rendre. Je vous le porterai demain.

De retour chez lui le curé dit à sa servante : « Une fille doit m’apporter un objet que je ne connais pas. Si je ne suis pas là, vous ne regarderez pas ce que c’est et vous le monterez dans ma chambre. »

Dès le lendemain matin, pendant que le cure disait sa messe, la fille se rendit au presbytère et remit à la domestique un panier fermé pour M. le Curé.

Lorsque celui-ci rentra, sa chambrière lui dit : « J’ai porté dans votre appartement un panier très lourd qu’une jeune fille m’a remis pour vous. »

Le naïf pasteur alla ouvrir le panier et découvrit, devinez quoi ? Un enfant nouveau-né.

Il comprit alors seulement ce que c’était qu’un tour de lit.

Le dimanche suivant, il dit en chaire : « Les filles qui auront pris des tours de lit sont priées de les garder chez elles et de ne plus les apporter au presbytère. »

(Conté par Fine Daniel, de Bruz.)
Le Lièvre à M. le Curé

Un malin paysan vit un jour un lièvre qui se sauva à son approche,

— Va-t’en chez M. le Curé, lui cria le bonhomme.

Quelques jours après, il rencontra le prêtre et lui dit : — Je vous ai envoyé un lièvre.

— Ah ! merci mon ami, ça se trouve à merveille, j’ai des amis qui viennent me voir, et je les régalerai.

Quand il rentra au presbytère il dit à sa servante en se frottant les mains :

— Ah ! Gertrude, bonne affaire, bonne affaire, nous avons un lièvre.

— Comment ! un lièvre ? Où est-il ?

— Tu n’as pas reçu un lièvre ?

— Non assurément.

— Ah ! le père Gicquel s’est moqué de moi.

À quelque temps de là, le curé vit le paysan et lui fit des reproches.

Dame ! monsieur le curé, j’ai vu un lièvre comme je vous vois et je lui ai dit d’aller au presbytère, mais l’animal est peut-être bien un hérétique qui a eu peur de vous.

(Conté par Jean Jumel, de Bain.)

Un gars de Bourg-Barré s’en alla à confesse, et déclara qu’il avait embrassé une fille.

— Pour ta pénitence, lui dit le curé, tu diras neuf chapelets.

— C’est beaucoup, répondit le gars ; ne pourrais-je en faire dire la moitié par un ami ?

— Oui, tu peux le faire.

— Eh bien ! monsieur le curé, vous qui sans cesse répétez que vous êtes mon meilleur ami, dites-en donc les trois quarts.

Et le gars sortit précipitamment du confessionnal.

(Conté par Anne-Marie Turpin, de Bourg-Barré.)

Le bounet[21] de Pierre

Une bonne femme de Goven avait été invitée à une noce, et elle se faisait une joie d’y aller.

Son homme mourut subitement, et l’enterrement fut fixé précisément le jour de la noce.

Qu’on juge du double chagrin de la bonne femme.

Elle aimait tout de même ben son défunt Pierre, car, quand il fut mort, elle se mit à sangloter en montrant le trou qui se trouve dans la muraille de la ruelle du lit, et qui sert ordinairement à mettre la tabatière et le mouchoué.

V’la le trou, disait-elle, où mon défunt Pierre mettait son pauv’ bou, son pauv’ bou, son pauv’ bounet.

Malgré cela, ne pouvant se consoler à l’idée de ne pas faire ripaille à la noce, elle s’en alla trouver une voisine et lui dit : « Si tu voulais aller pleurer pour ma à l’enterrement de mon homme, je te donnerais deux boissiaux de grains ratis[22].

La voisine accepta, et pleura tant et tant que tout le monde lui fit des compliments. La veuve, en entendant cela, ajouta : « Puisque t’as si ben crié à l’enterrement de mon bonhomme, je t’avais promis deux boissiaux de grains ratis, je te les donnerai chûppés[23].

(Conté par Victoire Hubert, servante de M. de la Plesse, à Bruz.)

Un pauvre homme étant tombé dangereusement malade, on alla bien vite chercher le curé, qui venait de terminer sa messe, et qui se rendit immédiatement dans le village habité par le moribond.

Quand il eut administré ce dernier, le curé demanda si on pouvait lui donner à manger, car il était à jeun.

— Hélas, nous n’avons que du pain noir et du beurre, monsieur le curé.

— Vous avez bien des œufs.

— Oh ! pour cela, oui. Et on alla lui chercher des œufs dans le poulailler.

Le prêtre fit un trou dans les cendres du foyer et y mit les œufs à cuire, mais auparavant cracha dessus.

Un petit gars qui était assis au coin du foyer lui demanda : « Pourquoi crachez-vous dessus ? monsieur le curé. »

— Pour les empêcher de péter, mon garçon.

— Oh ! vous devriez ben cracher au cul de ma mère, car elle pète toute la journée.

(Conté par M. Dupont, ancien receveur d’octroi, à Rennes.)
Le Seigneur de la Fonchaye-Baron

Le vieux château de la Fonchaye-Baron, situé dans la commune de Saint-Malo-de-Phily, est aujourd’hui en ruines. Il ne reste plus qu’une tour et des pans de mur permettant de juger de son importance. Tout à côté est un vieux chêne qui fut le contemporain des anciens barons. On voit encore l’emplacement de la chapelle, le jardin en terrasse, et dans un coin de rocher, quelques constructions qui servirent de chenil à la meute du seigneur.

Les barons de la Fonchaye ont laissé dans le pays, une détestable réputation de libertins. On remarque dans un pan de mur du château un trou sombre qu’on appelle la chambre à la fille. C’est une sorte de cachot où fut enfermée et où est morte, dit la légende, une jeune fille qui refusa d’être la maîtresse du seigneur Barthélémy Lambart, qui vivait vers 1714. Voici d’ailleurs comment mourut ce seigneur de la Fonchaye :

Il était allé, en compagnie de plusieurs hobereaux du voisinage, se divertir à Lohéac lorsqu’il aperçut dans une rue de la ville[24], une fillette fort jolie à laquelle il intima l’ordre de le suivre.

La pauvre enfant aurait bien voulu fuir, mais craignant d’encourir pour elle et sa famille la colère du seigneur et maître, elle se laissa conduire et enfermer dans une chambre d’auberge. Le baron tout guilleret, mit la clef dans sa poche, et s’en alla rejoindre ses amis, bien décidé à emmener le soir la captive à la Fonchaye.

Qu’on juge du chagrin de l’infortunée jeune fille qui était sur le point d’épouser un petit couturier de Lohéac et qui se demandait si ce dernier consentirait à la prendre pour femme lorsqu’elle reviendrait du château.

Pendant qu’elle faisait ces tristes réflexions, elle aperçut justement par la fenêtre ouverte le couturier qui passait dans la rue. L’appeler et lui compter ses infortunes fut l’affaire d’un instant.

Le fiancé consola de son mieux sa promise et lui jura de la délivrer.

Il entra à cet effet dans l’auberge où de nombreux rouliers étaient à table et riaient, sous cape, du sort réservé à la jeune fille que le seigneur de la Fonchaye venait d’enfermer.

En voyant cet encombrement de voyageurs, le petit couturier jugea d’un coup d’oeil que ses services seraient bien accueillis. Il s’offrit pour tourner la broche, ce qu’on accepta avec empressement.

Une grosse maritorne venait à chaque instant arroser les viandes et s’assurer qu’elles cuisaient convenablement. Le couturier, profitant de ce va-et-vient, demanda à la fille si elle ne connaissait pas un moyen de lui permettre de voir sa fiancée. La servante se fit d’abord tirer l’oreille ; mais le cuisinier improvisé semblait si malheureux et devint si suppliant, qu’elle lui avoua posséder une double clef et ajouta : « Je vous la confie, mon pauvre José, mais prenez garde de me compromettre, car je pourrais bien avoir, moi aussi, le sort de votre fiancée. »

José n’écoutait plus la servante, et était déjà dans la chambre de sa promise, à laquelle il dit :

« Changeons de costume : donne-moi tes hardes, prends les miennes et décampe au galop. »

La jeune fille ne se le fit pas répéter deux fois. Elle s’empara des culottes que José lui tendait, les mit comme si elle n’avait fait que ça toute sa vie, endossa le gilet, le touron, et enfin se coiffa du chapeau à larges bords, qui acheva de la transformer complètement. Elle descendit ensuite prestement l’escalier et se sauva sans être reconnue.

Le petit couturier, resta dans la chambre, et procéda à une toilette minutieuse. Il achevait de se lisser les cheveux en bandeaux lorsque la servante, inquiète de ne pas le voir revenir, monta l’escalier. Le gars qui l’entendit prit aussitôt son mouchoir pour se cacher la figure et fit semblant de sangloter.

La fille ne se douta de rien, et crut que le fiancé était parti. Elle allait même adresser des consolations à la pauvre enfant qui fondait en larmes, lorsque les voix retentissantes des rouliers la rappelèrent à l’office. Elle sortit précipitamment de la chambre en fermant la porte à clef.

La journée s’écoula et les rouliers s’en allèrent dormir dans le foin des écuries.

José commençait à croire que le seigneur ne songeait plus à ses amours et s’en était allé au château. Mais non, vers dix heures, un domestique amena deux chevaux devant l’auberge. Le baron arriva à son tour, fit monter la jeune fille en croupe derrière lui et partit au galop. Son garçon le suivait à une distance respectueuse.

Arrivé à la Mélatière, manoir voisin de la Fonchaye, le seigneur mit pied à terre, fit descendre le petit couturier, attendit son domestique auquel il dit tout bas, en lui jetant la bride de son cheval : « Rentre seul, et si tu entends crier ne t’en inquiète pas. »

Pourquoi n’allait-il pas jusqu’à la Fonchaye ? c’était, suppose-t-on, parce qu’il avait déjà une favorite qu’il craignait de contrarier en amenant bruyamment une rivale. C’était peut-être aussi pour tout autre motif.

Toujours est-il que le baron voulut rester dans les champs. Ne s’avisa-t-il pas de passer le bras autour de la taille de son compagnon de route ? Or José qui n’attendait qu’une occasion, attira de dessous sa jupe un solide gourdin dont il appliqua, en se trémoussant comme un diable, de vigoureux coups sur la tête du galant.

Ce dernier, surpris d’une pareille attaque, ne put même pas se défendre et roula par terre en poussant des cris déchirants.

Son domestique l’entendit ; mais comme il avait reçu l’ordre de ne pas s’en inquiéter, il continua tranquillement son chemin.

Le couturier cessa de frapper quand le seigneur eut perdu connaissance.

Le lendemain, des paysans en allant aux champs, rencontrèrent leur maître gisant sur le sol et respirant à peine. Ils le transportèrent chez lui où il ne tarda pas à rendre le dernier soupir.

(Conté par Lelièvre, menuisier sur le bord de la route près du bourg de Lohéac.)

Le Moine de la forêt de Teillay

Le marquis de Coenten-faô, seigneur de Sion et de la Roche-Giffart, était à la fin du xviie siècle, la terreur de ses vassaux, et surtout des cordeliers du couvent de Saint-Martin, situé près du château de la Roche, dans la forêt de Teillay.

Un moine de Saint-Martin, avait, en dépit du châtiment auquel il s’exposait, l’habitude de tendre des collets dans la forêt pour alimenter le garde-manger du couvent, de lièvres, de lapins, de bécasses. Il eut beau se cacher, il fut un jour surpris par un garde et amené devant son seigneur.

Celui-ci, furieux de voir qu’on l’avait bravé, se précipita dans la cour du château, saisit un coq qui s’y trouvait l’apporta au moine et lui dit :

— Tue ce poulet comme tu voudras être tué, car je te jure que tout ce que tu feras sur lui je le ferai sur toi.

— Vous le jurez ? dit le moine.

— Oui, je le jure.

Alors le cordelier enfonça un doigt jusqu’à la troisième phalange dans le derrière du coq, le retira, se le mit dans la bouche et regarda bien en face le marquis, en disant :

— Vous ferez cela.

Le seigneur de la Roche-Giffart, malgré sa colère, ne put s’empêcher de pouffer de rire et s’écria :

— Non. Tu es plus fort que moi ; je n’aurais jamais eu pareille idée. Je te fais grâce pour cette fois ; retourne à ton couvent et ne t’avise plus de prendre mes lièvres.

(Conté par M. Chaillou, ancien instituteur à Ercé-en-Lamée.)

Vers 1860, M. Féart, préfet de l’Ille-et-Vilaine, donna à la préfecture un grand bal auquel furent invités tous les maires du département.

Le maire de G*** était absent lorsque son invitation arriva chez lui. À son retour, sa femme lui dit : — Notre préfet, M. Feillard, donne une veillois et t’a écrit pour y aller.

— C’est tout de même ben honnête de sa part d’avoir songé à ma, aussi je m’y rendrai coûte que coûte.

— Et tu feras ben, notre homme, répondit la femme du maire qui regrettait ben un petit de ne pas être invitée.

Le jour venu, le premier magistrat de G*** mit son plus beau touron et attela sa jument à la carriole.

Au moment où il allait partir, sa femme lui apporta son parapluie en lui recommandant de ne pas le perdre. « Si l’iau venait à chai cette net[25], ajouta-t-elle, tu gâterais tes biaux habits. »

La jument, — une bonne trotteuse, ma foi, — fit feu des quatre pieds et ne s’arrêta en chemin, comme elle avait l’habitude de le faire, que juste le temps de permettre à son maître d’avaler quelques bolées dans les cabarets qui se trouvaient sur le bord de la route.

Arrivé à l’auberge du Petit-Caillou, en face l’École Normale, le maire mit sa jument à l’écurie, prit encore deux ou trois bolées et se dirigea vers la Préfecture.

Mon doux Jésus ! s’écria-t-il, en voyant les illuminations qui éclairaient tout le contour de la promenade de la Motte, le feu est à la Préfecture.

Une vieille femme qui se trouvait près de lui le rassura, et lui dit que c’était toujours ainsi quand il y avait bal chez le préfet.

Comme il allait franchir la grille de l’Hôtel, un agent de police voulut l’empêcher de passer, mais il se rebiffa en criant : « Rangeous don[26], j’sais le maire de G***, et j’ai mon invitation dans ma poche. »

Arrivé au bas de l’escalier où les équipages défilaient sans interruption, un huissier de service voulut le débarrasser de son parapluie, mais le bonhomme lui dit : « Jamais de la vie ! tu me le bézerais p’t’être[27]. »

À la porte du bal, pareille scène se renouvela, mais le maire se cramponna à son rifflard en s’écriant : « Pas pu à ta qu’à l’autre ! »

Et il entra dans la salle des fêtes.

Le préfet qui recevait ses invités, lui tendit la main et le remercia d’être venu à sa soirée.

« L’honneur est devers ma, » répondit le maire.

Il alla s’asseoir dans un fauteuil placé dans une embrasure de fenêtre et regarda entrer les généraux et officiers de tous grades, les fonctionnaires en uniforme et les beaux messieurs en habit et en cravate blanche.

Un garçon qui portait un plateau couvert de glaces, s’arrêta devant lui.

— J’aimerais mieux une bolée, dit le maire, mais puisqu’il n’y en a pas ici, faut ben que je me contente de ce que tu m’offres.

Lorsqu’il goûta la glace, il poussa un juron : « Bougre ! que c’est fré ! venir de si lain pour manger de si mauvais ca. »

Les danses commencèrent, et lorsqu’il leva les yeux et qu’il vit les dames qui, par derrière, montraient leurs épaules nues et, par-devant, la rote[28] aux puces, il fut scandalisé.

Il se leva indigné et s’en alla vers M. Féart, auquel il dit : « Je m’en vas, monsieur le préfet, votre maison est mal tenue ! »

Au temps jadis, le curé de Chavagne, en allant dîner chez son confrère de Bruz, passa devant la porte ouverte de l’un de ses paroissiens qu’il connaissait particulièrement. Il eut l’idée d’entrer pour lui dire bonjour.

Il ne vit dans l’unique pièce de la maison qu’un petit gars qui, une cuillère de bois à la main, regardait dans une casserole qui bouillait sur le feu.

— Que fais-tu là, mon gas ?

— Je mange les allants et venants, monsieur le curé.

— Comment, tu manges les allants et venants ?

— Oui, j’ai mis à cuire des petits pois dans la casserole, et tous ceux que l’eau bouillante fait monter, je les pêche avec ma cuillère et je les mange.

— Et ça t’amuse ?

Ben sûr ! monsieur le curé.

— Où est ta mère ?

— À faire un trou pour en boucher un autre.

— Que dis-tu là ? mon garçon.

— La vérité, monsieur le curé : elle est à emprunter de l’argent pour payer notre maître.

— Et ton père, lui, où est-il ?

— Ah ! il est à rendre un service à un chrétien qui ne le lui rendra jamais.

— Tu n’en sais rien, mon enfant ; il ne faut pas douter ainsi de la reconnaissance des gens.

— Je suis ben sûr de ce que je dis, monsieur le curé ; mon père est à porter un mort en terre, qui ne pourra jamais lui rendre le même service.

— Drôle de garçon, pensa le curé, qui ajouta : — Mais tu as une sœur aussi, où est-elle ?

— Elle est là-haut, dans le grenier, à pleurer les joies du temps passé.

Le prêtre s’en alla en disant : « Voilà un gars qui a trop d’esprit, il ne vivra pas. »

(Conté par la femme Delamarre, de Bruz.)
L’Avare

Un vieil avare avait sa femme bien malade et ne lui donnait aucun soin.

Lorsqu’elle fut à la dernière extrémité, il eut tout de même peur que ses voisins l’accusassent de l’avoir tuée, et il fit venir le médecin.

La pauvre vieille marmottait entre ses dents : « J’bairais ben un coup de vin ; j’bairais ben un coup de vin. »

Le médecin qui ne comprenait pas demanda au mari :

— Que dit-elle ainsi ?

J’fil’rai ben du brin[29] ; j’fil’rais ben du brin.

— Ma pauvre femme, dit le guérissou, vous n’êtes pas en état de filer.

J’bairais ben un coup de vin, répétait la pauvre femme.

— C’est inutile, vous ne le pourriez pas.

« Votre femme est bien malade, mon brave homme, dit le médecin en se tournant vers le vieillard ; elle est surtout très faible et il faudrait lui donner des œufs dans son bouillon. »

— Oui, monsieur le guérissou, j’li donnerons du bouillon d’œufs.

Quand le médecin fut parti, le vieil avare mit des œufs à bouillir, les mangea et fit boire l’eau à la malade.

La pauvre vieille à un pareil régime ne tarda pas à s’en aller dans le royaume des taupes, au grand contentement de l’avare qui regrettait jusqu’à l’eau qu’il donnait à sa malheureuse femme.

(Conté par Fine Daniel, de Bruz.)
L’Extrême-Onction

Une femme voyant son mari près de trépasser appela ses enfants près du lit de leur père, et craignant que celui-ci vînt à mourir sans avoir reçu les derniers sacrements se chargea elle-même de l’administrer.

Elle terminait l’opération lorsque le ministre de Dieu arriva.

Dame ! monsieur l’curé, dit-elle, v’s’arrivez trop tard, j’ons fait l’ouvrage moi-même.

— Mais, ma brave femme, cela n’appartient qu’au prêtre de donner l’Extrême-Onction. Comment avez-vous fait ?

J’ons pris un bouchon de filasse o de l’huile, et j’ons prononcé ces paroles en lui frottant les extrémités :

« D’mandez pardon au bon Jélu, vilaine bête, de tout c’que vos foutus yeux ont vu et qui n’devaient pas va. »

« Demandez pardon au bon Jélu, vilaine bête, de tout c’que vos foutues oreilles ont entendu et qu’elles ne devaient pas entendre. »

« D’mandez pardon au bon Jélu, vilaine bête, de tout c’que vot’ foutue bouche a juré après ma. »

« Demandez pardon au bon Jélu, vilaine bête, de tout c’que vos foutues mains ont bité et qu’elles ne devaient point biter. »

« Demandez pardon au bon Jélu, vilaine bête, de tout c’que vos foutus pieds m’ont donné d’coups dans le derre. »

« Après ça j’li di : Raidis les jarrets, écale[30] les orteils, fous le camp, et n’nous regrette pas pu que je n’te regrettons. »

(Conté par Constant Tual, couturier à Bain.)
10° Pronostics, dictons, locutions communes, proverbes, devinettes
Les Influences de la Lune

On appelle pointe du croissant, les huit premiers jours de la nouvelle lune, et le décours de la lune le dernier quartier.

Pendant la pointe du croissant, si on émonde des arbres, les branches au lieu de pousser droit vers le ciel, décrivent une courbe disgracieuse.

Il en est de même pour beaucoup de travaux, exemples :

Si on fait le cidre, ou si on le soutire, il y aura de la lie mélangée au liquide.

Les pommes de terre semées donneront beaucoup de pampres et peu de légumes.

Les poireaux et laitues monteront très vite en graine.

Il y a cependant une exception pour le premier vendredi du croissant. On peut, ce jour-là, arriverait-il le lendemain de la nouvelle lune, émonder les arbres, faire le cidre, le soutirer et semer ou piquer toutes sortes de légumes.

Les enfants, au contraire, qui naissent dans la pointe du croissant deviennent forts et vigoureux, tandis que ceux qui viennent au monde dans le décours sont généralement faibles et chétifs.

Tous les travaux exécutés dans le dernier quartier de la lune, réussissent toujours mieux qu’à un autre moment.

Les petits pois ne lèvent pas si on les sème les trois premiers jours, les trois du milieu et les trois derniers du mois de mai.

Les haricots, semés ces jours-là, lèvent borgnes, c’est-à-dire qu’ils n’ont qu’une feuille au lieu de deux.

Il ne faut pas couper les cheveux dans le décours, parce qu’ils repoussent moins vite. Taillés dans le croissant, ils allongent très rapidement.

Autrefois, les filles et femmes de la campagne vendaient leurs cheveux à des marchands pour des mouchoirs ou des colifichets.

Je me souviens avoir vu, au marché de Bain, des normands faire tomber, sous leurs ciseaux, les plus splendides chevelures du monde, et cela pour des mouchoirs de coton mauvais teint.

Seulement les paysannes ne consentaient jamais à se laisser couper les cheveux ni en mai, ni en août, parce que, prétendaient-elles, ils repoussaient difficilement.

Il ne faut pas se couper les ongles dans la pointe du croissant, ni les jours qui ont un R dans leur nom, ou il vous vient autour de l’ongle une petite excroissance de peau que l’on nomme croissant et qui fait souffrir.

Du brouillard dans le décours,
De la pluie sous trois jours.

Quand le ciel est rouge au coucher du soleil, signe de vent pour le lendemain.

S’il est moutonné (floconneux), signe de pluie dans les trois jours.

Quand un cercle entoure la lune, s’il est éloigné d’elle, signe de pluie, s’il est proche, signe de beau temps.

Année ventouze (année de vent),
Année pommouze (année de pommes).

(Vitré.)

La neige en janvier
Vaut du fumier.

(Tout le département.)

À la chaire du bon saint Pierre (18 janvier),
L’hiver s’en va s’il ne se resserre.

(Liffré.)

Quand il tonne en janvier,
Ça fait le cimetière bosser
Et les louves avorter.

(Guipry.)

À la Chandeleur,
Les jours croissent de plus d’une heure.

(Partout.)

Quand à la Chandeleur il éclaire (si le soleil brille),
C’est que l’hiver est au derrière.

(Partout.)

Si le soleil luit à la sainte Eulalie (12 février),
Il y aura pommes à cidre à folie.

(Lohéac.)

En février
Bon mesle (merle) doit nicher.

(Dourdain).

Semer les poireaux le jour sainte Agathe (5 février),
Un brin en vaut quatre.

(Chasné.)

Février emplit les fossés,
Mars les essard (dessèche).

(Tout le département.)

À la Saint-Mathias (24 février),

Les vlins sortent de la has.
(Les reptiles sortent de la haie.)

(Livré.)

Jamais février n’a passé
Sans voir groseiller feuillé.

(Livré.)

Tout dégel sans plée (pluie)
Ne vaut pas pie écorchée.

(Bain.)

Autant de brouillards en mars,
Autant de gelées en mai.

(Bain.)

À mars sèche (22 mars),
Le coucou est mort s’il ne prêche (ne se fait entendre).

(Saint-Sulpice-Ia-Forêt.)

La tras (grive) au haut du chêne,
Bonhomme, sème ton avaine (avoine).

(Dourdain.)

Mars les cocars (œufs),
Avril les petits,
Mai les essemets (essains).

(Marpiré.)

Avril frais, mai chaud.
Emplit le grenier jusqu’en haut.

(Marpiré.)

Si on a de l’argent dans sa poche quand on entend le coucou chanter pour la première fois, c’est signe qu’on en aura toute l’année.

Un grillon dans un foyer est une chance de bonheur.

Quand la Guernette (rainette), chante,
Quand le Grézillon (grillon), chante,
Signe de beau temps.

Quand le pivert plaint,
La pluie n’est pas loin. (Bain.)

À Romazy, on dit :

Le dernier cendré amène le coucou,
La dernière cendrée amène la huppe.

Le dernier cendré et la dernière cendrée sont le gars et la fille qui se sont présentés les derniers dans l’église pour y recevoir les cendres.

On leur dit toute l’année : C’est ta qui as amené le coucou ; c’est ta qui as amené la huppe.

Le vent est pendant les trois quarts de l’année où il était pendant la grand’messe du dimanche des Rameaux.

Le dimanche des Rameaux,
Pendant la procession,
Si le vent est en galène[31],
Perce ton fût avec une alène.

(Très vieux dicton du Pertre, qui veut dire que si le vent est en galerne il y aura peu de pommes, et que par suite, pour ménager le cidre, il ne faudra faire qu’un petit trou au tonneau.)

Le dimanche des Rameaux :

Disette de pommes.
Le vent dans le bas
Mets les tonneaux en garatas. (Objets inutiles.)


Récolte moyenne
Quand le vent est soulaire[32],
Rinçons les verres.

Récolte abondante
Le vent dans le haut,
Rinçons les tonneaux.

(Dourdain.)

Pâques au balcon,
Noël au tison. (Dourdain.)

Pâques pleuvinou (pluvieux),
Sac farinou (plein de farine). (Vitré.)

Entre Pâques et la Pentecoûte (Pentecôte.)
Le dessert n’est qu’une croûte. (Bain.)

À la Saint-Georges (13 avril),
Le blé a l’épi dans la gorge. (Sens.)

À la Saint-Georges,
Bonhomme, sème l’orge.
À la Saint-Marc,
Il est trop tard. (Pancé.)

Quand il pleut le jour Saint-Georges,
Il n’y a point de fruits à coque.

(Saint-Sulpice-la-Forêt.)


À la mi-avril
Le blé (seigle) est en épis. (Bain.)

À l’Ascension,
Bonne femme touze (tond) les moutons.

(Bain.)

À la Saint-Pothin (2 juin),
Bonhomme, sème ton sarrasin.

(Saint-Jean-sur-Vilaine.)

Quand il pleut le jour Saint-Médard (8 juin),
Il pleut quarante jours plus tard.
À moins que Saint-Barnabé
Ne lui coupe l’herbe sous le pied.

Saint-Gervais quand il est beau
Tire Saint-Médard de l’eau. (Bruz.)

Saint-Jean faouchou (faucher).
Saint-Pierre fanou (faner). (Argentré.)

À la Saint-Jean
Perdreau volant. (Bain.)

À la Madeleine (22 juillet),
Bonhomme, coupe ton avaine (avoine).

(Châteaubourg.)

Quand il pleut le jour Sainte-Anne (26 juillet),
Il pleut pendant quarante jours.
À la Saint-Laurent (10 août),
Prends la noix pour voir ce qu’il y a dedans.

(Argentré.)

À la mi-août,
Les noix ont le cul roux. (Vieux-Vy.)

S’il pleut le jour de l’Assomption (15 août), la pluie ne doit pas cesser jusqu’à la fête de la Nativité (8 septembre).

À l’Exaltation (14 septembre),
Les hirondelles s’en vont. (Dourdain.)

Quand octobre est à sa fin,
La Toussaint est au matin. (Bain.)

Telle Toussaint, tel Noël. (Bain.)

À la Sainte-Catherine (25 novembre),
Tout prend racine.  (Marpiré.)

À la Saint-Thomas (21 décembre),
Les jours allongent du pas au jas (jars).

(Fougeray.)

À la Sainte-Luce,
Le jour croît du saut d’une puce.

(Bain.)

Quand les coqs chantent, le soir, après dix heures, dans le temps de l’avent (les quatre semaines qui précèdent Noël), l’hiver doit être doux.

Quand les soleil raie (luit) pendant la grand’messe, le jour Noël, signe certain qu’il y aura des pommes. (Bain.)

Entre Noël et Carnaval
La bondrée (buse) vaut du canard.

(La Bouëxière.)

Si le jour de la Saint-Sylvestre l’on touze (tond) les vaches entre les cornes, elles ne mouchent pas le reste de l’année. (Plaisanterie faite aux gars de la campagne qui vont se faire couper les cheveux le 31 décembre.)

(Vitré.)

Le cheval et le bœuf ne peuvent être contents ensemble : Quand il y a du foin, il n’y a pas de paille.

(Marpiré.)

L’hiver est toujours dans un coin du bissac.
(C’est-à-dire que s’il n’est pas au commencement, il est à la fin.)

(Pléchâtel.)

À Noël, nuit noire
Signe de blé noir. (Lohéac.)

Pluie matinale
N’est pas journale (ne dure pas).

(Poligné.)

Arc-en-ciel du matin,
Bonhomme, mets ta bête en chemin.

(Saint-Malo-de-Phily.)

Crapaud qui chante
Pomme à l’ente.

(Saint-Médard-sur-Ille.)

Les mouches de lande
Vont à la belle viande ;
Les mouches de forêt
Vont à la Querrée (charogne).

(Chavagne.)

Il n’est si failli fagot
Qui ne trouve sa hart.

(Noë-Blanche.)

Bon pa (poil), bonne bête,
Le rouge est le maître.

(Dicton des marchands qui ont des bœufs rouges à vendre.)

(Teillay.)

Comme on fait son lit, on se couche.

Manger son pain blanc le premier.

(Se dit d’une personne riche qui gaspille sa fortune.)

Promettre plus de beurre que de pain.

(Faire de belles promesses et ne pas les tenir.)

Il n’y a pas de samedi dans l’année
Où le soleil ne montre son nez.

Année de Jubilé
Année de mortalité.  (Bain.)

Il ne faut jamais s’asseoir au soleil pendant les mois qui dans leur nom prennent un R, parce que le soleil de ces mois donne la fièvre.

Lorsqu’un chat est occupé à faire sa toilette, s’il ne se frotte pas le nez, signe de beau temps ; mais s’il passe la patte par-dessus l’oreille, signe de pluie.

Quand l’hirondelle rase la terre en volant, signe de pluie.

Quand elle vole haut, signe de beau temps.

Si les poules rentrent dans le poulailler quand il pleut, c’est que la pluie va cesser ; si au contraire elles restent dehors, c’est que la pluie doit continuer. (Bain.)

Quand le rouge-gorge chante, le soir, perché au haut des arbres, signe de beau temps.

S’il chante caché dans les buissons, la pluie ne tardera pas à tomber. (Bain.)

On prétend que la caille dit en chantant : « Paie tes dettes, paie tes dettes. »

La huppe répète sans cesse : « Mon nid pue, pue, pue. »

Cette onomatopée imite assez bien en effet le cri de la huppe.

Les paysans croient que son nid est fait avec les excréments du cochon et que, c’est pour cela qu’il a une odeur affreuse. C’est une erreur : Le nid étant placé dans le trou d’un arbre, les petits ne peuvent s’élever jusqu’au bord pour se débarrasser de leur fiente qui, mélangée à l’excès de nourriture animale, en fait un foyer d’infection.

— Qui rend les étourniaux (étourneaux) maigres ?
— C’est la grande bande.

Si taupe voyait,
Si sourd[33] entendait,
Personne sur la terre ne vivrait

(Bain.)

Les paysans disent : « Quand on abat des arbres, la terre tremble. » Cela signifie que la terre va changer de maître. Si ce dernier abat ses arbres, c’est qu’il est gêné dans ces affaires et que, bientôt, il lui faudra vendre son bien.

Il est au vent de sa bouée

(C’est-à-dire bien dans ses affaires).

(Saint-Malo.)

Quand on parle du loup
On en voit la quoue (queue).

C’est abus
Que de vendre à boire (boire)
Et de fermer l’hus (l’huis, la porte).

(Bain.)

Bois vert, pain frais, femme neuve,
Sont trois mauvaises choses dans un ménage.

(Bain.)

Vache qui beille (beugle),
Fille qui subèle (siffle),
Poule qui chante le coq,
Sont trois bêtes qui méritent la mort.

(C’est-à-dire que tout ce qui n’est pas dans l’ordre de la nature n’est pas digne de vivre.)

(Bain.)

Sac vide ne chôme pas.

Chômer est un verbe du patois d’Ille-et-Vilaine qui signifie être debout. On dit d’une personne malade qui ne mange pas : « Sac vide ne chôme pas. » Ventre vide empêche de marcher et de se chômer.

C’est d’nité
Comme une poule à gratter
(d’nité, synonyme d’habitude).

(Saint-Sulpice-des-Landes.)

Quand la glace a séché les boues des chemins, les bonnes femmes disent : « Les pies ont mangé le bouillon (la boue). » (Bain.)

Quand une femme nouvellement mariée se plaint du mal de dent, on ne manque pas de lui dire :

Mal de dent
Signe d’engendrement.

(Nouvoitou.)

Dans l’arrondissement de Redon, on appelle tison d’enfer l’individu qui cherche à exciter les querelles et les haines.

Aussitôt que les premières gelées blanches d’octobre apparaissent, on entend les villageois dire lorsqu’ils se rencontrent : « L’air est fraîche ce matin. »

En été, par les temps orageux et sans soleil ils répètent en travaillant : « Il fait chaud sous nues. »

Les femmes entre elles accusent les hommes de ne pouvoir endurer patiemment une douleur physique. « Pour faire un pet, disent-elles, ils se croient malades. »

Les hommes mal élevés et grossiers qualifient les vieilles dévotes « de punaises de sacristies ou bien encore de vieux chandeliers d’église. »

D’autres disent que lorsqu’on n’est plus dans la paroisse qu’habite sa femme on a le droit de lui faire des infidélités.

Quand quelqu’un compte son argent, on ne manque pas de lui dire : « Brebis comptées, le loup les mange. »

Les bonnes femmes de la campagne s’écrient en voyant un petit enfant qui met une culotte pour la première fois, « Oh ! le joli petit hannar. »

La hanne est le nom du pantalon des hommes.

On dit aussi d’un pauvre être chétif et malade, ou d’un individu qui ne sait rien faire, « c’est un chiant-hanne ».

Les marchands de cidre ne manquent jamais de dire pour vanter la qualité de leur marchandise : « C’est du cidre gouleyant, dret en goût et justificatif. »

Gouleyant veut dire agréable à boire, droit en goût, qui n’a que le goût de la pomme, justificatif, nullement fraudé.

12 chassoux, 12 pêchoux, 12 oiseliers,
12 bessonniers
Ça fait en tout 48 herqueliers (paresseux).

(Fougères.)

Home Guyot,
Yen a cor dans le pot.

« Home, homer, boire à grande gorgée. » (Ne crains pas de boire, il y en a encore dans la cruche.)

(Bain.)

Quand quelqu’un se permet de tutoyer une personne qu’il connaît peu, celle-ci lui répond d’un air de mauvaise humeur : J’n’avons cependant pas gardé les pourciaux (cochons) ensemble. »

On dit à une personne maussade, mal endurante :

« Sur quelle herbe avous marché ? »

Quand quelqu’un en taquine un autre, celui-ci lui réplique : « Laisse-ma tranquille, tu es comme la pie avec le chouan (chat-huant). »

On dit lorsqu’un enfant est tombé par une fenêtre ou dans une fontaine :

« Le morvous a emporté le fouérous. »

Si le derrière vous démange, c’est signe d’argent ou qu’on va manger de bonne soupe.

Avoir le nez froid est signe de santé.

Pour empêcher les enfants d’avoir peur quand le tonnerre gronde, on leur raconte que c’est le bon Jésus qui joue aux boules.

Quand il neige, on leur dit que c’est le bon Dieu qui plume ses oies.

Quand le soleil luit et qu’en même temps la pluie tombe, c’est le diable qui bat sa femme et qui marie sa fille.

Autrefois, à Rennes, lorsque plusieurs individus en battaient un autre, celui-ci leur disait :

« Vous êtes comme dans le Champ-Dolent, vous vous mettez sept sur la même bête. »

(Le Champ-Dolent était la rue des bouchers qui tuaient les animaux à leur porte.)

Devinettes

— Qu’est-ce qui brûle sa chemise dans son ventre ?

— La chandelle.

— Haut montée, court habillée,
Jambe de filasse et cul percé ?

— Une cloche.

— Qu’est-ce qui vide son ventre pour aller boire ?

— La paillasse quand on la lave.

— Bois dessus, bois dessous,
Mou tout autour

Deux cornes dans le derrière,
Et l’œil au milieu du ventre ?

— Le soufflet.

— Ma maison noire comme un four,
Jamais n’y entre le jour.
On va chercher un étranger
Pour me mettre à décamper ;
Il m’attaque, il m’abat,
Puis il crie à haute voix
Pour chanter sa victoire ?

— La suie et le ramoneur.

Quatre pendants,
Quatre marchants
Le balai par derrière,
La fourche par devant ?

— Une vache : ses quatre tétines, ses quatre pieds, sa queue et ses cornes.

— Qui n’a ni haut ni hausset,
Qui passe cor ben les russets ?

Variante :

— Qui n’a pas d’os
Et qui passe la rivière sans battiau ?

— Une sangsue : qui n’a ni pieds, ni jambes, ni os et qui traverse le ruisseau.

— Blanc comme neige,
Vert comme pré,
Barbu comme une chèvre ?

— Un brin de porée (poireau).

— Qu’est-ce qu’on peut jeter par-dessus une maison en le tenant par la queue ?

— Un peloton de fil.

— Qu’est-ce qu’un chien peut relever et que dix hommes ne pourraient faire ?

— Un œuf cassé.

— Quelle différence y a-t-il entre une fille et une châtaigne ?

— La fille pète toute sa vie et la châtaigne une seule fois.

— Quel est l’objet le plus sale de la maison ?

— Le balai.

— Qu’est-ce qui a trois trous dans le ventre ?

— Le soufflet.

— Tiens bon grande dent,
Pousse brulot,
Si mon cul défonce
Il te tuera bientôt ?

Variante :

— Tiens bon, grande dent,
Prends garde à ta, rouget,

Si mon derrière défonce
Je te tuerai net.

— La crémaillère, le tison, le chaudron.

— Qu’est-ce qui porterait ben vingt mille de paille, et qui ne porterait pas une roche greusse comme le peuce[34] ?

— La rivière.

— Qu’est-ce qui dit : allons boire, allons boire, et qui, quand elle est là ne peut boire ?

— La taupanne. (La cloche).

— Où vas-tu ? Tortu, bossu.

— Qu’ça te fait à ta qu’est p’lé tous l’z’ans ?

(Dialogue entre le pré et le ruisseau.)

— Haut monté, bas descendu,
Flaque du cul ?

— Un seau dans un puits.

— Dans la forêt de Carcaillette,
J’ai perdu ma maillette,
Je suis allé à midi,
Je n’ai pu la retrouver.
Je suis allé à minuit,
Je l’ai retrouvée.

— Une étoile.

Quel est le plus bête de la maison ?

— Le sas, qui laisse passer la farine et ne garde que le son.

— Qu’est-ce qui est gros comme un four et pointu comme une aiguille ?

— Un houx.

— Qui passe sur un étang sans faire d’ombre ?

— Le vent.

— Qui montre ses dents quand on entre dans la maison ?

— La crémaillère.

— Qui s’émeille (qui a peur) quand il vous voit vous mettre à table ?

— Le pain.

— Qui va en dansant et revient en pleurant ?

— Le seau.

— Qui passe par-dessus les coteaux, les villages et qu’on ne voit pas ?

— Le son des cloches.

— Qu’est-ce qui est gros comme une amande et qui remplit toute une chambre ?

— Une chandelle.

— Sème menu, cueilli gros, tire mou ?

— Un navet (graine légère, gros légume, mou quand il est cuit).

— Je ne suis pas bête, et porte peau de bête,
Je ne suis pas homme et je parle,
Je ne suis pas arbre et j’ai des feuilles.

— Un livre relié.

— Bonhomme cotte noire, tient sa femme sous son bras, va dans le sein de sa mère pour manger son père ?

Variante :

— Je suis noir comme un corbeau et ne suis pas corbeau.

— Je passe parmi les morts et je ne suis pas mort.

— J’entre dans ma mère et je mange mon père.

— Un prêtre, son bréviaire sous le bras, traverse le cimetière, entre dans l’église pour communier.

Dormi qui dormait,
Pendi qui pendait,
Veni qui venait.
Sans pendi qui pendait,
Veni qui venait
Aurait mangé dormi qui dormait ?

— Un cochon qui dormait sous un chêne fut réveillé par un gland tombant de l’arbre juste au moment où un loup arrivait.

— Mon frère voit une pomme qu’il ne peut manger.
Ma mère voit un drap qu’elle ne peut plier.
Mon père voit de l’argent qu’il ne peut compter ?

— La lune, le soleil, les étoiles.

— Tante Renée, prête-moi ton tiret, ton viret, ton petit train galopinet.

Pour tirer, pour virer, mon petit train galopiné ?

— Une meule à moudre.

— On m’enterre, on me déterre,
On me coupe la tête, on me rompt les os
Et je sers cor sur la mer
Au plus fort des vaisseaux ?

— Les cordages faits avec du chanvre.

— Deux petits bonshommes se regardent ;
Il n’y a qu’un petit talus à les séparer
Et ils ne peuvent se toucher ?

— Les yeux.

— Peillu (poilu) dessus,
Peillu dessous,
D’un coup de jambe je dedans ?

— Le bas de laine.

— Quatre courettes (jambes),
Deux aiguillettes (oreilles),
Et une petite trouspinette (queue),
À ras les fesses (près les fesses) ?

— Un lièvre.

— Qu’est-ce qui lève dans le bois sans prendre racine ?

— Le pain dans le pétrin.

— Qu’est-ce qui est dans un moulin, qui ne sert pas et qui est indispensable pour moudre ?

— Le bruit de la meule.

— Quel est l’objet que l’on aime le plus quand on s’en dégoûte ?

— Un parapluie (quand on sent des gouttes).

— Quel jour de l’année l’Église est-elle imprenable ?

— Le jour des Rameaux, parce que pendant l’évangile de la Passion, tout le monde embrassant la terre, les canons des fidèles sont braqués en l’air.

— Que font deux pigeons sur un toit ?

— La paire.

Cinq entes et deux chênes plantés en sept caves. Combien de pieds dans chaque cave ?

Un ; parce que l’ente est un pommier.


  1. Un bezillier est un cerisier sauvage.
  2. Reptiles.
  3. Femelle du lièvre.
  4. Salamandre terrestre.
  5. Orvet, petit serpent.
  6. Coin.
  7. Noël.
  8. Maison.
  9. Le long.
  10. Sorte de hangar.
  11. Selle large, sorte de bât.
  12. Soir.
  13. Ruche.
  14. Paul.
  15. Médecin.
  16. Cuit.
  17. Les deux ailes, les deux cuisses et la carcasse.
  18. Nenni.
  19. Maman.
  20. Voulu.
  21. Bonnet.
  22. Jusqu’au bord.
  23. Au-dessus du boisseau, tout ce qu’on peut y mettre.
  24. Lohéac avait alors le titre de ville.
  25. Si l’eau venait à tomber cette nuit.
  26. Rangez-vous donc.
  27. Tu me le prendrais peut-être.
  28. Le sentier.
  29. Grosse filasse.
  30. Ouvre.
  31. Vent du nord-ouest.
  32. De l’Orient.
  33. Salamandre terrestre que l’on appelle sourd-gare, à cause de sa surdité et de ses couleurs diverses.
  34. Grosse comme le pouce.