De la vie heureuse (juxtalinéaire) - 4

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Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 14-18).
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IV. On peut encore définir autrement le bonheur tel que nous l’entendons, c’est-à-dire exprimer la même idée dans des termes différents. Tout comme la même armée tantôt se développe au large, tantôt se masse sur un terrain étroit, ou se courbe au centre en forme de croissant, ou déploie de front toute sa ligne, sans perdre de sa force, quelle que soit sa distribution, sans changer d’esprit ni de drapeau ; ainsi la définition du souverain bien peut s’allonger et s’étendre, selon les goûts divers, comme se resserrer et se réduire. Ce sera donc tout un, si je dis : « Le souverain bien, c’est une âme qui dédaigne toute chose fortuite, et qui fait sa joie de la vertu ; » ou bien : « C’est l’invincible énergie d’une âme éclairée sur les choses de la vie, calme dans l’action, toute bienveillante et du commerce le plus obligeant. » Je suis libre de dire encore : « Celui-là est heureux pour lequel il n’est de bien ou de mal qu’une âme bonne ou depravée ; qui cultive l’honnête, et, content de sa seule vertu, ne se laisse ni enfler ni abattre par les événements ; qui ne connaît pas de plus grand bien que celui qu’il peut se donner lui-même, et pour qui la vraie volupté est le mépris des voluptés. » Tu peux, si tu veux te donner carrière, faire prendre successivement à la même idée des formes différentes, sans en compromettre ni en altérer la valeur. Par exemple, qui nous empêche d’appeler le bonheur une âme libre, élevée, intrépide et constante, placée en dehors de la crainte, en dehors de toute cupidité, aux yeux de laquelle l’unique bien est l’honnête, l’unique mal l’infamie, et tout le reste un vil amas d’objets qui n’ôtent rien à la vie heureuse, n’y ajoutent rien, et, sans accroître ou diminuer le souverain bien, peuvent arriver ou s’en aller ? L’homme établi sur une telle base aura, ne le cherchât-il point, pour compagnes nécessaires une perpétuelle sérénité, une satisfaction profonde comme la source d’où elle sort, heureux de ses propres biens et ne souhaitant rien de plus grand que ce qu’il trouve en soi. De tels biens ne sont-ils pas une ample compensation de ces mouvements de la chair, chétifs, misérables et inconstants ? Le jour où l’homme subira la loi du plaisir, il subira aussi celle de la douleur.

IV. Potest aliter qnoque definiri bonum nostrum, id est eadem sententia, non iisdem comprehendi verbis. Quemadmodum idem exercitus modo latius panditur, modo in angustum coarctatur, et aut in cornua, sinuata media parte, curvatur, aut recta fronte explicatur ; vis illi, utcunque ordinatus est, eadem est, et voluntas pro iisdem partibus standi ; ita finitio summi boni alias diffundi potest et exporrigi, alias colligi, et in se cogi. Idem utique erit, si dixero : Summum bonum est, animus fortuita despiciens, virtute lætus ; aut, invicta vis animi, perita rerum, placida in actu, cum humanitate multa, et conversantium cura. Libet et ita finire, ut beatum dicamus hominem eum, cui nullum bonum malumque sit, nisi bonus malusque animus ; honesti cultor, virtute contentus quem nec extollant fortuita, nec frangant ; qui nullum majus bonum eo, quod sibi ipse dare potest, noverit ; cui vera voluptas erit voluptatum contemptio. Licet, si evagari velis, idem in aliam atque aliam faciem, salva et integra potestate, transferre. Quid enim prohibet nos beatam vitam dicere, liberum animum, et erectum, et interritum ac stabilem, extra metum, extra cupiditatem positum ; cui unum bonum honestas, unum malum turpitudo ? Cætera vilis turba rerum, nec detrahens quidquam beatæ vitæ, nec adjiciens, sine auctu ac detrimento summi boni veniens ac recedens. Hoc ita fondatum necesse est, velit nolit, sequatur hilaritas continua, et lætitia alta atque ex alto veniens, ut quæ suis gaudeat, nec majora domesticis cupiat. Quidni ista penset bene cum minutis, et frivolis, et non perseverantibus corpusculi motibus ? quo die infra voluptatem fuerit, et infra dolorem erit.