De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/21

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 174-178).


CHAPITRE XXI.
Qu’on doit établir son repos en Dieu plûtôt qu’en tout autre bien.
Le Disciple.

IL faut, ô mon ame, que celui qui fait le bonheur des Saints dans le Ciel, fasse le vôtre sur la terre en toutes choses : & pardessus toutes choses.

O mon Jesus, ô mon amour, faites que je me réjouisse en vous beaucoup plus qu’en toutes les créatures, plus qu’en la santé & en la beauté, plus qu’en l’honneur & en la puissance, plus qu’en la subtilité de l’esprit & en la doctrine, plus qu’en les richesses & en les délices, plus qu’en la reputation & en la gloire, plus qu’en l’abondance des douceurs & des consolations, plus qu’en tous les biens que nous desirons, & que nous attendons de votre misericorde, plus qu’en coures les graces que vous pouvez repandre sur nous, & que nous pouvons mériter, plus qu’en tous les plaisirs donc le cœur humain est capable, plus qu’en tous les Anges, en tous les Archanges, & en toutes les Hierarchies celestes, plus enfin qu’en toutes les choses visibles ou invisibles, & en tout ce qui est audessous de vous.

Car, ô mon Seigneur & mon Dieu vous surpassez infiniment tout être créé en toute sorte de perfections. Vous seul êtes infiniment bon, infiniment doux, infiniment élevé, infiniment puissant, infiniment riche.

Vôtre beauté est souverainement aimable ; vôtre grandeur & votre gloire sont sans bornes & sans mesure ; vous possedez seul tous les biens possibles ; vous les possedez, de toute éternité, & vous les possederez éternellement.

Ainsi, quelque grace que vous me fassiez, quelque lumiere que vous me communiquiez, quelque avantage que vous me promettiez, j’estime peu tout cela, & je ne serai jamais content que vous ne vous donniez vous-même à moi, que je ne vous voye, & que je ne jouisse pleinement de vous.

Car mon ame ne sera jamais tranquille, si elle ne s’éleve audessus de toutes les choses créées pour se reposer en vous. O mon Jesus, chaste Epoux des ames, Maître souverain du monde, qui rompra mes chaines, qui me donnera des ailes, afin que je vole jusqu’à vous, & qu’en vous seul j’établisse mon repos ?

O quand serai-je en état de voir & de goûter, ô mon Dieu, combien vous êtes doux !

Quand pourrai-je m’attacher si étroitement à vous, que je m’oublie tout-à-fait moi-même ; qu’abîmé dans vous, je ne sente & ne voye que vous, d’une maniere connue à peu de personnes, & qui surpasse toute operation des sens.

O que j’en suis éloigné ! je pleure, je gemis souvent, & penetré de douleur, je plains ma misere.

Car il m’arrive en cette vallée de larmes, une infinité de choses qui m’inquiettent, qui m’affligent, qui me troublent la raison. Entre les objets qui se presentent à mes sens, les uns m’embarrassent & me distraisent, les autres m’attirent & me charment. Ainsi je me trouve separé de vous, & privé de saintes délices dont vous comblez les Esprits celestes.

Laissez-vous gagner à mes soûpirs, & soyez touché de tant de maux que j’endure sur la terre.

Jesus, ô la splendeur de la gloire du Pere, ô l’unique consolation de mon ame, dans ce long & fâcheux exil, mon cœur fait l’office de ma langue, & mon silence vous parle.

Jusques à quand mon Seigneur differera-t-il à venir ?

O que je serois heureux, s’il descendoit jusqu’à moi, qui suis le plus pauvre de ses serviteurs ; s’il daignoit me visiter, & me réjouir par sa presence ; si avec son bras tout-puissant il me tiroit de la misere oui je suis !

Venez, ô mon Dien, venez au plûtôt : car sans vous il n’y a ni jour, ni moment heureux. Vous êtes ma joye, ma nourriture, & ma vie.

Je suis en ce monde comme en une obscure prison ; chargé de fers, accablé de maux, jusqu’à ce que vous veniez m’éclairer de votre divine lumiere, & que me regardant d’un œil favorable, vous rompiez mes chaînes, & me mettiez en liberté.

Que les autres cherchent tant qu’ils voudront, leur contentement ailleurs qu’en vous ; pour moi je ne me réjoüis, ni ne me réjoüirai jamais qu’en vous qui êtes mon esperance, & qui devez faire toute ma beatitude dans l’Eternité.

Je ne cesserai de vous invoquer, je redoublerai mes prieres, jusqu’à ce que vous me rendiez vôtre grace & que vous me disiez au fond du cœur :

Me voici : je viens à vous, parce que vous m’en avez prié. Vos pleurs, vos soûpirs, vôtre humilité, vôtre penitence m’ont fait descendre vers vous.

Il est vrai, Seigneur, je vous ai demandé cette grace, j’ai ardemment desiré de vous posseder ; & pour joüir de vous il n’y a rien que je ne quitte.

Mais c’est vous même qui m’avez inspiré le desir de vous chercher.

Soyez donc beni à jamais, ô mon Dieu, qui par un excès de misericorde, m’avez daigné faire une si insigne faveur !

Que peut dire votre serviteur après cela ? tout ce qu’il peut faire c’est de s’humilier devant vous, en se souvenant de les pechez & de sa bassesse ?

Car dans tout ce que le Ciel & la terre ont de plus grand, il n’y a rien qui mérite de vous être comparé.

Vous ne faites rien que d’excellent & d’achevé ; vos jugemens sont très-équitables ? vôtre Providence gouverne toutes choses.

Qu’honneur & gloire soit à vous, Ô Sagesse éternelle du Pere ! que ma langue, que mon ame, que toutes les créatures vous loüent & vous benissent dans tous les siécles !