De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 3/52

La bibliothèque libre.
Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 260-262).


CHAPITRE LII.
Que chacun doit se juger beaucoup moins digne de consolation que de châtiment.
Le Disciple.

Seigneur, je ne suis point digne que vous veniez me consoler : j’avoüe que vous me traitez comme je mérite, quand vous me laissez dans la misere & dans l’affliction.

Car quand j’aurois toutes les eaux de la mer, & que je pourrois les changer en larmes, pour l’expiation de mes pechez, ce seroit encore trop peu pour mériter vos consolations divines.

Car après que je vous ai si grievement, & tant de fois, & en tant de manieres offensé, je ne dois attendre que de severes châtimens.

Donc, tout bien consideré, je suis indigne de la moindre consolation.

Mais vous, ô mon Dieu, qui êtes infiniment bon, qui ne voulez point détruire les ouvrages de vos mains ; qui prenez plaisir à faire paroître les trésors de votre bonté, dans les vases de misericorde, vous ne laissez pas de consoler & de soûtenir le plus lâche de vos serviteurs, d’une maniere qui passe les forces hunaines.

Car je suis bien convaincu que vos douceurs sont toutes autre que celles qu’on trouve dans les conversations du monde.

Qu’ai-je fait, Seigneur, pour m’attirer des consolations du Ciel ?

Je reconnois, à ma confusion, que je n’ai rien fait de bien, que j’ai toûjours eû beaucoup de penchant pour le vice, & peu de ferveur pour l’amandement de ma vie.

Je le reconnois, & il est vrai ; & si je disois le contraire, vous me dementiriez, sans que personne osât me défendre.

A quoi donc me devez-vous condamner qu’au feu de l’Enfer, qu’à une éternité de supplices ?

J’avoue que je suis digne de tout mépris, & indigne d’être nommé votre serviteur. Mais quelque fâcheux que me puisse être ce reproche, je ne nierai point la vérité : je confesserai mes crimes, & je m’en accuserai le premier, pour en obtenir plus facilement de vôtre misericorde une abolition entiere.

Que dirai-je dans le trouble & la confusion, que me cause le souvenir de mes infidelitez ?

Je ne puis dire autre chose, sinon : j’ai peché, Seigneur, j’ai peché : faites-moi misericorde : pardonnez-moi mes offenses.

Accordez-moi quelques momens pour pleurer, avant que je passe dans cette région de tenebres, qui est le sejour de la mort.

Que demandez-vous davantage d’un miserable pecheur, que des sentimens d’humilité & de penitence ?

C’est dans un cœur qui en est vraiment penetré que naît l’esperance du pardon ; c’est-là que s’appaisent les cruels remords qui tourmentent la conscience, c’est-là que la grace, qu’on a perduë, se retrouve ; c’est-là qu’on est à couvert de la colere d’un Dieu irrité ; c’est là enfin que Dieu & l’ame penitente se rencontrent, se reconcilient, & se donnent mutuellement le baiser de paix.

Une humble & sincere contrition est pour vous, Seigneur, un sacrifice d’une odeur plus douce que celle de tous les parfums.

On peut justement la comparer à ce parfum si précieux, qui fût répandu sur vos pieds sacrez : car vous ne méprisâtes jamais un cœur véritablement contrit & humilié[1].

On peut dire aussi qu’elle est un azile contre la fureur de notre ennemi commun ; & que c’est par elle que tout ce que nous avons contracté d’impur & de vicieux, se corrige & se purifie.

  1. Psal. 50. 19.