De soir (Elskamp)

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(p. 51-66).





de Soir.






de Soir :

I



 
Mais les anges des toits des maisons de l’Aimée,
les anges en allés tout un grand jour loin d’Elle,
reviennent par le ciel aux maisons de l’Aimée ;

les anges-voyageurs, buissonniers d’un dimanche,
les anges-voyageurs se sont fait mal aux ailes,
les anges-voyageurs, buissonniers d’un dimanche ;

les anges-voyageurs savent le colombier,
et se pressent, au soir, vers le cœur de l’Aimée,
les anges-voyageurs savent le colombier ;


mais les plus petits anges se donnant la main,
les plus petits anges se trompent de chemin,
mais les plus petits anges sont encor très-loin ;

et les anges plus las, sur leurs bateaux à voiles,
ont le mal de la mer, et du ciel, et des îles
d’or et qui, des villes, ont un faux air d’étoiles ;

et les anges ont froid parmi les hirondelles,
et leurs pieds, et leurs mains, et leurs coudes sont rouges,
et les anges mettent leurs bras nus sous leurs ailes ;

et la bien-aimée s’inquiète d’eux, au soir
de dimanche, où les enfants de la ville chantent
plus fort depuis que les rues et les toits sont noirs.




de Soir :

II



 
Anges, des mauvaises maisons
dans le noir et mes yeux voyagent ;
anges de velours, anges bons,
mes yeux en sont à des images

où mes lèvres cherchent la place
au baiser la plus harmonique,
et ma bouche berce, en musique,
entre les seins nus des Trois-Grâces.

Anges, la chair du soir m’envoûte,
et j’ai plus mal à ma migraine
où la femme, en feu, de mes veines
siffle dans les eaux de mes doutes ;


et des cheveux tombés me peinent,
et mes mains pour errer n’ont place ;
et frais, le boire-aux -yeux me glace
comme d’un bain à des fontaines.

Anges, des ventres me saluent,
au chapitre vague des moelles,
sous des yeux, comme des étoiles,
derrière une montagne nue

où, des robes, le rein dégorge,
ceint ainsi que de zodiaques,
par les ceintures d’or qui parquent
haut, les cimes dures des gorges ;

anges du ciel qui n’est plus mien,
la reine de Saba me baise
sur les yeux ; anges très-chrétiens,
dans le noir des maisons mauvaises.




de Soir :

III



Mais les anges sont morts de peine,
et la chair aussi s’est éteinte,
et les lampes, comme en la crainte
d’éclairer, fument et se traînent ;

et des roues dorées s’embarrassent
à la voie blanche des plafonds,
avec des yeux gros dans des ronds
d’indéterminables surfaces.


Mais les yeux, faites les joyeux
et faites des baisers les bouches,
car viennent les enfants qu’on couche,
mais les yeux, faites les joyeux ;

allez, les doigts, aux vieux ouvrages,
qui n’avancent depuis longtemps,
allez, pour le tuer le temps,
allez, les doigts à des ouvrages,

dans le rituel doux des lampes
où les grands parents protestants,
au dimanche long se mourant,
ont mal de sang trop lourd aux tempes.




de Soir :

IV



Mais voici venir une maladie,
le dimanche a pris un mal de langueur,
le dimanche est bas d’une maladie,

et les médecins venus l’abandonnent
le vieux dimanche, puisqu’il doit mourir ;
et les médecins venus l’abandonnent.

Mais, auprès de lui, restez sans rien dire
les enfants auprès des grandes personnes.
Mais, auprès de lui, restez sans rien dire,

avec les douces sœurs noires qui pleurent
de cloches, et toutes les demi-heures,
avec les sœurs noires douces qui pleurent.


Mais habituez-vous à voir mourir,
les yeux aux cadrans attendant les heures,
mais habituez-vous à voir mourir,

et faites taire les enfants qui pleurent,
et faites taire ceux qui très-faux chantent
seuls au repas languissant de sept heures ;

et les plus petits des nuits décevantes,
et trop tôt couchés pour avoir sommeil,
mais envoyez-leur les bonnes servantes.

Or, faites venir les femmes qu’il aime,
le dimanche, et qu’il a vues au soleil ;
faites venir vite celles qu’il aime ;

mais prenez pitié du soir de soi-même,
au dimanche qui ne sait pas mourir,
après le départ de Celle qu’on aime.




de Soir :

V



Et tout au fond du domaine loin,
où sont celles que l’on aime bien,
la plus aimée me pleure, perdue
de ma mort aux semaines venue ;
la plus aimée de mon cœur s’attriste,
et plonge ainsi que des fleurs ses mains,
aux sources de ses yeux de chagrin,
la bien-aimée de mon cœur s’attriste.


Et tout au fond du domaine loin,
la bien-aimée a mis ses patins,
se sentant dans le cœur de la glace,
et loin vers moi s’efforce et se lasse ;
la bien-aimée accroche aux vitraux
de la chapelle d’où l’on voit loin,
avec le pain, le sel et les anneaux,
ma pauvre âme, elle, qui ne meurt point.

Et tout au fond du domaine loin,
la bien-aimée ne pleurera plus
les beaux jours de fêtes révolus,
aux bagues de famille à ses mains ;
la bien-aimée m’a vu comme un saint
promettant un éternel dimanche,
aux âmes enfantines et blanches,
et tout au fond d’un domaine loin.




de Soir :

VI



Or, les juifs aussi sont venus,
mauvaisement nus et goulus,

et la fièvre blanche aux gencives,
et la sueur du cœur et juive.

Et des villes où sont les ports,
sur les vaisseaux noirs de la mort,

et pour vendre, et pour acheter,
le peu du dimanche resté


de dépouille et de friperie,
ils sont venus dès l’agonie,

ils sont venus les levantins,
aux fièvres du soir de mes fins,

s’enivrer des froides éponges
sur mon front pour calmer des songes.

Or, ils sont venus les laids juifs,
les très-laids petits enfants juifs,

de teigne et d’induration,
voir mourir de consomption

mes enfants qui vont vers les anges,
et la vie félice des langes,

au minuit d’une lune blanche ;
mes très-chrétiens et bons dimanches.




de Soir :

VII



Et lors, c’est la fin venue de mes fêtes,
et puis la vieillesse aussi de ma tête ;

rentrez les drapeaux dans l’humidité
de la nuit, mes drapeaux de vanité ;

tout est fini, les dimanches sont morts,
mes pauvres petits dimanches sont morts.

Qu’importe d’adieux; ce sont les semaines
à présent, et les mains rouges qui peinent,


et bien heureux sont ceux d’âme assez forte
que le travail attend, bon, à leur porte ;

les semaines sont et les mains sont reines,
et s’en vont du port blanches les carènes

des beaux vaisseaux de dimanche attardés.
Or, c’est fini de très-loin regarder,

en des nonchaloirs heureux de rien faire,
et déjà les juifs reparlent d’affaires.

Et lors, c’est la fin venue de mes fêtes,
et puis la vieillesse aussi de ma tête,

tout est fini, les dimanches sont morts.

Mes pauvres petits

Mes pauvres petits dimanches sont morts.