Delicta majorum (Gilkin)
DELICTA MAJORUM
Tandis que le printemps comme un baiser voltige
Sur les lèvres en fleurs et les lèvres des fleurs,
Que la brise de mai souffle un nouveau vertige
Dans les jardins parés de nouvelles couleurs,
Tandis que palpitant d’audace et de tendresse
L’ardent jeune homme étreint la vierge aux seins naissants
Et qu’à l’aimé rendant caresse pour caresse
Elle ouvre à ses désirs ses bras éblouissants,
Sous la peau souple et fraîche et sa blancheur nacrée,
Sous les duvets d’or pâle et les bouches de feu,
Sous les fronts qu’illumine une beauté sacrée,
Sous les yeux où les dieux mirent leur doux ciel bleu.
Dans ses fleuves cachés, sans répit, le sang roule
Comme un venin fatal les forfaits des aïeux
Et l’invisible flot circule dans la foule
Portant avec le mal la vengeance des dieux.
Voici le tétanos, la lèpre, l’hystérie,
Voici l’épilepsie et les hideux cancers,
Et le meurtre et le vol et le viol, que charrie
Ensemble un sang funeste au fond des jeunes chairs.
Vous, en qui coulera le flux de nos artères,
Vous qui naîtrez, un jour, de nos reins gangrenés,
Innocents, vous paierez les crimes de vos pères
Et c’est dans vos douleurs que nos bourreaux sont nés.
Hélas ! avec vos corps nous façonnons vos âmes ;
Nous vous donnons la vie en fixant votre sort ;
Enfants, avec nos maux et nos vices infâmes
Nous vous léguons l’exil, la prison et la mort.
Ah ! qui voudrait encore engendrer ? Aux abîmes
Tonne éternellement ta malédiction,
Dieu farouche et cruel, qui frappes tes victimes
De génération en génération !
Ne perpétuons plus les martyrs que nous sommes !
Opposons à la vie un cœur stérile et fort !
Mort ! puisses-tu détruire en nous les derniers hommes
Et mourir à ton tour avec le dernier mort !