Depuis l’Exil Tome VI À M. Robert Hyenne

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J Hetzel (p. 23-24).

III

À M. ROBERT HYENNE

redacteur en chef
DE LA DÉMOCRATIE DU MIDI
Paris, 2 décembre 1871.

Mon vaillant confrère, les souvenirs que vous me rappelez sont gravés en moi ; depuis longtemps je vous connais et je vous estime. Vous avez été l’ami de l’exil ; vous êtes aujourd’hui le combattant de la vérité et de la liberté. Votre talent et votre courage sont pour votre journal, la Démocratie du Midi, un double gage de succès.

Nous traversons une crise fatale. Après l’invasion, le terrorisme réactionnaire. 1871 est un 1815, pire. Après les massacres, voici l’échafaud politique rétabli. Quels revenants funestes ! Trestaillon avait reparu en juin, Bellart reparaît en novembre. À l’odieux assassinat de Clément Thomas et de Lecomte, à l’abominable meurtre des otages, quelles répliques sanglantes ! Quel grossissement de l’horreur par l’horreur ! Quelle calamité pour la France que ce duel de la Commune et de l’Assemblée !

La civilisation est en danger ; nous sentons un affreux glissement sur la pente féroce. J’ai écrit :

Personne n’est méchant, et que de mal on fait !

Avertissons toutes ces pauvres consciences troublées. Si le gouvernement est myope, tâchons qu’il ne soit pas sourd. Crions : Amnistie ! amnistie ! assez de sang ! assez de victimes ! qu’on fasse enfin grâce à la France ! c’est elle qui saigne. — On a ôté la parole au Rappel ; vous tous qui l’avez encore, répétez son vaillant cri : Pitié ! pardon ! fraternité ! Ne nous lassons pas, recommençons sans cesse. Demandons la paix et donnons l’alarme. Sonnons le tocsin de la clémence.

Je m’aperçois que c’est aujourd’hui le 2 décembre. Il y a vingt ans à pareille heure, je luttais contre un crime, j’étais traqué, et averti que, si l’on me prenait, on me fusillerait. Tout est bien, luttons.

Cher confrère, je vous serre la main.

Victor Hugo.