Depuis l’Exil Tome VI Offres de rentrer à l’Assemblée
XIII
OFFRES DE RENTRER À L’ASSEMBLÉE
À la fin de mars 1873, Victor Hugo, étant à Guernesey, recevait de Lyon les deux lettres suivantes :
Au nom d’un groupe de citoyens radicaux du sixième arrondissement de Lyon, nous avons l’honneur de vous proposer la candidature à la députation du Rhône, aux élections partielles, en remplacement de M. de Laprade, démissionnaire.
Nous sommes sûrs du succès de votre candidature, et pensons que toutes celles qui pourraient se produire s’effaceront devant l’autorité de votre nom, si cher à la démocratie française.
Nous pensons que vous êtes toujours dans les mêmes vues que l’an dernier relativement au mandat contractuel.
Agréez, citoyen, nos salutations fraternelles.
Les délégués chargés de la rédaction.
Les démocrates lyonnais vous saluent.
La démocratie lyonnaise, depuis longtemps, fait son possible pour marcher à la tête du mouvement social, et vous êtes le représentant le plus illustre de ses principes.
Vous avez eu des consolations pour tous les proscrits et des indignations contre tous les proscripteurs.
Nous avons gardé le souvenir de votre noble conduite à Bruxelles envers les réfugiés.
Nous n’avons pas oublié que vous avez accepté le contrat qui lie le députés et ses mandants.
Cher et illustre citoyen, la période que nous traversons est ardue et solennelle.
Les principes de la démocratie radicale, d’où est sortie la révolution française, les partisans du servage et de l’ignorance s’efforcent d’en retarder l’avénement. Après avoir essayé de nous compromettre, ils s’évertuent à nous diviser.
Devant le scrutin qui demain va s’ouvrir, il ne faut pas que notre imposante majorité soit scindée par des divisions.
Nous avons voulu faire un choix devant lequel toute compétition s’efface ; nous avons résolu de vous offrir nos suffrages pour le siége vacant dans le département du Rhône.
Cette candidature, qui vous est offerte par la démocratie lyonnaise et radicale, veuillez nous faire connaître si vous l’acceptez.
Recevez, cher et illustre citoyen, le salut fraternel que nous vous adressons.
M. Victor Hugo a répondu :
Je tiendrais à un haut prix l’honneur de représenter l’illustre ville de Lyon, si utile dans la civilisation, si grande dans la démocratie.
J’ai écrit : Paris est la capitale de l’Europe, Lyon est la capitale de la France.
La lettre collective que vous m’adressez m’honore ; je vous remercie avec émotion. Être l’élu du peuple de Lyon serait pour moi une gloire.
Mais, à l’heure présente, ma rentrée dans l’Assemblée serait-elle opportune ?
Je ne le pense pas.
Si mon nom signifie quelque chose en ces années fatales où nous sommes, il signifie amnistie. Je ne pourrais reparaître dans l’Assemblée que pour demander l’amnistie pleine et entière ; car l’amnistie restreinte n’est pas plus l’amnistie que le suffrage mutilé n’est le suffrage universel.
Cette amnistie, l’assemblée actuelle l’accorderait-elle ? Évidemment non. Qui se meurt ne donne pas la vie.
Un vote hostile préjugerait la question ; un précédent fâcheux serait créé, et la réaction l’invoquerait plus tard. L’amnistie serait compromise.
Pour que l’amnistie triomphe, il faut que la question arrive neuve devant une assemblée nouvelle.
Dans ces conditions, l’amnistie l’emportera. L’amnistie, d’où naîtra l’apaisement et d’où sortira la réconciliation, est le grand intérêt actuel de la république.
Ma présence à la tribune aujourd’hui ne pouvant avoir le résultat qu’on en attendrait, il est utile que je reste à cette heure en dehors de l’Assemblée.
Toute considération de détail doit disparaître devant l’intérêt de la république.
C’est pour mieux la servir que je crois devoir effacer ma personnalité en ce moment.
Vous m’approuverez, je n’en doute pas ; je reste profondément touché de votre offre fraternelle ; quoi qu’il arrive désormais, je me considérerai comme ayant, sinon les droits, du moins les devoirs d’un représentant de Lyon, et je vous envoie, citoyens, ainsi qu’au généreux peuple lyonnais, mon remerciement cordial.