Dans quelques instants il sera revenu chanter sous ma
fenêtre.
Il y aura dans sa voix unique toutes les voix, qu'au long
des soirs, la sienne a réveillées.
Puis il y aura sa voix d'hier à lui, sa voix déjà passée,
déjà pleine d'absence...
Il chantera longuement, mortellement, puisque c'est la
longueur et la mort qu'il chante...
Il y aura ce coin de ciel dans la fenêtre aux griffes de fer
qui répètera, dans un songe récitatif, tous les ciels...
Tous les ciels...
Et alors commencera le dialogue divin entre ce pauvre,
ce ciel et vous.
Vous, les lointains, les dispersés et les morts...
Peut-être y aura-t-il les longues trompettes des nuits de
pénitence et plus de bruit que je n'en entendrai.
Peut-être son chant me fera-t-il plus mal que d'habitude
parce que j'aurai attendu avec plus de patience et plus
d'amour l'heure où sa voix brisera des échos.
Il y aura le nimbe d'un mur.
La lustration perpétuelle des jours par les nuits, tandis
qu'au sein de sa chair, la vie cherchera le nom de son
désir.
J'entendrai sa voix le devancer et me parvenir, caressée,
assourdie, déroulée, sous les voûtes des rues, et pesante
comme une absoute sans espérance.
Que d'immensité elle contiendra, elle, la voix au timbre
de misère et de sang, offerte à la nuit immobile !
Et cette plainte qui n'appelle personne mais que, du fond
de leur exil, d'autres cœurs attendent peut-être avant
de s'endormir comme un nouveau baiser maternel,
cette plainte m'apaisera d'être là, si proche, si vivante,
d'être l'âme qui donne chaque soir un chant aux tris-
tesses qui ne peuvent pas finir...
Il y aura son pas traînant d'aveugle. Son bâton heurtera
les murs et il restera longtemps, longtemps, devant la
porte comme s'il était pris, lui aussi, par l'éternité de
ces notes et de ces mots qui n'ont pas d'espoir, qui
n'ont pas de réponse mais qui portent justement l'immense
repos de ce qui n'a plus d'espoir et plus de réponse.
J'attends sa voix qui saura que j'écoute.
J'y lirai, comme dans une prophétie, les siècles et les
siècles,
Et leur longue plainte, et leur longue monotonie...
Et de tous les coins de ma mémoire, se lèveront les doux,
les purs, les bien-aimés visages perdus...