Dernières chansons/Berceuse philosophique
Monsieur l’enfant qu’on attendait,
Soyez le bienvenu sur terre !
Vous dansez comme un farfadet,
En narguant la sagesse austère ;
Car Dieu vous fit frais et vermeil,
Et votre mère en est ravie,
Et vous avez, sous le soleil,
L’éblouissement de la vie.
Déjà, pour vos repas de choix,
Tout travaille, ô tyran superbe :
L’abeille qui bourdonne au bois,
La vache qui mugit dans l’herbe.
Vous daignerez un peu plus tard,
Dans un carrosse en miniature,
Honorer d’un vague regard
Cet hommage de la nature.
Vous encouragerez un peu,
Comme il sied aux rois débonnaires,
Les oiseaux qui sont en tout lieu
Vos musiciens ordinaires.
Vous connaîtrez les champs, les fleurs,
Les grands flots qu’un souffle balance,
Et la pelouse aux cent couleurs,
Molle aux pieds de votre excellence ;
Puis le ciel, admirable à voir,
Pavillon que Dieu vous décore
De taffetas bleu jusqu’au soir,
De velours brun jusqu’à l’aurore.
Un mot pourtant de l’avenir :
Tout vous flatte, ô maître du monde !
Toutes les mains, pour vous bénir,
Caressent votre tête blonde.
Et votre mère, en ses ébats,
Colle ses lèvres affolées
Aux traces de vos premiers pas
Sur la poussière des allées.
Car, enfant, vous avez pour vous
Mieux que la force qui nous blesse,
La majesté des grands yeux doux,
Le droit divin de la faiblesse.
Goûtez-les bien, ces jours dorés
Faits de jeu, de rire et de danse !
Vous grandirez, vous grandirez
De décadence en décadence.
On vous ôtera sans merci
Votre pouvoir de sept années,
Et vous serez esclave aussi,
Dès que vos forces seront nées.
Vous connaîtrez, pauvre oisillon,
Après la cage, où l’ennui siége,
La jeunesse, ce tourbillon ;
L’amour, ce lacs ; l’espoir, ce piége.
Par les monts, les bois et les prés,
L’œil éteint, l’âme inassouvie,
Sombre forçat, vous traînerez
La longue chaîne de la vie.
Pour vous, le temps, en son décours,
Versera de ses mains funèbres
Sur la banalité des jours,
L’épouvantement des ténèbres.
Puis, vieil enfant, vous sortirez
Triste et nu de la vie amère ;
Mais le berceau que vous aurez
Sera froid, sinistre et sans mère !…