Dernier carnet de route au Soudan français - La fin de la mission Klobb/18
CHAPITRE VIII
Longtemps sans écrire. Je me rapprochais. Je me suis rapproché jusqu’au bateau qui devait m’emmener de Kayes à Saint-Louis. J’en avais visité la paillotte, je l’avais fait refaire, le soleil étant terriblement chaud ce mois-ci. Maintenant, au lieu de me diriger vers la France, où je me sentais attendu si impatiemment, je reprendrai après-demain la route de Bamako, que je viens de faire. À cinq heures du soir, j’ai été appelé ; l’on m’a offert une mission. Ordinairement, j’accepte ces choses-là. Cette fois, j’ai demandé jusqu’au lendemain matin pour réfléchir, mais j’ai répondu oui tout de même. Je n’ai pas l’habitude de refuser de marcher. Ce n’est cependant pas sans peine que je me suis décidé. J’avais regretté mon commandement de Bandiagara, mais n’en ayant plus ni l’occupation, ni la préoccupation, je n’avais plus que la pensée de rentrer rapidement, et, chaque jour, la France me paraissait plus belle. Je ne reprends pas sans un véritable serrement de cœur la route de l’Est. J’espère cependant retrouver mes esprits quand j’aurai abattu une partie de la route. Où va me conduire cette mission ? Quelle en sera la durée ? Peu importe en ce moment. Cela peut être assez court.
Je me porte bien heureusement. Nous sommes dans les terribles chaleurs qui diminueront un peu vers le 15 Juin. Il fait des 45 et des 47 degrés comme rien. C’est étouffant.
Depuis quatre jours, je marche toute la nuit. Je serai à Bamako le 6 Mai, étant parti de Kayes le 27 Avril. Je suis encore mal habitué à me voir en route dans un sens opposé à celui de la France. J’en ai été trop près pour n’être pas cruellement désappointé et chagriné. Il me semble toujours que je vais recevoir une dépêche pour m’arrêter, dépêche que je recevrais sans peine, pour trente-six raisons.
À Kita, le brave Père Abiven, le supérieur des Pères Blancs, s’est exclamé en me revoyant. Pauvre excellent homme ! Il est là depuis quatre ou cinq ans, sans bouger et sans songer que, pour lui comme pour les autres, ce puisse être de trop.
Arrivé hier à midi, ayant fait 65 kilomètres, et ayant un peu semé mon personnel en route. Je m’arrête vingt-quatre heures pour faire des emplettes, selle, conserves, étoffes, etc., emplettes que je ferai dans une maison fondée avec trois à quatre cent mille francs, empruntés par trois associés : le premier associé vient de mourir, le second est couché avec une dyssenterie très grave ; le troisième est rappelé en France pour faire son service militaire. Conseillez, après cela, aux gens d’aller coloniser ! Je repartirai ce soir. J’espère faire encore en une fois les 65 kilomètres qui me séparent de Koulikoro, pour m’embarquer sur un chaland. Passerai-je par Tombouctou ou non ? Je n’en sais rien encore. Je vais à Say, à la recherche de la mission Voulet qui est, je crois, dans les environs de cette localité. Mais les renseignements sont vagues. Pour faire ce que je fais, le ministre avait demandé un officier voisin de Say. Peut-être trouvera-t-il bizarre que ce soit un officier partant de Kayes qui soit désigné. En tous cas, il faut être là-bas le plus vite possible, c’est pour cela que je vais à marches forcées.
Il pleut depuis trois ou quatre jours ; c’est bien précoce. J’ai attrapé déjà une bonne tornade, si les pluies sont établies ; ce ne sera pas la dernière. Les beaux flamboyants tout rouges qui environnent ma paillotte dégouttent, je fais mettre des peaux de bœufs sur mes caisses et je m’en vais.
Ma pirogue navigue vers El Oualedji. Je serai le 20 à Kabara. De Kayes à Kabara, 1,390 kilomètres. Il m’aura fallu vingt-quatre jours pour les faire dans les conditions suivantes : 170 en chemin de fer, 400 à cheval, 825 en pirogue. Je ne fais que 63 kilomètres par jour avec ma pirogue. Je pourrais faire plus si l’eau n’était pas si basse, car je ne m’arrête qu’une heure et demie le matin, une heure et demie le soir, et de minuit à quatre heures pour laisser dormir les laptots. Pendant les seize à dix-sept heures qui restent, mes pauvres laptots travaillent sans s’arrêter. Je les ai changés à Mopti, je les changerai à Kabara. Ma pirogue tourne et roule plus que n’importe quel paquebot, le premier jour on a quelque peine à digérer ses repas. Maintenant, je suis fait à ce régime, tout en aspirant à en sortir, ce qui sera le 27, vers Gao. Comme service, j’ai toujours mon fidèle Diabé. Avec mes cuisiniers, j’ai peu de chance. J’ai dû renvoyer Maka, qui était par trop paresseux, j’en ai un autre, bon marcheur, bon chasseur, bon boucher, mais fichu cuisinier. Il est vrai que je ne lui donne guère de temps pour préparer ses repas. Pendant l’heure et demie d’arrêt, il lui faut trouver du bois, installer sa cuisine, et faire son dîner ou son déjeuner. Le riz et le piment sont toujours les bases principales de mes menus. Souvent j’ai du poisson ; il en est déjà sauté trois ou quatre dans mon bateau depuis que je suis en route. Aux basses eaux, en ce moment, il y en a beaucoup.
Arrivée à Tossaye. Le temps est mauvais.
Une tornade nous contraint à ne partir que fort tard dans la matinée. Les gens d’Abdou avec leurs troupeaux viennent se mettre sous la protection du poste.
Arrivée à Gao à deux heures du matin. On mouille en face du poste, de l’autre côté de l’île ; Il est difficile d’entrer dans le marigot semé de roches et dont la profondeur est variable. Le poste est grand, confortable, presque terminé, abondamment approvisionné en viande et en lait ; le canon est placé, les tirailleurs sont suffisamment gavés de nourriture et pourvus de femmes pour y être heureux ; tous sont au mieux avec la population. Idriss et ses gens sont sous la protection du poste, ainsi qu’Imetchas.
Un tirailleur courrier dit avoir tiré sur des Touaregs à Gargouna. On ne voit cependant rien sur la rive, près de la grande dune, dont nous sommes séparés par une grande île. Les gens de Gargouna avec leurs bœufs, leurs moutons, leurs chevaux, sont dans une île, en amont de leur île ordinaire, et plus proche de Gourma.
Je couche près du village de Bara. Le chef ne paraît pas. Mon guide d’Idriss dit que les Kel Hara sont près du village.
Ansongo. — Petit poste dans l’île éloignée du fleuve de 1,500 mètres. Le voyage en bateau devient difficile, à cause des nombreux cailloux, et du manque d’eau dans le Niger. J’irai plus vite, par terre, quoique les rives soient garnies de Touaregs. Ces Touaregs ont toujours les plus terribles projets. Leurs projets se traduiront sans doute par quelque pillage de village, car contre nos postes ils ne peuvent rien. Ne trouvant plus d’eau autre part, ils sont forcés de venir au Niger. Je ne sais rien encore de la mission Voulet qui devrait être depuis longtemps en route pour le lac Tchad, et je ne sais pas davantage si je pourrai la rejoindre.
Départ d’Ansongo. Traversée de l’île, trois kilomètres, traversée du bras du fleuve sans difficulté. Marche de trois kilomètres dans le Gourma. Total, six kilomètres.
Marche de 35 kilomètres. — Je bivouaque près du fleuve après Kasga, avant Bentia. Deux cavaliers Touaregs surveillent tous mes mouvements.
41 kilomètres. — Au 15e kilomètre, on monte sur une grande dune qu’on traverse. Campements Touaregs en force et nombreux cavaliers. Je les aperçois vers cinq heures du soir. Les campements déménagent. Les cavaliers s’agitent, dessinent une charge et se rapprochent à 400 mètres pendant que les retardataires fuient avec les femmes et les troupeaux. Quelques feux de salve les font disparaître. À peine la nuit est-elle tombée que tous ces Touaregs reviennent à leurs campements et entourent mon bivouac en poussant des cris. Un de mes factionnaires est tué. Trois hommes en rampant ont voulu l’aborder. Je double chacun des deux factionnaires ; la haie qui nous entoure, est, du reste, très forte. La nuit se passe sans que je sois attaqué, mais non sans inquiétude. Toute la nuit les Touaregs s’appellent et ramassent les bagages restés en arrière.
L’incident s’est passé en aval de Karou. Peu avant le combat, quelques hommes sortis en pirogue du village de Karou ont abordé au Gourma et sont allés dans la brousse. Du village, personne n’est venu à moi. Les Touaregs étaient prévenus et par leurs cavaliers et par le village même, mais personne, moi, ne m’avait prévenu. Ils ont eu au moins un cavalier de blessé. Cet engagement me confirme dans mon opinion, qu’il est heureux que les Touaregs n’aient pas de fusils, car ils sont d’une bravoure à toute épreuve.
Quarante campements au moins s’étendent le long du Niger, et, beaucoup d’autres se trouvent derrière la dune. Tout est évacué. Je continue ma route sans autre incident que l’attaque du 3 Juin. Ce matin, je ne pars qu’au jour. Passé Labezenga, où il y a un village au bord du fleuve près de rochers sur lesquels sont installés des gens de Katouzou. Arrêt.
Poste et village de Dounzou, à 133 k 5 du poste d’Ansongo, en passant par le Gourma. Le poste de Dounzou est mal construit, et insuffisant au point de vue défensif. Le village est petit. Les Huras ont essayé d’enlever son troupeau, au lieutenant commandant. Ils lui ont tué trois tirailleurs. Quatre pirogues avec cinq tirailleurs m’emportent vers Zinder. Entre Dounzou et Tomaré le fleuve est parsemé de jolies îles. Les rapides sont très nombreux, mais les bozos sont adroits et se tirent habilement du danger.
Dix heures de marche. Je change les piroguiers à Tomaré et à Soulé. Ces villages ont des autruches. Les cases sont en paille de forme malinké. Un peu avant d’y entrer, je passe à côté de Kandadji, entre le village et la montagne. Kandadji vient d’être châtié par le capitaine Montgrand. Les habitants avaient élevé un mur en pierre pour se défendre contre les noirs. Ce mur est interrompu par places, sans doute faute d’entente dans le travail. Les gens de Kandadji seraient originaires du Bas-Niger.
Au delà de Tomaré, Gorekoiré. — Le village est abandonné.
Cinq heures et demie de marche. Toujours des rapides.
Zinder. — Zinder est un ensemble important de villages, de six mille habitants. Le poste est mal construit à tous les points de vue. Les cavaliers Huras, traversant le fleuve en amont de Dounzou, viennent en face du poste.
Douze pirogues indigènes et cinquante hommes me sont fournis par le village. J’embarque un détachement de quarante tirailleurs sur les pirogues.
Dix heures et demie de marche avec des passages difficiles. Je passe à Maloumberi, à Garoun, je trouve bon accueil.
Onze heures et demie de marche. Sur la rive droite, des cavaliers suivent la flotille pendant un certain temps. Ce sont, disent nos gens de Zinder, des Kourteis d’Assoui qui ne nous veulent pas de mal. Leur attitude est étrange. Une de mes pirogues se casse dans les rochers. Youssoupi, chef des Kourteis, qui réside à Sorbo n’en a pas d’autre. On m’affirme que j’en trouverai au village de Koutoucallé. À Koutoucallé, je ne trouve rien non plus. J’en ramasse une en route. Arrêt à Houdei.
Onze heures de bonne marche. Passé à Boubo, Saga, Liboré, Dounga.
Huit heures de marche. — Say. — Le poste est en paille, sans aucune défense. J’organise mon convoi de bœufs et d’ânes. Je vais passer le fleuve et tâcher de retrouver Voulet. Je ne sais où il est. Rien n’est moins sûr pour moi que de l’atteindre. La France peut encore me revoir cette année.
Arrivée de mon détachement à Dosso, poste du Dahomey, commandé par le lieutenant Cornu. Dosso est la capitale du Zaberma d’environ cent villages. Il y a du mil, des troupeaux, surtout des bœufs, beaucoup de chevaux, quelques chameaux. Le terrain sablonneux est couvert d’herbe verte. Les cavaliers Zaberma ont la lance en bois, la grande flèche, le sabre et le bouclier Touaregs. Il pleut, mes colis et moi avons été trempés plusieurs fois. Le soleil est dur et plus dangereux quand il fait humide que quand il fait sec. Les chevaux, qui ont du ladre, attrappent en hivernage des coups de soleil sur la figure.
Le chef des villages de Sakaré à Maouri serait à Maouri. Maiaki, cavalier Zaberma, prétend que ces villages sont à lui. Maiaki est le neveu du Zermakey actuel. Sidiko est son fils.
Constitution de mon convoi[1] j’ai trente-six tirailleurs, trois cavaliers, l’interprète Baba-Kébé, le lieutenant Meynier et des guides Zaberma. Je quitte Dosso demain. Je pars dans la direction du Nord pour courir après Voulet sur lequel j’ai des renseignements auxquels je ne crois pas. Il serait assez loin. Ah ! si je n’avais été rappelé à Kayes, j’aurais été à Dosso un mois plutôt ; il n’en était alors qu’à 200 kilomètres ; je l’aurais trouvé.
Je n’ai reçu aucune nouvelle depuis le 20 Avril. Je n’espère rien recevoir, à moins que je ne sois obligé de revenir. Je connais ma route à peu près sur 200 kilomètres, après, plus rien. Je vis comme un sauvage, n’ayant pas fait un séjour de vingt-quatre heures depuis le 27 Avril. Je ne suis cependant pas trop fatigué.
Trente-neuf kilomètres. — De Tombokiri à Sakaré.
Dix kilomètres. Je prends de l’eau à Maouri pour faire la grande étape Dougoumdouki. À Gorou, trouvé un Moussa revenant de chez Voulet où il a eu pour sa part treize captifs et deux chevaux. Il dit que Voulet a passé par Bogadiékoira (Matankari) et aurait cassé plusieurs villages.
Salamon. — Ce point est à une demi-journée au nord de Sokoto. Say, Dosso, Sokoto, sont sur le même parallèle. Je compte que je suis à trente kilomètres au nord de Sokoto.
Cinquante-neuf kilomètres. La brousse est inhabitée. Entre le Zerma et l’Arewa, c’est le désert sans eau. En sortant de Maouri, il y a une montée. On reste vraisemblablement sur un plateau élevé, sablonneux, couvert d’une forêt assez dense, jusqu’à ce que la route rencontre le Dallol qui court au Nord. On y descend. On le traverse à cinq kilomètres, jusqu’au gros village de Doungoundouki. Doungoundouki est adossé à une montagne à pic et entouré d’un tata peu élevé, précédé d’un très large fossé. Cette disposition défensive doit servir à l’écoulement des eaux. Dallol est évidemment un ancien lit de marigot. Le commencement de ma marche de nuit est marquée par un incident. À un signal convenu, mes porteurs d’eau de Maouri jettent leur eau et cherchent à se sauver dans les arbres ; cinq y réussissent. Je m’attendais à ce coup, mais on ne peut tout empêcher. J’avais dans des peaux de bouc de l’eau qui a suffi. Les dernières heures, de onze à une heure sont extrêmement dures à cause de la grande chaleur. Les étapes sont terribles pour les animaux porteurs et pour les piétons. Il y a pourtant de l’herbe, mais tous les quatre jours il y a les tornades qui surviennent en ce moment que commence la saison des pluies. Un village qui ne marque pas une très grande bonne volonté est bien près de s’attirer une affaire. Il finit par s’exécuter et par m’apporter les bœufs porteurs que je lui réclame.
Quatorze kilomètres jusqu’à Matankari ou Bagadiékoiro. — Excellente réception à Matankari. Bagadié, le chef du pays, a très bien reçu Voulet. Il en a été récompensé en étant dépouillé de ses chevaux, de ses chameaux et de ses poulets. Dans tous les villages où la colonne Voulet a passé, il n’y a plus un seul poulet. Doungoundouki est un village de captifs qui lui appartient. Baïdou, Ibla, Bazazaga, Didiani, d’autres villages encore, lui appartiennent également. Lui et ses gens parlent haoussa. Ils ont toujours habité le pays. Au temps du père de Bagadié ils buvaient du dolo ; ils n’en boivent plus. Ils sont généralement laids et se couvrent la tête de terre en signe de soumission. C’est Bagadié qui a fait construire autour de ses villages, ces tatas précédés d’un fossé, qui remplacent une palissade.
La terre ne produit que du mil. Voulet serait à Sabonbirni en marche vers le Gober, à dix jours devant moi. À moins d’obstacles inattendus, je considère comme certain de le rejoindre. Puis je continuerai la marche vers l’Est, qui est le but de la mission, en songeant que je devrais être en France depuis bien longtemps, si j’avais continué mon voyage de Kayes vers Saint-Louis.
Tougana. — Vingt-deux kilomètres. La route sort de Dallol à Doumkouki, s’élève, puis monte sur un plateau. On redescend dans une plaine qui paraît être un autre Dallol, moins bien dessinée que le Dallol et où sont les villages.
Accueil convenable au village de Maouri. Tornade.
Départ à une heure du matin. Les deux guides de confiance fournis par Bagadié disparaissent au moment du départ. Je prends au village trois hommes qui me conduisent à Baïzou. Je marche jusqu’à sept heures du soir, avec une grande halte à une mare. La journée n’est pas pénible, il y a beaucoup d’eau sur la route, à cause de la tornade de la veille. Les gens de Baïzou, des Haoussas et quelques Peuls, se sont sauvés. Ce village appartient à Maitouriré, neveu du chef de Sokoto, qui habite Godebaoua. Il appartint, ainsi que d’autres, jusqu’à Birnou-Konni, au père de Bagadié.
Baïzou. — Des hommes m’apportent du couscous et se sauvent. J’en prends un qui me sert de guide jusqu’à Birnou-Konni.
Vingt-six kilomètres. Village de Doundoë. Vide. — Village d’Hela. Vide. — Tout près du village, trente hommes préparent leurs flèches, mais se sauvent à l’arrivée d’un renfort. Le village est ruiné par le capitaine Voulet. Bazaga, que je ne visite pas, a l’air vide, Dodébé est vide. Il reste dedans du mil et des haricots.
Quarante kilomètres de marche difficile. La lune est voilée. Les fourrés sont épais jusqu’à Koulti. Trois bœufs se perdent. Les villages de Diouanès sont ruinés par Voulet.
Koulti est au pied d’une montagne en forme de chapeau de gendarme. Toutes les montagnes isolées ont des formes de trapèze ou de cône. Entre Koulti et Birnou-Konni il y en a une dizaine. La plaine est très riche.
Bazaga. — Grand village avec marché. Tous les villages qui sont plus ou moins brûlés ont été évacués sur mon passage, les troupeaux et les gens sont partis dans la montagne.
Birnou-Konni. — Très grand village. Magnifique tata, crénelé et avec grand fossé. Je n’y trouve que quelques hommes. Le chef, réfugié dans les environs, m’envoie de bonnes paroles, du couscous, un bœuf et trois moutons, mais ne vient pas. Le guide qu’il fournit se sauve en laissant son cheval. J’apprends par les habitants que le village, autrefois, a très bien reçu Cazemajou. Tout avait été préparé pour traiter de même la colonne Voulet, un coup de fusil ayant été tiré, les habitants sont montés sur les banquettes avec leurs flèches. Voulet alors, a disposé ses tirailleurs et a tiré ; les gens se sont sauvés, Voulet est entré dans le village, a tué mille hommes ou femmes, a pris les sept cents meilleures femmes, les chevaux, les chameaux, etc… Les quatre femmes du chef du village sont avec lui.
Ader est la route la plus courte pour aller à Sabon-Birni. Le pays est habité par des Touaregs blancs ; Ader, grand village, est habité par des noirs ; seul, le chef du village est un blanc.
Derna. — Trente-quatre kilomètres. Mes guides s’égarent dans la nuit. Nous finissons par regagner une grande route sur laquelle se voit la trace du canon. Derna, village à tata, est vide comme presque tous. Des Peuls viennent se plaindre que le capitaine leur a pris leurs troupeaux. Nouvelle édition de la comparaison entre Cazemajou et Voulet.
Vingt-neuf kilomètres. Je traverse pendant la nuit le village Mamandi. Incident du tirailleur et des cavaliers tués. Le marigot Diébé est un marigot à fond de sable, comme le Tarakolé dans le Guidioumé. Haunna, Serké de Baronnio avec quelques cavaliers parle de la colonne du capitaine. Il montre beaucoup d’empressement à faire apporter les vivres, par les villages qui sont tous évacués, et à faire venir les gens. Le capitaine aurait quitté Sabon-Birni il y a cinq jours pour le Gober et les villages de Birkandi et Tibiri.
Bamana appartient à Yesou, frère du chef de Sokoto. Un des petits villages s’appelle Yesou.
Deux des cavaliers sont montés sur des chevaux blancs. Ce sont les premiers vus depuis Say.
Pas de guide au départ. Haunna n’a apporté qu’une faible partie de ce qu’il avait promis et ne reparaît plus. Des cavaliers me suivent et me précèdent. Comme ils deviennent nombreux, je les engage à s’en aller et on ne les revoit plus. Le village Malalé est occupé, j’y prends deux guides.
Rimaoua. — Situé au milieu de la forêt. Le tata a une seule porte. On y a accès par un chemin étroit. Le village est vide.
Le marigot Tiédé, est sans doute le Goulbi-Rima de la carte. Il n’y a d’eau que par places.
Falalia, invisible dans la forêt, ne serait pas brûlé.
Incident du guide échappé. Dans les forêts de mimosas surtout, il y a de l’eau de pluie dans les mares.
Gollelé. — Vide, brûlé et sans vivres. Après midi, marche de quatre kilomètres et retour au village. Le guide dit s’être trompé.
Le guide pris à Maiali, qui me reste, me conduit encore une fois dans le Sud-Est, dans les lougans. Une correction lui fait prendre la direction Est et trouver un village. J’y prends deux hommes qui me remettent sur la route de Gollelé.
Sanna est vide mais non brûlé. Un habitant est pris. Le marigot coule vers l’Ouest.
Malembago, Alikamé, complètement brûlés, Sabon-Birni également. C’était un magnifique village avec un tata et au milieu des maisons dans le genre de celles de Segou. Au fur et à mesure que l’on avance, il y a de plus en plus de villages détruits par la colonne Voulet.
Le Goulbi roule beaucoup d’eau et a un fort courant.
Nulle part aucun habitant.
L’homme pris à Sanna, me donne les quelques renseignements suivants :
Le chef du Gober s’appelle Bakouderé. Il réside à Tibiri. Le chef de Mariadé était autrefois en guerre avec Gober. Actuellement, ils sont en paix, mais ils sont en guerre avec les Peuls. Ils ne paient rien à Sokoto. Le village de Sabon-Birni, dont le chef est le frère de Bakouderé, paie à Sokoto. Il fait cependant partie du Gober. Les habitants n’ont pas attendu Voulet. Ils sont allés au village de Danfara, à l’Ouest de Sabon-Birni. Les maisons de Sabon-Birni ont été faites par un homme du pays. Au Nord de Gober, on trouve deux jours de brousse sans eau ; suit le pays des Touaregs qui, eux, sont riches. Les deux pays s’appellent Kiredi et Mohaman-Deudelé. Des blancs l’habitent. En hivernage, ces blancs viennent au Gober avec des ânes et des chameaux, pour échanger du mil contre du sel ou des animaux. Ils ne volent pas.
Étape de quarante-six kilomètres.
Il y a trois ou quatre ans, quatre villages marchant avec ou pour les Peuls, ont été ruinés par le chef de Danfara. La forêt, dans laquelle nous sommes, serait difficile à traverser en hivernage. Le marigot, que l’on passe deux fois, est un marigot qui vient de Maradi, qui coule de l’Est à l’Ouest jusqu’à Sabon-Birni et se jette dans le Goulbi. Il n’y a pas d’eau dedans.
Aragoumi. — Brûlé par Voulet.
Je commence à être sur les boulets. Je cours toujours. Je suis sur le 5° longitude Est et je n’ai encore rien rejoint. Il est vrai que la colonne a un an d’avance sur moi. Je suis dans un village où je mange ce qui a échappé à l’incendie. Voulet brûle tout — exactement. Je ne rencontre pas de grandes difficultés : les habitants, terrorisés par le passage de Voulet, s’enfuient généralement en me voyant venir ; à la vue des tirailleurs, les arcs et les flèches leur tombent des mains.
Je suis dans un pays de forêts qui s’appelle Gober et où, cependant, je pourrais être fort ennuyé, d’autant que l’hivernage étant bien établi, on commence à patauger ferme. Avant le Gober, j’ai trouvé un pays de cavaliers. Un tirailleur, resté un peu en arrière, a été attaqué, mais sans succès. La grande difficulté est d’avoir des guides et des renseignements. J’attrape, de temps en temps, quelque malheureux dont j’extirpe ce que je peux ; l’un de ceux-là m’a promené deux jours dans la brousse, prétendant ignorer la route. Je ne pourrais continuer longtemps du train où je vais : mes animaux porteurs sont blessés ou fatigués. Aujourd’hui, je ne fais que 15 kilomètres, en ayant fait 46 hier, dans une brousse horrible et traversant je ne sais combien de marais et de fourrés. Les nuits passées à la belle étoile sont humides ; les moustiques font rage. Hier soir, après une journée de pataugis, au moment où la nuit est tombée, on n’a pas trouvé d’eau. Résultat : coucher sans boire ni manger pour tous les hommes, qui se refont aujourd’hui où il y a du mil et des haricots.
Les villages sont entourés de tatas splendides. S’ils étaient défendus, j’en pourrais bien prendre un ou deux — guère plus, car je perdrais du monde que je n’ai pas !
Je me porte bien. J’espère réussir, mais ce n’est pas une promenade ordinaire que celle que je fais !
Étape de dix-huit kilomètres. Je n’ai plus de montre depuis ce jour.
Tibiri. — Immense village avec beaucoup de vides, complètement brûlé. Les fossés, du fond au sommet du mur, ont 4 mètres 50. Femmes pendues.
Nous apercevons quelques hommes dans les lougans et quatre femmes allant à Tibiri.
Saboumacé, à en juger par l’aspect du pays, doit être en territoire français. Le sable ressemble à celui de Nampala. L’eau des puits est mauvaise.
Environ vingt et un kilomètres. Il y a du monde dans plusieurs villages. Un homme poursuivi envoie des flèches. Mon guide qui ne connaît rien se trompe sur la route.
Guidamsofa. — Bon petit village propre.
Vingt-cinq kilomètres. En sortant du village, à la nuit, trois flèches sont tirées devant moi, sur les hommes. Nous trouvons deux ruines. La première est un village cassé par les gens de Ader, la seconde, celle de Dendabou, par ceux de Hassina.
Petit village de Dillou. Mauvais puits. Depuis Tibiri, tous ces villages en dépendent. Ader un pays de noirs Gobers, où, cependant, les Touaregs sont maîtres. Mollo et Edeggir sont les deux chefs qui commandent. Edeggir est plus riche que Mollo.
À deux jours de marche de Gollelé, se trouve, dans l’Ader, le village de Guidansani. C’est de l’un de ses habitants que me viennent ces renseignements.
Séjour.
Longue étape de brousse. Arrivée dans un village brûlé rempli de cadavres. Deux petites filles se balancent au bout d’une branche. L’odeur est infecte. Les puits ne donnent pas assez d’eau pour les hommes. Les animaux ne boivent pas, l’eau est corrompue par les cadavres.
Départ dans l’après-midi. En chemin, petit village dont les puits sont comblés par des cadavres. L’odeur est infecte. Nous faisons erreur sur la direction des traces de Voulet. Un homme blessé d’un coup de feu en cherchant à percer Baba de sa lance, me remet sur les traces et me conduit à Magarga. Le village est détruit, mais les puits abondent en eau bonne. Jusqu’à une heure assez avancée de la nuit, les hommes se pressent autour en rangs serrés.
Arrivée vers neuf heures.
- ↑ — C’est avec ce convoi que le colonel fut attaqué par Voulet le 14 Juillet suivant.