Derniers essais de littérature et d’esthétique/L’Art aux salons de Willis

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L’art aux Salons de Willis[1].

Déférant à une suggestion faite, la semaine dernière, par un critique bienveillant, M. Selwyn Image a commencé sa seconde conférence en expliquant plus complètement ce qu’il entendait par art littéraire, et il a fait remarquer la différence qui existe entre l’illustration ordinaire d’un livre et des œuvres créatrices et originales, telles que la fresque de Michel-Ange, l’Expulsion de l’Eden, et la Beata Beatrix de Rossetti.

En ce dernier cas, l’artiste traite la littérature, comme si elle était la vie même, et donne une nouvelle et charmante forme à ce que nous a montré un voyant ou un chanteur.

Dans le premier cas, nous avons tout simplement une traduction, à laquelle manque la musique et qui n’ajoute point à l’admiration.

Quant au sujet, M. Image a protesté contre l’argot d’atelier, d’après lequel un sujet n’est point nécessaire, en définissant le sujet comme l’idée, l’émotion ou l’expression à laquelle un homme se propose de donner un corps, par la forme ou la couleur, en acceptant les feux d’artifice de M. Whistler avec autant d’empressement que les anges de Giotto, et les roses de Van Huysum non moins que les dieux de Mantegna.

Ici, nous pensons que M. Image aurait pu marquer plus clairement le contraste entre le sujet, qui appartient purement à la peinture, et le sujet, qui renferme, entre autres éléments, soit des associations historiques, soit des souvenirs poétiques ; en fait, le contraste entre l’art qui donne des impressions, et l’art qui, en outre, sert à l’expression.

Toutefois les sujets qu’il avait à traiter étaient si variés qu’il lui était sans doute difficile d’indiquer autrement que par des suggestions.

Du sujet, il est passé au style, qu’il a décrit comme « cette individualité maîtresse et enchaînée par laquelle un artiste se différencie d’un autre ».

Pour les véritables qualités du style, il les a trouvées dans la contrainte, qui est la soumission à la loi ; dans la simplicité, qui est l’unité de vision, dans la sévérité, car le beau est toujours sévère.

Le réaliste est défini par lui comme visant à reproduire les phénomènes extérieurs de la nature, tandis que l’idéaliste est l’homme qui imagine des choses intéressantes et belles.

Mais, en les définissant, il n’a point voulu les séparer.

Le véritable artiste est un réaliste, car il reconnaît un monde externe de vérité, et un idéaliste, car il fait un choix, il abstrait, il a la faculté d’individualiser.

Il est fatal de s’en tenir au dehors du monde de la nature, mais il n’est pas moins fatal de se borner à reproduire les faits.

L’art, en un mot, ne doit point se borner à présenter tout simplement un miroir à la nature, car il est re-création plutôt que reflet ; il n’est point une redite, mais plutôt un chant nouveau.

Et quant au fini, il ne faut point le confondre avec le soin du travail.

Une peinture, dit M. Image, a du fini quand les moyens de forme et de couleur employés par l’artiste sont adéquats à l’expression de l’intention de l’artiste.

Sur cette définition et une péroraison en rapport avec la circonstance, il a clos cette conférence intéressante et intellectuelle.

Alors de légers rafraîchissements furent servis à l’auditoire, et l’école de critique five-o’clock tea se mit très en avant.

De certain côté, on commenta assez sévèrement la liberté absolue de M. Image à l’égard du dogmatisme, de l’affirmation personnelle, et un jeune gentleman déclara qu’une modestie aussi vertueuse que celle du conférencier pouvait aisément tourner à la pose la plus blâmable.

Néanmoins tout le monde fut extrêmement satisfait d’apprendre que l’art n’a plus désormais pour devoir de tenir le miroir à la nature, et les quelques Philistins, qui ne partageaient pas cette manière de voir, furent punis par ce châtiment qui est, de tous les châtiments le plus terrible, le dédain des gens de haute culture.

La troisième conférence de M. Image aura lieu le 21 janvier, et sans doute elle réunira un nombreux public, car les sujets annoncés sont pleins d’intérêt, et bien que la « raison unie à la douceur » ne convertisse pas toujours, toujours elle charme.


  1. Sunday Times, 26 décembre 1887.