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Le Nouveau Président[1].

Dans un petit livre qu’il intitule l’Île Enchantée, M. Wyke Bayliss, le nouveau président de la Société Royale des Artistes Anglais a donné au monde son évangile de l’art.

Son prédécesseur, dans cette fonction, a également donné un évangile de l’art, mais cet évangile prenait d’ordinaire la forme d’une autobiographie.

M. Whistler écrivait toujours l’Art, et si nous nous en souvenons bien, il l’écrit encore avec un A majuscule.

Mais il n’était jamais terne ; le brillant de son esprit, la causticité de sa satire, ses amusantes épigrammes, — peut-être préférerions-nous le mot d’épitaphes, — à l’adresse de ses contemporains, rendaient ses appréciations aussi agréables que décevantes, aussi charmantes que malsaines.

En outre, il introduisit l’humour américain dans la critique d’art, et pour cette seule raison, quand il n’y en aurait pas d’autre, il mérite un souvenir affectueux.

D’autre part, M. Wyke Bayliss est assez ennuyeux.

Le dernier président n’a jamais émis des idées vraies, mais le président actuel ne dit jamais rien de neuf, et si l’art est une forêt hantée par les fées, ou bien une île enchantée, nous devons avouer notre préférence en faveur du vieux Puck sur le nouveau Prospero.

L’eau est une chose admirable — du moins les Grecs l’ont dit — et M. Ruskin était un admirable écrivain, mais la combinaison de l’un et de l’autre est plutôt accablante.

Néanmoins il n’est que juste de dire que M. Wyke Bayliss, en ses bons moments, écrit fort bien l’anglais.

M. Whistler, pour telle ou telle raison, employait constamment le langage des petits Prophètes.

Peut-être le faisait-il pour bien marquer ses prétentions si connues à l’inspiration verbale.

Peut-être croyait-il avec Voltaire, qu’Habakkuk était capable de tout et tenait-il à s’abriter derrière l’égide d’un écrivain parfaitement irresponsable, dont aucune prophétie ne s’est accomplie, au dire du philosophe français.

C’était, dans le début, une idée assez ingénieuse, mais à la longue on trouva le procédé monotone.

L’esprit des Hébreux est excellent, mais leur genre de style n’est point à imiter, et une quantité quelconque de plaisanteries américaines ne suffirait pas pour lui donner cette modernité qu’exige, avant tout, un bon style littéraire.

Si admirables que soient sur la toile les feux d’artifice de Whistler, ses feux d’artifice en prose ont de la brusquerie, de la violence, de l’exagération.

Toutefois, depuis le temps de la Pythie, les oracles n’ont jamais été remarquables par le style, et le modeste M. Wyke Bayliss est aussi supérieur comme écrivain à M. Whistler qu’il lui est inférieur comme peintre et artiste.

A vrai dire, il y a dans ce livre quelques passages écrits d’une façon si charmante, en phrases si heureusement tournées, qu’il nous faut reconnaître que le Président des Artistes Anglais, ainsi qu’un président encore plus fameux de notre temps, sait mieux s’exprimer par l’entremise de la littérature, qu’en recourant à la ligne et à la couleur.

Mais ceci s’applique uniquement à la prose de M. Wyke Bayliss.

Sa poésie est très mauvaise, et les sonnets qui terminent le livre sont presque aussi médiocres que les dessins dont ils sont accompagnés.

Leur lecture nous oblige à regretter que sur ce point tout au moins, M. Wyke Bayliss n’ait point suivi l’exemple prudent de son prédécesseur, qui, avec tous ses défauts, ne commit jamais la faute d’écrire un seul vers, et qui, d’ailleurs, est bien incapable de faire quoi que ce soit en ce genre.

Quant au sujet des propos de M. Wyke Bayliss, il faut reconnaître que ses vues sur l’art sont au dernier point banales et vieillottes.

A quoi bon dire aux Artistes qu’ils doivent s’efforcer de peindre la Nature telle qu’elle est réellement.

Ce qu’est réellement la Nature est une question de métaphysique et non d’art.

L’art s’occupe des apparences, et l’œil de l’homme qui contemple la Nature, et devons-nous dire, la vision de l’artiste, nous importe bien plus que l’objet sur lequel il est dirigé.

Il y a bien plus de vérité dans l’aphorisme de Corot qu’un paysage est simplement : « un état d’âme » que dans toutes les laborieuses recherches de M. Bayliss sur le naturalisme.

Et de plus, pourquoi M. Bayliss gaspille-t-il tout un chapitre à faire remarquer des ressemblances réelles ou supposées entre un livre publié par lui, il y a une douzaine d’années, et un article de M. Palgrave paru récemment dans le Nineteenth Century ?

Ni le livre, ni l’article ne contiennent rien de vraiment intéressant, et les passages parallèles, une centaine ou davantage que M. Wyke Bayliss imprime solennellement côte à côte, sont pour la plupart comme les lignes parallèles, qui ne se rencontrent jamais.

La seule proposition originale que M. Bayliss ait à nous offrir, c’est que la Chambre des Communes devrait faire choix, chaque année, d’un événement de l’histoire nationale et contemporaine et le faire connaître aux artistes qui désigneraient l’un d’entre eux pour en faire un tableau.

C’est de cette façon que M. Bayliss croit que nous pourrions avoir un art historique, et il propose, comme exemple de ce qu’il veut dire, un tableau représentant Miss Florence Nightingale à Scutari, un tableau représentant l’inauguration du premier Bureau des Écoles de Londres, et une peinture de la Salle des Séances du Sénat à Cambridge, lors de la remise à la jeune fille graduée d’un diplôme, où elle serait « reconnue comme possédant la science du Merlin, tout en restant aussi belle que Viviane ».

Certes, cette proposition témoigne des meilleures intentions, mais, sans parler du danger de laisser l’art historique à la merci d’une majorité dans la Chambre des Communes, qui ne manquerait pas de voter d’après sa manière de voir les choses, M. Bayliss n’a pas l’air de se douter qu’un grand événement n’est point nécessairement un sujet de peinture.

« Les événements décisifs du monde, ainsi qu’on l’a très bien dit, s’accomplissent dans l’intelligence, » et pour les Bureaux Scolaires, les cérémonies académiques, les salles d’hôpital, et le reste, on fera bien de les laisser aux artistes des journaux illustrés qui s’en tirent admirablement et les donnent exactement comme ils doivent être dessinés.

D’ailleurs, les tableaux qui représentent des événements contemporains, mariages royaux, revues navales ou autres faits analogues, et qui se voient chaque année à l’Académie, sont toujours extrêmement mauvais, tandis que ces mêmes sujets, traités en noir et blanc dans le Graphic ou le London News, sont excellents.

En outre, si nous tenons à comprendre l’histoire d’une nation par le moyen de l’art, c’est aux arts de l’imagination et de l’idéal que nous devons recourir, et non aux arts qui sont franchement imitatifs.

L’aspect visible de la vie ne contient plus désormais pour nous le secret de l’esprit de la vie.

Probablement il ne le contint jamais.

Et si le Banquet de Waterloo, par M. Barker, et le Mariage du Prince de Galles par M. Frith sont des exemples d’art historique légitime, moins ils contiennent d’art, mieux cela vaut.

Cependant M. Bayliss est plein de la foi la plus ardente et parle très gravement de portraits authentiques de Saint Jean, de Saint Pierre, de Saint Paul datant du premier siècle, et de l’établissement par les Israélites d’une école d’art dans le désert, école qu’aurait dirigé un certain Bezaleel, peu apprécié de nos jours.

Il écrit d’un style agréable et pittoresque, mais il ne devrait point parler de l’art.

L’art est pour lui un livre scellé.


  1. Pall Mall Gazette, 26 janvier 1889.