Derniers vers (Anna de Noailles)/Chloé

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Derniers versGrasset (p. 43-44).


CHLOÉ


PETIT POÈME POUR UNE ANTHOLOGIE


Chloé, timide enfant, ô vierge chevrière,
Dont le voluptueux et chaste étonnement
Fera rêver sans fin l’audace des amants,
Toi dont le nom retient l’amour et la lumière,

Que devint ton destin quand te fut révélé
L’envahissant plaisir qui suspend ton haleine ?
As-tu vécu sans pleurs, ton doux corps emmêlé
Au pâtre qui t’apprit ses jeux dans Mytilène ?


N’as-tu jamais connu le désordre et les maux
Du désir, cris d’oiseaux et lancinantes ailes,
Quand le printemps furtif, sur les sombres rameaux,
Fait soudain crépiter ses vertes étincelles ?

Dans ton île pierreuse où le cyprès touffu
Semble un mât préparé pour déployer sa voile
Et voguer vers la vaine énigme des étoiles,
As-tu su demeurer la nymphe que tu fus ?

Ton agreste bonheur, près des purs asphodèles,
Des troupeaux turbulents et des flots aux beaux plis,
A-t-il pu te garder, Chloé, d’être infidèle,
Et de louer Éros au creux d’un nouveau lit ?

Qu’importe ! Rien ne peut arrêter ta jeunesse,
Ton regard ingénu que bombe un frais cristal ;
Tu reposes, pudique, ô gracile déesse !
Dans le constant azur d’un roman pastoral.