Derrière les vieux murs en ruines/57

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 218-220).

28 septembre.

Presque chaque jour des cris montent jusqu’à moi, aigres ou douloureux.

Ils viennent de chez nos pauvres voisins et me révèlent que la vilaine et noire petite mariée n’a pas trouvé de bonheur auprès de Mohammed le vannier.

Après la si décevante attente des noces, le charme fut rompu.

Grâce à Dieu ! une vieille s’avisa de dénouer une sebenia devant le mari ensorcelé, tout en prononçant d’efficaces paroles magiques. Et, le soir même, on sortit le siroual.

Cependant Mohammed ne chérit pas son épouse d’un grand amour.

Certes, elle ne reçut aucune grâce d’Allah… puis elle est criarde et querelleuse… Enfin il est naturel de battre une femme sans déférence pour les gens d’âge, et qui se dispute perpétuellement avec sa belle-mère. Mohammed n’excède pas ses droits.

Moi, je songe que la petite mariée n’a peut-être pas quinze ans, et que sa belle-mère est une vieille, calamiteuse entre les plus calamiteuses des vieilles… or elle habite la masure et, sans répit, elle harcèle sa bru.

Il faut avoir pitié des épouses trop laides.

— Ô visage de porc-épic ! Ô celle qu’une mère ne doit pas regarder au moment où elle enfante ! crie la mégère.

— Qu’Allah vide ta maison ! puante ! répond une voie aiguë.

— Qu’il vide la tienne ! C’est toi qui es puante.

— Les gens verront… Voici ma planche à pain auprès de la tienne. Les gens jugeront.

— Pourquoi prendre ce soin ?… La rue donne les nouvelles. Tous les jours on te voit prendre haïk pour racoler des passants.

— Ô gens ! Venez témoigner !… Tu veux me rendre pécheresse devant mon mari !

— N’as-tu pas honte, toi qu’un homme a prise au milieu d’un fondouk ?

— Moi ! fille de bonne maison et bien apparentée !

— S’il plaît à Dieu ! mon fils te répudiera pour choisir une autre épouse.

— Mon tambour et ma trompette ! (Je ne t’écoute pas) !

Certes l’expression est peu séante vis-à-vis d’une belle-mère.

Un cri de chatte furieuse y répond… Je devine la bataille, aux injures, aux halètements décoléré, aux piaillements aigus qui s’entremêlent…

Soudain, un coup sourd, angoissant, terrible, — l’homme est rentré, — puis de tragiques hurlements.

La souffrance qui s’exhale sans révolte, sans paroles… rien que de la souffrance…

Un autre coup… un autre ! II va la tuer ?… La vieille vocifère et grince encore.

— Ô mon malheur ! ô mon malheur ! gémit la victime.

Des coups s’abattent… On dirait que le voisin fend du bois…

— Donnez-moi mon haïk ! sanglote la petite. Je veux retourner chez mon père ! Donnez-moi mon haïk !

Une masse pesante retombe, tandis que la vieille ricane…

— Donnez-moi mon haïk ! implore une faible voix brisée…

— Donnez-moi mon haïk !

Puis les plaintes agonisent et je n’entends plus rien…