Des Progrès de la Mécanique - M. Léon Foucault

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Des Progrès de la Mécanique - M. Léon Foucault
Revue des Deux Mondestome 51 (p. 96-115).


DES PROGRÈS
DE LA MÉCANIQUE

M. LÉON FOUCAULT.

L’Évangile a dit : « Celui qui croit ne sera pas jugé. » Les savans devraient s’inspirer de cette maxime et dire à leur tour : Celui qui trouve ne sera pas jugé. Toute méthode qui fait trouver doit être accueillie avec reconnaissance, et quiconque apporte une vérité nouvelle doit toujours être bien reçu. Les voies de la science sont infinies, et le plus grand préjudice que l’on puisse lui porter est d’en proscrire quelques-unes en décourageant par un injuste dédain ceux qui les suivent ou les développent. Plus large et plus féconde sera la voie dans laquelle un grand homme aura engagé ses contemporains ou la postérité, plus méritans et plus utiles seront souvent les esprits rebelles qui, refusant le joug, persisteront dans les vieilles méthodes ou sauront s’en créer de nouvelles.

Deux puissans génies ont à des époques différentes changé la face de la géométrie et celle de la mécanique. Descartes et Lagrange, à deux siècles d’intervalle, ont créé, l’un la géométrie analytique, l’autre la mécanique analytique ; ils ont montré comment le calcul algébrique et l’analyse infinitésimale embrassent dans leurs combinaisons la solution de tous les problèmes de géométrie et de mécanique, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux raisonnemens faits sur la figure ou inspirés par l’étude profonde des mécanismes, comment on peut espérer d’obtenir la proportion des figures et des mouvemens au moyen de règles uniformes qui remplaceraient le génie du géomètre par la patience du calculateur.

La mécanique a été renfermée dans une seule formule, mais il est difficile de l’en faire sortir : cette haute vérité, qui contient toutes les autres, ne les montre facilement que lorsqu’on les connaît à l’avance. La raison soumise, avant d’être éclairée, y trouve rarement la vue distincte de chaque résultat particulier, et ce n’est pas par là que ceux qui ne voient pas commenceront à voir. Parce que Lagrange s’est élevé, par un admirable effort de génie, jusqu’à la source de toutes les vérités de la science, n’a-t-on plus qu’à se confier au courant en abandonnant le gouvernail pour se laisser doucement et paisiblement descendre? Ce n’est pas ainsi qu’il le faut entendre. Le fleuve n’est pas navigable, et il n’est pas donné à tous de le parcourir sans rencontrer bien des écueils. En présence de cette formule maîtresse qui contient tout, il reste beaucoup à chercher, et pour la transformer en vérités sensibles, il faut être doué d’un génie spécial qui n’est, à proprement parler, ni celui de la mécanique ni celui de la géométrie.

Lors même que les géomètres, réussissant dans cette grande entreprise, atteindraient le but vers lequel, depuis plus d’un demi-siècle, ils s’avancent incessamment, et qui dépasse peut-être la portée de l’esprit humain, la mécanique ne serait pas absorbée par l’analyse ; les deux sciences, unies d’un lien de plus en plus étroit, n’en resteraient pas moins distinctes et grandiraient l’une par l’autre en se prêtant un mutuel secours. La perfection des méthodes, pas plus là qu’ailleurs, ne pourra jamais suppléer à la puissance du talent, et les grands génies, quoi qu’il arrive, conserveront la possibilité de faire de grandes découvertes.

« Toutes les grandes choses ont leur excès, » a dit un illustre écrivain ; cela est vrai, même dans la science. Quoique l’on ne soit jamais allé jusqu’à rejeter l’étude directe des questions particulières, on s’est trop souvent élevé au-dessus d’elles ; les belles méthodes générales de la mécanique analytique ont été, pendant quelque temps, suivies d’une manière trop exclusive, et en s’attachant à montrer ce que les divers problèmes ont d’identique, on s’est exposé à perdre de vue ce qui les distingue les uns des autres. Les géomètres purs, en embrassant avec une savante monotonie l’infinie variété des détails connus dans l’application des formules, en vantant l’élégance et l’uniformité de leurs méthodes, en y pliant peu à peu l’enseignement tout entier de la science dans tous les pays, ont acquis à leurs procédés préférés une autorité, je dirai presque une tyrannie, sous laquelle les méthodes opposées, plongées dans un sommeil que nul ne troublait plus, semblaient mourir faute d’alimens.

On raconte qu’il y a une trentaine d’années à peine, un professeur, curieux des vieilles traditions, avait eu recours aux méthodes du géomètre grec Apollonius pour démontrer par la géométrie pure les propriétés principales des sections coniques ; ses élèves, avancés déjà dans la science, mais habitués à rattacher toutes leurs recherches à la méthode de Descartes, exclusivement suivis jusque-là, furent charmés de l’élégance de ces idées nouvelles à leurs yeux et de la facilité inattendue avec laquelle, disaient-ils, l’application de l’algèbre à la géométrie pouvait se traiter sans algèbre.

Trois hommes supérieurs ont réagi surtout à notre époque contre cette exagération d’une idée grande et féconde et contre l’abandon des procédés les plus fins et les plus brillans de l’esprit humain : M. Poncelet dans son Traité des propriétés projectives et M. Chasles dans ses nombreux et admirables écrits ont gagné, vraisemblablement pour toujours, la cause des méthodes qui les ont conduits si haut, tandis que M. Poinsot, dans une série de mémoires qui resteront d’impérissables modèles d’élégance et de profondeur, montrait que, dans la mécanique, rien ne dispense de considérer les choses en elles-mêmes, sans jamais les perdre de vue dans le cours du raisonnement. L’étude des beaux travaux que je viens de citer serait intéressante et instructive à plus d’un titre ; mais chaque jour voit augmenter le nombre des lecteurs sérieux qui les considèrent à bon droit comme classiques, et celui qui voudrait aujourd’hui chercher à les défendre contre une appréciation inintelligente et injuste arriverait une trentaine d’années trop tard. Les chefs-d’œuvre sont peu à peu, quoi qu’on fasse, acceptés comme ils doivent l’être ; ils ne changent pas toujours les esprits, mais ils s’imposent à leur attention. Nul n’oserait par exemple aujourd’hui contester l’importance et la hauteur des travaux mécaniques de Poinsot : il semble évident déjà que la postérité doit placer l’illustre auteur de la Statique bien au-dessus des contemporains, jadis plus célèbres, qui l’ont si longtemps méconnu. Poisson disait, au sein même, je crois, du Bureau des longitudes : « Si Poinsot se présentait à l’Ecole polytechnique, ma conscience ne me permettrait pas de l’y admettre. » La section de géométrie, en 1813, était moins sévère dans son jugement et consentait à l’inscrire au troisième rang sur la liste des candidats à la succession de Lagrange : l’Académie le nomma et fit bien. Une exposition de l’ensemble de ses travaux et des idées neuves qu’il a apportées dans la science aurait été alors une œuvre utile et méritante ; sans avoir aujourd’hui la même raison d’à-propos, elle offrirait encore un intérêt sérieux.

Les travaux que je veux signaler aujourd’hui sont dus à un esprit fin et délicat dont l’analogie avec celui de Poinsot m’a souvent frappé. Les voies qu’ils suivent sont très différentes : la science de l’un tend à la pratique, celle de l’autre à la contemplation ; mais ils ont tous deux le même sentiment profond de la réalité ; ils témoignent pour les routes battues le même éloignement, poussé parfois jusqu’à l’injustice ; ils considèrent tous deux, avec un dédain que je ne partage pas, les travaux estimables qui, de près ou de loin, ressemblent au devoir d’un bon écolier, et pour ajouter enfin un dernier trait qui leur est commun, tout ce qui dans la science ne leur semble pas clair n’existe pas à leurs yeux. M. Léon Foucault se sent capable d’inventer ; absorbé par l’exploitation de ses idées, qu’il creuse consciencieusement, sans se décourager jamais, il ne se croit pas toujours le temps d’amasser des vérités dont l’usage semble encore lointain, et pour combler les lacunes d’une instruction mathématique très solide, mais peu étendue, il attend systématiquement que le besoin s’en fasse impérieusement sentir.

On lit dans Galilée un passage très curieux où, après avoir énoncé le principe des vitesses virtuelles, il déclare, pour toute démonstration, que quiconque niera le théorème ou conservera seulement le plus léger doute prouvera qu’il ne comprend rien à la théorie des machines. M. Foucault prononce avec la même conviction des anathèmes du même genre contre ceux qui contestent l’exactitude de ses conceptions ; il va tout droit où le conduit sa vue, et comme il est fort clairvoyant, il n’admet pas qu’on le soit moins que lui : ses contradicteurs sont pour lui rebelles à la vérité, et il les accuse de nier l’évidence. S’il se trompait souvent ou seulement quelquefois, on pourrait lui reprocher l’ignorance volontaire des formes classiques ; mais ses assertions, qui ont tant occupé les géomètres, s’étant toujours trouvées exactes, je vois dans cette ignorance même la preuve d’un mérite original et très supérieur.


I.

La première invention mécanique de M. Foucault est l’éclatante démonstration qu’il a donnée du mouvement de la terre, en le rendant sensible à tous les yeux au moyen d’un pendule librement suspendu à un fil. L’influence que la rotation de la terre devrait exercer sur les phénomènes observables à sa surface a été l’une des premières objections adressées à Copernic. On énumérait des conséquences très dures à admettre, qu’il semblait impossible d’éviter après avoir accepté le principe ; mais ses partisans ont facilement dissipé ces vaines et chimériques préoccupations, et fait triompher la vérité par des réponses complètement décisives. Ils ont montré que, malgré la rotation de la terre, les oiseaux peuvent s’élever au plus haut des airs et redescendre tranquillement vers leur nid sans que chaque minute les en éloigne de plusieurs lieues, qu’une pierre lancée verticalement de bas en haut ne doit pas retomber à une centaine de pas vers l’ouest, et qu’une armée peut envoyer des balles et des boulets de canon, des flèches même et des javelots contre un ennemi situé à l’est, sans que la rotation de la terre le dérobe à ses coups. Galilée a répondu à ces objections, mais il a légèrement dépassé le but : suivant lui, tous ces phénomènes sont absolument illusoires, et le mouvement rapide qui nous emporte tous est rigoureusement et mathématiquement insensible.

Si la terre était entraînée par un mouvement de translation, quelque rapide qu’on voulût le supposer, pourvu qu’il fût uniforme, il n’exercerait aucune influence, petite ou grande, sur les phénomènes qui s’accomplissent autour de nous ; mais la terre tournant autour de son axe, cette rotation doit produire de petites perturbations qui n’ont été analysées que plus tard et peu à peu, et dont M. Foucault a montré pour la première fois les effets avec une incontestable évidence.

Varignon paraît avoir signalé le premier, en 1707, la contradiction géométrique des lois de Galilée sur la chute des corps avec l’hypothèse de la rotation de la terre et celle d’une pesanteur constante ; il se borne à montrer que la réunion de ces trois hypothèses implique contradiction sans oser décider celle qui doit être modifiée, et sans indiquer même ses conjectures : il est à croire d’ailleurs que s’il se fût prononcé, il n’eût pas bien choisi ; son ouvrage sur la cause de la pesanteur le montre fort mal préparé à traiter de telles questions. On voit sur le frontispice une petite vignette fort élégante représentant deux personnages, un militaire et un religieux, auprès d’un canon braqué vers le zénith ; ils regardent en l’air comme pour suivre le boulet qui vient d’être lancé. Sur la gravure même on fit ces mots : « Retombera-t-il ? » Le religieux est le célèbre père Mersenne, et son compagnon est M. Petit, intendant des fortifications. Ils ont répété plusieurs fois cette dangereuse expérience, et comme ils ne furent pas assez adroits pour faire retomber le boulet sur leur tête, ils crurent pouvoir en conclure qu’il était resté en l’air, où sans doute il demeurerait longtemps. Varignon ne conteste pas le fait, mais il s’en étonne : « Un boulet suspendu au-dessus de nos têtes, en vérité, dit-il, cela doit surprendre ! » Les deux expérimentateurs, s’il est permis de les nommer ainsi, firent part à Descartes de leurs essais et du résultat obtenu : on sait que l’intrépide philosophe ne demeurait jamais court ; c’était un oracle toujours prêt qui répondait à tous et à tout. Il ne vit dans le fait supposé exact qu’une confirmation de ses subtiles rêveries sur la pesanteur. Plus d’un siècle après, d’Alembert, qui analysa très nettement le phénomène, calcula la déviation du boulet, en faisant abstraction de la résistance de l’air. Un projectile lancé verticalement de bas en haut avec une vitesse de 1,800 pieds par seconde, doit être dévié vers l’est et retomber à 600 pieds de son point de départ, et c’est, suivant lui, pour l’avoir cherché trop près que Mersenne et Petit n’ont pas retrouvé leur boulet ; mais cette explication n’est pas même admissible : la résistance de l’air, négligée par d’Alembert, exerce une très grande influence. D’après les calculs de Poisson, une balle de fusil lancée avec une vitesse de 400 mètres par seconde, qui dans le vide retomberait à 50 mètres de son point de départ, ne serait déviée dans l’air que de quelques centimètres. L’expérience de Mersenne prouve donc seulement la difficulté de lancer un boulet dans une direction rigoureusement verticale : une balle de fusil serait plus facile à diriger, mais l’erreur de pointage, ajoutée à l’influence des courans d’air, produirait certainement des déviations plus considérables encore que celles qu’il faut mesurer. D’Alembert indiqua dans la même dissertation les effets du mouvement de la terre sur les projectiles lancés dans une direction quelconque et sur la chute verticale d’un corps pesant abandonné à lui-même. Laplace a repris la question dans la Mécanique céleste, et trouvé des résultats semblables. L’illustre Gauss s’en est également occupé. Poisson enfin y a consacré deux longs mémoires, dont la conclusion générale est que les déviations sont toujours fort petites et exigeraient pour être constatées des expériences minutieuses, presque toutes irréalisables.

Les plus célèbres et les plus exactes ont été faites, en 1833, dans les mines de Freyberg par M. le professeur Reech ; il laissait tomber librement un poids et mesurait la déviation vers l’est ; la hauteur de chute était de 158 mètres ; la moyenne de cent six expériences a donné une déviation de 28 millimètres environ et trop faible pour être dégagée avec certitude de toutes les influences perturbatrices, en sorte que l’évidence du résultat n’est pas assez frappante pour fermer la bouche aux incrédules. C’est à l’occasion de faits de ce genre et des déductions logiques qui y conduisent que Laplace écrivait : « Quoique la rotation de la terre soit établie avec toute la certitude que les sciences physiques comportent, une preuve directe de ce phénomène doit intéresser les géomètres et les astronomes. » Cette preuve sans réplique, M. Foucault l’a apportée à l’Académie des sciences le 3 février 1851, et comme l’avait prévu Laplace, elle intéressa vivement les astronomes et les géomètres : elle n’apprit à personne que la terre tourne et que sa rotation peut modifier les phénomènes dynamiques à la surface, mais elle en montra un effet très net, très facile à observer, et qui, grandissant avec le temps, ne pouvait être ni attribué à aucun autre principe, ni masqué par les perturbations accidentelles.

Nous croyons devoir reproduire les termes mêmes de la communication de M. Foucault :


« Les observations si importantes et si nombreuses dont le pendule a été jusqu’ici l’objet sont surtout relatives à la durée des oscillations ; celles que je me propose de faire connaître à l’Académie ont principalement porté sur la direction du plan d’oscillation, qui, se déplaçant graduellement d’orient en occident, fournit un signe sensible de la rotation de la terre.

« Afin d’arriver à justifier cette interprétation d’un résultat constant, je ferai abstraction du mouvement de translation de la terre, qui est sans influence sur le phénomène que je veux mettre en évidence, et je supposerai que l’observateur se transporte au pôle pour y établir un pendule réduit à sa plus grande simplicité, c’est-à-dire un pendule composé d’une masse pesante homogène et sphérique, suspendue par un fil flexible à un point absolument fixe ; je supposerai même tout d’abord que ce point de suspension est exactement sur le prolongement de l’axe de rotation du globe, et que les pièces solides qui le supportent ne participent pas au mouvement diurne. Si, dans ces circonstances, on éloigne de sa position d’équilibre la masse du pendule, et si on l’abandonne à l’action de la pesanteur sans lui communiquer aucune impulsion latérale, son centre de gravité repassera par la verticale, et, en vertu de la vitesse acquise, il s’élèvera de l’autre côté à une hauteur presque égale à celle d’où il est parti. Parvenu en ce point, sa vitesse expire, change de signe, et le ramène en le faisant passer encore par la verticale, un peu au-dessous de son point de départ. Ainsi l’on provoque un mouvement oscillatoire de la masse suivant un arc de cercle dont le plan est nettement déterminé, et auquel l’inertie de la matière assure une position invariable dans l’espace. Si donc ces oscillations se perpétuent pendant un certain temps, le mouvement de la terre, qui ne cesse de tourner d’occident en orient, deviendra sensible par le contraste de l’immobilité du plan d’oscillation dont la trace sur le sol semblera animée d’un mouvement conforme au mouvement apparent de la sphère céleste, et si les oscillations pouvaient se perpétuer pendant vingt-quatre heures, la trace de leur plan exécuterait dans le même temps une révolution entière autour de la projection verticale du point de suspension.

« Telles sont les conditions idéales dans lesquelles le mouvement de rotation du globe deviendrait évidemment accessible à l’observation ; mais en réalité on est obligé de prendre un point d’appui sur un sol mouvant ; les pièces rigides où s’attache l’extrémité supérieure du fil ne peuvent être soustraites au mouvement diurne, et l’on pouvait craindre à première vue que le mouvement communiqué au fil et à la masse pendulaire n’altérât la direction du plan d’oscillation. Toutefois la théorie ne montre pas là une difficulté sérieuse, et de son côté l’expérience m’a montré que, pourvu que le fil soit rond et homogène, on peut le faire tourner assez rapidement sur lui-même, dans un sens ou dans l’autre, sans influer sensiblement sur la position du plan d’oscillation, de sorte que l’expérience, telle que je viens de la décrire, doit réussir au pôle dans toute sa pureté.

« Mais, quand on descend vers nos latitudes, le phénomène se complique d’un élément assez difficile à apprécier, et sur lequel je désire bien vivement d’attirer l’attention des géomètres. À mesure que l’on s’approche de l’équateur, le plan de l’horizon prend sur l’axe de la terre une position de plus en plus oblique, et la verticale, au lieu de tourner sur elle-même comme au pôle, décrit un cône de plus en plus ouvert ; il en résulte un ralentissement dans le mouvement apparent du plan d’oscillation, mouvement qui s’annule à l’équateur pour changer de sens dans l’autre hémisphère. Pour déterminer la loi suivant laquelle varie ce mouvement sous les diverses latitudes, il faut recourir soit à l’analyse, soit à des considérations mécaniques et géométriques que ne comporte pas l’étendue restreinte de cette note. Je dois donc me borner à dire que les deux méthodes s’accordent, en négligeant certains phénomènes secondaires, à montrer le déplacement angulaire du plan d’oscillation comme égal au mouvement angulaire de la terre dans le même temps multiplié par le sinus de la latitude. »


M. Foucault décrit ensuite l’expérience dont, comme chacun sait, la réalisation est des plus faciles. Dès la séance suivante, un géomètre habile, membre de la section de géométrie, s’empressa de montrer « comment l’expérience importante de M. Foucault aurait pu être indiquée par les équations du mouvement interprétées sans inadvertance. » Les équations, qui auraient pu indiquer l’expérience de M. Foucault, avaient en effet été formées depuis longtemps : elles indiqueraient bien d’autres choses encore, si on savait les faire parler ; mais, interrogées par le célèbre géomètre Poisson, elles lui avaient répondu que « la force perpendiculaire au plan d’oscillation est trop petite pour écarter sensiblement le pendule de son plan et avoir aucune influence appréciable sur son mouvement. » Dubuat, Clairault et Poléni avaient, avant Poisson, étudié mathématiquement l’influence du mouvement de la terre sur les oscillations du pendule. Le phénomène si simple et si concluant qui a tout d’abord frappé M. Foucault, à peine entrevu par Poléni, était resté complètement inaperçu de Clairault et de Poisson.

L’expérience attira l’attention des savans les plus illustres, autant et plus encore peut être que celle des ignorans : la table des comptes-rendus de l’Académie porte, en 1851, vingt-six articles au mot pendule ; il n’y en avait pas un seul en 1850. MM. Binet, Sturm, Poncelet, Plana, Bravais, Hansten, Quet, Dumas en ont fait successivement le sujet de leurs études analytiques. Leurs travaux sont de grande valeur sans doute, mais l’explication la plus nette et la plus élégante du phénomène reste encore celle que M. Foucault donnait à ses amis, en s’aidant, pour plus de clarté, d’une petite boule de bois sur laquelle il avait tracé les lignes qui l’ont aidé à trouver la loi du phénomène.

Si l’expérience pouvait se faire au pôle, il n’y aurait aucune difficulté ; la question est purement géométrique : le plan d’oscillation est invariable ; l’observateur, qui tourne avec la terre sans en avoir conscience, doit attribuer à ce plan fixe un mouvement égal et contraire, et le voir par conséquent exécuter en vingt-quatre heures une révolution complète, en tournant dans le même sens que les étoiles ; mais à toute autre latitude la difficulté est plus grande ; le plan d’oscillation ne reste pas immobile. On peut en effet regarder comme évident qu’il doit être constamment vertical, et comme la verticale change de direction, qu’elle décrit en vingt-quatre heures un cône plus ou moins ouvert, suivant qu’on est plus ou moins près de l’équateur, le plan qui la contient à chaque instant est nécessairement un plan mobile dans l’espace. Les apparences sont donc produites ici par la combinaison du mouvement de la terre avec le mouvement inconnu que va prendre le plan du pendule, et qu’il faut déterminer. Or, pour y parvenir, M. Foucault invoque un principe dont la démonstration rigoureuse n’a pas été donnée jusqu’ici, mais qui lui semble évident, comme à Galilée le principe des vitesses virtuelles, et comme à Huyghens les postulata sur lesquelles il a fondé la théorie du pendule. Le plan d’oscillation, tout en restant vertical, doit, selon M. Foucault, se placer à chaque instant de manière à faire le plus petit angle possible avec la position qu’il occupait dans l’instant qui précède. Si l’on se donne en un mot la position du plan d’oscillation à un certain moment, pour savoir ce qu’il est devenu après un temps très court, un millionième de seconde par exemple, il faut déterminer la position nouvelle qu’a prise la verticale par suite de la rotation terrestre, et chercher, parmi tous les plans qui passent par cette direction, celui qui forme avec le plan primitif le plus petit angle possible. Cette ingénieuse hypothèse conduit très simplement à la loi tant de fois confirmée : la rotation du plan d’oscillation est proportionnelle au sinus de la latitude.

La belle expérience fut rapidement répétée dans l’Europe entière. Les professeurs de Florence l’exécutèrent dès qu’ils en eurent communication, et, par une association bien naturelle d’admiration, opérèrent à côté même de la tribune de Galilée. Ils voulurent ensuite chercher dans les procès-verbaux inédits de l’académie del Cimento si, parmi les nombreuses observations faites sur le pendule, il ne s’en trouverait pas qui eussent trait à l’expérience nouvelle. Ils trouvèrent en effet les lignes suivantes, écrites par Viviani: Osservammo che tutti i penduli da un sol filo deviano dal primo verticale e sempre per il medesimo verso.

L’assertion est très claire. Il n’est pas supposable que les académiciens del Cimento n’aient pas cherché la cause d’un effet aussi extraordinaire ; mais c’était une matière délicate, où il était dangereux de prendre parti : ils avaient connu Galilée, les aventures de leur illustre compatriote étaient encore récentes, et derrière la question du mouvement de la terre ils entrevoyaient le saint-office. On connaissait son aversion opiniâtre pour certaines vérités, et la critique moderne n’avait pas encore révélé toute sa bienveillante mansuétude. Tout en gardant le silence sur la cause présumée, l’académie a donné dans ses mémoires imprimés l’indication, moins précise, il est vrai, du même phénomène, et la déclaration d’une ignorance, peut-être volontaire, sur la nature des causes qui le produisent ; elle propose de mesurer le temps en comptant directement les oscillations d’un pendule ; mais elle conseille de le suspendre à deux fils, parce que le pendule à un seul fil, quelle qu’en soit la cause, s’écarte insensiblement de sa direction primitive, et son mouvement ne se fait plus bientôt dans un arc vertical, mais par une spirale allongée dans laquelle les vibrations ne se distinguent plus. Comme le remarque d’ailleurs avec équité le directeur de l’institut polytechnique de Florence, ces citations inédites ou obscures et oubliées n’enlèvent rien au mérite du nouvel inventeur, auquel elles étaient, comme à tous les physiciens, restées complètement inconnues.

Rien n’est plus ordinaire que de voir des inventeurs, persuadés qu’ils ont atteint le but aussitôt qu’ils en ont approché, s’arrêter en laissant à d’autres le soin de suivre les conséquences de leur idée et de perfectionner leur œuvre. Un premier succès éteint leur ardeur et satisfait leur curiosité. D’autres au contraire, plus persévérans et plus forts, regardent un premier résultat comme l’occasion d’un nouveau travail : ils marchent avec ardeur vers les vérités entrevues, en montrant incessamment, par l’heureuse abondance de leurs développemens et par des preuves continuelles d’habileté, que le hasard n’est pas leur guide.

C’est à cette seconde classe d’inventeurs qu’appartient l’auteur de l’expérience du pendule. Après avoir heureusement résolu un problème réputé si difficile, et mis dans une lumière éclatante une expérience inaperçue jadis, dont il ne restait que quelques traces obscures, il a cherché dans des combinaisons nouvelles des preuves plus sensibles encore du mouvement de la terre, et, par une exacte analyse des forces mises en jeu, il est parvenu à les diriger, en leur faisant produire des effets aussi brillans qu’inattendus. Un homme enfermé sans boussole dans une chambre, et n’apercevant pas le ciel, peut trouver la direction du nord et la latitude du lieu qu’il occupe. Tels sont les résultats extraordinaires démontrés et réalisés aujourd’hui, et que tous les savans, il y a vingt ans, auraient, sans hésiter, déclarés impossibles.

Frappé, comme tous les géomètres, par l’expérience du pendule, M. Poinsot avait porté son attention sur le moyen de la rendre plus nette encore, en substituant au plan idéal dans lequel se meut le fil un objet matériel, dont la rotation de la terre déterminât le mouvement. La disposition qu’il proposa ne semble pas réalisable, mais elle fut peut-être l’occasion de l’invention du gyroscope. Le but primitif de cet instrument est de suspendre un corps de telle sorte qu’il reste indépendant de la rotation de la terre et que les supports, tout en entraînant son centre de gravité, ne changent nullement sa direction absolue dans l’espace. Il est clair que cette immobilité réelle contrastant avec la rotation terrestre, dont nous n’avons pas conscience, produira un mouvement relatif qui mettra celle-ci en évidence ; mais il faut pour cela que le système de suspension, permettant au corps tous les mouvemens possibles autour de son centre, ne puisse par cela même lui en imposer aucun. Les moyens de réaliser cette condition sont connus depuis longtemps : la recherche n’en était d’ailleurs qu’un jeu pour un mécanicien aussi expérimenté que M. Foucault, et son gyroscope y satisfait avec un art parfait. Si l’on se borne cependant à suspendre une masse de cette manière, l’expérience ne donne aucun résultat : le mouvement relatif ne se produit pas, et c’est le frottement qui l’empêche. On ne peut en effet affranchir le corps de toute attache ; si mobile que soit le support, il faut bien qu’il soit appuyé sur quelque chose, et malgré la finesse de l’exécution, le frottement intervient toujours dans le mouvement relatif des pièces en contact pour le ralentir ou pour l’arrêter. Pour éviter cet inconvénient, d’autant plus grave que les forces qu’il s’agit de mettre en évidence sont plus petites, M. Foucault, avant de suspendre son gyroscope, lui imprime une vitesse de deux à trois cents tours par seconde ; cette rotation n’augmente pas la pression sur les supports et les frottemens restent les mêmes, mais elle accroît la résistance qui serait nécessaire pour empêcher le mouvement relatif que l’on veut observer, et l’axe du corps peut alors s’arrêter en semblant par là se mouvoir, puisque tout tourne autour de lui.

L’idée de faire tourner un corps pour affermir la stabilité de son orientation dans l’espace est extrêmement ingénieuse ; elle repose sur un principe que l’auteur regarde comme évident, et qu’il justifie d’ailleurs par des expériences très faciles et très claires. Quelques explications semblent cependant nécessaires pour le mettre dans tout son jour.

Les géomètres anciens ont méconnu la loi d’inertie, c’est pour cela que la mécanique est une science toute moderne. Un point matériel isolé se meut en ligne droite et d’un mouvement uniforme tant qu’aucune cause étrangère ne vient le troubler. Nego ullum motum perennem non rectum a Deo conditum esse, a dit Kepler, et les géomètres ont fait de cet axiome la base solide de la science du mouvement ; toutefois, en voulant appliquer ce principe, on rencontre dès les premiers pas bien des difficultés. Les points d’un même corps sont solidaires, leur distance doit rester invariable ; si donc on les lance dans des directions différentes, ce qui a lieu lorsqu’on imprime au corps une rotation, il faut absolument qu’ils réagissent les uns sur les autres, en s’imposant en quelque sorte des concessions mutuelles, sinon le corps se brise et vole en éclats ; c’est ce qui arrive, par exemple, lorsque dans une machine la roue du volant se trouve lancée avec une trop grande vitesse. Mais les corps solides des géomètres ne se brisent jamais ; ils trouvent dans leur rigidité, inflexible par hypothèse, la force nécessaire pour écarter incessamment chaque point de la ligne droite qu’il tend à suivre et qui le séparerait des autres. Le mouvement général qui concilie tout est fort compliqué lorsqu’il s’agit d’un corps irrégulier, et l’on ne s’en fait tout d’abord qu’une idée fort obscure. Poinsot l’a beaucoup éclaircie ; c’est là une des questions qui l’ont le plus occupé et, comme il le dit lui-même, une des choses qu’il a le plus désiré de savoir en mécanique. Dans le cas d’un corps régulier tournant autour de son axe de figure, le phénomène devient d’une extrême simplicité ; la rotation persiste indéfiniment avec la même vitesse, et se fait toujours autour du même axe tant qu’aucune influence extérieure n’intervient. Pour changer la direction de l’axe, il faut changer celle de toutes les vitesses qui animent les différens points ; l’effort nécessaire grandit avec ces vitesses, et l’on peut faire en sorte que, dans l’expérience du gyroscope, les frottemens qui restent les mêmes n’aient plus la puissance de le développer. Le corps, suspendu comme nous l’avons dit et animé d’un mouvement rapide de rotation, conservera donc la même direction dans l’espace ; il est soustrait ainsi à la rotation de la terre, son centre seul y participe, mais selon notre façon de juger les choses, nous verrons son axe décrire un cône de révolution avec une vitesse telle que si l’expérience se prolongeait, il accomplirait un tour en vingt-quatre heures.

Le système de suspension, légèrement modifié, permet de retirer peu à peu à l’instrument la liberté absolue qu’on lui laisse dans la première expérience ; on peut à volonté fixer l’axe du corps dans un plan horizontal ou vertical d’où il ne peut plus sortir, en restant toutefois absolument libre de s’y mouvoir en tout sens. Lorsque le plan choisi est horizontal, l’axe du gyroscope ne peut y rester en équilibre qu’en se dirigeant vers le nord, et c’est autour de cette direction qu’on le voit immédiatement osciller, formant ainsi une sorte de boussole mécanique dans laquelle le magnétisme ne joue aucun rôle. En forçant l’axe du gyroscope à rester dans le plan méridien, on obtient un résultat non moins remarquable : on le voit se diriger parallèlement à l’axe du monde, et il donne la latitude approchée du lieu indépendamment de toute observation astronomique.

À ces curieux phénomènes qu’il a expliqués et prévus, M. Foucault en adjoint un grand nombre d’autres dont il serait malaisé de faire ici l’énumération et qui font de son instrument le moyen le plus élégant et le plus net d’étudier la rotation des corps ; les lois suivant lesquelles les phénomènes se composent sont rendues visibles en quelque sorte, et l’autorité infaillible de l’expérience confirme, quelquefois même à l’avance, les déductions très assurées, mais souvent très cachées, de la géométrie la plus profonde.


II.

Tout en continuant ses travaux sur la rotation, M. Foucault poursuivait de belles recherches de physique entreprises depuis longtemps. Je ne veux parler ici que de ses inventions mécaniques ; mais toutes les parties de la science sont étroitement unies : les vérités se prêtent une clarté mutuelle, et la connaissance profonde d’une théorie augmente sur tous les autres points la puissance et les ressources d’un esprit ingénieux.

M. Foucault avait appliqué son génie inventif à la construction des miroirs. Les lunettes dans lesquelles la lumière des astres est transmise à l’œil par réfraction étaient préférées depuis longtemps aux télescopes dans lesquels elle est réfléchie. La construction des miroirs présentait en effet de grandes difficultés : les moindres inégalités ont sur la netteté de l’image une influence bien plus grande que celle d’une incorrection semblable dans la construction de l’objectif de la lunette. La substitution du verre au métal dans la construction des lunettes a été un véritable événement, dont l’initiative appartient en grande partie à M. Foucault. Il a montré l’étonnante efficacité des retouches locales pour perfectionner indéfiniment, sans les recommencer, les surfaces de verre, qui ensuite, argentées chimiquement, fonctionnent à la manière des plus beaux miroirs et donnent à leur foyer d’excellentes images. Pour l’exploration du ciel, un télescope ainsi constitué peut lutter avec une lunette achromatique de même diamètre et coûte environ six fois moins. La matière du miroir est en verre commun, tandis que les cristaux de haut prix doivent former les élémens de l’objectif achromatique ; le miroir, en outre, n’a qu’une surface et l’objectif en a quatre ; la distance focale de la lunette étant enfin trois ou quatre fois plus grande que celle du télescope, les frais de montage et d’abri sont augmentés par là dans une proportion qui rend l’achat de l’instrument inaccessible aux particuliers. Le télescope sera donc souvent préféré et tend chaque jour à l’être davantage.

Une fois construit cependant, il faut le diriger vers le ciel pour y contempler l’astre que l’on veut étudier, et comme le champ de la vision est malheureusement très borné, il faut lui imprimer un mouvement continu pour suivre les astres, qui, se déplaçant à chaque instant, ne seraient visibles dans un instrument fixe que pendant quelques secondes ; le télescope doit donc tourner, comme les astres, d’orient en occident, en faisant un tour en vingt-quatre heures. Si l’on songe que le grand télescope construit récemment pour l’observatoire de Marseille pèse 1,000 kilogrammes, on comprend toute la difficulté d’un tel problème.

La solution obtenue par un mécanisme d’horlogerie serait complètement insuffisante ; les impulsions successives, séparées nécessairement par des temps d’arrêt, donneraient à la lunette un tremblement continuel en faisant pour ainsi dire sautiller l’astre observé autour du fil auquel on doit rapporter son mouvement, et un tel instrument ne saurait suffire aux observations scrupuleuses et assidues de nos astronomes. Les systèmes les plus habituellement employés peuvent être comparés à des tournebroches plus ou moins perfectionnés et ne donnent aucune précision. Il faut citer néanmoins d’une manière spéciale l’élégant mécanisme appliqué par Gambey au petit équatorial qu’il a construit pour l’Observatoire de Paris ; mais tout en admirant cette ingénieuse solution, les constructeurs l’ont trouvée généralement trop indirecte et trop dispendieuse pour chercher à l’imiter. À Greenwich le nouvel appareil est mis en mouvement par un mécanisme dont on dit beaucoup de bien, et qui cependant ne semble pas pouvoir être définitivement adopté : c’est une petite turbine à eau dont la valve est gouvernée par un pendule conique ; mais la nécessité d’un cours d’eau et la possibilité de la gelée sont des inconvéniens graves devant lesquels la plupart des observatoires reculeront très certainement.

Peu satisfait de ces appareils et de quelques autres proposés ou essayés jusqu’ici, M. Foucault ne désespéra pas de pouvoir résoudre plus simplement ce problème difficile : il y est parvenu à l’aide d’un principe dont les applications doivent s’étendre dans toutes les branches de l’industrie. Tout le monde connaît les boules massives que l’on voit tourner dans toutes les machines à vapeur, et qui, s’écartant lorsque la rotation s’accélère, diminuent l’orifice d’admission de la vapeur en modérant la force dès qu’elle est devenue trop grande. L’efficacité de cette disposition est malheureusement trop douteuse et trop lente : on corrige l’effet que l’on veut combattre en lui faisant produire un effet contraire ; les deux causes opposées se choquent confusément, mais rien n’établit entre elles un équilibre rigoureux et ne balance exactement leur contrariété pour donner une solution précise. La vitesse d’ailleurs ne peut être modérée que par l’écartement des boules, qui en suppose l’accroissement préalable. L’inégalité est donc imparfaitement corrigée, et elle n’est pas prévenue. M. Foucault, profitant d’une idée déjà émise par l’habile constructeur M. Meyer de Mulhouse, s’est proposé de rendre la vitesse de rotation de l’appareil indépendante de l’angle d’écartement, et de diminuer pour cela le poids des boules par un contre-poids dont l’action augmente quand l’écart est plus grand ; il a trouvé les conditions précises d’une compensation rigoureuse, et des dispositions diverses permettent de les réaliser mathématiquement avec une parfaite justesse : il suffirait par exemple de faire descendre le contre-poids sur la courbe tant de fois rencontrée depuis Huyghens par les mécaniciens géomètres, et que l’on nomme cycloïde. Cette disposition donnerait un instrument théoriquement parfait, comme le pendule cycloïdal d’Huyghens, mais il n’a pas plu à M. Foucault de l’adopter ; c’est chez lui une maxime absolue, que dans un appareil durable et précis on ne doit employer ni chaînes, ni cordages, ni poulies, ni courbes, ni coulisses, ni galets, ni flotteurs, ni liquides, rien autre chose enfin que des contre-poids guidés par des droites articulées. C’est à ces pièces solides et inflexibles qu’il réduit ce que Fontenelle appelait la matière machinale. N’acceptant donc ni les courbes, ni les fils, il a remplacé la cycloïde par un système de leviers, préférant à la perfection théorique une disposition plus efficace et plus solide, qui, sans atteindre rigoureusement le même but, satisfait pleinement à toutes les convenances de la pratique.

L’organe principal du régulateur, étant mis en relation avec la machine, indiquera si la vitesse est plus grande ou plus petite que celle qui lui convient. Les boules seront folles, et la plus légère variation de vitesse les forcera à s’élever au plus haut ou à se rapprocher jusqu’à toucher la tige. On pourra dire alors, en un certain sens, que l’appareil est régulier par essence et capable d’une seule vitesse ; mais comment lui donner la force nécessaire pour imposer cette vitesse toujours égale et toujours permanente, et communiquer son uniformité? M. Foucault y parvient en adaptant aux boules un levier qui, guidé par elles, ouvre ou ferme la communication d’un ventilateur avec l’air extérieur, en lui faisant consommer plus ou moins de travail. De là une résistance qui, croissant aussi rapidement que l’on veut, surveille pour ainsi dire la vitesse avec une continuelle vigilance, la gouverne par des efforts toujours efficaces tant qu’ils ne sont pas poussés à l’extrême et témoigne de sa constance en conservant les boules entre les limites d’écartement arbitrairement fixées. Lorsque l’une des limites est atteinte, l’appareil abdique, et l’on est averti de son impuissance ; mais jusque-là le remède précède le mal, la résistance n’attend pas pour s’accroître que le changement de vitesse se soit produit, et la machine, qui semble douée d’une prévoyance instinctive, se raidit ou se relâche avec une admirable souplesse pour soulager la puissance motrice ou la tenir en bride en lui mesurant la résistance avec la plus précise exactitude.

La fonderie de Fourchambault, l’usine de M. Sautters, constructeur de phares, et les ateliers de la maison Cail ont appliqué déjà le régulateur. Les conditions deviennent ici très différentes : la force motrice étant la vapeur et non un poids, il est facile de la réprimer directement en réglant l’admission à l’aide du système des boules sans recourir à l’emploi du ventilateur, qui ne serait d’aucune utilité. Le succès a été décisif ; on peut arrêter tout à coup le travail, les boules sont agitées un instant, mais la machine, sans ressentir aucun trouble, continue à tourner tranquillement avec une inflexible régularité.

M. Foucault a transformé très heureusement son appareil en vue d’une application plus importante encore. Sur les bateaux à vapeur, les régulateurs ordinaires sont complètement inefficaces ; l’action de la pesanteur, dérangée à chaque moment par les oscillations du navire, ne peut plus donner de résultat utile, et si, pour quelques instans seulement, la tempête soulève l’hélice au-dessus de l’eau, la puissante machine, qui conserve sa force tout entière, ne rencontre plus d’obstacles, et lance les ailes avec une violence tellement furieuse qu’elles se brisent parfois en retombant sur la mer. La disposition adoptée concilie l’exactitude avec la simplicité si nécessaire et si difficile à obtenir dans les appareils de ce genre. Le manchon auquel sont attachées les tiges qui portent les boules, au lieu d’être fixe, glisse librement le long de l’axe, et, par un renversement ingénieux, c’est le sommet opposé du parallélogramme articulé qui sert de point fixe. Ce système oblige les boules, quel que soit l’écartement des tiges, à rester dans un même plan horizontal ; leur poids devient alors sans influence sur le mouvement, et l’effet de la pesanteur est annulé. Pour que le cercle décrit par elles soit toujours parcouru dans le même temps, on démontre alors très aisément que la force centripète qui les sollicite doit être proportionnelle au rayon de ce cercle, c’est-à-dire à la distance des boules à l’axe, et cette condition est très heureusement et très simplement remplie à l’aide de ressorts dont l’énergie augmente avec l’écartement, et peut, dans les limites d’écart que permet la machine, lui être considérée comme proportionnelle. L’isochronisme une fois obtenu, on achève de résoudre le problème comme dans le cas des machines installées à terre.


III.

Pour connaître un écrivain, il suffit, a-t-on dit, d’en lire une page. Ce jugement, qui est fort juste, peut s’étendre à toutes les œuvres de l’esprit : la faculté maîtresse, comme dit M. Taine, apparaît dans toute production originale et personnelle, et pour la retrouver dans les autres travaux de même origine, il n’est nécessaire d’aucun parti-pris.

La physique a occupé M. Foucault plus longtemps que la mécanique et avec un succès presque égal. Ce n’est pas mon dessein de passer en revue ses recherches sur l’optique et sur l’électricité ; dans des sujets divers on retrouve le même esprit, et j’aurais peu de traits nouveaux à signaler dans sa manière d’aborder les questions et de les résoudre. En physique comme en mécanique, il montre plus de sagacité que de profondeur : il ne fait pas de travaux d’ensemble, mais des inventions ; il n’apporte pas de théories, mais des faits décisifs et inattendus qui éclairent et confirment les principes. Sans embrasser dans de vastes systèmes l’universalité des causes, il étudie la nature, moins pour en démêler les énigmes que pour en approprier à notre usage les forces les plus cachées, et il cherche moins curieusement enfin à contempler la lumière et à la montrer qu’à la suivre. Il est difficile aujourd’hui d’enseigner la physique sans le citer souvent avec honneur et sans manier les appareils qu’il a inventés et construits. Ses travaux sur la vitesse de la lumière ont eu un grand retentissement ; il a cherché d’abord à faire réussir une expérience très importante, mais complètement irréalisable, imaginée par Arago. D’après le programme de l’illustre physicien, l’observation devait porter sur un rayon de lumière réfléchi par un miroir tournant avec une vitesse de mille tours par seconde et lancé par ce miroir à tout hasard pour aller rencontrer, s’il avait ce bonheur, un autre miroir dont la rotation n’était pas moins rapide ; après ces deux réflexions, un observateur attentif et assidu pouvait, suivant un calcul de M. Babinet, nourrir l’espoir fondé d’apercevoir le rayon une fois en trois ans dans les conditions d’une bonne expérience. L’appareil avait été monté, mais ceux qui avaient regardé n’avaient rien vu, et douze ans s’étaient écoulés sans que les physiciens parvinssent à saisir les rayons fugitifs : on considérait le projet d’Arago comme une ingénieuse et brillante chimère. M. Foucault l’a réalisé, il a renvoyé le rayon dans une direction fixe en rendant par là l’expérience très facile et très sûre. C’est à Arago que revient sans contredit l’honneur des belles conséquences qui s’en déduisent et qu’il avait prévues, mais sans M. Foucault nous les attendrions peut-être encore. Après avoir atteint le but et forcé l’admiration des plus difficiles, lui seul ne fut pas satisfait. « Il est douteux, disait-il, que les expériences faites à la surface de la terre puissent déterminer jamais la vitesse de la lumière avec la même exactitude que la discussion des observations astronomiques. » Ce doute l’a tourmenté pendant treize ans, et de perfectionnement en perfectionnement, il est parvenu enfin à assigner une vitesse de 72,500 lieues par seconde que les physiciens ne contestent pas, et que les astronomes les plus autorisés acceptent comme base de calculs importans, qui ne vont à rien moins qu’à diminuer de plus d’un million de lieues la distance présumée de la terre au soleil.

Citons encore, sans y insister, puisque la mécanique seule nous occupe, l’interruption des courans électriques obtenus en faisant plonger dans un bain de mercure, recouvert d’une couche d’alcool, le conducteur mû par un ressort métallique qui vibre sous l’influence d’un électro-aimant en fermant et rétablissant le courant avec une régularité parfaite une soixantaine de fois par seconde. La substitution de cet interrupteur aux pièces solides qui, dans les mêmes conditions, seraient hors de service en quelques minutes, est l’une des inventions qui ont permis au célèbre et habile M. Ruhmkorff la construction de ses beaux appareils d’induction. Il est impossible enfin de ne pas rappeler, en terminant, l’appareil régulateur de la lumière électrique qui, construit d’abord pour imiter le soleil dans le troisième acte du Prophète, a été trop souvent employé depuis pour que l’on songe encore à en citer l’inventeur. Ces travaux si divers montrent tous l’alliance heureuse et bien rare de deux qualités que M. Foucault possède excellemment : la pratique la plus délicate et la plus ingénieuse, unie aux vues théoriques les plus exactes et les plus sûres.

Les industriels ont profité de ses inventions ; les géomètres les ont prises pour thème de calculs justement admirés ; mais ses assertions premières ont été confirmées ; elles subsistent dans toute leur étendue, et il serait injuste d’oublier ou de méconnaître les idées simples dont elles sont nées. Quoique la renommée de M. Foucault soit égale à son mérite, on n’a pas jusqu’ici rendu pleine justice à son esprit éminemment mathématique. Les mathématiques, considérées comme un pur exercice de l’intelligence, l’avaient d’abord peu attiré, et il n’est pas impossible que les vérités abstraites les plus curieuses ne lui aient semblé autrefois que de vaines et stériles subtilités ; mais il a bien vite reconnu le lien immédiat et sensible qui les unit aux applications ; il a vu en elles la source d’une lumière supérieure et pure qui éclaire les principes de la physique sans en corrompre la simplicité. Il a demandé des conseils et des inspirations aux beaux travaux de Poinsot : le commerce de ce grand esprit a élargi les vues et grandi le cercle de ses méditations. Son goût très prononcé pour la logique naturelle subsiste toujours, mais il n’est plus exclusif : les procédés de pure intuition ne pouvaient suffire longtemps à un inventeur aussi actif et aussi bien doué. Il a compris que toutes les vérités s’éclairent mutuellement sans se gêner jamais, et que, comme l’a dit Fontenelle, « il est plus aisé d’apprendre les mathématiques que d’aller loin sans leur secours. » Nul peut-être ne saurait dire avec plus de précision jusqu’où peuvent conduire les chemins courts et faciles qu’il affectionne et comment les principes sûrs et infaillibles de la théorie éclairent un esprit bien fait, en lui servant de guide et de flambeau. Sans eux, le génie le plus heureux, conduit seulement par sa pénétration et par la logique naturelle, demeure suspendu dans une incertitude continuelle et trouve rapidement des bornes étroites auxquelles M. Foucault s’est heurté autrefois, mais qu’il a franchies depuis longtemps. On lui a reproché de manquer de rigueur, et sans rigueur, nul ne le conteste, il n’y a plus de géométrie ; c’est là une fausse accusation. M. Foucault, on ne doit pas l’oublier, ne professe pas ; il ignore l’art de présenter ses inventions selon les formes de l’école ; il persuade contre les règles, et ne sait pas réduire démonstrativement ses contradicteurs au silence. Cependant, à prendre ses expressions dans la juste étendue de leur sens véritable, toutes ses assertions sont exactes dans les termes mêmes où il les énonce : il sait toutes les routes de la science du mouvement, il a pénétré au fond de ses théories les plus abstraites, et pour l’embrasser tout entière, il ne lui manque que la manière de savoir. La langue algébrique lui est peu familière, il la comprend, mais ne la parle pas, et ne sait trop que répondre quand on lui montre ses vérités nouvelles préexistant dans de vieilles formules, et découvertes une seconde fois, comme le disait Poinsot, par la méthode qu’on lui dit être la bonne et la véritable. C’est pour cela que, sans être plus modeste qu’il ne faut, il a, je crois, besoin qu’on lui répète très haut et très publiquement qu’il est dans une voie excellente et irréprochable, et qu’il serait bien fâcheux qu’il en changeât. Ses travaux n’empruntent rien aux découvertes récentes de la science analytique ; la savante simplicité de ses méthodes aurait été accessible il y a deux cents ans : c’est là son originalité à notre époque et la preuve décisive d’un rare mérite. Lorsque le terrain sur lequel on se place a été longtemps parcouru par des chercheurs aussi instruits qu’empressés, il faut beaucoup de bonheur pour y découvrir des voies nouvelles ; si ce bonheur n’accompagne pas toujours le talent, on comprend que sans lui il serait impossible, et lorsqu’il est plusieurs fois renouvelé, le sentiment équitable des juges éclairés lui accorde un autre nom que l’avenir ne contestera pas, j’en ai la conviction, à l’ensemble des travaux de M. Foucault.

Faut-il pour cela le choisir pour guide, et conseiller aux jeunes gens qui cherchent leur voie de suivre son exemple et d’appliquer la méthode d’étude et de recherche qui lui a si bien réussi ? Ce serait les engager dans une difficile entreprise et oublier qu’il a été dit : qui aime le péril y périra ; l’étude du passé est le guide le plus sûr de l’avenir. À aucune époque peut-être l’instruction scientifique n’a été plus fortement organisée que de nos jours ; nos grandes écoles, gardiennes des traditions les plus élevées, la répandent avec abondance et fortifient leurs élèves par des exercices continuels et savamment gradués ; des cours publics, conduisant leurs auditeurs jusqu’aux dernières cimes de la science, leur permettent de satisfaire presque sans travail une légitime et nécessaire curiosité ; les théories, exposées et discutées au moment même où elles viennent de prendre naissance, sont rendues claires et intelligibles à tous. On signale les progrès qui restent à accomplir, les calculs qu’il serait utile d’entreprendre, les expériences qui décideraient un point douteux, et chacun peut, selon ses goûts, ses forces et son degré d’instruction, choisir sa tâche et contribuer à l’œuvre commune. Tout travailleur de bonne volonté est accueilli avec bienveillance ; on lui montre la trace de ceux qui l’ont devancé, en lui livrant, pour l’aider à la suivre, toutes les richesses qu’ils ont acquises : des méthodes sûres et longuement éprouvées lui donnent en quelque sorte la certitude du succès ; il peut, s’il le veut, avec de tels soutiens, apporter au progrès son modeste contingent et faire les premiers pas dans la route où l’on devient célèbre. Un débutant doit profiter de ces précieux secours : c’est le seul conseil prudent que l’on puisse lui donner, en souhaitant peut-être tout bas qu’il se sente assez fort pour ne pas le suivre.


J. Bertrand.