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Des Sociétés foncières et leur rôle dans les travaux publics

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DES
SOCIETES FONCIERES
ET
DE LEUR RÔLE DANS LES TRAVAUX PUBLICS

I. Le Crédit foncier de France, par M. J. Josseau, député au corps législatif ; 1861. — II. Rapports du gouverneur du Crédit foncier de France ; 1858, 1859, 1800,1861. — III. Rapports à l’assemblée générale des actionnaires de la Société immobilière de Paris, de 1857 à 1861.

Il y a dans la situation prise au milieu de notre mouvement industriel par quelques grandes associations financières un spectacle bien fait pour appeler les méditations les plus sérieuses. On voit ces associations étendre avec un succès croissant le cercle de leur activité ; elles se multiplient hors de Paris même, et la plupart des grandes villes de France marchent résolument dans la voie ouverte par la capitale. Comment expliquer la fortune croissante et la multiplicité de ces institutions de crédit ? N’y a-t-il là qu’un fait accidentel, un engouement passager ? N’est-ce pas plutôt le signe de besoins nouveaux auxquels ces sociétés répondent, d’intérêts impérieux qui veulent être satisfaits ? Nul ne pourra en douter, s’il interroge l’histoire de ces établissemens dans une période récente, et s’il observe surtout la nature des opérations auxquelles ils se sont livrés. Il les verra partout apporter des ressources nouvelles aux grands travaux publics dont nos villes sont aujourd’hui le théâtre, exercer par conséquent sur la propriété urbaine une influence considérable et croissante. C’est la part de cette influence qu’on essaiera de déterminer ici en montrant, par l’exemple du Crédit foncier et du Crédit agricole, comment on pourrait concilier l’essor de la propriété urbaine avec les intérêts de la propriété rurale, puis, par l’exemple de quelques sociétés immobilières d’origine récente, comment le concours du crédit devrait être appliqué aux travaux des villes.


I. — DU CREDIT FONCIER.

L’organisation du Crédit foncier, le mécanisme de ses opérations, sont bien connus, et il n’est pas nécessaire de s’étendre beaucoup sur un tel sujet, qui d’ailleurs a été traité d’une façon si complète dans l’ouvrage récent d’un député au corps législatif, M. Josseau. Après des remaniemens successifs et des transformations réclamées par l’expérience, le Crédit foncier a été constitué en un établissement unique, privilégié, avec droit d’une émission de papier limitée par la nécessité de l’autorisation gouvernementale, mais indéfinie en raison des besoins auxquels ce papier est appelé à satisfaire. Le Crédit foncier sert d’intermédiaire entre l’emprunteur, — à qui, moyennant le paiement de primes annuelles, et sous des conditions sévères d’exécution, il se borne à remettre les obligations qu’il crée, — et les prêteurs, qui souscrivent ou achètent ces mêmes obligations. Ce n’est en définitive ni une société d’emprunteurs solidaires, comme il en existe en Allemagne, fondée dans l’unique intérêt d’agriculteurs obérés, ni une société de prêteurs qui fournissent eux-mêmes, et avec profit, leurs capitaux à la propriété foncière : c’est simplement une réunion d’actionnaires donnant une certaine somme de capitaux en garantie de la sécurité des emprunts que les propriétaires d’immeubles contracteront avec le public porteur des obligations du Crédit foncier. Le tout s’exécute sous la surveillance, on pourrait presque dire sous la direction. du gouvernement.

Ainsi le Crédit foncier ne prête pas son propre argent, mais son papier, dont le public est l’endosseur : il verse d’une main aux prêteurs l’intérêt des obligations remises, et reçoit de l’autre les annuités acquittées par les emprunteurs. La différence qui existe entre les intérêts et les annuités constitue le bénéfice des actionnaires. Or les intérêts payés aux souscripteurs d’obligations s’élèvent à 3, 4 ou 5 pour 100. Les annuités acquittées par les emprunteurs comprennent : 1° ces mêmes chiffres d’intérêt, 2° une somme proportionnelle à la durée du prêt, rigoureusement suffisante pour assurer l’amortissement du capital, 3° des frais d’administration s’élevant à 60 centimes pour 100. Ces frais d’administration forment le bénéfice réel des actionnaires ; ils sont assez élevés pour que le bénéfice devienne très considérable, si les emprunts reposent sur des bases solides, si par conséquent le paiement des annuités se fait avec régularité.

Pourvu du droit de prêter son propre papier et ramené ainsi à l’état de société de garantie simple, armé en outre par la loi de privilèges importans en ce qui touche la purge des hypothèques légales et en matière de poursuite immobilière, le Crédit foncier paraissait, il y a trois ans, devoir étendre surtout sa clientèle parmi les possesseurs de propriétés de grands rapports, seuls en mesure de supporter le poids d’annuités de 6 pour 100 en moyenne. Dans cette classe même des emprunteurs, la grande et la moyenne propriété étaient appelées surtout à recourir au Crédit foncier. Quant aux ressources à obtenir des prêteurs, cet aliment des opérations quotidiennes, il fallait attendre la fin de l’émission des 200 millions d’obligations premièrement autorisée, pour savoir à quel prix de nouveaux capitaux afflueraient dans les caisses de la société, et lui permettraient de continuer les fructueuses opérations dont les actionnaires avaient jusque-là recueilli les bénéfices. À l’époque dont nous parlons, en 1858, on comptait 2,192 prêts réalisés, 85 millions d’obligations émises, dont 27 millions seulement appliqués à des propriétés rurales, et 50 concédés au département de la Seine. Enfin les actionnaires du Crédit foncier ne touchaient pas moins de 7 ou 8 pour 100 d’intérêt de leurs capitaux, outre la constitution de très fortes réserves. Moins de trois ans se sont écoulés depuis lors, et les destinées de la société ont pris, on va le voir, un essor considérable.

Au 31 décembre 1860, le total des prêts à long terme effectués s’élevait en nombre rond à 188 millions. à la date du 20 avril 1861, il dépassait de plus de 20 millions le chiffre de la première émission autorisée de 200 millions de francs. à la fin de janvier 1861, le département de la Seine figurait seul au nombre des emprunteurs pour près de 135 millions, et dans les 56 millions de prêts accordés aux autres départemens la propriété urbaine avait encore obtenu 8 millions 1/2. Ce fait prouve bien que les prêts sont consentis aux propriétés de grands rapports, telle que les immeubles urbains, et que les propriétaires de ces immeubles composent presque toute la clientèle du Crédit foncier. Les prêts au-dessous de 10,000 francs ne comptent dans le même total que pour le chiffre de 3 millions 1/2 : la petite propriété n’a donc pas eu recours à l’emprunt. Pour subvenir à toutes ces opérations, la société, depuis qu’elle ne fournit plus de numéraire, avait émis au 1er janvier 1861 : 82 millions d’obligations à 4 pour 100, donnant lieu à un tirage au sort sans primes de remboursement ; — 31 millions 1/2 d’obligations rapportant 3 pour 100 d’intérêt, participant au tirage des lots et jouissant en outre d’une prime de remboursement ; — enfin plus de 63 millions d’obligations rapportant 5 pour 100 d’intérêt, mais sans lots ni primes. L’émission de ces dernières obligations n’est point comprise dans le chiffre des 200 millions premièrement autorisés ; elle n’a pour limite que la quantité même des prêts qui lui servent de garantie hypothécaire. N’étant l’objet d’aucune des faveurs destinées à faciliter l’émission des obligations à 3 ou 4 pour 100 d’intérêt, ces obligations à 5 pour 100, appelées surtout à jouer le rôle de valeurs de placement et non de spéculation, ne se négocient pas à la Bourse, et se distribuent, principalement en province, par les soins des receveurs-généraux. L’augmentation du placement de ces titres constitue une des preuves les plus significatives de la prospérité du Crédit foncier. Lorsqu’il donne, pour l’argent que le public lui prête sur ses propres titres, 3 ou 4 pour 100 d’intérêt, et qu’il en retire des emprunteurs 5,65, amortissement et frais d’administration compris, il semble qu’il bénéficie d’un excédant d’intérêt ; mais cet excédant n’est que la représentation des lots et des primes que la société doit acquitter.

Ces dernières charges avaient même paru si lourdes que le Crédit foncier obtint du gouvernement une subvention de 10 millions exigible jusqu’au placement des 200 millions d’obligations premières. En effet, l’émission des titres 3 et 4 pour 100 n’avait pu se faire sans recourir au système des tirages de lots, qui favorise la spéculation et facilite le placement hâtif des titres, mais qui n’est le plus souvent admis que dans les pays obérés ou arriérés. L’Autriche, dont les finances ne jouissent pas d’une grande prospérité, a recours à la loterie sous toutes les formes. On peut citer comme un modèle du genre l’émission des obligations de la société du Crédit mobilier à Vienne. Ces obligations ne rapportent aucun intérêt, mais participent à de fréquens tirages, où l’on gagne des lots qui s’élèvent jusqu’à deux cent cinquante mille florins ; elles sont fort recherchées et ont été émises sans aucune difficulté, même dans des circonstances critiques. Croit-on qu’il faille encourager un tel emploi de fonds, et ne vaut-il pas mieux faire circuler dans notre pays des titres qui rapportent un intérêt sérieux, suffisant pour que les vrais capitaux d’épargne les recherchent, et qui constituent des placemens de bon père de famille ? Les obligations à 5 pour 100 du Crédit foncier remplissent ce rôle à merveille, parce qu’elles composent un mode de placement en harmonie avec les anciennes habitudes du pays. Ces obligations se substitueraient très aisément aux contrats d’hypothèque eux-mêmes dont l’intérêt est également de 5 pour 100, et ce n’est que par ce moyen qu’il serait possible d’éteindre enfin la dette hypothécaire, cette lèpre inguérissable de la propriété française. Il faut reconnaître toutefois que le placement des obligations à 5 pour 100, favorable aux prêteurs et à la société du Crédit foncier, qu’il débarrasse du service de la loterie, rencontre quelques difficultés de la part des emprunteurs : il exige en effet le paiement d’annuités plus fortes. Ainsi, dans un emprunt effectué pour cinquante années, lorsque l’emprunteur ne doit payer pour frais d’administration, d’amortissement et d’intérêt qu’une annuité de 5,65 pour 100 en recevant des obligations à 5 pour 100, le même emprunteur qui reçoit des obligations à 5 pour 100 paie une annuité de 6,06 pour 100. Ce chiffre peut être un obstacle. Une autre différence existe encore entre les obligations à 5 et les obligations à 4 pour 100. Les premières ne sont pas négociables à la Bourse, les secondes, se vendent à terme et au comptant sur nos marchés publics. Comme le remboursement d’un prêt moyennant la remise de titres pareils-à ceux que l’on a reçus est toujours possible même avant l’expiration du terme, on préfère emprunter des titres qui se négocient à la Bourse, et dont l’agio peut donner lieu à un certain bénéfice. Au contraire, les obligations à 5 pour 100 se placent de gré à gré, en province, et ne sortent guère des portefeuilles où elles sont entrées. Il y a là toutefois une sorte de supériorité morale en faveur de ces dernières.

C’est parce que la société du Crédit foncier se renferme de plus en plus étroitement (en ce qui touche bien entendu, les prêts à long terme) dans son rôle d’intermédiaire, que ses opérations ont pris une extension aussi grande. Lorsque la société, sous l’empire des premières illusions, remettait aux emprunteurs du numéraire contre une annuité de 5 pour 100, amortissement même compris, elle avait pu en une seule année, de 1852 à 1853, réaliser pour 27 millions de prêts ; mais dès que sous la pression des événemens elle éleva successivement le taux de l’annuité, on vit les prêts en numéraire descendre au chiffre de 12 millions pour 1855, de 8 millions pour 1856, et cesser presque en 1857. L’année suivante au contraire, à peine le système des prêts en obligations est-il définitivement adopté, que les opérations s’élèvent au total de 30 millions. L’année 1859 réalise pour plus de 26 millions de prêts à long terme. En 1860 enfin, le chiffre, de ces opérations atteint plus de à8 millions, dont 30 millions fournis en obligations rapportant 5 pour 100 d’intérêt sans lots ni primes. Pour multiplier encore les opérations d’emprunt sous cette forme, qui date, on le voit, de 1858, la société du Crédit foncier ne peut employer qu’un moyen, que lui rend facile le succès croissant de’ ses opérations : c’est de diminuer le prix des frais d’administration.

Ces frais, avons-nous dit, s’élèvent par année à 60 centimes pour 100, tandis que la dépense de l’amortissement pour un emprunt de cinquante années ne dépasse pas à 6 centimes. On a souvent répété que les frais de notaire dans les contrats d’hypothèque étaient très onéreux ; ils ne montaient toutefois qu’à un demi pour 100, soit 50 centimes une fois payés. Dans les emprunts consentis par le Crédit foncier, l’entremise d’un notaire est obligatoire, et les frais d’administration reviennent tous les ans. En somme, le Crédit foncier pour son service d’intermédiaire reçoit bien réellement près du double du capital prêté. On ne saurait donc trop recommander à la société d’adopter des combinaisons propres à alléger sous ce rapport les charges des emprunteurs. Pourquoi ne diminuerait-elle pas les frais d’administration dans les dernières années du prêt à mesure que les emprunts se prolongent, à mesure par conséquent que les risques diminuent ? Déjà en 1855 M. le comte de Germiny, gouverneur du Crédit foncier, remarquait que, pour se tenir dans les limites rigoureuses du prêt à 5 pour 100, amortissement et frais compris, la société avait dû sacrifier une partie de ses propres droits, et il établissait que, sur l’ensemble des prêts réalisés à des taux d’annuité différens, la moyenne des frais d’administration n’atteignait pas 40 centimes pour 100. Il exprimait l’espoir que les futurs prêts, consentis dans des conditions plus onéreuses pour le prêteur, relèveraient les frais d’administration au taux légal. Le vœu de l’honorable gouverneur a été réalisé, et, grâce à l’initiative énergique de son successeur, d’autres sources de revenu, et des plus abondantes, ont accru dans de très grandes proportions les bénéfices des sociétaires. Il est donc permis dés à présent de provoquer le retour à une mesure qui, adoptée au début de l’entreprise, n’en a point paralysé les progrès. Alors que l’émission des 200 millions d’obligations touche à son terme, au lieu de voir se perpétuer l’habitude des emprunts avec lots, ne serait-il pas très souhaitable que l’usage des obligations à 5 pour 100 d’intérêt se propageât, et que, pour les faire accepter par les nombreux emprunteurs du Crédit foncier, les frais d’administration fussent amoindris dans une proportion considérable ?

En dehors du prêt à long terme, le Crédit foncier a été autorisé à opérer des prêts à court terme avec ou sans amortissement, à ouvrir une caisse de service pour y recevoir des dépôts en comptes courans et faire des avances sur obligations foncières et autres valeurs déterminées, — à faire des prêts à long terme destinés à favoriser les travaux de drainage, — à étendre ses opérations à l’Algérie, à patroner les opérations du-sous-comptoir des entrepreneurs, — à prêter même sans hypothèque aux départemens, aux communes et aux syndicats, — à fonder avec une subvention et une garantie d’intérêt une société de crédit agricole.

En 1858, lorsqu’on a exposé ici les opérations du Crédit foncier[1], les emprunts, à long et à court tenue, et l’ouverture de la caisse de service avaient été seuls autorisés. Les prêts à court terme ne furent guère qu’un expédient transitoire nécessaire dans un moment où l’intérêt de l’argent a élevait notablement au-dessus du taux habituel, et eu par conséquent le cours des obligations du Crédit foncier faisait subir à l’emprunteur des pertes trop sensibles pour qu’il lui fût permis de contracter des emprunts à long terme. Jusqu’en 1859, presque aucun prêt à court terme n’avait été contracté. En 1859, des propriétaires de terrains non-bâtis demandèrent au Crédit foncier les ressources nécessaires pour construire, et lui empruntèrent près de 8 millions. Ces emprunts à courte échéance ont dû se convertir pour la plupart en emprunts à long terme. Depuis le traité passé avec le sous-comptoir des entrepreneurs, ce genre d’opérations a presque entièrement cessé.

La caisse de service, autorisée en 1856, a été en 1859 l’objet de deux modifications importantes : créée pour recevoir des dépôts et faire des avances sur obligations foncières, elle peut aujourd’hui employer à ces avances non plus le cinquième, mais la moitié des sommes reçues en dépôts, et il lui est permis de prêter sur tous les titres que reçoit la Banque de France elle-même comme garantie d’avances. Quant aux dépôts, le solde non employé en avances est versé en compte courant au trésor, et comme l’intérêt payé par l’état est supérieur à l’intérêt payé par le Crédit foncier aux déposans, il en résulte pour la société un bénéfice notable en même temps que la trésorerie y trouve des facilités dont l’importance n’est pas contestable, mais qui pourraient devenir dangereuses en temps de crise, les souvenirs de 1848 en font foi. Les opérations de la caisse de service ont pris une extension considérable. En 1858, le chiffre des versemens s’est élevé à 112 millions contre 81 millions de retraits. En 1859, le mouvement a été beaucoup plus fort, puisqu’à la fin de l’année le solde de la caisse (retraits opérés) montait à plus de 55 millions. Au 31 décembre 1860, après un total de dépôts s’élevant pour l’exercice entier à 358 millions, le solde des fonds non retirés n’était pas moindre de 98 millions. Quant aux avances, elles se sont élevées dans la même année à 11 millions sur obligations foncières et à 62 millions sur valeurs diverses. Au 31 décembre 1860, le solde des avances sur divers titres ne dépassait pas 17 millions. Le mouvement général de la caisse du Crédit foncier a atteint en 1860 le chiffre énorme de 2 milliards 33 millions, représentant une augmentation de 825 millions sur l’année 1859.

La caisse de service, au moyen de l’ouverture des comptes courans, a contribué à populariser en France l’usage du dépôt avec intérêt et de la circulation du chèque ou reçu qui règle en Angleterre toutes les transactions. Au lieu de conserver improductif un capital plus ou moins élevé, destiné à solder même les dépenses de la consommation journalière, nombre de propriétaires et de rentiers ont déjà contracté chez nous l’habitude de déposer dans de grands établissemens publics, tels que le Crédit foncier, le Crédit mobilier, la société de Crédit commercial et industriel, les sommes qui proviennent de leurs revenus fixes ou éventuels, et de délivrer à leurs fournisseurs, à leurs créanciers de tout genre, des chèques ou reçus au porteur que ces établissemens acquittent à présentation. Il n’est pas nécessaire de faire comprendre l’utilité de semblables mesures : plus les dépôts seront multipliés, moins il restera de capital improductif. Toutefois l’emploi des chèques cause souvent à celui qui les reçoit une perte de temps pour en aller toucher le montant, et lui inspire une juste défiance par la crainte des contrefaçons ou de la perte du chèque lui-même. Il faudra faire un pas de plus dans l’industrie des banques. On verra sans aucun doute se créer chez nous les claring houses de la Cité de Londres, destinés à l’échange des chèques entre banquiers à des heures déterminées. L’usage du virement des chèques et des chèques barrés suivra inévitablement l’usage du chèque lui-même et l’habitude du dépôt[2].

Quant à ce qui concerne les encouragemens aux travaux de drainage, on peut dire que l’insuccès est entier. En deux années, le Crédit foncier n’a réalisé que vingt-quatre prêts, pour une somme de 423,000 fr. On ne doit pas attendre non plus de bien grands résultats de l’extension des opérations de la société à l’Algérie : non point que les besoins n’y soient très grands et les demandes d’emprunt nombreuses ; mais le Crédit foncier ne peut dépasser en Algérie 5 pour 100 de la totalité des prêts effectués en France ; ses prêts seront d’ailleurs effectués en numéraire, et ils ne seront consentis que pour trente ans au maximum, moyennant une annuité de 10 pour 100, comprenant, outre les frais d’amortissement et d’administration, 8 pour 100 d’intérêt. Puisqu’au taux actuel de l’intérêt en Algérie, qui est d’environ 10 pour 100, l’absence du numéraire y constitue le principal obstacle aux progrès matériels, il n’est pas présumable que la maigre part de prêts dont le Crédit foncier est autorisé à accorder le bienfait supplée à l’insuffisance du capital français, que les embarras de la propriété algérienne et le bénéfice limité de ses productions agricoles ont jusqu’à présent effrayé. Cependant, pour favoriser au moins sur un point spécial le développement de ses opérations, l’administration du Crédit foncier a réduit de 8 pour 100 à 6,75 l’intérêt des prêts pour les immeubles situés dans la ville même d’Alger.

Les opérations avec le sous-comptoir des entrepreneurs et les prêts aux communes promettent de tout autres résultats. Le sous-comptoir des entrepreneurs, créé après la révolution de 1848 pour venir en aide à l’industrie du bâtiment, avait été depuis lors une des annexes du Comptoir d’escompte. En 1859, il en fut détaché et dut se mettre sous l’égide du Crédit foncier, auquel des entreprises semblables le rattachent étroitement. Le sous-comptoir des entrepreneurs, est destiné en effet à édifier les immeubles urbains sur lesquels les obligations du Crédit foncier doivent asseoir leur gage hypothécaire. Pour être en mesure de répondre à de plus grands besoins, le capital du sous-comptoir des entrepreneurs a été porté à 5 millions, dont les trois quarts ont été remis au Crédit foncier à titre de garantie. Les fonctions du sous-comptoir consistent à escompter les effets des propriétaires de terrains non bâtis qui édifient des maisons nouvelles, ou plutôt à leur avancer sur leur signature les sommes nécessaires au fur et à mesure de la construction. Ces effets, dont les immeubles en cours d’exécution forment le gage, se trouvent, par l’entremise du sous-comptoir des entrepreneurs et du Crédit foncier, revêtus des trois signatures obligatoires pour être admis en cas de besoin à la Banque de France ; mais l’opération s’arrête en réalité au Crédit foncier, qui, sur ses propres ressources, avance au sous-comptoir des entrepreneurs les sommes que réclament les cliens de celui-ci. Aux termes des conventions constitutives de 1860, le Crédit foncier ne peut disposer en faveur du sous-comptoir que de la moitié de son propre capital versé et de la partie du fonds social du sous-comptoir déposée en garantie. La limite statutaire des opérations du sous-comptoir lui-même est fixée à 15 millions. Dès la première année, elle s’est trouvée atteinte, et il devient urgent de l’étendre : en sept mois, c’est-à-dire de juin à décembre 1860, les crédits ouverts par le sous-comptoir se sont élevés à près de 14 millions. Les avantages de la combinaison nouvelle frappent tous les yeux. Les avances du sous-comptoir des entrepreneurs offrent d’autant plus de sécurité qu’elles sont contrôlées par l’administration du Crédit foncier, dont l’autorisation est indispensable, et cette autorisation ne s’accorde pas à la légère, puisque les avances sur des immeubles en construction se résolvent pour la plupart du temps en prêts à long terme. Grâce à cette mutation, les propriétaires entrepreneurs, pour acquitter leurs engagemens, échappent aux nécessités d’une vente forcée, cause autrefois si fréquente des désastres de l’industrie du bâtiment, et la liquidation d’une entreprise immobilière ne dépasse presque plus les limites de la liquidation de toutes les entreprises commerciales. Avec cette facilité et cette rapidité d’exécution, on peut dire que les avances sous la forme de prêts à court terme concédés par le sous-comptoir sont de véritables emprunts à long terme anticipés, et rien n’empêche par conséquent d’étendre les facilités promises à des opérations qui ne se renferment plus seulement dans les limites de la ville de Paris, comme aux premiers temps de l’existence du sous-comptoir des entrepreneurs, mais qui peuvent rayonner dans toutes les autres villes.

Les prêts aux départemens, aux communes et aux associations syndicales ont atteint aussi en une seule année un chiffre considérable, plus de 30 millions de francs, et ont absorbé presque toute la moitié de l’emprunt de 75 millions en obligations communales émises le 18 octobre 1860. Dans son rapport à l’assemblée générale des actionnaires, M. le gouverneur du Crédit foncier annonce que les prêts de cette nature ont atteint en 1860 la somme de 19 millions de francs ; mais il ajoute que du 1er janvier au 1er avril 1861 de nouveaux prêts communaux ont été autorisés pour 5 millions 1/2, et que des traités conditionnels ont été passés avec quelques villes pour près de 9 millions. La loi sur le crédit communal date du 17 juillet 1860 ; on a donc prêté plus de 30 millions en un an. Les principales différences qui caractérisent cette sorte de prêts sont l’obligation pour le Crédit foncier de prêter en numéraire et la facilité qui lui est laissée de prêter sans affectation hypothécaire. Notons aussi que la commission allouée pour frais d’administration ne peut dépasser 45 centimes. C’est un argument de plus à l’appui de nos précédentes observations. La dispense d’une affectation hypothécaire ne peut dans l’espèce exciter aucune appréhension. Le contrôle du gouvernement, qui dans certains cas provoque l’intervention du pouvoir législatif, suffit pour amener la rentrée des annuités dues par les départemens et les communes. Dans le budget local, les contributions votées et au besoin imposées d’office serviront au paiement exact des annuités. L’utilité de ces emprunts n’est point à justifier ; l’importance des demandes transmises dès le premier exercice démontre l’urgence des besoins à satisfaire. Et ici il ne s’agira pas seulement de travaux improductifs, d’embellissemens des villes, de construction même d’édifices destinés à des services publics : grâce au concours du Crédit foncier, les départemens et les communes pourront achever leur système de viabilité, procéder à de grandes opérations de défrichement et d’irrigation. Cette question des biens communaux, si longtemps et si inutilement débattue, peut trouver enfin la solution cherchée. On rentrerait ainsi dans la voie premièrement tracée au Crédit foncier, la voie trop négligée des améliorations agricoles.

Le Crédit foncier laisse aux départemens, aux communes et aux syndicats le choix entre deux modes d’emprunts. Dans l’un de ces modes, l’intérêt est de 5 pour 100, plus une commission de 45 centimes et la somme nécessaire pour opérer l’amortissement. Dans l’autre, l’intérêt, outre l’amortissement, n’est que de 5 pour 100, commission comprise ; mais l’emprunteur s’interdit la faculté de se libérer par anticipation, clause dont les avantages pour le Crédit foncier n’ont pas besoin d’être démontrés. Ne peut-on transporter ce dernier mode aux prêts hypothécaires ordinaires, en stipulant, comme il a été dit plus haut, des termes plus ou moins longs avant toute possibilité de remboursement ? Les conditions faites aux communes et aux départemens qui empruntent ne doivent pas paraître trop onéreuses pour des opérations de longue haleine, dont les charges sont réparties sur un grand nombre de contribuables, surtout s’il s’agit de travaux vraiment rémunérateurs. À voir l’empressement avec lequel les départemens et les communes les plus importantes, telles que Lyon, Marseille, Cette et Le Havre, ont eu recours au Crédit foncier, on peut se faire une idée de l’étendue des opérations réservées à la société. Il y a plus, l’ancienne dette communale et départementale se transformerait utilement en dette foncière, et sous ce rapport on doit plutôt redouter les entraînemens précipités que les hésitations. Si l’on considère que pour l’année 1859 les impositions extraordinaires des départemens, destinées en général à couvrir des emprunts et des dépenses de la nature de celles que le Crédit foncier peut subventionner, atteignent 25 millions, soit le quart des recettes totales des départemens, si l’on remarque aussi que l’augmentation annuelle des dépenses départementales depuis 1845 jusqu’à 1856 seulement est estimée à 30 millions, on appréciera l’importance de la clientèle que les départemens et les communes peuvent assurer au Crédit foncier.

Ne peut-on craindre toutefois que l’obligation de prêter en numéraire n’amène le retour des embarras qui ont entravé la marche des opérations au début des prêts hypothécaires ? Cela dépend de la nature des ressources spéciales que le Crédit foncier aura dû se créer. C’est à cette pensée qu’il fait attribuer l’émission d’obligations dites communales, rapportant 3 pour 100, remboursables au pair de 500 francs en cinquante années et souscrites primitivement à un taux inférieur, donnant lieu à des lots dans deux tirages semestriels, enfin négociables à la Bourse. En dehors de ces obligations, la société émet aussi des obligations communales à 5 pour 100 sans lots et non négociables. Le chiffre d’émission de ces dernières n’est pas limité ; l’émission des obligations à 3 pour 100 a été fixée à 75 millions, dont la première moitié seule a été livrée au public. On remarquera, pour ce qui concerne les prêts communaux, qu’en s’imposant la nécessité de délivrer du numéraire, la société du Crédit foncier cesse d’être un intermédiaire simple entre des emprunteurs et des prêteurs ; on remarquera aussi que les opérations peuvent se trouver paralysées, si l’intérêt de l’argent s’élevait assez pour rendre plus difficile la négociation des obligations, avec lesquelles le Crédit foncier lui-même bat monnaie.

Enfin la société du Crédit foncier vient d’organiser le crédit agricole, c’est-à-dire de créer une institution ayant pour objet de procurer à court terme et sans hypothèque des capitaux ou des crédits à l’une de nos industries les plus intéressantes. Le Crédit foncier avait été fondé pour prêter à long terme et sur hypothèque des capitaux à la propriété seulement : on a vu qu’il en avait surtout prêté à la propriété urbaine. Par la négociation des emprunts communaux, il ne prête encore, quoique sans hypothèque, qu’à la propriété collective. Le Crédit agricole fait un grand pas, il prêtera sans hypothèque, à court terme, non plus à des propriétaires, individus ou corps collectifs, mais aux agriculteurs, et même, il est permis de le supposer, à toute personne présentant une solvabilité suffisante. On a dit depuis longtemps que l’usure dévore les campagnes ; on remarquait que le cultivateur proprement dit ne trouvait pas les mêmes facilités de crédit que le négociant, dont la signature est admise chez les banquiers, aux comptoirs d’escompte, à la Banque de France. Le gouvernement a voulu pourvoir à des besoins non moins dignes d’intérêt : il a fait examiner des projets d’organisation de crédit agricole, et la loi du 28 juillet 1860 a été votée. Aux termes de cette loi, une société distincte de celle du Crédit foncier est créée au capital de 20 millions, dont la moitié seulement sera d’abord souscrite. Son objet est de prêter des capitaux à l’agriculture ou aux industries qui s’y rattachent, en faisant ou en facilitant par sa garantie l’escompte d’effets à 90 jours. Elle choisira dans les départemens des représentans dont la fonction sera de lui garantir la solvabilité de l’emprunteur. La. signature de celui-ci, celle de l’intermédiaire obligé auquel la demande d’emprunt sera adressée, enfin la signature de la société du Crédit agricole formeront les trois signatures requises pour que les effets puissent être admis à l’escompte par la Banque de France. Il est inutile de dire que ces effets à 90 jours ne procureront pas des ressources suffisantes pour des opérations agricoles exigeant d’ordinaire une plus grande latitude ; mais la société y pourvoira au moyen de renouvellemens échelonnés. Pour faciliter la mise en œuvre de ce système, le gouvernement a garanti jusqu’à la concurrence de 400,000 francs un intérêt de 4 pour 100 aux actionnaires de la nouvelle société.

Cependant quelques objections ont été élevées contre une des dispositions particulières des statuts. La nécessité de choisir dans les départemens un intermédiaire offrant une responsabilité suffisante, à qui les demandes de prêts seraient adressées et qui en garantirait le remboursement, a paru offrir des difficultés telles qu’on peut craindre de voir se renouveler pour ces intermédiaires l’échec éprouvé à l’occasion des directeurs départementaux du Crédit foncier. Aussi l’administration de cette dernière société, chargée de diriger également le Crédit agricole, dont les intérêts doivent néanmoins être tout à fait distincts, a eu dit-on, l’heureuse pensée de provoquer la création d’un sous-comptoir de l’agriculture. Si ce nouveau rouage était admis par le gouvernement, il remplirait le rôle d’intermédiaire entre les emprunteurs et le Crédit agricole lui-même, verserait dans la caisse de celui-ci son capital à titre de garantie, et fournirait une deuxième signature à laquelle le Crédit agricole ajouterait en dernier lieu la sienne propre, si les ressources du nouvel établissement ne suffisent pas à prévenir le recours à la Banque de France, fin nécessaire, le deus ex machina de toute combinaison financière. Toutefois la société du Crédit agricole ne manquera pas de moyens d’alimenter sa caisse sociale ; en dehors de son capital de 20 millions, elle peut recevoir des dépôts avec ou sans intérêts, créer et émettre des valeurs dont l’exigibilité est limitée à cinq ans au plus. Ce terme de cinq ans, supérieur à la durée des prêts faits par la société, paraît devoir lui assurer un délai suffisant entre le recouvrement des sommes à elle dues et le remboursement de ses propres obligations. Quant à ces dernières, elles trouveront faveur dans le public selon les avantages particuliers qu’elles offriront, et surtout selon le taux général de l’intérêt et l’abondance de l’argent. Jusqu’ici rien ne peut faire présumer que le Crédit agricole, dirigé par les mêmes mains qui ont imprimé au Crédit foncier une heureuse impulsion, ne soit pas appelé à multiplier ses opérations dans une mesure difficile à prévoir. Cette société le pourra d’autant mieux que la nature des prêts est moins définie, que ces prêts ne seront pas consentis aux cultivateurs seuls, ni même aux diverses industries se rattachant à l’agriculture, cercle assez large déjà, mais que toute personne offrant un nantissement convenable, une garantie spéciale, pourra sur une seule signature, et pour une durée de trois ans, se faire ouvrir un crédit.

La société du Crédit agricole devient, on le voit, une véritable et grande banque de dépôt, d’escompte et d’émission. Ses opérations peuvent se faire sur la plus large échelle, ses bénéfices n’ont d’autre limite que ses risques mêmes. S’il était permis de prévoir quelle sera la nature particulière des entreprises secourues par le Crédit agricole, on pourrait dire qu’en concourant à cette fondation, le Crédit foncier a voulu faire pour les travaux ruraux ce qu’il a fait pour les travaux urbains. L’analogie frappera surtout si l’on vient à fonder, comme le bruit en a couru, des sociétés de grandes entreprises dans les campagnes pour irrigation, desséchemens, reboisemens, défrichemens, etc. ; ces sociétés anonymes formeraient le pendant des sociétés immobilières. À côté de ces sociétés de grands travaux publics se trouverait le sous-comptoir de l’agriculture, comme à côté des sociétés immobilières se place le sous-comptoir des entrepreneurs. Enfin, au-dessus des institutions rurales pour ainsi dire, on rencontrerait la société du Crédit agricole, de même qu’au-dessus des institutions urbaines existe le Crédit foncier. Toutefois cette division en deux branches de services ne serait pas complètement exacte, puisque le Crédit foncier prête à la propriété rurale aussi bien qu’à la propriété urbaine, et il est même permis de supposer que cet ensemble d’institutions agricoles amènera le Crédit foncier à fournir à la propriété rurale de plus amples ressources que par le passé.

En même temps que les directeurs du Crédit foncier de France se préoccupent à juste titre de grandes combinaisons propres à pousser plus loin son heureuse fortune, le soin des améliorations de détail ne saurait leur échapper. Tout emprunteur à long terme peut craindre de laisser ses héritiers sous le poids d’une longue suite d’annuités. Pour obvier à cette appréhension, un syndicat vient de se forcer entre toutes les compagnies d’assurances dont le siège est à Paris, afin de garantir, aux conditions d’abonnement viager les plus douces, la libération, après le décès de l’assuré, des annuités foncières restant à solder ; les compagnies en demeureront seules chargées. Dans cet ordre d’idées secondaires, nous voudrions appeler l’attention des administrateurs du Crédit foncier sur une difficulté révélée par la pratique, et qui peut nuire au développement des opérations de la société. Les emprunts opérés par le Crédit foncier doivent rendre les mutations de propriété plus fréquentes ; ils diminuent d’autant l’importance du capital à débourser. On sera d’autant plus disposé à acquérir un immeuble qu’en se chargeant des emprunts contractés par le propriétaire vendeur, on aura en réalité à lui verser une moindre somme. Ce résultat sera facilement obtenu, si les obligations du vendeur peuvent passer sur la tête de l’acheteur. Dans l’espèce, le vendeur ne se trouve entièrement libre vis-à-vis du Crédit foncier que si un remboursement réel est opéré, et si l’acquéreur contracte un nouvel emprunt. On conçoit tous les embarras d’une pareille opération. Il serait donc utile d’ouvrir un autre mode de libération. Quoique l’obligation de l’emprunteur vis-à-vis du Crédit foncier soit personnelle, comme au fond la dette frappe surtout un immeuble, l’administration du Crédit foncier ne pourrait-elle, pour le paiement des annuités, accepter comme débiteur le nouveau propriétaire au lieu de l’ancien ? On éviterait de la sorte qu’après avoir vendu un immeuble grevé d’hypothèque foncière, le premier propriétaire et tous ses héritiers se trouvassent chargés d’une dette personnelle et solidaire, pendant un quart de siècle au moins, pour une propriété passée en d’autres mains.

Tout en rendant justice à l’esprit d’initiative hardie qui a su élargir d’une si notable manière le cercle d’action du Crédit foncier, on ne peut s’empêcher de remarquer dans quelles proportions se développe la circulation du papier qu’il crée. En une seule année, on a vu émettre plus de 50 millions d’obligations à long terme et près de 30 millions d’obligations communales. Le sous-comptoir des entrepreneurs a ouvert 15 millions de crédits à court terme, et les demandes ont atteint un chiffre deux fois plus élevé. Les emprunts communaux eux-mêmes pourraient être aisément contractés dans une proportion bien plus vaste. Si le Crédit agricole, grâce au mécanisme du sous-comptoir agricole et des sociétés anonymes dont nous avons parlé, voulait favoriser la transformation à bref délai des parties de notre territoire susceptibles d’amélioration, il faudrait, pour répondre à ces besoins, créer des obligations pour une somme annuelle de 100 millions au moins. Une émission de 2 ou 300 millions d’obligations par an, faite par le Crédit foncier seul, est de nature à éveiller l’attention. Les esprits qui vont au bout de toutes les hypothèses, ceux qui supposent encore que notre pays peut traverser des jours d’orage, ne manqueront pas de se demander à quelle dépréciation une telle masse de papier serait exposée. Il est évident que pour les prêts à court terme du sous-comptoir des entrepreneurs et du Crédit agricole, pour le remboursement des dépôts et des comptes courans, le Crédit foncier et ses annexes sont exposés aux mêmes périls que toutes les banques. Quant aux prêts à long terme consentis en obligations et remboursables en obligations, c’est-à-dire à ce qui constitue le fonds essentiel des opérations du Crédit foncier, la pire fortune que la société eût à craindre serait de recevoir au pair ses obligations, rachetées à vil prix dans un moment de panique, et de liquider ainsi ses emprunts. On peut recommander dans cette prévision l’usage de prêts non remboursables, en constituant en leur faveur une notable diminution sur les frais d’administration, comme cela se pratique pour les prêts aux communes. Il ne faut pas d’ailleurs se flatter, dans les affaires humaines, de se soustraire à toutes les mauvaises chances ; la sagesse consiste seulement à en diminuer le nombre.

Pour résumer en peu de mots l’histoire des transformations et. des progrès du Crédit foncier, on peut dire qu’il a perdu de plus en plus le caractère agricole qui lui avait été attribué, et n’a pas tardé à devenir la plus importante comme la plus active de nos sociétés de crédit. Il s’est complété heureusement par la création du Crédit agricole. Cette nouvelle société se prêtera à des applications intéressantes et variées ; elle fera sans doute pour la propriété rurale ce que fait pour la propriété urbaine le Crédit foncier, aidé de quelques institutions moins considérables, moins connues aussi, et dont il reste maintenant à parler.


II. — DES SOCIETES IMMOBILIERES.

On a tenté plusieurs fois de constituer dans les villes des sociétés immobilières, c’est-à-dire des associations ayant pour objet l’achat de terrains et la construction d’habitations nouvelles. Trois tentatives seulement ont été suivies d’un succès qui appelle sur ces entreprises l’attention publique : nous voulons dire la Société immobilière de Paris, la Société de la Rue-Impériale de Lyon et la Société des ports de Marseille.

La Société immobilière de Paris offre le plus complet spécimen du type que l’on se propose d’étudier. À la suite d’une adjudication infructueuse de terrains non encore bâtis dans cette rue de Rivoli, objet des prédilections et des faveurs du premier comme du second empire, une réunion de capitalistes se forma pour acquérir, au prix même qui n’avait point trouvé de preneurs dans l’enchère officielle, les parties de cette grande voie qui restaient inachevées, sous la condition d’y élever des constructions dans un délai déterminé. Treize immeubles importans et le grand hôtel du Louvre furent bâtis avant l’ouverture de l’exposition de 1855, et la société vint ainsi en aide au désir du gouvernement, jaloux de montrer aux étrangers cette œuvre complètement terminée. On peut dire qu’à ce point de vue la Société immobilière s’inspirait d’une heureuse pensée ; elle introduisit une innovation utile à certains égards en exploitant à Paris même un de ces grands hôtels dont les États-Unis présentent des modèles encore plus vastes, et où l’accumulation des ressources permet d’assurer dans la plus large mesure le comfort des voyageurs. La suite des opérations de la Société immobilière, qui primitivement ne portait que le nom de la Société des immeubles Rivoli, a caractérisé de plus en plus l’esprit imprimé à sa constitution. Sans doute cette société avait pour objet principal la construction et la location d’immeubles, mais elle poursuivait ce but dans des conditions particulières d’embellissement pour Paris lui-même. On la trouve active et empressée à prendre pour siège de ses spéculations les quartiers nouveaux, s’inquiétant aussi d’améliorer et à de transformer les anciens. Les Champs-Elysées sont l’objet des prédilections générales ; elle y ouvre dans les terrains du Jardin d’hiver une rue somptueuse qui prend le nom de rue de Marignan. Le boulevard de Sébastopol ouvre dans toute la largeur de Paris une voie jusqu’alors sans égale ; la société entreprend une rue commerçante qui va de ce boulevard même à la rue Saint-Denis ; en ce moment, elle bâtit le côté du boulevard des Capucines destiné à combler l’ancienne rue Basse-du-Rempart ; demain elle couvrira de maisons nouvelles les deux trottoirs latéraux du boulevard Malesherbes entre la rue de la Pépinière et le parc de Monceaux. Il y a lieu à coup sûr de remarquer cette double préoccupation chez les administrateurs de la Société immobilière, qui s’appliquent à suivre des opérations utiles à leurs actionnaires tout en réalisant des entreprises empreintes d’un certain caractère d’innovation et d’élégance.

Sans entrer dans le détail des opérations successives d’achats, de reventes, d’échanges et de constructions de la Société immobilière, il faut dire que, grâce à ces opérations, cette société, fondée au capital de 24 millions, a pu distribuer à ses actionnaires des intérêts suffisans, même pendait l’époque d’achèvement des immeubles et sans comprendre dans les dépenses de construction l’intérêt des sommes qui y sont afférentes. Elle a aussi constitué des réserves assez fortes pour que l’intérêt seul de ces réserves fonctionnât comme amortissement, et que dais une période de quarante-cinq années le capital social pût être porté de 24 millions à 50, sans aucun sacrifice nouveau des actionnaires. En résumé, et dans l’état actuel, le capital social est de 24 millions d’actions représentés par des immeubles construits et des terrains qui attendent des constructions nouvelles[3]. En vue des opérations faites ou à faire, le conseil d’administration avait obtenu en 1858 de l’assemblée générale des actionnaires l’autorisation de contracter des emprunts pouvant s’élever jusqu’à 24 millions ; il n’avait cette année même emprunté que 11 millions. En 1859, il a demandé au Crédit foncier une nouvelle somme de 3,600,000 francs ; depuis lors, il a complété le chiffre de 24 millions, et dans l’assemblée tenue le 20 avril 1861 il a été autorisé à se procurer de nouvelles ressources jusqu’à la concurrence de 40 millions, soit par des emprunts au Crédit foncier, soit par l’émission d’obligations sociales. En ce moment, la société ouvre une souscription publique de 18 millions d’obligations. Le système de ces emprunts a été jusqu’ici très favorable à la Société immobilière, puisqu’elle a employé l’argent emprunté en opérations dont le produit est supérieur à l’intérêt des emprunts, et que sur le seul intérêt de sa réserve elle a trouvé le prix de l’amortissement. C’est en tenant compte de ces importans résultats qu’on a pu affirmer que dans un délai de quarante-cinq années le capital social se trouverait plus que doublé.

Grâce à ces combinaisons, le Crédit foncier lui-même a vu s’élargir singulièrement le cercle de ses opérations, et l’on peut dire que les destinées des deux sociétés se confondent réellement. À mesure que s’élèveront des constructions nouvelles, la Société immobilière offrira de nouveaux gages au Crédit foncier, dort les prêts serviront eux-mêmes à édifier d’autres immeubles. Le concours de ces deux sociétés rendra de plus en plus facile l’accession de la propriété immobilière au plus grand nombre, car les immeubles bâtis se prêtent d’autant mieux à la vente, qu’il faut débourser un moins grand capital pour les acquérir et qu’on peut se libérer par annuités. Le rôle rempli par la Société immobilière et par le Crédit foncier dans l’accomplissement des grands travaux de Pari » peut assurément être étendu à d’autres villes de France. Il n’est pas besoin de démontrer combien d’avantages en découleraient pour ces villes elles-mêmes, comme pour ceux qui destineraient leurs capitaux à un pareil emploi[4].

À Lyon, une société anonyme a été formée pour la construction de la Rue-Impériale. Créée au capital de 10 millions 1/2 en actions, elle a dû contracter, sous forme d’obligations, des emprunts qui s’élèvent à 20 millions de francs. Ces obligations, émises à 540 francs et remboursables à 625, rapportent 25 francs d’intérêt. La société de la Rue-Impériale s’est chargée à ses risques et périls, moyennant un forfait, de l’expropriation de tous les immeubles nécessaires pour l’ouverture d’une voie de 22 mètres de large et de 1 kilomètre de long. La Rue-Impériale prend naissance au centre de l’activité et du commerce lyonnais ; se continuant entre les deux grands fleuves qui donnent à la capitale industrielle de la France un si remarquable caractère, elle a transformé la ville même en lui assurant une de ces larges voies de circulation qui sont l’ornement nécessaire des grandes cités modernes. Néanmoins, et malgré le bas prix relatif des terrains et des constructions, cette entreprise n’a donné que des résultats médiocres. Le prix du terrain a été d’environ 500 francs par mètre, la construction a coûté de même 500 francs par mètre superficiel. Les intérêts du capital dépensé jusqu’au moment de la location s’élèvent à 200 francs, ce qui donne un total de dépenses de 1,200 francs par mètre. Aujourd’hui le revenu des 25,000 mètres construits ne dépasse pas, pour les locations faites, 1,500,000 francs. Il reste encore environ pour 200,000 francs de locations à faire. Si l’on déduit de ce total les intérêts et l’amortissement des emprunts, on trouve que le revenu actuel des actions n’est que de 20 francs ou A pour 100 du capital.

La municipalité de Lyon avait laissé les dépenses de l’expropriation, moyennant un forfait, à la charge de la société de la Rue-Impériale. Cette décision a occasionné de graves mécomptes, et telle est assurément la cause du peu de succès de cette opération. Depuis lors, on a suivi une voie toute différente ; on a laissé le soin comme les risques de l’expropriation à qui de droit, c’est-à-dire au pouvoir municipal, en vendant aux tiers les terrains expropriés ou à exproprier d’après un prix ferme stipulé à l’avance. C’est ainsi que la rue de l’Impératrice, parallèle à la Rue-Impériale, a été commencée et construite par les soins de l’une de ces sociétés d’entrepreneurs si nombreuses dans la ville de Lyon. Déjà la rue de la Bourse avait été achevée par une réunion d’entrepreneurs de toutes professions, au nombre d’environ cinquante. Dix affaires semblables ont été menées à fin, grâce à une combinaison ingénieuse en principe, mais qui dans l’avenir peut donner naissance à de graves difficultés. Des entrepreneurs se réunissent pour acheter un terrain, dont la plupart du temps ils empruntent le prix d’acquisition : ils émettent entre eux des obligations et des actions qui représentent la part proportionnelle de leurs fournitures, le salaire des ouvriers, enfin leurs bénéfices. Jusqu’ici, on a pu négocier ces titres, ou au moins ceux qui constituent des créances véritables sur les immeubles eux-mêmes ; mais on conçoit dans quelle série inextricable de difficultés légales la faillite ou la mort de l’un des associés pourrait et devra même certainement précipiter la liquidation de ces affaires. Déjà avant 1848 un important immeuble, la boucherie des Terreaux, avait été construit au capital de 2,600,000 francs par une société civile. À la même époque, de vastes bâtimens, compris dans l’actif de la faillite d’un banquier de Grenoble, furent mis en parts. Depuis lors, des mutations ont eu lieu dans la propriété de ces immeubles, et, par suite des difficultés légales survenues, la négociation de ces parts a produit les plus graves mécomptes. Il est de toute évidence que des affaires de ce genre ne peuvent prospérer que sous forme de sociétés anonymes.

La Société des ports de Marseille est une véritable société immobilière, créée plutôt cependant pour préparer et pour vendre des terrains propres à la construction que pour élever des constructions mêmes. Créée au capital de 16 millions en actions et de 10 millions en obligations, elle a acquis de la ville de Marseille, au prix de 50 francs le mètre, 400,000 mètres de terrain, dépendant de l’ancien lazaret ou conquis sur la mer au moyen des déblais fournis par le nivellement des collines sur lesquelles le lazaret avait été construit. Le gouvernement de 1830 avait décidé que de nouveaux ports seraient creusés pour répondre aux exigences commerciales d’une destinée singulièrement agrandie ; mais ces ports étaient éloignés du centre même des habitations : il fallait d’abord créer à l’entour presque l’emplacement d’une nouvelle ville. Telle est l’œuvre de la société immobilière dont il s’agit, telle est la destination des terrains achetés par elle. Le nivellement de ces terrains, l’ouverture des voies publiques et le raccordement de ces rues avec les quartiers voisins, la construction des égouts et des trottoirs ont été faits par la ville, et ces diverses dépenses réunies atteindront le chiffre de 7 ou 8 millions. La société s’est d’abord occupée de la revente des terrains, dont une grande partie a été livrée à des prix variant de 100 à 300 francs le mètre ; ensuite elle a élevé en façade, sur le quai de la Joliette, un îlot de belles constructions qui ont coûté plus de 2 millions, et où sont venues s’installer les principales compagnies de navigation à vapeur, les bureaux des docks, du chemin de fer, de l’entreprise du canal de Suez. D’autres constructions, qui nécessiteront encore une dépense d’environ 3 millions, sont en voie d’exécution, et toutes pourront loger quatre ou cinq mille habitans ; . mais ces vastes espaces restaient séparés de l’agglomération marseillaise par l’éminence sur laquelle l’ancienne cité phocéenne a été fondée. Pour arriver aux ports nouveaux, il fallait contourner la base de cette éminence ou en franchir le sommet par des ruelles escarpées. Un nouveau boulevard a été décrété, qui traversera la vieille ville, et cette voie non-seulement mettra en communication directe les quartiers du commerce et de la douane avec les nouveaux ports, mais abrégera de moitié la distance.

Il n’y a point à s’occuper encore d’un nouveau projet de constitution de société anonyme fondée au capital de 7 millions pour rebâtir le marché du Temple à Paris ; mais il importe de faire ressortir ce que les trois entreprises dont on vient de rappeler les fortunes diverses présentent néanmoins de semblable et ont produit d’utile à beaucoup d’égards. Elles ont été toutes les trois conçues dans la même pensée, établies sous la même forme, elles ont enfin concouru à la même œuvre. Le but de ces sociétés, on l’explique d’un mot, c’est de démocratiser la propriété foncière, d’intéresser à la construction et à la possession des maisons nouvelles tous les capitaux, même les plus petits. Les actions de la Société immobilière de Paris sont de 100 francs. L’habileté de semblables combinaisons frappe tous les yeux. Quant à la forme anonyme adoptée par chacune de ces trois sociétés, seule elle peut en assurer le succès. Avec notre législation, qui entoure de si minutieuses garanties les droits des femmes et des mineurs, on se demande comment, sous la forme d’une société civile, il serait possible, non pas de former, mais de perpétuer une propriété collective immobilière. La société en commandite s’y prêterait peut-être plus aisément ; mais à combien de dangers l’administration d’un gérant n’expose-t-elle pas les intéressés ! Un gérant n’est que le mandataire, le représentant officiel des commanditaires, et cependant il engage leur responsabilité par chacun des actes qu’il commet en dehors même de sa qualité de gérant. Il échappe à la surveillance d’associés qui craignent d’ordinaire de s’ingérer dans l’administration sous prétexte de contrôle. La gérance devient ainsi une sorte de pouvoir absolu sous les dehors d’un pouvoir soumis à la discussion. La forme anonyme se prête au contraire à toutes les exigences de la loi en matière de succession, de tutelle, de faillite même ; elle permet aux propriétaires associés d’administrer eux-mêmes leurs propres affaires sans courir des risques illimités. En se fondant sous la forme anonyme, les entreprises immobilières que nous avons prises pour exemple ont adopté la seule combinaison qui puisse leur assurer un succès durable.

Examinons maintenant quel but d’intérêt public on poursuit dans ces vastes opérations en dehors du résultat financier, en prenant surtout Paris pour exemple. Par l’expropriation, la démolition et la reconstruction, on veut ou assainir les anciens quartiers, ou en créer de nouveaux, ou bien encore ouvrir des débouchés à la circulation. Pour tous ces travaux, qui demandent surtout une exécution rapide, les associations de capitaux, qui peuvent seules accepter des conditions prescrites à l’avance, conduire à fin dans les délais voulus les constructions nouvelles demandées par l’administration, offrent à celle-ci une sécurité que des efforts individuels, la bonne volonté d’entrepreneurs et de propriétaires isolés ne lui présenteraient jamais. L’administration veut-elle enfin appeler à son aide, non pas les grands spéculateurs, mais la bourse qui ne s’épuise réellement pas, la bourse commune, celle du public et des petits capitaux : ce sont les associations anonymes qui seules fournissent le moyen d’obtenir ce résultat, et aussi, nous le répétons, de démocratiser la propriété comme on a démocratisé la rente pour le plus grand succès des emprunts publics faits et à faire.

Pour nous convaincre de l’avenir réservé aux sociétés immobilières, n’envisageons cependant que l’un des buts poursuivis par la sollicitude de l’édilité parisienne, l’ouverture de nouveaux débouchés de circulation. Il est certain que l’assainissement, la viabilité, l’embellissement d’une cité s’obtiennent de concert : ce qui est utile à l’un favorise l’autre. Le percement du boulevard de Strasbourg et du boulevard de Sébastopol sur les deux rives de la Seine, le prolongement de la rue de Rivoli, ont à la fois rendu salubres des quartiers malsains, embelli la capitale et ouvert de larges voies de circulation. Toutefois il est certains grands travaux destinés à ne satisfaire qu’à l’un des besoins qui viennent d’être signalés, et non à tous. Or, pour le seul besoin d’une circulation facile, de grands efforts peuvent être nécessaires à Paris, et la comparaison de ces travaux avec ceux qui s’accomplissent à Londres pour le même objet permet a priori d’en mesurer l’importance. À Londres, en huit années, les chemins de fer ont occasionné un accroissement de population d’un million d’habitans, la circulation y devient si difficile, les encombremens de voitures dans les quartiers commerçans tels que la Cité, Fleet-street, le Strand, etc., entraînent pour les affaires des retards si considérables, et pour les piétons des accidens si multipliés, que, nonobstant la construction de ponts sur la Tamise, les chemins de fer souterrains projetés ou en voie d’exécution, le gouvernement a résolu d’endiguer la Tamise depuis le palais du parlement jusqu’au pont de Londres. Cet endiguement aurait pour résultat d’augmenter la profondeur de la rivière, d’en purifier les eaux, de permettre la construction d’un égout monumental et surtout l’établissement d’un chemin de fer sur le bord de la Tamise, offrant une nouvelle issue au gigantesque mouvement commercial qui s’y rattache. Le Strand, Fleet-street et Cornhill pourraient être ainsi laissés à la circulation ordinaire. Londres est en ce moment engagé dans un plan général d’améliorations dont la dépense n’est pas estimée à moins de 375 millions. La banque d’Angleterre avance en particulier 75 millions pour la création d’un système de grandes artères de circulation : elle compte se rembourser au moyen de taxes locales. L’endiguement de la Tamise, qui se trouve en dehors de ces grands projets, serait payé par un impôt local de 90 centimes perçu sur chaque tonne de charbon consommé à Londres et à vingt milles à la ronde.

Nous sommes loin de ces travaux immenses et nous ne réclamons pas pour la capitale de la France de telles entreprises. Cependant les besoins de la circulation ne se sont-ils pas accrus à Paris comme à Londres ? À Paris, le chiffre de la population en dix années s’est élevé de près de 50 pour 100, Paris n’est pas seulement la capitale de la France, c’est à divers points de vue, et tout faux orgueil national à part, la capitale du monde. D’autres villes invitent ou retiennent l’étranger par des attraits particuliers, par une grande activité politique et commerciale comme Londres, par le charme du climat ou la majesté des souvenirs, comme Naples, Rome, Venise ; Paris offre des séductions non moins puissantes et plus variées qu’aucune de ces villes, et le flot des voyageurs tend à s’y porter de plus en plus. Il s’agit par conséquent de pourvoir aux nécessités de circulation de cette population indigène et de cette population étrangère qui croissent d’année en année. Sans aborder ce sujet des travaux de Paris, qui mérite d’être traité à part, on peut dire sommairement, et avec la certitude de ne soulever aucune objection, que pour l’assainissement et la salubrité on a beaucoup fait et bien fait, que pour les embellissemens on a plus fait encore, mais fait trop vite et trop chèrement. Quant aux besoins de la circulation, ils sont toujours bien loin d’être satisfaits, malgré la création de larges et nombreux débouchés[5]. Il est de toute évidence que sous ce rapport l’administration de la ville, si vigilante, peut-être même en certains cas si téméraire, se laisse dépasser par un accroissement d’activité, une exubérance de vie industrielle et commerciale, un progrès de consommation, qui exigent des efforts de plus en plus grands pour se développer à l’aise. L’association des capitaux seule peut suivre dans son essor les progrès de la population, satisfaire sûrement et rapidement à de telles nécessités. Ce n’est pas à l’état, ce n’est point à une municipalité d’entreprendre de pareilles œuvres. L’autorité publique constate les nécessités générales, la loi exproprie les propriétés particulières, le pouvoir municipal déblaie le terrain et ouvre les rues ; c’est ensuite aux efforts des individus qu’il appartient de construire, d’approprier, de louer les nouvelles habitations. Or, s’il est vrai que les efforts associés ont une puissance bien supérieure à ceux des individus isolés, s’il est vrai aussi que les associations sous forme anonyme permettent seules d’obtenir un succès durable dans les opérations de ce genre, on voit à combien de titres l’action du Crédit foncier sur les entreprises urbaines et la création des sociétés immobilières méritent notre sollicitude. Il y a dans ces tentatives un emploi fécond, non-seulement des capitaux propres aux localités où les immeubles se construisent, mais des capitaux qui leur sont étrangers. Lyon et Marseille peuvent apporter par exemple à Paris le concours qu’elles en ont reçu, et ainsi s’établiraient de plus en plus entre toutes les villes de France ces liens de solidarité sociale qui ne sont jamais plus sérieux et durables que lorsqu’ils sont noués par l’intérêt.


BAILLEUX DE MARISY.

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1858.
  2. Les améliorations à introduire dans notre organisation et nos habitudes financières ont été signalées avec beaucoup de clarté dans un opuscule que l’on croit pouvoir recommander ici : Mémoire sur la nécessité d’introduire en France les banques de dépôts, les chèques et les viremens de chèques, par M. Jules Lechevalier.
  3. Les immeubles construits son situés rue de Rivoli, hôtel du Louvre et rue de Marignan, où un lot de terrain reste encore à vendre. Ils représentent une dépense effective de plus de 20 millions et rapportent 1,800,000 fr. y compris le revenu industriel de l’hôtel du Louvre. — Les immeubles en voie de construction sont placés au boulevard des Capucines. La société y possède plus le 17,000 mètres de terrain qui lai ont coûté en moyenne 825 fr. le mètre. Enfin elle et propriétaire de 33,000 mètres de terrain sur le boulevard Malesherbes au prix moyen de 175 fr. le mètre. Toutes ces acquisitions justifient, et au-delà, les emprunts contactés auprès du Crédit foncier.
  4. ) Il existe à Paris un assez grand nombre de sociétés immobilières par actions, sociétés civiles ou en commandite. On pourrait cité la Compagnie générale immobilière, qui n’est pas la même que la Compagnie immobilière de Paris, la Société immobilière de la place du Palais-Royal, les sociétés civiles des bâtimens et galerie Colbert, du passage des Panoramas, de la galerie Véro-Dodat, bien d’autres encore. Quoique les actions de ces sociétés puissent se transférer et se négocier assez aisément, au moins pour quelques-unes d’entre elles, elles jouent dans le mouvement général un rôle trop restreint ou trop effacé pour mériter d’être étudié.
  5. La création des halles centrales, si louable à tous égards, qui a nécessité de si grands sacrifices, fournit la preuve la plus évidente de ce manque de débouchés que nous signalons. Hors un seul côté et sur un seul point, l’accès des halles est partout interdit aux différens quartiers de la capitale, et des ruelles tortueuses et impraticables permettent seules d’aborder au vaste réservoir où s’alimente la vie quotidienne de ce grand camp. La plupart des gares de chemins de fer ne sont construites que sur des places trop étroites ou manquant de voies larges et droites qui conduisent des extrémités au centre. Quant au centre même, il suffit de jeter les yeux sur l’espace compris entre les Tuileries et les boulevards d’un côté, la Bourse et la place Vendôme de l’autre, pour comprendre ce que les nécessités de la circulation exigent de sacrifices et de travaux.