Des abus de la saignée chez les animaux domestiques
AVANT-PROPOS.
Le sujet faisant l’objet de cet opuscule a déjà été examiné et traité, avec beaucoup plus de talent que je ne pourrai certainement le faire moi-même, par un grand nombre d’auteurs dont je me plais à honorer le mérite. Mais, né dans le Midi, ayant observé les habitudes de cette partie de la France, si j’ai choisi ce sujet, parmi bien d’autres, c’est afin de pouvoir combattre dans la mesure de mes forces la coutume, dans cette contrée surtout, de pratiquer les saignées prophylactiques du printemps, sur le cheval et particulièrement sur le bœuf.
Des hommes fort compétents, et dont les capacités font honneur à la vétérinaire, ont déjà démontré les fâcheux effets de cette opération coutumière, si je puis m’exprimer ainsi. Ils ont blâmé l’emploi de cette pratique irrationnelle ; ils ont aussi blâmé l’opérateur, quel qu’il fût, obéissant aux faux caprices d’un propriétaire, et malheureusement ces susdits opérateurs se trouvent en grand nombre dans le Midi, non parmi les vétérinaires, mais parmi ces maréchaux et ces empiriques, qui abusent de ce moyen thérapeutique chirurgical pour s’attirer la confiance d’un public ignorant.
Ma plume inexpérimentée trouvera dans ce premier écrit bien des écueils sans doute ; heureux si, franchissant les principaux, ce faible travail pouvait convaincre quelques-uns de mes lecteurs, et leur faire entrevoir les funestes abus qu’entraîne toujours une fatale ignorance !
I.
DES ABUS DE LA SAIGNÉE EN GÉNÉRAL.
La saignée est une des opérations les plus anciennes, qui soient consignées dans les annales chirurgicales ; de là sans doute les abus, les erreurs sans nombre auxquels ce moyen chirurgical a été de tout temps en butte. Cette opération remonte bien avant dans les temps reculés ; la médecine était pour ainsi dire inconnue, que la saignée se pratiquait le plus souvent comme préservatrice des maladies, dont l’homme a de tout temps été l’esclave.
Hippocrate n’avait pas encore fondé la médecine, que déjà les Égyptiens, les Grecs, les Chinois, etc…, si nous consultons les traditions que ces peuples nous ont laissées, étaient en possession de ce moyen thérapeutique. Il est donc facile de se convaincre, après avoir examiné ces traditions surannées, que l’origine de la saignée se perd pour ainsi dire dans la nuit des siècles ; mais il est aussi facile de se convaincre des erreurs innombrables, des abus de toutes sortes dont elle fut l’objet dans ces temps passés.
Depuis la plus haute antiquité, cette opération s’est transmise au sein des générations des peuples de tous les pays, et partout elle a été la source de bien des abus, de beaucoup d’erreurs. Pouvait-il en être autrement ? Évidemment non. Il n’y a pas encore très longtemps que la circulation du sang était inconnue. Or, de nos jours, la marche du fluide sanguin est très nettement démontrée, et les connaissances résultant de ces démonstrations, nous permettent de juger jusqu’à un certain point de l’effet des émissions sanguines. Jadis la circulation était donc encore à démontrer ; les autopsies, les dissections, défendues par les lois, n’avaient pas permis de se rendre compte de l’agencement de tous les vaisseaux du corps ; charpente vasculaire admirable, que la nature toujours bienveillante a si bien disposée pour permettre l’exercice des fonctions servant à l’entretien de la vie. À cette époque, il était donc impossible que l’on fit un usage rationnel de la saignée, car où pratiquer l’émission, si on ne connaît pas la position précise d’un vaisseau, sans s’exposer à léser un organe quelconque, qui pourra être plus ou moins essentiel à la conservation de l’organisme. Comment apprécier l’indication ou la contre-indication de l’opération, si on ne se rend pas un compte exact, de la circulation du sang, de son rôle dans l’économie, de sa composition, etc… ?
Il était donc impossible, comme je le disais ci-dessus, qu’à cette époque reculée, soutirant du corps sans aucune indication son principal élément, on ne commît les plus grossières erreurs. Il a été des époques où l’on saignait les animaux sur tous les points du corps. Les anciens hippiatres romains saignaient : à la jugulaire, à la saphène, aux veines de l’avant-bras, à celles de la poitrine, à la face, à l’oreille, à la tempe, à la lèvre supérieure, aux naseaux, en dessous des mâchoires, au palais, au flanc, à l’oreille, à la queue, au jarret, au pied, siéges divers de prédilection de la saignée qui avaient pour but, sans doute, la guérison des maladies pouvant affecter ces régions différentes. Ils ignoraient l’action que les saignées exercent sur l’organisme tout entier ; ils ne croyaient qu’à un effet local ayant pour but de soulager la partie souffrante ; ils pratiquaient, en outre, cette opération dans toutes les maladies, quels que fussent l’âge, le tempérament et l’état du sujet malade. Si l’on réfléchit un instant, on comprend aisément les fâcheuses conséquences de ces émissions sanguines, pratiquées ainsi d’une manière empirique. Déjà, comme il est facile de s’en convaincre, les hippiatres romains connaissaient les principaux vaisseaux accessibles à la flamme. Le moyen-âge arriva avec ses préjugés, ses fausses croyances, compagnes inséparables de l’ignorance, et cette opération, comme toutes choses d’ailleurs, devait trouver un écho facile dans la crédulité des esprits. En effet, le moyen-âge eut ses hippiatres, ses sorciers et ses devins, qui ont de tout temps existé en médecine, et qui existent encore aujourd’hui en très petit nombre, il est vrai. Ces prétendus guérisseurs, après la découverte des principales veines, préconisèrent, les émissions sanguines en tout temps, dans toutes les maladies et sur tous les vaisseaux, abusant de toutes les façons de cette opération chirurgicale, qui sagement employée, pouvait à elle seule constituer la thérapeutique d’un bon nombre d’affections. L’hippiatre Lafosse, en médecine vétérinaire, a le premier blâmé la coutume de ses devanciers, de saigner sur tous les points du corps, là même où on ne trouvait pas de vaisseaux. Dans quelques ouvrages remontant à l’époque de Solleysel, on trouve des planches sur lesquelles sont tracés les différents points du corps où on saignait les animaux ; nul doute, après les avoir observées, que les anciens n’aient saigné à un grand nombre de régions où on ne trouve aucune trace de vaisseaux. Du reste, ces saignées tant en vogue chez les anciens, et malheureusement trop encore de nos jours, auraient eu leur raison d’être, si le principe sur lequel ils se basaient avait été juste.
Aux temps anciens a succédé le moyen-âge, et au moyen-âge la renaissance, véritable ère des lumières, où les travaux d’un grand nombre de savants, couronnés de succès, démontrèrent clairement les abus commis dans le traitement d’un grand nombre de maladies. Ces hommes, grâce à leurs efforts, sont arrivés à poser les indications de la saignée, et à restreindre, sinon à abolir complètement, l’emploi de cette opération dans beaucoup de maladies où elle est inutile et même nuisible. Mais au commencement de ce siècle, vers 1825, Broussais, médecin célèbre, fonda sa doctrine physiologique, qui eut un grand retentissement dans le monde médical et qui devait encore être la source de nouveaux abus dans l’emploi des émissions sanguines. Pour Broussais, toutes les maladies avaient pour point de départ une inflammation gastro-intestinale. D’après ce médecin, le praticien ne devait pas prendre pour guide prédominant, dans le choix de ses médications, la force ou la faiblesse apparente et générale du malade, mais l’état réel des organes affectés.
En examinant les principes de cette nouvelle doctrine, il est aisé de comprendre que, toutes les maladies ayant pour point de départ une phlegmasie, et que ne devant pas tenir compte de l’état du malade pour le traiter, on devait employer la saignée comme le principal moyen thérapeutique. Cette doctrine, que le génie du célèbre médecin de Saint-Malo avait enfantée, et qui, au premier abord, paraissait rationnelle, se propagea rapidement. Au bout de quelques années, elle fut connue et suivie dans presque toute l’Europe. En France, elle trouva des contradicteurs sérieux, parmi lesquels on peut citer l’École de Montpellier, qui démontra ce que la doctrine de Broussais avait d’exagéré et à quels effets fâcheux elle pouvait conduire. Cependant, malgré la lutte qui s’engagea entre les partisans de la doctrine physiologique et ceux de l’École de Montpellier ; malgré la victoire de ces derniers, beaucoup de médecins, confiants encore aux préceptes du célèbre Broussais, prônèrent et prônent encore aujourd’hui les bons effets des émissions sanguines dans toutes les maladies.
De nos jours, et depuis quelque années surtout, on est bien revenu de l’erreur commise par Broussais, et on ne trouve plus aujourd’hui de ces adeptes acharnés exclusivement à la doctrine physiologique. La question des saignées abusives est presque résolue en médecine humaine, et la solution se complètera avec la disparition des rares partisans de Broussais. Avec eux s’éteindront sans doute les nombreux abus dans la thérapeutique, que sa doctrine avait entraînés.
Pouvons-nous en dire autant en médecine vétérinaire ? Oui, car les partisans de la doctrine physiologique, si bien en médecine vétérinaire qu’en médecine humaine, diminuent en nombre tous les jours. Mais en sera-t-il de même lorsqu’il s’agira d’abolir les émissions sanguines préservatrices du printemps chez les animaux ? Non, évidemment, car ici il s’agit de combattre personnellement les opinions, non d’un petit nombre d’hommes plus ou moins éclairés, comme dans la question : que nous nous posions ci-dessus, mais les préjugés enracinés au sein des populations ignorantes.
Cette étude faite sur les abus de la saignée en général, nous conduit à parler maintenant des saignées prophylactiques du printemps, qui constituent actuellement un des principaux abus que l’on fait en médecine vétérinaire de cette opération chirurgicale.
II
SAIGNÉES DU PRINTEMPS.
Cette pratique irrationnelle de saigner tous les animaux de la ferme, jeunes ou vieux, faibles ou forts, pléthoriques ou débiles, aux premiers jours du printemps, est d’origine fort ancienne. Si l’on consulte l’histoire de notre beau pays, on voit, non sans regret, qu’il n’a pas toujours été ce qu’il est aujourd’hui, alors que le commerce, l’industrie et surtout l’agriculture étaient abandonnés, sans règles, sans principes, aux mains d’un peuple asservi au joug d’une noblesse ignorante et efféminée. Cependant, de nombreuses années nous séparent de ce temps passé. Une crise terrible, mais utile à la fois, a donné ressort, au commerce, à l’industrie, et l’agriculture a marché sur cette même voie du progrès, et aujourd’hui ces paroles du ministre d’un de nos meilleurs rois : « Pâturage et labourage sont les deux mamelles de l’État, » ont été appréciées et comprises par le peuple français, et grâce au secours et à la bienveillance du gouvernement actuel, on peut dire que l’agriculture est une branche prospère.
À ces époques reculées, la plupart des cultures d’aujourd’hui étaient inconnues, de sorte que le laboureur n’avait alors pour nourrir ses animaux, pendant les longs jours de l’hiver, que les fourrages qu’il pouvait récolter des prairies naturelles, qu’on n’entretenait pas, comme le font aujourd’hui nos cultivateurs intelligents. Voyons ce qui devait se passer à cette époque, et ce qui se passe encore de nos jours en France, dans les contrées pauvres, où existent nécessairement des fermes mal exploitées, et dans lesquelles on entretient des animaux dans des conditions analogues à celles d’autrefois. Nous pourrons ensuite facilement en déduire l’origine de cette saignée prophylactique dite du printemps.
L’entretien des animaux a toujours paru difficile au cultivateur, quoique cependant aujourd’hui il ait beaucoup de produits, ainsi que les prairies artificielles de création assez récente, qui lui viennent puissamment en aide. Comment nourrissait-on et comment nourrit-on encore aujourd’hui les animaux dans les fermes où on ne récolte pas les produits si avantageux d’un grand nombre de cultures, et où les prairies artificielles manquent ?
Tout l’hiver les animaux sont soumis à un régime sec, de la paille le plus souvent, mélangée à quelques poignées de fourrages, le tout distribué avec la plus grande parcimonie, vu la pénurie des aliments. Soumis à ce régime sec et le plus souvent insuffisant, les animaux deviennent maigres, faibles, sont en mauvais état, comme on dit vulgairement. Ces aliments donnés journellement pendant trois mois à peu près, fatiguent le tube gastro-intestinal, et il n’est pas rare qu’à la suite de l’hiver beaucoup de ces animaux présentent des symptômes d’inflammation du tube digestif, c’est-à-dire des gastro-entérites. Aussi, est-ce avec avidité qu’ils voient arriver, aux premiers jours du printemps, une botte de fourrage vert, qui leur permet de manger à satiété et de substituer cette nouvelle nourriture à ces aliments secs auxquels ils avaient été astreints tout l’hiver, alors qu’une température rigoureuse avait pour ainsi dire posé une barrière à toute végétation.
Les phénomènes qui se passent au printemps, à cette époque où l’animal est soumis à ce changement brusque et complet d’alimentation sont très intéressants : il dévore pendant les premiers jours les éléments de cette végétation encore si tendre, heureux alors s’il échappe à ces violents météorismes, résultant de l’accumulation et de la fermentation des aliments verts dans l’appareil digestif. Les animaux ne tardent pas, sous l’impulsion de cette nourriture excitante et tonique à la fois à se refaire, comme on dit. Les phénomènes d’absorption, réveillés, d’ailleurs, comme toutes les autres fonctions, par la douce température qu’amène le printemps, se font avec une activité remarquable. Dans l’espace de peu de jours, les animaux deviennent plus vifs, plus forts, plus vigoureux, leur poil devient luisant, enfin ils prennent rapidement de l’embonpoint, ils deviennent pléthoriques, état qui, comme on le sait, prédispose aux affections inflammatoires et particulièrement aux congestions. Les anciens avaient remarqué les fâcheux effets de ce changement subit de régime et avaient préconisé la saignée comme moyen prophylactique, et dans leur ignorance, ils voulaient en préserver indistinctement tous les sujets.
Mais on comprend aisément par les phénomènes plus haut cités, que cet état pléthorique n’affecte pas tous les animaux indistinctement, et que par conséquent en appliquant ce moyen préservatif à tous les animaux, on a commis et on commet encore un grave abus.
Quoique la nouvelle alimentation joue le principal rôle dans l’apparition de cet état pléthorique, on aurait tort d’attribuer uniquement à cette dernière cause, cet effet immédiat. Chez l’homme on ne peut pas invoquer avec tant d’assurance la nouvelle alimentation, comme cause de cet état particulier que chacun de nous éprouve aux premiers jours du printemps. Aussi, il n’y a pas encore très longtemps que cette pratique de se faire saigner était fort en vogue, et que bon nombre de personnes se rendaient, au moins une fois dans le premier mois de la nouvelle saison, chez le barbier du village qui pratiquait alors cette opération. Pour l’homme, il faudra donc voir dans les rares indications de cette mesure préventive, aujourd’hui presque complètement tombée en désuétude, les effets combinés d’une nouvelle saison, plutôt qu’un changement subit d’alimentation, qui cependant varie suivant les saisons, aussi bien chez l’homme que chez les animaux, mais d’une manière transitoire et non brusque comme chez ces derniers.
Au printemps, en effet, la nature se réveille, et avec elle tout ce qui la compose ; l’animal comme la plante sort de ce sommeil léthargique où l’avaient plongé les mauvais jours d’hiver, semblant, désormais, avoir reçu de nouveaux germes de vie. C’est donc à l’excitation particulière que la température du printemps communique à l’homme comme aux animaux et que le vulgaire exprime en disant que le sang est en révolution, qu’était principalement due la pratique de la saignée chez l’homme. Par conséquent, c’est dans ces deux facteurs de la nature, nouvelle végétation et température, qu’on retrouve l’origine des saignées du printemps, et non dans le nouveau régime seulement. Il est donc certain qu’à cette époque de l’enfance de l’agriculture, on devait pratiquer cette opération qui nous paraît irrationnelle aujourd’hui ; car en général les conditions d’entretien des animaux ont bien changé depuis ce temps. De nos jours, les principes agricoles ont été perfectionnés ; dans toutes les fermes, bien exploitées, on fait des cultures qui permettent aux agriculteurs de donner une nourriture sinon abondante au moins suffisante, aussi bien pendant l’hiver que dans les autres saisons de l’année. Les animaux ainsi entretenus se conservent dans un moyen état d’embonpoint ; au printemps ils ne sont plus soumis sans transition comme autrefois au changement subit et complet d’alimentation et partant ne sont plus sujets à cette pléthore artificielle prédisposant l’organisme aux affections inflammatoires. Donc, en général, aujourd’hui, les cultures variées dont on dispose sont une première raison pour proscrire la saignée du printemps.
Cependant les hommes qui se sont occupés de cette question sont loin de contre-indiquer cette opération chez tous les sujets et dans toutes les conditions. On pourrait la considérer comme irrationnelle dans tous les cas, si tous les cultivateurs se trouvaient dans des conditions analogues à celles des exploitations rurales bien tenues. Mais combien y en a-t-il encore en France, et dans le Midi surtout, qui réfractaires aux sages conseils des agronomes les plus distingués, suivent encore les anciennes coutumes au détriment de leurs plus chers intérêts. Ces agriculteurs, en assez grand nombre, entretiennent encore leurs animaux comme dans les temps anciens, et par conséquent, une cause entraînant toujours son effet, leurs animaux sont au retour du printemps sous le coup des mêmes affections. Il est donc des circonstances où la saignée de précaution est indiquée, mais jamais sur tous les sujets indistinctement ; il faut avant d’opérer, examiner l’état de chaque animal ; les muqueuses rouges, ordinairement l’indice d’un état pléthorique, le pouls fort et accéléré, le prurit, les démangeaisons, l’échauboulure, l’essoufflement au repos et au travail, tels sont les principaux signes qui doivent faire reconnaître comme nécessaire, une saignée prophylactique. Il est aussi une autre circonstance qui mérite d’être prise en considération : c’est de savoir si les animaux sont soumis annuellement à cette opération, car si on a fait prendre cette habitude à l’organisme, il sera toujours bon de continuer, mais cependant en retirant de l’économie le moins de sang possible.
Après avoir ainsi examiné l’origine de cette opération et avoir dans la plupart des cas condamné son emploi, il nous importe maintenant de prouver pourquoi ce moyen préventif doit être délaissé. Pour donner cette preuve, il est, auparavant, nécessaire de connaître les effets physiologiques des émissions sanguines en général, et les indications qui en ressortent, pour pouvoir examiner ensuite si ces effets physiologiques peuvent fournir les indications de cette opération traditionnelle.
III
EFFETS PHYSIOLOGIQUES DE LA SAIGNÉE.
Cette question assez ardue a de tout temps préoccupé ceux qui ont pratiqué l’art de guérir. Bien des controverses, bien des discussions se sont élevées et s’élèvent encore tous les jours, tant en médecine humaine qu’en médecine vétérinaire, pour établir sur des bases véritablement rationnelles les indications de la saignée, de la plus haute importance pour le praticien. C’est ce manque de connaissances qui a fait commettre aux anciens les plus graves erreurs dans l’emploi de cette opération, qu’on pratiquait à une certaine époque dans toutes les maladies. Depuis bien longtemps on a cherché à démontrer les effets locaux et généraux des émissions sanguines. On a fait paraître à ce sujet, depuis de nombreuses années, des théories plus ou moins hypothétiques ; on pourrait cependant assurer que dès le jour où les effets physiologiques de la saignée seraient positivement démontrés, on pourrait établir sur des bases rationnelles les indications de cette précieuse opération chirurgicale. Cependant la science a fait et fait tous les jours des progrès qui tendent à nous dévoiler ce qu’une fatale ignorance a longtemps caché à nos yeux ; et aujourd’hui, quoiqu’on ne puisse donner rien de certain sur les indications de la saignée, on a cependant suffisamment observé ses effets, pour qu’on puisse donner, sinon toutes ses indications, et dans toutes les maladies ; du moins les principales, et dans quelques affections bien connues. On définissait autrefois les effets physiologiques de la saignée par les mots suivants : Elle était ou déplétive, ou révulsive, ou dérivative, ou spoliative ou évacuative, et suivant qu’on voulait obtenir tel ou tel effet, on l’employait dans la thérapeutique des différentes maladies. Mais ces expressions surannées ne précisent pas du tout les effets physiologiques des émissions sanguines ou en d’autres termes leur mode d’agir ; elles laissent une idée confuse qui ne doit pas exister quand il s’agit d’une question d’un si haut intérêt pour la médecine. Voici donc la manière dont notre savant professeur M. Gourdon envisage la question dans son ouvrage de chirurgie.
Les émissions sanguines doivent agir :
1° En diminuant l’activité circulatoire ;
2° En activant au contraire cette circulation ;
3° En développant la faculté d’absorption ;
4° En aidant l’économie à se débarrasser des matières étrangères.
Connaissant ces différents effets, on peut aisément en tirer des indications à peu près certaines. Ceci posé, nous allons maintenant envisager en particulier chacun de ces modes d’agir de la saignée ; cela fait, nous tâcherons d’en déduire successivement et à mesure les indications que comporte chacun d’eux.
1° Les émissions sanguines agissent en diminuant l’activité circulatoire. — Si elles agissent ainsi, il y aura indication de les employer quand la circulation sera suractivée, qu’elle ne se fera plus suivant les lois physiologiques, et c’est principalement par cette surexcitation de la circulation que se traduit ce qu’on appelle la fièvre, caractérisée par une foule d’autres symptômes dont je n’ai pas ici à faire l’exposé. Dans ce cas la saignée doit se mettre au rang des puissants antiphlogistiques. D’autrefois, l’organisme troublé, soit par un excès de repos, soit par un excès de nourriture, soit enfin par le passage brusque d’une alimentation peu substantielle à une alimentation très alibile, exige l’emploi des émissions sanguines pour son prompt rétablissement. Il est aussi des circonstances exceptionnelles qui ayant précipité le mouvement circulatoire amènent une pléthore artificielle qui réclame l’emploi de la saignée au moins comme moyen prophylactique ; de ce nombre sont : les longues courses par les temps chauds, occasionnant fréquemment la fourbure ; un travail quelconque pendant lequel on a frappé ou fortement irrité les animaux ; enfin si l’on craint un afflux sanguin, c’est-à-dire une congestion sur un rouage important de l’organisme, tel que le système nerveux par exemple.
2° La saignée doit activer la circulation du sang. — Différentes causes peuvent ralentir ou arrêter complètement le cours du sang dans l’arbre circulatoire, et cet arrêt subit produire les syncopes, les lipothymies, les apoplexies, etc… Dans ces différents cas, il y a encore indication de saigner.
Le sang qui s’épanche laisse alors un champ plus vaste à celui qui reste dans les vaisseaux et l’émission sanguine favorise ainsi le rétablissement physiologique de la circulation suspendue ou momentanément arrêtée.
3° La saignée doit augmenter la faculté d’absorption. — C’est en grande partie au célèbre physiologiste Magendie qu’on est redevable de la connaissance de ce troisième effet des émissions sanguines. Par de nombreuses et belles expériences qu’il serait trop long de rapporter ici, il est parvenu à démontrer, d’une manière évidente, que la pléthore était nuisible à l’absorption ; ce que les anciens ignoraient et qui a été la cause de nombreuses erreurs qu’on trouve disséminées dans les ouvrages qu’ils nous ont laissés. C’est ainsi que quelques hippiatres ont toujours contre-indiqué les émissions sanguines dans les coliques d’indigestions, quels que fussent l’état, l’âge et le tempérament du malade. Cependant on sait aujourd’hui, et les faits pratiques ont démontré, qu’on ne pouvait faire un plus judicieux emploi de la saignée dans cette affection. D’après ce mode d’action, on voit donc que toutes les fois gn’on voudra favoriser l’absorption soit des aliments, soit des médicaments, soit des poisons, soit enfin de tout autre matière au sein de l’économie, il y aura indication de pratiquer une ou plusieurs émissions sanguines. L’indication de saigner, en vue de ce mode d’action, est assez obscure pour certaines personnes ignorantes ou incrédules. Il est encore des hommes qui nient les avantages de cette opération, quand on la pratique, en vue de favoriser l’engraissement ; mais le nombre de ces hommes se réduit de jour en jour, car leurs préjugés tombent devant l’expérience des faits.
4° La saignée doit aider l’économie à se débarrasser des substances étrangères. — Ce nouveau mode d’action implique donc l’emploi de la saignée, dans le cas où l’on craint que des substances étrangères ne soient mêlées au fluide circulatoire, et n’agissent d’une manière nuisible sur l’économie tout entière.
Tels sont, sommairement exposés, les principaux effets physiologiques des émissions sanguines avec les indications qui en découlent. Connaissant ces effets, il nous est maintenant facile de répondre à la question que nous nous posions à la fin du chapitre précédent.
Pourquoi les saignées prophylactiques du printemps doivent-elles être délaissées ? Voyons donc si un des effets de cette opération peut fournir quelques indications pour l’application de la saignée du printemps.
1er effet. — Diminuer l’activité circulatoire. — Est-ce le cas chez nos animaux et au printemps surtout, de diminuer l’activité circulatoire ? Non, car c’est l’époque où les animaux ont besoin de ce surcroît de forces qui leur est donné pour pouvoir accomplir les longs et pénibles travaux que la saison comporte d’exécuter. Il est cependant une exception à faire pour les animaux déjà cités, vivant tout l’hiver dans de mauvaises conditions hygiéniques, et qui, au printemps, sont, par suite de cette activité circulatoire, menacés de congestions. Ici, on peut tirer une indication, mais c’est là une exception, et pouvant s’appliquer seulement aux animaux qui ont été soumis, pendant l’hiver, à de mauvaises conditions de nourriture et d’hygiène.
2e effet. — Activer la circulation. — Est-ce encore le cas d’activer la circulation au printemps, alors que le sang est entré en révolution, qu’il bout, comme on dit vulgairement ? Évidemment non. Donc, cet effet ne fournit pas non plus d’indication.
3e effet. — Favoriser l’absorption. — Ici encore, nulle indication à tirer de cet effet de la saignée ; car, en admettant que la faculté d’absorption soit ralentie, elle doit se réveiller, comme toutes les autres fonctions, au printemps, et, en outre, le surcroît des matières absorbables qui sont ingérées à la nouvelle saison, doit évidemment suppléer à ce ralentissement dans l’absorption.
4e effet. — Aider l’économie à se débarrasser des matières étrangères. — Cet effet, pas plus que les trois autres, il est facile de s’en convaincre, ne comporte l’indication rationnelle de saigner au printemps.
Enfin, en dernier lieu, les saignées de précaution doivent être proscrites, car les animaux sur lesquels on les pratique ordinairement ayant souffert de beaucoup de privations pendant l’hiver, sous le coup de la nouvelle température et d’un excès de nourriture, deviennent vite pléthoriques. Leur sang devient très riche, mais leur maigreur est souvent extrême, et on peut dire alors avec Chabert : « En pratiquant des saignées de précaution sur un animal qui a perdu de son embonpoint, la graisse prend la route de la circulation et augmente par conséquent la maigreur. » Ces paroles du savant auteur se trouveront confirmées par ce qui va être dit dans le paragraphe suivant sur les effets intimes des émissions sanguines sur l’organisme.
En terminant cette question, je me résume en disant que la saignée prophylactique du printemps, chez nos animaux, date de la plus haute antiquité ; qu’elle a eu sa raison d’être dans les temps anciens ; qu’elle doit être délaissée de nos jours, si ce n’est employée avec modération et sur certains sujets vivant l’hiver dans de mauvaises conditions hygiéniques. Cependant, avant de clore ce chapitre, il me paraît utile de citer un autre abus qui a assez d’analogie, par son mode d’action sur l’organisme, avec la saignée de précaution. Je veux parler des setons que beaucoup de gens font placer au printemps, particulièrement sur les solipèdes, dans un but préventif. C’est encore là une coutume à blâmer, car un seton est une saignée de tous les instants. En effet, la matière qui s’écoule du point où le seton a été placé, est du pus qui, par sa composition chimique, se rapproche beaucoup de celle du sang. L’analyse y démontre de la fibrine, de l’albumine, du serum, des matières grasses et des sels, tous éléments semblables à ceux du sang ; donc, ce pus est véritablement du sang, moins le cruor qui manque. Si telle est la composition chimique de la sécrétion purulente provoquée par les setons, nous avions donc raison de dire ci-dessus qu’un seton est une saignée de tous les instants, qui extrait sans cesse de l’économie les matériaux indispensables à la composition organique. Quelques personnes, reconnaissant les fâcheux effets des saignées de précaution, ont recours à l’emploi des setons préservatifs, jugeant comme beaucoup moins pernicieuse l’action de cette sécrétion momentanée sur l’organisme sain. Il est cependant facile de démontrer l’effet que peut produire l’emploi de ces setons de précaution, en consultant sur le nouveau dictionnaire de MM. Bouley et Reynal, page 402, le chiffre exprimant la quantité de pus que fournit journellement un selon. La quantité de matière qui s’écoule dans 24 heures d’un selon ordinaire sur un cheval, est en moyenne de 45 à 50 grammes. Or, si nous multiplions ces chiffres par le nombre de jours que les setons restent en place, on trouve que l’organisme a perdu quelquefois une quantité de sang bien supérieure à celle qu’on aurait pu en retirer par les plus fortes saignées.
On ne doit donc jamais employer ces exutoires comme préservatifs si on ne veut pas s’exposer à voir apparaître un effet contraire à celui qu’on veut éviter, à moins toutefois qu’un état particulier des animaux, comme nous l’avons déjà dit pour les saignées du printemps, n’en fournisse l’indication.
Nous serions sans doute bien incomplet si, après avoir parlé des abus de la saignée en général et de la saignée du printemps en particulier, nous bornions là notre travail. Après avoir signalé et fait ressortir ces nombreux abus, il importe de prouver quels sont les funestes effets que peuvent produire les émissions sanguines abusives sur l’organisme sain ou malade, et leur influence sur la convalescence. Cependant avant d’aborder ces différents points, il est utile, sinon indispensable, de savoir ce que c’est que le sang, sa composition, son rôle ; c’est là ce que nous allons tâcher d’exposer sommairement dans ce chapitre, pour pouvoir ensuite, dans le suivant, nous rendre un compte aussi exact que possible des effets intimes des émissions sanguines sur l’économie.
IV.
SANG.
Définition. Le sang est le fluide nutritif qui, chez les animaux supérieurs, se meut dans un immense système vasculaire composé du cœur, des artères, des veines et des capillaires. Il contient tous les matériaux des solides et des autres liquides de l’économie, donne à tous les tissus ce qui est nécessaire à leur développement, à leur entretien, à leur réparation, fournit aux organes sécréteurs les éléments de leurs produits et reçoit aussi de toutes les parties, de même que du dehors, les matériaux qui le renouvellent ou le reconstituent. Il est le véhicule de tout ce qui entre dans l’organisme, et de tout ce qui en sort, l’intermédiaire entre la matière qui devient vivante et celle qui cesse de l’être. C’est le mélange homogène et fluide de ce qui est séparé sous différents états dans le corps animal ; c’est le chaos mouvant de la matière organisée, dont les éléments s’isolent, prennent des formes et des propriétés spéciales dès qu’ils sont mis en œuvre hors du torrent circulatoire, puis reprennent leur premier état en rentrant dans la masse générale dont ils s’étaient momentanément séparés. Telle est la définition donnée du sang, par le savant physiologiste M. Colin, d’Alfort. Définition qui résume l’importance de ce liquide et qui nous fait voir déjà les fâcheuses conséquences d’un emploi irrationnel des émissions sanguines. Vu son importance et la diversité de son rôle, la composition du sang doit être nécessairement très complexe.
Composition. — En résumé on peut dire que le sang se compose de deux parties aujourd’hui bien distinctes, d’un liquide transparent ou plasma et d’une masse de globules. Or, chacune de ces deux parties se compose d’éléments nombreux et variables qui sont : la fibrine, l’albumine, la globuline, l’hématine, des matières grasses colorantes extractives, des acides libres acétique, butyrique, beaucoup de sels, chlorure de sodium, de potassium, le sulfate de potasse, le carbonate de soude, de chaux, de magnésie, les phosphates des mêmes bases, l’oxygène, l’acide carbonique libre, le fer, le cuivre, le plomb et quelquefois du manganèse, tels sont les principaux corps connus jusqu’à ce jour, entrant dans la composition du sang à son état normal. On voit combien ces corps sont nombreux et variés. On se demande immédiatement, frappé par cette composition complexe et variée du fluide circulatoire, le temps qui lui est nécessaire pour se recomposer dans tous ses éléments ; c’est là une question difficile à résoudre, mais on peut déjà avancer qu’il faut un temps assez long pour que le sang de nouvelle formation, remplaçant celui qu’on a retiré de l’organisme par des saignées abusives, récupère sa composition normale qui lui est indispensable pour l’accomplissement de son rôle physiologique.
Rôle physiologique. — Ce serait là, sans doute, une question très intéressante à examiner dans tous ses détails ; mais elle nous entraînerait dans des longueurs que nous voulons éviter, espérant qu’un résumé succinct pourra suffire au lecteur judicieux pour saisir de prime abord le rôle important que joue le fluide circulatoire.
Ce serait en vain que nous essaierions de donner ici ce résumé, après avoir rapporté, au commencement de ce chapitre la définition que M. Colin donne du sang ; savante définition qui renferme, en peu de mots, tout ce que nous pourrions dire sur le rôle de ce liquide au sein de l’économie animale.
Connaissant maintenant ce que c’est que le sang, sa composition, son rôle dans l’organisme, nous pouvons aborder, dans le chapitre suivant, les points qu’il nous reste à traiter :
1o Effets intimes des saignées abusives sur l’organisme sain ;
2o Effets des saignées abusives sur l’organisme malade ;
3o Influence des abus de la saignée sur la convalescence.
V.
SAIGNÉES ABUSIVES.
Effets intimes des saignées abusives sur l’organisme sain. — Ces effets sont d’une étude très intéressante et résultent du manque d’équilibre qui se produit tout-à-coup dans la nutrition, par suite de la soustraction d’une plus ou moins grande quantité de sang. Cette quantité de sang, enlevée à l’organisme par l’effet des émissions sanguines, est vite remplacée par suite de l’absorption favorisée par la saignée qu’on a dû pratiquer. Il est facile de voir, par les expériences de Girard, avec quelle rapidité se fait l’absorption après des saignées réitérées, et aussi la rapidité avec laquelle le sang soutiré de l’économie revient au taux habituel. Ainsi, Girard a fait l’expérience suivante sur une jument : il a tiré le premier jour 10,000 grammes de sang, 10,000 gr. le deuxième jour, 8,000 le troisième, 8,000 le quatrième, 7,000 le cinquième, 9,000 le sixième, et il recueillit encore à l’autopsie du cadavre, faite après cette dernière saignée, 5,000 grammes de sang, en tout 57,000 grammes. Or, comme à l’état normal il circule habituellement 26,000 grammes de sang, on voit qu’il a suffi de 6 jours pour qu’il se forme une quantité de sang égale et supérieure même à celle qui existait primitivement dans les vaisseaux. Quelques expérimentateurs ont aussi constaté que la masse du sang était sensiblement accrue après la digestion.
On peut aussi expliquer, par cette augmentation de la masse sanguine au printemps, alors que les animaux sont mieux nourris, cette pléthore artificielle qui se produit presque subitement ; mais ce sang si vite revenu dans le torrent circulatoire, y revient-il avec sa composition essentielle pour servir de fluide nourrissier ? Évidemment non. De nombreuses expériences tentées à ce sujet l’ont péremptoirement démontré. Le plasma du sang reprend vite son taux normal, mais ce n’est que graduellement, et au bout d’un temps plus ou moins long, que les globules, agents essentiels de la nutrition, se reforment et qu’ils récupèrent, soit en nombre soit en volume, ce qu’ils étaient primitivement. Que doit-il donc se passer à la suite d’une saignée abusive dans l’économie, qui ne peut plus recevoir les éléments nécessaires pour la recomposition organique ? Le sang, ainsi dépourvu du nombre suffisant de globules est incapable de remplir sa fonction réparatrice ; il est impropre à stimuler le système nerveux, ce puissant moteur de la nutrition, tous les rouages composant la machine animale sont, pour ainsi dire, enrayés, ayant perdu en grande partie leur âme, comme disaient les anciens, c’est-à-dire, l’incitation qui leur est transmise à l’état normal par le système nerveux. Ce sang qui, au moyen de ses globules, doit porter l’oxygène dans les parties ultimes de l’organisme n’en contient plus assez pour opérer les métamorphoses perpétuelles qui s’accomplissent dans l’important phénomène de la nutrition. Il ne peut donc plus accomplir ses actes physiologiques au sein de l’organisme ; toutes les fonctions languissent ; l’animal maigrit, ses forces s’affaiblissent, une perturbation grave se remarque dans toutes les fonctions. L’économie languit et s’étiole faute d’un stimulant nécessaire, et ce n’est qu’après un temps assez long, qu’après avoir reçu une nourriture abondante, excitante et alibile, que les globules du sang se reforment et qu’ils récupèrent en nombre et en propriété leur taux normal, sans lequel la nutrition ne peut se faire dans de bonnes conditions. Nous voyons donc que les abus que l’on pourra faire des émissions sanguines, même sur l’organisme sain, auront toujours de fâcheuses conséquences, en portant une entrave marquée à l’accomplissement de la nutrition, et par conséquent à l’entretien de la vie.
Ce qui vient d’être dit prouve donc les funestes effets qu’ont dû obtenir les anciens en abusant de ce moyen chirurgical, et les erreurs que l’on commet encore aujourd’hui, soit en pratiquant les saignées prophylactiques, soit en plaçant les setons de précautions, deux coutumes ou plutôt deux abus tant en vogue dans notre médecine.
Mais si les saignées abusives ont un effet pernicieux sur l’animal à l’état de santé, à plus forte raison sera-t-il plus fâcheux encore quand ce même animal sera sous le coup d’une maladie. C’est là la question que nous allons maintenant examiner.
Effets des saignées abusives sur l’organisme malade. — Pour bien juger de l’action pernicieuse que les émissions sanguines peuvent produire sur la marche des maladies, il est utile de jeter un coup d’œil sur l’état dans lequel se trouve la machine animale dans beaucoup d’entr’elles, si ce n’est cependant dans celles qui sont de nature franchement inflammatoire. Nous savons que sans cesse la matière composant l’organisme meurt et se renouvelle ; c’est là ce qui constitue les phénomènes de composition et de décomposition variables, quant à leur prépondérance, suivant les différents états dans lesquels se trouve l’animal. Dans l’état maladif, surtout quand il date de quelques jours, déjà l’équilibre nutritif est rompu, il n’y a plus de rapport direct entre la matière absorbée et la matière assimilée, car la maladie, attaquant toujours certains organes de l’économie, quelquefois sa masse entière, ralentit ou annule même les fonctions physiologiques de ces mêmes organes malades qui n’accomplissent plus alors le mouvement d’assimilation. La maladie doit donc nécessairement déterminer l’amaigrissement, par suite de l’usure des matériaux de l’organisme même qui ne se renouvellent plus.
Si la maladie persiste, à cet état d’amaigrissement succède un état de faiblesse et plus tard un état anémique ; la graisse assimilée dans tous les points du corps est brûlée, le système musculaire s’atrophie, et bientôt si un meilleur état ne succède pas à cet état maladif, l’organisme cesse pour ainsi dire de fonctionner et l’animal meurt.
Or cela étant posé, à quoi sont arrivés ces prétendus guérisseurs d’autrefois, et ces hommes qui, à une certaine époque ayant admis la nature inflammatoire de toutes les maladies, préconisaient les émissions sanguines pour toutes les affections ? Il est facile de le prévoir. Ils ont favorisé le développement de la maladie en affaiblissant par cette opération l’économie déjà débilitée par le défaut d’équilibre dans la nutrition que fait toujours naître un état maladif. Ils ont favorisé les rechutes en enlevant à l’économie cette force de réaction qui lutte sans cesse contre toutes les causes qui tendent à l’altérer ; ils ont ainsi obtenu un effet contraire à celui qu’ils s’étaient proposé ; ils ont tué au lieu de guérir.
Telles sont les fatales conséquences qui peuvent découler des abus des émissions sanguines dans le traitement des maladies. Cependant il serait téméraire d’avancer que cette opération chirurgicale doit être contre-indiquée dans toutes les affections de quelque nature qu’elles soient ; loin de nous cette pensée, car il est certaines maladies comme celles de nature inflammatoire qui doivent leur guérison à son emploi. On doit cependant, autant que possible, être sobre de ce moyen thérapeutique dans les maladies où il est indiqué. Dans notre médecine principalement on doit pratiquer de petites saignées, réitérées s’il est nécessaire, car si elles ont un avantage marqué dans la cure de quelques maladies ; elles exercent aussi leur influence, comme nous allons le voir, sur la durée de la convalescence qui chez nos grands animaux domestiques doit être aussi courte que possible, vu les services que nous rendent les animaux en santé et qui constituent leur valeur réelle.
Influence des abus de la saignée sur la convalescence. — L’organisme qui a été troublé par la maladie porte pendant un certain temps, même après la guérison, le stigmate de ce trouble. Un certain état de langueur, de faiblesse, succède toujours, mais à des degrés variables, aux maladies suivant qu’elles ont été plus ou moins longues ou de nature différente. Comme nous l’avons déjà vu, un état maladif détruisant l’équilibre nutritif, amène toujours un état de maigreur et de faiblesse qui est encore bien augmenté si pendant cet état pathologique de l’organisme on a abusé de la saignée.
Il pourra parfaitement se faire qu’une réaction favorable se produise chez le malade et que par suite on obtienne une guérison ; mais, comme dans notre médecine guérir n’est pas tout, qu’il faut en outre autant que possible conserver les aptitudes, il arrivera que l’organisme affaibli pendant la maladie, ayant perdu les éléments essentiels, pouvant effectuer seuls le prompt rétablissement du malade, cet état particulier qui suit immédiatement la guérison et qu’on appelle convalescence, se prolonge jusqu’à ce qu’une alimentation suffisante, un repos complet, de bonnes conditions hygiéniques, aient concouru à reconstituer dans toutes ses parties le fluide circulatoire. Combien de temps durera cette convalescence ? Cette durée sera sans doute en rapport avec la quantité plus ou moins grande de sang qu’on aura soutiré de l’organisme. Donc, ici encore on voit quels sont les pernicieux effets des saignées abusives.
MM. | LAVOCAT . | Physiologie et tératologie. | |
Anatomie des régions chirurgicales. | |||
LAFOSSE . . | Pathologie médicale et maladies parasitaires. | ||
Police sanitaire. | |||
Jurisprudence. | |||
Clinique et consultations. | |||
LARROQUE. . | Physique. | ||
Chimie. | |||
Pharmacie et Matière médicale. | |||
Toxicologie et Médecine légale. | |||
GOURDON. . . | Hygiène générale et Agriculture. | ||
Hygiène appliquée ou Zootechnie. | |||
Botanique. | |||
SERRES. . . . | Pathologie et Thérapeutique générale. | ||
Pathologie chirurgicale. | |||
Manuel opératoire et Maréchalerie. | |||
Direction des Exercices pratiques. | |||
ARLOING. . . | Anatomie générale. | ||
Anatomie descriptive. | |||
Extérieur des animaux domestiques. | |||
Zoologie. | |||
Chefs de Service. | |||
MM. BONNAUD. . . . | Clinique et Chirurgie. | ||
MAURI. . . . | Anatomie, Physiologie et Extérieur. | ||
BIDAUD. . . . | Physique, Chimie et Pharmacie. |
MM. | BOULEY, O , | Inspecteur-général. | |
LAVOCAT , | Directeur. | ||
LAFOSSE , | Professeurs. | ||
LARROQUE, | |||
GOURDON, | |||
SERRES, | |||
ARLOING, | |||
Bonnaud, | Chefs de Service. | ||
Mauri, | |||
Bidaud, |
THÉORIE | Épreuves écrites |
1° | Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ; | ||
2° | Dissertation sur une question complexe d’Anatomie et de Physiologie. | ||||
Épreuves orales |
1° | Pathologie médicale spéciale ; | |||
2° | Pathologie générale ; | ||||
3° | Pathologie chirurgicale ; | ||||
4° | Maréchalerie, Chirurgie ; | ||||
5° | Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ; | ||||
6° | Police sanitaire et Jurisprudence ; | ||||
7° | Agriculture, Hygiène, Zootechnie. | ||||
PRATIQUE | Épreuves pratiques |
1° | Opérations chirurgicales et Ferrure ; | ||
2° | Examen clinique d’un animal malade ; | ||||
3° | Examen extérieur de l’animal en vente ; | ||||
4° | Analyses chimiques ; | ||||
5° | Pharmacie pratique ; | ||||
6° | Examen pratique de Botanique médicale et fourragère. |