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Des clubs de Londres

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LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE.
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MŒURS ANGLAISES
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DES CLUBS DE LONDRES

Ne voir les Anglais que dans quelques salons aristrocratiques et dans leur intérieur, en présence des femmes, ce serait s’exposer à juger le caractère anglais sous son rapport le moins avantageux, ou, si l’on veut, le moins original. C’est dans leurs clubs, c’est dans leurs réunions d’hommes que les Anglais se vantent d’être eux-mêmes, avec toute la franchise de leurs formes et leur langage. Lorsque, dans sa Correspondance, Grimm, ce baron allemand, devenu à Paris plus Français qu’un Français même, se plaint de l’irruption de l’anglomanie en France, à la fin du dernier siècle, il cite surtout la fâcheuse introduction des clubs, et par suite, la désertion de la société des femmes. Le plus ou moins d’influence des femmes est, en effet, ce qui distingue la société de Paris de celle de Londres. Ces assemblées d’hommes, qui ont pour règle fondamentale l’exclusion de l’autre sexe, doivent être naturellement plus nombreuses dans celui des deux pays où, par une conséquence des mœurs politiques, il est une foule de questions sur lesquelles les femmes n’ont pas voix délibérative, et se voient réduites au silence.

Spécialement réservées aux soins domestiques, les Anglaises sont rarement consultées hors du cercle de leurs attributions. En dépit de la loi salique, l’intelligence des femmes françaises a souvent rivalisé avec celle des hommes, dans notre ancienne monarchie. Elles ont joué, dès avant la Fronde jusqu’à la révolution, un rôle important dans toutes les querelles politiques, religieuses et littéraires. On peut dire que, par ce commerce continuel des deux sexes, les femmes, devenues moins frivoles, rendaient aussi les hommes moins sérieux. Mais il n’y a jamais eu en Angleterre, comme en France, des duchesses de Longueville, des marquises de Rambouillet, des Ninon de l’Enclos, des marquises du Châtelet, des marquises du Deffant, des dames de Staël, etc., dont les hôtels étaient le rendez-vous des hommes éminens dans toutes les genres et où les personnages secondaires allaient chercher une opinion, des idées, des manières et des phrases toutes faites. Sans doute il y eut du temps de Swift et de Pope des dames anglaises fort remarquables, mais aucune qui donnât le ton, soit en politique, soit en littérature. La duchesse de Marlborough ne domina que la reine Anne ; elle était d’ailleurs si ignorante, qu’elle savait à peine écrire son nom. Swift traita en victimes les deux femmes qu’il a tant vantées, Vanessa et Stella. Quant à lady Montagu, tour à tour divinisée et vilipendée par Pope, elle vécut encore plus en voyageuse qu’en reine de salon.

Les Anglais, dont les intérêts parlementaires remplissent toute la vie, font tourner bientôt chaque entretien en discussion ; et à table, le seul égard qu’obtiennent les dames, c’est que les hommes daignent attendre qu’elles se soient retirées pour commencer et leurs toasts solennels et leurs graves débats sur les affaires du jour. Mme de Staël, qui aime tant les Anglais, et par admiration et par reconnaissance, n’a pu tout-à-fait dissimuler la nullité des femmes anglaises. Elle l’excuse, en déclarant que « dans les pays libres, les hommes reprenant toute leur dignité, les femmes se sentent subordonnées. » La duchesse de Somerset frappait un jour familièrement sur l’épaule de son mari avec son éventail. Le duc se retourne, et d’un air mécontent lui dit : « Madame, ma première femme était une Percy, et elle n’a jamais pris cette liberté. » En législation, cette subordination des femmes va quelquefois un peu loin en Angleterre, où l’inégalité des partages dans les successions condamne tant de filles au célibat, et où l’on trouve encore de loin en loin, parmi le peuple, des exemples de ces ventes de femmes, qui semblent protester contre la civilisation chrétienne et l’abolition de l’esclavage.

Si les dames anglaises sont un peu négligées par les hommes, elles doivent, en retour, faire bien moins de frais pour leur plaire ; et sans pousser notre jugement sur elles aussi loin que lord Byron, on peut dire, de l’aveu des Anglais, que leurs femmes ont en général plus de vertus que de grâces. Si la vertu suffisait pour fixerles hommes, à la bonne heure ; mais ces mêmes Anglais qui attachent un sens si doux et si complet au mot home (le foyer, le chez-soi, l’intérieur de la famille, et quelquefois la patrie), ces mêmes Anglais sont le peuple le plus nomade de l’Europe, et le plus tourmenté d’un besoin inquiet de distractions qui les entraîne loin des habitudes domestiques. De là tant d’assemblées d’hommes, de la les clubs.

Arrêtons-nous un moment à la définition de ce mot si exclusivement anglais, que nous l’avons adopté en français sans le traduire. Club signifiait originairement l’écot ou le dividende d’un compte payé en commun. La première assemblée appelée club a dû être une réunion de convives contribuant par portions égales à la dépense d’un banquet. Le docteur S. Johnson n’a vu que cette étymologie lorsqu’il a défini un club une réunion de bons vivans, soumise à des règles particulières. Ce sens restreint ne saurait comprendre le club des silencieux, cité par Addison, dont les membres, exagérant à plaisir la taciturnité anglaise, s’assemblaient pour se regarder en face, et se taire pendant des heures entières. Il faut donc définir simplement le club « une réunion d’hommes, soumise à des règles particulières. » Quel que soit d’ailleurs le lien de cette association, on ytrouve toujours du moins similitude de goûts, communauté d’intérêts ou d’opinions, égalité de fortune ou de caste, etc., etc.

L’institution des clubs remonte au-delà de la première révolution anglaise ; mais jusqu’à la révolution de 1688, c’est-à-dire jusqu’à l’ère des mœurs constitutionnelles, les clubs avaient une concurrence qui n’existe plus guère aujourd’hui : c’était celle des cafés ou maisons à chocolat[1], où il était de bon ton d’aller parler des nouvelles du jour, de la littérature, du théâtre, etc., etc. Quelques-uns de ces cafés étaient déjà des réunions choisies, où l’on n’était pas admis sans un introducteur. Tel fut ce fameux café de Will’, dans la place de Covent-Garden, où Dryden dictait ses oracles sur les auteurs et les acteurs de son temps. Les lecteurs de Walter Scott se rappellent comme le poète des îles de Shetland, Claude Halcro, dans le Pirate, fait sonner haut sa présentation à Dryden, dans ce café littéraire, qui devait avoir quelque analogie avec l’ancien café Procope, à Paris. Les politiques se réunissaient au café de Saint-James, d’où sont datés les premiers numéros du Tatler d’Addison. Les clubs devaient être alors des sociétés intimes, quelques-unes même tout-à-fait secrètes, comme par exemple, le club des Têtes de veau, réunion des anciens partisans du régicide ; qui, dans leur repas annuel du 31 janvier, se faisait servir une tête de veau, allusion cruellement ironique à la tête de Charles Ier.

Lorsque le temps eut converti les guerres des factions en polémique de tribune, chaque parti se divisa en clubs, où les Whigs et les Torys, succédant aux Têtes-rondes et aux Cavaliers des discordes civiles, préludaient autour d’une table aux luttes de la chapelle Saint-Étienne, et préparaient le pamphlet qui devait remuer ou éclairer la nation. Dryden, dans une de ses préfaces, appelle Société du Diable le club de King’s head, dont les membres portaient à leurs chapeaux un ruban vert, tandis que les Torys se distinguaient alors par un ruban rouge. Depuis l’expulsion des Stuarts, les jacobites se consolaient dans leurs clubs en buvant à la santé du Roi… mais en plaçant leur verre derrière une carafe, ce qui plaçait ainsi le Roi de l’autre côté de l’eau. Les principaux partisans de la maison de Hanovre s’assemblaient de leur côté à ce club de Kit-Cat, auquel il est fait tant de fois allusion dans les romans et les pièces de théâtre. Là se rassemblaient Marlborough, Godolphin, Wharton, Newcastle, etc., etc., parmi les hommes titrés ; Steele, Addisson, Congreve, Kneller, etc., parmi les littérateurs et les artistes. C’était le cuisinier du club (Christophe Cat) qui lui avait donné son nom : le riche libraire Tonson en devint plus tard l’Amphitryon régulier à sa villa de Barlns-Elms. Ce club whigissime, comme Swift le surnomme, n’exerçait pas seulement sur la ville une influence politique : son ascendant domina la littéraire du temps ; bien plus, il décidait du rang des beautés à la mode, en faisant graver sur les verres de ses libations, le nom et l’éloge rimé de celles qui recevaient l’hommage du toast. Il y a six ans que la mémoire du club de Kit-Cat a été comme rajeunie par la publication d’un superbe ouvrage qui contient la biographie de ses principaux membres accompagnée de leurs portraits gravés avec tout le luxe de la calcographie anglaise.

L’importance des clubs dans le dix-huitième siècle nous est révélée par quelques-uns des plus ingénieux chapitres du Spectateur. Addisson y a tracé en quelque sorte le beau idéal de ces sociétés essentiellement anglaises. Le Club du Spectateur est un cadre dramatique dans lequel il a personnifié toutes les nuances du caractère national. On ne trouve que dans Fielding, Richardson et Walter Scott des portraits comparables à celui du bon sir Roger, type de ces Squires anglais dont le Wertern de Tom Jones est une variété si comique. Sir Andrew Freeport représente le marchand, le capitaine Sentry, le militaire, et Will Honeycombe le Beau ou Dandy de l’époque. Addisson nous peint encore certains clubs excentriques, celui des hommes-gras qui venaient s’admirer entre eux, et qui n’admettaient que les candidats pour qui la porte ordinaire n’était pas assez large, celui des Duellistes, qui finirent, je crois, par périr tous en champ clos ou à la potence, etc., etc.

Peu à peu les vrais clubs devinrent, comme ces clubs fictifs, des associations non exclusivement politiques, où chacun venait se livrer à toute la liberté de sa manière d’être, loin de la gêne des salons. La tradition du Club littéraire d’Essex-head, que fonda le peintre Reynolds, a été conservée par un poème satirique de Goldsmith, qui, pour se venger d’une de ces mystifications auxquelles l’exposait sa bonhomie digne de notre fablier La Fontaine, s’amusa sous le titre de représailles, à composer les épitaphes épigrammatiques de Samuel Johnson, de Burke, de Reynolds, de Fox, etc. Tous ces amis d’humeur différente étaient sous le charme des entretiens de Burke. Sa théorie de la conversation prouverait que ce grand orateur savait, ce qui est rare en Angleterre, distinguer la discussion de la causerie. « Le secret de la conversation » disait-il dans son style métaphorique « n’est pas de jouer une sonate régulière, mais de s’abandonner à l’inspiration d’un mot imprévu, comme la harpe éolienne attend le souffle de la brise. »

Les noms de Burke et de Fox nous conduisent à la mention du club plus moderne de Brookes, où vit encore le souvenir des bons mots et des saillies de Sheridan. Ce club très-nombreux est presque exclusivement aristocratique : comme dans tous les autres on y est admis par les votes d’un scrutin secret ; le vote d’admission est exprimé par une boule blanche, et le vote de rejet par une boule noire. Une seule boule noire suffit pour repousser le candidat proposé. Quand le roi actuel n’étant que prince de Galles, désira faire partie de Brookes-club pour se rapprocher de Fox, son compagnon de plaisir alors que le prince était de l’opposition, une exception unique dans les fastes du club le dispensa de la cérémonie du balotage. Plus tard Fox voulut y introduire son ami Sheridan, qui avait beaucoup d’esprit sans doute, mais pas assez pour faire oublier sa naissance à un membre inconnu dont la boule noire protestait à chaque scrutin contre son admission. On ne tarda pas a découvrir que ce fier opposant était le vieux Georges Selwyn, dont l’origine remontait au-delà de la conquête, et qui eût volontiers rendu l’entrée au club de Brookes aussi difficile que celle de certains chapitres de chanoines d’Allemagne, dans lesquels on exige au moins seize quartiers de noblesse. Il fallut user de ruse pour l’éloigner de la salle de réception : le prince de Galles lui-même le fit demander dans le vestibule, où il trouva Son Altesse Royale avec Shéridan. Celui-ci racontait une histoire qu’il recommença poliment à l’approche de M. Selwyn, et qu’il eut le talent de faire durer pendant une demi-heure sans la conclure, tandis qu’on votait son admission : un laquais parut à la porte, et avertit par un signe convenu l’éloquent narrateur que l’on n’attendait plus que lui pour inscrire le résultat du ballotage. Sheridan s’interrompt tout à coup, et prie le prince de continuer le récit à leur ami M. Selwyn ; mais Son Altesse Royale qui n’avait pas l’imagination féconde de Sheridan ne put se tirer du dénouement de l’histoire, et s’écria bientôt impatienté : « Au diable ce Sherry qui me fait la vous raconter une aventure dont je sais tout juste ce qu’il vient de nous en dire ; mais venez, Selwyn, allons retrouver Fox qui nous la finira. » Ils entrèrent dans le salon du club, et ce fut Sheridan qui alla au devant de M. Selwyn en lui demandant pardon de s’en être remis pour la fin de son récit à Son Altesse Royale qu’il voyait bien n’avoir pas été en état de le continuer : « mais que voulez-vous M. Selwyn ? j’ai été retenu par ces messieurs, qui viennent de m’élire votre confrère à l’unanimité : je vais ici même vous achever mon conte qui est vraiment curieux. » M. Selwyn bouda le reste du jour, et finit par rire comme les autres.

Sheridan paya exactement la première année de son écot de souscription, qui était de vingt guinées ; mais, les années suivantes, le club fut bien forcé de lui faire crédit : car on sait que le rival de Pitt et de Fox mourut perdu de dettes, au point que la dernière ressource de ses créanciers fut de faire saisir son cercueil, pour se venger peut-être de cette épigramme qu’il avait faite au club de

Brookes, contre la contrainte par corps :

ON EMPRISONMENT FOR DEBT.

Of old, to debtors that insolvent died,
Egypt the rights of sepulture denied ;
A different trade enlighten’d Christians drive
And charitably bury them alive.

En voici la traduction à peu près littérale :

Jadis au débiteur qui mourait insolvable
L’Égypte refusait le droit d’enterrement.
L’usage des chrétiens est bien plus charitable,
Puisqu’ils font enterrer leur débiteur vivant.


Ce club de Brookes, qui s’assemblait originairement à Almack’s, occupe aujourd’hui un des hôtels de la rue Saint-James : et en face est situé le club de White, où se rendent les ministériels : on tient dans les deux réunions un registre des paris qui s’y sont faits : quelques-uns sont assez curieux, et ce sont quelquefois des épigrammes contre les membres du club opposé : mais ces deux camps ennemis, si près l’un de l’autre, deviennent de plus en plus pacifiques.

Lorsqu’en 1790 les clubs de la France furent organisés en foyers révolutionnaires, leurs paroles trouvèrent des échos dans les clubs de la Grande-Bretagne, possédés tout à coup du démon aristocratique. Les Jacobins, les Cordeliers, les Feuillans avaient d’actifs correspondans dans la patrie de Fox ; mais les excès de nos sociétés populaires fournirent bientôt des armes à Pitt et contre la France et contre cette opposition qui avait d’abord fraternisé avec elles. Les clubs français cessèrent d’exister avec la révolution ; et les clubs anglais sont redevenus des rendez-vous d’amis qui discourent avec plus de calme, même sur les intérêts de leur parti politique. C’est le soir, après la séance du parlement, que les Anglais vont dans ces réunions, souper, jouer, boire et causer chasse, chevaux, plaisirs, affaires, etc.

Les annales des clubs nous fourniraient une riche moisson d’anecdotes biographiques, politiques et littéraires, propres à faire connaître les mœurs anglaises. Deux volumes anglais ont été récemment publiés sur ce sujet. On y trouve, au milieu de beaucoup de digressions inutiles, l’histoire du club des Beef-steaks, que l’auteur, qui en est membre, proclame le club par excellence. C’est là, nous dit-il, que tout est anglais, le cœur, le caractère, l’humour, et nous pouvons ajouter, je pense, l’appétit ! Cette société a sa généalogie, ses titres et son blason. Elle conserve, encadré, le gril sur lequel fut préparé, en 1735, son premier beef-steak ; précieux emblême que tous les yeux regardent avec l’orgueil qu’inspirerait une vieille bannière féodale conquise dans les combats ; noble image gravée sur les boutons de métal, comme dans le cœur de tous les membres, avec la devise sacramentelle : beef and liberty, « le bœuf et la liberté ! »

Henry Rich fut le fondateur du club des Beef-steaks. C’était un mime fameux, qui eut aussi la gloire de naturaliser Arlequin sur le théâtre de Londres.

Le porter et le punch sont les seules liqueurs dont les membres du club des Beef-steaks puissent arroser ce mets national, aussi cher aux Anglais que leur glorieuse constitution, et auquel ils attribuent tant d’influence sur leur tempérament. Garrick, un des premiers élus de cette société, y oublia une fois, parmi ses joyeux confrères, qu’il jouait le soir à Covent-Garden, et faillit faire manquer le spectacle ; mais, inspiré par le repas même qui lui avait fait perdre la mémoire, il fit sa paix avec le directeur dans l’embarras, par un calembourg, malheureusement intraduisable en français. La théorie culinaire du beef-steak est au nombre des traditions de ce club, dont le président (chairman), choisi parmi ceux dont la digestion est la plus facile, porte à sa boutonnière un ruban orange avec une médaille en forme de gril. Les membres de ce club, justifiant la définition de Samuel Johnson, se montrent surtout jaloux de passer pour de bons vivans. Le roi actuel est du club des Beef-steaks.

Ce culte du beef-steak ne saurait étonner chez un peuplé qui aime à se personnifier sous le nom de John Bull (Jean Taureau), et qui respecte religieusement le titre de noblesse donné par un de ses rois à l’aloyau. Ce fut, je crois, Charles II qui trouva un jour que cette partie du bœuf était chose si délicieuse, qu’il lui conféra les honneurs de la chevalerie. Depuis ce temps l’aloyau s’appelle sir-loin ; et les deux longes du bœuf réunies forment un baron (a baron of beef).

Pour peu qu’on ait entendu parler de la Grande-Bretagne et de ses mœurs, pour peu qu’on connaisse ses poètes et ses romanciers, dont le style s’enrichit d’allusions continuelles à la chasse, aux chevaux, aux chiens, au pugilat, on n’ignore pas qu’un des mots les plus significatifs de la langue anglaise est celui de fancy, qui désigne à la fois tous les divertissemens favoris des Trois-Royaumes. Ce mot doit suffire pour rappeler à celui qui n’a jamais traversé la Manche ces fraîches aquarelles, ces vivantes gravures au burin, ces planches coloriées, de Fielding, de Newton, de Landseer, de Reinagle, de Warrien, d’Alken et de Cruickshank, etc., qu’on a admirées au moins une fois sur la table d’un salon aristocratique ou dans les cartons d’un marchand d’estampes ; amusante galerie où nous retrouvons tout ce monde de chasseurs, de boxeurs, de chevaux, de meutes, de gibiers, etc., etc., qui semble n’appartenir qu’à l’Angleterre. On se doute bien que dans un tel pays, non loin du club des Beef-steaks, doit se trouver le club non moins national des jockeys ou amateurs de courses, celui des four-in-hand ou cochers fashionables, et le dafy-club, qui réunit à la fois les amateurs des chevaux, de la chasse, des combats de coqs, de la pêche, etc., etc. Ces clubs sont même plus intéressans pour les Anglais que les clubs de l’Université, rendez-vous des élèves d’Oxford et de Cambridge, ou que le united-service clubs, réunion d’officiers de marine et d’officiers de terre. Le Dafy-Club, qui se rassemble à la Taverne-du-château, reçoit son nom de l’eau-de-vie de genièvre (dafy) qu’on y boit de préférence. C’est là que vous apprendriez la généalogie et les mérites personnels de Godolphin l’arabe, fameux coursier de lord Godolphin ; l’histoire des exploits de l’Éclipse et de Shakspeare, illustres dans les annales de Newmarket ; de Jupiter, du roi Hérode et de tant d’autres quadrupèdes, qui, à défaut d’un Pindare pour les chanter, ont eu un Gilpin, un Reinagle et un Clennel pour les peindre.

Le club des four-in-hand réunit les amateurs les plus habiles à conduire un carrosse à quatre chevaux sans postillon. Les membres, au nombre de douze, ont deux costumes particuliers qui les distinguent ; le costume d’intérieur : frac bleu à boutons jaunes ; le costume de cocher : grande redingote blanche et autres détails qui exigeraient le talent graphique d’un Walter Scott. Mais tous ces détails de costumes seront habilement reproduits en France par le crayon spirituel de deux artistes qui vont publier une sorte de panorama de la Grande-Bretagne, sous la forme d’un voyage pittoresque ; nous voulons parler de MM. E. Lami et Henri Monnier.

Nous ne dirons rien ici des clubs littéraires modernes. L’auteur que nous citions tout à l’heure se prononce contre ces sociétés, comme usurpant à tort le titre de clubs. Ce sont, dit-il, de vraies coteries de pédans, trop occupés de tirer parti de leur esprit commercialement, pour n’en pas être avares dans la conversation. Les vrais clubs, ajoute-t-il, sont ceux où toutes les professions peuvent être représentées par l’élite de leurs adeptes.

Nous ne terminerons pas cette esquisse sur les clubs de Londres sans mentionner le club des voyageurs, dans Pall-Mall, où l’on trouve une bibliothèque, un choix de journaux, du thé, des rafraîchissemens de toute espèce, et, sauf la conversation, le moyen de passer confortablement quelques heures chaque soir.

Amédée Pichot.
  1. Cofee-Houses et Chocolate-Houses. Le premier café fut fondé en 1651, par un Grec, qu’un négociant du Levant avait amené à Londres.