Des femmes qui font refondre leurs maris
THIBAULT
COLLART
JENNETTE
PERNETTE
ET LE FONDEUR
commence.
Hau, Jennette !
Que voulez-vous ?
Sus, aydez-moy à ma requeste.
Approchez-vous, mon fin cueur doulx.
Hau, Jennette !
Que voulez-vous ?
J’ay une si horrible toux.
Qu’elle me rompt toute la teste.
Hau, Jennette !
Que voulez-vous ?
Sus, aidez-moi à ma requeste.
Je veulx me faire ung peu honneste.
Boutez-moy ma robbe a point (1).
Et ne suis-je pas bien en point
D’estre femme d’ung tel vieillard, ’
Qui ne vault nom plus que vieil lart.
Mauldictz soient l’heure et le jour
Que oncques (je) le vis.
Ha dea, m’amour.,
Qne dictes-vous ? que je l’entende t
Affin que remede vous rende
A vostre propos convenable.
Laissez-mol. en paix, (de) par le diable ;
On n’aura jà bien avec vous.
Qu’estranglé soit cestuy des loups
Qui nous mist une foys ensemble. •
Vous vous courroucez, ce me semble,
A tort, sans cause et sans•raison.
N’avons-nous pas belle maison,
Terres, prés, vignes à (grand) foison,
Tant qu’entour nous n’y a voysin
Qui en ait plus souffisamment.
Louer en debvous l’omnipotent.
(1) Texte : à point ma robbe.
Il ne tient pas là.
N’avez-vous pas vos vestemens,
Et plusieurs beaulx habillemens,
Et aussi vos beaulx tissus ?
Il ne tient pas là.
Ne tiens-je pas, ma debonnaire,
Tous les jours bon ordinaire ?
Biens ne nous failliront en piece,
Ça, dieu mercy.
n ne tient pas là.
Je ne vous fais point de riotte ;
Je ne vous touche ne courrouce ;
Car oncques homme mieulx n’ayma
Sa femme que moy, (ce) m’est advis.
Il ne tient pas là.
N’allez-vous pas danser aux festes
Avec d’autres femmes honnestes ?
Festoyer de çà et de là,
Où il vous plaist ? •
Il ne tient pas là.
Par ma foy, vous n’y estes mye.A quoy tient-il doncques, m’amye ?
Je vous requiers que je le saiche.
Je suis un peu pesant et lasche
Pour faire l’amoureulx desduict.
Je ne sçay si cela vous nuict.
Voulez-vous pas habille estre
En tel cas ?
Il (se) pourroit bien estre.
Et pourquoy ?
Nature le donne.
Ha, m’amye, qui ne peult ne peult ;
Vous debvez prendre pacience.
Celluy mestier n’est pas science
Pous recouvrer de bien en mieulx ; •
Car, quant l’homme devient plus vieulx,
Il devient plus lasche à ouvrer :
Il n’est si vaillant laboureur
Qui ne s ’ennuy de labourer.
Je ne cesseray nuyct ne jour
De muser ne d’estudier •
S’on y pourroit remédier ;
Car il me touche de trop près.
Où allez-vous ?
(I)cy a(u)près
Je reviendray en bien peu d’heure.
COLLART.
Dieu.. que ceste femme demeure !
Elle ne faict que babiller
Çà et là : c’est pour forcener,
Par quoy j’ay tous jours besoing d’elle.
Ho !Qu’esse qui m’appelle ?
COLLART.
C’est moy mesme. Dont venez-vous ?
J’estoys allée querir des chous •
En nostre courtil pour disner.
COLLART.
Dame, on ne peut de vous finer (1)
Fors quant il vous plaist.-
En faut-il faire tant —de plaist ?
Je n’estoyes pas en maulvais lieu.
COLLART.
Je ne le ditz pas, de par Dieu ;
Mais vons savez que je ne puis
Rien employer si je ne suis
Secouru de vous ; c’est raison
Que servy soyes en ma maison
De vous mieulx que d’une estrangièrè.
(1) Texte : finer de voua.
68 FARCE
{{Personnage|PERN ETTE.|c}}
Le dyable ayt part en là manière.
Tousjours ii ne faict que grongner :
Tous ours ne cesse de tousser,
Bel despesche soit du vieillard !
COLLART.
Dea, m ’amye, Dieu y ayt part. •
Vous vous courroucez, ce me semble ;
Dieu nous a-il pas mis ensemble
Par juste et loyal mariage ?
Et, se je ne suis q’ung folastre
Et vous en la fleur de jeunesse,
Me debvez-vous montrer rudesse
Et reproucher mes accidens ?
Quant vous veinstes icy dedans,
Je n’euz de vous, pour tout potaige,
Que vingt livres en mariage ;
J’en eusse trouvé largement
Qui en eussent plus eu de (dix) cent.
On doibt trestout considerer ;
On n’en peult fors que mieulx valloir.
Je veulx bien mettre à nonchaloir
V oz accidens ; n’en doubtez point ;
Mais il y a ung aultre point
Qui me faict mourir de destresse.
COLLART.
Et quoy, ma très belle maistresse ?
Dea, si vous avez maladie
Ou quelque douleur, qu’on le dye ;
Car ung medecin bel et bon
DES FEMMES. 69
Manderay querir.
Nenny, non.
COLLART.
Y a il nul en voysinage
Qui vous a faict ou dict oultraige ?
J’en feray la pugnission
Tant qu’il souffira.
Nenny, non.
COLLART.
Et avez-vous faulte de rien ?
De boire ou menger ? je scay hien
Qu(e) on ne vous dist jamais non
De chose (qui soit) ceans.
Nenny, non.
COLLA.RT.
Avez-vous faulte aucunement
De quelque bel habillement
Ou de tissus, de la façon
Qu’on porte à present (1) ?
Nenny, non.
COLLART.
Vous ay-je jamais menassée,
Bastue, ferue ou frappée,
Ne dire pis que vostre nom,
Quoy que vous fissiez.
(1) Texte : Qu’on les porte pour le present.
70 FARCE
{{Personnage|PERN ETTE.|c}}
Nenny, non.
COLLART.
Dea, si vous avez sus le cœur
Melencolye ou rancueur (1),
Dictes le moy ; je y purvoyray.
Certes non feray.
COLLART.
Non ferez ?
Ce sont donc(ques) merveilleux labours.
Esse point donc(ques) du jeu d’amours,.
Ou que faistes journées petites.
Vous le dictes.
Ce n’est pas moy qui vous accuse.
COLLART.
Qui faict ce qu’il peult (, il) est excuse.
Car il convient qu’on se repose,
Quant on ne peult faire aultre chose. •
Prenez le temps paciemment
Ainsi qu’il vient.
C’est maulgré moy,
Il m’en desplaist quant à ma part.
COLLART.
Vous avez bon temps d’aultre part.
De celluy mestier ne vous chaille.
Il n’y a bon temps qui rien vaille
(l) Texte : rancune.
DES FEMMES. 71
Ne de quoy donnasse ung haston.
COLLART.
N’y pensez plus.
Il m’est bien force.
Je ne m(e) en sçauroy tenir.
COLLART.
Femme de hien doiht maintenir
Chasteté ; la vertu est belle.
Soyt belle ou layde, j’en appelle ;
Car j’ay le cueur en la besongne.
Je m’en voys filler ma quenoille,
Passer le temps sus ma commère.
COLLART.
Or allez ; (et) se mon compère
Veult venir souper avec nous,
Si l’amenez avec(ques) vous,
Et nous ferons très bonne chère.
LE FONDEUR DE CLOCHES.
Ho, chaulderons vieilz, chauderons vieilz. !
Or ça, ça, qui ne sçait manière
Trouver aujourd’huy de gaigner,
Et d’amasser et d’espargner,
Il est tenu pour une beste.
J’ay science belle et honneste
Et prouffitable en plusieurs lieux.
Or escoutez, jeunes et vieulx,
Et entendez bien ma parolle.
Saichez que je viens d’une escolle
Où j’ay aprins mainte(s) science(s),
72 FARCE
Dont en verrons l’experience
En ce pays, par mons, par vaulx,
Car j(e sç)ay de divers metaulx,
Comme d’or, d’argent ou d’acier,
Fondre cloche, s’il est mestier
Pour trouver maniere de vivre.
De fer, de layton et de cuivre,
Sçay faire de divers ouvrages,
Comme chaudières, poilles pour menaiges,
En la maison et residence.
Mais sur tous j’ay une science
Propice au pays où nous sommes ;
Je sçay bien refondre les hommes
Et affiner selon le temps ;
Car uog vieillard de quarante ans
Sçay retourner et mettre en aage
De vingt ans, hahille et saige,
Bien besongnant du bas mestier.
S’il y a nul qui ait mestier
De moy, ceans me trouvera.
Ho, ma commère.
Qui esse là ?
Et ce suis-je ma cher(e) tenue..
Vous soyez la très bien venue,
Ma commère ; quel vent vous maine ?
Ne comment avez prins la peine • \
De icy venir, par vostre foy ?
DES FEMMES. 73
Je vous diroye je ne sçay quoy,
Moult voulentiers ; mais c’est secret ;
Me firay-je en vous ?
• Dieu le sça it.
Mais qu’esse (1) donc, belle commère ? •
J’ay une douleur si amère
Au cueur que j’en suis au mourir.
Ne vous pourroit-on secourir ?
On doibt tout dire à ses amys
Et à ses amyes aussi.
Je n’ose dire.
Et qu’i a-il ?
De mon mary, qui est si vieil
Que ne me faict ne froit ne chault (2).
De faire cela ?
Ne luy chault ;
Car sa vigueur est amortie.
Tout en ce point suis-je assortie ;.
Plus malheureuse ne fust oncque.
(1) Texte : qui.
(2) Tex\e : ne cbault ne froict.
74 FARCE
N’en fait-il nul semblant ?
J ENNETTE.
Quelconque.
Foy que doys à Dieu, ils ont (grant) tort.
Sistost qu’ilz sont couchés, il dort
Depuis le soir.
Jusque(s) au matin
Com(me) pourceaulx, par ma conscience.
C’est mal pensé de la besongne.
En vieillart matin (sic).
J’entens bien que vous voulez dire
Quel remède ?
A nostre matière ?
Par mon âme, (je) ne say que dire.
Il est arrivé de nouveau
Ung mesgnen d’estrange pays,
Qui faict les gens tous esbahys
De la grant science qu’il sçayt,
Et tout le monde l’entent jà.
Que sçait-il faire ?.
Quoy ? refondre
Les hommes qui ont trop vescu.
DES FEMMES. 75
{{Personnage|P ERNETTE.|c}}
Par la Croix bieu, fay ung escu
Que je mettray à l’adventure.
Comment ! il fault qu’on s’aventure ;
Car telz qu’ilz sont, vous sçavez hien,
Qu’ilz ne nous vauldront jamais rien.
Je y empl(o)iray deux ducatz.
Il fault premier parler du cas,
A eulx pour sçavoir qu’ilz diront.
Vonlentiers y consentiront,
Mais qu’on les saiche ung peu flater.
Or vous allez doncques haster ;
Je m’en voys convertir Je mien.
COLLART.
Mais dont venez-vous ?.
Dont je vien ?
De proposer ung nouveau art.
Car, par ma foy, mon hel Collart,
Nous sommes sus une praticque
Très merveilleuse et ententicque, •
Mais que y voulliez_entendre.
COLLART.
Qu’e sse ?
Nous voulons entreprendre
76 FARCE
De vous getter hors de vieillesse,
Et de retourner en jeunesse.
Jusques en l’aage de vingt ans.
COLLART.
Je croy qu’on y perdra son temps
Et l’argent qu’on y despendroit.
Et, par mon serment, non feroit ;
Le maistre est logé en la ville
Qui en a jà refondu (dix) mille,
Et retournent beaulx et plaisans.
COLLART.
S’il me debvoit couster cent frans,
Je vouldroye qu’il fut desjà faict.
Allons-y.
Bon besoing en avez,
Dieu mercy, car vous en avez
Quarante plus que moy.
Thibault, vous ne sçavez ?
Et quoy ?
Vous estes fort cassé et vieulx,
Il me semble qu’il vauldroit mieulx
Qu’on eust trouvé certain remede
De vous renouveller. Je vous (en) prie.
Mais comment ce pourroit-il faire ?
DES FEMMES. 77
{{Personnage|JENN ETTE.|c}}
Très bien, car je sçay le repaire
Où nous devons trouver l’ouvrier.
TBIBAULT.
Il nous faudroit doncques refondre
D’une matière moult alluitée.
Rien, rien, mais de belle fondure ;
Sur tous les aultres c’est le père.
Allons (donc). ’
Thibault, vostre compère,
Se veult mettre avec(ques) vous.
Hé Dieu, qu’il en a bien besoing,
Il a bien vingt ans plus que moy.
Il a beaucoup de temps ;,
En brief parler, il s ’i doibt mettre.
Compère, allons veoir ce maistre.
Que vous semble de ceste affaire ?
Que sçay-je ? s’il se pourroit faire,
Oncq ? es Sl hien ne nous ~d~nt ;
De souante ans tourner a vmgt,
Ce seroit ung souverain hien.
Allons vers luy.
COLLART.
Je le veulx bien,
78 FARCE
Et voyons un pe~ lafasson.
Il refondit hier un roàsson
De quarante ans ou de bien près ;
Mais il le fist si jeune et frais
Que ses amis s’en sont seignez.
Dieu vous garde, maistre (fondeur) !
Vous soyez (le) bien venu, Seigneur.
Que voulez-vous dire de hon ?
COLLART.
Estes-vous fourny de charbon
Et de vouge à l’avantaige ;
Nous voulons retourner en l’aage,
De vingt ans, s’il se peult bien faire.
Il est fort à faire.
Nous vous voulons bien satisfaire,
Nostre maistre, car il nous touche.
Il n’est si vieil, soit hor~e ou louche,
Que (je) ne face jeune a mon aise.
Par la vertu de ma fournaise ;
Ne s ’i mette qui ne vouldra.
Or ça, combien nous coustera ?
Et vous ferez bien la besongne.
D.ES FEMMES. 79
Chascun cent cscus.
COLLART.
C’est vergongne
De demander (à cbascun) si grosse somme.
Cinquante escus pour (chascun) homme (1),
Ou je n’y mettray jà la main.
N, attendez pas jusqu’à demain,
Pour somme d’argent qu’il nous couste.
Nous sommes contens.
En bonne heure.
Mais il me fault premierement
Sçavoir le pourquoy et comment
Vos femmes y consentent,
Affin que, s’elles se repentent,
Qu’elles ne m’en demand(ass)ent rien
Je croy qu’il vauldroit mieulx garder
Voz marys en 1’aage qu’ilz sont.
Ha, rien, rien.
Que vous coustent-ils de costé vous,
Vieil, chanu, la barbe florye ?
Vous demandez grande folye.
Vous les menez et pourmenez ;
Par vous sont du tout gouvernez ;
(1) Texte : pour l’homme.
80 FARCE
Vous estes dames et maistresses ;
Quant vous voulez faire largesses,
Leurs biens ne vous sont deffandus.
Pour Dieu, qu’ilz soyent reffondus
Pour les affiner ung petit.
Je les feray à vostre appétit ;
Mais ils me semblent bien ainsi.
D’où estes-vous ?
Nous sommes de la ville de devant nous ;
Tous deulx sommes nez et nourris
De la ville.
Et comment ne par quel raison
Les voulez-vous cy affiner ?,
Par bien, on ne sçauroit trouver
De plus fins d’icy (à) Vaulgirart.
Le capitaine Jean Peullart
N’en sçauroit finer de plus fins.
Saincte Marie, si feroit.
Quelle simplesse !
Je ne sçay à quoy vous tirez ;
Mais vous (vous) en repentirez,
Avant qu’il soit jamès ung moys.
Ne vous en chaille.
DES FEMMES. 81
Je m’en rapporte bien à vous.
COLLART.
Sus, sus, maistre, despeschez-vous,
Car nous y vouldrions dejà estre.
Refondez les tost, nostre maistre,
Et vienne qu’en penit advenir.
Jamais n’en pourroit mal venir.
C’est maulgré mes dentz.
Sns, de par Dieu, entrez dedans,
A celle fin qu’à moy ne tienne ;
Mais le cueur ne me le dit pas.
Maistre, besongnez par compas, •
Que nous n’y soyons confondus.
Par bien, vous serez refondus,
Vieillars radocteurs que vous estes.
Or faictes à Dieu vostre requeste
Que je les vous rendes jeunes et saiges ;
Car, ainsi comme ilz changent d’aage,
Ilz changeront de condition.
C’est tout ce que nous demandon,
Affin qu’ilz changent leurs manières.
T. 1. 6
82 FARCE
{{Personnage|LE FON DEUR.|c}}
Et s’il y avoit tant de matières,
En les fondant d’un cueur joyeulx,
Que pour ung homme en viennent deux,
Quant 1’ouvraige dehors sera (1),
Que dictes-vous ?
Tant mieulx vauldra ;
Mais qu’ilz soyent bons laboureurs.
L’ung sera pour les jours ouvriers,
Et l’aultre pour les bonnes festes.
Puisque de si grand vouloir estes,
Affin qu’ils soyent plus fort rouges,
Il vous fauldroit mener les vouges
Et souffler à toute puissance.
Très voulentiers.
De ma naissance
Ne trouvay femmes si hastives ;
Se sont les plus superlatives
Que soyent d’icy à Senlis.
Comment se portent noz marys ?
Maistre, pensé(s) de nous respondre.
Ilz commencent très fort à fondre ;
Je ne sçay quelle fin ilz feront.
(1) Texte : sera dehors.
DES FEMMES. 83
JENNETTE,
Je cuide que (fort) s’eschaufferont,
Tant souffleray par cy endroit.
Le mien estoit tous jours si froit
Qui n’y a voit chaleur quelconques.
Se fondent-ilz, maistre ?
Quoy doncques ?
Vostre fonderie fort s’approche :
Soufflez, soufflez ; nous aurons cloche,
Car la matière prent très bien.
Par mon âme, j’ay veu le mien,
Ce m’est advis, à mon semblant.
Mais que j’aye ung jeune gallant,
Il ne m’en chault, quoy qu’il me couste.
Avant qu’il soit la Penthecouste,
Elle est hien chaulde et soubdaine ;
Vouldroit avoir fièvre quartaine
Avec le cueur bien marry,
Et elle eust son premier mary.
Mais il ne fault plus sonner mot.
Sus, esse faict ?
Tantost, tantost.
84 FARCE
Ayez ung peu (de) patience,
Et cuidez-vous que la science.
Se publie en si peu d’heure ?
Il y a desjà plus d’une heure
Qu’il(z) sont dedans vostre fournaise.
(Je) sçay bien que fera y à mon ayse
Pour mieulx contregarder le faict.
Se le vostre estoit contrefaict,
Boyteux, bossu, borgne ou louche,
Vous en seriés trop mal contente.
Il est trop cler.
Ung peu attendre ;
Nous ferons bien nostre besongne.
On vous payera en beaulx ducatz ;
Nous mesmes les avons en garde.
Esse faict, (maistre) ?
Regardez icy :
La matière est presque coullée.
Soufflez encore une soufflée
Pour les coulourer à devis.
J’ay bien soufflé, ce m’est advis.
Dieu vueille que le mien soit (tout) fin.
DES FEMMES. 85
Je demande le mien sanguin ;
Je n’ay cure d’un flegmatique.
Et je veulx le mien colloricqne,
Hardy, motif et esveillé.
llz seront trop fins ;
Car, quant ilz sont d’estoffe fine,
Et les refondeurs les affine,
La matière les rent plus a gré (aigre ?).
Tant chascun sera plus alaigre.
Que vault ung homme, si n’est fin ?
On le tient pour ung babouin,
Ung homme simple comme (une) femme.
Il me faisoit estre homme et femme,
Tant estoit à la bonne.foy.
Le mien se rapportoit à moy
De tout quant que je voulloye faire.
Vous trouverez tout le contraire
A ceste heure, se je ne faulx.
Je croy qu’ilz sont de gros metaulx,
Et de matière bien espesse.
llz estoyent durcis en vieillesse,
Qui m’a donné beaucoup de peine.
86 FARCE
Je suis jà à la grosse alaine,
Par mon serment, tant ay soufflé.
Holà, ho, tout est formé.
Ilz ne sont borgnes ne camus.
Chantez Te Deum laudamus.
Voicy voz marys beaulx et gent.
Par mon serment ilz sont jolys ;
Je ne vouldroye pour grant chose
Qu’il fust à faire.
Je supose
Que j’ai hien gaigné mon sallaire.
Mais qu’il ne vous vueille desplaire,
Chascun recongnoisse le sien.
JE.NNETTE.
Je cuide que voici le mien.
Avez-vous point a nom Thibault ?
THBAULT.
Ouy vrayement, hardys et baus,
Qui estoyes dous et courtoys,
Et vous estes ma mesnagière.
Mais il fauldroit changer manière ;
Je veulx gouverner à mon tour.
Mon amy, Dien vous doint bonjour.
Estes-vous point maistre Collart ?
COLLART.
Ou y vrayement franc et gaillart.
DES FEMMES. 87
Qui estoys doulx et courtoys.
Mais plus ne suis comme j’estoy(e)s ;
Je vous gardera y bien de rire.
Helas, commère, qu’esse à dire ?
Mon mary est du tout changé.
Et le mien est si estrangé
Qui m’a jà menassé à battre.
Tenez, maistre, sans rien rabattre,
Voyla cinquante escus comptez
A vostre hon congié,
Nous sommes de vous bien contentés.
COLLART.
Nous vous commanderons à Dieu.
. Ll FONDEUR.
Allez à la garde de Dieu,
Messieurs, et mes jouvencelles (1).
JENNETT E.
Dieu, que noz marys sont rebelles
Devenuz et mal gracieulx.
Le mien est si mal gracieulx,
Que je ne luy ose respondre..
Puis que m’avez voulu refondre
Et changer ma complexion,
Car je seray seigneur et maistre,
(1) Texte : jouvenceaux.
88 FARCE
Or pensez bien de me remettre
Toutes les clefz de la maison.
Non feray.
Dictes-vous• que non ?
Ha, par la mort, si (le) ferez.
Pour Dieu, mercy (je vous requiers).
Compte rendez
Du mien de tout le temps passé,
Et, se vous m’avez cabasse,
Jusque(s) à la valeur d’ung denier,
Vous le comperrez.
COLLART.
V enez, damoyselle, rendre compte :
Car je veulx sçavoir combien monte
Mou ordinaire justement,
Jusque à ung denier.
Et comment ? •
Nous vous avons faict refondre :
Je m’y oppose, quant à moi.
COLLART.
Tais-toy ; je monstreray de quoy,
Voicy vostre opposition..
Qu’esse à dire ?
COLLART.
D’ung gros baston
DES FEMMES. 89
An millieu du dos bien assis.
Esse cela ?
COLLART.
Voyre et hien pis.
Brief, vous passerez par là.
Hau, commère !
Qui esse Jà ?
C’est moy ; (la) malle fortunée.
Et comment ?
(Ha) la malle journée
Quant nous feismes telle entreprise !
Bien follement fusmes mal conseillez,
Dont grandement nous est mescheu.
Commère, qui n’y pourvoyeroit,
Autant nous vauldroit estre à naistre.
Il fault retourner vers le maistre,
Et que tant vers luy fassion
Qu’il trouve manière et façon
De les remettre au premier aage.
90 FARCE
{{Personnage|PERN ETTE.|c}}
J’ay encore ung beau ducat,
Qu il aura, s’il y veult entendre.
Se je debvoyes bien despendre
Tous les plus beaulx tissus que j’aye,
Il fault que sa science essaye,
Et il nous le fault rappeler.
Mais que il y vueille travailler,
Nous luy payerons bien ses peines.
Maistre, nous sommes retournées ;
Payer voulons nostre venue.
Vous soyez les très bien venues.
Qui vous amène par deçà ?
Comment ce porte nostte faict ?
Très mal, (monseigneur, en effect,)
Nous avons le cueur marrys
D’avoir refondu nos marys.
Le mien m’a jà voulu tuer.
Le mien m’a voulu ruer
Ung pot d’estain parmy la teste.
Dea, c’est commencement de feste.
Quant une femme est à son aise,
Elle est de nature maulvaise
DES FEMMES. 91
S’elle ne le peult endurer.
Las, on doibt bien considerer
Qu’entre nous femmes par usaiges
Que nous ne sommes pas si saiges,
Comme(nt) il nous seroit de mestier.
Besoing n’aviez de ce mestier ;
Car vous aviez deux bons preudhommes.
Helas, monseigneur, perdus sommes,
Se n’y estendez vostre grace.
Que voulez-vous que je y face.
Commandez-moy, je suis tout vostre.
Nous voulons largement du nostre
Despendre, et qu’on treuve l’adresse
De les retourner en vieillesse.
Nous n ’eusmes oncques telle joye.
Est-il vray ?
N’en faictes donbte ;
Car tout nous passoit par les mains.
Se vous venez de peu en moins,
Il ne s’en fault pas esbahir ;
Mais je ne vous vueil point mentir.
92 FARCE.
C’est que, ce (vous) donniez cent escus,
Je ne fes refondroye jà plus.
Et aussi sçay bien qu’ilz diroyent
Que jamais n’y consentiroyent ;
Car ce seroit grande follye.
Passez vostre melencolye
Le plus doulcement que pourrez.
Prenez patience et souffrez,
Puisque n’avez voulu rien croyre,
Et tout cela considerez..
Ne pensez plus au temps passé,
Mats à celuy qui est advenir.
Las, que pourrons-nous devenir ;
Oncques n’eusmes douleur si grande.
Autant nous vauldroit estre mortes
Que de languir en tel(le) destresse.
Las nous ne serons plus maistresses.
Dea, bien je me ose vanter ;
Plus n’aurons joye ne lyesses,
Mais douleurs grand(e)s et vehementes.
Dea, ne soyez deplaisantes.
Les hommes ont telle puissanee
Que tous leur rendent obeissance ;
Gouverner doibvent par raison.
Allez chascun en voz mayson,
Et laissez en paix ces mestiers.,
Entre voz aultres mesnagiers
Maintenez-vous en voz esbatz
DES FEMMES. 93
Pour eviter aultres perilz,
Et (bien) vous gardez haut et bas
De refondre voz bons marys.
Cy fine la Farce des Femmes
qui font refondre leurs marys.