Des greffes épidermiques

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ÉCOLE DE MÉDECINE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


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DES


GREFFES ÉPIDERMIQUES


PAR


J.-L. CROS


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THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN VÉTÉRINAIRE


Présentée le 1er juillet 1875


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TOULOUSE
IMPRIMERIE CENTRALE. E. VIGÉ
43, RUE DES BALANCES, 43
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1875



À tous ceux à qui je suis lié par le respect, la reconnaissance ou l’amour. Qu’ils reçoivent ici l’expression de ma profonde gratitude et de mon dévouement.

L. Cros.
ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES


inspecteur général

M. H. BOULEY, O. ❄, membre de l’Institut de France, de
l’Académie de Médecine, etc.
――――
ÉCOLE DE TOULOUSE

directeur

M. LAVOCAT ❄, membre de l’Académie des sciences de
Toulouse, etc.

professeurs :

MM. LAVOCAT ❄, Tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale et maladies parasitaires.
Police sanitaire
Jurisprudence.
Clinique et Consultations.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des Exercices pratiques.
ARLOING, Anatomie générale.
Anatomie descriptive.
Extérieur des animaux domestiques.
Zoologie.
Physiologie.

chefs de service :
 
MM. MAURI, Clinique.
BIDAUD, Physique, Chimie et Pharmacie.
LAULANIÉ Anatomie, Physiologie, Extérieure.
LAUGERON Chirurgie.
JURY D’EXAMEN
――
MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
MAURI, Chefs de Service.
BIDAUD,
LAULANIÉ,
LAUGERON.


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PROGRAMME D’EXAMEN
――
INSTRUCTION MINISTÉRIELLE
12 octobre 1866.
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THÉORIE Épreuves
écrites
Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
Pathologie médicale spéciale ;
Pathologie générale ;
Pathologie chirurgicale ;
Maréchalerie, Chirurgie ;
Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
Police sanitaire et Jurisprudence ;
Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
Opérations chirurgicales et Ferrure ;
Examen clinique d’un animal malade ;
Examen extérieur de l’animal en vente ;
Analyses chimiques ;
Pharmacie pratique ;
Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.


INTRODUCTION




Parmi les questions qui dans ces derniers temps ont intéressé le plus le monde médical, la greffe épidermique occupe, par son importance, une des premières places. Depuis’1869, époque à laquelle Reverdin présenta à la Société centrale de médecine, une plaie traitée par ce procédé, un grand nombre d’expériences se sont succédé, et la plupart, favorables à la greffe, ont fini par attirer l’attention des praticiens. Aujourd’hui, l’action de la greffe sur les plaies n’est guère plus contestée ; et, malgré l’opposition de quelques auteurs inflexibles pour tout ce qui est nouveau, elle a fini par entrer dans le domaine de la chirurgie humaine.

La chirurgie vétérinaire n’a presque pas encore songé à utiliser cette opération. Quelques expériences entreprises pourtant à ce sujet, par M. Promary, vétérinaire militaire, semblent être favorables à la pratique de la greffe sur le cheval. M’aidant des connaissances qui me seront fournies par la médecine humaine, je tâcherai de faire ressortir les avantages qu’on peut retirer de ce procédé opératoire dans le traitement des plaies de nos animaux domestiques.

Après avoir résumé l’historique de la question, j’étudierai, dans une première partie (partie chirurgicale) la greffe au point de vue de sa constitution anatomique, de son volume et de son siége, ainsi que le manuel opératoire de l’opération ; dans la seconde partie (partie physiologique), je passerai successivement en revue comment s’opère l’adhérence de la greffe et comment se développe l’épiderme autour d’elle ; enfin, dans la troisième partie (partie clinique), j’étudierai les signes extérieurs qui indiquent au praticien que l’adhérence est établie, le mode d’extension de l’îlot ; enfin, les conditions nécessaires au succès, l’influence sur la cicatrice et les indications.

Sans doute, beaucoup d’idées émises dans ce travail seront considérées comme des utopies ; qu’il me soit permis de passer sur la fausseté de ce jugement, dicté le plus souvent par un empirisme grossier et incapable de bénéficier des ressources que lui offrent chaque jour les progrès incessants de la médecine.

L. Cros.


HISTORIQUE




La greffe épidermique est une création chirurgicale de notre époque. Elle ne date en effet que de 1869, époque à laquelle Reverdin, alors interne à l’hôpital Necker, présenta à la Société de médecine de Paris un sujet sur lequel l’opération de la greffe épidermique avait parfaitement réussi. Cependant, si on se base sur les connexions intimes qui existent entre cette greffe cellulaire et la grande greffe animale, on peut faire remonter l’histoire de la greffe à une époque fort reculée.

L’Inde paraît être le pays où la greffe animale aurait pris naissance. De temps immémorial, au rapport de Wilfort, les prêtres indiens possédaient le secret de réparer certaines parties du corps (nez, oreilles) au, moyen de lambeaux de peau pris au front. Ce secret, on le comprend, était caché par eux, et ils s’en servaient comme d’un précieux instrument d’influence ; aussi cette pratique ne se répandit-elle pas en Occident, avec tant d’autres coutumes indiennes.

La pratique de cette opération n’est pas pourtant restée inconnue en Europe, dans les temps anciens. Celse et Galien la connaissaient et appliquaient à la réparation du nez et du prépuce, les principes fondamentaux de ce qu’on a appelé de nos jours la méthode française. Quoique connue à cette époque, la greffe animale ne faisait pas partie du domaine de la chirurgie. Ce n’est que vers le xve siècle qu’elle commença à devenir opération usuelle et qu’on la pratiqua par des procédés réellement efficaces.

C’est en Sicile, en Italie, où l’on coupait à quantité de gens le nez, sous différents prétextes, que prit naissance, et probablement sans aucune communication avec l’Inde, l’art de la rhinoplastie ; c’était la rhinoplastie brachiale, encore appelée de nos jours méthode italienne. C’est alors que se distinguèrent, dans la pratique de cette opération, quelques chirurgiens italiens, tels que : Branca, Bojano, Pavone, Mongistor, etc… C’est alors encore que Gaspard Tagliacozzo écrivit son livre sur les diverses manières d’opérer, et que, par le grand nombre d’opérations qu’il pratiqua, mérita d’être considéré comme l’inventeur de la méthode. Aussi les Bolonais lui élevèrent dans leur amphithéâtre une statue où il était représenté tenant un nez dans sa main.

Comme on le voit, la pratique de cette greffe avait été acceptée avec enthousiasme de l’autre côté des Alpes ; il n’en fut pas de même en France : Ambroise Paré en tête, puis Dionis, Chopart, Dessault, furent à peu près unanimes pour la proscrire, tant lui avaient fait de tort les exagérations italiennes.

Les hommes de lettres eux-mêmes parurent défavorablement impressionnés par les résultats de cette opération, et ils accablèrent de leurs railleries l’art de la rhinoplastie. Je ne puis résister au désir, peu scientifique, il est vrai, de transcrire ici un passage dû à Voltaire, et qui démontre réellement l’impression fâcheuse que cette opération fît sur les esprits :

…Taliacotius,
Grand Esculape d’Etrurie,
Répara tous les nez perdus
Par une nouvelle industrie.
Il vous prenait adroitement
Un morceau du cul d’un pauvre homme,
L’ajustait au nez proprement ;
Enfin, il arrivait qu’en somme,
Tout juste à la mort du prêteur,
Tombait le nez de l’emprunteur ;
Et souvent dans la même bière,
Par justice et par bon accord,
On remettait au gré du mort,
Le nez auprès de son derrière.

Cependant quelques chirurgiens : Pauli, Franco, avaient tenté la réparation du nez ; mais opérant par la méthode de Celse, c’est-à-dire par élongation de la peau voisine de l’organe, ils n’avaient pas réussi ou du moins la pauvreté de leurs résultats fut de nature à faire repousser la pratique des greffes.

Enfin, en 1814, un anglais, Carpue, ayant en connaissance de la méthode et des succès des Indiens, tenta, le premier, dans ce siècle, deux opérations dont les suites furent heureuses. Cette méthode, la plus féconde de toutes, qui consiste à prendre le lambeau réparateur à une région voisine, est connue aujourd’hui sous le nom de méthode indienne. La hardiesse de Carpue rencontra alors beaucoup d’imitateurs, et les travaux de Graëfe, de Dzondi, de Dieffenbach, en Allemagne ; de Roux, de Blondin, de Velpeau, en France, firent entrer définitivement la rhinoplastie dans la pratique chirurgicale. Par les méthodes, par les procédés opératoires nouveaux, on vit disparaître des difformités hideuses, les plus affreuses lésions furent guéries. Ce sera la gloire de l’époque chirurgicale actuelle que cette double tendance à réparer et à conserver le plus possible, à faire du bistouri comme une lance d’Achille, guérissant le mal qu’il a causé…

Il était utile, je crois, de rentrer dans ces quelques considérations touchant la greffe en général pour mieux faire comprendre de quel point est partie la greffe épidermique.

Celle-ci n’a pris jour qu’en 1869, dans un rapport fourni par Reverdin à la Société de médecine de Paris. Dès que les premiers résultats furent connus, tous les expérimentateurs s’empressèrent de contrôler la nouvelle opération ; ce qui fait que malgré la date récente de la découverte, l’histoire en est passablement obscure. Un grand nombre d’auteurs ont écrit sur ce sujet ; qu’il me suffise de citer, en France, Reverdin, Ollier, Colrat, Morat, Mardnel, Poncet ; l’École de Paris : Gosselin, Guyon, Alph. Guérin, Duplay et Wecker ; en Angleterre : Pollock, Lawson, Croft, Bryant, Barlow, etc., etc… De l’Angleterre, cette méthode est passée en Allemagne, où les premières expériences ont été faites par le professeur Czerny. Dès lors un grand nombre de chirurgiens l’adoptèrent ; on peut citer : Tacentro, Schulz et Bauke.

En Russie, en Italie surtout, un grand nombre d’observations ont été faites sur les greffes épidermiques ; les auteurs principaux sont : MM. Mercani, Perrani et Albanèse.

En Amérique, Howard a publié plusieurs observations fort intéressantes.

Les écoles vétérinaires n’ont pas suivi avec tant d’enthousiasme et surtout d’ardeur les résultats de cette opération ; je dois cependant citer quelques expériences qui ont été faites à l’École de Bruxelles par M. Dewart, ainsi que celles de M. Romary, aide-vétérinaire.

En résumé, cette question des greffes épidermiques a parcouru, en quelques années, toute l’Europe ; actuellement, quoique combattue par quelques adversaires, elle a pénétré dans le domaine de la pratique, où elle rend tous les jours de signalés services.

CHAPITRE I


Partie chirurgicale.


Section I.De la greffe.


On donne le nom de greffe à une opération chirurgicale qui consiste dans l’implantation d’un tissu, doué d’une certaine vitalité, à la surface d’une plaie bourgeonnante. La greffe épidermique est l’implantation de cellules constituant l’épiderme à la surface de ces mêmes plaies.

Répudiée sous un point de vue général, la greffe offre plusieurs particularités à considérer : 1° sa constitution anatomique ; 2° son volume ; 3° enfin, les points divers où elle peut être prise.

§ 1. — La constitution anatomique de la greffe peut varier beaucoup ; c’est ainsi que presque tous les tissus de l’économie sont susceptibles d’établir des connexions intimes avec les organes sur lesquels ils sont déposés. Les tissus épithéliaux, les tissus musculaire, nerveux, le périoste sont capables de vivre sur des organes entièrement composés d’un tissu différent. De là, des sections à établir au point de vue des tissus servant à la greffe. Néanmoins, fidèle au cadre que je me suis tracé, je m’attacherai simplement à étudier les tissus qui ont servi à la pratique des greffes épidermiques.

En consultant les travaux qui ont été faits en médecine humaine, concernant cette opération, on peut établir la division suivante :

Greffe Greffes cutanées… Greffe corné.
——— épidermique
——— dermo-épidermique
——— cutanée totale
Greffes muqueuses
Greffes conjonctives
Greffes musculaires

Comme on le voit, la constitution anatomique des parties greffées varie beaucoup ; aussi ne doit-on pas être étonné des résultats fort différents qu’ont obtenus les expérimentateurs. Cependant, d’une manière générale, toutes ces greffes ont donné des succès ; j’en excepterai une, la greffe cornée, qui dans ces derniers temps a été reconnue tout à fait incapable d’établir son adhérence à la surface de la plaie. Ce fait reconnu par Goldie, ainsi que par Reverdin expérimentalement me semble tout naturel, car que peut-on attendre de cellules cornées, éléments qui ne font plus partie de l’organisme vivant ? La greffe musculaire peut, d’après certains auteurs, établir son adhérence et hâter la cicatrisation des plaies (Howard). Ce fait, on le comprend, à une grande importance physiologique, car il tend à prouver que l’élément cellulaire ne provoque pas seul l’adhérence de la greffe, mais que les autres éléments histologiques ne sont pas étrangers à la production de ce phénomène.

§ II. — Le volume de la greffe offre aussi beaucoup d’intérêt, car il a varié beaucoup, et par ses variations, influé d’une manière sensible sur le résultat définitif.

Depuis les greffes de Tigri et de Fiddès, exclusivement cornées jusqu’aux grands lambeaux de peau greffés par quelques expérimentateurs, que de nuances n’existent-ils pas ?…

L’inventeur de la méthode, Reverdie, employait des greffes qu’il a appelées à tort « épidermiques », car elles contiennent une partie du derme, tout au moins l’extrémité du corps papillaire. Ces greffes avaient en surface de 1 à 2 millimètres. C’est avec ces petits lambeaux qu’il a obtenu son premier succès.

L’École de Lyon, à la tête de laquelle je citerai Ollier, a remplacé les petits lambeaux de Reverdin par de larges greffes épidermiques de i, 2, et 3 centimètres carrés. C’est, dit M. Marduel, dans son étude critique des greffes, un véritable progrès sur la méthode de Reverdin. D’un autre côté, Colrat, Morat, ont greffé des lambeaux comprenant toute l’épaisseur de la peau. Il est vrai que, par ce procédé, on évite les rétractions cicatricielles plus sûrement, l’on obtient plus rapidement la cicatrisation de la plaie, mais aussi quel délabrement n’est-on pas obligé de faire subir au sujet ?

En résumé, le volume des greffes peut varier à l’infini ; ce volume ne paraît pas influer beaucoup sur le résultat final. Cependant, d’après quelques auteurs, Reverdin, Pollock, il y aurait avantage dans la pratique des greffes, ne dépassant pas 3 millimètres carrés ; elles établiraient plus vite et plus sûrement leur adhérence avec les bourgeons que les grands lambeaux cutanés. On comprend, en effet, qu’une petite greffe recouvrant seulement un bourgeon, est dans de meilleures conditions d’adhérence qu’une grande greffe ; car, dans cette dernière, il y a toujours à sa face interne des vides entre les bourgeons où s’accumule le pus, vides qui peuvent empêcher la greffe d’adhérer. Les avantages sont encore plus grands si l’on considère la petite étendue de la plaie que l’on est obligé de faire, le peu de douleur que comporte l’opération.

Dans la grande greffe épidermique de M. Ollier la douleur est plus vive, la soudure plus incertaine, et s’il s’agit d’obtenir la cicatrisation de plaies fongueuses de mauvaise nature, où on est obligé de choisir la place que doit occuper la greffe, il est certain que le succès sera très douteux.

Ces quelques considérations relatives au volume de la greffe ont une grande importance au point de vue du modus faciendi de l’opération, car, de ce volume, dérivent les deux procédés les plus importants : celui de Reverdin et celui d’Ollier.

§ III. — Le siège où la greffe peut être prise varie à l’infini. D’une manière générale, en médecine humaine au moins, tous les points du revêtement épidermique du corps sont susceptibles de se greffer. La constitution anatomique, la vitalité de l’épiderme, quoique offrant quelques différences, considérés dans tel ou tel point de la surface du corps, ne peuvent infirmer le résultat final. Néanmoins, quelques restrictions doivent être faites touchant quelques régions particulières, qui, par les fonctions mêmes qui leur sont dévolues, se chargent d’une masse épidermique tellement épaisse que la couche tout à fait superficielle ne possède plus aucune vitalité. Ainsi, la face plantaire des pieds, la face palmaire des mains, surtout chez les individus qui se livrent à un travail manuel.

En médecine vétérinaire, où l’on a affaire à des épidermes épais, recouverts d’un grand nombre de poils, les points où l’on doit prendre la greffe sont plus restreints. Il ne reste guère au chirurgien que le pourtour des ouvertures naturelles (œil, lèvre, anus), et la face interne des cuisses. Néanmoins, chez le chien, l’épiderme peut être pris indistinctement dans n’importe quelle partie du corps, pourvu toutefois qu’on ait débarrassé la partie des nombreux poils qui la couvrent au moyen du rasoir ou de tout autre instrument.

C’est en enlevant la greffe au pourtour des lèvres et des yeux, que M. Promary, aide-vétérinaire, a opéré sur le cheval.

Ce qui doit guider le chirurgien dans l’enlèvement de la greffe, c’est la plus ou moins grande douleur qu’il va causer au patient, et la plus ou moins grande facilité que la région lui offre pour l’opération. C’est ces deux idées qui ont guidé Reverdie lorsqu’il a pris la greffe sur la face interne de la jambe ; voici d’ailleurs comment il s’exprime à ce sujet :

« On a l’avantage dans cette région de pouvoir facilement tendre la peau, sur une surface plane et résistante ; on peut conduire la lancette parallèlement à cette surface, le lambeau se coupe facilement et ne s’enroule pas ; la petite opération est rendue aussi peu douloureuse que possible. »

En médecine vétérinaire, on pourrait facilement trouver toutes ces conditions réunies ; mais comme la douleur a pour nous une moins grande importance, le chirurgien devra surtout se préoccuper de prendre le lambeau sur une région qui lui facilite l’opération.

D’autres ont pris le lambeau à la face interne du bras, où la peau est plus fine et plus souple, au dos, aux pieds, aux mains, etc. Cela n’a pas une grande importance au point de vue du résultat final.

Non-seulement le siège où l’on peut prendre la greffe varie sur l’individu qui porte la plaie, mais encore il peut varier quant à l’individu qui fournit le lambeau. C’est ainsi que la grue peut être prise sur le sujet lui-même ou sur un autre sujet ; d’une manière générale, les résultats sont absolument identiques. On peut même, d’après les expériences qui ont été faites dans les hôpitaux de Londres, prendre l’épiderme sur des membres d’amputés. M. Prudhomme a même pris des greffes sur des cadavres peu de temps après la mort. Ce fait à une grande importance au point de vue pratique. Ainsi, il arrive souvent que les plaies portées par certains individus n’ont pas de tendance vers la cicatrisation, non pas parce qu’elles sont à fond spécifique, mais bien parce que l’organisme épuisé ne peut réagir dans de bonnes conditions. Dans ce cas, on a tenté d’apporter sur la plaie un épiderme sain, porté par un sujet robuste, et on a vu alors la greffe devenir adhérente et provoquer activement la cicatrisation.

Les greffes ont été prises quelquefois sur des nègres et ont parfaitement réussi ; les animaux et surtout le chien et le lapin en ont fourni qui se sont bien développées. On pouvait parfaitement concevoir à priori l’adhérence des greffes prises sur des individu différents, car rien dans la constitution histologique de celles-ci ne peut faire prévoir un résultat contraire. Cependant, cette hétérogénie a des limites ; si on arrive aux animaux tout à fait inférieurs, la greffe ne donne aucun résultat.

Dans ces transplantations de greffes d’un individu sur un autre, il y a une considération fort importante à observer. Ainsi, il ne faudrait pas prendre des greffes sur des individus atteints d’affections inoculables, car, transportant dans la greffe une petite partie du derme contenant plus ou moins de sang, on s’exposerait à inoculer la maladie.

Quoi qu’il en soit, il est parfaitement démontré que certains animaux peuvent fournir des greffes capables d’établir leur adhérence sur des plaies portées par l’homme. C’est ainsi encore que cette unité d’organisation, qui a présidé à la création des êtres, se trouve démontrée ; l’épiderme de chien, l’épiderme de lapin, peuvent reconstituer l’épiderme de l’homme, par une suite de transformations, dictées par les fonctions qu’ils seront désormais appelés à remplir.


Section II.Manuel opératoire.


La façon de pratiquer cette opération offre beaucoup de différences nécessitées sans aucun doute par le volume de la greffe. Certains expérimentateurs, ceux-là même qui ont prétendu qu’on pouvait obtenir le développement d’îlots cicatriciels par la sérosité de vésicatoire ou pàr des écailles épidermiques (Fiddès, Macleod, Tigri), se contentent de répandre sur la plaie ces deux matières et appliquent ensuite un pansement ordinaire. D’autres, qui ont opéré sur des greffes ayant un certain volume (g. musculaire) ont été obligés de pratiquer des incisions sur la plaie, dans lesquelles ils introduisaient leurs lambeaux.

Laissant de côté ces diverses manières d’agir, relativement à des opérations dont les résultats ont été nuls, j’arrive immédiatement aux procédés usuels que je diviserai en deux groupes, selon que pour opérer la greffe on incise les bourgeons charnus ou bien qu’on les laisse intacts. Dans le premier, j’aurai à décrire le procédé Pollock, Hamilton ; dans le second, celui de Reverdin et d’Ollier.

Dans l’exposé du manuel opératoire, je passerai successivement en revue : 1° les instruments nécessaires l’opération ; 2° l’enlèvement de la greffe ; 3° son rapprochement sur la plaie ; 4° enfin le pansement.

§ 1. — Parmi les instruments qui ont été employés par les divers auteurs, on trouve la lancette, le couteau à cataracte (couteau de Bear) et enfin les ciseaux de Crisp.

La lancette ou le couteau à cataracte n’offrent pas une grande différence dans leur manière d’agir, si ce n’est dans le cas où l’on veut, l’exemple d’Ollier, enlever des lambeaux d’épiderme d’une certaine dimension. C’est d’abord à cause de ce fait qu’Ollier l’a préféré à la lancette.

Ces deux instruments offrent un inconvénient sérieux, c’est celui de ne pouvoir enlever facilement l’épiderme ; il faut de l’habileté et surtout beaucoup d’habitude. C’est justement pour éviter ce défaut qu’on a cherché à réaliser un instrument, dont le maniement facile put permettre d’enlever une greffe par une simple action mécanique. C’est un étudiant nommé Crisp qui a imaginé cet instrument.

Il consiste en une paire de ciseaux courbes, au côté concave desquels est adaptée une pince courbe, celle-ci est mue par un levier qui s’abaisse quand on écarte les lames et se relève quand on les rapproche. Les mouvements de ces diverses parties sont réglés de telle façon que, lorsque les lames sont ouvertes, la pince à crochets est entre elles et en dessous d’elles ; quand on rapproche les lames, la pince ce relève entre elles, de manière à soulever la partie qu’elle a saisie et qui se trouve alors sectionnée par les ciseaux ; de cette manière on peut, avec une seule main, saisir et sectionner un lambeau cutané. Quant au volume du lambeau enlevé, il est proportionnel à la force avec laquelle on appuie les ciseaux sur la surface cutanée.

Cet instrument est sans doute fort commode, mais vu sa complication même, je pense, avec M. Reverdin, que la lancette à saignée lui est préférable, car chacun l’a sous sa main.

$ II. — Dans le procédé Reverdin, l’enlèvement de la greffe n’offre pas de grandes difficultés. Après avoir piqué légèrement l’épiderme, on couche la lancette parallèlement à la peau et, en poussant ; légèrement, elle ne tarde pas à ressortir portant avec elle le lambeau déposé sur sa face. Cette opération se fait avec une main pendant que l’autre est occupée à tendre et à immobiliser le tégument. M. Ollier, opérant au moyen du couteau à cataracte, le mode d’enlèvement du lambeau diffère un peu. Voici comment il s’exprime à cet égard :

« La peau est rendue avec les doigts et le couteau appliqué parallèlement à sa surface. Une fois la lame introduite en dessous de l’épiderme, dans la portion superficielle du derme, j’imprime à l’instrument un mouvement rapide de va et vient (mouvement de scie). De cette façon, avec un peu d’habitude, j’enlève rapidement de longues bandelettes mesurant habituellement 10 ou 15 millimètres de largeur. »

Je ne m’étendrai plus sur ce point, car tous les autres procédés se rapportent à ces deux. Il faut en excepter cependant les greffes cutanées totales, mais celles-ci, devant être considérées plus tôt comme une sorte d’autoplastie, je ne m’en occuperai pas.

§ III. — Dès que le petit lambeau est séparé de la peau, il ne reste plus qu’à le mettre en contact avec les bourgeons charnus. Le rapprochement se fait par deux procédés : 1° celui de Reverdie ; 2° celui de Pollock.

Avant d’aborder la question du rapprochement, je dois faire remarquer qu’on doit prendre une précaution relative à la greffe. Quand on a enlevé la greffe, ses bords tendent à se rétracter ; il faut éviter avec beaucoup de soin cette rétraction, si on veut ne pas s’exposer à un échec.

Dans le procédé Reverdin, on fait glisser doucement sur les granulations qu’on a choisies la petite greffe, en s’aidant au besoin d’une épingle. Dès qu’elle est en contact des bourgeons et après s’être assuré qu’elle adhère par tous les points de sa face interne, il ne reste plus qu’à la retenir sur la plaie au moyen d’un agglutinatif quelconque.

Le procédé employé par Pollock, qui a été aussi suivi par M. Promary, sur le cheval, ne diffère de celui-ci qu’en un point. Au lieu de déposer simplement la greffe sur les bourgeons, on fait une petite incision sur ces derniers, et, après avoir étanché le sang, on implante la greffe dans cette incision. Ce procédé, qui au premier abord semble avoir des avantages sur le premier, en ce sens que la greffe peut être plus difficilement entraînée par la suppuration, ne les possède pas en réalité. L’incision faite au bourgeon complique la plaie ; l’hémorrhagie, si légère qu’elle soit, empêche souvent l’adhérence, et si on ajoute à ces inconvénients la difficulté qu’on éprouve pour faire bien reposer la face interne du lambeau sur les bourgeons, on pourra se convaincre de l’inutilité de cette complication. Cependant, dans certains cas de plaies de mauvaise nature, à bourgeons mollasses, ce procédé pourrait réussir beaucoup mieux que celui de Reverdin. Ce dernier auteur cite un cas où ce fait se vérifie parfaitement.

§ IV. — Après avoir déposé le lambeau sur les granulations, il est de toute évidence qu’il faut qu’il y soit maintenu, afin de lutter, soit contre les frottements extérieurs, soit contre la suppuration. C’est surtout dans le cas de greffes faites sur les animaux qu’il faut appliquer un pansement solide, capable de lutter contre les mouvements auxquels ils se livrent, en même temps que des moyens de contention qui les empêchent d’intervenir directement. D’après Promary, aide-vétérinaire, qui a fait quelques expériences sur le cheval, la force de suppuration de cet animal serait une cause d’échec pour la pratique des greffes, tout au moins lorsque celles-ci auraient été pratiquées par le procédé Reverdir. C’est, dit-il, pour obvier à cet inconvénient, que je me suis servi du procédé par insertion dû à Pollock.

Il me semble que cet argument, force de suppuration, n’en est pas un, car cette tendance de l’organisme à former de grandes quantités de globules purulents est entièrement entre les mains du médecin ; il peut presque à volonté l’anéantir ou la faire reparaître.

Quoiqu’il en soit, on se sert avantageusement, pour fixer les greffes, de bandelettes de diachylon. Après avoir pratiqué cinq à six greffes, on taille une fine bande de cette substance et on les recouvre ensemble. Ces bandelettes sont ordinairement renouvelées au bout de vingt-quatre heures, afin de constater l’adhérence ou la non adhérence de la greffe. Il y aurait avantage, d’après Ollier, de ne renouveler le pansement qu’au bout de trois ou quatre jours ; on ne courrait pas alors le risque d’enlever la greffe avec le pansement.

Lorsque les lambeaux épidermiques font complètement corps avec la plaie, on panse celle-ci par les moyens thérapeutiques ordinaires. Ce mode de pansement appartient à Reverdin.

D’autres ont employé divers agglutinants : des taffetas transparents, pour apercevoir la greffe sans enlever le pansement ; de petites plaques de bois (Hofmolk) ; des tampons de coton, etc… Tous ces pansements peuvent être employés ; il suffit seulement de réaliser dans leur application cieux indications : 1° ne pas agir défavorablement sur les bourgeons charnus ; 2° éviter d’employer un agglutinatif qui pourrait adhérer à la greffe et qui l’enlèverait lorsqu’on renouvellerait le pansement.

Après avoir fixé la greffe, on termine le pansement au moyen de matières sèches ; il faut éviter d’employer des substances thérapeutiques, car elles pourraient entraver l’adhérence du lambeau.

En résumé, cette opération est d’une exécution facile ; rien, dans son manuel opératoire, ne nécessite une grande habileté : un peu d’habitude suffit.

CHAPITRE II


Partie physiologique.


La physiologie de la greffe est encore fort obscure, malgré les études fort sérieuses dont elle a été l’objet. Sur ce point, de grandes dissidences existent entre les divers auteurs, et chacun en particulier explique à sa façon le mode d’action de la greffe sur la plaie. On comprend à priori les différents résultats auxquels ; sont parvenus les observateurs, car cette question, exclusivement histologique, peut varier selon la puissance des instruments employés et suivant le mode d’observation. Est-on parfaitement d’accord, encore aujourd’hui, sur certains points d’histologie normale ?…

Donc, rien d’étonnant à ce que les résultats de ces études minutieuses soient diversement interprétés. Je rapporterai une à une les diverses opinions, m’attachant à faire ressortir les points qu’elles ont de commun et qui suffisent, je crois, pour éclairer la question.

La physiologie de la greffe comprend diverses considérations relatives au lieu où elle a été prise, à l’individu qui l’a fournie (d’un nègre sur un blanc, de l’animal sur l’homme, etc.), enfin au processus de cicatrisation.

Je m’attacherai surtout à faire ressortir ce dernier point, les autres ayant été traités à propos de l’article greffe. Dans le processus cicatriciel, il y a deux points à considérer : 1° comment se fait l’adhérence du lambeau ; 2. comment se forme l’épiderme autour de lui.


Section I.Adhérence du lambeau.


Avant d’aborder ce point d’histologie si intéressant, car c’est sur lui que repose toute l’opération de la greffe, je dois établir une différence entre le lambeau composé exclusivement d’éléments cellulaires et celui dans la constitution duquel entre une partie du derme. D’après quelques auteurs, le derme jouerait dans l’adhérence un rôle tout à fait important (Ollier) ; d’après les autres, il serait appelé à se dissoudre et conséquemment n’agirait en aucune façon pour produire l’adhérence (Reverdie).

Si on se rapporte à la constitution histologique de cette partie de la greffe, constitution presque exclusivement fibrillaire, on pourra évidemment induire qu’elle n’est pas favorable à la réussite de l’opération, puisque de tous les éléments histologiques on attribue à la cellule seule le pouvoir de proliférer et de végéter. Mais, d’un autre côté, si on n’attribue à l’élément cellulaire, composant la greffe, aucun phénomène de prolifération ; si on admet, comme semblent le prouver la plupart des expériences faites sur la matière, que le lambeau ne joue dans la cicatrisation qu’un rôle de présence, il est naturel, je crois, d’admettre que le derme puisse exercer sa part de cette force catalytique qui provoque l’apparition de la cicatrice.

Donc, pour nous, les deux éléments constitutifs de la peau, derme et épiderme, prendront part au phénomène d’adhérence.

Voici comment M. Reverdin[1] explique l’adhérence du lambeau à la surface des bourgeons charnus :

« Cette adhérence, cette soudure, se fait en deux temps. Au bout de quarante-huit heures, j’ai trouvé le derme sans modifications appréciables, ne paraissant nullement soudé, sur des coupes minces. Mais à cette époque déjà, je trouvais deux bourgeons épidermiques de nouvelle formation, toujours dans le même point ; partis de l’épiderme greffé, ils plongent entre le bord du lambeau et le tissu embryonnaire de la plaie avec lequel ils font corps. Ces bourgeons sont constants et enchâssent, pour ainsi dire, le lambeau tout entier sur la surface où il a été transporté. Plus tard, ils acquièrent de plus grandes dimensions ; je les appelle bourgeons d’enchâssement. Sur toutes les coupes, je les retrouvés sans exception. Ce n’est que plus tard qu’on commence à apercevoir dans le derme des vaisseaux embryon-Haires en rapport de continuité avec ceux du tissu sous-jacent et qui paraissent en provenir ; les éléments du derme sont déjà modifiés, si bien que quelques jours encore, ce derme a complètement pris les caractères du tissu embryonnaire, à part cependant les fibres élastiques qui persistent. L’adhérence de la greffe se fait donc par l’épiderme ; la soudure du derme n’est que secondaire et accessoire. »

Ainsi, développement de bourgeons d’enchâssement autour de la greffe et passage de tous les éléments constitutifs du derme à l’état embryonnaire, moins les fibres élastiques, voilà les faits rapportés par M. Reverdin.

Tous ces phénomènes qui ont leur importance dans le mode d’action du lambeau n’expliquent pas comment se fait l’adhérence. M. Reverdin parle bien de vaisseaux du derme qui semblent s’anastomoser avec les anses vasculaires des bourgeons, mais il ne dit pas que ce soit par ces vaisseaux que se produise l’adhérence. Pour lui, le derme se dissoudrait et la greffe n’aurait conséquemment d’autre moyen d’adhérence que les bourgeons d’enchâssement. Il n’y aurait donc pas greffe, mais simple action de contact, favorisée par les bourgeons, action suffisante pour provoquer la transformation du tissu embryonnaire sous-jacent en éléments épithéliaux.

Ce mode d’adhérence passagère du lambeau, par lequel M. Reverdin explique tous les phénomènes qui se passent dans la greffe, a été critiqué par quelques auteurs. Voici comment M. Poncet[2] s’explique sur la façon dont se produit cette adhérence : La couche superficielle du derme est intimement unie aux bourgeons par sa face profonde, leur substance intercellulaire se confond ; à leur union, on observe les phénomènes qui se passent dans les tissus, dans la guérison par première intention : les vaisseaux du derme pénètrent au milieu des éléments embryonnaires pour s’anastomoser avec les anses vasculaires de la plaie. »

D’après cet auteur, l’adhérence s’opérerait exclusivement par la partie dermique de la peau. Les vaisseaux des papilles vasculaires du derme, en s’unissant aux vaisseaux des bourgeons charnus, constitueraient seules l’union du lambeau avec la plaie ; en d’autres termes, l’adhérence se produirait, comme d’ailleurs il le dit lui-même, de la même façon que dans la guérison d’une plaie par première intention.

En résumé, M. Poncet ne parle pas de bourgeons d’enchâssement ; pour lui, il y a réellement greffe, mais seulement par le derme ; de plus, cette dernière partie de la peau jouerait un rôle réel dans la cicatrisation, tandis que M. Reverdin lui refuse ce pouvoir.

Une autre explication sur le mode d’adhérence de la greffe a été fournie par M. Colrat, dans sa thèse inaugurale : Des greffes épidermiques, thèse, Montpellier, 1871).

Voici comment il s’exprime à ce sujet :

« Du côté de la greffe est l’épiderme déjà formé, avec ses deux couches cellule use et cornée, semblable à l’épiderme normal, mais plus épais ; il recouvre des semblants de papilles, sortes d’élevures irrégulières, beaucoup plus larges que longues, il est formé par des cellules épithéliales dentelées munies chacune d’un beau noyau nucléolé. Si on se rapproche peu à peu de la surface ulcérée l’épiderme, au lieu de former une seule couche nettement limitée par une ligne sinueuse du côté de la profondeur, pousse dans les bourgeons charnus qu’il recouvre de prolongements qui vont se rejoindre en circonscrivant des îlots de tissu conjonctif ; il y a donc entre les tissus épithélial et conjonctif des pénétrations réciproques. En se rapprochant de la surface non cicatrisée, on voit disparaître les prolongements à la superficie, ainsi que la couche cornée. »

Pour cet auteur, le derme n’interviendrait en aucune façon pour établir l’adhérence, ce serait par une pénétration réciproque entre le tissu épithélial et le tissu conjonctif qu’elle s’établirait. Cette dernière explication concorde avec celle de M. Reverdin qui disait que la soudure s’opérait par l’épiderme ; mais, d’un autre côté, M. Colrat fait intervenir dans la discussion un élément nouveau, tout en faisant remarquer que l’adhérence s’opère par l’épiderme ; cet élément, c’est sa zône épidermoïdale dont nous examinerons la formation, ainsi que les fonctions à propos du développement de l’îlot.

En résumé, trois opinions se partagent actuellement le mode d’adhérence de la greffe.

1° Celle de Reverdin, par laquelle l’adhérence se ferait en deux temps : apparition des bourgeons d’enchâssement, qui auraient pour but de retenir passagèrement le lambeau, et enfin, soudure de l’épiderme par un procédé qu’il n’indique pas.

2° Celle de Poncet, par laquelle l’adhérence s’effectuerait par le derme et exclusivement par les vaisseaux de celui-ci qui iraient s’anastomoser avec les anses vasculaires des bourgeons charnus.

3° Et enfin celle de Comrat, qui explique l’adhérence du tissu épithélial avec le tissu conjonctif de la plaie par l’intervention d’une zône particulière qu’il a appelée zône épidermoïdale.


Section II.Développement de l’ilôt.


Sur une greffe de quelques jours, on voit se détacher de ses bords une couche épidermique plus ou moins épaisse, plus ou moins irrégulière. Cette couche envoie, par sa face profonde, des bourgeons épidermiques de forme bizarre (globes épidermiques de Poncet) qui se prolongent dans le tissu embryonnaire de la plaie. Aux dernières limites de l’ilôt, la couche épidermique s’élargit et devient diffuse. À ce niveau, les cellules épithéliales diffèrent fort peu des cellules embryonnaires. Ces dernières, en effet, vont constituer l’épiderme et déjà la transformation étant commencée, comme elle est moins complète à mesure qu’on s’éloigne du centre de l’ilôt, on comprend qu’il soit difficile de fixer les limites où elle aboutit.

Quoi qu’il en soit, l’ilôt se développe par une transformation du tissu embryonnaire immédiatement situé sous la greffe en tissu épithélial. Tous les auteurs ou à peu près tous sont d’accord sur ce point ; seulement on ignorait comment s’opérait cette transformation.

C’est ce dernier point que vient éclairer M. Colrat ; voici comment il s’exprime à ce sujet :

« Il y a entre le tissu épithélial et conjonctif des pénétrations réciproques. Ce stade de la cicatrisation ne constitue pas une transition brusque et de peu de durée, allant des cellules embryonnaires aux cellules épithéliales. C’est, au contraire, une phase particulière de la cicatrisation qui prépare l’arrivée des cellules épithéliales et qui se caractérise par la présence d’une couche particulière, bien limitée du côté de la profondeur, allant en s’épaississant à mesure qu’on se rapproche de l’épiderme déjà formé, n’ayant pas moins d’un demi-centimètre d’étendue, souvent plus, et sur laquelle nous appelons l’attention. En raison de l’épiderme vrai et de la surface franchement ulcérée, nous proposons de l’appeler zône épidermoïdale ou cuticule épidermoïdale, indiquant par là qu’elle n’est nullement formée par de l’épithélium, mais qu’elle le prépare et en tient lieu pendant quelque temps. Les cellules qui entrent dans sa composition sont des éléments embryonnaires, seulement cette zône se caractérise par la présence entre ces cellules d’un réticulum fin à mailles irrégulièrement rectangulaires. Quand on parvient à balayer avec le pinceau une partie des cellules, ce réticulum apparaît beaucoup mieux. »

Comme on le voit, la transformation du tissu embryonnaire en tissu épithélial ne serait pas simple ; cette transformation serait dictée par le réticulum. Les mailles du réticulum seraient remplies de cellules embryonnaires qui, à mesure qu’on s’approcherait de l’épiderme déjà formé, grandiraient, dilateraient les mailles et prendraient enfin des formes qui les rapprocheraient des cellules épithéliales.

Cette apparition de ce réticulum ou zône épidermoïdale ne serait pas exclusive aux greffes, elle aurait lieu encore dans les plaies dont la cicatrisation est obtenue par les moyens thérapeutiques ordinaires. Il est certain que ce fait, découvert par Colrat, a un grand intérêt dans la physiologie des plaies. Quelques auteurs ont combattu la présence de ce réticulum (Reverdin) ; d’autres disent l’avoir rencontré.

Dernièrement encore, un médecin italien, Bizzorrezo, a décrit, dans les espaces inter-cellulaires de l’épiderme, un système de canalicules qui ne paraissent être que le réticulum décrit par Colrat[3][4].

Jusqu’ici, je n’ai pas abordé le mode de développement de l’ilôt par la prolifération de ses propres éléments. Cependant, quelques auteurs, parmi lesquels je citerai surtout T. Bryant, prétendent que la greffe se développe, non-seulement par une prolifération du tissu embryonnaire immédiatement situé au-dessous d’elle, mais aussi par une prolifération de ses propres éléments.

L’auteur que je viens de citer rapporte un cas qui me paraît très favorable à cette manière de voir. II greffa, sur un homme blanc, quatre lambeaux épidermiques pris sur un nègre ; au bout de quelques temps, la cicatrice qu’il obtint était pigmentée et représentait, en surface, vingt fois celle de la greffe. Quoique ce fait semble prouver une prolifération cellulaire du côté de la greffe, cette prolifération est combattue et n’est admise par aucun de nos auteurs français[5].

Que l’ilôt se développe par la prolifération de ses propres éléments ou par la transformation du tissu embryonnaire de la plaie en tissu épithélial, il semble subir, de la part de l’ilôt le plus voisin, une sorte d’attraction et se dirige sans cesse vers ce point. Ce fait a tellement frappé les observateurs, et il se produit avec tant de régularité, que A. Reverdin l’a énoncé sous forme de loi :

« Le développement de l’ilôt se fait toujours du côté où il aura le moins de chemin à parcourir pour rejoindre, soit la cicatrice des bords, soit un autre ilôt épidermique développé spontanément ou sous l’influente d’une greffe. »

Cette loi, ainsi énoncée, est parfaitement exacte ; mais quelques auteurs, au lieu de voir dans ce fait une attraction, comme A. Reverdin, voient là un simple phénomène qu’ils expliquent d’une autre manière.

Ainsi, pour Longlet, il y aurait autour de la greffe une zône d’activité où la cicatrice tend à se former ; il en serait, de même sur les bords ; au point où ces deux zônes se rencontreraient, l’activité formatrice serait augmentée par leur superposition et deviendrait suffisante pour la formation de l’épiderme.

Il est à remarquer que cette action attractive ou encore cette superposition de zones formatrices de l’épiderme s’exerce sur la cicatrisation marginale. Celle-ci joue en effet un rôle absolument identique à celui de l’ilôt. De ce fait physiologique ressort un intérêt pratique ; c’est que la greffe doit être multipliée et qu’on doit en pratiquer non loin des bords de la plaie.

Sans doute, beaucoup de points restent encore obscurs dans cette physiologie des greffes ; ainsi, on ne comprend pas trop pourquoi, puisque l’épiderme ne se greffe pas, puisqu’il joue un simple rôle d’excitant, la cicatrice est moins rétractile et plus solide ? Comment Bryant, en greffant de lambeaux de nègre sur un blanc, a obtenu un tissu cicatriciel pigmenté ?

Mais ce qu’il importe surtout de constater dans ces opérations, c’est le résultat clinique, et ce résultat, très favorable aux greffes, prouve que celles-ci sont une véritable conquête pour la chirurgie moderne.


CHAPITRE III


Partie clinique.


L’adhérence et le développement de la greffe ont sans doute un grand intérêt scientifique ; mais ce qu’il importe surtout au praticien de connaître, ce sont les signes extérieurs qui lui indiqueront cette adhérence ; c’est l’aspect que prendront les ilôts à une époque plus ou moins éloignée du moment où il a opéré. D’autres phénomènes rentrent encore dans la partie clinique de cette opéra lion : ce sont la réunion de greffes entre elles, et avec les bords de la plaie, comme conséquence la rapidité de la cicatrisation, et enfin l’apparence, l’aspect général d’une plaie greffée. Ces divers points feront l’objet d’une première section ; dans un autre chapitre j’étudierai les conditions nécessaires au succès, l’influence de la greffe sur la cicatrice et enfin les indications particulières de cette opération. Du reste, je supposerai, pour toutes les descriptions qui vont suivre, une surface bourgeonnante dans les conditions nécessaires au succès ; une ou plusieurs greffes y ont été déposées, que va-t-il se passer ?


Section I.


§ 1. — Si le lambeau greffé a été appliqué avec soin, si l’on a pris la précaution de bien dérouler ses bords, l’adhérence est complète au bout de vingt-quatre heures. Cette adhérence ne se produit pas par tous les points de la greffe en même temps, les bords paraissent se souder après le centre, ce qui tient sans doute à leur épaisseur moindre. À ce moment, on peut, avec une épingle, les pousser doucement sans les déplacer ; cependant, les adhérences sont très faibles, aussi faut-il enlever le pansement avec beaucoup de précautions pour éviter le déplacement.

Quelques modifications parfaitement visibles se font remarquer à cette époque à la surface du lambeau ; il paraît plus blanc, plus épais et comme gonflé par les sucs qui suintent des bourgeons charnus. Quelquefois, il apparaît ridé sur ses bords. Au bout de quarante-huit heures, parfois seulement au bout de trois à quatre jours, apparaît autour de la greffe une petite zône d’un gris pâle, souvent séparée d’elle par fin cercle très mince et plus transparent. Cette zône est le premier stade de l’irradiation épidermique. Déjà l’influence de la greffe s’est fait sentir sur son pourtour, et l’épithélium qui recouvrait les bourgeons charnus prend peu à peu les caractères de l’épiderme cicatriciel.

Au bout d’un temps plus ou moins long (cinq ou six jours), la zône acquiert plus de largeur et présente en même temps des caractères particuliers ; elle est d’un rouge plus foncé que les bourgeons, elle est lisse et devient plus apparente en se desséchant à l’air. À cette époque le lambeau et son aréole s’enfoncent au-dessous des bourgeons et semblent avoir disparu. Depuis ce moment, la couleur de la zône devient grisâtre, elle constitue définitivement l’épiderme de cicatrice. Une autre zône ne tarde pas à apparaître autour de la première, et, après avoir suivi les mêmes phases, elle se transforme comme elle en épiderme : un ilôt cicatriciel est ainsi formé.

Je ferai remarquer que parfois, en même temps que ces zônes formatrices exécutent leur évolution, la partie centrale de l’ilôt participe à une desquamation abondante. C’est ce dernier phénomène qui a fait dire à M. Ranvier qu’en même temps que les zônes s’étendaient la greffe tendait à disparaître. Cependant, ce fait de desquamation n’est pas constant ; il arrive parfois que l’ilôt greffé résiste, qu’il est parfois reconnaissable au bout d’un temps plus ou moins long. Reverdin cite un cas où, au bout d’un an, les greffes étaient parfaitement reconnaissables ; elles étaient représentées par de petites dépressions.

L’ordre de succession des phénomènes que je viens de décrire, la rapidité avec laquelle ils se produisent, en un mot, la marche de la greffe varie beaucoup. D’une manière générale, on peut dire que cette marche est parallèle à celle de la cicatrisation marginale ; plus celle-ci s’effectue avec vigueur, plus les ilots se développent vite. Cependant, il n’en est pas toujours ainsi, car il arrive souvent que sans pouvoir saisir les causes qui agissent, la cicatrisation marginale s’effectue avec beaucoup de vitesse, tandis que les greffes ne prennent que peu ou point de développement. Il est vrai de dire que par contre il arrive parfois que les ilots se développent fort vite, tandis que la cicatrisation marginale languit. Quelquefois le développement de l’ilôt s’effectue d’une manière différente.

Ainsi, le lambeau adhère ; d’abord saillant, il pâlit peu à peu, s’amincit en s’entourant de l’aréole rouge, s’enfonce de plus en plus au milieu des bourgeons et semble alors avoir complètement disparu. On pourrait croire l’expérience manquée. Mais, si comme le dit M. Reverdin, on examine attentivement la petite dépression qui correspond à la greffe, on s’aperçoit qu’elle diffère des parties voisines par une coloration rouge foncé ; puis, au bout de quelques jours, cette dépression grandit ; elle prend, dans son centre, une couleur nacrée, puis grise, et l’ilôt cicatriciel est constituée.

Il est évident que l’ilôt peut apparaître aux yeux des observateurs de façons beaucoup plus diverses encore ; ce qu’il y a de constant, c’est surtout l’apparition de la zone ; quant aux autres phénomènes, ils peuvent être diversement interprétés, selon que l’observateur aura affaire à telle ou telle plaie, à tel ou tel mode de pansement, etc., etc.

§ II. — Si maintenant nous abandonnons les phénomènes cliniques dus à un seul lambeau, pour étudier ceux qui se passent sur une plaie où on a déposé plusieurs greffes, nous aurons à signaler quelques particularités très remarquables.

Quand on a déposé une greffe au centre d’une plaie, l’ilôt qui se forme autour d’elle est à peu près circulaire ; sa limite extrême n’est pas parfaitement régulière, car on y distingue de petits prolongements linéaires (irradiations marginales) ; mais enfin son contour général est rond.

D’après le processus physiologique, qui a pour but la formation de l’ilôt, on sait qu’il est formé de plusieurs zônes différant entre elles par la couleur, qui se rapproche d’autant plus de la couleur de la plaie qu’on envisage une zône plus périphérique. Si, au lieu d’être placée au centre de la plaie, on a placé la greffe non loin des bords, on se croirait autorisé à supposer que rien ne doit être changé. Cependant, l’ilôt qui se forme prend alors des caractères particuliers ; il perd sa forme circulaire, s’allonge du côté des bords de la plaie et tend à s’en rapprocher ; un travail semblable s’effectue du côté de la cicatrice marginale. De telle façon qu’au bout d’un temps plus ou moins long, il se forme un pont qui relie la greffe aux bords de la plaie. Ces ponts sont très remarquables et présentent ordinairement la disposition suivante : très étroits au milieu, ils s’évasent légèrement au point où ils se confondent avec l’ilôt et avec la cicatrice marginale, de telle façon que la greffe a l’aspect d’une raquette ou d’une feuille ovalaire pétiolée.

Il est à remarquer que les mêmes phénomènes se passent entre deux greffes. Une fois que ces ponts sont formés, ils s’élargissent dans leur milieu, de sorte qu’en un certain moment il ne reste que quelques points isolés à cicatriser. L’aspect que présente alors la plaie est tout à fait l’inverse de celui qu’elle offrait quelque temps après que les premières greffes déposées avaient établi leur adhérence. Alors, en effet, les greffes tranchaient par leur couleur sur le fond rosé de la plaie ; actuellement, ce sont les bourgeons qui tranchent par leur couleur sur celle de la cicatrice.

§ III. — La dimension des ilôts obtenus par le procédé Reverdin n’est pas très considérable ; ils atteignent le diamètre de pièces de 0,20 cent. ou de 0,50 cent. ; ces dimensions peuvent arriver par exception au diamètre d’une pièce de 2 francs. Si on emploie le procédé Ollier, ou encore celui de Colrat, on conçoit que les ilôts atteignent des dimensions plus considérables. Dans tous les cas, ces dimensions sont limitées ; un ilôt ne s’étend pas indéfiniment ; à mesure qu’il s’éloigne de son centre, il devient plus faible, s’amincit, et s’il ne rencontre pas un autre ilôt, il devient stationnaire. Retirant de ce fait une conclusion pratique, je crois, avec M. Reverdin, qu’il faut plutôt attendre la guérison de la coalescence des ilôts et de la formation des ponts que de l’extension de la greffe.


Section II.Conditions nécessaires au succès.


§ I. — Pour analyser les phénomènes cliniques qu’on observe sur une plaie greffée, j’ai supposé une plaie bourgeonnante, de bonne nature, je me suis mis enfin dans les meilleures conditions possibles. Il me reste maintenant à déterminer quelles sont ces conditions.

Une greffe peut-elle réussir dans n’importe quelle plaie ? à n’importe qu’elle période d’évolution de cette plaie ?

On a répété à satiété que la greffe n’offrait de réels avantages que dans les plaies de mauvaise nature, à cicatrisation lente, recouvertes de bourgeons mollasses, en un mot, dans les plaies ou aucun moyen thérapeutique ne pouvait provoquer la formation de la cicatrice. Et bien, dans ce cas, la greffe ne peut réussir. Il faut au moins que la plaie présente quelques bourgeons de bonne nature pour qu’il soit permis de compter sur le succès, et encore ce succès sera-t-il douteux.

Voici d’ailleurs comment s’exprime M. Reverdin sur les conditions relatives au succès :

« Pour obtenir un succès à peu près à coup sûr, il faut : 1° que la plaie soit recouverte de bourgeons charnus ; 2° que l’organisation de la surface granuleuse soit assez avancée pour que la cicatrice commence à se former sur le bord ou soit au moins sur le point de se former ; 3° que les bourgeons soient de bonne nature et ne soient recouverts d’aucune, fausse membrane, ou que celle-ci puisse être facilement enlevée ; 4° enfin que la plaie n’ait pas été dans les jours précédents en contact avec certains topiques qui modifient sa surface d’une façon particulière. »

Toutes ces conditions sont nécessaires, mais heureusement elles ne sont pas indispensables, car sans cela la pratique des greffes serait singulièrement restreinte. Elles ne sont en effet réunies que dans les plaies tendant naturellement vers la cicatrisation, et il est parfaitement avéré qu’on a obtenu des succès dans les plaies atoniques, où la cicatrisation était languissante.

Quelques auteurs ont voulu essayer de greffer sur une surface saignante ; on n’a eu que des insuccès. C’est surtout M. Mason qui a été l’instigateur de cette pratique.

Si on fait des greffes sur une surface qui commence à bourgeonner, c’est-à-dire sur une plaie où la cicatrisation marginale n’a pas encore commencé, deux cas peuvent se produire : ou bien la greffe disparaît par desquamation, ou bien elle prend racine. Dans ce dernier cas, elle reste stationnaire, elle attend, pour ainsi dire, que le moment de la cicatrisation soit venu ; alors elle semble se réveiller, et, sur une plaie qu’on croyait absente de toute greffe, on voit se développer des ilôts cicatriciels, dus aux lambeaux greffés primitivement.

Sur une plaie de mauvaise nature, à fond spécifique, recouverte par des bourgeons mollasses, fongueux, il est rare que la greffe réussisse. Mais quelques-unes de ces plaies, devant cet aspect, à une fausse membrane qui les recouvre, peuvent parfaitement donner lieu à l’adhérence, pourvu toutefois qu’on ait enlevé cette production morbide. Il est cependant à remarquer que, si ces fausses membranes sont grisâtres, impossibles à enlever ; s’il s’écoule un liquide sanieux et de mauvaise odeur, il ne faut pas espérer d’obtenir le moindre succès.

De tout ce qui vient d’être dit à propos des conditions relatives au succès, on voit que la condition dominante, pour ainsi dire, sinè quà non, c’est la présence de bourgeons charnus à la surface de la plaie. Il faut donc, avant de pratiquer la greffe, favoriser la production de cet élément ; on y arrive par les pansements.

D’après les opinions des divers auteurs qui ont écrit sur ce mode de traitement de plaies, tous les pansements, quoique favorables à la production des bourgeons charnus, ne le seraient pas pour la pratique de la greffe. Voici, à ce sujet, l’idée d’un auteur sur un topique le plus souvent employé dans le traitement des plaies : l’alcool.

« Dans les plaies pansées à l’alcool, il se fait à leur surface, et probablement dans l’épaisseur des tissus, des coagulations ; on sait que la cicatrisation est sous vent alors à peine appréciable et que les greffes échouent. »

Les pansements qui ont tour à tour été préconisés pour obtenir de beaux bourgeons, sans inconvénient pour l’adhérence des greffes, sont : le pansement aux bandelettes de diachylon, à l’acide phénique dilué, à l’eau chlorurée, et surtout au perchlorure dé fer au sixième. Ce dernier topique a été recommandé par Gosselin, dans quelques cas d’ulcères atoniques.

Toutes ces conditions, pour arriver à la pratique de la greffe sont-elles nécessaires ? S’il en était ainsi, on ne comprendrait pas trop l’utilité de la greffe. Nous allons voir, en effet, qu’on a réussi à greffer certaines plaies atoniques, n’ayant aucune tendance à la cicatrisation ; certaines mêmes, entachées d’un vice diathésique, ont donné prise à la greffe. Et d’ailleurs, la greffe n’aurait-elle pas réussi sur ces dernières plaies qu’on ne devrait pas pour cela abandonner cette opération, car, entre elles et les plaies de bonne nature, il y a beaucoup de degrés où la greffe pourra être appliquée favorablement.

Quoiqu’il en soit, peut-on réussir en pratiquant la greffe sur des plaies à fond spécifique ? Quelques auteurs répondent par l’affirmative (Reverdin, Ollierr, Collender) ; d’autres prétendent n’avoir jamais réussi. Certaines conditions sont nécessaires pour qu’on comprenne la possibilité de l’adhérence sur un ulcère ; ainsi, il faut la présence des bourgeons charnus, et surtout que la plaie ne soit pas à la période ulcéreuse. Si ces conditions sont réalisées, rien ne s’oppose plus à la réussite de l’opération.

Les plaies résultant de l’extirpation de certaines tumeurs de nature carcinomateuse ou sarcomateuse peuvent encore être greffées avec succès. Pourquoi ne l’appliquerait-on pas sur ces énormes plaies que j’ai vu pratiquer à l’École vétérinaire de Toulouse pour parvenir à l’extirpation de ces tumeurs ?

En résumé, dans la pratique des greffes sur les plaies de mauvaise nature, les conditions favorables au succès sont singulièrement restreintes. La présence d’un seul bourgeon de bonne nature suffit pour obtenir un ilôt cicatriciel ; mais il faut qu’il existe. Y a-t-il beaucoup du plaies qui ne réunissent pas cette seule condition ? Ma conviction est qu’elle se trouve toujours réalisée naturellement., ou bien qu’on peut l’obtenir artificiellement. Telles sont les conclusions qu’on est amené à reconnaître en analysant les diverses observations que les auteurs ont signalées.


Influence sur la rapidité de la cicatrisation.


§ II. — Pour bien faire ressortir la part qui doit revenir aux greffes dans le processus histologique, qui a pour but la formation de la cicatrice, je dois m’attacher à étudier les phénomènes qui se passent sur une plaie tendant naturellement à la cicatrisation.

Sur ces plaies, la cicatrice se produit-elle en envahissant peu à peu sa surface de ses limites extrêmes jusqu’au centre ?

L’observation fait voir qu’il n’en est pas ainsi. Il y a longtemps que l’on a observé la formation spontanée d’ilôts cicatriciels au milieu de certaines plaies. On a même remarqué que ces ilôts, par leur rencontre, diminuaient le temps qui aurait présidé à la formation de la cicatrice. C’est là, sans doute, un fait sur lequel tout le monde est d’accord, et qui semble plaider en faveur des greffes ; car, dans ce cas, ces dernières peuvent être qualifiées de naturelles. Ce fait à une grande importance historique, car c’est lui qui a donné l’idée à M. Reverdin de provoquer artificiellement l’apparition de ces ilôts.

Mais, dans une plaie ordinaire, ces ilôts centraux n’existent pas toujours, et souvent la cicatrisation ne s’opère que par un envahissement progressif qui s’étend des bords de la plaie vers son centre. Si on greffe la surface de cette même plaie, les ilôts, en s’étendant, diminueront d’autant le travail de la cicatrice marginale, de telle façon que si on multiplie ces greffes, on peut concevoir à priori que la durée de la cicatrisation sera singulièrement diminuée. Ajoutons à ce premier travail la formation des ponts d’un ilôt à l’autre et de celui-ci aux bords de la plaie, et nous pourrons conclure que par ce procédé la plaie sera vite comblée. La vitesse de cicatrisation dépend donc du nombre de greffes et de la disposition que celles-ci affectent entre elles et par rapport aux bords de la plaie.

Ces résultats, tout probants qu’ils paraissent être, ne sont pas admis par tous les auteurs, au moins en ce qui concerne le procédé Reverdin. M. Marduel, dans une étude critique qu’il a fait de cette opération, paraît se défier de cette vitesse dans la cicatrisation. Il tend à admettre, avec Laroyenne, Horand, que la véritable cause de la plus grande rapidité de la cicatrisation devrait peut-être être attribuée aux soins minutieux, qu’on a donnés aux pansements. Cependant, il dit que si les greffes sont multipliées, on hâte évidemment le processus cicatriciel.

Nous voyons donc que d’une manière générale la plupart des auteurs sont d’accord sur la durée moins grande de la cicatrisation, en admettant toutefois la multiplication des greffes. D’ailleurs, la démonstration clinique de ce fait a été exécutée par plusieurs auteurs. Reverdin cite un cas de deux ulcères de petite dimension, dont l’un fut traité par la greffe et l’autre par les moyens thérapeutiques ordinaires. La différence qu’il signale est de huit jours en moins, sur un mois que dura la cicatrisation. Cette différence ne paraît pas très grande ; cependant, comme les plaies étaient de petite dimension, on ne pouvait guère attendre des résultats plus satisfaisants. M. Rouge (de Lausanne), qui a eu l’occasion de traiter deux plaies symétriques de brulûre d’une certaine étendue, est arrivé à de meilleurs résultats. La plaie greffée a mis près d’un tiers de moins de temps que l’autre pour se recouvrir de tissu cicatriciel.

Il paraît donc démontré par les faits qu’on peut, au moyen de la greffe, abréger la durée de la cicatrisation. Si maintenant, comme le conseillent Ollier, de Vecker, on fait un grand nombre de greffes sur la plaie, disposées en séries longitudinales, l’effet produit sera encore bien plus considérable. C’est bien là le cas de ces vastes plaies produites par des débridements qu’on remarque sur nos animaux domestiques (mal de garrot), plaies longues, à cicatriser, nécessitant des soins minutieux et qui pourraient être menées à bonne fin par la pratique des greffes. On pourrait en effet, dans ce cas, soit par le procédé Reverdin, soit par celui de Pollock, disposer à la surface de la plaie de longues séries rectilignes de lambeaux qui diminueraient notablement la durée du processus cicatriciel. Cette durée serait-elle diminuée de très peu, elle n’infirme pas la pratique de l’opération, car, pendant ce temps au moins, indépendamment du point de vue économique, les sujets seraient soustraits aux éventualités toujours périlleuses des plaies en suppuration.


Influence sur la cicatrice.


§ III. — La rapidité de la cicatrisation n’est pas le seul résultat clinique qu’on obtient au moyen des greffes ; elles exercent encore une grande influence sur la cicatrice. Cette influence se fait sentir sous deux points de vue : 1° la solidité, 2° la rétraction moindre.

a) Solidité. — Si on observe une cicatrice due à des greffes, on y remarque certaines particularités fort importantes. Les centres répondant aux lambeaux restent assez souvent saillants, et autour d’eux on voit un léger abaissement répondant à un endroit non greffé. Ce centre est blanc et paraît plus épais. Dans les intervalles des ilôts, la cicatrice devient plus mince, plus fragile et conséquemment est plus exposée à se fendiller, à s’excorier. Ces caractères des ilôts disparaissent peu à peu, et, à mesure que la cicatrice se raffermit, ils se fondent avec elle. Toutes ces particularités prouvent qu’il se passe pour les ilôts les mêmes phénomènes que pour les bords de la plaie. Ainsi, dans ces dernières, plus on s’éloigne de la peau normale, plus la cicatrice acquiert moins de solidité et s’ulcère facilement ; il en est absolument de même autour de la greffe.

De ce fait ressort un intérêt pratique, c’est que plus on multipliera la greffe, plus on obtiendra une cicatrice capable de résister à l’ulcération.

Les faits viennent prouver cette solidité de la cicatrice ; voici comment s’exprime M. Rouge à ce sujet :

« Cette méthode nous fournit le moyen d’accélérer la cicatrisation des plaies, des ulcères, et d’obtenir une cicatrice régulière, solide, et non sujette à l’ulcération. De plus, je crois, d’après ce que j’ai vu, qu’on pourra prévenir par le semis de greffes épidermiques les difformités résultant de la rétraction du tissu inodulaire. »

Un grand nombre d’auteurs sont d’accord sur ce point, qu’il me suffise de citer MM. Ollierr, Duplay, Colrat, etc. Tous, dans leurs expériences, sont arrivés à des résultats identiques. Quelques-uns ont même vu la greffe résister à l’ulcération, à l’érysipèle, pendant que l’autre tissu cicatriciel était complètement détruit. Cependant, je dois dire ici que parmi ces auteurs tous n’ont pas employé les greffes épidermiques ; quelques-uns ont employé les greffes dermo-épidermiques, fait qui pourrait jouer un certain rôle dans la solidité de la cicatrice. Ainsi, M. Marduel rejette complètement la greffe épidermique au point de vue de la solidité du tissu cicatriciel. Il ne désavoue pas qu’on puisse obtenir cette solidité, mais seulement au moyen de lambeaux dermo-épidermiques.

En résumé, les ilôts cicatriciels dus aux greffes sont plus solides et résistent mieux à l’ulcération que les autres parties de la cicatrice, et cette propriété, surtout prononcée au centre de ces mêmes ilôts, s’affaiblit à mesure qu’on s’en éloigne.

b) Rétraction cicatricielle. — Sur une plaie qui a été traitée par les moyens ordinaires, on remarque, à mesure que la cicatrisation se produit, qu’une rétraction s’opère sur les tissus environnants. Ce fait se remarque surtout dans les plaies situées au voisinage des ouvertures naturelles, car alors la rétraction se faisant sentir sur le bord de cette ouverture, il en résulte des difformités plus ou moins graves (ectropion). La greffe permet-elle de lutter contre cette rétraction ? permet-elle encore de combattre ces difformités lorsqu’elles existent déjà ? C’est ce que je vais essayer de prouver, m’appuyant toutefois sur les expériences qu’ont rapporté divers auteurs, parmi lesquels je citerai MM. Reverdin, Poncet et Wecker.

Toutes les méthodes qu’on a employées pour éviter cette rétraction ne semblent pas être rationnelles au même degré. La greffe épidermique pratiquée tel que l’indique son nom ne peut pas avoir de grands avantages sur la cicatrice normale. Le procédé de M. Ollier est préférable, en ce sens que le lambeau, plus grand, comprenant une grande partie du derme, se rapproche davantage d’une véritable autoplastie et tend conséquemment, à produire une peau à peu près normale. Wecker a suivi ce dernier procédé et a obtenu des résultats remarquables en ophtalmoscopie.

La situation de la plaie à une grande importance au point de vue des difformités qui peuvent être produites par la rétraction cicatricielle. J’étudierai successivement les plaies commissurales, les plaies situées au voisinage des ouvertures-naturelles (œil, nez, etc.), et enfin celles qui sont situées à la surface du corps.

Dans les plaies commissurales, entre les doigts, par exemple, entre les deux lèvres chez le cheval, la rétraction cicatricielle produit une soudure entre les deux organes, soudure qui rend imparfaite l’exécution de leurs fonctions. Comment s’effectue cette rétraction ?… Elle se fait en deux temps. Elle commence pendant la cicatrisation ; elle s’opère alors d’une façon lente, peu à peu, avec une vitesse qui coïncide avec la formation de la cicatrice. Elle s’achève après la cicatrisation ; des brides se forment et deviennent de plus en plus saillantes, l’adhérence formée par soudure se resserre de plus en plus, et cela pendant un temps souvent fort long.

Si maintenant la plaie est greffée, la cicatrice se for, niera plus vite et elle couvrira une plus grande surface ; dès lors il y aura beaucoup plus de points fournis à la rétraction, et celle-ci se divisant, elle s’amoindrira d’autant[6].

Les faits pratiques viennent prouver ce que 4a théorie fait concevoir à priori et un grand nombre de cas de Ranke, de Colrat, de Poncet, de Rouge, d’Hergott, plaident en faveur de la greffe pour éviter la soudure des bords des plaies commissurales. C’est encore par ce procédé qu’Ollier est parvenu à combattre un cas très grave de syndactylie.

Les plaies situées au pourtour des ouvertures naturelles deviennent parfois, à cause de leur rétraction, amenée par la cicatrice, le point de départ de difformités fort graves.

Sont-elles situées au voisinage des paupières ? On a consécutivement des ectropions ; à côté de la bouche, on a des déviations des lèvres, etc.

Toutes ces difformités sont aisément combattues par la greffe. C’est surtout M. Wecker qui a apporté ce mode de traitement en ophtalmoscopie. Il s’en est servi dans le cas de brûlure des paupières, pour éviter l’ectropion consécutif à la rétraction, et a même proposé d’opérer cette affection, lorsqu’elle existe déjà, en enlevant le tissu cicatriciel et en greffant la plaie ainsi obtenue. M. Lawson a pratiqué cette opération, je résume ce qu’il a obtenu :

« Il incisa le tissu cicatriciel et disséqua les adhérences de manière à libérer la paupière qu’il sutura à l’autre ; il eut ainsi une plaie qu’il laissa bourgeonner ; le sixième jour, deux larges greffes furent faites avec succès. Le résultat fut satisfaisant, à part une légère difformité due à la saillie des ilôts greffés.

Dans les plaies situées à la surface du corps, les résultats sont les mêmes. Qu’il suffise donc de dire qu’on obtient une cicatrice plus simple, plus uniforme, et qui se rapproche beaucoup plus de la peau normale que le tissu cicatriciel obtenu par des moyens thérapeutiques.

En résumé, on peut conclure :

1° Que par la greffe on peut s’opposer à la soudure de deux plaies granuleuses voisines ;

2° Qu’on peut éviter la rétraction au moins en partie ;

3° Enfin, qu’on a combattu par cette opération certaines difformités qui, sans elle, seraient restées à peu près incurables.




INDICATIONS DE LA GREFFE EN MÉDECINE VÉTÉRINAIRE


Il est incontestable qu’en médecine vétérinaire cette opération ne peut pas rendre d’aussi grands services qu’en médecine humaine, certains de ses avantages, ceux-là mêmes qui ont le plus d’importance, tels que la rétraction moindre de la cicatrice, comme conséquence, les infirmités qu’elle occasionne, qu’on peut faire disparaître au moyen de la greffe, sont d’une inutilité complète en médecine vétérinaire. Les animaux étant de simples machines, n’ont de la valeur que par les services qu’ils rendent, et non pas précisément par les contours plus ou moins gracieux qu’ils offrent à l’œil.

Quoiqu’il en soit, si nous analysons les avantages qui ressortent de la pratique de la greffe, nous en trouverons quelques-uns parfaitement applicables à la médecine des animaux.

D’une manière générale, les avantages qu’on retire de la pratique de cette opération, sont : 1o  l’accélération de la cicatrisation ; 2o  rendre celle-ci possible dans le cas de plaies rebelles ; 3o  obtenir une cicatrice plus solide, plus souple et résistant mieux à l’ulcération ; 4o  empêcher la soudure de deux plaies voisines ; 5o  s’opposer à la rétraction.

§ I. — Il est évident qu’il est toujours utile de hâter la cicatrisation d’une plaie ; il y a dans ce point, en médecine vétérinaire, un but économique, que le praticien doit toujours s’empresser d’atteindre. Nos animaux domestiques portent souvent de vastes plaies, suite de délabrements occasionnés eux-mêmes par des mortifications de parties osseuses ou fibreuses (je veux parler du mal de garrot) ; ces plaies, lentes à cicatriser, entraînant comme conséquence des pertes séreuses, incompatibles parfois avec la valeur de l’animal, pourraient, ce me semble, être essentiellement amendées par la partie des greffes.

Dans ce cas, on pourrait, à l’exemple de M. Ollier, pratiquer un grand nombre de greffes, qu’on disposerait en séries rectilignes et qui, devenant le point de départ d’ilôts cicatriciels, amèneraient une prompte guérison. Et d’ailleurs, la durée de la cicatrisation serait-elle très peu diminuée, que l’opération devrait être pratiquée quand même, car elle n’entraîne pas avec elle le moindre frais. Toutes les plaies par arrachement., auxquelles sont sujets tous nos animaux domestiques, seraient, je crois, traitées avantageusement par ce procédé.

§ II. — L’indication de cette opération en vétérinaire, ayant trait aux ulcères rebelles, aux plaies chez lesquelles la cicatrisation s’effectue avec lenteur, n’existe pas pour ainsi dire. On sait, en effet, que nos animaux sont peu disposés à ces solutions de continuité entretenues le plus souvent par un vice constitutionnel. Cependant l’influence de certains tempéraments (lymphatiques), peut entraver la cicatrisation des plaies chez quelques animaux. Mais dans ce cas, comme en médecine humaine d’ailleurs, je crois que si on retire quelque avantage de la greffe, on en retire un bien plus grand encore des médications spéciales, propres à combattre cet état fâcheux que présentent les sujets. Ce n’est pas à dire pourtant que les greffes ne doivent pas être appliquées, car les auteurs s’accordent à leur donner une certaine influence.

§ III. — La solidité et la souplesse de la cicatrice sont encore deux avantages que le praticien peut utiliser dans la pratique des greffes chez nos animaux domestiques. Pour ces derniers comme pour l’homme, une cicatrice capable de résister à l’ulcération est certainement un grand bienfait. Ils sont plus exposés à l’influence des causes extérieures, leur travail, leurs harnais les exposent à des frottements continuels, qui produiront d’autant mieux l’ulcération de la cicatrice que celle-ci sera plus faible, plus mince. Donc, cet avantage qui ressort de la pratique de la greffe trouve encore en médecine vétérinaire son application.

En résumé, la pratique de la greffe chez nos animaux domestiques offre de réels avantages au point de vue économique. Pourquoi n’a-t-elle pas été appliquée ?… J’attribue cela à la façon dont on pratique généralement la médecine vétérinaire. Dans cette branche, comme dans la médecine de l’homme, d’ailleurs, le praticien abandonne avec regret les vieux principes qui lui ont été enseignés ; il aime à se persuader de l’inutilité de toute innovation et suit toujours les errements des anciennes doctrines. C’est là, je crois, la cause qui a fait que la greffe épidermique est passé inaperçue en médecine vétérinaire. Aurais-je appelé l’attention sur cette question si importante ? Sans doute, je serais heureux, mon but serait atteint, si j’osais espérer que ce modeste opuscule put faire abandonner les vieilles doctrines zoïatriques, engager chaque vétérinaire à expérimenter cette nouvelle méthode de traitement des plaies, et enfin en faire retirer tous les bénéfices qu’elle semble faire espérer.

Cros.

  1. Extrait des Archives générales de Médecine, numéros de mars 1872 et suivants.
  2. Lyon-médical, mai 1873.
  3. Lyon-médical, n° 18, 1871.
  4. Il est certain qu’il existe un réticulum à la surface des plaies en suppuration. Sur une coupe faite sur la peau d’un chien qui présentait une multitude de points en suppuration provenant d’une gâle déterminée par un demodex, j’ai vu, avec l’aide de notre honorable professeur, M. Arloing, ce réticulum parfaitement apparent. On distinguait, en certains points, de petites cavernes contenant une ou deux cellules à côté d’autres qui étaient vides ; mais autour des éléments cellulaires contenus dans ces cavernes existaient des filaments très déliés, qui les séparaient les uns des autres.

    D’un autre côté, M. Ranvier, dans son Traité technique d’Histologie, 1er et 2e fascicules, 1875, décrit une denticulation qu’il figure très bien entre les cellules du corps muqueux de Malpighi et la face superficielle ou papillaire du derme. Ces denticulations, très déliées à un faible grossissement, ne pourraient-elles pas être le réticulum, le chevelu de MM. Colrat et Morat ?…

  5. Ne pas admettre la prolifération des éléments cellulaires qui constituent la greffe, me semble une infraction aux règles d’une saine physiologie. Dans les éléments qui entrent dans la constitution de la greffe, il y en à qui jouissent encore de tous les phénomènes vitaux (cellules du corps muqueux). Que va-t-il se passer si on place ces éléments dans un milieu favorable à leur entretien ? Ils puiseront les principes nutritifs à la surface de la plaie, continueront à vivre et se développeront. Mais l’ilôt ainsi greffé grandit. Pourquoi ne pas mettre sur le compte de la prolifération cette augmentation de volume ? On sait bien que cette prolifération est la caractéristique de la vie de l’élément cellulaire. Il me semble donc plus naturel d’admettre cette prolifération, quoiqu’on n’en ait pas trouvé le moindre signe, que de me contenter des mots force catalytique, pour expliquer l’apparition de l’épiderme, mots qui ne satisfont pas du tout l’esprit.
  6. Ces centres multiples agissent peut-étre en répartissant la rétraction, en la divisant, au lieu de s’exercer seulement sur les bords ; elle est, pour ainsi dire, brisée, distribuée en chaque point où les greffes se développent. (A. Reverdin, Gazette médicale de Strasbourg, 1er septembre 1871).