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Des hommes sauvages - original/Relation/53

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Comment on me conduisit à Dieppe dans la maison du capitaine de la Belette, qui avait quitté le Brésil avant nous et n’était pas encore arrivé.
CHAPITRE LIII.

C’est au port de Dieppe qu’appartenait le vaisseau la Marie Belette, à bord duquel s’était embarqué, pour retourner en France, l’interprète qui avait dit aux sauvages de me manger. L’équipage avait refusé de me recevoir dans la chaloupe quand je m’étais échappé, et le capitaine avait livré aux Indiens un Portugais pour être dévoré, après avoir pris un vaisseau de cette nation.

Ce vaisseau n’était pas encore arrivé, quoique, d’après le calcul du capitaine de la Catherine de Vatteville, il eût dû nous précéder de trois mois. Les femmes et les parents des gens de l’équipage vinrent me demander si je n’en avais pas entendu parler. Je leur répondis : « Oui, je les ai vus, et ce sont des misérables ». Je racontai alors comment celui qui m’avait vu dans le pays des sauvages, leur avait dit de me dévorer ; qu’ils étaient venus avec leur embarcation pour acheter aux naturels des singes et du poivre, et qu’ils m’avaient repoussé quand j’y étais arrivé à la nage. Enfin, ajoutai-je, ils ont livré un malheureux Portugais pour être mangé ; mais je vois bien que Dieu n’avait voulu que ma délivrance, puisque je suis arrivé avant eux. « Je m’inquiète peu de ce qu’ils sont devenus ; mais je vous promets bien que Dieu ne leur pardonnera pas la cruauté et la barbarie dont ils ont usé à mon égard, et il les punira un jour ou l’autre ; car je reconnais que le Seigneur a eu pitié de mes larmes, et qu’il a récompensé ceux qui m’ont racheté des mains des sauvages. » Et cela était vrai, puisqu’il nous avait donné un beau temps, un bon vent, et les poissons de la mer.

Ils s’affligèrent alors beaucoup, me demandant si je croyais leurs parents encore vivants. Je ne voulus pas les désoler, et je leur dis que peut-être ils reviendraient ; quoique je fusse persuadé, comme tout le monde, que leur vaisseau avait péri. Je les quittai en leur recommandant de leur dire, s’ils revenaient jamais, que Dieu était venu à mon secours, et que j’avais passé par Dieppe.

Je me rendis de là à Londres, en Angleterre, où je restai quelques jours, puis en Zélande ; de la Zélande à Antorf (Anvers).. C’est ainsi que Dieu, à travers mille périls, me ramena dans mon pays. Amen.