Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Préface

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Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 3-8).


PRÉFACE
DE L’ÉDITEUR FRANÇAIS.
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LA relation d’Hans Staden, dont nous donnons aujourd’hui la première version française, parut en allemand à Marbourg, en 1557, petit in-4o. De Bry la fit traduire en latin, et l’inséra dans la collection des grands voyages, dont elle forme la troisième partie. Elle fut publiée, pour la première fois, par Jean Eychman, professeur de médecine à l’université de Marbourg, qui, selon l’usage du temps, avait pris le nom de Dryander. Il la fit précéder d’une longue préface, plus savante qu’utile, et que je n’ai pas cru devoir conserver, parce qu’elle ne contient aucun renseignement important pour nous. Cette édition allemande, dédiée à l’électeur de Hesse, est ornée de figures en bois, très-curieuses et assez bien exécutées ; elle est de la plus grande rareté, et n’a pas été inutile à Jean de Léry, qui en parle en ces termes :

« Et faut que j’adjouste encores ici, pour le contentement des lecteurs et confirmation de tout ce que j’ai traitté en ceste histoire, qu’estant à Basle en Suysse, au mois de mars 1586, M. le docteur Félix Platerus, personnage rare par son savoir et amateur de toutes singularitez, dont il a ses salles, chambres et cabinets parez, tant de choses naturelles qu’artificielles comme j’ai veu : après m’avoir fait un très bon accueil en sa maison des plus belles qui soyent en la dite ville, lui et moi ayans discouru bien au long de mon voyage en Amérique, dont il avait l’histoire imprimee, il m’a dit que, l’ayant conféree avec ce que Jean Staden, Allemand de nation, qui avoit esté fort long temps en ce pays là, en avoit escrit, il trouvoit que nous nous convenions très bien en la description, et façons de faire des sauvages amériquains : et là-dessus me bailla le livre dudit Staden, figuré et imprimé en allemand, à la charge toutesfois (pour ce qu’il s’en recouvroit malaisément), que je lui renvoyerois, comme je fis après que Théodore Turquet, Seigneur de Mayerne, qui entend fort bien la langue alemande (et qui est aussi versé en toute bonne science), le m’eust traduit en françois, au moins la plus grande partie, et les principales matières qui y sont traittees. Ce que je leu avec le plus grand plaisir, pour ce que Jean Staden, qui a esté environ huict ans, en ce pays là, en deux voyages qu’il y a faits (car, comme il l’a dit, il partit au premier 1547. et revint en 1555., la même annee que Villegagnon s’embarqua pour y aller ; et deux ans avant que nous y arrivissions), ayant esté détenu prisonnier plus de six mois par les Tououpinambaoults qui l’ont voulu manger plusieurs fois, mesme ceux que j’ai cognus depuis, nom par nom, aux environs de la rivière de Geneure, qui estoyent nos alliez et ennemis des Portugais, avec lesquels Jean Staden estoit quand il fut prins, comme il les descrit, je remarquai qu’il en parloit du tout à la vérité ; bien aise aussi que je fus, de ce qu’ayant mis mon histoire en lumière, plus de huict ans avant que j’eusse jamais ouy parler de Jean Staden, moins qu’il eust voyagé en Amérique, je vis que nous avions si bien rencontré en la description des Sauvages Brésiliens et autres choses qui se voyent, tant en cette terre là que sur mer, qu’on diroit que nous avons communiqué ensemble avant que de faire nos narrations. Ainsi ce livre de Jean Staden, qui de n’aguères a esté imprimé en latin, et désire bien qu’il le soit en françois, ofrant, si on le veut faire, de bailler ce que j’en ai jà de traduit, et l’embellir de choses notables, mérite semblablement d’être leu de tous ceux qui désirent savoir au vrai les coustumes et façons de faire vraiment sauvages des Brésiliens. Joint qu’il tesmoignera avec moi que Thevet a été superlativement efronté menteur, tant en ce qu’il a mis en général en sa Cosmographie et ailleurs en ses œuvres, touchant ce qui se fait et se voit en Amérique, que particulièrement de Quoniambegne, avec lequel Staden, ayant esté à la guerre et longtemps prisonnier sous lui, combien qu’il le descrive très-cruel et inhumain envers tous ceux qu’il pouvoit attraper de ses ennemis, tant il y a toutesfois qu’il ne dit pas que ce fust un géant, ains seulement un puissant homme, moins qu’il portast des pièces d’artillerie pour les tirer de dessus ses épaules toutes nues après ses ennemis, comme Thevet l’a barbouillé et fait pourtraire en sa fabuleuse Cosmographie. Ainsi que, en le réfutant, j’ai dit en la préface de ceste histoire, etc. »

Je n’ajouterai rien au témoignage de de Léry, qui, certes, était meilleur juge que qui que ce fût du mérite et de l’authenticité de cette relation, œuvre d’un soldat peu lettré, mais homme de cœur et de tête. Je n’ai pu trouver aucun détail sur la vie de Hans Staden, si ce n’est qu’il était né dans la petite ville de Wetter, et qu’il vivait encore à Wolffhagen en 1557, quand sa relation a paru. Elle a été réimprimée à la suite de la traduction allemande de Cadamosto. Francfort, 1567, fº.