Des mouvements de rotation chez les animaux

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ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


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DES


MOUVEMENTS DE ROTATION


CHEZ


LES ANIMAUX


PAR


J. GABARRET


DE LASSERRADE (Gers)


Celui qui signe un écrit qu’il proclame
Doit encourir ou l’éloge ou le blâme.


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THÈSE


POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN VÉTÉRINAIRE
(15 juillet 1877).


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CASTRES
TYPOGRAPHIE DU PROGRÈS
12, RUE MONTFORT, 12


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1877



À LA MÉMOIRE DE MON PÈRE


REGRETS ÉTERNELS




À MA MÈRE




TÉMOIGNAGE DE RECONNAISSANCE ET D’AMOUR FILIAL




À TOUS CEUX QUI ME SONT CHERS


À mes professeurs



AVANT-PROPOS


Les fonctions et les maladies du système nerveux sont encore entourées d’une grande obscurité, malgré les recherches des savants sur cet important sujet. L’observation des faits permet de poser cette conclusion qu’un trouble d’une fonction quelconque est provoqué par une altération de l’organe qui en est le siége. C’est ainsi que les anciens rangeaient parmi les maladies adynamiques un grand nombre d’affections se caractérisant par des phénomènes nerveux variables ; aujourd’hui, l’anatomie pathologique a fait connaître pour quelques-unes d’entre elles le siège et la nature de l’altération dont on ne constatait autrefois que les manifestations symptomatologies. C’est là un résultat encourageant qui, tout en diminuant le cadre des névroses, donne plus de précision au diagnostic et permet au clinicien d’employer des moyens thérapeutiques rationnels et efficaces.

Les mouvements de rotation chez les animaux ont été longtemps méconnus quant à leur nature et à leurs causes. Leur importance est incontestable au double point de vue de la pathologie et de la physiologie ; leur fréquence est grande et il suffit à cet égard de citer le tournis des bêtes ovines ; toutes considérations qui m’ont engagé à traiter cette question.

Peu de travaux ont encore été faits sur les causes et la valeur diagnostique des mouvements de rotation ; je n’ai pas voulu combler cette lacune. En écrivant les quelques lignes qui vont suivre mon but a été d’exposer rapidement la série des phénomènes qui se rattachent aux mouvements de rotation ; et de faire connaître la valeur des théories émises sur ce sujet avec quelques observations cliniques à l’appui.

Trois points principaux seront successivement examinés : 1o Des divers mouvements de rotation ; 2o Causes des mouvements de rotation ; 3o Valeur diagnostique des mouvements de rotation au point de vue du siège de la lésion.

Traiter un sujet avec la précision et l’élégance qu’il comporte, le rendre attrayant au lecteur est chose bien difficile pour un débutant. Que d’écueils ne faut-il pas éviter, que d’obstacles ne faut-il pas vaincre avant d’oser livrer à l’impression le résultat de nombreux efforts ? Le désir de bien faire, la conviction des opinions émises et une expérience encore novice seront, je l’espère, des motifs d’excuse auprès de mes lecteurs pour les irrégularités que renferme ce travail.

Dans cette étude, je me suis souvent inspiré des travaux et des conseils de notre savant professeur M. Mauri ; je ne puis que lui témoigner ici ma profonde reconnaissance pour la bienveillance qu’il m’a toujours accordée.

J. G.
DES DIVERS MOUVEMENTS DE ROTATION




La lésion unilatérale d’un grand nombre de parties de l’encéphale peut déterminer chez le sujet qui en est affecté, des mouvements involontaires de rotation, mouvements qui varient avec le siège et la profondeur de l’altération. D’après les expériences de divers auteurs, la lésion unilatérale des hémisphères cérébraux ; des corps striés ; des couches optiques (Flourens, Longet, Schiff) ; des pédoncules cérébraux (Longet) ; du pont de Varole ; des tubercules quadri-jumeaux (Flourens) ; des pédoncules du cervelet, surtout le moyen, et les parties latérales du cervelet (Magendie) ; des corps olivaires, des corps restiformes (Magendie) ; des nerfs optiques ; du nerf auditif (Flourens), etc., etc., pourrait être le point de départ de mouvements de rotation.

Ces parties sont, on le voit, très nombreuses et il faut y joindre la portion supérieure de la région cervicale de la moelle épinière, région dont les blessures peuvent aussi déterminer des mouvements de rotation plus ou moins accusés, peut-être par le retentissement secondaire qu’elles ont sur l’isthme encéphalique. Les lésions de ce dernier organe sont, en effet, celles qui provoquent le plus sûrement ces mouvements anormaux.

Les phénomènes si singuliers de la rotation des animaux furent observés pour la première fois par Pourfour du Petit sur des chiens. Ce savant ayant incisé sur ces derniers animaux un des pédoncules cérébelleux moyens, jusque dans la moitié de son épaisseur environ, vit chacun de ses sujets d’expérience « tourner comme une boule » autour de son axe longitudinal, à la manière d’un tonneau placé sur un plan incliné. C’est ce genre de rotation que les physiologistes désignent sous le nom de roulement.

Après la découverte de Pourfour du Petit, Serres observa et publia un cas pathologique de roulement confirmant les observations de ce physiologiste. Dès lors de nombreuses expériences furent entreprises par Magendie, Flourens, Longet, Schiff, Vulpian, etc., dans le but de provoquer artificiellement et par suite d’expliquer les faits précédents. Le roulement n’est plus contesté aujourd’hui, car il suffit de prendre un lapin et de pratiquer une piqûre avec un stylet dans le pédoncule moyen du côté droit, par exemple, pour voir le sujet s’échapper brusquement de vos mains et tourner sur son axe longitudinal de gauche à droite.

Lorsque la lésion affecte des parties de l’encéphale autres que les pédoncules moyens du cervelet, ce n’est pas ordinairement le mouvement de roulement que l’on observe. C’est ainsi que si les hémisphères cérébraux sont lésés dans leur portion antérieure, et toujours unilatéralement, le mouvement giratoire est une sorte de mouvement de manège, c’est-à-dire que l’animal conservant la station quadrupédale tourne en décrivant un cercle. Enfin, si l’on se rapproche de la protubérance annulaire on obtient un mouvement dit en rayon de roue. Telles sont les trois variétés de mouvements de rotation qu’il est possible de produire par la lésion unilatérale des diverses parties de l’encéphale.

Si l’expérimentation permet d’analyser à volonté ces mouvements, les faits pathologiques sont plus rares et leurs causes plus difficiles à déterminer ; toutefois, parmi ces derniers, c’est, je crois, le roulement et la rotation en cercle qui sont le plus fréquemment observés.

Le mouvement de roulement est engendré par des lésions du cervelet et principalement de son pédoncule moyen ; c’est un fait qui résulte des observations cliniques et des expériences nombreuses qui ont été pratiquées et relatées par divers physiologistes. J’ai déjà cité l’expérience que l’on peut faire sur le lapin ; il en est absolument de même sur le rat et sur la grenouille. Sur ce dernier animal, Vulpian a remarqué cependant que le mouvement n’est pas aussi rapide que chez les mammifères, mais il s’effectue de la même façon ; de plus, il y a un peu de tendance au mouvement ; en rayon de roue autour du train postérieur. Chez les mammifères, d’ailleurs, on a parfois remarqué aussi l’existence simultanée de ce double mouvement de rotation, d’une part autour de l’axe longitudinal du corps, d’autre part autour du train postérieur, et il faut ajouter que ces deux rotations se font en sens inverse ; c’est-à-dire que le sujet qui tournera de gauche à droite autour de son axe longitudinal, progressera de droite à gauche autour de son train postérieur.

Enfin, chez les poissons dont le système nerveux est loin d’être aussi complet que celui des Mammifères, on peut aussi provoquer le roulement.

Comment s’effectue le roulement ? Pour analyser ce mouvement, je vais rapporter dans son ensemble un cas clinique que, par un heureux hasard, il m’a été permis d’observer il y a peu de temps sur une lapine conduite et abandonnée à l’école.

L’animal est présenté le 14 novembre 1876 à la clinique. Comme renseignements, la propriétaire dit qu’ayant laissé quelques jours cette lapine à la campagne pour la faire couvrir, elle s’est aperçue à son retour qu’elle penchait la tête du côté droit et avait de la tendance à tourner en cercle. Cet état avait duré un mois environ, puis l’animal s’était mis à tourner cumule une boule ; il y avait quatre jours que ce symptôme existait quand il a été conduit à l’École.

Au premier examen du sujet, on diagnostique une lésion du pédoncule moyen du cervelet du côté droit.

Voici les symptômes constatés : L’animal se tient debout sur les quatre membres, d’après le mode de station à demi accroupie particulier aux animaux de cette espèce, et porte sa tête fortement inclinée à droite, de sorte que la face latérale gauche regarde en haut et la droite en bas. Les axes visuels sont déviés de la manière suivante : le gauche regarde fortement en haut et en dehors, le droit fortement en bas et en dedans ; il y a donc strabisme. Quand il est debout, l’animal, excité, tourne en manége pendant un court instant, puis s’arrête et se tient accroupi. Tout-à-coup, il effectue avec une grande rapidité plusieurs tours sur son axe longitudinal et pour cela il appuie la face droite de la tête sur le sol, tombe sur le côté droit du corps, passe sur le dos, sur le côté gauche et sur les pattes ; il est ainsi revenu dans sa position première et les tours suivants se font d’après le même mécanisme.

Après avoir effectué quatre à huit tours, ordinairement, l’animal reste en repos jusqu’à ce qu’il soit de nouveau excité, mais il est essouflé, la respiration est très accélérée et la fatigue paraît très grande, ce qui s’explique d’ailleurs facilement paie la violence du roulement. De plus la conjonctive de l’œil droit est fortement injectée par suite de l’appui que l’animal opère sur cet organe dans ses mouvements de rotation. Le roulement n’est pas régulier, car il s’effectue beaucoup plus rapidement quand le corps passe du dos sur le côté gauche que dans les autres positions.

Lorsque le mouvement est arrêté par l’immobilisation des quatre membres, les trains postérieur et antérieur se tordent convulsivement ; si les membres sont seulement attachés deux à deux, le roulement continue à s’opérer comme s’ils étaient libres. Comme on le voit, l’animal tournait sur lui-même de droite à gauche, tandis que son mouvement de translation s’effectuait de gauche à droite, expressions sur lesquelles nous nous expliquerons plus tard.

La sensibilité générale est conservée ; lorsqu’on pique une patte, l’animal la retire brusquement. L’ouïe à sa finesse ordinaire, car mise à côté de la loge d’un chien de chasse qui hurlait de joie à la vue de ce gibier inattendu, la lapine se hâte de fuir en opérant de nombreux tours de roulement. Les fonctions digestives s’effectuent très bien.

L’animal ne fut soumis à aucun traitement et le 21 novembre il fut sacrifié. La tendance au roulement avait considérablement augmenté pendant son séjour à l’Ecole.

Nécropsie. — L’examen général du cadavre ne donne aucun résultat. L’encéphale retiré avec beaucoup de soin de la boîte crânienne n’offre rien à signaler du côté des méninges. Les lobes cérébraux ainsi que les lobes médian et gauche du cervelet sont à l’état normal et leurs circonvolutions bien distinctes. Le lobe cérébelleux droit, au contraire, est déformé et offre une perte de substance assez considérable ; ce point est ramolli, de couleur rosée et les circonvolutions n’apparaissent que d’une manière très diffuse. L’encéphale à l’état frais offre trop de mollesse pour se rendre un compte exact de ses lésions, aussi est-il placé dans l’alcool très étendu afin de le faire durcir. Au bout de huit jours environ de macération, on peut constater les caractères suivants : le lobe cérébelleux droit n’a plus sa forme normale ; à sa partie inférieure on remarque une sorte d’étranglement formant un très court pédicule et isolant de la masse totale une partie du lobe de la grosseur d’une forte lentille ou d’un petit pois. Cette portion isolée présente une surface très diffluente sur sa face excentrique et les circonvolutions ne peuvent nullement se distinguer. La protubérance annulaire n’offre rien d’anormal.

Cet examen superficiel terminé, toute la masse en céphalique est incisée longitudinalement d’avant en arrière et aucune lésion n’est remarquée ni dans la substance cérébrale, ni dans les ventricules du cerveau, ni dans l’épaisseur du cervelet. En faisant une coupe transversale du cervelet passant par le milieu de son pédoncule moyen, et cela en se guidant sur la direction de la protubérance annulaire, on peut constater que ce pédoncule moyen seul constitue la partie ramollie du lobe cérébelleux droit. Ce ramollissement est une lésion très remarquable, car il a détruit le pédoncule cérébelleux moyen au point où il s’épanouit dans le cervelet et lui a par conséquent enlevé toutes ses fonctions vitales.

Tel est succinctement décrit, le mécanisme du roulement que j’ai observé sur cette lapine. Il est évident que le mode de station qu’affecte le sujet peut varier un peu, ainsi il arrive parfois que l’animal est toujours couché sur un côté, et je dis par avance que c’est sur celui qui correspond à la lésion ; mais le roulement se fait toujours de la même tacon. Soit, par exemple, un sujet en décubitus latéral droit ; le mouvement de rotation s’opérera par le passage sur le dos, puis sur le côté gauche et sur le sternum pour se terminer au côté droit, point de départ. Il en est exactement de même lorsque la rotation s’effectue de gauche à droite, c’est-à-dire à l’opposé de celle qu’offrait le sujet précité. Il suffit de renverser l’ordre des mouvements. D’ailleurs à propos de la valeur diagnostique des mouvements giratoires, il sera rapporté des observations cliniques qui démontreront ces faits.

Le mouvement de rotation en manège s’observe dans le cas de lésions unilatérales des parties antérieures de l’encéphale, une blessure d’un hémisphère cérébral par exemple, mais c’est surtout dans les tournis des bêtes ovines que l’on peut remarquer ce mouvement.

Quelle que soit la cause du mouvement en cercle, celui-ci s’effectue toujours de la même façon et son mécanisme est si simple qu’il ne peut offrir rien d’intéressant. Le sujet qui en est affecté marche en décrivant une circonférence dont le rayon est plus ou moins grand suivant le degré d’intensité de l’affection. L’animal se tient debout sur les quatre membres et ceux-ci se meuvent d’une façon plus ou moins isochrone pour concourir au mouvement général. La tête est généralement inclinée du côté de la lésion. Lorsque l’animal décrit un cercle d’un rayon très court la lésion est grave, profonde, tandis qu’elle devient d’autant plus légère que la circonférence est plus étendue. C’est ainsi que lorsque les sujets marchent vers leur guérison, le cercle décrit augmente progressivement jusqu’à ce que l’animal, prenant la tangente, progresse suivant une ligne droite. Dans la grande majorité des cas, les axes visuels sont déviés et on remarque que tous les deux le sont du même côté, à droite ou à gauche suivant le siège de la lésion ; ce symptôme se remarque fréquemment dans la pathologie humaine. Dans le cas, en effet, de lésion unilatérale du cerveau chez l’homme, que ce soit un ramollissement ou une hémorragie, il y a souvent immédiatement après l’attaque, déviation des yeux. Ce phénomène est tantôt passager, tantôt persistant et on remarque, ordinairement, que les axes visuels sont déviés dans le sens opposé à l’hémiplégie, c’est-à-dire que si cette dernière affecte le côté droit, les yeux seront dirigés à gauche et ils ne peuvent se tourner vers le côté droit. Est-ce une paralysie des muscles oculaires destinés au mouvement inverse ? Vulpian se range à cette dernière opinion en se basant sur le fait suivant : Lorsque, chez l’homme, la tête est déviée sur un côté par suite d’une lésion encéphalique, les yeux ne paraissent pas déviés, mais que l’on redresse la tête de force, et alors la déviation sera très apparente. S’il y avait paralysie des muscles moteurs de l’œil, la déviation serait constante quelle que fût la position de la tête. On voit quelle est la constance des déviations de l’axe visuel qui donnent au sujet une physionomie si étrange et qui peut, au moins dans le roulement, indiquer sûrement le sens de la tendance à la rotation.

Le mouvement en manège s’effectue de gauche à droite ou de droite à gauche suivant le siège de la lésion, et on a remarqué que le sens du mouvement a lieu le plus souvent du côté lésé vers le côté sain, mais quelquefois c’est l’inverse, ce que nous expliquerons plus loin.

Enfin, le mouvement de rotation, dit en rayon de roue, consiste dans le tournoiement de l’animal autour de son train postérieur, ce dernier formant l’axe, ou dans la rotation du corps entier du sujet, représentant une partie du rayon de roue, autour d’un axe fictif situé en arrière et sur le prolongement du rayon. Lorsque l’animal tourne, son train postérieur servant d’axe, on peut considérer ce mouvement giratoire comme l’exagération du mouvement en manège. Qu’on suppose, en effet, que la circonférence décrite par l’animal diminue progressivement, il arrivera un moment où le sujet tournera sur lui-même en ayant son train postérieur pour point fixe. Ce mouvement est d’autant plus rapide que la lésion est plus grave, règle qui s’applique d’ailleurs à tous les mouvements de rotation. La rotation en rayon de roue est produite par des lésions de la protubérance annulaire ou des parties qui l’avoisinent ; quoi qu’il en soit, elle est très rare, et quand on la constate elle coexiste généralement avec le mouvement en manège.

Le mécanisme des trois mouvements de rotation qui peuvent affecter les animaux se trouve ainsi, je crois, suffisamment expliqué, et nous allons passer en revue les diverses causes qui peuvent les engendrer.


CAUSES DES MOUVEMENTS DE ROTATION.




Les mouvements de rotation ont pour point de départ des causes qu’il est bon de diviser en causes pathologiques et en causes physiologiques, pour donner d’abord moins de confusion au sujet, et ensuite, parce qu’il existe une différence tranchée entre ces deux ordres de causes ; les dernières comprenant surtout les diverses théories émises pour expliquer ces mouvements anormaux.

Causes pathologiques — À l’autopsie des animaux affectés de mouvements de rotation, on constate dans la grande majorité des cas un ramollissement d’un point de la substance encéphalique. Avant d’examiner les principales causes de cette lésion, disons quelques mots sur son histologie pathologique.

Le ramollissement de la substance nerveuse encéphalique peut offrir divers caractères suivant la période à laquelle on l’examine.

Au début de l’affection, la partie malade présente une consistance moindre que dans les conditions normales et est parsemée de petits extravasats sanguins. Plus tard, la partie phlogosée devient tuméfiée, humide, ou offre même la consistance de la bouillie ; sa couleur est parfois modifiée ; elle se montre pâle, grise ou jaune rougeâtre et quelquefois foncée. En ce moment sa consistance est très-faible et des extravasats capillaires assez nombreux la parsèment ; ce sont là les caractères du ramollissement rouge, ou la première période de cette transformation. Un pareil foyer renferme des capillaires distendus, rompus parfois, des éléments nerveux en dégénérescence graisseuse, des exudats de sang et quelquefois même des cellules de pus.

Ces parties ramollies se transforment bientôt en une masse grise ou blanchâtre, visqueuse, déposée dans des aréoles, ou bien en une bouffie caséeuse. La substance nerveuse a subi la dégénérescence graisseuse d’une façon plus complète que dans le premier cas, des corpuscules pigmentaires rouges ou jaunes, des éléments du pus et des exudats entrent dans sa composition. C’est la dégénérescence grise ou blanche. Très-exceptionnellement, on a pu constater dans le cerveau le ramollissement jaune sur des chevaux atteints d’immobilité (Roll). Ces transformations diverses peuvent donner lieu à des abcès purulents et, dans ce cas, on le comprend, il y a prédominance des cellules de pus, tandis que les autres éléments morbides diminuent ou disparaissent. Les parties avoisinantes sont ramollies et peuvent à leur tour entrer en suppuration.

Dans tous les cas de ramollissement on constate à l’examen nécropsie qu’il y a une perte de substance du point affecté, perte qui devient très visible après macération préalable de l’organe dans de l’alcool à un faible degré.

Passons maintenant aux causes qui généralement provoquent ces ramollissements.

Ce qui agit de la façon la plus efficiente dans la production de ces lésions est une obstruction vasculaire dans la boite crânienne, obstruction qui a ordinairement pour point de départ une embolie, une thrombose. Ainsi, une embolie partie du cœur gauche peut arriver dans une artère de l’encéphale et déterminer une congestion violente de la partie où se rend le vaisseau. Cette hypérémie s’explique très-facilement, car, d’un côté, toute oblitération artérielle augmente inévitablement la pression sanguine dans les branches situées derrière l’obstacle ; ces vaisseaux sont bientôt le siège d’une circulation compensatrice par les collatérales, et le sang reflue dans les capillaires de l’artère oblitérée. D’un autre côté la circulation veineuse se ralentit, la tension s’élève dans les capillaires et des thromboses se forment. Sous l’influence de cette hypérémie, la substance nerveuse s’ébranle, s’enflamme ; l’exsudation de sérosité qui se produit à travers les parois des vaisseaux, ou les éléments chu sang qui s’échappent par les capillaires rupturés dissocient ses éléments et provoquent la série de phénomènes plus haut décrits. L’embolie peut-être formée par un débris d’une valvule mitrale ou sigmoïde ou par un caillot fibrineux qui le courant sanguin porte au cerveau.

Mais la thrombose peut aussi être déterminée par suite d’une altération athéromateuse des vaisseaux, altération qui débute ordinairement par les artères de la base du cerveau. L’endartérite produit un rétrécissement du calibre de ces vaisseaux et la stase sanguine qui en résulte détermine la nécrobiose des éléments nerveux ou leur ramollissement.

Dans le cas de pyémie on trouve quelquefois aussi dans les vaisseaux de l’encéphale des foyers rouges foncés, ramollis au centre et enveloppés d’une auréole rouge et résistante. Roll cite un mouton atteint de variole confluente chez lequel, pendant les derniers jours de sa vie, on avait constaté des mouvements en manège et qui, à l’autopsie, a présenté des foyers métastatiques dans le cerveau en même temps que dans les poumons et dans les reins. Le même fait se produisit aussi sur un cheval atteint de pyohémie et offrant les symptômes de l’immobilité.

Les hémorragies cérébrales peuvent déterminer deys mouvements de rotation par les lésions qu’elles provoquent dans la substance nerveuse encéphalique. Les hémorrhagies, en effet, amènent des compressions, l’inflammation, le ramollissement rouge, des foyers apoplectiques contenant parfois un caillot sanguin. La dégénérescence graisseuse s’empare bientôt du point affecté, les éléments nerveux sont dissociés et l’on comprend sans peine qu’une semblable lésion puisse agir efficacement dans les troubles de la locomotion. Les causes des hémorrhagies cérébrales sont nombreuses, mais lorsqu’elles sont dues à une maladie inflammatoire des centres nerveux, comme la méningo-encéphalite par exemple, il doit être bien rare qu’elles soient suffisamment localisées pour produire un mouvement giratoire ; des paralysies considérables se produisent plutôt. La cause la plus efficiente, dans l’espèce, est le traumatisme, les commotions de la boite crânienne ; les faits d’observation tendent d’ailleurs à le démontrer. Le crâne, en effet, est, autant sinon plus que toute autre région du corps, exposé aux contusions de toute nature qui menacent le sujet, et la brutalité de certains conducteurs d’animaux fait que ceux-ci sont souvent atteints à la tête par des corps contondants. Le cerveau est alors meurtri en un point, parsemé d’extravasats sanguins, soit consécutivement à la pénétration d’esquilles, soit sans l’intervention de celles-ci et par le fait seul de la commotion. Des abcès et des foyers de ramollissement ne tardent pas à se produire.

L’encéphale peut aussi être le siége de tumeurs diverses telles que des fibrômes, des lipômes, des sarcômes, plus rarement des carcinômes ou des papillômes, des tubercules, etc., etc. Ces tumeurs se sont généralement formées dans l’encéphale par la généralisation de leurs cellules morbides au moyen de la circulation, leur point principal existant, dans toute autre partie du corps ; ce sont des tumeurs secondaires.

Le parasitisme est très fréquemment le point de départ de mouvements déréglés chez les animaux et le tournis nous en donne un exemple des plus remarquables.

Le tournis des bêtes ovines est une maladie caractérisée par des troubles des fonctions cérébrales et de la motilité qui provoque souvent chez le sujet qui en est affecté le tournoiement en manège. Les recherches modernes ont démontré que cette affection est déterminée par l’ingestion d’œufs ou de proglottis du tænia cænurus du chien par les petits ruminants. Les embryons qui en résultent sont pourvus de six crochets à l’aide desquels ils se meuvent à travers les tissus jusqu’à ce qu’ils pénètrent dans l’appareil circulatoire ; emportés par le courant sanguin, ils arrivent au cerveau et alors abandonnent les vaisseaux pour effectuer les transformations qui leur restent à subir avant d’arriver à l’état de cænure cérébral. Le cerveau est, en effet l’habitat de prédilection de ces helminthes. (Küehemneister, Rudolphi).

À l’autopsie des animaux morts du tournis, on trouve, si la maladie a été de courte durée, l’arachnoïde et la pie-mère infiltrées ; l’encéphale congestionné présente de très petites vésicules situées soit dans les méninges, soit dans la substance nerveuse elle-même et ce dernier cas est le plus fréquent ; ce sont des cænures. Si l’animal vit assez longtemps on trouve des vésicules d’un volume plus considérable, d’autant plus grand qu’elles sont moins nombreuses. Insensiblement le parasite pénètre plus profondément dans l’encéphale, dans les ventricules, déplace la substance nerveuse, l’atrophie et en provoque le ramollissement. C’est par ces lésions que se trouvent occasionnés les symptômes morbides si variables de cette affection et dont le plus singulier est la rotation. — Roll cite un poulain qui marchait constamment de droite à gauche et en cercle ; lorsqu’il ne pouvait plus se tenir debout, il se couchait toujours sur le côté droit. À l’autopsie on trouva des larves d’æstre dans le pédoncule cérébral gauche ; elles étaient probablement arrivées dans le cerveau par le trou déchiré, après avoir perforé la muqueuse du pharynx et suivi le trajet des vaisseaux. Mais comme un seul cas de ce genre a été, je crois, observé jusqu’à ce jour, il faut en conclure que la pénétration de ces larves dans l’encéphale est excessivement rare.

Causes physiologiques. — La cause physiologique des mouvements de rotation est très difficile à déterminer et, si la science est riche en hypothèses, on doit avouer que la lumière n’est peut-être pas encore rigoureusement faite sur ce point de physiologie.

Serres, le premier, admet que les lésions de l’encéphale produisant une hémiplégie, la rotation avait lieu par ce simple fait. Laffargue développa cette idée en disant que, si l’on réfléchit sur le mécanisme de la locomotion normale des quadrupèdes, on voit qu’étant données deux conditions, la chute sur le côté paralysé et l’activité isolée des deux membres, les efforts de ceux-ci produiront la rotation selon l’axe du corps, par cela même qu’ils agiront seuls en poussant le corps du côté faible Soit un sujet paralysé du côté gauche, et tombant sur ce côté par la section du pédoncule cérébelleux moyen correspondant, les membres droits occupant le plan supérieur, pousseront à gauche et en bas, et, dans leurs premiers efforts, ils feront décrire au corps un quart de cercle ; de manière à mettre le ventre en l’air ; l’impulsion de droite à gauche répétée faisant exécuter de nouveaux mouvements en quart de cercle, les extrémités paralysées, le dos, les membres sains, le ventre occuperont successivement le plan supérieur, ainsi de suite, et le mouvement rotatoire résultera de cette succession.

Cette théorie ingénieuse explique bien incomplètement le mouvement en rayon de roue, ou pour mieux dire elle ne l’explique pas du tout ; quant au roulement et à la rotation en manège elle ne saurait s’y appliquer. Du reste elle pèche par sa base, car l’hémiplégie n’existe nullement ; c’est un fait que Schiff et Longet ont réfuté ; M. Mauri, sur quelques cas qu’il a observés, a toujours remarqué que les quatre membres jouissaient de leur entière mobilité, et que même si on les attachait ensemble, la rotation continuait néanmoins, ce que j’ai du reste observé moi-même sur un sujet. Rien donc ne ressemble à une paralysie des membres d’un côté ; d’ailleurs un fait général résultant d’expérimentations pratiquées sur l’encéphale des vertébrés, est qu’on détermine très difficilement chez eux des hémiplégies, au moins complètes, quels que soient le siège et l’étendue de la lésion.

Schiff rapporte le mouvement de roulement à une paralysie latérale des muscles rotateurs de la colonne vertébrale. De cette paralysie résulterait la torsion en sens inverse de la tète, du cou et du thorax sur la partie postérieure du corps de l’animal ; lorsque celui-ci veut se mouvoir, cette torsion entraînerait le corps dans le même sens. Vulpian a fait à cette théorie plusieurs objections qui prouvent sa fausseté. En effet, la torsion du train antérieur sur le train postérieur, si grande dans quelques cas chez les mammifères, est inappréciable sur les tétards et les poissons ; et cependant, on peut déterminer le roulement chez ces animaux ; il en est de même chez les grenouilles qui ont cependant des mouvements giratoires très rapides.

Pour ce qui concerne les mouvements de manège, Schiff croit à la paralysie, non des membres d’un côté, mais bien de groupes musculaires appartenant les uns à un membre antérieur, les autres au membre antérieur opposé. Dans la marche, les deux membres antérieurs auraient de la tendance à se porter d’un même côté, l’un d’eux se portant toujours dans l’abduction et l’autre dans l’adduction, tandis que le bipède postérieur, resté sain dans ses mouvements, prendrait la direction voulue par le sujet. À mesure que s’effectuerait la progression, le train antérieur dévierait constamment dans le même sens, tandis que les membres postérieurs pousseraient tout le corps en avant ; la résultante serait évidemment un déplacement oblique qui, se répétant, constituerait le mouvement de manège, la circonférence ayant un rayon plus ou moins grand suivant l’obliquité de la locomotion. Cette théorie n’est pas admissible car, si elle explique le mouvement en manège chez les quadrupèdes, elle ne peut rendre compte du même mouvement chez les individus pourvus simplement d’une rame caudale comme les tétards et les poissons. Pour qu’une hypothèse soit acceptable il faut qu’elle explique le même phénomène dans toutes les classes d’animaux et non pas seulement dans une seule. D’ailleurs, on peut donner une réfutation directe de cette théorie par la simple observation des faits ; car on voit que dans la rotation en manège, même lorsque la circonférence est si petite que l’animal tourne sur son train postérieur, chacun des membres concourt la rotation comme s’il s’agissait d’un travail à accomplir. Les explications de Schiff soit pour le mouvement de manège, soit pour le roulement, sont démontrées fausses par une considération que fait valoir Brown-Séquard en proposant en même temps une nouvelle théorie. D’après ce physiologiste, les mouvements anormaux se produisent sous l’influence d’une simple piqûre de parties diverses du système nerveux ou de lésions très peu étendues, telles que celles qui résultent de l’arrachement des racines du nerf facial. Il est impossible que de semblables lésions puissent produire des paralysies assez étendues et assez durables pour expliquer de pareils désordres.

D’un autre côté, les expériences de Brown-Séquard sur la moëlle épinière ont fait voir que la moindre piqûre dans un point de cet organe suffit pour provoquer une vive irritation de longue durée et une hyperesthésie des parties postérieures à la lésion. Partant de ce fait, Brown-Séquard se croit autorisé à admettre que des lésions assez étendues pratiquées dans un point de l’isthme encéphalique produiront une irritation suffisante pour provoquer, directement ou par action réflexe, une contraction tonique spasmodique de certains groupes musculaires et par suite la rotation. Comme on le voit, cette théorie est l’inverse de la précédente, mais, pas plus qu’elle, elle ne peut expliquer les phénomènes qui nous occupent d’une manière satisfaisante. En effet, lorsque l’animal offre des mouvements de rotation impétueux, on peut redresser la tête, la tourner dans un sens inverse à sa torsion sans que le mouvement cesse de s’effectuer ; bien plus, ont peut couper les muscles qui déterminent cette torsion de la tête sans abolir le mouvement de rotation. Cette objection directe s’applique aussi bien à la théorie de Schiff qu’à celle de Brown-Séquard.

Dans aucune de ces hypothèses on ne tient assez compte, je crois, du mouvement de rotation, à savoir la tendance engendrée dans les centres encéphaliques par la lésion, tendance qui force l’animal à tourner. En effet, le mouvement giratoire s’effectue, non par suite de paralysies ou d’excitations qui donneraient une prédominance à certains groupes musculaires unilatéraux, mais parce que du centre nerveux partent des impulsions au mouvement de rotation. Il ne faut pas confondre cette opinion avec celle qui rattache ces mouvements à un vertige dû à un trouble des sens, de la vision surtout.

Cette théorie, mise au jour par Henle, a été de nouveau soutenue par Gratiolet et Leven. Nous avons déjà parlé de la déviation des axes visuels lorsqu’on blesse un pédoncule moyen du cervelet, déviation qui se produit très souvent quelle que soit la lésion qui engendre la rotation ; or, ce serait ce strabisme qui, d’après les auteurs précédents, déterminerait le mouvement giratoire. « Les yeux, disent Gratiolet et Leven, se dirigent automatiquement vers le côté lésé, la tête suit les yeux, et le corps à son tour la tête, en vertu de cette influence générale que les yeux exercent sur les mouvements du corps. »

Cette explication est facilement réfutable, car Brown-Séquard a démontré que les mouvements de rotation peuvent s’effectuer sans déviation des axes visuels, que celle-ci peut exister sans qu’il y ait rotation, et qu’enfin, l’ablation des globes oculaires ayant été pratiquée sur les sujets, le mouvement persistait, preuve évidente que ce n’est pas le vertige visuel qui l’engendre.

Aucune des théories que nous venons de passer en revue n’est satisfaisante, comme nous l’avons démontré, et pour terminer cet exposé, peut-être trop long déjà, nous décrirons en nous y rattachant la théorie de Magendie et de Flourens qui, quoique la première en date, se rapproche le plus de la vérité. Magendie admet dans chacun des pédoncules moyens du cervelet une force qui tend à faire tourner l’animal dans un sens. À l’état normal ces deux forces se contrebalancent ; mais dès qu’on vient à couper l’un des pédoncules moyens la force qui siège dans cet organe cesse d’agir, et la force qui réside dans l’autre pédoncule, n’ayant plus de contre-poids, contraint l’animal à tourner dans un sens déterminé.

L’opinion de Flourens diffère de la précédente, en ce que, au lieu de forces excitatrices, cet auteur admet des forces modératrices dans les pédoncules moyens du cervelet. Dans les deux hypothèses c’est toujours la section du pédoncule précité qui engendre le roulement. Brown-Séquard a objecté à cette dernière théorie qu’une simple piqûre produit le roulement et par conséquent il ne doit pas y avoir abolition des parties lésées. Comme le fait remarquer Vulpian il suffirait d’admettre une simple excitation du pédoncule au lieu d’une paralysie, pour que cet argument perdit toute sa valeur. Schiff a fait valoir une autre objection. D’après lui, le mouvement de rotation devrait être continu, irrésistible ; or, on constate parfois des intermittences, même au début de l’affection, et dans ce cas la rotation ne reparaît que lorsque l’animal se déplace. Cette objection n’est que spécieuse. La lésion peut n’être pas considérable, ou bien le trouble des fonctions, très intense au début, diminue ensuite peu à peu pour ne se montrer que pendant la marche.

Les lésions du pédoncule cérébelleux moyen déterminent un trouble dans les fonctions de la protubérance annulaire, trouble qui doit être une excitation plutôt qu’une paralysie. Par suite naît la tendance à la rotation, violente au début, diminuant parfois peu à peu. Dans tous les cas il n’y a jamais paralysie unilatérale des membres. Cette théorie qui explique le roulement s’applique aussi aux deux autres mouvements de rotation, car on peut dire d’un autre point de l’encéphale ce que nous avons dit du pédoncule cérébelleux moyen. Donc, si d’autres causes peuvent contribuer à la rotation, comme par exemple le trouble des sens, c’est toujours une tendance d’origine encéphalique qui joue le principal rôle et c’est la théorie de Magendie et de Flourens qui, dans l’état actuel de la science, est la plus plausible.


VALEUR DIAGNOSTIQUE DES MOUVEMENTS


DE ROTATION AU POINT DE VUE DU SIÉGE DE LA LÉSION




La connaissance exacte des lésions qui correspondent à tel ou tel mouvement de rotation serait certainement la partie la plus utile, au point de vue pratique, de la monographie dont j’ai tenté l’essai. Si, en effet, le diagnostic de la lésion pouvait toujours être fait avec une rigoureuse précision, on comprend avec quelle facilité plus grande, le clinicien pourrait employer un traitement rationnel, si toutefois un traitement pouvait être mis en pratique, comme dans le tournis par exemple. C’est surtout au point de vue du traitement chirurgical (le cette dernière affection que le siégé de l’hydatide serait important à connaître.

Malheureusement de nombreuses contradictions existent dans la science au sujet du diagnostic des causes des mouvements de rotation, contradictions qu’on doit certainement rattacher à l’obscurité qui règne encore sur la physiologie de l’encéphale. Quoi qu’il en soit, je vais m’attacher à décrire ce qui parait le plus plausible à cet égard, en me basant sur l’expérimentation et surtout sur les caractères nécropsies observés.

Et d’abord, pour suivre l’ordre déjà tracé, je m’occuperai du roulement. Mais auparavant, je dois dire en peu de mots comment on doit comprendre le sens de ce mouvement, et, à ce sujet, je prendrai pour exemple la lapine dont j’ai donné plus haut la relation. Cet animal, ai-je dit, se tenait dans la position spéciale à ce genre, c’est-à-dire accroupie sur ses membres ; la tête était fortement déviée à droite et lorsque le roulement s’effectuait, c’était sur le côté droit que se faisait d’abord l’appui, puis sur le dos, sur le côté gauche, les pattes, etc. Par conséquent cet animal tournait sur lui-même de droite à gauche, tandis qu’il se déplaçait de gauche à droite, puisqu’il s’éloignait toujours vers la droite du point de départ. Cette explication donnée pour éviter toute confusion, revenons au siège de la lésion.

Sur l’animal précité, l’autopsie a nettement démontré que le pédoncule cérébelleux moyen droit était seul atteint de ramollissement. M. Mauri dans une monographie sur le roulement cite les deux cas suivants qui viennent confirmer le précédent : Il s’agit de deux chiens. Le premier, âgé de quatre ans, fut présenté comme tournant en tonneau depuis cinq jours sans cause connue. Ce professeur diagnostiqua une lésion d’un pédoncule moyen du cervelet. L’animal, étendu sur le côté gauche, se déplaçait en faisant une série de tours sur son axe longitudinal ; pour cela il relevait vers la droite l’extrémité inférieure de la tête de manière à tordre celle-ci sur l’encolure, cette dernière sur le dos et ainsi de suite.

Dans ce mouvement, les membres arrivaient en l’air et la région dorsale sur le sol. Grâce à l’impulsion donnée, le corps tombait sur le côté droit. Dans ce premier temps la colonne vertébrale servait d’axe de rotation ; dans le second c’était le sternum. L’animal fléchissait les membres, relevait la tête et l’appliquait sur le sol par sa face gauche, et bientôt tout le corps, après avoir passé sur les pattes fléchies, retombait sur le côté gauche ; en vertu de l’effet de torsion commandé par la tête. Mêmes phénomènes pour les tours suivants. L’animal se tournait donc sur lui-même de gauche à droite et progressait, de droite à gauche. Si on fixait ensemble les quatre membres, le mouvement de rotation continuait quand même. Les membres ne pouvaient soutenir l’animal debout mais ils s’agitaient en désordre. La sensibilité générale était conservée ; les yeux étaient déviés, le gauche en bas et en dedans, le droit en haut et en dehors. Après avoir été vainement traité, l’animal mourut dans le marasme, un mois après son entrée à l’école.

À l’autopsie, le crime ouvert montra des hémisphères cérébraux intacts la pie-mère était légèrement enflammée et un peu adhérente avec les organes encéphaliques. Le cervelet était déformé sa face supérieure était déprimée à gauche et en arrière, les sillons étaient effacés dans les deux tiers postérieurs du lobe latéral gauche ; le tissu de l’organe était réduit à l’état d’une pulpe d’un gris rougeâtre sans vaisseaux. Le centre du ramollissement était dans le lobe latéral gauche et s’étendait des ramifications postérieures du pédoncule moyen correspondant au pédoncule postérieur droit vers la face inférieure du cervelet. Le pédoncule postérieur gauche était entièrement détruit par le ramollissement ; le pédoncule moyen du même côté, intact à son origine, était ramolli dans ses ramifications postérieures. Le lobe latéral droit ne présentait aucune lésion.

Le second sujet observé était un loulou d’un an. Depuis deux jours il avait paru triste et avait roulé presque aussitôt. L’animal tournait sur lui-même de gauche à droite, tout en se déplaçant de droite à gauche. Une lésion du pédoncule cérébelleux moyen gauche fut diagnostiquée. Je n’indiquerai pas de nouveau les symptômes qui étaient absolument identiques à ceux du sujet précédent. L’animal ayant été sacrifié par effusion de sang huit jours après son entrée à l’École, on constata que le cervelet seul présentait des lésions. Sur le lobe gauche de cet organe, la pie-mère était épaissie et enflammée ; en enlevant cette membrane on entraînait la substance sous-jacente ramollie. Toute trace des sillons et des lobules avait disparu sur le lobe gauche ; celui-ci s’aplatissait par sa faible consistance, et sa substance désunie et imprégnée de sang présentait une couleur d’un rose clair. Le cervelet fut placé pendant quelques jours dans l’alcool pour le faire durcir et on put ensuite observer les caractères suivants : le lobe gauche était creusé dans sa partie inférieure d’une cavité du diamètre d’une noisette ; cette cavité intéressait tout le pédoncule postérieur, la partie centrale du moyen et la substance cérébelleuse intermédiaire.

Les parois de cette excavation étaient anfractueuses et le tissu qui les constituait était sensiblement hyperhémié dans une épaisseur de deux millimètres. Le pédoncule moyen offrait une lésion remarquable : à son origine, au point où le pont de Varole s’infléchit en arrière et en haut, il était d’un rouge grisâtre et affaissé sur lui-même comme s’il avait subi une con striction dans une ligature. Le foyer du ramollissement s’étendant dans son épaisseur et la substance nerveuse ayant été entraînée pendant le séjour dans l’alcool, ce pédoncule était réduit à l’état d’un tube parois affaissées. Cette lésion avait évidemment détruit les fonctions du pédoncule moyen ; le postérieur était aussi en fièrement détruit.

En présence de ces faits et d’après de nombreuses expériences faites à ce sujet, on ne peut hésiter à affirmer que le roulement est toujours déterminé par une lésion d’un pédoncule cérébelleux et particulièrement du moyen. Que la lésion soit plus ou moins étendue, cela ne parait pas modifier d’une manière sensible la rotation, car lorsque la lésion est du même côté, le mouvement est toujours le même. Dans les expériences de physiologie il arrive très souvent due le pédoncule antérieur, qui croise obliquement le moyen en dedans et d’avant en arrière, est transpercé par le stylet, et cependant le roulement s’effectue comme lorsqu’on n’atteint que le pédoncule moyen.

Le sens de la rotation relativement au siége de la lésion a été l’objet d’appréciations variées de la part des physiologistes. Ainsi, suivant Magendie, Vulpian, le mouvement s’opère du côté correspondant à la lésion. Au contraire, d’après Longet, Laffargue, la rotation adieu du côté opposé.

Longet, pour concilier ces deux opinions opposées, dit que le pédoncule moyen est formé de deux séries de fibres : un faisceau antérieur le plus fort dont les éléments s’entrecroiseraient ; et un faisceau postérieur sans entrecroisement. Partant de ces données anatomiques, ce savant conclut que si on lèse le faisceau postérieur il y a effet direct et la rotation s’effectue du même côté.

À ces assertions on peut opposer l’objection suivante si cette théorie est vraie, comment se l’ait-il que dans les expériences de physiologie, le mouvement de roulement s’opère du côté opposé à la lésion, que la piqure soit faite dans la partie antérieure ou postérieure du pédoncule ? Il est probable qu’une fausse appréciation de ce singulier mouvement est la cause de ces contradictions, et, pour mon compte, j’ose affirmer que la lésion se trouve toujours sur le côté correspondant à celui sur lequel l’animal, affecté de roulement, tombe d’abord dans le premier mouvement de la rotation, ou à celui sur lequel il reste couché pendant la maladie, lorsque celle-ci le force à garder un décubitus latéral.

Il me semble que cette manière de voir n’entraîne pas de controverse, et pourquoi dire que la rotation se fait du côté opposé ou du côté correspondant à la lésion, lorsqu’on pose en principe que, selon que l’on considère l’axe du sujet ou le mouvement de translation, on a un sens différent dans le roulement ? Il se pourrait bien que les dissidences d’opinions qui règnent parmi les auteurs eussent ce manque de base pour point de départ.

Par ces quelques considérations, le diagnostic de la lésion, d’après la direction du roulement, n’offre pas de difficultés, nous allons voir qu’il ne peut y avoir autant de précision dans le cas de rotation en manège.

Le diagnostic de la lésion, d’après le sens du mouvement en cercle, doit surtout s’appliquer au tournis, car sous le double rapport de la physiologie et de la thérapeutique chirurgicale de cette affection, les symptômes fournis par les mouvements du sujet ont une très-grande importance. Le tournis, en effet, outre qu’il est assez fréquent chez les bêtes ovines, est d’une grande gravité, et son traitement chirurgical présente de nombreuses difficultés par la peu de précision que l’on peut apporter sur le siège du cœnure.

Les nombreux auteurs qui se sont occupés du tournis, sont loin de s’accorder sur la question de savoir si le sujet tourne du côté correspondant à l’hydatide ou s’il tourne du côté opposé. D’après les Allemands, si le cœnure à son siége dans un lobe cérébral, l’animal dirige la tête et tourne du côté où se trouve le cœnure. Girou de Buzaringues, Garreau, etc., partagent la même opinion. Mannoir, au contraire, et surtout Neirac, connu pour sa méthode curative du tournis, affirment que le cœnure se trouve toujours du côté opposé à celui où l’animal tourne. Toutefois quelques-uns de ces auteurs reconnaissent qu’il y a des cas contradictoires à ce sujet.

M. Reynal, qui a publié un article remarquable sur le tournis, a observé avec beaucoup de soin un grand nombre d’animaux atteints de cette affection et a vu que les deux tiers au moins des sujets tournaient du côté correspondant à l’hydatide. Quelle serait donc la cause de la variation dans le sens du tournoiement ? D’après M. Reynal, toutes les fois que le cœnure se trouve à la surface du cerveau ou dans l’épaisseur de sa couche supérieure, le mouvement aurait lieu constamment du côté correspondant au kyste il en serait de même lorsque le cœnure est renfermé dans un ventricule cérébral et que, laissant intactes les parties sur lesquelles il repose, il amincit seulement le plafond de cette cavité.

La rotation s’effectuerait, au contraire, du côté opposé au siège du cœnure lorsque celui-ci a opéré une destruction des couches profondes du plan inférieur du cerveau, ou déformé les corps striés, les couches optiques, les cornes d’Ammon, le trigone cérébral, etc. Toutefois, dans ces derniers cas, le mouvement en cercle ne se produit pas toujours ; parfois, sans suivre une ligne droite, l’animal, dévie tantôt à droite, tantôt à gauche, et sa marche est titubante. Il en est d’ailleurs de même lorsque le cœnure est sur le cervelet ou le bulbe rachidien.

Les mouvements circulaires résultant de la présence d’un cœnure dans le sein de la substance encéphalique, examinés au point de vue de la physiologie du cerveau, donnent lieu à des opinions diverses.

Longet, en effet, a démontré que l’incitation qui part de l’hémisphère cérébral droit, à travers la moelle allongée met en action les muscles du côté gauche du corps et, inversement, l’incitation du lobe cérébral gauche anime les muscles du côté droit du sujet. Il y aurait donc effet croisé, et d’après cette opinion, le mouvement de rotation devrait toujours se faire du côté opposé à la lésion. Cependant l’observation clinique démontre que dans le plus grand nombre des cas, la rotation s’effectue du côté correspondant au siége du cœnure.

M. St-Cyr admet que l’entrecroisement a lieu, comme le dit Longet, et qu’il n’y a pas de désaccord avec les faits cliniques. Pour le démontrer, ce professeur se rattache à la théorie suivante qui, si elle n’est pas vraie, est au moins ingénieuse. Soit un cœnure logé dans l’hémisphère cérébral gauche. « Le ver y produit une irritation morbide qui, passant par la moelle allongée, va se répandre par les filets nerveux à courant centrifuge dans les muscles du côté droit du corps ; elle y détermine une activité plus grande que dans les muscles du côté opposé, lesquels continuent à fonctionner sous l’influence d’une stimulation normale ; dès lors, l’équilibre se trouve rompu et l’action musculaire, plus énergique à droite, pousse invinciblement l’animal à gauche, c’est-à-dire du côté regardant le centre du cercle décrit par le sujet. »

D’après ces explications, on voit combien on doit être réservé quand il s’agit d’interpréter des phénomènes morbides aussi peu connus que le sont ceux de l’encéphale. Toutefois, je ne puis m’empêcher de présenter une opinion ayant l’avantage d’expliquer le mouvement du côté opposé au cœnure et le mouvement du côté correspondant qui, tous les deux, ont été observés par M. Reynal selon le siège de la lésion.

Le cerveau offrirait un entrecroisement de ses fibres nerveuses dans ses parties profondes, telles que le plancher des ventricules cérébraux, les corps striés, les couches optiques, etc, et lorsque le cœnure aurait son siége dans ces parties, le mouvement giratoire s’effectuerait du côté opposé à la lésion. Dans le plan supérieur du cerveau, au contraire, il n’y aurait pas d’entrecroisement des fibres nerveuses et par suite l’effet étant direct, le mouvement de rotation se produirait du côté correspondant au cœnure.

Quoiqu’il en soit, je me résumerai au sujet des mouvements en manège par les deux conclusions suivantes

1° Le mouton atteint de tournis tourne généralement du côté où siége le cœnure, lorsque celui-ci est situé dans les couches qui constituent le plan supérieur du cerveau ou ses ventricules sans atteindre leur plancher.

2° Les mouvements en cercle s’effectuent du côté opposé à la lésion, lorsque le cœnure siége dans les parties profondes du cerveau, le plancher ales ventricules, les corps striés, les couches optiques, etc.

Lorsque le mouvement en manège est occasionné par toute autre cause que l’hydatide du tournis, comme des ramollissements, des hémorrhagies, des tumeurs, etc., le sens du mouvement est soumis aux mêmes règles que pour l’affection précédente ; mais, on le comprend, ces lésions étant presque toujours superficielles, la rotation s’opère généralement du côté correspondant à la lésion.

Je terminerai l’esquisse rapide, et parfois incomplète, des différents points qui font l’objet de cet opuscule, en disant que le mouvement de rotation en rayon de roue, le moins fréquent, ne diffère pas pour le diagnostic de la lésion, d’après la direction du mouvement, de la rotation en manège.


J. G.