Des poésies populaires de la Basse Bretagne/02

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II. — Tragédies
II. — Tragédies


POÉSIES POPULAIRES
DE LA BRETAGNE.

2me PARTIE.

TRAGÉDIES.


§ i.
Caractère des tragédies bretonnes. — Jacob. — Des principales tragédies bretonnes. — Saint Guillaume.

Nous avons parlé dans un article précédent[1] de l’existence de vieux drames nationaux, écrits en langue celtique, conservés dans la mémoire d’un petit nombre d’hommes du peuple, et que l’on représentait encore de temps en temps. Nous allons faire connaître ces ouvrages bizarres qui, bien qu’altérés par le temps et les transmissions orales, ont encore conservé une physionomie originale et curieuse.

Les tragédies bretonnes qui, à notre connaissance, ont survécu à l’oubli sont en assez grand nombre ; nous citerons les suivantes : Saint Guillaume, comte de Poitou ; les quatre fils d’Aymon, Jacob, Sainte Trifine, Pharaon, Sainte Barbe (mystère imprimé dans le xvie siècle), Charlemagne. Nous ne parlons pas des Amours du vieillard, comédie mentionnée par dom Le Pelletier, ni du drame intitulé Tragédie sacrée commencée au jardin des Oliviers jusqu’à la montagne du Calvaire, ni de celui connu sous le nom de la Passion et résurrection de Jésus-Christ, parce que nous n’avons pu, malgré tous nos efforts, nous procurer aucune de ces pièces. Toutes ont cependant été imprimées vers le commencement du xvie siècle.

Parmi les tragédies bretonnes, une seule porte la date de 1530. C’est Sainte Barbe. Les autres, manuscrites ou récemment imprimées, n’ont conservé aucune indication en chiffre de l’époque où elles furent composées ; mais à défaut de dates, il est mille indications qui prouvent d’une manière certaine qu’elles appartiennent aussi au xvie siècle. Ainsi, par exemple, dans Saint Guillaume, comte de Poitou, un personnage, en énumérant les moyens de perdition indiqués aux femmes par Satan, parle du fard comme d’une récente invention. Or, le fard s’introduisit, comme on le sait, en France avec les Italiens de la cour de Médicis. Dans la même pièce, il est souvent question de l’hérésie de Luther, que l’auteur confond avec le paganisme et la religion de Mahomet, ce qui suppose que le protestantisme était récent, et n’avait point encore pénétré en Bretagne, sans quoi l’ignorance du dramaturge à cet égard n’eût point été possible. Au commencement de la tragédie de Sainte Trifine, le roi Arthur fait une énumération complète des villes de Bretagne qu’il a sous sa domination, et dans cette énumération ne se trouve point Lorient. Cet oubli ne peut s’expliquer qu’en admettant que le drame est antérieur à la fondation de cette ville qui est en effet moderne. Dans Jacob, on voit les Hébreux jouant du rebec (rebed), et l’on sait qu’à la fin du xvie siècle, le rebec n’était guère plus en usage. Il fut remplacé par le violon (vyolon)[2]. Dans la même tragédie, mille détails viennent révéler les mœurs féodales de l’époque à laquelle le poète dut écrire. Putiphar, nommé gouverneur par Pharaon, explique à Joseph, devenu son esclave, ce qu’il aura à faire et lui dit : — « Il te faudra fourbir mes armes et mes éperons, soigner mes beaux coursiers de guerre… ils sont hauts et robustes, et dans toute l’Égypte, il n’en est point de pareils. » — Plus tard le même Joseph monte en grade. — « Il est chargé d’accompagner sa maîtresse l’épée au côté, et avec le chapeau à plumes. » — L’auteur l’a évidemment transformé en page du xvie siècle. Du reste, tout ce drame de Jacob reflète l’époque à laquelle il fut composé. C’est un mélange curieux de religion, de mythologie, d’amour naïf et de voluptés licencieuses. On en jugera par la scène suivante, que nous traduisons d’autant plus volontiers que nous ne reviendrons plus sur cette tragédie de Jacob, qui, à beaucoup d’égards, mériterait cependant d’être analysée.

La princesse Putiphar, après avoir dit « qu’elle ne pouvait résister aux flèches cuisantes de Cupidon, et qu’elle était bien malheureuse, parce que les fantaisies de Joseph n’étaient point sur cette terre, » se résoud à tout tenter. Elle fait appeler le jeune esclave :

Joseph, prenez votre épée, et suivez-moi. Je veux me promener. L’air est pur aujourd’hui, et votre présence me réjouit.

JOSEPH.

Je suis prêt, et à vos ordres, princesse.

LA PRINCESSE, le regardant avec tendresse.

Joseph !… que vous êtes beau ! — Vos regards me prennent, il m’enlacent, ils m’isolent de tout, et je suis enfermée dans leur rayon comme dans un cachot.

JOSEPH.

Princesse… je ne sais que vous répondre !… mes regards sont uniquement occupés de mes devoirs, et n’osent se porter sur vous.

LA PRINCESSE.

Vous ne me comprenez pas, Joseph !… — Oh ! ce n’est point un reproche que je vous fais ; laissez là tous ces devoirs domestiques. Si vous saviez combien je vous aime ! — Je veux vous rendre l’être le plus heureux de ma maison ! (Après un silence, avec impétuosité.)

Joseph ! Joseph !… embrasse-moi !

JOSEPH.

Princesse, je respecte trop votre rang, et le prince votre époux.

LA PRINCESSE.

Joseph ! embrasse-moi !

JOSEPH.

Ce serait un crime.

LA PRINCESSE.

Ce qui est un crime, c’est de me refuser !… — Tu ne vois donc pas que je souffre ? Ami, console-moi ; si tu savais comme ma passion me brûle !

JOSEPH, avec horreur.

Ah ! mieux vaudrait pour moi n’être pas né.

LA PRINCESSE.

Je ne me rebuterai pas, Joseph ! tu comprendras enfin le bonheur qu’on t’offre et l’honneur qu’on te fait. Déjà ton œil s’adoucit, ton front pâlit. (Elle approche de lui.)


Mon plus aimé, écoute-moi. — Sais-tu, ami, que le sommeil m’a abandonnée ? Sais-tu que ta froideur me brise le cœur ?

JOSEPH.

Princesse, je ne puis vous comprendre. Je ne puis croire que vous veuillez trahir un époux aussi noble que le vôtre, que vous veuillez me corrompre, moi, et perdre mon ame !…

LA PRINCESSE, avec une colère retenue.

Joseph !… laissez-moi vous aimer !… ne repoussez pas un cœur qui vous cherche ; — je sais chérir qui m’aime ; je sais aussi punir qui me blesse ; — renoncez à ces résistances qui m’offensent.

JOSEPH.

Madame, prenez mon épée et percez-moi le cœur. Plutôt mourir que de commettre un crime !

LA PRINCESSE.

Pardonnez-moi, esclave, de vouloir attenter à votre pureté !… — Joseph, toutes tes paroles m’irritent sans éteindre mon amour, ne me rends pas furieuse. Je souffre, Joseph ! un baiser !… — Joseph… viens… ma couche est là !… (Joseph fuit.)

Ah ! lâche, tu veux me fuir ?… (Elle le saisit par son manteau.)

Au secours, mes gens, au secours !… (On arrive.)

Vous voyez, cet homme voulait me faire violence… son manteau m’est resté…


Joseph est arrêté ; le sommelier de Putiphar lui dit : — Messire Joseph, rendez votre épée ! — Il lui fait observer ensuite qu’il a eu tort de chiffonner le tablier de madame, que ce n’était pas le moyen de rester le favori du prince. Il le conduit enfin en prison, et répond au geôlier qui lui demande le crime du prisonnier :

« Il avait trop de bonne volonté pour la princesse, et dans l’excès de son amabilité, il a voulu la jeter sur un côté de son lit, tant le plaisir de Vénus l’enflammait. »

En sortant, il ajoute un bon conseil pour le geôlier :

« Jusqu’au revoir, geôlier, et surtout ne vous fiez pas trop à votre femme, maintenant que vous avez chez vous ce beau courtiseur : le sexe est fragile, et la saison n’est pas saine pour les maris. »

LE GEÔLIER.

C’est bon, allez, plaisant ! — Il n’y a pas de garçon, quelque charmant qu’il soit, que je craigne de voir se chauffer à mon feu.


Ces grossières plaisanteries, ces mœurs, cet amour de lionne, tout cela ne sent-il le pas siècle de Catherine, siècle d’intrigues ardentes et de naïvetés obscènes ? Tout est de l’époque dans ce tableau, sauf la chasteté de Joseph, qui était fournie par l’histoire.

Cette scène a pu donner aussi au lecteur une légère idée des drames bretons. Ce qui les distingue comme toutes les autres poésies celtiques, c’est surtout la sincérité candide, la réalité intime, un tact instinctif à défaut d’art. On a pu remarquer déjà dans les poèmes chantés quelle crédulité de cœur accusaient généralement la gravité enfantine des détails et ce mélange charmant de grandes et de petites choses, de délicatesse sentimentale et de plaisans préjugés. Mais tous les caractères déjà observés vont se dessiner d’une manière bien autrement arrêtée dans les tragédies populaires. Dans toute littérature, les pièces de théâtre sont, en effet, les peintures les plus vraies des croyances de l’époque. Les autres compositions ont toujours quelque chose d’individuel, mais les drames sont les poèmes de tout le monde. Pensés devant la grande image du peuple juge, ce sont des œuvres faites pour la foule et qui lui appartiennent. Pour qu’ils remuent celle-ci dans ses entrailles, il faut qu’ils lui parlent le langage qu’elle comprend, qu’ils caressent les fantaisies qu’elle aime. L’auteur dramatique est un médecin poétique qui donne sa consultation sur le siècle : applaudi s’il a trouvé les malaises et les plaies, hué s’il parle de maux que l’on ne ressent pas ; non que la conception tragique doive nécessairement, pour être comprise, reproduire des faits habituels ou même vraisemblables ; mais il faut que la combinaison la plus fantastique réponde à une pensée de la foule, sinon à un fait existant ; il faut que le roman offert aux yeux de tous ait existé dans le cœur, sinon dans la vie du plus grand nombre, car ce que le peuple va surtout chercher au théâtre, c’est un aliment à cette avidité du romanesque qu’il ne peut satisfaire dans le monde réel : tout ce qu’il ne peut dépenser d’imagination, d’intelligence ou de passion dans son existence positive, il vient l’apporter au théâtre ; là, si j’ose le dire, est la caisse d’épargnes de ses sympathies et de ses haines.

Les théâtres nationaux sont donc les documens les plus précieux de l’histoire psychologique des peuples, et c’est sous ce point de vue, encore plus que sous l’aspect littéraire, que nous croyons intéressant d’examiner les tragédies bretonnes qui ont survécu à l’oubli.

On devine d’avance qu’ici l’espèce de placidité habituelle aux compositions celtiques se trouve quelque peu modifiée. La forme même du drame a dû faire sortir la poésie bretonne de sa sentimentalité allemande, secouer sa molle mélancolie et enfiévrer ses allures. Ce n’est plus ici la méditation contemplative d’une intelligence repliée sur elle-même, qui s’étudie, s’analyse et se peint à loisir ; c’est le choc de l’homme contre l’homme, c’est la pensée romanesque faite chair, lancée dans la mêlée et s’y faisant sa trouée. L’action traduit et accompagne l’idée. Les vers du poète ne sont plus seulement des vers ; ce sont des êtres qui vivent, qui parlent, qui agissent. Et cependant ne croyez pas que le Breton perde, dans le drame, son accent propre et tombe dans la turbulence ! Non, au milieu même des aventures les plus extraordinaires et des plus orageuses traverses, il conserve son langage plus résigné qu’impétueux, ses élans plus attendrissans et plus solennels que chauds et déchirans. Vous retrouverez toujours la peau granitique du dur Armoricain, cet accent qui vient du dedans, jamais du geste ni de l’attitude, et qui vous fait monter les larmes du cœur aux paupières, mais sans crisper les nerfs. C’est, en un mot, du drame sans cri subit, sans brillante réplique, sans aucun de ces sublimes mouvemens qui, avec un mot, vous arrachent l’ame. Ce manque de vivacité, de passion soulevante, est dans les tragédies bretonnes un vice radical. Malgré leur peu d’expérience artistique, les auteurs grossiers de ces tragédies ont senti ce défaut, ils ont même essayé de le combattre ; mais, outre qu’ils manquaient d’adresse pour y parvenir, ils luttaient contre leur propre nature : aussi ont-ils échoué complètement. Ils ont essayé de remplacer l’animation nerveuse qui leur manquait, par la multiplicité des faits et par l’entassement des incidens ; mais loin de tirer avantage de cette manière de procéder, ils se sont trouvés entraînés perpétuellement hors de leur sphère. Poètes élégiaques et dithyrambiques avant tout, il leur a fallu se jeter dans un labyrinthe de scènes, et ils se sont perdus dans ces combinaisons compliquées, dans ces accessoires embarrassans qui appelaient le faire encore plus que le génie. On eût dit le paysan du Danube chargé de faire de la diplomatie et de louvoyer entre les protocoles. Aussi se sont-ils lourdement empêtrés au milieu des incidens, et n’ont-ils pu s’en tirer qu’en se jetant dans l’obscur ou dans l’absurde. Saint Guillaume est un remarquable échantillon de ces malheureuses tentatives faites pour corser le drame breton.

Du reste, hâtons-nous de le dire, assez peu d’auteurs ont tenté ces innovations. Presque tous ont suivi la marche accoutumée, et l’espèce de poétique établie par leurs prédécesseurs.

Or, rien de plus simple que cette poétique. Toutes ses règles peuvent se réduire à une seule : mettre les faits en action et en passer le moins possible. Du reste, ni unité de lieu, ni unité de temps. D’une scène à l’autre, vous passez du Poitou en Turquie, de Paris dans l’Asie mineure, et le drame contient parfois l’histoire de trois générations. L’unité d’intérêt, au contraire, est toujours scrupuleusement respectée. On peut même dire que l’observation de cette règle est portée jusqu’à l’exagération dans les drames bretons. Tous les personnages se groupent confusément et sans valeur individuelle, autour d’une figure unique plutôt que principale. Du reste, tout cela se comprend. L’unité d’intérêt est une révélation d’instinct, bien plus qu’une doctrine aristotélique. Nulle part elle n’a dû être plus scrupuleusement révérée que dans les littératures naissantes et chez les peuples primitifs. Là en effet elle dut être une nécessité, et pour le poète encore trop inhabile pour suivre à la fois plusieurs pensées, et pour la foule trop peu intelligente pour partager en même temps son attention sur plusieurs personnages. Ce n’est que plus tard, lorsque l’art s’est assoupli par l’usage, lorsque le peuple, plus prompt d’intelligence, s’est fait devineur et blasé, qu’il a fallu orner cette nudité grossière, encadrer l’égoïste et fatigante personnalité du drame, la déguiser sous les accessoires brillans, et reposer du héros par l’intérêt jeté sur ceux qui l’entourent. L’unité est alors devenue la prééminence d’une seule pensée sur les autres, et non l’anéantissement de toutes au profit d’une seule. L’art a été le groupe harmonieux de Laocoon, au lieu de la solitaire et monotone statue de Memnon.

On devine d’avance qu’aucun artifice ne préside à la distribution des scènes dans les drames dont nous nous occupons : ce sont des chapitres, qui se suivent pour la pensée, presque jamais pour l’action. On voit Pharaon sortir d’un côté du théâtre en ordonnant de poursuivre les Hébreux, pendant que Moïse entre de l’autre côté avec son peuple et s’écrie : — « Voilà la Mer Rouge, ô mes fils ! qui nous donnera des ailes pour passer au-delà ? » — Comme dans Homère, il arrive souvent qu’un inférieur reçoit un ordre, écoute un discours, puis le répète vers par vers un peu plus loin. Au total, les tragédies bretonnes ne sont autre chose que des légendes dialoguées.

Chaque acte commence, à la manière des anciens, par un prologue, dans lequel un acteur vient solliciter la bienveillance du public et raconter ce que va contenir l’acte qui suit. Ce prologue, mêlé d’élans d’enthousiasme et de passages railleurs, a cela de bizarre que l’auteur semble parfois y parodier ses propres conceptions. — « Vous verrez, dit l’acteur dans un des prologues de Sainte Trifine, comment la princesse se perd, pour être allée se promener au bois, — ce qui prouve, jeunes filles, qu’il n’est point bon chercher les mûres le long des fossés ; vous verrez comment elle est condamnée pour avoir été embrassée de force, — ce qui prouve, jeunes filles, qu’il faut se laisser faire de bonne volonté. » — Il est à remarquer aussi que les prologues débutent toujours de la même manière ; les deux vers qui les commencent sont sacramentels. — « Réunion de chrétiens, assemblée honorable, nous vous prions à deux genoux de nous écouter avec bienveillance. » — Viennent ensuite quelques complimens plus ou moins heureusement tournés, des témoignages de respect dans lesquels se révèlent, d’une manière curieuse, l’esprit du temps et le caractère breton. — « C’est à vous que je m’adresse d’abord, dit l’explicateur dans Sainte Trifine, prêtres et religieux, à vous qui êtes les représentans de Jésus-Christ dans cette vie, puis à vous, messieurs de la noblesse, puis à vous, messieurs de la justice, puis à ceux qui ont droit de police sur le peuple, enfin à vous tous qui êtes ici présens. » — Un usage bizarre, et dont nous ignorons le motif et l’origine, voulait aussi que l’acteur qui récitait le prologue fît, de quatre vers en quatre vers, une évolution autour du théâtre, suivi de tous ses compagnons. C’est ce que l’on appelait la marche. Pendant ce temps « rebecs et bignious doivent sonner, » comme nous en avertit la note d’un des vieux manuscrits que j’ai sous les yeux.

De tout ce que nous venons de dire, on a pu conclure déjà que les tragédies bretonnes étaient des œuvres spéciales et dignes d’être étudiées. Nous allons maintenant nous efforcer de les faire connaître dans leur exécution et leurs détails. Nous prendrons, parmi les dix ou douze drames celtiques que nous connaissons, les trois pièces les plus remarquables et les plus typiques ; ce sont : Saint Guillaume, comte de Poitou, les Quatre fils d’Aymon, Sainte Trifine. Saint Guillaume, c’est le drame d’imagination ; les Quatre fils d’Aymon, le drame historique ; Sainte Trifine, le drame pieux. Le premier est un roman, le second une chronique, le troisième une légende. C’est dire d’avance que ce dernier a sur les autres une immense supériorité.

Nous avons dit, en parlant des chants bretons, quels étaient les poètes de ces compositions originales ; des bouviers, des tailleurs de campagne, des étudians, de pauvres clercs ; tels doivent être aussi les auteurs des tragédies dont nous allons parler. Ce fut sans doute dans quelque bourgade isolée du Léonais, pendant une de ces longues veillées d’hiver qui se prolongent devant les feux de bruyères, qu’un cloarec malade, revenu au foyer natal et tourmentant sa pensée dans le calme d’une méditation fiévreuse, conçut ce drame de Saint Guillaume, comte de Poitou. Enlevé subitement aux études arides, démailloté des règles de son despautère, il sentit peut-être tout à coup son imagination prendre des ailes. Penché près de l’âtre, et tout en écoutant le grésillement de la flamme, le rouet de sa mère, la brise soufflant dans les aubépines du chemin, et la voix monotone d’une sœur idiote, murmurant quelques hymnes d’église, il lui sembla peut-être ouïr tout à coup des révélations mystérieuses que des génies lui faisaient à l’oreille. Il crut, au milieu de la fumée de l’âtre et parmi ces rumeurs de la cabane paternelle, voir les étincelles du foyer prendre l’apparence de visions brillantes, ses rêveries intimes revêtir soudainement un corps et se mouvoir. Alors, ravie en extase, son ame jeune et aspirante, sa pauvre ame de mendiant et de serf, se rêva dans le corps de quelque fier seigneur, ayant à lui l’or et les femmes, et modelant la vie à ses désirs, comme le potier sa terre ; alors il se figura le monde entier, avec toutes ses joies et ses gloires, abattu à ses pieds comme un ennemi à sa merci ; et ivre de sa puissance et de sa richesse imaginaires, il se roula, en idée, dans les jouissances terrestres ; il savoura la tyrannie, goûta avec rage au péché, se satura des bonheurs qui damnent !… jusqu’à ce qu’au milieu de cette frénétique ivresse, née de tant de désirs si long-temps comprimés, un triste tintement de la cloche du village ou un saint verset, psalmodié plus distinctement par sa sœur, vînt l’arracher aux hallucinations mondaines, lui parler de pénitence, et le jeter à deux genoux sur l’âtre, frappant sa poitrine et confessant ses mauvaises pensées.

Et si ce n’est point ainsi qu’a été fait le drame de Saint Guillaume, du moins est-il certain que la double inspiration païenne et catholique a dominé tour à tour le dramatiste, car elle se manifeste dans toute son œuvre. Ce comte de Poitou sent trop le rustre et rappelle trop les ambitions de village pour ne pas être le rêve de quelque pauvre paysan, soupirant d’abord après les jouissances mondaines, puis pénitent de ses impures pensées. Ce drame est toute une vie de désordres, conduisant à une vie toute d’abnégation ; l’excès de la puissance et des plaisirs aboutissant à l’excès de l’humilité et de la mortification. Saint Guillaume, c’est à la fois le péché et le repentir incarnés. C’est une pièce à deux façades, et qui présente comme deux constructions opposées. Il faut traverser le mauvais lieu pour arriver à la cellule du saint.

Nous avons dit comment l’idée de cette tragédie avait pu venir à un pauvre cloarec, mais nous n’avons pas parlé des difficultés que dut lui présenter la conception du plan, la disposition des détails. C’est toujours chose malaisée à bâtir qu’un drame purement d’imagination. Dans une pièce historique du moins, on peut se servir des échasses de l’histoire pour grandir ses personnages. On a les mots célèbres, les grands noms, les traits de mœurs, la couleur locale, tout ce faux sable d’or dont on saupoudre son œuvre pour lui donner de l’éclat. À défaut de génie, on se rabat sur les chronologies et les mémoires. On découpe dans une vieille chronique la silhouette de quelque belle figure, on l’encadre proprement dans un médaillon à cinq compartimens, l’on écrit au-dessous un grand nom, et l’on a de la tragédie historique fabriquée à l’emporte-pièce, comme on en a tant vu autrefois, comme on en voit davantage de nos jours. Mais le drame d’imagination offre plus de difficultés. Alors même que vous avez trouvé un nom historique qui puisse vous servir de clou pour suspendre votre tableau, il ne vous reste pas moins à inventer le roman, les caractères, les événemens. — Et que sera-ce donc si, poète ignorant et fruste, vous ne connaissez rien en dehors de la route qui vous a conduit du village au séminaire ; si vous ne savez rien des hommes que ce qu’aura pu vous en apprendre le curé qui vous a catéchisé ou le professeur qui vous a expliqué Virgile ? Concevez-vous quel abîme dut s’ouvrir tout à coup devant les yeux du cloarec, quand cette idée lui vint de créer un drame complet, avec la vie, l’action, la parole, et armé de toutes pièces ? — Créer un drame ! c’est-à-dire personnifier et mouler les passions, les combiner entre elles, les débrider et les jeter dans la mêlée humaine ; les associer à des faits vraisemblables, les subordonner aux temps, aux lieux, aux conditions !… et faire tout cela, lui qui ne savait rien des passions du monde, lui qui ne connaissait ni les temps, ni les lieux, ni les conditions ! Eh bien ! le cloarec ne s’étonna pas de ces mille obstacles ; disons mieux, il n’y songea pas ! C’est une naïveté ordinaire au génie de n’avoir pas conscience de son ignorance. Qu’importait en effet au cloarec de n’avoir jamais vu de cour de comte, d’ignorer où se trouvait le Poitou, de ne point savoir en quelle année vivait saint Guillaume, de ne pouvoir dire au juste quel était le nom de sa capitale, et si elle était à plus d’une portée de fusil de Rome ? Son ignorance était une richesse ; elle lui faisait table rase pour ses conceptions. Il pouvait placer la scène, s’il le voulait, dans un de ces royaumes d’Abyssinie tant cités par les vieux romanciers. N’est-ce pas d’ailleurs un drame d’imagination qu’il fait ? Eh bien ! il inventera tout, même l’histoire, même la géographie. Il placera le Poitou entre la Turquie, la Perse et l’Hybernie, pas trop loin de la Flandre. Au sultan et au scha de Perse, il fera invoquer, indifféremment, Luther, Apollon ou Mahomet. Milan deviendra une ville du Poitou, et saint Guillaume ira, entre ses deux repas, jusqu’à Rome, demander au pape raison d’une excommunication. Et au milieu de cette robuste ignorance, au milieu de cette incroyable brutalité pour la vérité des faits, il déroulera sans gêne et sans scrupule son action dramatique, courant au seul développement de sa pensée, enjambant les invraisemblances, et marchant sur les absurdités avec un sang-froid qui ôte même le pouvoir de rire. Je vous le dis, une telle œuvre est admirable à étudier. C’est toute une intelligence, toute une âme de cloarec armoricain. Ici les anachronismes et les contresens sont des beautés ; ils datent l’œuvre et la timbrent.

§.ii.
Saint Guillaume, comte de Poitou, drame breton en sept actes et en vers.

« Je suis le comte de Poitou, seigneur tout puissant et le plus brave qui soit sous le ciel ; oui, je ne crois pas qu’il y ait sur la terre ronde un homme plus vaillant et plus éhonté que moi. »

Tels sont les quatre premiers vers que prononce Guillaume en entrant en scène. Suit un long monologue dans lequel il se fait connaître avec une impartialité quelque peu effrontée. Les monologues sont fréquens dans les tragédies bretonnes. Nos auteurs campagnards étaient en cela précisément aussi avancés que les poètes du grand siècle. Ils n’avaient rien trouvé de plus simple que de constituer chaque acteur son propre hérault, que de le faire s’annoncer en personne, et raconter d’où il venait et ce qu’il voulait faire, par la raison sans doute que nul ne devait savoir toutes ces choses aussi bien que lui-même. Le comte de Poitou ne manque pas à l’usage. Après avoir appris qui il est, d’où il vient, il dit ce qu’il veut : il veut de l’argent, car ses coffres sont vides. Mais l’argent est rare dans le pays. Le comte envoie vainement son trésorier sommer l’évêque, le sénéchal et le gouverneur de la ville (Dieu seul sait quelle ville !) de lui fournir chacun une forte somme ; tous trois s’y refusent, et les bourgeois se joignent à eux pour hausser le pont-levis de la cité et en refuser l’entrée au comte. Mais celui-ci accourt, furieux, il force les portes, tue le gouverneur, et les autres tombent à genoux devant lui, en criant miséricorde : — Je vous pardonne et je vous accorde la vie, leur dit généreusement Guillaume. — En retour, les habitans reconnaissans lui donnent leur argent.

Tout cela se passe en trois scènes !

Cependant le comte de Poitou a un frère qui est duc, vertueux et marié. Ce frère se livre à d’interminables lamentations sur les crimes de Guillaume — « qui vole, qui tue et viole dans le canton, malgré son jeune âge !… » — Il apprend en même temps à la duchesse qu’il est décidé à aller trouver ce Nabuchodonosor et à lui faire un sermon. La duchesse l’en dissuade en vain : l’homme vertueux a fait son sermon et y tient. En conséquence il se met à genoux, invoque Dieu le père, la Vierge et le Saint-Esprit, et se rend vers Guillaume, accompagné de sa jeune épouse.

Or il se trouve que celle-ci est fort jolie et que le comte en est amoureux. Vous jugez de sa joie quand il la voit arriver avec son mari. D’abord les deux gentilshommes s’adressent force salutations et complimens ; puis le duc entame enfin son exhortation à laquelle il ne manque rien, pas même les citations latines. Guillaume en paraît assez médiocrement touché. Pendant le discours de son frère, il couve des yeux la duchesse ; enfin, après une des plus belles tirades du sermoneur, il s’écrie :

Tout cela est fort beau, mon frère, la vertu vous est facile à vous qui avez les bonnes grâces de Dieu. Rien ne vous manque, tout est selon vos désirs. Vous êtes riche, puissant, vos vœux sont aussitôt des réalités, et vous avez pour vous donner la joie du cœur la rose des jeunes filles !… Oh ! oui, vous êtes heureux, vous, dans la vie !

LE DUC.

Vous le serez comme moi si vous voulez obéir au devoir. Vous trouverez tout le monde prêt à accomplir vos désirs.

LE COMTE.

Non, il n’est point d’autre femme qui vaille celle-ci, point d’autre femme aussi parfaite, — point d’autre fleur sans tache, comme elle. Ah ! je sens mon cœur fasciné quand je contemple ces grâces, quand je noie mon regard dans ces yeux voluptueux.

(Impétueusement.)

Il faut que je l’aie. — Je la veux.

(Il saisit la duchesse dans ses bras.)

Toi, tu es un savant, fais-toi moine et prédicateur.

LE DUC.

Raillez-vous, mon frère ?… Plutôt mourir ! mon frère, n’avez-vous pas peur de Dieu ?

LE COMTE, avec fureur.

Malédiction ! je renonce à Dieu. — Je l’aurai… ou ta vie.

Le duc veut en vain répliquer, des gardes l’entraînent, et la duchesse reste au pouvoir de Guillaume.

Dans la scène suivante, l’époux malheureux vient raconter sa mésaventure au sénéchal, au banquier et à l’évêque de la ville. Il leur demande justice. Cette scène est curieuse en ce qu’on y sent l’incisive ironie du serf qui a souvent éprouvé l’inutilité du droit contre les puissans. Il y a là comme une allusion vengeresse à quelque lâcheté de sénéchal de canton, à quelque basse complaisance de recteur. La pensée, comme d’habitude, n’est qu’indiquée ; mais elle l’est avec énergie et amertume. L’évêque et le banquier commencent par déplorer leur ruine. Ils supputent mélancoliquement les sommes qu’ils ont été forcés de payer, à plusieurs reprises, au comte de Poitou ; le sénéchal renchérit sur leurs accusations et accable le tyran absent de malédictions et d’injures. Paraît alors le duc.

L’ÉVÊQUE.

Voici son frère que je vois venir. Il faut qu’il lui soit arrivé quelque chose. — Salut à vous, noble duc. Qui vous amène ainsi seul à la ville ?

LE DUC.

Hélas ! j’ai sujet de peine, monseigneur ; mon frère le comte a détruit mon bonheur.

L’ÉVÊQUE.

Moi, il m’a pris une somme immense.

LE DUC.

Ah ! s’il eût pris tous les biens que je possède, et qu’il m’eût laissé ma duchesse, je me serais dit heureux ! — Il m’a volé ma femme !

L’ÉVÊQUE.

Votre femme !… — Ce crime crie vengeance à Dieu !

LE DUC.

Oui, le scélérat l’a enlevée de mes bras. — et je suis venu ici, sénéchal, pour que le ravisseur soit décrété comme les lois l’ordonnent.

LE SÉNÉCHAL.

Le décréter ! décréter le comte !… — Et comment ? Il n’y a pas dans toute la ville un homme qui osât seulement lui parler.

LE DUC.

Sénéchal, vous devez justice à tous. Vous avez été choisi pour punir les crimes ; si vous refusez l’arrêt, on vous doit à vous-même le supplice.

LE SÉNÉCHAL.

Je ne suis obligé à rien, car j’ai peur. Donnez-moi le comte dans une bonne prison, et alors vous verrez si je sais faire mon devoir !

LE DUC.

Si j’avais ce pouvoir, ma plus aimée ne serait pas à lui maintenant. Vous, du moins, évêque, vous devez prononcer sur le coupable la sentence d’excommunication.

L’ÉVÊQUE.

Moi !… moi !… pas du tout… je ne m’occupe plus du comte, je ne m’en occupe plus ! Et à quoi bon d’ailleurs excommunier un homme qui ne se soucie nullement de Dieu ?

LE DUC, en se retirant.

Messire, c’est une grave chose, dans cette vie, que de laisser un homme commettre tous les crimes sans oser le punir !

Ces dernières paroles sont nobles et solennelles ; peut-être n’étaient-elles qu’un souvenir ; peut-être furent-elles adressées, un jour, par celui qui écrivit ces vers à quelque juge qui venait de repousser sa plainte contre un coupable trop noble pour être condamné. — Ce devait être une belle puissance en 1600, que celle du poète de village qui attachait ainsi au pilori du théâtre les infamies trop haut placées pour la loi, et qui pouvait, lui, pauvre serf, caché au fond de la foule, faire rougir, sur les gradins réservés, quelque front de gentilhomme ou de juge !

Cependant le comte Guillaume est parvenu à ses fins. Il est maître de sa belle-sœur que la violence a soumise à ses désirs. L’auteur nous l’apprend dans une scène entre le comte et la duchesse que nous citons en entier, parce que c’est une des meilleures du drame.

LE COMTE, assis, et tenant la main de la duchesse.

Eh bien ! mon âme, mon bonheur, n’êtes-vous pas heureuse maintenant ? Ne voyez-vous pas que l’homme auquel je vous ai arraché ne vous aimait pas comme moi ?

LA DUCHESSE, pleurant.

Il n’y aura pour moi de bonheur que lorsque je serai rendue à mon époux.

LE COMTE.

Qu’avez-vous à souffrir ici ?

LA DUCHESSE.

Le plus grand des maux !… — Vous m’avez déshonorée.

LE COMTE.

Enfant, ne songez pas à cela et aimons-nous.

LA DUCHESSE.

Homme méchant et audacieux, homme cruel et insensé !

LE COMTE, cherchant à l’attirer sur ses genoux.

Idole de mon cœur, ô mon tendre amour !

LA DUCHESSE.

Vous tenez mon âme prisonnière, vous la perdez !

LE COMTE, souriant avec tendresse.

Ô mon tendre amour, idole de mon cœur !

LA DUCHESSE.

Malheureux ! mais le démon a donc pris possession de toi ?

LE COMTE, souriant.

Oui, depuis le jour où pour la première fois j’admirai vos yeux ; le démon me possède depuis l’instant où vous m’avez enchanté.

(La duchesse croise les mains avec désespoir et tombe à genoux.)
LE COMTE, voulant la relever.

Eh bien ! mon idole, qu’est-ce donc ? pourquoi ce désespoir ? Allons, venez ici, près de moi…

(Il veut l’attirer à lui.)
LA DUCHESSE.

Malheureux ! vos paroles criminelles m’épouvantent. — Oh ! j’en mourrai, oh ! j’espère mourir bientôt.

LE COMTE.

Levez-vous, mon aimée ; point d’emportement. Moi je n’aime et ne veux que la joie. J’aime que l’on se parle avec tendresse et bonheur. — Ne le voyez-vous pas ? je suis affligé, comme vous, de votre affliction ; j’ai le cœur amer et l’esprit triste de vos amertumes et de vos tristesses. — Duchesse, tu es toute mon espérance et tout mon plaisir, toute ma consolation dans mes peines ; tu es mon trésor terrestre, mon plus beau joyau. J’aurai pour toi, si tu le veux, un amour et une fidélité éternelle. — Madame, je vous adorerai encore au moment de mourir.

(Avec ivresse et la serrant dans ses bras.)

Mais écoute-moi donc, chérie, mon ange, mon rêve. Mais tu ne m’entends donc pas ? J’en atteste les étoiles et la lune, jamais, jamais sur la terre je n’ai rien chéri comme toi. Je suis joyeux de ta présence, je t’admire, je serai ton amant fidèle, et sans cesse et toujours !…

LA DUCHESSE, s’arrachant de ses bras et tombant à genoux.

Vierge, vierge Marie, je te recommande mon ame ! prends-la sous ta protection. — Mais que dis-je ? malheureuse ! Je suis criminelle devant vous, ô mon Dieu ! ah ! délivrez-moi de ce tyran, au nom du sang que Jésus-Christ a versé sur la croix ! Ou bien, mon Dieu, envoyez-moi l’Ancou[3] ; que je meure et que je ne reste pas dans le péché !

LE COMTE, la contemplant.

Jamais je ne l’avais vue si belle ! — Oh ! madame, vous êtes belle ! pourquoi résister à mes désirs ? — Oh ! je vous en supplie, dites-moi donc pourquoi votre cœur est mal à l’aise dans la vie, pourquoi vous n’êtes pas joyeuse. Ah ! dites s’il est au pouvoir d’un homme d’accomplir vos vœux, et je les accomplirai.

LA DUCHESSE.

Vous en avez le pouvoir, vous le savez comme moi, vous qui m’avez enlevée à ma famille et à mon époux, à mon époux qui était mon plus aimé, à mon époux qui le sera toujours.

LE COMTE, blessé.

Ne puis-je donc être aimé comme lui ?

LA DUCHESSE.

Vous le seriez, comte, si vous étiez un homme qui craignît Dieu.

LE COMTE, avec impatience.

Plus tard, plus tard… J’y penserai quand j’aurai le temps.

LA DUCHESSE.

Va donc, Guillaume, noie ton cœur dans les choses de ce monde ; soûle-toi de plaisirs et d’infâmes bonheurs : tu ne trouves personne qui ose te dire la vérité ; mais moi je te la dirai sans crainte. Si tu ne changes de vie, comte, malheur à toi ! La patience de Dieu s’usera, et si tu n’obtiens de lui ton pardon, quelque jour, dans ton chemin, tu te trouveras face à face avec le malheur.

LE COMTE, souriant amèrement.

Je connais déjà tous vos sermons, ma belle ; je suis un misérable, n’est-ce pas ?

LA DUCHESSE.

Un misérable… et le plus méchant qu’ait jamais vu la terre, car vous n’avez pas eu horreur d’enlever la femme de votre propre frère.

LE COMTE.

Assez, duchesse, ma patience est à bout…

LA DUCHESSE.

Ne pouvoir se faire aimer et remplacer l’amour par la violence… oh ! c’est bien lâche !

LE COMTE, furieux.

Hors d’ici, hors d’ici, femme !… Des injures à moi ? — Hors d’ici ! — Des créatures comme vous, quand on n’en veut plus, on les jette hors du seuil. (Il la chasse.)

Ce dernier mouvement est admirable de brutalité. Je ne sais s’il sera trouvé digne de la scène et d’un comte de Poitou ; mais il est vrai et dans le caractère du personnage inventé ! Ce Guillaume, je l’ai déjà dit, n’est autre chose qu’une mauvaise pensée d’étudiant ; c’est un don Juan en bragou-bras, qui fait l’amour les poings fermés. Et pourtant, à travers ses formes un peu grossières, perce la passion fraîche et chatouilleuse, je ne sais quelle soif adolescente des voluptés défendues et des audaces impies. Aux plaintes, aux reproches de sa victime, Guillaume ne répond que ces mots : « Idole de mon cœur, ô mon tendre amour ! » Les plaintes et les reproches redoublent : « Ô mon tendre amour, idole de mon cœur ! » reprend le jeune homme, perdu dans la contemplation voluptueuse et agaçante de cette femme qui palpite à ses pieds, qui a honte, qui a peur, et qui résiste. Elle pleure, elle appelle la Vierge et Dieu à son secours : « Qu’elle est belle ainsi ! » dit Guillaume, et il cherche à l’attirer dans ses bras pour boire ses larmes et étouffer ses sanglots dans les baisers. — Certes, il y a là de cette rage bizarre et sensuelle, de cette dépravation, si l’on veut, qui nous fait trouver parfois, dans la convulsive résistance de la femme désirée, dans ses efforts gémissans, une sorte de titillation voluptueuse, une espèce d’excitation ardente qui nous fouette les nerfs et nous remue le sang jusqu’au cœur. Avoir ainsi en son pouvoir une maîtresse belle et résistante, la voir, en dépit d’elle-même et de Dieu, se pâmer sous de brûlantes caresses, oh ! ce dut être une image ravissante pour le cloarec qui composa Saint Guillaume, surtout quand le charme du péché venait s’y joindre, quand il pouvait, dans son rêve poétique, briser le joug pesant de la religion et crier avec le comte de Poitou : — « Malédiction ! je renonce à Dieu ! » — Car cette révolte contre le Maître, quel que soit son nom, est un instinct qui dort au cœur de tous, et qui cherche à se satisfaire sous tous les déguisemens. Un dévot a plus de joie qu’il ne se l’avoue, à faire parler un impie et à pouvoir, par sa bouche, dire une fois son fait au bon Dieu.

Mais revenons au drame.

Après ce premier acte, les tableaux amoureux font place aux images chevaleresques, et l’on en conçoit la raison ; c’est le complément obligé de tout roman de jeune homme. Après avoir été un Faublas dans ses rêves, il faut bien se croire un Achille ou un Roland ? Dans la jeunesse, la force et l’imagination qui débordent cherchent partout une issue ; tout ce qui est puissant, incroyable, dramatique, nous enchante, rien ne nous semble difficile ; les réalités qui se montrent encore de loin paraissent de si faibles barrières auprès de l’énergie qui bout dans notre sein ! Comme des enfans, nous regardons la montagne qui s’élève si petite à l’horizon, puis le creux de notre main, et nous nous demandons, en souriant, si la montagne n’y tiendrait pas facilement. C’est alors que l’on voudrait boucler sur sa poitrine la cuirasse du chevalier errant, et chercher des armées à vaincre et des châtelaines à aimer. — Heureuses chimères, dont on se souvient plus tard avec un sourire mélancolique, comme des contes de fées que l’on écoutait les deux coudes appuyés sur les genoux de sa nourrice.

L’auteur de Guillaume a suivi la voie accoutumée ; après les amours romanesques viennent les guerres fabuleuses. Un roi de Turquie se présente, comme tous les rois des drames bretons, en déclarant qu’il est le prince le plus puissant de la terre. Il a vaincu les rois d’Espagne, d’Hybernie, d’Allemagne, d’Angleterre, de Candie et de Normandie. En conséquence, il fait annoncer à son peuple, à son de trompe, qu’il peut vivre en paix et en joie. Mais bientôt il est tiré de son glorieux repos par un cartel que lui envoie le comte de Poitou. Celui-ci, en apprenant d’un de ses amis qu’il y avait en Turquie un prince qui n’avait pu encore trouver son maître, a pris la résolution de le défier. Le sultan, furieux, déclare que dans sept jours il sera en Poitou. Le courrier, de retour, annonce cette nouvelle à Guillaume, en lui disant qu’il a vu les Turcs, que ce sont des hommes bien laids et bien farouches, et qu’il fera bien de se tenir sur ses gardes. Le comte fait en effet ses préparatifs, et lorsque le roi de Turquie paraît devant son château et l’assiége à coups de canon, Guillaume fait une sortie et disperse l’armée ennemie. Le sultan reparaît, vaincu, désespéré, couvert de blessures, annonçant que de deux ans au moins il ne pourra recommencer la guerre. Ici finit le second acte.

Dans l’acte suivant, Guillaume, à peine délivré d’un ennemi, se trouve obligé de faire face à un autre. Il apprend qu’on a élu à Rome un nouveau pape, et que le pape l’a excommunié, lui, comte de Poitou, qui n’avait jamais rien fait pour désobliger sa sainteté. Fort mécontent, il annonce qu’il va lever une grande armée pour marcher sur Rome, et changer le pape. Un héraut envoyé par lui se met donc à parcourir le pays, criant à qui veut l’entendre, qu’un seigneur de haut lignage et de belle figure invite tous ceux qui aiment la guerre à venir s’enrôler sous ses drapeaux. — « C’est un homme, ajoute le crieur, qui a de l’or, du vin, et qui fait bonne chère ; ceux qui le suivront seront bien traités, vivront en joie et à volonté. C’est un plaisir de servir mon seigneur. »

Cette annonce semi-burlesque donne lieu à deux scènes comiques assez bien faites.

Dans la première, on voit Allan Caro, paysan franc-tenancier qui sort de chez lui en chantant


Voilà le matin et je vais aux champs.

Je travaillerai au champ de bon cœur,
Car j’ai bu, ce matin, du vin de feu,
J’ai bu du vin de feu, parce que ma femme est jolie.


Allan Caro explique ensuite comment un mari philosophe, et qui ne pousse pas l’égoïsme jusqu’à vouloir sa femme pour lui tout seul, peut se procurer mille douceurs : « Il n’y a pas dans tout le canton, dit-il, un métier qui vaille celui de cocu. L’ouvrage donne beaucoup dans le pays. » Pendant qu’il parle ainsi, sa femme se met à la fenêtre, la coiffe renversée, et ses beaux cheveux noirs ruisselant sur ses épaules blanches. Elle rit avec un gentilhomme qui la tient dans ses bras, et l’embrasse sur les yeux. Caro feint de ne rien voir, mais elle se penche et l’appelle — Allan, mon petit Allanic ! — Elle a une demande à lui faire ; elle veut qu’il aille lui quérir de belle eau pure à la fontaine pour qu’elle puisse laver son visage et y effacer la trace des baisers. Allan, blessé malgré toute sa philosophie, refuse positivement. Alors elle l’injurie et le menace. « Coupez-lui une corne, dit-elle au gentilhomme, pour qu’il ait l’air d’une vache folle ; » puis elle descend, l’audacieuse ribaude, elle court à Caro, appuyé sur son boyau, lui détache quelques soufflets, et rentre en éclatant de rire. Allan reste un moment pétrifié ; puis, secouant la tête avec une triste gravité et se retournant vers le public : « Vous venez de voir, dit-il, un échantillon de la vie d’un pauvre vassal avec sa femme ! ne vaudrait-il pas mieux pour moi quitter cet enfer et m’enrôler pour la guerre ? Au diable la femme, au diable le soulier qui va à tous les pieds ! je veux vivre en gentilhomme et m’engager. »

L’autre scène est une satire moins crue, mais n’est pas moins plaisante. C’est encore un intérieur de ménage. Le paysan Lavigne rentre chez lui le front soucieux et l’œil larmoyant. Sa femme lui demande la cause de sa tristesse ; Lavigne lui apprend qu’il sort de confesse, et que le recteur lui a donné pour pénitence de rester trois jours sans boire. Le malheureux est sûr d’en mourir. « Trois jours sans boire, dit-il, et entendre dans les tavernes le tintement des verres qui rend le vin si bon ! j’aimerais mieux me faire hérétique ! » Sa femme lui adresse en vain une belle exhortation sur la tempérance ; quand elle a fini, Lavigne, qui semble l’avoir écoutée très attentivement, se contente de lui répondre : — Ma femme, donnez-moi quelque argent. — Pourquoi faire, mon mari ? — Pour jeter dans le chapeau du premier pauvre que je rencontrerai. — Mais la femme, qui sait à quoi s’en tenir sur cette charité subite, refuse, et Lavigne sort avec l’affreuse perspective d’une journée entière de sobriété. Heureusement qu’il rencontre Allan Caro qui le conduit à la taverne. Tous deux mettent en commun leurs ennuis domestiques, leurs dégoûts, et prennent la résolution de s’engager dans l’armée du comte de Poitou. La fin de l’acte nous les montre en effet près du comte, armés pour la guerre, et faisant déjà les pourfendeurs de montagnes.

Il est bon de remarquer que les deux personnages que nous venons de voir en scène, sont bien plus plaisans pour des Bretons que pour des Français. Pour eux, ce sont des types consacrés. En effet, dans ces deux scènes, nous avons vu à peu près toutes les sources comiques auxquelles puisent nos auteurs. Le théâtre celtique, comme le vieux théâtre italien, a ses personnages plaisans fixes et invariables. Les moules sont tout faits, et les caractères s’y coulent en forme, comme des cloches. Ce sont le diable, l’ivrogne et le mari conduit par sa femme. J’ai déjà dit ailleurs pourquoi, en Bretagne, le diable était un personnage ridicule. L’ivrogne fait surtout rire parce qu’il parodie un vice général, un vice apprécié. Tous mettent une sorte d’ostentation de bon caractère à rire des lazzis du Mezveyer, comme des gens bien élevés qui entendent la plaisanterie. C’est qu’en effet il n’en est peut-être pas un dans toute l’assemblée qui, en voyant le personnage, ne puisse dire, comme le chiffonnier : — Voilà pourtant comme je serai dimanche. — Quant au mari conduit par sa femme, c’est le Cassandre de la comédie armoricaine ; c’est quelque chose de pis : c’est la personnification de la lâcheté et de la sottise. Dans les mœurs bretonnes, la femme ne doit être pour l’époux qu’une domestique sans gages qui fait le ménage, les enfans, sert les hommes à table, et mange les restes. Un mari qui se laisse conduire est un niais qui prostitue sa dignité, et qu’il faut noyer sous les épigrammes, pour l’offrir aux risées publiques. Notez que ce vice (car c’en est un en Bretagne), tout méprisé qu’il est, n’y est pas plus rare qu’ailleurs. Là, comme partout, la nature s’est fait un jeu des mœurs qui lui étaient contraires.

Le quatrième acte contient beaucoup de marches, de bavardages et de combats ; mais on voit que toute cette animation artificielle, que tous ces mouvemens ont embarrassé l’auteur. Son dialogue s’en ressent. Le pape Eugène débute par annoncer un jubilé universel et des indulgences pour tous les pécheurs. Le comte de Poitou est seul excepté. Mais presqu’au même instant, on vient lui annoncer que ce comte marche contre Rome. En effet, on voit bientôt Guillaume paraître à la tête de son armée ; il prend la ville sainte, chasse le pape et met à sa place Anaclet. Eugène, dépouillé de la tiare, s’enfuit, en déclarant qu’il n’a plus d’espoir qu’en saint Bernard, et qu’il va se retirer près de lui.

Les scènes qui suivent, forment un hors-d’œuvre inexplicable. C’est un acte entier des plus grotesques et des plus absurdes pasquinades. Un roi d’Hybernie s’allie au sultan pour faire la guerre au roi de Perse. Guillaume arrive en chevalier errant, au moment de la bataille ; il se jette au milieu des trois armées, en fait un carnage horrible et met tout en fuite. Le roi de Turquie, la rage dans le cœur, retourne chez lui pour assembler de nouvelles troupes. Il appelle à son secours « les serpents et les lions infernaux, les dragons volans, les tempêtes et les pluies de feu. » Toute la milice satanique répond à son invocation et se range sous ses drapeaux. Mais le duc Guillaume disperse cette nouvelle armée. « Il n’y a plus moyen d’y tenir, s’écrie un démon en se sauvant à toutes jambes ; jamais homme sur la terre n’a autant fatigué le diable que ce comte enragé. » cette phrase révèle sans doute la liaison que l’auteur a cru établir entre ce quatrième acte et le reste de son drame. Après avoir fait voler, par Guillaume, l’argent d’un évêque, enlever la femme de son frère, chasser un pape, il ne lui restait plus qu’à le faire se battre contre le démon et à le montrer vainqueur ; c’était le dernier coup de pinceau qui devait relever cette physionomie d’homme révolté contre tout, et plus méchant que le diable lui-même.

Au cinquième acte, l’action reprend son cours. Nous sommes transportés devant le monastère même de saint Bernard. C’est une campagne triste et aride : une fille couverte de haillons, les yeux hagards, les bras sanglans, arrive en courant.

LA JEUNE FILLE, se déchirant la poitrine.

Trois ans, trois ans qu’il est là le démon ! qu’il me possède, qu’il me force à aller, à venir, à rouler, à courir, à crier !… — Je vais à la mer, puis dans les campagnes, puis au sommet des arbres, puis dans les abîmes, puis dans le feu !… je vais, je cours, je hurle, je tue les enfans sur mon passage !… — Ah ! je veux, je veux monter au haut d’une tour, et je m’en précipiterai la tête en avant ; je veux aller près des grandes roues des moulins, et je verrai si elles peuvent dépecer mes membres. Ou bien, j’irai, j’irai par le monde, nuit et jour, toujours, sans cesse, sans m’arrêter. Je chercherai les lions, les serpens, les loups et les ours, et ce seront mes frères et mes compagnons, puisque je n’ai plus sur la terre ni frères ni compagnons. Le diable ! oh ! le diable ! Je l’entends qui me dit : — Prends un couteau ou une hache, et va sur la route, et tue le premier qui passera ; déchire sa chair avec tes dents et mange son cœur. — Lucifer, Lucifer… je te vois là !… tu as un grand voile sur la tête !… — Tue ! tue ! tue !…

(Il passe plusieurs personnes qu’elle tue successivement.)

Arrive saint Bernard ; elle court à lui ; saint Bernard lève la main, et elle tombe à ses genoux.

SAINT BERNARD.

Jésus ! Jésus ! Jésus ! c’est Jésus le sauveur du monde !

LA JEUNE FILLE, se débattant.

Calvin ! Luther ! Satan ! au secours !

SAINT BERNARD.

Au nom du Père qui a créé le monde, du Fils qui l’a racheté, et de l’Esprit saint, je te somme, démon, de retourner aux enfers, et de quitter l’ame et le corps de cette pauvre fille.

(La diable sort du corps de la jeune fille et s’enfuit)
LA JEUNE FILLE.

Homme saint, oh ! merci !

SAINT BERNARD.

Allez, pauvre fille ! changez de vie et ne vous donnez plus au tigre des ténèbres. Avec la grâce de Dieu, vous irez dans le paradis.

Nous ne connaissons aucune exposition plus magnifique, plus majestueuse que cette introduction de saint Bernard qui ne paraît que pour dire au démon : — Va-t’en, — et dont la première action est une guérison surnaturelle. Comme cette figure du grand solitaire se dessine lumineusement dès l’entrée ! On sent à cette scène si large et si poétique que le drame religieux arrive. Nous voici tombés dans les légendes où les poètes bretons excellent ; on s’en apercevra bientôt.

La fille guérie par saint Bernard est à peine sortie, que le pape dépossédé arrive et lui raconte tout ce qui s’est passé. Le saint, plein de confiance en Dieu, promet de tenter la conversion du comte de Poitou. En effet, un messager vient annoncer à celui-ci que saint Bernard vient le voir, et qu’il le prie de venir écouter ses remontrances.

Malgré son impiété, Guillaume n’ose résister à un pareil ordre. À cette époque, il y avait quelque chose de supérieur à toutes les puissances : c’était une sainteté reconnue. Les couronnes d’or étaient humbles devant les auréoles d’étoiles. Le comte répond donc qu’il ira. Le lendemain, en effet, il arrive et demande Bernard. — « Entrez à l’église, lui répond un moine, on y célèbre l’office, et le saint abbé est prêt à vous prêcher. »

LE COMTE.

Qu’il vienne lui-même ; je ne suis nullement pressé.

UN BARON.

Cet abbé pense-t-il que nous soyons venus ici pour écouter la messe ?

UN GENTILHOMME.

Il y aurait un moyen de faire sortir les moines, ce serait de mettre le feu au couvent.

LAVIGNE (qui est ivre et qui n’a entendu que les derniers mots.)

Je vas le mettre. Et nous verrons les moines courir les champs en retroussant leur robe comme des jeunes filles. Ce sera drôle !

Il va pour mettre le feu au couvent. Dans ce moment l’église s’illumine, et l’on entend le chant des prêtres.


Pange, lingua ; gloriosi
Corporis mysterium,
Sanguinisque pretiosi
Quem in mundi pretium
Fructus ventris generosi
Rex effudit gentium.


Le comte touché de ces chants tombe à genoux.

LE COMTE.

Miséricorde, mon Dieu ! miséricorde ! retenez votre justice et ne me punissez pas encore !…

En ce moment entre saint Bernard. « Repentez-vous sincèrement, dit-il au comte, et tout vous sera pardonné. » Mais Guillaume veut entrer dans le monastère avec ses soldats, pour y implorer la clémence du ciel, et le saint, qui doute encore de la réalité de cette conversion subite, s’y refuse. Le comte blessé se retire. Il revient pourtant le lendemain, mais l’impression momentanée qu’il avait reçue, en écoutant ces hymnes d’église tant de fois chantées dans son enfance, s’est déjà effacée. Il revient, le rire aux lèvres, l’orgueil au front et le sarcasme dans les regards. Alors commence une immense scène entre lui et saint Bernard. Le comte a beau avoir recours successivement à la raillerie, au dédain, à la menace ; il se débat en vain sous l’austère puissance du saint, le moine met le pied sur son orgueil, comme Marie sur la tête du serpent, et il le domine, il l’écrase de tout son poids. « Je suis au-dessus de tout ce qui est sur la terre, dit le comte. — Tu te trompes, méchant, répond le saint ; tu t’es levé de la cendre et de la poussière, et c’est là que tu as pris ton orgueil. Tu n’es le maître de rien. C’est Dieu qui commande. Tu es haut monté, eh bien ! malheur à toi ! Tu tomberas de plus haut, et ta chute sera plus lourde. » Guillaume, maîtrisé, surpris, veut encore soutenir son rôle de tyran ; mais son audace vient se briser comme un verre contre l’audace du solitaire. Il cherche vainement à défendre ses vices, à les légitimer ; à chaque apologie, saint Bernard répond par une preuve accablante et un anathème ; enfin, poussé à bout, le comte de Poitou se réfugie dans l’ironie ; il a l’air de céder, il affecte une humilité railleuse, il se confesse coupable, avec une sorte de fatuité insouciante, détaillant le péché et y mêlant les railleries mondaines.

LE COMTE.

Eh bien ! pourquoi le nier plus long-temps ? je veux vous dire toute ma vie. J’ai commis tous les péchés que l’on peut commettre sur terre. Hélas ! il faut bien l’avouer, j’ai trouvé du plaisir dans ma conduite impure. Mes regards lascifs ont trompé l’innocence. Oui, j’ai aimé les tendres voix et les doux entretiens ; j’ai aimé les regards voluptueux et les brillans vêtemens. J’ai aimé à contempler les belles jeunes filles alors que, légères, elles se rendaient au marché, ou venaient en chantant le long des routes ombrées. Je suis allé les voir dans leurs travaux, ou agenouillées dans les églises ; et à leur seul aspect, il s’allumait un feu dans mon cœur. J’allais leur offrir tout mon amour, et ma voix était si persuasive, mon visage feignait si bien, que j’ai déjà eu plus de cent maîtresses. Je leur promettais le mariage, puis j’avais l’indignité de me moquer d’elles. Mais aussi, abbé, vous ne savez pas combien les femmes sont maintenant coquettes. Il suffit de leur montrer une lueur d’amour pour qu’elles viennent s’asseoir sur vos genoux. Elles ne songent qu’à plaire aux hommes. Depuis quelque temps, Satan leur a appris à se mettre du fard sur le visage pour le rendre rose ; toutes sont ou des danseuses, ou des joueuses, ou des langues à deux tranchans. — Et voilà pourtant, abbé, les êtres que j’ai aimés, les êtres, hélas ! que j’aimerai tant que la vie courra dans mes veines.

À cette longue et railleuse tirade, saint Bernard ne répond que deux vers :

« Comte de Poitou, revenez à Jésus-Christ qui vous a racheté ; comte de Poitou, dépouillez vos mauvaises hontes, ou vous êtes perdu. »

Guillaume résiste plus faiblement ; il commence à comprendre et à trembler. Enfin le saint, qui n’a plus d’espoir qu’en Dieu pour vaincre entièrement, tombe à genoux, invoque la grâce divine, et le comte, touché d’une inspiration d’en haut, se jette à ses pieds.

Là finit le cinquième acte et la première partie du drame, la partie profane.

Dans le sixième acte, nous trouvons le comte de Poitou sérieusement occupé à réparer ses fautes. Il rétablit le vrai pape, obtient sa bénédiction, et vient, par son ordre, trouver saint Bernard pour qu’il lui enseigne la voie du salut. Il arrive encore au monastère avec une suite nombreuse, mais bien différent de ce qu’il était lors de sa première visite. Il arrive à pied, les genoux sanglans à force d’avoir prié aux mille croix du chemin et la garde de son épée entourée d’un chapelet. Il vient demander au saint abbé des consolations et des espérances, car il a le souvenir de sept crimes capitaux qui lui plongent au cœur comme les sept épées de Notre-Dame des Douleurs. Il craint que l’Éternel n’ait pas au ciel assez d’anges de pardon pour en envoyer un effacer chacune de ses fautes. Mais saint Bernard l’encourage, et pour le rassurer, il lui raconte une vieille histoire.

Il y avait eu autrefois un seigneur comme lui qui avait fatigué Dieu et les hommes. Un jour deux pauvres moines se présentèrent à son château et demandèrent l’hospitalité, mais sa jeune femme leur dit : — Hélas ! hommes de Dieu, mon époux est dur à ceux qui marchent comme vous en deuil de la joie ; je n’ose vous recevoir, car il vous tuerait. Entrez dans cette crèche abandonnée des pourceaux ; c’est tout ce que je puis faire. — Les pauvres moines remercièrent et obéirent. Mais voilà que le soir, quand le seigneur était à table, sa jeune épouse, qui était près de lui, se mit tout à coup à devenir triste et à pleurer, et son mari lui ayant demandé ce qu’elle avait. — Pardonnez-moi, mon maître, dit la pauvre chrétienne, mais il est venu deux moines ici, et je n’ai osé les recevoir à cause de vous, si bien qu’ils sont à cette heure exposés au froid et à la faim, dans la crèche des pourceaux, ce qui m’est une bien lourde pensée dans le cœur ! — Et la pauvre femme se mit derechef à pleurer ; ce qu’ayant vu, le seigneur, par amitié pour elle et nullement par charité, voulut que l’on fît venir les moines, qu’on leur servît du meilleur, et qu’on les logeât dans la chambre tapissée. Mais quand les hommes saints eurent mangé modestement et qu’ils virent les grands lits qu’on leur avait préparés, ils dirent au maître : — Ne vous offensez pas, seigneur, mais nous ne coucherons point dans des lits semblables, car notre couche ici-bas, c’est la paille ou la terre. — Qu’il soit fait à votre désir, dit le gentilhomme tout ému, et il fit apporter pour chacun d’eux de la paille fraîchement battue, puis il se retira. Mais à peine seul, il sentit comme mille épines qui lui entraient dans le cœur… C’étaient les remords des actions qu’il avait commises pendant sa vie. Tout hors de lui, il se lève, va trouver les moines, se confesse à eux, et leur dit ses repentirs, ajoutant que, pour sûr, Dieu lui garderait rancune éternellement. — Ayez bon courage, lui répondirent les moines, nous allons prier pour vous, et Dieu nous inspirera. — Puis l’ayant renvoyé, les pauvres mendians prièrent et s’endormirent.

Mais voilà que dans leur sommeil ils eurent une vision de Dieu. Ils virent Jésus-Christ sur son trône ; l’ame de leur hôte était à ses pieds, toute grelottante de peur, et devant le tribunal se tenait le diable qui demandait l’ame, et l’ange gardien qui plaidait pour elle. — Cet homme, disait le démon à Jésus-Christ, n’a jamais fait que vous offenser. — Alors saint François s’avança et dit : — Monsieur Jésus-Christ, s’il vous plaît, saint Michel pèsera les bonnes actions de celui-ci et ses mauvaises ; alors vous jugerez d’après ce qui arrivera. — Qu’il en soit ainsi ! dit le fils de Marie, — et l’on commença la pesée. Mais hélas ! le plateau des crimes baissait toujours, et le diable riait ; il allait étendre sa griffe sur l’ame, lorsque saint François jeta tout à coup, dans le plateau des bonnes actions, les repentirs du défunt et la poignée de paille qu’il avait donnée aux moines ; et le plateau, s’abaissant lentement, enleva l’autre jusqu’au bras de la balance. Alors le diable s’enfuit en poussant un cri de rage, l’ange gardien étendit ses deux ailes sur l’ame, et les saints dirent entre eux : Nous avons un frère de plus parmi nous.

Cet apologue rassure un peu le comte. Saint Bernard lui persuade ensuite d’aller trouver un ermite qui habite au fond de la vallée, et duquel il l’engage à prendre conseil. L’homme de Dieu ordonne à Guillaume de renoncer au monde, de prendre la robe de pénitent, la haire de crin, les chaînes de fer, dont les cénobites garottaient leurs membres ; et Guillaume, ravi, renvoie ses pages, et se fait ermite dans le désert.

Le septième acte nous le montre revêtu de tous les insignes de la pénitence, et vivant au fond d’une forêt, avec ses terreurs et ses remords. Tous ses rêves de solitaire prennent un corps et se dressent autour de lui. Il voit l’enfer déchaîné pour le perdre, et employant tous les moyens qui peuvent le faire tomber dans le péché. Mais parmi ces moyens, renouvelés de la tentation de saint Antoine, il en est un qui est un trait de génie de l’auteur breton. Le saint a résisté à tous les appas que le démon lui a présentés ; vainement une jeune fille égarée, après lui avoir demandé l’hospitalité, s’est approchée de sa couche de paille, et avec de tendres et amoureux épanchemens, lui a appris qu’elle l’aimait, et qu’elle le cherchait en vain depuis long-temps. Vainement lui a-t-elle dit, en caressant d’une blanche main son visage frissonnant : — Oh ! Guillaume, quitte ce lit de paille, ne serais-tu pas mieux à mes côtés, dans une couche moelleuse, au fond du palais de mon père ? Ô Guillaume, mes bras ne seraient-ils pas de plus douces chaînes que ces fers qui meurtrissent votre chair ? — Le saint ermite a fait le signe de la croix, il a crié la formule d’exorcisme, et le fantôme tentateur s’est évanoui. Alors Satan se présente sous la forme d’un guerrier du Poitou. Une visière baissée cache son visage, la poussière et le sang couvrent ses éperons.

LE DÉMON.

Guillaume ! la patrie est saccagée, une armée ennemie est venue assiéger ta ville, et si tu ne viens la défendre, elle est perdue

GUILLAUME.

Que dis-tu ? ma ville prise ! mais comment ? Ne peuvent-ils se défendre ? les murailles sont fortes !

LE DÉMON.

Les habitans sont réduits à l’extrémité ; l’ennemi les presse. Je viens t’avertir de leur porter secours au plus tôt.

GUILLAUME, éperdu.

Les secourir !… Et le puis-je sous cette robe ?

(Il déchire sa robe d’ermite.)

Ah ! si j’avais des armes ! le siége serait bientôt levé.

LE DÉMON.

En voici : je t’en ai apporté.

GUILLAUME, les saisissant.

Ah ! des armes !…

(Le démont le revêt d’une armure complète.)
L’ANGE GABRIEL paraît.

Guillaume ! Guillaume ! où allez-vous ? vous avez promis à Dieu de rester son fidèle serviteur !

GUILLAUME.

Il faut que j’aille défendre ma ville qui est assiégée.

L’ANGE GABRIEL.

Ne croyez pas celui qui vous l’a dit : c’est l’esprit du mensonge.

GUILLAUME.

Se peut-il ! — Ô mon Dieu, mon créateur, pardon !

(Il tombe à genoux.)

Je le demande, le mouvement d’Achille oubliant ses habits de femme, et s’élançant sur les armes que lui présente Ulysse, est-il aussi touchant, aussi dramatique que cet élan de saint Guillaume ? Comme il fait bien sentir que le cœur du chevalier bat encore sous le cilice du pénitent ! On devine tout de suite combien de fois chaque jour le comte de Poitou, dans ses souvenirs tentateurs, doit prendre à deux mains son crucifix d’ermite, ainsi qu’une épée de bataille ! Ce trait révèle mieux les combats intérieurs du saint, que ne le feraient les plus beaux monologues ; on devine la plaie en voyant le sang couler.

Dans les scènes suivantes, nous retrouvons Guillaume accablé par les souffrances du corps et de l’ame, triste jusqu’à la mort, et attendant que Dieu l’appelle. Tout à coup une femme belle comme une jeune vierge, et sainte comme une vieille aïeule, passe devant la porte de sa cabane, s’arrête, et tourne vers lui son visage lumineux.

LA FEMME.

Que faites-vous ainsi seul et malade, pauvre homme ? Vous paraissez avoir une grande affliction.

SAINT GUILLAUME.

Hélas ! je suis un pauvre misérable qui expie ses crimes passés.

LA FEMME.

Quelles fautes avez-vous commises, mon fils, pour les expier ainsi seul au fond d’une forêt ? Votre pénitence a été dure, pauvre homme !

SAINT GUILLAUME.

Je l’avais méritée.

LA FEMME.

Et vous voulez bien souffrir ainsi jusqu’à ce que la justice de Dieu soit satisfaite ?

SAINT GUILLAUME.

Je le veux avec joie !

LA FEMME.

Patience, ô mon fils Guillaume ! et tu ne regretteras pas ce que tu souffres aujourd’hui. J’ai vu ta peine, et je suis descendue du paradis pour te consoler. Je suis la mère de Dieu. Lève-toi de là, Guillaume, et mets-toi en prière ; bientôt tu recevras la couronne parmi les anges et les saintes, tes sœurs.

SAINT GUILLAUME.

Ô Vierge, mère de Dieu, merci à vous de m’avoir visité. Oh ! merci ! voilà que mon corps est devenu fort et mon âme sereine.

Ne trouvez-vous pas quelque chose de ravissant, à force d’être naïf, dans cette forme vulgaire donnée à l’apparition de la mère de Dieu ? Cette vision à forme si humaine ne vous fait-elle pas l’effet d’un songe d’enfant ? Ne vous semble-t-il pas que c’est un souvenir du jeune cloarec, qui, un jour, lorsqu’il avait sept ans, et qu’il gardait ses moutons sur la montagne par un temps de gelée, en priant dévotement la Vierge dans un trou de fossé, a vu quelque grande dame, qui passait par là, se pencher vers lui avec un doux visage, et lui adresser quelques tendres paroles de consolation et de pitié ? Le moyen, je vous le demande, que l’enfant devenu grand sépare maintenant ce souvenir d’une apparition céleste ?… Ne venait-elle pas réellement du paradis, cette grande dame qui était si bien habillée, si brillante, et qui paraissait avoir si chaud, lorsque lui, pauvre petit, il grelottait sous son habit de berlinge ? Certes, la mère de Dieu doit être ainsi parmi les anges ; elle doit avoir ainsi pour l’hiver une belle robe de soie avec de douillettes fourrures !

Du reste, tout ce septième acte de saint Guillaume vous transporte dans un monde inconnu. Il ressemble tout entier au rêve d’un écolier qui se prépare à sa première communion, et qui voit toutes les nuits son ange gardien qui lui sourit ou qui pleure, selon qu’il a été sage ou méchant. Il y a un indicible charme dans la situation de cette ame qui attend l’heure de prendre sa volée vers le ciel. Quoique le drame soit fini depuis long-temps, et que toutes ces scènes ne soient qu’un dialogue entre Guillaume et ses chimères, quoiqu’on n’attende plus de dénouement, on s’intéresse jusqu’au dernier vers, et quand apparaît cet ange vêtu de blanc, mais dont les ailes sont noires ; quand il apprend à Guillaume que ses misères sont finies, qu’il est venu pour le conduire dans cette autre vie, où l’on entre par une porte qui n’a que six pieds, et qui se ferme avec une pierre de tombe, on reste un instant le cœur à la fois joyeux et attendri, pensif et comme anéanti dans la contemplation du comte de Poitou à genoux et mort, les lèvres pressées sur un crucifix.

§. iii.
Les Quatre fils d’Aymon. — Caractère de cette tragédie. — Jacques Riwal. — Une représentation des Quatre fils d’Aymon à Lannion.

Nous voilà arrivés à la seconde tragédie bretonne, les Quatre fils d’Aymon. Qui ne connaît l’histoire des quatre fils d’Aymon, le seul des romans chevaleresques qui soit resté national jusqu’à nos jours ? Qui n’a lu cette Iliade du peuple que le peuple a conservée par instinct républicain, parce qu’il y avait là trois chevaliers qui résistaient au roi, qui égorgeaient des seigneurs, et souffraient la misère et l’injustice, comme de simples manans ? La tragédie bretonne n’est autre chose qu’une paraphrase poétique du roman. Quelque clerc du comté de Goëlo, enrôlé soudard par force ou par amour, rapporta sans doute cette chronique en Bretagne, de ses expéditions d’outre Loire, et, devenu chantre de sa paroisse, ou scribe de quelque fiscal, il employa ses loisirs à en faire un drame. Il faut l’avouer, il fut merveilleusement habile à approprier ce sujet aux sympathies du peuple pour lequel il le traduisait. Mais pour cela il lui fallut ôter à l’œuvre sa couleur primitive. À l’époque où l’histoire des quatre fils d’Aymon fut écrite, elle résumait l’esprit féodal ; elle exaltait la résistance du noble envers le suzerain, et donnait un bel exemple de révolte contre le roi. Ce dut être la Marseillaise de l’homme lige, et sans doute que pendant les soirées d’hiver, assis au fond de sa cheminée de douze pieds, le vieux châtelain la racontait à ses fils pour leur apprendre qu’un gentilhomme n’avait de maître absolu que Dieu, et pouvait tuer le neveu d’un empereur, pourvu qu’il eût l’ame et l’épée solidement trempées. Le succès de la chronique des Quatre fils d’Aymon dut tenir beaucoup à cette cause toute politique. Ce fut pendant long-temps un ouvrage de circonstance. Mais lorsqu’elle fut traduite pour les Bretons, les temps étaient changés. Les lois avaient mis le mors à la féodalité, et solidement assis sur elle, ils la conduisaient avec le fouet et l’éperon. Louis xi avait déjà nivelé les seigneurs, diminuant de la tête ceux qui la portaient trop haute, et les jours de Richelieu approchaient… La question ne se débattait donc plus entre le suzerain et la noblesse, mais entre celle-ci et le peuple. Le xvie siècle fut le siècle des communes. La monarchie avait jeté les gentilshommes à genoux devant le trône, et le tiers-état, en se voyant l’épaule au même niveau qu’eux, commença à penser qu’il n’était point si petit qu’on l’avait fait jusqu’alors. L’auteur du drame des Quatre fils d’Aymon eut sans doute conscience de cette transformation qui s’était opérée dans la société, et il y conforma son œuvre. Entre ses mains les quatre fils d’Aymon devinrent le symbole de la résistance au maître, qu’il s’appelât empereur ou comte. Obligé de respecter les élémens de la fable qui faisaient de ses personnages des chevaliers, il modifia assez leurs caractères, leurs langages, leurs sentimens, pour en faire des héros populaires. Il les fit descendre à la roture par la souffrance. Bien loin de représenter, d’après la chronique, les quatre fils d’Aymon comme des oiseaux de proie prenant leur volée du haut de leur aire pour rançonner le pauvre peuple, ravager les campagnes et brûler les villages, il les peignit comme de généreux opprimés, doux pour tout le monde, excepté pour les seigneurs. Il les transforma en pastoureaux révoltés, et il leur fit dire : Nous n’avons point de maître, car nous sommes les plus forts. — Terrible parabole, qui contenait le germe d’une révolution.

Aussi la foule qui vint applaudir cette œuvre ne s’y trompa-t-elle point, et se prêta-t-elle à la métamorphose des personnages. Elle adopta, comme sien, ce rôle de l’opprimé courageux qui lutte, qui succombe et qui ne cède jamais, parce que c’était un beau rôle, un rôle qui parlait à sa pitié et à sa haine. Puis, dans cet abandon des quatre fils d’Aymon, chassés par leur propre père comme les loups des montagnes, vivant de racines dans les forêts, déguenillés, sales, échevelés, et n’ayant d’entier que leur courage et leurs armes, il y avait une allusion qui flattait à la fois l’imagination et la vanité du peuple. D’ailleurs, nous le répétons, cette histoire était une parabole que tous comprirent, sinon distinctement, du moins par sentiment. Ce Renaud qui tuait des princes, détruisait des armées, et qui était sûr de sa tête, pourvu qu’elle fût à l’ombre de sa lance ; ce Renaud, si dur à l’ennemi, et si tendre à ceux qu’il aimait, qui après avoir brisé avec le glaive le joug de tout commandement, se faisait humble aux pieds de Dieu, se mêlait aux derniers rangs du peuple et se laissait briser le crâne par le marteau d’un maçon ; ce Renaud personnifiait admirablement le paysan breton du xvie siècle, si brave, si révolutionnaire, si rétif, et pourtant si religieux et si soumis à ses prêtres.

Rien ne doit donc étonner dans l’immense succès qu’obtint en Bretagne la tragédie des Quatre fis d’Aymon. Quand elle parut, elle dut produire un effet prodigieux, car elle remuait les passions qui étreignaient le plus fortement les cœurs de la multitude. Ce jour-là il dut y avoir, parmi les spectateurs, bien des élans, bien des cris jetés, bien des révélations menaçantes de la haine qui travaillait sourdement les masses ; et ce serait un curieux renseignement historique que le récit de cette première représentation. Malheureusement nul ne nous l’a conservé.

À défaut de ce document, je puis raconter ici ce que j’ai vu moi-même à une représentation de la tragédie des Quatre fils d’Aymon, à laquelle j’assistai il y a quelques années. Ce récit pourra servir en même temps d’instruction et de preuve pour ce que j’ai dit plus haut. Il me fournira d’ailleurs l’occasion de faire connaître un caractère extraordinaire que je fus à même d’étudier.

Je m’étais arrêté à Lannion pour voir son grand pardon annuel. Un pardon est toujours chose curieuse en Bretagne, mais surtout à Lannion, cette Venise de cinq mille ames, où l’on danse les plus beaux passe-pieds du pays de Tréguier, et où l’on chante les plus belles complaintes ; à Lannion, où les jeunes filles sont si tendres, qu’un poète breton a osé dire que ce qu’il y avait de plus rare dans la paroisse après les vierges, c’étaient les étoiles en plein jour et les roses en hiver. J’étais curieux d’assister encore une fois à une fête du pays que j’allais quitter ; puis je voulais faire plus ample connaissance avec un vieux paysan qu’un ami m’avait livré comme une médaille précieuse, et qui devait passer la journée avec moi.

Bien que ce que j’ai à raconter de cet homme doive m’écarter un instant des Quatre fils d’Aymon, je prie le lecteur de me permettre cette digression. Je l’ai déjà dit, ce que j’écris ici, c’est des mémoires sur la Bretagne, et tout ce qui peut la faire connaître, dans ses caractères généraux, et dans ses individualités, se rattache naturellement à mon sujet. Il est d’ailleurs des souvenirs qui sont jumeaux dans votre esprit, et que vous ne pouvez rappeler séparément. Tel est pour moi le souvenir de ce paysan et celui de la représentation des Quatre fils d’Aymon.

Jacques Riwal était né aux environs de Loudéac. Lorsque je le vis, il était déjà vieux, mais encore vigoureux et actif. C’était un de ces êtres créés par de robustes parens, exposés tout nus, dès la naissance, aux quatre vents du ciel, puis tannés par la bise, durcis par le froid, forgés par les durs travaux, et qui arrivent à l’âge viril, sans chair, sans nerfs, sans épiderme, n’ayant sur leurs os et sur leurs tendons de fer, qu’un cuir imperméable à la pluie et au soleil. Le moral de Jacques répondait parfaitement à sa constitution physique ; son ame n’était que muscles et ossemens comme son corps. Fort jeune, il avait eu à souffrir quelque injustice d’un gentilhomme, et depuis ce temps il avait voué à toute la noblesse une haine inextinguible. Cette haine était devenue son idée fixe ; Jacques semblait résumer toutes les velléités libérales du paysan breton, mais ce qui chez les autres n’était qu’une tendance, chez lui était devenu tempérament. Ces frissons républicains que tous les hommes de nos communes éprouvent accidentellement, étaient passés pour lui à l’état chronique. C’était un vrai manant de la Ligue, toujours prêt à crier le terriben sur les seigneurs, mais plus tenace, plus éclairé, plus philosophe que ne l’avaient été les révoltés de Mercœur. Du reste, cette exubérance exclusive d’une disposition commune à tous avait fait de Jacques Riwal un être totalement excentrique. Ce n’était plus un paysan breton ordinaire, mais une espèce de personnification métaphysique d’une des qualités de ce paysan.

Lorsque la révolution arriva, on comprend qu’elle trouva Riwal prêt à la bien recevoir. La révolution était une bonne chose, puisqu’elle forçait les nobles à vider le pays. Riwal pourtant fut triste quand il vit que les prêtres prenaient le même chemin que les nobles, car c’était un chrétien fervent. Il aimait la croix, parce que ses deux branches forment un niveau sous lequel toutes les têtes sont égales ; il aimait le Christ, parce que son instinct lui avait sans doute révélé que le Christ avait été, comme le disait Camille Desmoulins, un sans-culotte du temps d’Hérode. Cependant, lorsque les autres Bretons, obéissant aussi à leur amour d’indépendance, s’armèrent pour défendre leur religion, et donnèrent maladroitement à leur révolte une cocarde royaliste, Jacques Riwal ne se mêla pas aux insurgés. Il ne confondit pas ces deux causes distinctes de croyance et de politique. Il sentit qu’il y avait là un malentendu, et que Dieu, qui n’est pas gentilhomme, pouvait très bien vivre dans une république. Tout en restant bon chrétien, il demeura donc tranquille, laissant les chouans et les bleus engager leur controverse à coups de fusil ; mais les circonstances vinrent bientôt le tirer forcément de son repos. Les chouans se présentèrent à sa ferme, et, selon leur usage, le sommèrent avec menace de se joindre à eux. Riwal refusa. — Si tu ne nous suis, dit le chef en colère, nous tuerons tes vaches. — Cela ne ramènera pas les nobles au pays, répliqua tranquillement Riwal. — Nous brûlerons ta ferme. — Vous ferez bien, dit encore l’impassible paysan, car elle appartient à un gentilhomme. — Les chouans se retirèrent après quelques dégâts et quelque mauvais traitemens, mais en promettant de revenir. Le lendemain Riwal vendit ses bestiaux, ses attelages et son ménage, ne gardant qu’un lit clos pour sa famille et pour lui ; puis il attendit. Quelques jours après, comme il revenait des champs, sa femme lui dit ; — Les chouans sont venus, et ils ont brûlé le lit. — Ils n’ont pas brûlé la terre, dit Riwal, nous coucherons sur la terre. — Un autre jour il passait sur la grande route ; un détachement de bleus vint à lui : — Paysan, dit l’officier, sais-tu ce que c’est que cette flamme que l’on aperçoit là bas dans la vallée ? — Riwal tourna la tête de ce côté et devint pâle. — Cà, dit-il, après un moment de silence, c’est ma ferme où les chouans ont mis le feu. — Jacques ne s’était pas trompé. En arrivant avec les soldats, il trouva sa petite fille qui se chauffait à la flamme de l’incendie. Mais sa femme avait reconnu les coupables, elle déclara leurs noms, indiqua leurs demeures, et plusieurs furent arrêtés. Riwal partit le jour même avec sa famille pour une paroisse éloignée. Il n’y avait plus de sûreté pour lui près de Loudéac. Il loua une cabane sur les bords du Trieux, non loin de Lannion. Nul chouan n’avait encore paru de ce côté ; pendant un mois, Jacques fut tranquille et heureux.

Un soir, il entendit dire que le lendemain, jour de décade, on célébrait une fête patriotique à Lannion. Il y avait danse au bigniou, sous l’arbre de la liberté, et l’on devait y voir les dames de la ville, dans le costume de l’époque, avec le petit bonnet à cocarde tricolore, la guillotine d’ivoire suspendue en breloque à un collier de velours, les bas de laine bleue et les sabots blancs. Riwal était curieux de voir une semblable fête ; il y alla. Les réjouissances se prolongèrent fort tard, et quand il revint, la nuit était close, le vent était froid, le ciel chargé d’étoiles que de grands nuages voilaient par instans, de sorte que l’on passait alternativement d’une clarté douce à l’obscurité la plus profonde. Jacques, sans qu’il en sût la raison, sentait une tristesse insurmontable qui lui serrait le cœur, et, malgré lui, il pressa le pas ; il aperçut enfin, du haut de la montagne, la cheminée de sa cabane qui se dessinait par-dessus les arbres. Cette vue le soulagea, et il se hâta de prendre l’étroit sentier qui devait l’y conduire ; mais dans ce moment les nuages couvraient le ciel ; Riwal voyait à peine à ses pieds. Il arriva ainsi jusqu’auprès de l’endroit où devait se trouver sa maison ; il étendit les bras pour la chercher, et se heurta à une aubépine plantée près du seuil. — C’est ici, — pensa-t-il ; et il avançait la main pour chercher l’entrée, lorsqu’au lieu de la porte, quelque chose de flasque et de flottant céda tout à coup sous l’impulsion de cette main, puis vint le battre à la poitrine, et il sentit tomber sur son front une sorte de rosée humide et gluante. Riwal recula épouvanté. Dans ce moment, la lune se découvrait entièrement, et à sa lueur, il aperçut le cadavre de sa femme suspendu au châssis de la porte, la main droite étendue vers lui, en lui présentant, dans cette main, sa langue et ses yeux qu’on lui avait arrachés ! Riwal poussa un cri terrible. — Marguerite, Marguerite ! dit-il… et il regardait, les cheveux hérissés, la pendue qui vibrait encore à sa corde sanglante… Marguerite ! — Mon père ! dit une voix qui venait de la terre. — Le paysan regarda à ses pieds. Sa petite fille était accroupie au dedans du seuil sous le corps flottant, pâle, les yeux fixes, et n’osant faire un mouvement. Riwal courut à elle et l’enleva dans ses bras. — Marie, Marie ! cria le malheureux, qu’est-ce que cela, Jésus ? quand donc les chouans sont-ils venus ? — Mais l’enfant était si égarée d’effroi et de douleur, qu’elle ne pouvait répondre. Riwal la fit asseoir près de lui, sous l’aubépine, et tâcha de la rassurer ; enfin après des questions réitérées, il apprit d’elle tout ce qui s’était passé. Les chouans avaient voulu venger leurs compagnons dénoncés par la femme de Riwal, et donner un exemple qui jetât l’épouvante dans les campagnes. En se retirant, ils avaient dit à l’enfant : — Avertis ton père que d’ici à huit jours nous mettrons aussi sa langue et ses yeux dans sa main droite !…

Riwal écouta tout ce récit sans pousser une plainte, sans prononcer une parole. Il passa la nuit près du cadavre de sa femme, couché à terre et sa fille dans ses bras. — Cette nuit-là fut terrible, monsieur, me dit-il ; de temps en temps je sentais une goutte de sang qui me tombait sur le visage, et à chaque goutte je répétais : Il faut que je tue autant de chouans que j’aurai de taches rouges ici demain. Cette nuit-là je crus que j’allais devenir fou.

Le lendemain Riwal enterra sa femme, il amena sa fille à un de ses beaux-frères qui demeurait à Saint-Brieuc, acheta un fusil, et se mit en campagne, bien résolu de se venger.

Alors commença pour lui une existence inouie sur laquelle il faudrait écrire un livre, et non quelques pages, une de ces existences de sauvage, comme Cowper sait les raconter : solitaire, rusée, craintive, toujours placée entre la hache et le billot ; une vie de bête fauve avec la prévoyance et la haine de plus. Il ne se montra plus que dans les villes, et seulement de loin en loin, pour se procurer sa nourriture. Quant à la poudre et aux balles, pour s’en procurer, il tuait un chouan quand l’occasion s’offrait belle et facile ; car, de peur de donner l’éveil, il économisait sa vengeance. Le jour, il restait caché dans le creux des pierrières, dans les meules de foin, dans les halliers, au haut des arbres, dans le fond d’un puits desséché, dont l’orifice était voilé par des ronces, dans les ruines des chapelles ou les souterrains des vieux châteaux. Là, il consolait sa solitude en disant son chapelet, et en se racontant à lui-même des histoires. Cette expression pittoresque est de lui. La nuit, il mettait sa haine à l’affût le long des sentiers parcourus par les royalistes, et il les attendait à la longueur de sa carabine. Le nombre de ceux qu’il tua ainsi fut probablement considérable, car, de son aveu, il ne laissa échapper aucune occasion. Une seule fois il épargna un chouan en prières aux pieds d’une croix de carrefour. — Si je l’avais tué alors, me dit-il, il serait allé en paradis.

Une nuit, Riwal, en entrant dans un vieux four en ruines qui lui servait de retraite depuis quelques jours, y trouve un homme endormi. Il lui met le bout de son fusil sur la poitrine, et lui crie : Qui vive ! — Royaliste, dit le paysan en se réveillant. — La réponse n’était pas achevée qu’une balle lui avait traversé le cœur. Comme les bandes tenaient la campagne, Jacques ne put sortir de sa retraite que vingt-quatre heures plus tard, et il passa tout ce temps assis près du cadavre, les pieds dans le sang.

Une autre fois Riwal se trouve caché dans une meule de paille où deux royalistes viennent se réfugier. Des soldats passent et sondent la meule avec la baïonnette ; Jacques sent le fer qui lui pénètre dans le ventre, il ne pousse pas un cri ; les bleus continuent leur route, et les chouans, rassurés, s’endorment. Alors Riwal se glisse hors de la paille et y met le feu. Les deux hommes y furent étouffés.

Cette vie dura jusqu’au moment où la tranquillité se rétablit en Bretagne. Une fois la guerre civile éteinte, Jacques Riwal recommença à se montrer. Il alla reprendre sa fille à Saint-Brieux, loua près de Lannion une petite ferme de quelques journaux, et vécut tranquille. Le soulèvement des Cent Jours fut trop court et trop peu important pour l’arracher à son repos. Mais sa haine contre les nobles ne diminua en rien, et lorsque je le vis en 1825, c’était encore le chouan républicain de 95. Je passai une journée presque entière avec lui. Dans le cours de l’entretien, on vint à parler de poésie celtique, et Riwal m’apprit que le jour même on représentait, près de la ville, une tragédie bretonne : les Quatre fils d’Aymon. Je lui proposai aussitôt de m’y conduire, et nous partîmes ensemble.

Le pardon avait attiré à Lannion une affluence immense. Toutes les paroisses des Côtes-du-Nord y avaient envoyé quelques représentans. C’étaient mille coiffures, mille habits, mille chaussures, tels qu’on n’en voit plus en France depuis trois siècles. C’étaient de roses Trégoroises, dont les coiffes élancées rappelaient la forme des pirogues américaines ; d’ardentes Lamballaises, à l’œil quetteur, aux lèvres invitantes, avec leurs flots de cheveux noirs débordant de leurs cappa italiennes ; c’étaient de naïves Lannionnaises, s’épanouissant sous les barbes de leurs coiffures, semblables aux ailes repliées d’une phalène. Puis venaient des hommes du Mènes Brée, avec l’habit de toile blanche, les longs cheveux, et les immenses sabots durcis au feu ; puis les matelots de Pontrieux, à la veste bleue, au petit chapeau de paille et aux escarpins à bouts pointus ; parmi eux on distinguait, de loin en loin, quelques vieux lamaneurs, reconnaissables à l’ancre d’argent pendue à leurs boutonnières ; plus loin étaient les meuniers de la vallée, habillés de drap blanc, et portant le bonnet bleuâtre ; les bouchers avec leurs vêtemens bruns, leurs bas rouges et la ceinture à gaîne de cuir ; les tailleurs, remarquables par leurs culottes carmélites et leurs bas violets, et les belles piqûres exécutées sur le devant de l’habit ; car chaque population, chaque profession avait son costume qui la distinguait. Toute cette foule s’agitait au milieu des boutiques de colporteurs, des loteries de faïence et des marchands d’épinglettes en fil de laiton. Les enfans, groupés autour des étalages, achetaient des petits pains blancs exposés en vente sur la paille, les jeunes filles regardaient les belles images des aveugles, suspendues à de longues ficelles avec des guerz bretons à la marge ; les jeunes mères vendaient leurs cheveux pour des mouchoirs de Chollet que leur distribuait un charlatan, et les vieilles femmes marchandaient des chapelets garnis de houppes bariolées. Au milieu de cette mêlée, on voyait passer quelquefois un carrosse du xvie siècle, tout bordé de clous de cuivre, tiré par des chevaux de ferme aux attelages de cuir blanc, ornés d’arabesques rougeâtres, et les paysans curieux se rangeaient lentement devant la voiture du vieux gentilhomme, et ils tiraient encore plus lentement leurs larges chapeaux, en poursuivant le triste équipage de ce long regard et de ce long sourire particuliers aux paysans bas bretons, et dont rien ne peut rendre la silencieuse moquerie.

Je marchais émerveillé au milieu de cette multitude ; j’avais là devant mes yeux toute une époque passée, et je croyais voir se réaliser pour moi le conte de la Belle au bois dormant. Il me semblait que, comme le prince voyageur, je venais de rompre le charme qui avait retenu dans le sommeil, pendant trois siècles, une population entière, et que c’était une cité du moyen-âge qui se réveillait.

Cependant j’étais sorti de la ville sous la conduite de Jacques Riwal, et nous arrivâmes bientôt au lieu de la représentation. Le théâtre avait été dressé au milieu d’une vaste garenne autour de laquelle des planches mal clouées sur des pieux enfoncés en terre formaient une triple rangée de bancs. Les spectateurs qui n’avaient pu trouver place sur ces gradins, se tenaient debout par derrière ; les arbres des champs voisins, les fossés, les croix du chemin, et les toits de quelques maisons assez éloignées, étaient couverts d’enfans et d’écoliers. Le nombre total des spectateurs pouvait s’élever à trois mille ; après d’assez longues recherches, nous parvînmes à trouver place sur un banc.

La scène était vide au moment de notre entrée. Un acte venait de finir, et Charlemagne buvait dans une grange voisine avec ses chevaliers ; il fallait attendre assez long-temps. J’éprouvais une impatience d’autant plus vive que je ne connaissais point encore la tragédie des Quatre fils d’Aymon. J’étais curieux de voir quelle forme le poète avait donnée à cette svelte et féerique légende, de savoir comment il avait approprié à de rudes et carrés Bretons ces élégantes images de chevaliers à cors d’ivoire, à armures diamantées et à fines devises. Je savais par cœur mon histoire des quatre fils d’Aymon, telle que je l’avais lue imprimée sur papier d’emballage de Limoges, dans ces bonnes éditions du peuple, sales et solides comme lui, et les seules peut-être qui échapperont à la pourriture et aux vers, alors que les œuvres élégantes de notre typographie économique auront vu tomber en poudre la dernière de leurs pages cotonneuses et chlorurées. Cependant, en attendant que la représentation commençât, j’interrogeai mon compagnon sur ce drame.

Les Quatre fils d’Aymon, monsieur, me dit-il, c’est une bien belle pièce en sept journées, où il y a beaucoup de marches et de batailles. J’ai joué autrefois le rôle de Renaud à Tréguier, c’est un bien beau personnage pour un paysan. Il y a plaisir à avoir ainsi, pendant toute une journée, des habits dorés sur le corps, des nobles à bâtonner, et des seigneurs à fouler aux pieds. Par instant on croit que c’est une réalité ; et puis on peut se révolter tout haut, et l’on entend les autres qui applaudissent. On peut dire en bon breton ce qu’on a sur le cœur, et qu’on ne saurait pas dire soi-même ; ça vous lève un fardeau de dessus la poitrine de réciter des vers comme ceux-ci ; et Jacques Riwal se mettait à déclamer :

« Il y a dans le palais du roi bien des nobles qui méritent le nom de traîtres ; mais je les récompenserai un jour selon leurs œuvres, si je vis. Il est temps de montrer que nous avons du cœur. Oh ! je m’arracherai moi-même la chair avec mes dents plutôt que de ne pas défendre ma famille contre ces hommes. »

...........................

« Ah ! je comprends maintenant ce qui s’est passé. Mon oncle Beuvet a été tué, mais ceux qui ont fait le coup en rendront compte, je vous le promets ; Sire, tôt ou tard je tirerai vengeance de vos seigneurs qui ont tué mon oncle. — Vous m’entendez tous ici, nobles ?… — Personne ne bouge ? — Eh bien ! s’il y a quelqu’un de vous à qui ces paroles remuent le sang, qu’il sorte, et nous verrons son adresse à manier les armes ! »

Jacques avait répété ces derniers vers en étendant les bras et élevant la voix, comme si, dominé par un souvenir personnel, il se fût fait l’application des paroles de Renaud, et comme s’il eût défié la foule. Il reprit presque aussitôt :

— Cela est beau, n’est-ce pas, monsieur ? — Et cet autre passage encore ?

« La fâcherie d’un roi, Mogis, pourquoi t’en inquiètes-tu ? La fâcherie d’un roi, j’en fais cas comme celle d’un veau qui tète sa mère. Si notre père s’est séparé de nous devant l’empereur, s’il nous a déshérités !… qu’importe !… J’ai du courage, et je vous en fais serment devant la Trinité, tant que j’aurai Bayard sous moi, et flamberge à mon flanc, je vivrai partout en dépit du roi. »

Un roulement de tambour, qui annonçait la continuation du drame, arrêta Jacques dans ses citations. Les acteurs parurent tous sur le théâtre, et l’un d’eux s’avança pour réciter le prologue.

La première chose qui me frappa dans cette entrée, ce furent les costumes. Charlemagne avait un habillement complet de bedeau, avec la robe mi-partie d’écarlate et de violet, le jonc, pour chasser les chiens, et le bâton à croix d’argent. On lui avait attaché sur la tête une couronne de papier doré, ornée de chapelets et de médailles de plomb. Les pairs de France portaient de vieilles soutanes avec des ballins drapés en guise de manteaux, et de grands chapeaux bretons. Mogis, en sa qualité de magicien, avait un costume complet de mahométan. Quant aux quatre fils d’Aymon, Richard, qui avait sans doute servi, portait l’habit de petite tenue, le pantalon garance, la giberne et le briquet. Allard avait la robe d’un mage, le bonnet à poil, et les bottes à l’écuyère ; Guichard, l’habit de marquis, culotte courte, perruque poudrée, souliers à boucles, et l’épée horizontale ; il ne lui manquait que le claque qu’il avait remplacé par un bonnet de police. Au milieu de cette grotesque mascarade, Renaud seul semblait avoir tenté de mettre, si non plus de vérité historique, du moins plus de poésie dans son costume. Il était vêtu en archange saint Michel, avec le casque doré en tête, la tunique semée d’étoiles et les laticlaves antiques. Mais comme s’il eût voulu, sous ce fantastique déguisement, garder un symbole du pays, il agitait à la main un bâton-à-tête, orné d’une ganse de laine bariolée. C’eût presque été une idée de génie, si ce n’avait été une naïveté d’ignorant. Toute la création du poète était en effet révélée par ce bizarre rapprochement. C’était bien là le Renaud du drame breton tout entier : — un brillant archange, tenant à la main, au lieu du glaive, le dur pen-bas du manant.

Cependant le troisième acte commença (les deux premiers avaient déjà été joués). Il prenait la légende au moment où Charlemagne, pour venger la mort de son neveu Berthelot, tué par Renaud, d’un coup de damier, vient assiéger les quatre fils d’Aymon dans leur château des Ardennes. On y voyait les prouesses des quatre chevaliers, et de leur cousin Mogis, la trahison d’Hermier-de-Seine, qui s’introduit dans la citadelle sous le voile de l’amitié, et la livre aux gens du roi ; enfin, le combat du duc Aymon contre ses propres enfans, qu’il force à fuir dans les montagnes. On voyait ceux-ci, après avoir souffert toutes sortes de maux, et être devenus si maigres, qu’ils n’osaient se montrer, prendre la résolution de se rendre à Dordonne, habitation de leur père, pour implorer sa pitié. Ils arrivent en effet devant le château. Le pont-levis est baissé ; le jour commence à paraître ; tout respire autour d’eux l’abondance, le calme et le bonheur ; les nobles armoiries de leur famille, gravées sur la porte d’entrée, étincellent d’or et d’azur ; tous quatre s’arrêtent timides et attendris devant ce seuil qu’ils passèrent, il y a sept ans, couverts d’armures brillantes, joyeux, florissans et aimés de leur père. Aucun d’eux n’ose le franchir.

RENAUD, assis devant le château.

Nous voilà arrivés près de Dordonne ! Non, je ne puis vous dire quelle souffrance me tord le cœur, quand je vois la paix et le repos que goûtent nuit et jour les hommes de ce pays ! et nous qui sommes les enfans légitimes du seigneur, nous n’avons d’autre toit que la voûte des forêts ! Voilà le château de mon père. C’est là que j’ai été mis au monde, là que j’ai passé les premières années de ma vie, où j’ai vécu, pauvre petit, si frêle et si gracieux, et surtout si plein de joie ! — Et maintenant la porte m’en est interdite, et maintenant, mon Dieu ! j’en suis chassé comme un dragon farouche !

GUICHARD.

Consolez-vous, Renaud ; renoncez à ces plaintes, nous pourrons encore une fois posséder notre ancienne demeure.

RENAUD, se levant.

Allons donc, au nom de Dieu et de la vierge Marie, allons voir ce qu’il y a de nouveau chez nous. Je ne sais, mes frères, si nous serons bien reçus, n’ayant pas demandé de sauf-conduit à notre père, car c’est un homme dur et grandement fidèle à la loi. Peut-être voudra-t-il nous livrer au roi.

ALARD.

N’ayez pas cette pensée, Renaud ; notre père n’est pas assez inhumain pour nous maltraiter. Moi, je pense que lorsqu’il nous verra de retour au foyer, il en aura beaucoup de joie.

(Ils s’approchent de la porte du château ; des villageois les regardent par les fenêtres.)
LE PREMIER VILLAGEOIS.

Quels sont ces gens-ci, dites-moi, compère ? Jamais on n’a vu dans le canton pareille truandaille. Ce sont des monstres ou des sauvages.

LE SECOND VILLAGEOIS.

Jamais, je vous assure, je n’ai vu des êtres pareils. Ils ont l’air de bêtes fauves. Certainement ce sont des monstres ou des Sarrazins ; ne restons pas ici.

(La duchesse Aymon sort rêveuse, tandis que ses fils sont près de la porte.)
LA DUCHESSE.

Non, il n’est point de femme au monde, portant cette lourde vie ; il n’en est pas qui ait jamais eu autant sujet de pleurer que moi ! J’avais quatre fils vaillans et redoutés, les plus braves chevaliers que l’on pût voir, et la fortune leur est si pesante, qu’ils ont été bannis de la maison paternelle par leur propre père, et maintenant ils vivent comme des déserteurs ! Il n’est personne dans ce pays qui voulût les secourir, et leur père désespéré est allé, comme un insensé, chercher au loin des aventures. Me voilà maintenant abandonnée par le père et les fils !

(Elle aperçoit les quatre frères sans les reconnaître.)

Ô Dieu ! mes pauvres malheureux, quelles gens êtes-vous, que je vous vois si misérables et si brûlés par le soleil ? Êtes-vous des païens ou des chrétiens ? vous avez sans doute besoin d’aumônes ? Si vous êtes nécessiteux, dites-le avec sincérité, et je vous secourrai au nom de Dieu, afin qu’il secoure aussi mes pauvres enfans, et qu’il les sauve des mains de leurs ennemis. — Se peut-il, ô mon Dieu ! que vous ne me fassiez pas voir mes quatre fils encore une fois avant de mourir !… — Oh ! je voudrais qu’ils fussent là, à la place de ces malheureux, dût-il m’en coûter tout ce que je possède dans ce monde !

(Renaud, presque évanoui, se jette aux genoux de sa mère et se cache le visage dans sa robe. Celle-ci reconnaît son fils, et, noyée de larmes, jette un cri, lui prend la tête entre ses mains, et dit :)

Renaud, Renaud, ah ! je vous reconnais ; vous êtes mon fils. C’est vous, Renaud, voilà le petit signe que vous avez près de l’œil. Renaud, comment avez-vous pu voir ma douleur sans me dire que c’était vous ? — Ô mon fils ! mon fils ! où est allée la grâce de votre beau visage, maintenant si changé ?…. — Vous étiez une créature si belle et si forte. Renaud, oh ! le plus bel enfant sur le berceau duquel une mère ait jamais chanté ! que vous êtes pâle et maigri ! — Mais voilà aussi mes trois autres fils. Ah ! mon sang se calcine dans mes veines de compassion et de douleur en les voyant si misérables. — Mes innocens, mes pauvres innocens !…

(Elle leur prend les mains l’un après l’autre.)

Mais loués soient Dieu et la vierge Marie ! Venez, mes fils, je veux vous embrasser tous. Venez, et je vous donnerai des habits, de l’argent et de l’or, car votre aspect me brise le cœur.

RENAUD.

Ah ! je savais bien, ma mère, que vous deviez déplorer notre absence ! Et nous aussi, nous avons eu lieu de la pleurer, car, depuis que vous ne nous avez vus, nous avons enduré bien des fatigues et des souffrances.

LA DUCHESSE.

Mais qui donc a pu vous réduire à cet état ?

RENAUD.

C’est toujours notre père qui nous a perdus. Il a tué tous nos gens sans en excepter un seul, et il nous en aurait fait autant, s’il avait pu. Nous avons vécu long-temps au milieu des forêts, ne mangeant que des racines amères ; mais enfin, nous nous sommes décidés à venir tous ensemble vous trouver, ma mère aimée, pour vous prier d’avoir pitié de nous, et de nous donner de quoi conserver notre vie.

LA DUCHESSE.

Asseyez-vous près de cette table, mes quatre créatures chéries. Oh ! mon cœur éclate de douleur quand je songe à la fureur du duc Aymon, votre père, qui n’a ni pitié, ni tendresse pour son propre sang.

La duchesse appelle alors son intendant pour qu’il fasse servir à dîner à ses fils. Les quatre frères se mettent à table, commencent à manger, quand tout à coup le son du cor et les aboiemens des chiens se font entendre. — C’est votre père, dit la duchesse en se levant épouvantée ; et c’est effectivement le duc Aymon qui revient de la chasse, qui entre et reconnaît ses enfans. On comprend d’avance toute la scène ; elle est pleine de mouvement et de passion. Le duc repousse les prières de ses fils, il leur ordonne de sortir du château. — Vous n’aurez rien de moi, je l’ai juré, répond-il à Alard qui lui demande des secours. Alors Renaud se lève, égaré par l’indignation et la colère.

RENAUD.

Adieu, et pour jamais à mon père ! Oh ! non, je ne croyais pas, vieillard, que vous fussiez un homme si dur ; mais maintenant je vous connais, vous êtes un père dénaturé. Mes frères et moi nous avions cru que nos têtes étaient à l’abri sous votre toit, nous avions cru que l’amour paternel vous ferait ouvrir vos bras à des fils, et vous les chassez avec de mortelles injures, et c’est parce que nous avons vengé la mort de votre frère Beuvet, que vous avez une soif si ardente de notre malheur ! Mais il le fallait pourtant, mon père, car nous, nous ne sommes pas des lâches ; nous voulons soutenir ceux qui sont de notre sang ; quant à vous, si vous tenez tant à faire votre paix avec l’empereur, père, envoyez-lui les quatre têtes de vos quatre fils, et vous deviendrez son favori ! — Ou, s’il faut que nous périssions de misère, eh bien ! venez, mes frères, sortons ! — Nous nous asseoirons par terre, devant la porte de cette maison, et là, les mains étendues vers les passans, nous crierons : Famine ! famine ! famine ! et nous mourrons de faim, appuyés contre la porte du château de notre père, il pourra ajouter ce haut fait à l’histoire de sa vie. — Venez, sortons, mes pauvres frères !

(Égaré et tirant son épée.)
Mais non… mon sang crie dans mes veines, il vaut mieux mourir maintenant.
(Il marche sur son père le glaive à la main.)
GUICHARD, se jetant au-devant de Renaud.

Frère, frère, au nom de Dieu, apaise ces transports de colère ; respecte notre père ; c’est notre maître, notre seigneur ; il a droit de nous dire ce qu’il veut. S’il est injuste et violent, soyons obéissans et sages. Dieu et le monde nous condamneraient si nos mains s’abaissaient sur notre père.

RENAUD.

Mon frère, je ne puis retenir ma rage quand je vois celui qui devrait nous soutenir uniquement occupé à nous nuire. Mais, aussi vrai que je suis un bon chrétien, je lui ferai payer chèrement cette injustice ! Oui, père dénaturé, si je repasse jamais le seuil de cette maison, je livrerai votre ame à la damnation, car je déchaînerai le ravage sur vos terres ; je pendrai vos vassaux le long de vos chemins, et je vous donnerai encore une fois sujet de dire au roi que vous ne nous connaissez plus pour vos fils !

(Le duc Aymon, qui a écouté sans répondre, se frappe la poitrine et pousse un long soupir.)
LE DUC.

Oh ! mon Dieu ! oh ! mon Dieu ! que vous me faites misérable ! Vous avez raison, Renaud, et moi j’ai tort. Je n’aurais point dû vous abandonner en présence du roi ; mais maintenant j’ai fait serment : je dois le tenir si je ne veux passer pour traître et parjure. Mais, pour remplir mes devoirs de chaque côté, voici ce que je veux faire. Vous, ma femme et leur mère, donnez à ces enfans toutes sortes de secours ; de l’or, de l’argent, des vœux : je les ai bannis ; mais vous, vous n’êtes pas liée par un serment. Adieu, mes fils, et puissé-je vous revoir ! Je retourne à la chasse et vous laisse à votre mère. Bonne fortune à vous, Renaud, à vous tous, mes enfans ! — Ah ! pourquoi ne faites-vous point votre paix avec le roi ?…

(Il sort.)

Pendant toute cette scène, d’une si admirable et si antique simplicité, l’attention de la foule avait été profonde. Les femmes pleuraient, et au moment où Renaud tire son épée contre le vieux duc Aymon, un petit garçon, qui était près de moi, s’était levé tout éperdu et s’était écrié : Chesus ! ho zad, Renod ! (Jésus ! votre père, Renaud !) Et ce cri naïf avait attendri tout le monde ; moi-même j’étais ému. Le troisième acte était fini. Quand les acteurs eurent disparu, je me détournai vers Jacques Riwal : — C’est bien beau cette scène ! lui dis-je. — Oh ! c’est l’autre acte qu’il faut voir, monsieur ! me répondit-il. C’est dans l’autre acte que Renaud tue le plus de seigneurs du roi. — Cet homme était implacable et monomane ; comme l’animal carnassier, il n’avait qu’un instinct.

Dans l’acte suivant, les quatre fils d’Aymon, après avoir levé des troupes et s’être joints à Mogis, qui leur amène une armée, se mettent en campagne. En passant par la Gascogne, ils secourent Yon, roi de ce pays, contre Borgon, chef sarrazin, qui, considérant que les blés étaient grands et que les coursiers trouveraient à brouter sur la terre de Gascogne, avait fait une chevauchée jusqu’à Bordeaux. Yon, sauvé par les quatre fils d’Aymon, leur prouve sa reconnaissance en donnant sa sœur Claire en mariage à Renaud, et lui permettant de bâtir le château-fort de Montauban, où il se retire avec ses trois frères. Mais bientôt on apprend que Charlemagne donne une course de chevaux, afin de trouver un coursier digne de son neveu Roland. La couronne d’or de l’empereur doit être le prix du vainqueur. Renaud part pour Paris avec Bayard. Il remporte le prix, et quand Charlemagne lui propose d’acheter son cheval, il lui répond : — « Si vous avez besoin d’un coursier pour porter votre neveu, cherchez-en un autre, Charles, car vous n’aurez pas le mien quand vous me le paieriez avec la prunelle de vos yeux. Moi aussi j’ai besoin d’un bon cheval, car je suis Renaud, et celui-ci est Bayard. J’ai gagné votre couronne ; je la ferai monnoyer pour payer les soldats avec lesquels je vous ferai la guerre, à vous et à vos barons. » — Dans la légende, Renaud dit seulement : — « Cette couronne est un gage précieux, je veux la garder, et ferai mettre l’escarboucle au plus haut de la tour de mon château pour servir de fanal aux passans. » — Quelle différence !… Combien le héros du drame breton l’emporte en énergie. Combien son insulte est plus audacieuse et plus poignante pour l’empereur !

Charlemagne, furieux, lève encore une armée et vient assiéger Montauban ; mais les quatre fils d’Aymon le défont dans une sortie, pillent le camp, enlèvent le dragon que Roland a placé sur sa tente, pour la distinguer, et en parent les girouettes du château.

Dans l’acte suivant, Charlemagne, désespérant de réduire les quatre fils d’Aymon par la force des armes, se résout à les prendre par trahison. Il menace le roi Yon de lui ôter sa couronne, s’il ne réussit à les lui livrer, et celui-ci en fait la promesse. En conséquence, le prince gascon annonce à Renaud qu’il a réussi à faire sa paix avec le roi de France, et qu’il n’a qu’à se rendre avec ses trois frères dans les plaines de Vaucouleurs, chacun d’eux n’ayant que son épée et portant des branches vertes dans la main. Là ils doivent trouver le roi et les douze pairs de France, qui les recevront à merci. Les trois frères de Renaud font quelques objections, et semblent craindre une trahison ; mais celui-ci les décide à le suivre, et ils partent tous les quatre, accompagnés de plusieurs comtes de la cour du roi Yon. Le jour est beau, la campagne verte, les oiseaux chantent dans l’air, et la chevauchée s’avance vers Vaucouleurs. Mais un fatal pressentiment semble peser sur tous ceux qui sont là ; tous marchent les fronts baissés et l’air soucieux. « Vierge Marie, dit tout bas Renaud, sauvez-nous de mort subite et de trahison. » Puis, se tournant vers ses frères : « Mais vous êtes tristes, mes frères, dit-il ; oh ! chantez, je vous en prie. »

RICHARD.

Vous le voulez, Renaud ? chantons alors, mes frères, chantons ensemble pour obéir à Renaud.

(Les trois frères chantent sur l’air mélancolique d’une complainte.)


À nous tous, joie, mes frères !
Nous allons à Vaucouleurs
Pour finir une guerre,
La guerre qui est cause que beaucoup d’hommes meurent.

Bénédiction de Dieu, du fond du cœur
Bénédiction de Dieu au roi Yon,
Car c’est lui, c’est lui seul
Qui a jeté la paix entre l’empereur et nous.

ALARD.

Ah ! chantez, Renaud, chantez pour nous, car nous ne pouvons trouver l’expression joyeuse qui réjouit l’ame, chantez, Renaud, si vous voulez que nous croyons qu’il n’y a pas de trahison.

RENAUD chante.


Oh ! que ce jour a de joie pour moi, mes frères !
Voilà le moment de la paix, il est arrivé ;
Quand la paix sera conclue avec le roi de France,
Adieu souffrances, adieu chagrin !

Malheur à vous, païens, ennemis de la foi !
À vous désormais tous nos coups, contre vous toutes nos lances,
Quand la paix sera conclue du fond du cœur
Entre le roi de France et les enfans d’Aymon.


GUICHARD.

Quelle est cette grande lande que je vois ? Mes frères, sommes-nous arrivés à Vaucouleurs ?

LE COMTE ANTON.

C’est ici qu’on vous a donné rendez-vous.

ALARD.

Regardez les immenses garennes, je suis terriblement inquiet, j’ai beau regarder, personne ne vient.

GUICHARD.

Je ne vois non plus personne, au loin ; retournons, mes frères, retournons sur nos pas, et ne nous arrêtons pas plus long-temps ici.

LES COMTES.

Chevaliers, il faut encore attendre ; tout à l’heure le roi va venir.

RENAUD aperçoit la bannière de Fouquet, et entend le son des trompettes.

Malheur à nous, mes frères ! il y a trahison, car je vois la bannière de Fouquet de Morillon, et au haut de la grande lande est Oger-le-Danois. Mes frères, nous sommes venus mourir ici !

ALARD.

Renaud, misérable Renaud, se peut-il que vous nous ayez trahis ? Nous sommes vos pauvres frères, Renaud, nés du même père et de la même mère !

GUICHARD.

Il avait tant envie de nous vendre, qu’il nous a lui-même conduits ici !

RICHARD.

Allons ! Alard et Guichard, à moi ! et nous laverons nos mains dans la poitrine du traître.

(Ils s’élancent sur Renaud qui les regarde en pleurant, sans faire un mouvement.)
Ô Dieu ! mes frères, et vous l’avez cru, et vous avez pu le croire ! que moi j’aie voulu vous trahir !… Ah ! si cela est, dites à la terre de m’engloutir sur l’heure ! Mes pauvres frères, que vous êtes insensés ! hélas ! mon sort ne sera ni plus doux ni pire que le vôtre !
(Se tournant vers les comtes.)

Écoutez, comtes d’Anjou, de Monbandel, d’Anton, vous avez été députés par le roi Yon, pour nous conduire ici avec un sauf-conduit ; on nous trahit, vous devez nous secourir !

LE COMTE ANTON.

Nous n’avons d’autre mission que de vous conduire dans ce lieu. Peu nous chaut tout le reste. Débrouillez vos cartes comme vous l’entendrez, nous nous en retournons.

RENAUD.

Ah ! scélérats, lâches et poltrons, vous étiez dans la trahison, je sais bien qu’il me faudra mourir ; mais vous mourrez auparavant. À l’œuvre ! Richard, Alard, tuons chacun le nôtre.

RICHARD.

Il ne faudra pas beaucoup me prier pour cela !

(Ils tuent les trois comtes.)

Nous étions de grands fous, mes frères, de croire que Renaud nous avait trahis ! Maintenant je vois bien qu’il est avec nous, puisqu’il nous venge des traîtres.

RENAUD.

Hélas ! mes frères, mettons-nous à genoux et demandons pardon au créateur du monde, et prions-le d’avoir pitié de notre ame, car je vois qu’il faudra mourir.

(Tous quatre se mettent à genoux, Renaud dit : )

Trinité adorable, regardez avec pitié quatre chevaliers chassés de leur patrie, et que l’on veut tuer au milieu de leurs péchés. Jésus, mon Dieu ! faites-nous encore la grâce de sauver notre vie, que nous puissions faire pénitence, et que nous soyons dignes d’entrer dans votre paradis !

(Les quatre frères se relèvent.)

Maintenant que nous avons recommandé notre ame au Tout-Puissant, prenons congé l’un de l’autre. — Mes frères, mes pauvres frères, je vous dis adieu du fond du cœur, je vous embrasse pour la dernière fois. Puissions-nous, après notre mort, nous retrouver ensemble dans le ciel !

(Ils s’embrassent.)

Et maintenant que nous sommes prêts à mourir, attendons avec courage notre ennemi. Qu’on ne dise pas que les ames des quatre fils d’Aymon étaient logées dans des peaux de lâches.

Ici la mêlée commence, les défis et les coups se cherchent, se croisent, se répondent, mais les quatre fils d’Aymon sont séparés par le choc des assaillans, et Richard, frappé d’un coup terrible par Gannelon, tombe expirant : — Un de moins, crie Gannelon, puisque Richard, le plus brave d’entre eux est mort, nous aurons bientôt les autres. — « Ne te réjouis pas tant, Gannelon, dit Richard en se relevant, ma mort t’aura coûté cher. Puisque je meurs, il faut que tu meures aussi ; sang pour sang, vie pour vie ; » et il lui plonge son épée dans le cœur, puis retombant à genoux, il se penche en souriant sur le cadavre de son ennemi, et dit : — « Te voilà soldé, traître, si je suis presque mort, toi, tu es mort tout-à-fait ! »

La chronique française ne contient rien de pareil. « Richard, dit-elle, se leva, tenant son ventre d’une main, l’épée de l’autre, et en lâcha un coup si rude sur son ennemi, qu’il le fendit comme un cochon, et se recoucha, car il perdait beaucoup de sang. »

Malgré le beau coup d’épée de ce Richard, nous préférons celui du drame breton ; ici, Richard, au lieu de se coucher, regarde son ennemi et rit de le voir mort avant lui.

Cependant Renaud, lancé dans la mêlée, n’a rien vu de ce qui s’est passé ; mais tout à coup, n’apercevant plus son jeune frère, il s’arrête et s’écrie : — Où est Richard, mes frères, où est Richard ? Si nous l’avons perdu, malheur à nous ! c’était le plus vaillant de nous tous ; s’il est pris, il faut que nous mourions.

GUICHARD.

Hélas ! je le vois là-bas, étendu sur la terre ; je crains qu’il n’ait succombé ; il est baigné dans son sang.

RENAUD, courant à Richard.

Fortune horrible ! Oh ! quel malheur ! — Mon frère ! mon frère, oh ! ils vous ont blessé mortellement.

RICHARD, retenant avec ses deux mains ses entrailles.

Vous le voyez, Renaud, je ne pourrais vivre quand même mon ame serait de fer. Mes entrailles sont dans mes mains. Mais celui qui m’a mis dans cet état a reçu sa récompense. C’est le superbe Gannelon qui m’a frappé à mort ; (souriant) regarde, frère, il est là sous mes talons.

RENAUD.
Ah ! noble chevalier, le délire me vient en vous voyant ainsi égorgé. Ô mon frère, mon bien-aimé frère ! si je pouvais souffrir à ta place, que je le ferais avec joie ! Abandonne-toi, mon frère, à mes bras, que je te porte sur ce rocher ; l’air te ranimera, et nous attendrons là qu’une mort cruelle ait séparé les quatre fils d’Aymon.
(Les quatre fils d’Aymon sur le rocher)
ALARD.

Les voilà qui reviennent à l’assaut. Hélas ! Renaud, je crains bien qu’il ne faille nous rendre. J’ai une blessure cruelle, et Richard va mourir. Vous n’êtes plus que deux capables de résister, moi je sens mes jambes qui fléchissent.

RENAUD.

Ai-je bien entendu, mon jeune frère Alard ! Veux-tu qu’on te croie un bâtard ? car tu n’es pas mon frère légitime, si tu as peur, Alard !

RICHARD, se soulevant sur ses genoux.

N’est-ce pas de nous rendre que parle Alard ! Oui, si vous voulez être pendus demain ! Renaud, mon frère, prenez dans ma poche ce mouchoir, faites-m’en une ceinture, que mes entrailles ne pendent pas ainsi, et j’irai encore au combat jusqu’à la fin. Pendant qu’il y aura un reste de vie dans ces membres, ils ne vous manqueront pas.

RENAUD.

Oh ! bénie soit l’heure où vous êtes né, Richard ! — Entends-tu, Alard ? Celui-ci est fort encore.

ALARD.

Le combat donc, le combat ! moi aussi je le veux.

Le combat recommence en effet, et les quatre fils d’Aymon vont succomber lorsqu’ils sont secourus par Mogis, qui arrive avec une armée. Ils retournent en Montauban, et le roi Yon, craignant leur colère, se sauve déguisé en moine. Mais il est pris par les troupes de Charlemagne, qui veulent le punir de ce qu’il n’a point réussi à livrer les quatre frères, comme il l’avait promis. Renaud, en apprenant cette nouvelle, oublie, avec une générosité toute chevaleresque, les sujets de plainte qu’il a contre son beau-frère ; il marche contre les troupes du roi et délivre Yon. Son frère Richard est pris dans la mêlée.

Quand le sixième acte commence, Richard va être pendu à Montfaucon par Ripus, le seul des seigneurs qui ait voulu accepter une pareille mission ; mais Renaud accourt avec une troupe nombreuse, et pend Ripus à sa place. Richard prend alors les vêtemens de Ripus, et se présente à Charlemagne. — Approchez, Ripus, s’écrie l’empereur, en l’apercevant ; vous avez fait une chose qui me plaît, et comme je suis roi de France, je vous en récompenserai. Approchez, que je vous embrasse.

RICHARD.

N’approchez pas trop, car je ne veux point agir en traître, (Il arrache son casque.) Je suis Richard, votre plus mortel ennemi. Ripus est resté à Montfaucon à ma place, et je suis venu ici exprès pour vous le dire.

Charlemagne s’écrie et appelle ses chevaliers ; à l’instant Richard sonne du cor. Renaud paraît avec Mogis, ils livrent un grand combat, et les quatre fils d’Aymon se retirent, après avoir tué grand nombre de soldats du roi. Mais Mogis, qui est resté en arrière, est fait prisonnier. L’empereur veut le tuer sur-le-champ, et il ne consent qu’avec peine à retarder son supplice jusqu’au lendemain ; encore exige-t-il de lui la promesse qu’il ne cherchera pas à s’échapper. — Je ne partirai pas sans vous dire adieu, répond Mogis. — Le roi le fait enchaîner aux pieds de son lit, puis il se couche. Dès qu’il a fermé les yeux, Mogis jette sur lui un enchantement, ainsi que sur la cour. Tous s’endorment d’un profond sommeil. Alors Mogis appelle l’enfer à son secours, ses chaînes tombent à ses pieds, et il se lève en se secouant et en étendant les bras.

MOGIS.

Oh ! oh ! me voilà gaillard ! Il faut que je joue un tour à Charles et à ses pairs. Quant à emporter, autant vaut-il que ce soit beaucoup que peu. Je n’en serai pas moins, dans tous les cas, un voleur. Puisque j’y suis, j’y suis. Roi, princes et barons, aucun n’y échappera.

(Il prend la couronne, le sceptre du roi, et les épées des douze pairs de France.)

Maintenant me voilà bien fourni en épées. Allons, courage, Mogis ; tu allais être pendu… et je te couronne !

(Il pose la couronne de Charlemagne sur sa tête.)
(Il approche ensuite du roi et le heurte du pied.)

Je m’en vais, Charlot, roi de France ; mais n’allez pas prétexter cause d’ignorance, et dire que je n’ai pas pris congé de vous. Votre serviteur, bonjour, Charlottic, et dormez à votre aise. Je crois que tantôt, quand vous vous réveillerez, vous serez un peu étonné.

Cependant Charlemagne se réveille, et, désespéré, il envoie des messagers à Renaud, lui proposant la paix, s’il veut livrer Mogis et lui rendre sa couronne. Renaud se refuse à sa première demande, et lui accorde la seconde ; il se présente ensuite au camp de l’empereur pour tâcher de l’apaiser, et propose enfin de combattre contre tel adversaire qu’on voudra lui opposer. Roland accepte le défi. Les deux chevaliers joutent long-temps avec des chances égales, mais un orage et une nuit subite les séparent. Alors Mogis, au moyen de son art magique, pénètre la nuit dans la tente du roi, l’enlève tout endormi et le transporte à Montauban. Les frères de Renaud veulent tuer l’empereur, mais Renaud se jette à ses pieds.

RENAUD.

Empereur, encore une fois, je vous en supplie, recevez-moi en grâce, ainsi que mes frères, et je vous promets pour jamais foi et obéissance.

CHARLEMAGNE.

Renaud, vous vous êtes étrangement trompé, si vous avez cru que je serais plus facile à vos prières, parce que je suis en votre pouvoir. Jamais vous n’aurez de paix de moi.

— Eh bien ! Charlemagne, puisque tu ne veux pas de paix avec nous, tu es libre, dit Renaud, et il baisse le pont-levis de Montauban pour faire sortir le roi sain et sauf. Celui-ci continue le siége et affame le château. Bientôt les quatre fils d’Aymon sont réduits à la dernière extrémité. Leur père, qui est dans l’armée des assiégeans, les prend en pitié, et il se sert des machines de guerre pour leur lancer des vivres, au lieu de pierres et de traits. — Charlemagne le découvre, et en fait d’amers reproches au duc Aymon ; la réponse de celui-ci est admirable. — « Empereur Charlemagne, je ne m’excuserai pas : il est naturel à l’eau de mouiller, à l’air de refroidir, au feu de réchauffer ; il est aussi naturel au père d’aimer ses enfans. Le cri du sang ne peut se taire, ô roi ! Je vous le déclare donc devant ces princes, quand vous sépareriez ma peau de mes chairs vivantes, jamais désormais je ne ferai aucun tort à mes fils. — Allez, duc Aymon, répond Charlemagne, allez retrouver votre femme, et dites-lui que vous n’avez plus d’héritiers, car d’ici à peu de jours, vos quatre fils auront vécu. »


Cependant ceux-ci font mentir la prédiction de Charlemagne, car ils se sauvent, sur Bayard, du château de Montauban, et se réfugient à Dordonne, dans la maison de leur père. Là, ils sont de nouveau assiégés par l’empereur, qui finit par être abandonné de tous ses seigneurs, et forcé à recevoir les quatre fils d’Aymon à merci. Renaud s’engage à faire un pélerinage en Palestine pour expier ses fautes envers le roi, et il part vêtu en pélerin.

Là finissait la tragédie bretonne ; elle n’avait pas suivi la légende plus loin.

Après de longs applaudissemens, la foule se retira. Je voulus attendre qu’on pût sortir à l’aise, et je restai assis et pensif.

La nuit commençait à tomber. Le soleil, qui descendait à l’horizon, ne laissait plus voir que les derniers plis de sa pourpre nuageuse, et la lune montrait son pâle croissant perdu dans l’océan du ciel, comme une nacelle enflammée. Le champ qui avait servi de théâtre était vide. J’entrevoyais, seulement au loin, les blanches silhouettes de quelques jeunes paysannes qui se perdaient dans l’ombre ; j’entendais encore leurs rires frais et moqueurs qui m’arrivaient par raffales. Cela dura quelques minutes, puis tout se tut.

Alors je demeurai perdu dans l’immense solitude qui m’entourait tout à coup. Je contemplais, avec une indicible rêverie, les toits aigus des manoirs qui pointaient dans la campagne ; j’écoutais le son des conques des bergers, les tintemens des cloches des paroisses, un vieux air murmuré sur la montagne, et au milieu de toute cette nature confuse, ineffable, il me sembla que je me réveillais d’un songe. Je crus m’être endormi sur quelque livre de chevalerie, et avoir rêvé une histoire de la Table ronde : je cherchai autour de moi mes paladins, mes enchanteurs, mes prêtres et mes empereurs, tout ce vieux monde de croyances et de romanesques entreprises, de naïves amours et de surhumaines énergies !… Mes yeux, en se baissant, tombèrent sur le farouche Jacques Riwal, qui, penché sur son bâton, me regardait. — Cette vue me réveilla et m’émut, comme si la réalité s’était personnifiée devant moi et m’avait touché du doigt. En sortant du moyen âge, et encore debout sur le seuil du passé, je me trouvais face à face avec le présent : — la république en sabot et en habit de toile, appuyée sur son rude pen-bas, et attendant !


Émile Souvestre.
  1. Poésies populaires de la Basse-Bretagne, 1er article ; voir notre livraison du 1er décembre 1834.
  2. C’est à tort que Grégoire de Rosternen, dans son Dictionnaire breton, donne pour traduction du mot violon les mots rebed et vyolons indifféremment. Le dernier de ces mots, qui est le seul en usage, a évidemment remplacé l’autre, qui est beaucoup plus ancien, et qui désignait un instrument analogue au violon, mais cependant différent.
  3. La Mort.