Des religions pratiquées actuellement dans l’Inde/Zoroastrisme

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ZOROASTRISME



Un point sur lequel diffèrent continuellement la science occulte et la science orientale qui progresse en Occident depuis ces dernières années — c’est la question de l’âge des grandes religions. Lorsque nous arrivons au Bouddhisme et au Christianisme, la question ne porte que sur une différence d’un siècle ou deux. Mais, en ce qui concerne tant l’Hindouisme que le Zoroastrisme, il y a un conflit absolu entre l’occultisme et l’orientalisme — débat qui ne semble pas près de finir, car les occultistes, très certainement, ne changeront pas de point de vue, et les orientalistes, d’autre part, ne seront que reportés en arrière d’étape en étape, à mesure que seront mises au jour d’anciennes cités et que des monuments antiques seront découverts. Et cela se fait très lentement. L’Hindouisme et le Zoroastrisme reculent dans le lointain que l’histoire appelle « la nuit des temps », — l’Hindouisme étant la plus ancienne et le Zoroastrisme, la seconde des religions apparues au cours de révolution de la race aryenne.

Je vous propose de jeter un coup d’œil sur les changements d’opinion des Orientalistes afin que vous voyiez comment ils sont graduellement reportés en arrière, bien qu’ils disputent, nous pouvons le dire, chaque pouce de terrain, siècle par siècle, à mesure que l’évidence croissante indique une antiquité de plus en plus reculée. Je me reporterai ensuite à la preuve occulte, et nous verrons à quelle époque celle-ci place la religion du prophète iranien.

Nous constatons, en feuilletant leurs œuvres, que quelques écrivains font vivre ce prophète appelé parfois Zoroastre et plus récemment Zarathûshtra — (je demande pardon à mes frères Parsis, car il se peut que je commette les plus grosses fautes de prononciation, ignorant complètement la langue de l’Avesta) — dès 610 avant Jésus-Christ. — il serait alors presque contemporain de Bouddha et de Platon, opinion qui s’appuie sur l’autorité de Mahomet, mais qui, (si jamais elle a été sérieusement soutenue par les orientalistes européens) est, du moins, complètement abandonnée aujourd’hui. Le docteur L.-H. Mills, — considéré comme une des grandes autorités de l’Europe, à qui l’on doit la traduction classique des Gâthâs et qui a publié en même temps les diverses autres traductions qui font autorité, — lorsqu’il traite cette question de l’ancienneté, s’appuie sur la preuve tirée de la langue, point sur lequel j’aurai quelques mots à dire plus tard. Il prétend que les Gâthâs sont écrites dans une langue qui est évidemment parente du sanscrit védique, les Gâthâs étant « bien postérieures aux plus anciens Ricks[1] ». Mais l’auteur assigne au Rig Veda, la date ridiculement récente de 4000 ans avant Jésus-Christ et, se basant là-dessus, il place les Gâthâs en l’an 1000, croit même possible de les faire remonter jusqu’à 1500 avant Jésus-Christ. De sorte que notre premier pas en arrière nous conduit de 610 à 1000 et même à 1500 avant Jésus-Christ. Mais le docteur Mills déclare que les Gâthâs sont peut-être beaucoup plus anciennes — et, de fait, elles le sont. Dans son dernier ouvrage, écrit en 1890, il dit : « J’ai cessé de repousser l’opinion d’après laquelle cette dernière limite (1500 avant Jésus-Christ) pourrait être reculée. Si les Gâthâs sont antérieures au culte de Mithra… on ne peut pas dire à quelle époque elles peuvent remonter. La conclusion de la critique est qu’il faut s’abstenir des hypothèses qui fixeraient trop exactement l’âge de ces œuvres[2]. »

Nous arrivons alors à l’opinion soutenue par le savant allemand, le docteur Haug, qui réclame une ancienneté plus grande, s’appuyant sur la destruction de la bibliothèque de Persépolis par Alexandre, en 329 avant Jésus-Christ. Il invoque cet argument que le fait d’avoir pu constituer une aussi vaste bibliothèque, réunir une aussi énorme littérature, obligea admettre une plus haute antiquité, ne fût-ce que pour donner le temps nécessaire à la rédaction et au rassemblement des livres. La rédaction fut terminée, à ce qu’il estime, vers 400 avant Jésus-Christ. Il n’est pas possible, dit le critique allemand, de fixer l’époque de Zoroastre à une date plus rapprochée que la limite extrême de 1000 avant Jésus-Christ — et l’auteur, quant à lui, considère la date de 2800 comme probablement plus exacte, quoique son héros puisse avoir vécu dans un temps beaucoup plus reculé[3]. Le docteur Haug remarque en outre : « Aucune considération ne peut nous faire assigner à Zoroastre une date postérieure à l’an 1000 et l’on peut même trouver des raisons de fixer à une date bien plus reculée l’époque à laquelle il a vécu, d’en faire un contemporain de Moïse. Pline, qui compare l’un à l’autre Moïse et Zoroastre, et les appelle des inventeurs de deux sortes différentes de rites magiques, va bien plus loin encore et déclare que Zoroastre vivait plusieurs milliers d’années avant Moïse[4]. »

Nous reculons ainsi graduellement de 610 à 1500 avant Jésus-Christ ; entre 1500 et 2800, peut-être à une époque beaucoup plus reculée, doit se placer la première proclamation, par le Prophète, des célèbres vérités. Le témoignage des Grecs qui est certainement appréciable — et il a une grande valeur, étant beaucoup plus ancien que l’opinion de nos orientalistes — reporte, sur ce point encore, la date proposée bien plus en arrière. Aristote et Eudoxe, placent l’époque à laquelle vivait le prophète vers 6000 ans avant le temps de Platon, d’autres disent 5000 ans avant la guerre de Troye, (Voir Pline, Historia Naturalis, xxx, 1-3), et l’on peut dire d’une manière générale que c’est l’opinion partagée par les historiens grecs[5]. Les découvertes que font chaque jour les archéologues européens sont d’un grand secours pour le débat soulevé, lequel tend de plus en plus à reculer les commencements de la religion ; car en tant que nous avons à rattacher cette tradition zoroastrienne à la tradition chaldéenne, à celles de Ninive et de Babylone, les recherches récentes faites dans ces contrées jettent quelque lumière sur la question. Vous pouvez vous rappeler qu’il y a un mois ou deux, à peine, dans le Lucifer, commentant un article de H. P. Blavatsky, j’ai mentionné quelques-unes des découvertes les plus récentes qu’on est en train de faire dans le pays sur lequel cette religion régna jadis sans conteste. Elles nous livrent l’histoire du pays, consignée en caractères cunéiformes, remontant jusqu’à 7000 ans au moins avant le Christ et, probablement, selon l’auteur de ces découvertes, jusqu’à l’an 8000. Cette écriture cunéiforme est maintenant en cours de traduction et lorsque les inscriptions traduites seront publiées, il est possible que l’évidence se fasse et qu’une donnée, acceptée par la science européenne elle-même, vienne utilement confirmer l’ancienneté de la religion de Zoroastre.

L’occultisme, en tous cas, rejette les débuts de la prédication du prophète, bien loin, au-delà de toutes ces dates. Les occultistes ont deux sortes de documents sur lesquels ils s’appuient. Tout d’abord la Grande Confrérie a conservé les anciens textes, les textes eux-mêmes, soustraits dès l’époque où ils furent rédigés ; ces textes sont gardés dans des temples souterrains, dans des bibliothèques souterraines, où aucun ennemi ne peut les découvrir et où ils ne peuvent subir aucun dommage. Là, se trouve recueilli sous la forme écrite, millénaire après millénaire, le savoir humain et il y a, de nos jours, des gens, hommes et femmes, à qui il a été permis de jeter les yeux sur un grand nombre de ces anciens documents, — de ceux dont on n’a plus même connaissance dans le monde de l’histoire profane, documents rédigés dans l’ancienne langue sacerdotale et différents de tout ce que les plus vieilles races connaissent aujourd’hui. Mais ce n’est pas là le seul témoignage que les occultistes invoquent ; ils s’appuient encore sur ces impérissables documents écrits, comme on dit parfois, dans l’Akâsha même, voulant dire par là qu’il existe un médium subtil, lequel (pour employer une analogie physique) enregistre, comme une plaque sensible, tous les événements qui se produisent, même dans leurs plus petits détails — la photographie, en quelque sorte, de l’évolution de l’homme, exacte jusqu’au moindre incident, à laquelle on peut se reporter en toute circonstance, et que peuvent consulter à tout instant ceux, du moins, qui s’entraînent à l’étude, et ont la volonté de se soumettre à la discipline nécessaire à ce genre de recherches. Ainsi les preuves peuvent être vérifiées successivement par chaque investigateur ; nous possédons les témoignages d’experts qui, l’un après l’autre, étudient ces anciens documents et qui n’y voient pas simplement les caractères d’une écriture, mais y retrouvent les événements du passé, défilant avec une vivante fidélité, tels qu’ils se sont produits, animés d’une seconde vie. Les événements historiques des temps les plus anciens revivent ainsi dans le passé.

D’après ces témoignages, la religion appelée de nos jours Zoroastrisme, la religion des Parsîs, est, ainsi que je l’ai dit, la seconde de celles qui sont issues du tronc aryen. Les Iraniens provenant du même berceau d’origine que la première famille, mais s’étant répandus vers l’Ouest, sur cette vaste étendue de territoire qui comprend, non seulement la Perse actuelle, mais l’ancien royaume de Perse, — furent dirigés de ce côté dans leur première migration, par leur grand prophète Zoroastre, qui joua le même rôle vis-à-vis d’eux que Manou vis-à-vis de la totalité de la race aryenne originelle. Il appartenait à la même puissante Confrérie et était un des hauts Initiés de la même Grande Loge, ayant reçu l’enseignement des mêmes Maîtres, les Fils du Feu. Beaucoup d’entre vous ont dû lire, dans les vieilles annales tirées du Livre de Dzyân, reproduites dans la Doctrine secrète[6], que les Fils du Feu ont été les Instructeurs de tous les grands Initiés, appelés à leur tour les seigneurs de la flamme. Zoroastre se présenta dès que fut formée cette branche iranienne, comme un maître qui voulait lui enseigner les anciennes vérités sous une forme appropriée à la civilisation qui devait s’élever au sein de cette race, appropriée au type de mentalité qui devait se développer parmi cette nation, en un mot sous une forme qui permît d’éduquer, de faire progresser, de développer ce peuple, tout comme d’autres croyances étaient proposées à d’autres peuples dans le même but et reposant sur des principes similaires.

À ce Maître dont l’action fut puissante, — et dont la vie se place à une époque si reculée que tout orientaliste rirait dédaigneusement de la date adoptée par nous, — à ce Maître, succéda une lignée de prophètes qui dirigèrent le premier développement de la nation iranienne. Et, ici, laissez-moi vous rappeler que lorsque nous parlons comme à l’instant d’une lignée de prophètes, il ne s’ensuit pas que chacun d’eux soit un individu séparé, car la même âme se réincarne souvent, de périodes en périodes, pour remplir les mêmes fonctions — ainsi que vous le savez, du reste, par vos propres livres sacrés. Des hommes tels que Veda Vyâsa, par exemple, n’ont pas eu une naissance seulement sur la terre, mais plusieurs, car ces hommes vivent toujours en contact avec la terre, ils président toujours à l’évolution spirituelle de l’humanité, et ils apparaissent de temps à autre, d’âge en âge, manifestant dans un corps de l’époque à laquelle ils surgissent, le même grand Maître, la même âme libérée, le même puissant Instructeur, — reprenant toujours le même nom, comme pour suggérer l’idée de leur identité spirituelle aux oreilles des hommes qui ne savent pas entendre. Si nous suivons cette lignée de prophètes, — ou ce seul prophète, — nous découvrons le moment où la tradition grecque entre en jeu et nous nous apercevons que le Zoroastre dont parle Aristote, quatre-vingt-seize siècles avant ce que nous appelons l’époque du Christ (ce qu’Aristote calculait, naturellement, par rapport à Platon et non au Christ) — était le septième de ce nom, à partir du premier Zoroastre, et non ce premier Zoroastre lui-même, comme les Grecs le supposaient et comme j’imagine que trop souvent bien des Parsîs modernes sont enclins à le croire. Le Zoroastre d’Aristote était donc le septième dans la lignée de ces Maîtres qui vinrent ranimer et renforcer la doctrine alors qu’elle tombait et qu’elle menaçait d’être renversée. Plus tard encore il y eut un autre Zoroastre (environ 4000 ans av. J.-C.), qui ranima une seconde fois l’ancienne doctrine, répéta une fois encore les vérités essentielles, les émettant une fois de plus au nom de l’autorité divine avec l’aide de ce feu sacré, symbole de la Divinité, qui est, en réalité, la voix même de cette Divinité. En étudiant cette succession de prophètes, nous voyons que c’est de cette ancienne religion qu’est venue ce qu’on appelle la « grande science », la « Magie » chaldéenne. Nous nous rendons compte que les mages de l’antiquité étaient les prêtres de cette ancienne religion en même temps qu’ils renseignaient à des disciples, et, — s’il m’est permis d’étonner un instant les esprits modernes, — j’ajouterai que lorsqu’il y a plus de 20.000 ans, le sage Chaldéen, debout sur le toit de son observatoire, marquait et enregistrait le passage des étoiles, cet homme était un des descendants relativement modernes de la longue lignée des Mages, un des représentants relativement modernes de l’antique science inhérente à la doctrine zoroastrienne.

Retournons donc en arrière et examinons cette doctrine sous la forme primitive, bien que nous n’en ayons que des comptes rendus récents en ce qui regarde l’érudition ; nous trouverons que, même à travers ces analyses récentes, les vérités anciennes sont reconnaissables bien que cachées ; et quoique un grand nombre de ces vérités, défigurées par leur vêtement moderne, et tombées dans le domaine matériel, aient été dégradées, l’occultiste cependant peut encore les reconnaître. Il peut encore les désigner à ceux qui restent attachés à l’ancienne religion et il peut prier les Parsîs modernes, au nom de leur ancien prophète, au nom de l’Initié divin qui a fondé leur religion, de s’élever au-dessus du matérialisme contemporain, au-dessus des limites trop mesquines de l’Orientalisme moderne ; et il peut revendiquer leur légitime dignité, celle qui leur revient comme adeptes d’une des plus anciennes religions du monde. Puissent ces Parsîs se rattacher à l’immémoriale tradition occulte et ne pas se dégrader en acceptant les théories passagères que leur suggère l’érudition européenne !

Rappelons-nous — et le langage va nous en fournir tout à l’heure la preuve, — que ces anciens Iraniens étaient des Aryens, et non des sémites. C’est un des points qui a été contesté et je vais vous montrer dans un instant comment l’étude du langage vient trancher le débat au profit de l’occultisme. Nous admettons, naturellement, qu’il s’est fait, beaucoup plus tard, une infiltration d’éléments sémites. Mais les Iraniens étaient issus du tronc aryen et leur race est bien la sœur de celle des Aryens établis au sud de l’Himâlaya.

Le premier Zoroastre, enseignant à son tour les principes essentiels qui sont le fondement de toute religion et qui, dans chacune, peuvent être étouffés sous des additions postérieures, — mêla la philosophie à la religion d’une manière remarquable. Venu pour fonder une civilisation dont les caractères particuliers s’annonçaient déjà, dont le type devait être essentiellement agricole, qui était imprégnée d’outre en outre de l’idée de la vie pratique et destinée à instruire les hommes pratiquement, à les élever dans une croyance noble et une morale sublime, — Zoroastre ne leur donna pas une philosophie métaphysique, puis une religion exotérique en se contentant de les rattacher l’une à l’autre ; mais il les fondit si intimement qu’il est presque impossible de rendre compte de chacune d’elles séparément. On se fera une meilleure idée du tout en suivant la méthode du Maître, en étudiant la philosophie et la religion comme constituant un seul système. Prévoyant la civilisation spéciale qui allait se développer, Zoroastre donna à son peuple une immense science astronomique mélangée à la philosophie et à l’enseignement religieux ; et ces connaissances astronomiques, si nécessaires à un peuple adonné à l’agriculture, furent présentées sous leur forme occulte, non pas sous leur triste aspect moderne qui nous les rapetisse. Pour le prophète, les étoiles n’étaient pas de simples masses de matière, accomplissant leur révolution autour de soleils morts et inconscients, en vertu de lois aveugles et inconscientes. Pour lui, les planètes qui entourent le soleil et les étoiles de première grandeur au plus haut des cieux, n’étaient que les corps d’intelligences spiritualisées, guidées par la seule loi de leur volonté et qui, par leur savoir, assuraient la stabilité de l’Univers. Zoroastre enseigna l’astronomie, non pas comme si elle s’occupait de matière inerte et d’énergie inanimée, — mais comme la science d’Intelligences vivantes se mouvant dans un ordre invariable, guidées par une sagesse parfaite et une volonté infaillible. Il enseignait l’astronomie en faisant d’elle la vivante science occulte de la sagesse spirituelle, exprimée dans l’Univers matériel sous sa forme la plus grossière. En dehors de l’enseignement de la philosophie religieuse et de la science, une éthique se développa, qui, jusqu’à nos jours, fait la gloire de la religion zoroastrienne. Une pureté pratique absolue constitue la note fondamentale de cette morale : pureté dans chacun des actes de la vie personnelle, pureté dans tous les rapports avec la nature extérieure, dont les éléments sont honorés comme autant de manifestations de la pureté divine et défendus, pour ainsi dire, contre toute atteinte à leur intégrité immaculée, comme si agir ainsi était rendre hommage à la Vie dont tout procède. Nous verrons à mesure que nous avancerons, que ce sont là les points saillants de la doctrine, mais avant de les relever un à un, je voudrais examiner la question de la langue, car nous devons la connaître jusqu’à un certain point si nous désirons suivre les destinées de la doctrine à travers les différents livres que nous avons aujourd’hui entre les mains.

J’ai dit que la langue, sous sa plus ancienne forme, celle de l’Avesta justifiait la thèse occulte de la haute ancienneté de la religion zoroastrienne ; car, d’après l’affirmation des orientalistes européens, — et je suis toute prête à l’accepter lorsqu’elle confirme la théorie occulte, — cette langue de l’Avesta, même si on l’examine sous sa forme la plus récente, est un dialecte aryen apparenté au sanscrit des Védas. Je n’ai pas le temps, — et ce serait m’écarter un peu du sujet, — de parler des modifications qu’a subies, en ce pays, le sanscrit dans son développement ; retenez seulement le fait : ces modifications sont déjà sensibles quand on passe du sanscrit des Védas au sanscrit classique d’une époque ultérieure ; mais l’Avesta se rapproche du sanscrit primitif, védique[7], et ce sanscrit, ainsi que le déclare notre docteur allemand, est un frère aîné de la langue de l’Avesta[8]. Non seulement cette similarité ressort claire et distincte des mots employés, mais elle va bien au delà des mots eux-mêmes. Les anciennes Gâthâs, ou hymnes, sont écrites en mètres qui se rapprochent extrêmement des mètres du Sama Veda. Leur rythme, le nombre de leurs pieds, la manière dont ils étaient évidemment chantés rappellent tout à fait le rythme, le nombre de pieds, la manière de chanter en usage parmi les Hindous. De sorte que si nous considérons les Gâthâs, nous y trouvons les caractères d’une haute antiquité et, tandis qu’en dépit des orientalistes, nous nous obstinons à faire reculer dans le passé l’ancienneté des Vedas et celle de l’Hindouisme, — nous admettons avec eux une haute antiquité à la religion Zoroastrienne ; nous rattachons d’ailleurs, dans notre plaidoyer, les deux thèses l’une à l’autre ainsi que les deux groupes de faits étaient liés, à leurs débuts, dans le passé lointain des deux peuples. C’est ainsi encore, s’il m’est permis de m’appuyer un instant sur les annales occultes, que les chants sont les mêmes. Ces merveilleux chants du monde antique, qui se répercutent dans l’invisible, ces chants qui exercent leur empire sur les intelligences inférieures et s’élèvent jusqu’aux supérieures par le langage de la couleur et de la musique, — ces Gâthâs étaient chantées dans le même svara archaïque, et bien qu’elles soient perdues pour les prêtres du Zoroastrisme moderne, leur écho peut être retrouvé dans les chants akashiques. Si nous passons maintenant, — car notre examen doit forcément être précipité, — de la langue de l’Avesta à ce terme si débattu de « Zend » dont quelques-uns font une langue, tandis qu’il n’est pour d’autres qu’un commentaire, — dans quelle mesure l’érudition européenne vient-elle éclairer la question ? Quelques érudits déclarent, — et là-dessus je crains que les Parsîs modernes ne soient tentés d’être du même avis, — que le Zend n’est rien d’autre qu’une traduction et un commentaire en Pahlavi moderne, des textes anciens.

Ce terme est constamment employé pour désigner simplement cette traduction, faite, à n’en pas douter, sous la dynastie sassanide, à une époque relativement récente. Mais je suis bien aise de voir qu’un groupe d’érudits européens rejettent cette opinion et déclare que le Zend est le commentaire original, écrit dans la langue de l’Avesta ; qu’il doit, par conséquent, être reporté à une époque reculée, à l’époque où la langue se rapprochait du sanscrit des Védas. Le docteur Haug déclare que : « L’emploi des termes Avesta et Zend, par les traducteurs Pahlavis, nous autorise complètement à conclure que le Zend dont ils parlent était le commentaire de l’Avesta, déjà existant avant qu’ils n’eussent commencé leur traduction ; et puisqu’ils le tenaient pour sacré, ce Zend était probablement rédigé dans la même langue que l’Avesta original. Primitivement, ce mot (Zend) désignait les commentaires ajoutés par les successeurs de Zarathushtra aux écrits sacrés du prophète et de ses disciples immédiats. Ces commentaires ont dû être rédigés en une langue presque identique à celle du texte original ; par suite lorsque, peu à peu, cette langue devint inintelligible (ne fut plus comprise que des prêtres), les commentaires furent regardés comme faisant partie du texte et le besoin d’une nouvelle explication, ou Zend, se fit sentir. Ce nouveau Zend fut donné par les prêtres les plus instruits de l’époque sassanide, sous forme d’une traduction en Pahlavi, idiome national des Perses de ce temps-là, et plus tard le terme Zend a été réservé à cette traduction[9] ». La thèse contestée qui fait du Zend un commentaire, se trouve en grande partie justifiée si nous consultons, une fois encore, les témoignages occultes au lieu de l’érudition moderne. Nous trouvons, en effet, — et sur ce point nous pouvons accepter l’affirmation de H. P. Blavatsky, qui n’a parlé en écrivant que de ce qu’elle savait de science certaine, l’ayant appris de son Maître, de son Gourou, — que ce commentaire, le Zend originel des Iraniens, était écrit dans une langue dérivée de cette ancienne langue sacerdotale, à laquelle j’ai fait allusion au début de cette conférence. Car il existe, connue de tous les occultistes, une langue qui ne consiste pas en lettres au sens où l’on entend celles-ci dans nos langues modernes, un langage fait de signes, de symboles, de couleurs, de sons, qui s’exprime en musique comme les apparences se traduisent en couleurs, et qui a ses formes propres, que tout initié sait reconnaître et traduire dans une des langues inférieures du monde intellectuel. On l’a quelquefois appelé le Zenzar, quelquefois aussi on le désigne du nom de Deva-Bhâshya.

H. P. Blavatsky dit en parlant du Zend : « Ce mot signifie, comme en un sens on l’a soutenu avec raison, commentaire ou explication ; mais il signifie aussi, ce dont les orientalistes ne semblent pas se douter, le mode de rendre les maximes ésotériques, le voile employé pour cacher le sens exact des textes du Zen-d-Zar, la langue sacerdotale en usage parmi les Initiés de l’Inde archaïque. Découverte actuellement dans diverses inscriptions qui sont indéchiffrables, elle est encore usitée et étudiée de nos jours dans les communautés secrètes des adeptes orientaux et appelée par eux — suivant les localités : Zendzar et Brahma ou Deva-Bhâshya… Le texte Zend est simplement un code secret de certains mots et de certaines expressions sur lesquels les premiers compilateurs se sont mis d’accord et dont on ne peut trouver la clef qu’auprès des Initiés[10]. » Cette langue a reçu de nombreux noms ; les noms importent peu, car ils varient avec chaque langue, mais la chose essentielle est qu’un tel langage existe, qu’on le connaisse aujourd’hui comme on le connaissait il y a un million d’années, que des gens l’apprennent de nos jours comme ils l’apprenaient alors, que l’instruction occulte soit donnée en cette langue et non au moyen de sons grossiers articulés matériellement par l’intermédiaire de la langue, —- et surtout que les vérités exprimées en ce langage soient traduites dans les langues intellectuelles les plus anciennes qui en soient dérivées. Le sanscrit védique est le plus ancien écho intellectuel de cette langue archaïque et le Zend des Iraniens a la même racine, dérive de la même source. Plus tard, quand nous arrivons aux traductions en Pahlavi, nous nous apercevons que nous sommes là dans ce qu’on appelle d’ordinaire les temps historiques. Le terme de « Pahlavi » ne désigne plus aujourd’hui que « la langue écrite des Persans sous la dynastie sassanide, ainsi que la littérature de cette même période et de celle qui la suit immédiatement[11] », mais autrefois ce terme était employé d’une façon générale pour désigner l’ancien persan Nous avons là des mois sémitiques, des traces d’influence sémite et l’on a soutenu qu’elles remontaient à près de 600 ans avant l’ère chrétienne[12]. Cela importe peu, car six cents ans avant notre ère constituent une époque récente pour un occultiste. Celui-ci compte par milliers d’années et non par siècles, et ces signes d’influence sémite à une date récente sont sans importance pour son jugement, quant à l’origine de l’antique religion.

Il nous faut passer de cette question du langage, — qui mériterait d’être traitée plus longuement et nous conduirait à bien d’autres sujets intéressants, — à un autre point important, très débattu et trop souvent négligé. La tradition chaldéenne, telle qu’elle a subsisté à travers la Grèce, est d’un intérêt vital, quoiqu’elle soit aujourd’hui laissée de côté par le Zoroastrisme moderne. Cette tradition chaldéenne, qui nous est parvenue par la Grèce, paraît s’être formée, — si l’on envisage les choses dans l’ensemble, — de la manière suivante. Il est admis qu’au temps d’Alexandre, Persépolis possédait une vaste bibliothèque, mais, vous le savez, le héros y mit le feu, soit par vengeance, soit dans un moment d’ivresse. C’est pourquoi il est toujours appelé le « maudit Alexandre » dans tous les textes ultérieurs relatifs à la religion de Zoroastre. Maintenant, il est prouvé qu’à l’époque de cet incendie, il existait une double collection complète de tous les écrits composant la littérature zoroastrienne. L’une de ces collections se trouvait dans la bibliothèque et fut brûlée par le « maudit Alexandre ».

L’autre collection tomba en la possession des conquérants grecs et fut, par eux, traduite en grec, il en survit peu de chose, mais il en reste des fragments dans l’Industrie agricole des Nabathéens et dans les citations qu’ont tirées de là les écrivains néo-platoniciens qui parlent des Oracles de Zoroastre et de l’enseignement de ce prophète. Ces vestiges de la doctrine ancienne, conservés dans la littérature grecque, confirment la tradition zoroastrienne généralement admise et lui fournissent un nouvel appui. Pourquoi donc cet auxiliaire ne serait-il point accueilli dans la lutte qui s’est élevée sur la question d’établir l’ancienneté de la religion ? Pourquoi les Parsîs modernes n’accepteraient-ils pas l’évidence qui vient à eux par cette autre voie, puisqu’il est reconnu que les deux voies se confondent en une seule ? Ces fragments conservés par les auteurs grecs, dont la littérature grecque témoigne, ces fragments respirent encore l’esprit antique et confirment ce que nous savons de l’enseignement donné dans le passé par Zoroastre.

Passons maintenant à la littérature elle-même et considérons nos documents. Nous trouvons d’abord la Yasna, dont la partie la plus ancienne est constituée par les Gâthâs, les hymnes archaïques, les maximes sorties de la bouche du grand prophète lui-même. Voilà ce qui forme la première partie de la Yasna ; la seconde consiste en prières et cérémonies, — prières adressées à la Divinité suprême, adressées également aux puissances qui viennent après elle et qui forment la hiérarchie spirituelle. Car le Zoroastrisme antique ignorait ce matérialisme moderne qui tente de placer Dieu à l’un des pôles de l’univers, l’homme et le monde terrestre à l’autre, mettant entre eux une profonde lacune faite d’espace vide et de néant. Dans le Zoroastrisme, comme dans toutes les autres religions antiques, il n’y avait pas de lacune dans l’Univers, pas d’espace vide, aucun lieu exempt d’Intelligences vivantes et où des êtres spirituels ne fussent pas actifs ; entre l’homme, à la base de l’échelle, et le Dieu suprême au sommet, se plaçaient des Intelligences, occupant des rangs de plus en plus élevés, d’une nature de plus en plus divine et toutes objets d’adorations, — fait dont témoigne la littérature zoroastrienne tout entière. À côté de la Yasna, formée des deux parties que nous venons de voir, nous trouvons la Visparad, collection d’invocations préparatoires qu’on prononçait avant les autres prières et sacrifices. On peut considérer ces deux recueils, la Yasna et la Visparad comme occupant dans le Zoroastrisme la même place que les Védas dans l’Hindouisme. Après ces recueils, nous trouvons ce qui constituait autrefois une vaste littérature et dont, Hélas ! il ne nous reste presque plus que des titres. Nous possédons un livre complet et quelques fragments du reste, tandis que nous avons la liste de vingt et un grands traités dont le contenu, grossièrement résumé, nous a été conservé : — c’est ce qu’on appelle les vingt et un Nasks. Il y est question de toutes sortes de sciences, de médecine, d’astronomie, d’agriculture, de botanique, de philosophie, en somme de la série complète des sciences et des lois ; ces Nasks occupent ici la même place que la Védânga dans l’Hindouisme. J’insiste sur ces analogies parce qu’elles constituent un argument puissant pour l’opinion que je soutiens relativement à l’ancienneté et à la grandeur de cette religion.

De ces traités, un seul livre, le Vendidad subsiste complet : c’est un livre de lois relatives à la conservation de la pureté, aussi bien chez l’homme que dans la nature extérieure. Nous avons ensuite le Khordah Avesta ou petit Avesta, qui consiste en Yashts (invocations) et en prières à l’usage des laïques plutôt que des prêtres et dont la plupart sont les prières quotidiennes des Parsîs modernes. C’est une collection mêlée — quelques-uns des fragments sont très anciens, quelques-uns d’une époque relativement récente. L’incendie de la bibliothèque de Persépolis fut suivi d’une période de cinq cent cinquante ans de tumulte et d’anarchie, et ce ne fut qu’après cette période, sous les monarques sassanides, qu’on s’occupa de rassembler les fragments conservés de la littérature zoroastrienne. Il n’est pas étonnant qu’il ne soit resté que des fragments, débris d’un tout autrefois splendide, pareils à des morceaux de mosaïque arrachés de leur lit de ciment, où ils faisaient partie d’un grand tableau dont le sens était alors intelligible. Ceux-là seulement qui savent reconstituer le tableau peuvent voir où se plaçait chaque fragment et sont ainsi à même de juger de la beauté originelle de l’ensemble.

J’ai insisté assez longuement, — par rapport au temps dont je dispose, quoique j’en aie parlé, en réalité, très brièvement, — sur ces détails préliminaires, parce que la plupart des gens les ignorent et qu’à moins de les connaître, il est impossible d’apprécier le poids de l’argument qui vient accroître l’évidence de l’ancienneté de la philosophie et de la religion elles-mêmes. Et nous pouvons bien dire aussi qu’il est nécessaire de constater qu’il y a des lacunes dans les preuves, afin de mesurer la valeur de ce qui a été perdu, afin de comprendre combien les textes que nous avons entre les mains sont fragmentaires et combien, par suite, sera nécessairement imparfait le tableau que nous tracerons de la philosophie et de la religion en recourant à ces seuls documents. Il nous en reste assez, cependant, pour qu’on puisse établir que le Zoroastrisme est d’accord avec la doctrine occulte sur tous les points essentiels, sauf un. Dans les écritures, telles qu’elles sont acceptées par les Parsîs orthodoxes, il n’est pas parlé de la réincarnation ; c’est un dogme admis dans les textes conservés par les Grecs et dans le Desatir, livre riche en vérités occultes, mais ni les uns ni l’autre ne sont considérés comme faisant autorité.

Examinons maintenant la religion et la philosophie elles-mêmes, et comme il s’est produit, bien malheureusement, sous l’influence européenne une réaction matérialiste, il nous sera nécessaire de citer les Écritures vers par vers afin de rétablir l’antique doctrine occulte.

Au sommet de l’Univers manifesté se trouve Ahûra-Mazdâ, nom que l’on traduit parfois par « Sagesse vivante », d’autres fois par « Seigneur de la Sagesse », enfin d’autres fois par« Sage Seigneur ». Les inscriptions cunéiformes portent Aûramazda, les Sassanides Aûharmazda et le mot persan moderne est Hôrmazd ou Ormazd[13].

C’est l’Être suprême, universel, celui qui pénètre tout, la source et la fontaine de vie ; dans la religion zoroastrienne il occupe la même place que le Brahman manifesté des Onpanishads, ce Brahman engendré au commencement de toutes choses, l’Unique, la source où l’homme puise la vie. Il est décrit à mainte et mainte reprise dans les textes sacrés ; avec moins de détails dans les Gâthâs, — quoiqu’il s’en trouve là aussi une description partielle, — que dans quelques-unes des prières et des invocations. Nous allons choisir deux spécimens qui nous montreront comment est décrit cet Être puissant, afin que vous vous rendiez compte à quel point la conception en est sublime, combien est élevée cette idée du Dieu primordial. Dans l’Ormazd Yasht, ce Dieu énonce ses propres qualités (un peu comme le fait Shrî-Krishna dans le dixième discours du Baghavad-Gîta. » Il énumère ses noms, les noms qui décrivent ses attributs. Il dit : « Je suis le protecteur, je suis le créateur, je suis le nourricier, je suis celui qui sait. Je suis le plus saint d’entre les divins. Mon nom est salut, mon nom est Dieu, mon nom est le grand, le sage, mon nom est le pur… On m’appelle le majestueux… celui qui voit au loin… on m’appelle le veilleur… le dispensateur de tout accroissement », et ainsi de suite pour soixante-douze noms[14]. Écoutons maintenant la description qu’en donne le grand prophète lui-même : « Il créa d’abord (Ahûra-Mazda), par son éclat inné, la multitude des corps célestes et par son entendement les êtres bons, gouvernés par la pensée droite qui lui est innée. Toi, Ahûra-Mazda, Esprit éternel, fais-les prospérer (les êtres bons). Lorsque nos yeux le contemplent, Essence de vérité, Créateur de toute vie, qui manifestes la vie propre dans les œuvres, — alors je reconnais en toi l’esprit originel, en toi, Mazda, dont la pensée est assez haute pour avoir créé le monde, en toi, le père de la pensée droite[15]. » Ahura-Mazda se révèle comme triple, et nous lisons dans le Khorda-Avesta : « Gloire à toi, Ahûra-Mazda, à toi qui apparais triple à toutes les autres créatures[16]. Notez ce « triple », car c’est un point d’une importance essentielle. Il rapproche la conception zoroastrienne de l’Être suprême du triple Brahman des Upanishads, qui nous est si familier et, de même, cette triplicité explique les deux principes existant en l’Être suprême et émanant de lui, à côté d’un troisième qui vient compléter la trinité, — les deux premiers trop souvent conçus comme des principes opposés, ce qui a conduit à concevoir la doctrine zoroastrienne comme dualiste, en son essence tandis qu’elle est foncièrement moniste.

Mais, avant de nous arrêter à cette question, nous devons constater qu’il y avait, d’après l’ancienne doctrine, au delà et au-dessus d’Ahûra-Mazda, cet Un, cet Inconnaissable, ce « Temps illimité », que les orientalistes européens se refusent à reconnaître, ignorant les théories occultes. Ils prétendent que l’idée d’un temps illimité, lequel serait la source d’Ahura-Mazdâ repose sur un contresens grammatical et qu’il n’y faut pas voir (ce qui est, cependant) une forme sous laquelle on essaierait de présenter la vérité occulte de l’existence de l’Un, — inconnaissable aux facultés humaines. Mais bien qu’ils attaquent la théorie, ils en admettent l’antiquité et ils sont obligés de reconnaître aussi que les textes anciens sont d’accord avec la doctrine occulte. Les Grecs se prononcent sans hésitation sur la réalité de cet enseignement. Plutarque dit : « Cromasdes (Ahura-Mazdâ) descendait de la pure lumière[17] » : Damascius écrit : « Les mages et toute la nation aryenne avec eux considèrent (ainsi qu’on le lit dans Eudème), quelques-uns l’Espace, d’autres le Temps comme la cause universelle, au sein de laquelle existaient séparés l’Esprit bien et celui du mal, ou, comme certains le prétendent, la lumière et les ténèbres — avant que ces deux esprits n’apparussent[18]. » Théodore parle « de cette exécrable doctrine des Persans, introduite par Zoroastrades, à savoir celle qui concerne Zorouan, dont on fait le régisseur de tout l’univers et qu’on appelle Destin et qui, ayant offert des sacrifices afin d’engendrer Hormisdas, donna naissance à la fois à Hormidas et à Satan[19] ». Cette analyse erronée est très intéressante chez un controvertiste, en particulier l’allusion qu’il fait au dogme occulte du sacrifice originel. On retrouve cela dans une « l’allusion des hérésies » du cinquième siècle après Jésus-Christ et due à Ezvik : « Avant que rien n’existât, ni le ciel, ni la terre, ni aucune des créatures qui s’y trouvent, Zerouan existait déjà… Il offrit des sacrifices pendant mille ans dans l’espoir d’obtenir un fils du nom d’Ormiz qui devait créer le ciel, la terre et toutes les choses qui s’y trouvent[20]. » Le docteur Haug qui adopte la théorie de cette erreur grammaticale, reconnaît cependant : « que cette doctrine de Zarvan Akarana était communément admise en Perse, à l’époque des Sassanides, ainsi que cela ressort nettement des textes cités plus haut (pp. 12-14)[21], » Indépendamment de tout témoignage occulte, c’en est assez pour qu’il soit bien établi que Zarathûshtra avait enseigné la vieille doctrine de l’existence de l’Un non manifesté, d’où l’Univers manifesté était issu. Et quand nous lisons le récit d’un sacrifice originel, accompli par Dieu lui-même, à la suite duquel Ahura-Mazdâ fut engendré, nous savons, grâce à la mention faite incidemment, — mention si obscure pour la majorité, mais si claire pour la minorité, — que le sacrifice originel, la limitation par laquelle devint possible la manifestation, constituait un dogme enseigné par Zoroastre lui aussi ; c’est ce que savent tous les étudiants en occultisme et ce à quoi les Écritures font allusion à mainte et mainte reprise. H. P. Blavatsky nous dit : « Ahura-Mazda (Asûra-Mazda) lui-même avait été engendré par Zéroana Akerna, cercle infini du temps ou cause inconnue. La gloire de ce dernier est trop grande, son éclat trop éblouissant pour que l’intellect humain le conçoive ou pour que l’œil d’un mortel le contemple. Son émanation première est la lumière éternelle, qui, antérieurement cachée dans l’obscurité, fut appelée à se manifester, et c’est ainsi que se forma Ormazd, le roi de la vie. Il est le « premier né » dans le temps infini, mais pareil en cela à son propre antétype (l’idée spirituelle préexistante), il a vécu de toute éternité au sein de l’obscurité[22]. »

Pour l’occultiste qui sait que Zarathûshtra était membre de la Confrérie, il ne peut y avoir de doute sur l’enseignement de cette vérité fondamentale ; pour ceux qui ne le sont pas, les preuves apparentes devraient être suffisantes, attendu que le point de vue opposé est celui d’Européens ignorant les anciennes traditions.

Revenons maintenant au triple Ahûra-Mazdâ, et à sa projection hors de lui-même afin que la création soit. Nous savons que de lui procède une dualité : Sentô-Mainyush et Angrô-Mainyush, deux principes dont les racines étaient en lui, mais qui furent projetés hors de lui afin qu’un Univers manifesté pût parvenir à l’existence. Les mots « bon » et « mauvais » sont employés pour désigner ces deux principes, mais ce ne sont pas les meilleurs termes qui nous les décrivent ; la vraie clef nous est fournie par les anciennes Gâthâs. On peut dire que le bien et le mal ne parviennent à l’être que lorsque l’homme, au cours de son évolution, développe en lui la faculté de s’instruire et de choisir ; la dualité originelle n’est pas celle du bien et du mal, mais celle de l’esprit et de la matière, de la réalité et du non-être, de la lumière et des ténèbres, de la construction et de la destruction, — des deux pôles entre lesquels l’Univers est enfermé et sans lesquels aucun Univers ne pourrait subsister. La seconde expression, « réalité et non-être », est employée par Zarathûshtra lui-même quand il proclame cette vérité fondamentale ; nous lisons, en effet, dans la Gâthâ Ahûnavaiti que le Prophète, debout près du feu sacré, — et nous verrons dans quelques instants le sens d’une déclaration faite près du feu sacré, — fit la déclaration suivante : « Au commencement était un couple de jumeaux, deux esprits exerçant chacun leur activité propre » et le Prophète ajoute : « Et ces deux esprits en s’unissant créèrent au commencement (les choses matérielles), l’un la réalité l’autre le non-être[23]. » Voilà cette dualité primitive de Sat et Asat, l’exacte reproduction de la doctrine occulte suivant laquelle l’Un aurait projeté la dualité afin que la pluralité pût en sortir. De l’Un sont issus la réalité et le non-être. Le prophète continue et déclare qu’il faut opter pour l’un ou pour l’autre ; il faut choisir l’un de ces deux « esprits », de même toutes les anciennes doctrines nous disent qu’il dépend de nous de choisir l’esprit ou la matière, appelez-les si vous voulez « bien » et « mal, » mais ce ne sont pas là leurs noms essentiels, car le point fondamental est que le choix de l’homme doit se faire entre le spirituel et le matériel. Divers noms sont donnés à cette dualité, qui nous montrent comment on la comprenait jadis. On lit dans la Gâthâ Ushatavaiti (Yasna XLV) : « Vous tous qui êtes venus de près ou de loin, prêtez l’oreille et écoutez maintenant ce que je vais vous annoncer. Les sages nous ont désormais révélé dans l’Univers une dualité… Je veux vous faire connaître les deux esprits qui sont à l’origine de ce monde, et ce que l’un des deux, le constructeur, a dit à l’autre, le destructeur[24]. » Voici encore deux noms qui nous donnent la clef du secret, le « constructeur » et le « destructeur » ; l’un, duquel la vie découle sans cesse ; l’autre, le côté matériel qui appartient à la forme et qui se détruit sans cesse afin que la vie puisse passer à une expression plus haute. Pour graver cela dans l’esprit du peuple, on l’exprime en disant que ce qu’on nomme mauvais esprit, c’est la mort, qui dissout le corps de l’homme ; la destruction de la forme corporelle signifie le passage de la vie des conditions précédentes à des conditions supérieures, — il n’y faut pas voir l’œuvre d’une puissance mauvaise, mais la libération de l’âme et par suite une partie de la manifestation divine de l’Univers. On parle aussi des deux premiers principes en les appelant les « deux maîtres » ou les « deux créateurs » et il est déclaré quelque part que l’intelligence suprême, Srosh, adorait « ces deux créateurs qui ont créé toutes choses[25]. » Il est certain que ce grand Un n’adorerait pas le mal, bien qu’il puisse certainement aussi rendre hommage à la dualité de la nature divine.

Comme pour régler définitivement la question, ces deux principes sont appelés « mes deux esprits » par Ahûra-Mazdâ lui-même[26]. Le docteur Haug s’empare avec empressement de cette idée et déclare que : « Ce sont les deux causes qui meuvent l’Univers, elles sont unies depuis l’origine par suite appelées « jumelles » (Yemâ, sanscr. Yaman). Elles sont partout présentes, aussi bien chez Ahûra-Mazda que chez l’homme… Nous ne trouvons jamais dans les Gâthâs, Angro-Mainyûsk mentionné comme un adversaire constant d’Ahura-Mazda, ainsi que ce sera le cas dans les écrits ultérieurs… Telle est la conception zoroastrienne primitive des deux esprits créateurs qui constituent simplement les deux parties de l’Être divin[27]. »

Il y a dans cette Trinité primitive, une troisième personne, bien qu’il soit un peu plus difficile d’en suivre la trace, enfouie, plus profondément que les deux autres, sous un changement qui se produisit plus tard. Cette trinité comprend, en effet, Ahûra-Madzdâ qui est le premier et de qui tout dérive ; un second principe, avec la dualité qui est toujours l’indice de la seconde personne dans la Trinité manifestée ; enfin, la troisième, la Sagesse, la Sagesse primitive ou Pensée, par laquelle le monde a été créé. C’est Armaiti, celle de qui il est écrit : « Pour assister la vie (pour l’enrichir), Armaiti est venue avec la richesse, la pensée juste et bonne ; elle, l’éternelle, a créé le monde matériel[28]. » Plus tard, Armaiti fut identifiée à sa création et adorée comme déesse de la terre, mais primitivement, elle complétait la trinité.

Si nous procédons par ordre, nous rencontrons ensuite les hiérarchies d’intelligences divines régies par les sept grands esprits, les Ameshaspentas, les sept Dieux-présidents ; Ahûra-Mazdâ est placé à leur tête, comme l’un d’entre eux ; parfois ils forment le septénaire inférieur et au-dessus d’eux se place la Triade supérieure, — conception familière à tout théosophe qui sait que l’Univers est une décade figurée par les sept inférieurs et les trois supérieurs, de même que dans le Sephiroth de la Cabale Juive. Les sept Ameshaspentas (si l’on en excepte Ahùra-Mazda) sont : Vohûman, la bonne pensée; Asha Vahista, la plus grande sainteté ; Khshatraver, la puissance ; Spendarmad, l’amour ; Haurvatât, la santé ; Amercelâd, l’immortalité; enfin le Feu, le plus précieux des Ameshaspentas[29] ». À ces sept Esprits, on adresse continuellement des prières, des hymnes sont continuellement chantés en leur honneur, leur culte pénètre la liturgie tout entière. Et cependant, quelques savants orientalistes — suivis, je suis heureuse de le dire, par une petite minorité de Parsîs modernes — ont matérialisé ces esprits, dont ils ont fait de simples attributs de Dieu, au lieu de les considérer comme les vivantes Intelligences par qui, ainsi qu’il est dit dans les Gâthâs, les mondes furent créés et sont conservés.

Le docteur Mill rabaisse ces Esprits au rang de simples attributs et, dans sa traduction, les traite toujours comme tels, bien qu’il soit parfois acculé dans des positions intenables par cette répugnance moderne à reconnaître partout des Intelligences invisibles. Voyons si l’on peut vraiment faire de ces Esprits de simples attributs :

« Cependant, très généreux Mazda Ahûra, et toi, Piété, avec lui, »
« Et toi, Asha, intercédant pour me rendre leurs décisions favorables, »
« Toi, bonne Pensée, et toi, la Puissance, »
« Vous tous, écoutez-moi, et soyez-moi miséricordieux[30]. »

Les « attributs » orthographiés avec des majuscules désignent des Ameshaspentas, Spendarmad, Vohûman et Khshatraver — et le pluriel « vous », comme d’ailleurs la phrase, « vous tous, écoutez-moi ! » seraient une étrange façon de s’adresser à un Dieu et à ses qualités.

« Des doctrines, Ahûra, et des actions, dis-moi ce
qui vaut le mieux, Mazda, »
« Et enseigne à ton débiteur la prière des admirateurs, dis-moi cela avec »
« La Vérité et la Bonne Pensée »
« Et puisse ta grâce, par la Souveraine Puissance, réaliser la
Perfection de ce monde. »

On lit dans le texte Pahlavi : « Déclare-moi donc, par suite, ô toi, Auhamnazd, quelle est la meilleure parole et la meilleure action et donnez-moi ce qui est ta dette, ô Vohûman, et la tienne, ô Ashavahist, pour que je vous loue, car grâce à votre souveraineté, ô Aûharmazd, l’accomplissement du progrès se manifeste réel en ce monde, selon votre volonté[31]. »

« Tel je l’avais conçu, Dieu généreux, Ahûra-Mazda
« Quand, avec l’aide de la Bonne Pensée, la soumission s’approcha de moi
« Et me demanda : Qui es-tu ? D’où viens-tu[32] ? »

Curieux procédé s’il s’agissait d’un attribut.

« Telles sont les faveurs que je sollicite d’abord de toi, Ahûra !
« Asha ! et accorde aussi les tiennes, Aramaiti[33] ! »

Bien d’autres passages extraits des Gâthâs pourraient être cités, si nous en avions la place. Considérons maintenant celui-ci, emprunté au Yasna haptanhaiti, qu’on admet être une des plus anciennes parties de la Yasna, après les Gâthâs : » Nous adorons Ahûra-Mazda, le juste, le maître de toute justice. Nous adorons les Ameshaspentas (les archanges), les possesseurs du bien, les dispensateurs du bien. Nous adorons la création tout entière de l’esprit juste[34]. » Le Vispered commence ainsi : « J’invoque et je proclame les puissances du ciel, les puissances de la terre, » et ainsi de suite une longue liste de dieux est énumérée[35]. Et ailleurs : « Nous les faisons connaître : à toi Ahûra-Mazda, au saint Sraôsha, à Rashnû le très droit, à Mithra qui règne sur de vastes pâturages, aux âmes-haspentas, aux Fravarshis des purs, aux âmes des purs, au Feu, fils d’Ahûra-Mazda et au Seigneur tout-puissant[36]. » La Yasna apporte son témoignage : « J’invoque et je proclame : le Créateur Ahûra-Mazda, le Brillant, le Majestueux, le Très Haut, le Très Bon, le Très Beau, le Très Fort, le Très Intelligent, celui dont le corps est le plus parfait, le Dieu suprême par sa Sainteté ; celui qui est très Sage, le Bienheureux, celui qui nous a créés, nous a formés, nous conserve l’existence, le plus Saint d’entre les divins. J’invoque et je proclame : Vohûmano, Ashvahista, Kshathra-Vairya, Spent-ârmaiti, Haurvat et Ameritât ; le corps de la vache, l’âme de la vache, le feu (le fils) d’Ahûra-Mazda, le plus précieux des Ameshaspentas[37]. »

Mais les Yasnas sont pleines d’hommages : aux Dieux suprêmes, à Mithra[38], à la Déesse des eaux[39], à Srosh[40] — l’une des plus puissantes parmi les grandes intelligences, — au Soleil, à la Lune et aux Étoiles[41]. En somme, il faudrait détruire l’édifice tout entier du Zoroastrisme si, par déférence pour le matérialisme européen, on en voulait arracher le culte des Dieux. Dans cette religion, comme dans l’Hindouisme, les Dieux sont partout et à mesure que le fidèle s’élève, il adore des Intelligences de plus en plus élevées, jusqu’à ce qu’il arrive à Ahûra-Mazdâ, dont la volonté a les précédents pour agents et dont la vie fait subsister ces esprits subalternes.

Arrivons maintenant au Feu, symbole suprême de Dieu, symbole de la vie divine qu’on appelle le fils d’Ahûra-Mazdâ, — symbole sacré le plus révéré des Zoroastriens de nos jours. Ainsi que nous pouvions nous y attendre, nous trouvons toute une série de prières adressées au Feu, tout un culte rendu, dans les termes les plus clairs, les plus simples, les plus explicites au Feu, (ce Feu qu’on déclare la plus précieuse des Intelligences spirituelles, à ce Feu qui est la plus bienveillante d’entre elles puisqu’il descend d’Ahûra-Mazdâ et qu’il connaît tous les secrets des cieux. « Heureux l’homme vers qui tu viens dans la puissance, ô Feu, fils d’Ahûra-Mazdâ. Plus bienveillant que le plus bienveillant, plus digne d’adorations que le plus digne d’honneur. Puisses-tu venir à nous et nous être secourable à l’heure de notre plus grande détresse. Feu, tu es en relation intime avec Ahûra-Mazda, en relation intime avec le monde celeste. Tu es ce qu’il y a de plus saint en ton propre être (le feu), qui porte le nom de Vazista. Ô Feu, fils d’Ahûra-Mazdâ, laisse-nous approcher de toi[42]. »

Qu’est-ce que le feu ? De tout temps, dans toute religion, le feu a été le symbole du Dieu suprême. Brahma est feu ; Ahûra-Mazda est feu ; les Juifs adorent leur Dieu sous la forme d’une colonne de feu et les Chrétiens déclarent : « Notre Dieu est un feu qui consume. » Partout le feu a été et est encore l’emblème suprême ; car celui qui est gloire, se manifeste sous la forme du feu, il flamboie du sein de ce qui « est obscur par excès de clarté » et l’Univers tout entier n’est que le produit par rayonnement de la flamme vivante. Oh, si je pouvais vous montrer Zarahtûshtra le tout-puissant, et qu’il parla pour la première fois au peuple et lui enseigna les vérités qui lui avaient été à lui-même révélées par le Feu, par les Fils du Feu qui l’avaient envoyé sur terre pour qu’il enseignât ces vérités au peuple ! Si je pouvais vous le peindre, debout près de l’autel, parlant de ce que le Feu lui a révélé ! Rappelez-vous ce qu’il est dit dans l’un de ces « Oracles » qui reproduisent les traditions primitives : « Lorsque tu contemples un Feu sacré sans forme, qui brille d’une manière éblouissante, partout, à travers le monde, écoute la voix du Feu. » Lorsque parla Zarathushtra, il n’y avait d’abord pas de feu à côté de lui sur l’autel ; il y avait du bois de santal dont les morceaux répandaient leur odeur, il y avait des parfums, mais pas de feu. Tandis que le Prophète était là, debout, il tenait une baguette, — tout occultiste sait qu’une reproduction de cette baguette était employée dans les mystères, — dans laquelle brûlait le feu divin des sphères supérieures et autour de laquelle s’enroulaient, enlacés, les serpents de feu. Et comme il levait cette baguette, la dirigeant vers le ciel, voici qu’à travers l’espace infini, à travers la voûte du ciel bleu, les cieux éclatèrent en feu et des flammes légères voltigèrent de tous côtés ; fendant l’air, quelques-unes de ces flammes s’élancèrent et vinrent tomber à côté du Prophète sur l’autel qu’elles incendièrent. Et le feu vivant s’enroulant autour de lui, fit du Prophète une masse de flammes tandis qu’il prononçait les « paroles du feu » et proclamait les vérités éternelles. C’est ainsi que Zarathûshtra enseigna jadis. Et il composa les hymnes du feu, hymnes qui avaient le pouvoir de faire descendre le feu d’en haut — mantras[43] infaillibles, paroles toutes-puissantes — et les siècles ont suivi les siècles, les millénaires ont suivi les millénaires et jamais plus le feu qui avait flamboyé sur l’autel de Zoroastre, dans le temple du Feu, n’a consisté en une simple masse de flammes. Désormais, d’en haut, du haut des cieux, le feu sacré est descendu du brûlant Akâsha : à la parole du prêtre, il est tombé sur l’autel et on l’y a vu flamboyer comme le vivant symbole de Dieu. Lorsque le clergé inférieur devait officier (quand le clergé supérieur n’était pas en état de faire le service), on donnait à ces prêtres subalternes la baguette de feu dans laquelle brûlait toujours le feu électrique, la flamme vivante, et lorsqu’ils touchaient avec cette baguette ce qui était déposé sur l’autel, le feu du ciel aussitôt éclatait.

De nos jours encore, regardez comment la tradition s’est transmise dans ces cérémonies où l’on allume le feu sur le nouvel autel. Aujourd’hui il reste encore un faible écho de l’ancienne vérité, bien que le pouvoir ait disparu et que nul Parsî Dastur puisse faire descendre le feu d’en haut. Dans la ville où la flamme sacrée doit être allumée, on recueille le feu de toutes les sources différentes, mais ce feu n’est pas employé sous la forme où il est produit par le combustible terrestre, car l’officiant place, au-dessus du feu qu’il a recueilli, un plateau de fer sur lequel il entasse le bois de santal, puis il soutient ce plateau en l’air afin qu’il n’y ait pas de contact matériel ; le feu qui brûle en-dessous allume alors le combustible et un second feu jaillit ; neuf fois de suite cette cérémonie est répétée, jusqu’à ce que l’essence même du feu, pour ainsi dire, soit recueillie — pure essence destinée aux purs et digne d’être le symbole du divin. Ensuite on cherche à recueillir le feu électrique, la flamme de l’éclair telle qu’elle sort des cieux et que les prêtres actuels sont incapables de faire descendre à leur appel ; ils doivent parfois attendre des années avant de pouvoir recueillir ce feu ; pendant des années ils patientent avant de pouvoir mélanger cette flammes à celles qui brûlent déjà sur l’autel sacré. Devant ce feu sacré, tout Zoroastrien s’incline, et dans tout domicile, lorsque le soleil se couche, on promène mais toutes les pièces, à travers l’obscurité grandissante, un feu dans lequel brûlent des parfums, — emblème du pouvoir purificateur et protecteur du Feu suprême.

Il nous faut maintenant examiner rapidement comment l’homme est envisagé, afin que nous puissions comprendre sa place dans la hiérarchie des Intelligences. Il a en lui, — comme tout ce qui existe, — les deux principes esprit et matière et il peut opter pour l’un ou l’autre. Toute l’éthique repose sur l’idée que l’homme se jettera du côté de la pureté, combattra pour la pureté, soutiendra la pureté. Il se peut que la seconde conception d’Angrô-Mainyush, qui fait de lui un ennemi, ait été une tentative pour stimuler l’homme à un conflit actif avec le mal, pour lui faire sentir qu’il livrait la bataille de « l’esprit du bien » contre « l’esprit du mal ». Prendre en toute chose activement parti pour la pureté est un devoir personnel. Le Zoroastrien doit conserver la pureté de la terre, la cultiver est accomplir un devoir religieux ; il doit accomplir tous les travaux de l’agriculture en les regardant comme un mode du service divin — car la terre a été créée pure par Ahûra-Mazdâ et doit être préservée de toute pollution. L’air doit demeurer pur. L’eau doit demeurer pure. Si quelque chose d’impur, un cadavre par exemple, tombe dans l’eau, un bon Zoroastrien doit l’enlever afin que l’élément pur ne soit pas souillé. De là, aussi, le refus de brûler les morts, parce que le feu serait souillé par un contact impur. C’est pourquoi les corps sont respectueusement transportés dans les « Tours du silence » ; là, dans ces lieux bien gardés, qui ne sont ouverts qu’aux cieux, les cadavres sont étendus afin que les vautours puissent rapidement les dévorer et qu’aucun élément pur n’en soit souillé.

Quittons cette pureté de la nature éternelle, (à laquelle un Parsî ne doit pas s’associer passivement, mais activement), — et arrivons à ce fameux axiome de leur religion : « De pures pensées, de pures paroles, de pures actions. » C’est la règle, sans cesse répétée, de la vie zoroastrienne — et remarquons que les trois choses se suivent dans l’ordre occulte — on y revient sans cesse dans les prières quotidiennes, on y insiste à chaque tournant de la vie. Les premiers mots du Khordah-Avesta forment l’Ashem-Vohû, la formule la plus sacrée, chaque jour répétée : « La pureté est le plus grand des biens. Le bonheur, le bonheur est à lui — au plus pur d’entre les purs[44]. » Quand Ahûra-Mazdâ répond à Zarathushtra qui l’interroge sur la récitation de l’Ashem-Vohû, le Dieu déclare que le mode de récitation de l’Ashem-Vohû qui a autant de prix que les meilleures choses qu’Il ait lui-même créées — consiste à : « éviter les mauvaises pensées, les mauvaises paroles et les mauvaises actions[45]. »

Entre l’âge de sept ans et celui de quinze ans, l’enfant doit être initié, après quoi on le revêt pour la première fois du kûsti (ou cordon sacré) et de la Sûdrâ (chemise de lin blanc), tous deux emblèmes de la pureté. Le kûsti est fait de soixante-douze fils de laine prise sur des agneaux et il est enroulé trois fois autour de la taille pour symboliser les bonnes pensées, les bonnes paroles et les bonnes actions qui doivent incomber au porteur de ce kûsti ; on le noue deux fois devant et deux fois derrière. La sincérité, la chasteté, l’obéissance envers tes parents, le fait d’être hospitalier, laborieux, honnête, doux envers les animaux utiles — constituent des vertus auxquelles une importance spéciale est attachée et quant à la charité, elle fait partie essentielle de la religion. Ce doit être une charité éclairée, elle doit être exercée envers qui la mérite ; il est particulièrement recommandé d’aider les pauvres, d’aider à se marier ceux qui n’ont pas le moyen de le faire, d’aider à élever les enfants de ceux qui sont incapables de remplir eux-mêmes ce devoir. Ervad Sheriayi Dadabhai Barucha écrit : « De même que certaines vertus sont considérées comme les attributs spéciaux des quatre classes de l’humanité et leur sont parfaitement appropriées, de même certains vices doivent être tout spécialement évités par chacune de ces classes. Dans la classe sacerdotale, ce qui est particulièrement choquant, c’est l’hypocrisie, la cupidité, la négligence, la paresse, l’importance attachée à des riens et le manque de foi religieuse. Le guerrier doit ignorer la tyrannie, la violence, le manquement à la parole donnée, l’excitation au mal, l’ostentation, l’arrogance et l’insolence. Le cultivateur doit fuir l’ignorance, l’envie, la mauvaise volonté et la malice ; l’artisan doit se garder de l’incrédulité, de l’ingratitude, de la grossièreté et de la médisance (Mainyo-I Khart, LIX) »[46]. Il est intéressant de noter que lorsqu’Ahûra-Mazdâ a fait connaître « la voie droite » (Ahûna-Vairya) dans l’ordre spirituel et dans l’ordre humain, cette Ahûna-Vairya comportait trois paragraphes : les quatre classes, les cinq chefs et une conclusion. Les quatre classes étaient les castes des prêtres, des guerriers, des agriculteurs et des artisans[47], — nouvel indice de l’étroite parenté entre les Iraniens et la première subdivision de la race aryenne.

Il y a d’autres indices non moins intéressants du même fait : le sacrifice du Homa, par exemple, adoré avec la même ferveur et exalté au même degré dans le Homa Yash[48] que dans le Sama Véda les noms des prêtres — l’Atharva (Atharvan), le Zaota (Hôta) et l’identité de fonctions entre le Rathwi et l’Adhvârya ; le lait, le ghee[49], l’eau sainte, les rameaux sacrés sont d’usage dans certaines cérémonies, aussi bien chez l’un des peuples que chez l’autre ; les Parsîs, comme les Hindous, ont des prières pour les morts à intervalles fixés. La vérité est que les deux religions sont sœurs ; c’est seulement l’invasion, l’oppression et l’exil qui ont altéré la plus jeune des deux au point qu’elle a perdu une grande partie de son patrimoine primitif.

Les sept principes qui constituent l’homme sont clairement mentionnés dans la Yasna LIV, 1 : « Des corps joints à des os, la force vitale et la forme, la vigueur et la conscience, l’âme et le Fravarshi[50]. » Les trois premiers sont les corps denses et éthérés avec Prâna ; la vigueur est Kamâ, la conscience Manas, Urvan (traduit par âme) est Bouddhi, et Fravarahi n’est autre qu’Atmâ. « Tout être de la bonne création, vivant ou décédé, ou même pas né encore a son propre Fravarshi », écrit le docteur Haug[51]. Mais cela ne peut guère donner une idée complète de la chose, tandis qu’on la trouve expliquée dans le Fravardin Yasht où Ahûra-Mazdâ déclare que toutes les choses bonnes subsistent grâce à leur splendeur et à leur gloire. Celles-ci sont appelées les « puissants anges gardiens du juste » et représentent évidemment l’Atmâ et même, dans bien des cas, l’Atmâ après l’absorption en lui de Manas et de Bouddhi.

Après la mort, l’âme passe dans le monde intermédiaire, dans ces « sentiers usés par le temps, qui sont pour les méchants et qui sont pour les justes[52] » et dont parle Ahûra-Mazdâ, comme du » sentier terrible, mortel, destructeur qui est la séparation du corps et de l’âme[53] », le Kâmaloka. L’âme du juste rencontre une belle jeune fille, l’incarnation de ses bonnes pensées, de ses bonnes paroles et de ses bonnes actions ; elle traverse saine et sauve le » pont du juge » et arrive au ciel. Mais l’âme du méchant rencontre une hideuse vieille, l’incarnation de ses mauvaises pensées, de ses mauvaises paroles et de ses mauvaises actions, elle ne parvient pas à traverser le pont et tombe dans le feu.

Ici encore il y a bien des choses qui sont passées sous silence ; beaucoup d’autres sont décrites trop brièvement, d’une manière trop succincte ; cependant il en est dit assez pour justifier l’occultiste quand il affirme que cette antique religion, la seconde des religions de la cinquième race, est issue de la source primitive, que son Prophète fut un des Initiés divins, qu’elle s’est transmise millénaire après millénaire, du passé jusqu’à nous et qu’elle est médiocrement représentée par le Zoroastrisme, relativement matérialiste, qu’on observe aujourd’hui. L’étude des textes sacrés de cette religion pourrait la rétablir sous sa forme primitive ; on pourrait y respirer encore la doctrine ancienne ; les concessions faites à la critique et au matérialisme européens pourraient être repoussées par tout Zoroastrien, comme ne faisant pas partie de son ancienne, de son admirable religion. Ô mes frères Parsîs ! votre Prophète n’est pas mort. Il n’a point péri. Il veille sur la religion qu’il a fondée, s’efforçant sans cesse de la relever de sa dégradation actuelle, de lui restituer la doctrine qu’elle a perdue, le pouvoir qu’elle n’a plus. Y a-t-il une plus noble tâche pour les Zoroastriens actuels que de faire pénétrer le Feu antique dans l’âme de leurs frères, d’en rallumer la flamme sur l’autel spirituel de leur cœur ? Y a-t-il pour eux une plus noble tâche que d’étudier les textes sacrés de leur propre religion, puis d’aller enseigner l’ancienne doctrine avec l’autorité et le pouvoir que peut seul détenir l’homme qui partage la même foi que ceux auxquels il s’adresse ? Le feu n’est pas mort ; il couve seulement sur ses anciens autels ; les cendres en sont brûlantes, prêtes à faire jaillir de nouveau des flammes. Et je rêve au jour où le souffle du grand prophète Zarathushtra passera de nouveau dans ses temples, ranimant les cendres sur les autels de ces anciens fanums[54] — et de tous les autels le feu jaillira et du haut des cieux, de nouveau, des flammes descendront en réponse à l’appel terrestre, ramenant la religion iranienne à ce qu’elle devrait être : un fanal pour les âmes humaines, une des plus grandes religions du monde.

  1. Zend-Avesta. Introduction, p. 37. Sacred books of the East, vol. XXXI.
  2. A study of five Zarathustrian (Zoroastriân), Gâthâs, avec traduction en Pahlavi, texte sanscrit de Naryosangh, texte persan traduit et accompagné d’un commentaire. Introduction, pp. XIX, XX.
  3. Essays of the sacred Language. Writings and Religion of the Pârsis, par Martin Haug, ph. D., Trübner’s Oriental Series, p. 136.
  4. Ibid., p. 299.
  5. Essays on the sacred Language, p. 298.
  6. Op. cit. par H. P. Blavatsky, I, stance IV, I.
  7. Essays of the Parsîs, p. 70.
  8. Essays on the Parsîs, p. 40.
  9. Essays on the Parsîs, pp. 120, 122.
  10. Theosophist, vol. IV, article sur le Zoroastrisme, commençant p. 221.
  11. Essays on the Parsîs, p. 81. La période florissante de la dynastie sassanide s’étend de 226 après Jésus-Christ à 653, date à laquelle cette dynastie fut chassée par les Mahométans.
  12. Essays of the Parsis p. 81.
  13. Essays of the Parsîs, p. 302.
  14. Ormazd Yasht, trad. d’après le professeur Spiegel, par A. H. Bleek.
  15. Gâthâ Ahunavaiti, trad. par le docteur Haug.
  16. Op. cit., VII, Qarsêt Nyâyis. I, Spiegel.
  17. Essays of the Parsîs, p. 9.
  18. Ibid., p. 12.
  19. Ibid.
  20. Essays of the Parsîs, p. 13.
  21. Op. cit., pp. 309-310.
  22. Article du Zoroastrisme, Theosophist, IV, 221.
  23. Essays on the Parsîs, Yasna, XXX, 3, 4. Trad. du docteur Haug. Voir aussi : le Mazdéisme de G. de Lafont, p. 140.
  24. Op. cit., 1, 2.
  25. Op. cit., Yasna, LVII, 2.
  26. Op. cit., Yasna, XIX, 9.
  27. Op. cit., pp. 303, 305.
  28. Op. cit., Gâthâ Ahûnavaiti, 7.
  29. Yasna, I, 6. Trad. de Spiegel, p. 26.
  30. Gâthâs (Yas. XXXIII), II. Trad. du docteur Mill, p. 127.
  31. Op. cit., pp. 152, 153.
  32. Ibid., p. 165.
  33. Ibid., p. 313.
  34. Essays on the Parsîs, p. 171.
  35. Op. cit., I. Trad. du prof. Spiegel, p. 5.
  36. Ibid., XII, 18, 19, p. 18.
  37. Yasna, I, I, 6. Trad. du prof. Spiegel, p. 26.
  38. Mihir Yasht, Essays on the Parsîs, p. 202.
  39. Abân Yasht. Ibid., p. 197.
  40. Yasna, LVII. Ibid., p. 189.
  41. Yasna IV, 89. Trad. de Spiegel, p. 12.
  42. Yasna, XXXVI, II, 1-10. Trad. du prof. Spiegel, p. 96.
  43. Mantra : formule magique.
  44. Op. cit. Trad. du docteur Spiegel, p. 3.
  45. Hadokht Nask, Essays on the Parsîs, p. 219.
  46. Zoroastrian Religion and Customs, p. 31.
  47. Yasna XIX, 17., Essays on the Parsîs, p. 168.
  48. Essays on the Parsîs, pp. 176-183.
  49. Ghee. Sorte de beurre fondu fait avec du lait de buffle.
  50. Op. cit., Trad. du prof. Spiegel, p. 120.
  51. Essays on the Parsîs, p. 206.
  52. Vendidad, Fargard, XIX, 29, Essays on the Parsîs, p. 233.
  53. Hadokht Nask, Yt XXII, 17. Ibid., p. 222.
  54. Édifices ou Terrains consacrés au culte.