Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris/Cathédrale de Paris

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DESCRIPTION
DE
NOTRE-DAME
(CATHÉDRALE DE PARIS)

Nous savons, par la vie de saint Marcel, qu’une église existait déjà dans la Cité de Paris, sur le bord de la Seine, et vers la pointe de l’île, du côté de l’orient, à la fin du IVe siècle. Cette antique cathédrale fut sans doute reconstruite par la pieuse munificence du roi Childebert Ier. Car il serait difficile d’admettre que les premiers chrétiens de Paris eussent élevé un monument aussi considérable que l’église épiscopale qui existait du temps de ce prince, et dont Fortunat nous a transmis une poétique description. La basilique était splendide et soutenue par des colonnes de marbre ; ses fenêtres, garnies d’une clôture de verre, recevaient les premiers rayons du jour ; ses lambris et ses murs brillaient du plus vif éclat. Prêtre et roi, comme un autre Melchisedech, Childebert avait voulu enrichir de ses dons ce temple magnifique, pour le bien de ses sujets et pour la gloire de l’Église.

Fortunat célèbre aussi la gravité du clergé de Paris et les mérites du saint évêque Germain, qui, les mains levées au ciel, appelait sur son peuple, ainsi qu’un nouveau Moïse, les bénédictions divines.

Une circonstance inattendue est venue récemment confirmer le récit de Fortunat. En 1847, des fouilles entreprises sur la place du Parvis avaient amené la découverte de quelques substructions de la basilique de Childebert, ensevelies sous le sol depuis dix siècles peut-être. Les fondations de cet édifice se confondaient avec celles de plusieurs maisons romaines qu’on avait certainement rasées pour lui faire un emplacement convenable. On retrouva une partie de la mosaïque en petits cubes de marbre de diverses couleurs qui servait de pavé aux nefs de l’église, trois de ses colonnes en marbre d’Aquitaine, vulgairement appelé grand antique, et un grand chapiteau corinthien de marbre blanc qui présentait tous les caractères de la sculpture mérovingienne. Les colonnes ont été relevées au milieu de la grande salle des Thermes ; elles ne sont pas entières ; mais leurs dimensions n’en révèlent pas moins l’importance de l’édifice dont elles faisaient partie. La plus complète des trois, qui a conservé son astragale, a reçu pour couronnement le chapiteau d’ordre corinthien qu’elle portait peut-être il y a plus de treize siècles. D’autres fragments de colonnes absolument semblables, et provenant sans aucun doute du même édifice, ont été reconnus dans le cours des travaux qui ont mis à nu une partie des substructions des murs latéraux de la cathédrale actuelle au nord et au midi. L’étude des monuments chrétiens des premiers siècles qui sont restés debout à Rome et dans d’autres villes de l’Italie, nous permet de nous faire une idée assez exacte de la disposition et même de la décoration de cette basilique mérovingienne. La chrétienté tout entière recevait alors de Rome, avec les enseignements de la foi, les formules de l’art et jusqu’aux symboles sous lesquels on pouvait produire les choses saintes devant les yeux des fidèles. L’église de Childebert offrait donc les caractères essentiels du style latin. C’est ainsi que nous pourrions croire extraite des catacombes de Sainte-Agnès ou de Saint-Sébastien cette inscription trouvée dans le quartier Saint-Marcel, à Paris, qui date à peu près du Ve siècle, et qui est maintenant placée à la Bibliothèque impériale. Consacré par Vitalis à sa très-douce épouse Barbara, qui vécut vingt-trois ans cinq mois et vingt-huit jours, ce petit monument présente, gravés sur la pierre, les deux colombes avec des rameaux dans le bec, et au milieu d’une couronne de lauriers le monogramme du Christ entre l’alpha et l’oméga.

Nous nous perdrions en conjectures inutiles si nous tentions de chercher quel fut le sort de la basilique de Childebert dans le long intervalle qui sépare le VIe siècle du XIIe. Il résulte assez clairement du rapprochement de plusieurs textes très-anciens, tels que ceux de Grégoire de Tours, et d’Aymoin, que, dès la fin du VIe siècle déjà, la cathédrale de Paris se composait de deux édifices, très-voisins l’un de l’autre, mais parfaitement distincts, l’un du titre de Saint-Étienne, et le plus important, situé vers la partie méridionale de l’église actuelle ; l’autre du titre de Sainte-Marie, placé un peu plus à l’orient et vers le nord. Une tradition très-incertaine attribue à l’évêque Erchenrad Ier, qui siégeait du temps de Charlemagne, des travaux de constructions dans sa cathédrale. En 829, le célèbre concile de Paris s’assembla dans la nef de Saint-Étienne, comme le prouvent ses actes qui nous ont été conservés. L’église de Sainte-Marie fut incendiée par les Normands en 857, l’évêque Énée n’ayant pu racheter du pillage que celle de Saint-Étienne. Au XIIe siècle, l’archidiacre Étienne de Garlande, qui mourut en 1142, fit faire des réparations importantes à l’église de la Vierge, et Suger, le grand abbé de Saint-Denis, donna pour la décorer un vitrail d’une remarquable beauté. Des ouvrages exécutés du temps d’Étienne de Garlande, il ne reste plus que les bas-reliefs du tympan, et une portion des voussures de la porte Sainte-Anne, replacés au commencement du XIIIe siècle, lorsqu’on construisit la façade actuelle : probablement parce que ces sculptures semblèrent trop remarquables pour être détruites. C’était d’ailleurs un usage assez ordinaire, au moment où l’on reconstruisit les grandes cathédrales françaises, de conserver un souvenir des édifices primitifs. Les premiers rois capétiens se rendaient fréquemment à l’église Sainte-Marie, qu’on appelait alors nova ecclesia, par opposition à celle de Saint-Étienne, qui était beaucoup plus ancienne. Les fouilles de la sacristie neuve de Notre-Dame ont laissé voir en partie le plan d’un édifice religieux qui ne pouvait guère être autre chose que celui de Saint-Étienne, modifié et remanié dans la suite des temps. La portion visible des fondations a dû faire supposer que l’abside de ce monument n’avait guère plus de 8 à 9 mètres de diamètre.

Nous sortons enfin de ce que nous pourrions appeler l’ère des fictions, et nous touchons, pour Notre-Dame, aux époques vraiment historiques. Le soixante-deuxième successeur de saint Denis, Maurice de Sully, un des habiles prélats qui aient gouverné l’Église de Paris (1160-1196), était à peine monté sur le siége épiscopal, qu’il résolut de reconstruire sa cathédrale, en réunissant les deux églises jusqu’alors séparées. Ce fut lui, disait l’épitaphe gravée sur son tombeau dans l’église abbatiale de Saint-Victor, qui le premier commença la grande basilique de Sainte-Marie. Le plan qu’il avait entrepris d’exécuter n’était guère inférieur en étendue à celui de la cathédrale dans l’état où nous la voyons. Suivant le récit du moine d’Auxerre, la première pierre de la nouvelle église aurait été posée en 1163, par le pape Alexandre III. Ce pontife était, en effet, alors réfugié en France, et le 21 avril de la même année, à la prière de l’abbé Hugues de Monceaux, il consacra l’abside récemment reconstruite de Saint-Germain des Prés, avec l’assistance de douze cardinaux. Au bout de dix-neuf années, en 1182, quatre jours après la solennité de la Pentecôte, le maître autel de Notre-Dame fut consacré par Henri, légat du saint-siége. Trois ans plus tard, en 1185, le patriarche de Jérusalem, Héraclius, venu à Paris pour prêcher une troisième croisade, officia dans le chœur de la cathédrale. L’évêque Maurice fit ensevelir devant le maître autel Geoffroy comte de Bretagne, fils du roi d’Angleterre, Henri II, mort à Paris, le 19 août 1486. La reine Isabelle de Hainaut, femme de Philippe-Auguste, reçut à la fin du XIIe siècle la sépulture dans le même lieu. Lorsque Maurice de Sully mourut, en 1196, il laissa cinq mille livres pour faire au chœur une toiture de plomb. L’abside devait être terminée depuis plusieurs années et la nef elle-même en bon état de construction. Les fondations n’étaient pas établies sur pilotis, comme le veut une tradition fort répandue, mais bien sur de robustes assises, en pierres dures, ainsi que l’ont constaté les fouilles faites à deux reprises différentes dans le siècle dernier, et depuis peu, jusqu’à une grande profondeur.

Les travaux continuèrent sans doute sous le gouvernement du successeur de Maurice, Eude de Sully (1197-1208). Mais la grande façade occidentale ne fut commencée que vers la fin de l’épiscopat de Pierre de Nemours, qui siégea de 1208 à 1219. D’après le martyrologe de l’église de Paris cité par l’abbé Lebeuf, on détruisit, vers 1218, les restes de la vieille église de Saint-Étienne, qui faisaient obstacle au développement de la partie méridionale et de la façade de Notre-Dame. On trouva dans la démolition des reliques importantes, entre autres quelques pierres de la lapidation du saint martyr, qui furent portées le 4 décembre dans l’église neuve. À la mort de Philippe-Auguste, en 1223, le portail était achevé jusqu’à la base de la grande galerie à jour qui réunit les deux tours. Il y eut évidemment, à cette époque, une interruption dans les travaux ; le style du sommet de la façade et la nature des matériaux employés ne peuvent faire douter que les tours, avec la grande galerie qui enceint leurs bases, aient été élevées, vers 1235, fort rapidement. Alors la cathédrale était complètement terminée, sauf les flèches qui devaient surmonter les deux tours.

Plan de Notre-Dame de Paris (1230)

Cette vaste église était alors dépourvue de chapelles, ou, s’il en existait, elles n’étaient qu’au nombre de trois, fort petites, et situées derrière l’abside ; car on a retrouvé la corniche extérieure du double bas-côté sur presque tous les points de la circonférence de ce double bas-côté absidal : ces chapelles ne pouvaient donc être percées qu’au-dessous de cette corniche, et, par conséquent, n’occuper qu’une faible hauteur et un petit espace. On pourrait croire plutôt que trois autels étaient placés contre la paroi de ce double bas-côté ; l’un dédié à la Vierge, l’autre à saint Étienne, et le troisième à la Sainte-Trinité. Mais ce qu’on avait voulu surtout obtenir en traçant ce plan si simple, c’était un grand espace pour contenir le clergé et la foule, devant et autour de l’autel principal placé au centre du sanctuaire.

Ce n’était pas assez de la vaste surface couverte à rez-de-chaussée par les constructions : une large galerie pourtourne l’église au-dessus du collatéral intérieur ; on y arrive par quatre grands escaliers à vis, d’un enmarchement d’un mètre cinquante centimètres environ. Alors ces galeries supérieures étaient autant destinées à contenir la foule qu’à projeter une grande lumière dans le vaisseau central au moyen de larges et hautes fenêtres ouvertes au milieu des travées. Les fenêtres supérieures qui éclairaient la voûte étaient beaucoup plus petites qu’elles ne le sont aujourd’hui, et entre leur appui et l’archivolte de la galerie, des roses s’ouvraient sous le comble de ces galeries. On peut voir les restes de cette disposition primitive dans la première travée de la nef ; elle a d’ailleurs été rétablie autant par suite de nécessités de constructions, que pour conserver la trace du monument primitif dans la partie occidentale des deux transsepts.

Malheureusement, cette église reçut très-promptement d’importantes modifications qui sont venues en altérer le caractère simple et grandiose. De 1235 à 1240, un incendie, dont l’histoire ne fait nulle mention, mais dont les traces sont visibles sur le monument, détruisit les charpentes supérieures et les combles des galeries de la cathédrale ; les meneaux des roses percées sous les appuis des fenêtres supérieures et qui éclairaient les combles de ces galeries furent calcinées ainsi que les bahuts, pinacles et corniches supérieures sous le grand comble. Avant cet incendie, les grands arcs-boutants de la nef et du chœur étaient construits à double volée, c’est-à-dire qu’au lieu de franchir l’espace compris entre les contreforts et les voûtes par une seule courbe, ils se composaient de deux portions d’arc avec une pile intermédiaire. L’incendie dont nous venons de parler dut également endommager la seconde volée des arcs-boutants primitifs. À cette époque, d’autres cathédrales avaient été élevées et on les avait percées de fenêtres plus grandes, garnies de brillants vitraux : cette décoration prenait chaque jour plus d’importance. Au lieu de réparer le dommage survenu aux constructions de Notre-Dame de Paris, on en profita pour supprimer les roses percées au-dessus des galeries, faire descendre les fenêtres hautes en sapant leurs appuis jusqu’à l’archivolte des galeries. On démolit les arcs-boutants à double volée, on diminua de hauteur les fenêtres du triforium en abaissant ses voûtes.

Les fenêtres hautes agrandies furent garnies de meneaux très-simples, dont la forme et la sculpture nous donnent précisément l’époque de ce travail. À peine cette opération était-elle terminée à la hâte (car l’examen des constructions dénote une grande précipitation), que l’on entreprit, vers 1245, de faire des chapelles entre les saillies formées à l’extérieur par les gros contreforts de la nef. Ces chapelles furent élevées également avec une grande rapidité. Mais alors les deux pignons primitifs des transsepts se trouvaient débordés par la saillie de ces chapelles. Comparativement à la nouvelle décoration extérieure de la nef, ces deux pignons devaient présenter une masse lourde ; on les démolit, et une inscription sculptée en magnifiques caractères sur le soubassement du portail méridional de la croisée atteste qu’en 1257, le second jour des ides de février, maître Jean de Chelles commença cette œuvre en l’honneur de la mère du Christ. Saint Louis régnait alors et Renaud de Corbeil occupait le siége de Paris. Il faut affirmer, en dépit des textes, que le portail septentrional, la porte rouge, et les premières chapelles qui de chaque côté suivent immédiatement le transsept, ont été construits à cette même époque et peut-être par le même architecte ; c’est le même style, la même sculpture, et jusqu’à la même nature de pierre. Ces travaux, vu leur importance et le soin apporté dans leur exécution, durent exiger plusieurs années.

Quant aux chapelles absidales, elles s’achevaient à la fin du XIIIe siècle et au commencement du siècle suivant. À l’entrée de l’une d’entre elles, celle de Saint-Nicaise, on lisait sur le socle d’une statue de l’évêque Simon Matiffas de Buci, que ce prélat avait fondé premièrement cette chapelle avec les deux suivantes en 1296, et qu’ensuite on avait fait successivement toutes les autres du pourtour du chœur. Cette précieuse inscription a été conservée ; nous l’avons relevée dans les magasins de l’église abbatiale de Saint-Denis, où elle se trouvait confondue avec d’autres monuments provenant de diverses églises. Nous savons encore le nom du chanoine Pierre de Fayel, qui donna deux cents livres parisis pour aider à faire les histoires de la clôture du chœur et pour les nouvelles verrières, ainsi que ceux des sculpteurs maître Jean Ravy, qui commença lesdites histoires, et maître Jean le Bouteiller, qui les parfit en 1351. Nous aurons à revenir sur cette clôture et sur les curieuses figures qui s’y trouvaient représentées.

Du XIVe au XVIIIe siècle, la cathédrale paraît avoir conservé intacte sa physionomie première. Mais l’exécution du vœu de Louis XIII ouvrit pour la vieille église, en 1699, une série de changements et de mutilations qui se sont succédé sans interruption jusqu’à nos jours. La piété qui prétendait rajeunir le sanctuaire par des embellissements modernes obtenus à grands frais, ne lui fut guère moins fatale que la barbarie qui un peu plus tard s’acharnait à le dévaster. Ainsi, de 1699 à 1753, la cathédrale perdit ses anciennes stalles du XIVe siècle, son jubé, toute la clôture à jour du rond-point, l’antique maître autel avec ses colonnes de cuivre et ses châsses, tous les tombeaux du chœur, les vitraux de la nef, du chœur et des chapelles. Les travaux, entrepris dans le but de réparer ou de consolider l’édifice, le dépouillaient aussi tour à tour de ses moulures, de sa végétation de pierre, de ses gargouilles, de ses clochetons. Mais la mutilation la plus grave fut accomplie en 1771, sous la direction du célèbre architecte Soufflot, avec l’assentiment et le concours du chapitre. Pour laisser le passage plus libre aux processions et aux cérémonies, Soufflot fit disparaître le trumeau qui divisait la grande porte occidentale en deux parties. Ce pilier fut entièrement supprimé avec la statue du Christ qui s’y trouvait posée et les curieux bas-reliefs qui en couvraient la base. Puis on entailla toute la partie inférieure du tympan, sans respect pour sa belle sculpture du Jugement dernier, afin d’y introduire l’arc de la porte nouvelle, élargie et exhaussée aux dépens de l’ancienne ornementation. Sur la fin du règne de Louis XV, un dallage uniforme en grands carreaux de marbre vint prendre la place des dalles funéraires qui couvraient en quantité innombrable tout le sol de l’église, et qui présentaient les effigies d’une foule de personnages illustres. Les années 1773 et 1787 virent dégrader de la manière la plus déplorable, sous prétexte de restauration et par des architectes, le mur méridional des chapelles de la nef, les arcs-boutants du chœur, les parties supérieures de la façade occidentale. On était encore à l’œuvre, quand éclata l’orage qui menaça la cathédrale d’une destruction complète. Il faut le dire cependant, un certain ordre fut maintenu jusque dans la dévastation. Les mêmes hommes qui arrachaient des portails et des niches toutes les grandes figures qu’on leur avait signalées comme rappelant des souvenirs monarchiques, ont respecté les voussures et les tympans qui ne contiennent que des personnages sacrés. On fit valoir, pour sauver ces admirables modèles, des considérations astronomiques et mêmes mythologiques ; elles obtinrent un succès que n’aurait jamais eu alors l’appel le plus éloquent à la vieille foi de la population parisienne. Au mois d’août 1793, un arrêté de la Commune décida que sous huit jours les gothiques simulacres des rois au portail de Notre-Dame seraient renversés et détruits, ainsi que les effigies religieuses en marbre ou en bronze. Le conseil municipal réitéra cette prescription au mois de brumaire de l’an II, ordonnant la suppression immédiate de tous les saints du portail. Mais le citoyen Chaumette réclama en faveur des arts et de la philosophie ; il sut se faire entendre de ses fanatiques collègues, en leur affirmant avec vivacité que l’astronome Dupuis avait trouvé son système planétaire dans une des portes collatérales de l’église. Le conseil décréta donc que le citoyen Dupuis serait adjoint à l’administration des travaux publics, afin de conserver les monuments dignes d’être connus de la postérité. L’intervention de Dupuis a sauvé ce qui restait, et puisse ce grand service rendu le faire absoudre de ses agressions contre les traditions religieuses ! Mutilée au dehors, dépouillée au dedans de ses plus précieuses richesses, l’église de Maurice de Sully, de Philippe-Auguste et de saint Louis devint le temple décadaire de la Raison.

Les prélats qui se sont succédé sur le siége de Paris depuis le concordat de 1802, les princes qui ont gouverné la France, les administrateurs qui ont été chargés des grands intérêts de la ville de Paris et du département de la Seine, ont tous fait les plus louables efforts pour rendre à Notre-Dame son antique magnificence. Mais le moment n’était pas arrivé. Les principes de l’art du moyen âge n’avaient pas encore été étudiés, et chaque restauration nouvelle entraînait, comme au XVIIIe siècle, la perte ou la dégradation de quelque partie importante du monument. Cependant une génération d’artistes, pleine de zèle et de dévouement, se formait en silence à la pratique de notre vieil art national, par les travaux les plus sérieux et les plus opiniâtres. Des voix éloquentes, entre lesquelles nous aimerons toujours à citer celle de M. le comte de Montalembert, le défenseur-né de l’art et de la liberté catholiques, protestaient en faveur de nos monuments historiques si longtemps oubliés. Le gouvernement, de son côté, voulut répondre dignement à l’expression d’un aussi noble sentiment, et en 1845 une loi solennellement discutée ouvrit libéralement le trésor de l’État pour la restauration de Notre-Dame. Depuis dix ans des travaux d’un développement immense et d’une difficulté dont on ne peut appréapprécier l’étendue, qu’en passant plusieurs heures à parcourir les divers étages de ce vaste édifice, ont été accomplis sans que le culte ait été interrompu un seul jour et sans accidents.

Nous donnons ici le plan de la cathédrale de Paris telle que nous la voyons aujourd’hui, avec les adjonctions successives faites depuis le milieu du XIIIe siècle, et la sacristie nouvelle qui a remplacé l’ancien palais épiscopal.

Plan de Notre-Dame de Paris (1850)

L’histoire de Notre-Dame se lie d’une manière intime à toute l’histoire de France. On ne finirait pas d’énumérer les solennités nationales, les baptêmes de princes, les mariages et funérailles de rois, les conclusions de traités dont cette insigne église a été témoin. C’est là que les grands corps de l’État venaient rendre à Dieu de publiques actions de grâces pour le triomphe de nos armes ; les étendards[1] pris sur les ennemis de la France étaient suspendus en trophées aux galeries du chœur. Nous citerons quelques faits remarquables et quelques cérémonies extraordinaires.

Dans les premières années du XIIIe siècle, saint Dominique prêcha dans la cathédrale de Paris. Il était demeuré plus d’une heure en prière avant de commencer, quand la Vierge lui apparut, radieuse comme le soleil, et lui donna un livre contenant le sujet qu’il devait traiter.

En 1229, le 12 avril, veille de Pâques, le comte de Toulouse, Raymond VII, fut absous du crime d’hérésie dans l’église Notre-Dame. « Et c’était pitié, dit le chroniqueur, Guillaume de Puylaurens, de voir un si grand homme, lequel par si long espace de temps avait pu résister à tant et de si fortes nations, conduit nu, en chemise, bras et pieds découverts, jusqu’à l’autel. »

Pierre Bonfons nous apprend qu’en 1381, le prévôt de Paris, « Hugues Aubriot, accusé et convaincu d’hérésie et autres crimes, fut, à la poursuite de l’Université, presché et mitré publiquement au parvis Notre-Dame, et après ce, condamné à être en l’oubliette au pain et à l’eau. »

Le 27 novembre 1431[2], le roi d’Angleterre, Henri VI, âgé seulement de dix ans, fut sacré et couronné roi de France en grande pompe, dans le chœur de la cathédrale. Mais le souvenir de ce sacre fut bientôt effacé, tandis que depuis l’an 1436, on célébrait chaque année, par un Te Deum, le premier vendredi après Pâques, en présence du prévôt des marchands et des échevins, la mémoire de la reprise de Paris par les troupes du vrai roi de France, Charles VII.

Le jour de l’Assomption, au XIIIe siècle, toute l’église était revêtue d’étoffes précieuses ; on jonchait le pavé d’herbes odoriférantes que les prieurs de l’archidiaconé de Josas devaient fournir tour à tour. Deux siècles plus tard, on se contentait de répandre dans l’église de l’herbe tirée des prés de Gentilly.

Le jour de la Pentecôte, pendant l’office, on jetait des pigeons, des oiseaux, des fleurs, des oublies, des étoupes enflammées, par des ouvertures pratiquées dans les voûtes, pour rappeler la descente du Saint-Esprit et l’effusion de la grâce divine.

Tous les ans, le 22 mars, le chapitre faisait une procession en mémoire de l’entrée de Henri IV à Paris, en 1594. Les chanoines, accompagnés des cours souveraines, se rendaient à l’église des Grands-Augustins, où la messe était chantée en musique. On remettait la cérémonie après la semaine de Pâques, lorsque le 22 mars arrivait dans la semaine sainte.

Maintenant que nous connaissons la généalogie et l’histoire de Notre-Dame, il est temps de décrire son imposante architecture et de dire le sens de ces mille personnages qui en peuplent les riches portails. C’est que la cathédrale était le grand monument populaire du moyen âge, le monument de tous, auquel chacun avait apporté sa pierre, et qui appartenait en réalité à tout le monde. Quand nous parcourons les nefs de nos cathédrales, n’y voyons-nous pas en effet, au bas des verrières, et sur les soubassements des statues, les armoiries du peuple et les emblèmes des corps de métiers, bien plus encore que les attributs de la puissance et les blasons de l’aristocratie ? Ce sont des boulangers, des bouchers, des marchands de draps, des fourreurs, des vendeurs d’épices qui ont enrichi de leurs dons les Notre-Dame de Reims, d’Amiens et de Chartres, Saint-Étienne de Bourges et Saint-Pierre de Troyes. La cathédrale était, pour les populations d’alors, non-seulement le lieu de la prière et la demeure de Dieu, mais le centre du mouvement intellectuel, le dépôt de toutes les traditions d’art et de toutes les connaissances humaines. Ce que nous placerions dans les armoires d’un musée, nos pères le confiaient aux trésors des églises[3]. Ce que nous cherchons dans les livres, ils allaient le lire en caractères vivants sur les ébrasures des portes ou sur les vitraux des fenêtres. Et voilà pourquoi, à côté des scènes religieuses et des allégories morales, nous rencontrons en si grand nombre aux parois de nos cathédrales ces calendriers, ces enseignements de botanique et de zoologie, ces détails sur les procédés des arts et des métiers, ces avertissements sur l’hygiène, sur le bon emploi du temps, sur l’agriculture, qui composent une encyclopédie à l’usage et à la portée de tous.


  1. Ces drapeaux ne restaient exposés que pendant la guerre ; par un sentiment de délicatesse toute française, on les retirait en temps de paix.
  2. C’est la date donnée par Mézeray. Le président Hénaut indique celle du 17 décembre.
  3. Guillaume Durand, dans son Rational des divins Offices, nous avertit que dans plusieurs églises on suspendait des œufs d’autruches et d’autres choses admirables ou rares, afin que le peuple en fût davantage attiré dans le lieu saint et mieux disposé à la piété. Dans nos cathédrales de Laon, de Reims, de Bayeux, de Comminges, à Saint-Denis, à Saint-Bertin, à la Sainte-Chapelle de Paris, et ailleurs, on conservait des côtes de baleine, des crocodiles empaillés, des cornes de licornes, des ongles de griffons, des camées et des vases antiques.