Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris/Porte de la Vierge

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Porte de la Vierge.

La porte de la Vierge s’ouvre au pied de la tour du nord. Par un défaut de symétrie, qui ne nous inquiète guère, et dont le motif ne s’explique pas clairement, la baie est un peu moins haute que celle de la porte Sainte-Anne, placée au bas de la tour méridionale. Une manière de fronton triangulaire, d’une disposition bizarre, soutenu de deux colonnes, enveloppe l’ogive et semble avoir pour fonction de racheter cette légère différence. Architectes et sculpteurs, les artistes de Notre-Dame ont élevé et ciselé avec amour, comme on dit en Italie, cette porte consacrée à la patronne de la cathédrale.

Le pilier-trumeau a perdu les bas-reliefs qui décoraient autrefois sa base, et qui représentaient probablement la chute de la première Ève. Au-dessus se dressait victorieuse l’Ève de la nouvelle alliance, la Vierge portant son fils et foulant aux pieds le dragon[1]. Cette statue est remplacée par une autre Vierge de pierre, sculptée au XVe siècle, d’un style sec et maniéré, qui provient de l’ancienne église de Saint-Aignan au cloître. Cette dernière figure n’a été mise au trumeau qu’en 1818. Elle est voilée, couronnée, vêtue de la robe et du manteau. Son bras gauche soutient l’enfant et sa main droite porte un bouquet. L’enfant tient un globe. Sur le socle un lion endormi ; n’est-ce pas ce lion de la tribu de Juda, dont l’Écriture nous avertit de redouter le réveil ? Deux anges très-mutilés servent de consoles au dais trilobé qui fait abri à la statue. Un peu plus haut, un riche édicule, ouvert par trois arceaux, avec colonnettes, pignons et clochetons, renferme une châsse oblongue décorée de plusieurs rangs de médaillons. Les litanies donnent à la Vierge le titre d’arche d’alliance ; ce coffre précieux en est ici la représentation. Le petit temple partage en deux la partie inférieure du tympan.

Le bas-relief du tympan se divise en trois zones comme celui du jugement dernier. Dans la première, à droite, trois prophètes, assis sur un même banc, la tête couverte d’un long voile qui leur retombe sur les épaules, admirables de gravité, tenant tous ensemble déroulée une même banderole sur laquelle ils méditent avec une attention profonde ; à gauche, trois rois couronnés, dans la même attitude que les prophètes, occupés de la même manière et non moins remarquables par l’intelligence de leur physionomie. La Vierge a pour cortége aussi les prophètes qui l’ont annoncée, et les rois dont elle est descendue. En arrière, huit colonnes décorent le fond de la muraille.

Au second bas-relief, deux anges inclinés tiennent, avec la plus respectueuse délicatesse, les extrémités d’un suaire où repose étendu le corps de la Vierge. La mère de Jésus est jeune, pleine de grâce, les mains croisées sur la poitrine. Elle a pour tombeau un élégant cercueil de pierre, orné de quatrefeuilles et d’autres compartiments. Près du cercueil, vers le milieu, le Christ est debout, la main gauche penchée vers le corps de sa mère, la droite levée sans doute pour la bénir. Cette main droite est cassée. Quatre apôtres se tiennent de chaque côté du divin maître. À la tête du tombeau sont assis l’un près de l’autre, saint Pierre avec deux longues clefs en la main gauche, et un des douze que rien ne caractérise. Aux pieds on voit également assis, près d’un apôtre innommé, saint Jean, qui se fait reconnaître à son extrême jeunesse et à son visage imberbe. Un arbre termine la scène à chaque bout. Les attitudes et les expressions des apôtres traduisent bien leur douleur. Saint Pierre se distingue entre tous par sa tristesse. La place que les deux anges occupent, en avant du groupe principal, n’a pas permis de leur donner de nimbes.

Dans le haut du tympan, Marie glorifiée paraît comme reine des anges et des hommes. Assise à la droite de son fils qui la bénit, elle vient de recevoir sa couronne des mains d’un ange sortant d’une nuée au sommet de l’ogive. La tête du Christ est également couronnée. Deux anges, un genou en terre, portent chacun à deux mains un chandelier, l’un complet avec son cierge, l’autre en partie brisé.

Pour bien se rendre compte du sujet de ces belles sculptures, il faudrait lire dans la Légende d’or le poétique récit de la mort de Marie. Enlevés sur des nuées des endroits où ils annonçaient le salut, les apôtres se trouvèrent réunis tous les douze dans la maison de la Vierge. Et quand ils lui eurent rendu les derniers devoirs en portant son corps dans la vallée de Josaphat, Jésus vint à eux le troisième jour, accompagné d’une multitude d’anges. « Quel honneur, dit-il, pensez-vous que je doive conférer à celle qui m’a enfanté ? » Et les apôtres répondirent : « Il paraît juste à vos serviteurs, Seigneur, que vous qui avez triomphé de la mort à jamais, vous ressuscitiez le corps de votre mère, et que vous le placiez à votre droite pour l’éternité. » Et ainsi fut-il.

La scène se complète par la voussure tout historiée de personnages. Marie a pour témoins de son triomphe les anges, les patriarches, les rois ses aïeux, et les prophètes. Les figures se disposent sur quatre rangs, quatorze au premier comme au second, seize au troisième, aussi bien qu’au dernier, soixante en totalité. Chacune se place sous un petit dais en château, qui sert de socle à la suivante. Le premier personnage de chaque cordon, à droite et à gauche, est en pied ; les autres ne se font voir qu’à mi-corps. Les huit figures principales sont six prophètes et deux rois placés debout, presque semblables à ceux qui siégent dans le tympan ; leurs mains tiennent des banderoles qu’ils considèrent avec attention et dont ils semblent méditer le sens. Il y en a qui se communiquent leurs réflexions. Un prophète compte avec ses doigts, comme s’il supputait les temps de la venue du Messie ; un autre est coiffé d’un bonnet en forme de conque. Les autres personnages sont, au premier rang, douze anges, dont six portent en leurs mains des chandeliers, tandis que les autres tiennent l’encensoir de la main droite, la navette de la gauche ; au second, douze personnages, dont un seul imberbe, presque tous avec des banderoles dépliées ou roulées ; au troisième, douze rois, dont deux imberbes, et deux prophètes, tous avec des banderoles, les rois couronnés et tenant les débris de leurs sceptres qui se sont brisés, au quatrième, quatorze prophètes ou patriarches qui ont aussi des banderoles à la main. L’un des rois imberbes est Salomon. Lorsque cette porte entière était brillante d’or et de couleur, telle que l’évêque arménien la vit, il y a bientôt quatre siècles, le nom de chaque personnage se lisait certainement sur la banderole, ou bien quelque texte qui servait à en constater l’identité, à défaut de tout attribut spécial. Il ne peut d’ailleurs exister d’incertitude sur la signification de tous ces personnages considérés dans leur ensemble, et il n’y aurait, nous le pensons, qu’un intérêt secondaire à les nommer individuellement. Tous ces rois, prophètes et patriarches sont décorés du nimbe.

Un rinceau magnifique, habité par quelques oiseaux, encadre l’ogive de la voussure. Il représente certainement un de ces arbres merveilleux dont les bestiaires du moyen âge nous décrivent les mystères et les propriétés.

Il nous reste encore beaucoup à voir dans les ébrasures et le long des pieds-droits de la porte de la Vierge. Une arcature saillante, élevée sur un petit socle, et formant stylobate, décrit de chaque côté cinq arcs en ogive. Les colonnettes qui les soutiennent ont pris une teinte noire, luisante comme du métal ; on croirait qu’elles ont été pénétrées d’une préparation destinée à les garantir de l’humidité. En arrière des colonnes s’ajustent de petites cloisons dont une est travaillée à jour. Sur le fond des baies courent de légers rinceaux gravés en creux. Un petit bas-relief carré, surmonté d’un fleuron, s’incruste dans le tympan de chacune de ces baies, et de plus diverses figures sont placées en dehors, entre les retombées des arcs. Rien n’est à négliger, nous l’avons dit, dans les monuments des hautes époques du moyen âge. Ces bas-reliefs et ces figures sont des indices suffisants pour que nous puissions dire les noms de la plupart des statues autrefois posées sur le stylobate, et détruites depuis plus d’un demi-siècle. Les statues étaient au nombre de huit, quatre dans chaque ébrasure. En réunissant les renseignements, trop sommaires cette fois, que nous a laissés l’abbé Lebeuf, et les détails que nous trouvons dans quelques autres auteurs, nous aurions lieu de croire que ces figures représentaient, à droite, saint Denis[2] entre deux anges, et un personnage douteux ; à gauche, saint Jean Baptiste, saint Étienne, sainte Geneviève et saint Germain d’Auxerre. Les bas-reliefs et les supports, qui correspondaient aux grandes statues, nous offrent en effet les sujets suivants : pour les deux anges, en bas-reliefs, deux épisodes du grand combat qui se fit dans le ciel entre les anges fidèles et les rebelles[3] ; en supports, un lion et un oiseau monstrueux, symboles de ces puissances que les anges foulent aux pieds ; pour saint Denis, le martyre du saint apôtre agenouillé, en costume d’évêque, qu’un bourreau s’apprête à frapper du glaive, et dont le sang va féconder une vigne déjà vigoureuse plantée par ses mains ; un autre bourreau armé d’une hache ; pour saint Jean, un bourreau qui tient par les cheveux la tête nimbée du saint Précurseur, et qui la donne à la fille d’Hérodiade ; un personnage en longue robe, probablement le roi Hérode ; pour saint Étienne, le premier martyr, à genoux, vêtu en diacre, béni par une main divine qui sort d’une nuée, tandis qu’un juif lève à deux mains une grosse pierre pour lui briser la tête, un lapidateur tenant une pierre ; pour sainte Geneviève, une sculpture malheureusement mutilée qui représente la sainte bénie, comme saint Étienne, par la main de Dieu, et recevant l’assistance d’un ange[4] ; plus haut, un démon tout hérissé de poils. Toutes ces figures, d’une exécution très-fine et très-soignée, ont été fort maltraitées ; il manque des têtes, des bras et des attributs. La statue indiquée par l’abbé Lebeuf comme celle de saint Germain, pourrait bien avoir été celle d’un pape, si l’on tient compte de quelques gravures anciennes. On a pensé que c’était un saint Sylvestre. Le bas-relief nous montre un pape tenant une clef de la main gauche et parlant à un prince qui porte sur la tête une couronne fermée ; ce serait saint Sylvestre et Constantin, le pape et l’empereur, le pouvoir des clefs et celui du sceptre, le gouvernement temporel et le règne spirituel. Le support est une ville, avec sa porte fortifiée et son enceinte, peuplée de hautes tours carrées qui rappellent l’aspect de certains quartiers de Rome. Dans le bas-relief, saint Sylvestre n’a pas de nimbe ; il est en chasuble, avec tiare de forme conique. Aux côtés de la place assignée à sainte Geneviève, vers la hauteur de la tête, on retrouve les vestiges d’un démon entouré de feu, qui s’efforçait d’éteindre le cierge de la sainte, et ceux d’un ange sortant d’une nuée pour en rallumer au besoin la flamme. L’abbé Lebeuf nous apprend que la huitième statue était celle d’un roi, mais il a négligé de nous donner son opinion sur le nom de ce personnage. Nous voyons en bas-relief un roi agenouillé déroulant une longue banderole, aux pieds d’une femme assise, voilée, couronnée, nimbée, un bout de palme ou de sceptre à la main gauche ; en support, un quadrupède sur la croupe duquel se tient un oiseau[5]. Le bas-relief semble une dédicace ou une consécration. Mais les renseignements nous manquent pour une interprétation plus precise. De chaque côté de l’ébrasement, à la première et à la dernière ogive de l’arcature, il y a encore plusieurs figures, dont les unes rentrent dans une suite de sujets appartenant à un zodiaque, tandis que les autres, telles qu’un corbeau et un autre oiseau perché sur un arbre, ne paraissent pas avoir d’application aux anciennes statues. D’ailleurs, d’après la disposition de ces huit statues, les huit supports et les huit bas-reliefs que nous avons décrits ci-dessus y correspondaient seuls d’une manière directe.

Sur le soubassement, de chaque côté, cinq colonnes accompagnaient les figures, et quatre chapiteaux, faisant suite à ceux des colonnes, se montraient au-dessus de ces mêmes statues. Chacune d’elles avait de plus son dais à trois lobes, décoré de tourelles. Les deux rangées de statues s’encadraient chacune entre le pied-droit de la porte et un pilastre d’angle, debout à l’entrée de la baie. Le pilastre de droite, comme celui qui le répète à gauche, est sculpté de quatre arbres superposés, qui paraissent appartenir à la flore indigène, et qui ne peuvent manquer d’avoir un sens allégorique ; nous avons reconnu le chêne, le châtaigner, le rosier et le hêtre.

Trente-sept bas reliefs, sculptés sur les deux faces de chacun des pieds-droits de la porte, sur les côtés du pilier-trumeau, et jusque sur les dernières travées de l’arcature du soubassement, composent une espèce de vaste tableau de l’année, un almanach de pierre, où nous trouvons la mer et la terre, les douze signes du zodiaque, les occupations qui se succèdent pendant les différents mois de l’année, et les délassements permis à ceux sur lesquels ne pèse pas dans toute sa rigueur la dure loi du travail. Des représentations du même genre existent dans un grand nombre de cathédrales et dans beaucoup d’églises de second ordre, soit en sculpture, soit en vitraux ; mais rarement elles sont aussi développées qu’à Notre-Dame. Le sculpteur a épuisé son sujet, afin de remplir tout l’espace dont il avait à disposer. Voici l’indication, en peu de mots, de tous les bas-reliefs :

À droite, la Mer, ou l’Océan, personnage à cheval sur un énorme cétacé ; il tient soulevée de la main droite une barque munie d’une voile carrée, et flottant à la surface des ondes. Puis les signes des mois du premier semestre de l’année ; le Verseau, assis sur la queue du même monstre ; personnage nu, enveloppé de deux jets d’eaux courantes[6] ; les Poissons, posés dans l’eau, en sens inverse l’un de l’autre, et réunis par un filet dont les deux extrémités leur entrent dans la bouche ; le Bélier, qui marche dans une prairie, entre des arbres ; le Taureau, qui s’avance au milieu d’une végétation abondante ; les Gémeaux, jeunes gens debout, en longues robes, dont l’un passe fraternellement le bras droit autour du cou de son compagnon, qui tient une fleur ; le Lion, en colère, debout, se dressant contre un arbre. Le poseur, chargé de mettre à leur ordre les assises sur lesquelles sont sculptés les signes, a commis une erreur assez notable, en plaçant au sixième rang le Lion du mois de juillet, au lieu de l’Écrevisse du mois de juin.

Sur le retour du même pied-droit, les occupations des six premiers mois correspondent à chacun des signes. Janvier : un homme à table ; un serviteur fléchit le genou devant lui ; des mutilations ont fait disparaître la table et d’autres accessoires. Février : un personnage assis, les épaules couvertes d’un manteau court ; il semble revenir d’une longue course, pendant laquelle il aurait subi les intempéries de la mauvaise saison ; il se déchausse pour mieux se réchauffer les pieds devant un brasier ; près de lui sont appendues ses provisions d’hiver, un jambon et des saucisses. Mars : un paysan émonde la vigne. Avril : un personnage debout, privé par des mutilations de sa tête et de ses mains ; on voit seulement à ses pieds, de chaque côté, une petite gerbe. Mai : un jeune homme tenant une fleur de la main droite, et un oiseau, peut-être un faucon pour la chasse, sur la main gauche. Juillet : un paysan court vêtu porte sur son dos un énorme paquet de foin. Nous trouverons sur l’autre pied-droit le signe du mois de juin et le faucheur qui l’accompagne.

Le moyen âge aimait à exprimer les diverses notions les plus usuelles sous une forme quelquefois bizarre, mais qui avait toujours le mérite de venir en aide à la mémoire. Ainsi a-t-il fait pour les différentes occupations des mois. On a souvent cité ces quatre vers didactiques, d’une latinité douteuse, mais d’une précision extrême, qui trouvent leur application presque mot pour mot à la cathédrale de Paris. Ils ont été certainement composés par un homme du Nord ; l’ordre dans lequel il place la fenaison et la moisson, suffit pour le prouver :

Poto ligna cremo, de vite superflua demo,
Do gramen gratum, mihi flos servit, mihi pratum,
Fœnum declino, messes meto, vina propino,
Semen humi jacto, pasco sues, immolo porcos.

Six bas-reliefs, étagés sur un des côtés du pilier-trumeau font face aux occupations des six mois que nous venons de mentionner, et leur servent en quelque sorte de corollaire. Ce ne sont plus en général des travaux d’une nature pénible, mais plutôt des manières de passer le temps. Au mois de janvier, le travailleur n’a rien de mieux à faire que de se tenir chaudement, jusqu’à ce qu’il puisse se remettre à la besogne ; l’homme de loisir s’installe aussi auprès de son foyer, par plaisir non moins que par nécessité. Nous voyons ici un homme bien vêtu, le capuchon relevé sur la tête, qui se chauffe les pieds et les mains devant un grand feu ; deux piles de bois sont placées en réserve sur des crochets fixés dans le mur. Le bas-relief qui suit s’est évidemment égaré de ce côté ; un homme du peuple, en vêtements courts, s’appuie sur un bâton, et son dos plie sous le poids d’une lourde charge de bûches ; près de lui, un arbre complétement dépouillé de son feuillage. Un jeune homme debout, les mains croisées sous son manteau, profite des premiers jours du printemps pour se promener. Au mois d’avril correspond une sculpture fort singulière ; pour exprimer le passage du froid à la chaleur, l’artiste a représenté un personnage couché à deux têtes, l’une engourdie par le sommeil, l’autre bien éveillée et les yeux ouverts ; toute une moitié du corps est chaudement vêtue, l’autre nue et débarrassée d’habits désormais incommodes. Le personnage du mois de mai s’est dégarni tout le haut du corps et ne garde qu’un caleçon. Celui du mois de juin est complètement déshabillé et se dispose sans doute à prendre un bain.

Les sujets des six premiers mois suivent une marche ascensionnelle, comme celle du soleil lui-même pendant cette période de l’année, et s’élèvent avec les piliers de bas en haut. Ceux du second semestre se succèdent en sens inverse et descendent de la partie supérieure des pieds-droits pour s’arrêter à leur soubassement.

Les signes du zodiaque reprennent leur cours sur le côté externe du pied-droit à gauche de la Vierge. Nous avons dit par suite de quelle interversion le mois de juillet a pris la place du mois de juin. Par compensation, l’Écrevisse supplante ici le Lion ; elle est complete et bien armée. Le signe de la Vierge, brisé par hasard, ou supprimé à dessein, nous ne savons, a pour successeur un personnage qui n’est autre qu’un sculpteur ou un tailleur de pierre, et dont le style, ainsi que le costume, accuse une époque quelconque du XVIIe siècle. Une femme mutilée tient dans la main gauche un débris de la Balance du mois de septembre. Le Scorpion d’octobre n’a plus de tête, mais seulement six pattes et une longue queue. Le Sagittaire est une figure sans sexe, toute cassée et déformée, au-dessus d’une des archivoltes de l’arcature. Enfin, le Capricorne de décembre, privé de sa tête, ne conserve pas même en entier son corps debout sur deux pattes, avec une queue repliée.

Les travaux se développent dans le même sens que les signes. Un faucheur aiguise sa faux ; jolie pose et mouvement bien rendu. Un moissonneur, en cotte très-courte, une poignée d’épis dans la main gauche ; la droite qui tenait la faucille a été cassée ; devant lui, plusieurs gerbes coupées. Un vendangeur vêtu, entré jusqu’à mi-corps dans une grande cuve solidement cerclée. Un semeur, tenant d’une main le grain dans un pli de son manteau ; l’autre bras n’existe plus. Un porcher fait tomber des glands pour nourrir ses animaux. Un homme assomme un porc destiné à lui fournir sa nourriture pendant l’hiver.

Les bas-reliefs du trumeau qui complètent, pour la seconde moitié de l’année, la vie commode et facile du riche ou du citadin, sont mutilés et ne conservent plus les caractères ni les attributs qui serviraient à en expliquer le sens. Pour les mois de juillet, d’août et de septembre, nous voyons trois personnages barbus, assis, dont l’attitude semble annoncer une oisiveté absolue : ils ont tous le bras droit facturé, et rien ne fait plus connaître quel genre de distraction ils pouvaient prendre. En octobre, un jeune homme part pour la chasse, suivi de son chien et portant un faucon sur le poing gauche. Les deux personnages suivants, le dernier surtout, ont éprouvé de telles avaries, qu’on n’en a plus rien à dire.

Dans le tympan d’une des ogives de l’arcature du stylobate, en face de l’Océan, la Terre est représentée sous la forme d’une femme forte, assise et comme immobile sur son siége. Sa droite tient une haute plante herbacée qui sort d’un vase ; sa gauche, un chêne chargé de glands. Une jeune fille, personnification de la race humaine, s’agenouille dans le giron de sa mère et lui saisit la mamelle droite, où elle puise la vie[7]. Ce beau et curieux bas-relief a par malheur beaucoup souffert.

Le zodiaque de Notre-Dame se conforme aux usages de l’année ecclésiastique. Il commence avec le mois de janvier, tandis qu’au XIIIe siècle, et jusqu’à la réforme du calendrier, sous le règne de Charles IX, l’année civile ne s’ouvrait qu’à Pâques. La coutume de sculpter des zodiaques aux façades des églises remonte aux premiers siècles chrétiens. On en trouve un sur les murs de marbre de l’ancienne cathédrale d’Athènes. L’Italie en possède un très-grand nombre en sculpture, en peinture et même en mosaïque. En France, il est peu d’églises d’une certaine importance qui n’en présentent au moins un. L’église de Saint-Denis en avait un en mosaïque, un autre gravé en creux sur les dalles des chapelles absidales, et un troisième en bas-relief sur sa façade. Le dernier subsiste ; il est aussi resté quelques fragments des deux autres. À Notre-Dame, il se pourrait faire que le sculpteur n’ait pas seulement voulu s’assujettir à une tradition généralement suivie, mais encore convoquer la nature entière au triomphe de la Vierge.


  1. Ce dragon a une tête de femme, deux pattes armées de griffes, deux ailes. Sa longue queue écaillée se développait autour du tronc d’un pommier chargé de fruits.
  2. Saint Denis est souvent sculpté ou peint de cette manière sur les façades et dans les vitraux, du XIIIe au XVIe siècle. D’après la légende, des anges l’assistaient, tandis qu’il cheminait portant sa tête entre ses mains.
  3. La scène se passe, en effet, au moins dans un des bas-reliefs, sur un fond de ciel étoilé. Les anges sont en vêtements longs ; leur main droite tient une lance ; la gauche s’appuie sur un bouclier. Des deux démons terrassés, l’un a la forme d’un singe, l’autre celle d’un reptile ; ils ne sont pas de taille à faire la moindre résistance.
  4. Nous croyons que ce bas-relief représentait la sainte rendant la vue à sa mère. On attribue cette guérison miraculeuse à l’eau d’un puits qui est encore en vénération dans le bourg de Nanterre. Un puits se voit, en effet, dans notre sculpture.
  5. Afin de trouver un sens à ce support, on a prétendu que l’ancienne statue était celle du diacre saint Vincent et non celle d’un roi. Mais le témoignage de l’abbé Lebeuf est trop affirmatif pour qu’on puisse l’attaquer.
  6. Sculpture très-endommagée. Le Verseau devait tenir une urne d’où les eaux s’échappaient en abondance.
  7. Les représentations de la Mer et de la Terre sont expliquées et gravées, Annales archéologiques, t. IX.