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Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris/Sépultures ; tombeaux

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Sépultures ; tombeaux.

Les nefs, le chœur et les chapelles de Notre-Dame étaient autrefois pavés de pierres tombales ; on y lisait les inscriptions, on y contemplait les effigies gravées des personnages les plus illustres de l’Église et de l’État. Dans quelques lieux privilégiés, des monuments s’élevaient au-dessus du sol, et portaient des statues de marbre, de pierre ou de bronze. C’était un émouvant et solennel spectacle que celui de tous ces morts déposés là jusqu’au dernier jugement. Comme le chantait Dante, au XIIe livre de son Purgatoire : « Les tombes construites au pavé des églises montrent le portrait des ensevelis, tels qu’ils étaient jadis afin que leur mémoire demeure, si bien qu’on se prend maintes fois à pleurer, tout poigné par ce souvenir, qui ne fait sentir son aiguillon que dans les cœurs pieux. » Les architectes du roi Louis XIV furent les premiers à porter la main sur les sépultures du chœur pour substituer aux tombes des évêques et des grands de la terre un carrelage de marbre, dont la riche contexture n’est faite que pour la distraction des yeux. La simple nomenclature des personnages dont les cendres furent troublées et les monuments à jamais détruits, en dira plus que toutes nos paroles. On fit alors avec une certaine apparence de respect et de convenance, ce que firent plus tard les révolutionnaires dans l’accès de la fureur. Chacun des personnages dont les noms suivent, avait dans le chœur son effigie ou son épitaphe. Princes et princesses : Philippe, archidiacre de Paris, fils du roi Louis VI, 1161 ; Geoffroy, duc de Bretagne, fils du roi d’Angleterre, 1186 ; Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe-Auguste, 1189 ; Louis de France, dauphin, fils de Charles VI, 1415 ; Louise de Savoie, mère de François Ier, 1531 (son cœur) ; le roi Louis XIII, 1643 (ses entrailles). — Évêques de Paris : Eudes de Sully, 1208 ; Étienne II, dit Tempier, 1279 ; le cardinal Aymeric de Magnac, 1384 ; Pierre d’Orgemont, 1409 ; Denis Dumoulin, patriarche d’Antioche, 1447. — Archevêques de Paris : Pierre de Marca, 1662 ; Hardouin de Péréfixe, 1671 ; François de Harlay, 1695 ; enfin un archevêque de Sens, qui était en même temps grand aumônier de France, Renaud de Beaune, mort en 1616. Des procès-verbaux, dressés au moment même de la démolition des tombeaux, révèlent une foule de faits curieux sur l’état des sépultures et sur les objets précieux qu’on y recueillit. De 1771 à 1775, tout le sol de la nef, de ses bas côtés, du transsept et des collatéraux du chevet fut réparé en grands carreaux de marbre blanc et bleu. Cette opération, qui occasionna une dépense de plus de trois cent mille livres, entraîna la destruction des innombrables pierres tombales qui composaient l’ancien dallage et qui portaient presque toutes des effigies gravées en creux[1]. On débita ces pierres pour en tirer parti ; il s’en rencontre des fragments jusque sur les terrasses des chapelles et sur les galeries des tours. Quelques débris en ont été aussi retrouvés dans des tas de décombres. Les seules inscriptions à peu près complètes qu’on ait pu rassembler, sont celles de Jean Deslandes, chanoine de Notre-Dame, conseiller maître en la chambre des comptes de Paris, mort en 1437, et du chapelain, Pierre Bonny, qui fonda en 1562, des prières pour le repos de son âme et pour le salut de son oncle, André Bérard. Pierre Bonny est représenté assisté de saint Pierre, son patron, et priant une Vierge de pitié.

De toutes les statues d’évêques autrefois si nombreuses à Notre-Dame, il ne reste plus que l’effigie en marbre de Simon Matiffas de Bucy, mort en 1304. Arrachée du tombeau qui la supportait, au commencement de la révolution, elle fut reléguée dans une cave de la sacristie, d’où elle n’est sortie que depuis peu de temps. Elle sera bientôt réintégrée dans la chapelle que Matiffas fonda au rond-point de l’abside. Une grande tombe de pierre sculptée en relief, autrefois placée dans une des chapelles du chœur, sur la sépulture d’Étienne Yver, licencié en droit canon, chanoine de Paris et de Rouen, archidiacre du pays de Caux, conseiller au parlement, mort le 24 février 1467, s’est aussi conservée presque sans mutilation, et se voit aujourd’hui sous la tour du nord, à l’entrée du collatéral de la nef. Le travail n’est pas des meilleurs ; mais la composition offre quelque intérêt. Au bas de la dalle, le chanoine est étendu sur un sépulcre, livré en pâture aux vers. Un peu plus haut, il sort à moitié du tombeau, les mains jointes, assisté de son patron, saint Étienne, et de saint Jean l’Évangéliste. Plus haut encore, dans une gloire flamboyante, entourée d’anges, apparaît le Christ assis, à moitié nu, le front couronné d’épines, les épaules couvertes d’un manteau, les pieds posés sur le globe du monde ; sa main droite bénit ; sa gauche tient un livre ouvert ; son nimbe est croisé ; deux épées lui sortent de la bouche. Des inscriptions latines se lisent sur les deux tombeaux, sur une banderole qui part de la bouche du chanoine ressuscité, sur le livre du Christ, et dans la partie supérieure de la pierre. Ce sont, avec l’épitaphe du défunt, des textes pieux extraits des livres saints.

Tous les autres monuments funéraires de Notre-Dame ont été détruits ou du moins enlevés de l’église, à l’exception du mausolée du comte d’Harcourt, et de l’épitaphe sur marbre blanc du célèbre archevêque Christophe de Beaumont, mort en 1781. Henri-Claude d’Harcourt, lieutenant général des armées du roi, mourut en 1769. Sa veuve lui fit sculpter un monument de marbre par Pigalle. C’est un groupe de très-mauvais goût ; le défunt, à la voix de sa femme, soulève la pierre de son tombeau et s’efforce de se débarrasser de son linceuil ; mais la mort, représentée par un affreux squelette, refuse de rendre sa proie.

Le musée des Petits-Augustins avait recueilli les statues agenouillées en pierre peinte de Jean Juvénal des Ursins, chevalier, baron de Trainel, conseiller du roi, mort en 1431, et de sa femme, Michelle de Vitry, qui lui survécut vingt-cinq ans ; un grand et précieux tableau du même temps, représentant une fois encore ces deux personnages, et tous leurs enfants ; les mausolées avec effigies en marbre d’Albert de Gondi, duc de Retz, maréchal de France, et de son frère, Pierre, cardinal de Gondi, évêque de Paris, morts, le premier en 1602, le second en 1616 ; une longue inscription moderne à la mémoire des derniers descendants de Juvénal des Ursins ; un squelette en albâtre, originairement placé au cimetière des Innocents. C’est au musée historique de Versailles qu’il faut aller chercher maintenant les statues des deux Gondi et celles de la famille des Ursins. Le squelette est resté à l’École des beaux-arts établie sur l’emplacement de l’ancienne maison des Petits-Augustins ; le marbre de l’inscription que nous venons de citer a été employé comme revêtement dans les bâtiments neufs. Enfin, le tableau qui représente, agenouillés dans une galerie gothique, Juvénal des Ursins, Michelle de Vitry, leurs quatre filles et leurs sept fils, parmi lesquels un évêque de Laon, un chancelier de France et un archevêque de Reims, a été jugé digne des honneurs du Louvre ; il a pris rang parmi les plus anciens modèles de la peinture française.

Deux monuments ont été consacrés dans les chapelles absidales aux archevêques Antoine-Éléonor-Léon Leclerc de Juigné, mort en 1811, et Jean-Baptiste, cardinal de Belloy, mort en 1808. Dans le croisillon septentrional, au pied de l’autel de Saint-Marcel, une inscription indique le lieu où repose le cœur de l’archevêque Alexandre-Angélique, cardinal de Talleyrand-Périgord, qui mourut en 1821. En ce moment même, M. Auguste de Bay sculpte, dans une des chapelles du chevet, située entre les deux entrées de la sacristie neuve, le mausolée que l’Assemblée nationale vota, en 1848, avec acclamation, pour honorer à jamais le dévouement de Mgr. Denis-Auguste Affre, tombé si glorieusement au milieu des barricades du faubourg Saint-Antoine, martyr de son zèle apostolique.

Une crypte fort petite fut creusée en 1741, vers le milieu du chœur, pour servir de sépulture commune aux archevêques. Les mausolées, érigés aux derniers prélats dans les chapelles, n’étaient que des cénotaphes. Nous avons dit ailleurs comment on découvrit, en préparant le caveau sépulcral, les antiques autels des Nautes parisiens. Les quatre archevêques dont nous avons cité les monuments dans le paragraphe qui précède, reposent ensemble dans cette crypte. Hyacinthe-Louis de Quélen, de vénérable mémoire, mort en 1839, y fut également inhumé : mais rien jusqu’à présent ne rappelle son souvenir dans cette église où il a siégé si longtemps au milieu de circonstances si difficiles. Le caveau des archevêques est d’une très-petite étendue et d’une disposition incommode ; il sera prochainement agrandi. Nous sommes persuadés qu’on retrouvera sous le pavé du chœur une foule de débris précieux, quand on l’aura enlevé pour fouiller le sol.

Au seuil de la plupart des chapelles, on remarque des entrées de caveaux fermés par des dalles. Quelques-uns de ces souterrains contiennent encore des ossements, entre autres ceux des chapelles d’Harcourt et des Ursins. En 1766, une vaste crypte fut disposée pour les chanoines, sous le sol de la nef, depuis le pied des tours jusqu’au transsept. Trois trappes de bois, autrefois recouvertes de cuivre, en marquent les ouvertures sous les arcs latéraux[2]. On y précipita, en 1793, une quantité de décombres, parmi lesquels il pourra se trouver des choses intéressantes.


  1. Quelques tombes de cuivre avaient été déjà fondues plusieurs années auparavant, et le métal avait servi à la confection du lutrin.
  2. Voir, pour tous les anciens monuments funéraires de Notre-Dame, en textes et dessins : à la Bibliothèque impériale, le