Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre I/Paragraphe 7

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§. VII. Des ruines de l’ouest, et de celles qui sont sur la rive opposée du fleuve.

On est toujours surpris, en approchant de la plupart des ruines égyptiennes, de ne leur point trouver ces marques de vétusté qui caractérisent dans nos climats les anciens édifices les pierres n’en sont point usées, noircies, cassées ; les joints n’en sont point éclatés ni ouverts ; et, après un aussi grand laps de temps, les monumens conservent encore un air de nouveauté.

L’édifice dont nous allons parler présente ce double aspect de la jeunesse et de la vétusté. Il n’en reste plus qu’une salle ; encore un des murs est-il abattu, et cependant les pierres en sont blanches les peintures fraîches et bien conservées.

Quelques restes de murailles, quelques ruines près de cette salle, surtout vers le nord, prouvent qu’elle a fait partie d’un monument plus considérable ; mais il est impossible d’en retrouver aujourd’hui le plan et l’étendue.

Quand on sort du grand temple par sa porte latérale, on se trouve presque en face de la salle dont nous parlons, et l’on y entre par le côté dont le mur est abattu. Le mur opposé, qui est parallèle au bord de l’île, est ouvert par une grande porte qui donne immédiatement sur le quai, et qui forme, pour le spectateur, comme un grand cadre au travers duquel il aperçoit le fleuve, les rochers de la rive opposée, et les palmiers qui croissent à leur pied. À gauche, une autre porte, qui communiquait probablement à d’autres salles de l’édifice, laisse également voir au midi le fleuve et les rochers qui le bordent. Cette salle forme ainsi une espèce de belvédère dont les points de vue sont grands et pittoresques. Les sculptures qu’elle renferme offrent beaucoup d’intérêt.

Un bas-relief placé à droite en entrant représente Osiris sous la forme d’un épervier, plusieurs personnages en adoration devant lui, et Thot écrivant de nombreuses colonnes d’hiéroglyphes. Sur le mur à gauche et au-dessus de la porte latérale, on voit cette scène relative à la mort d’Osiris, que nous avons annoncée dans le §. II. Le dieu, couché sur un crocodile qui représente ici Typhon, le génie du mal, est emporté par lui dans les marais figurés par des joncs. Plusieurs attributs environnent cette scène ; mais on doit surtout y distinguer un disque qui ne peut représenter que le soleil, un croissant qui est certainement l’image de la lune, et plusieurs étoiles rangées entre eux. Nous n’avons revu nulle part ailleurs rien qui eût quelque analogie avec cette représentation.

Parmi les divers personnages qui s’avancent vers le dieu, on en voit d’abord un qui semble se purifier en recevant de l’eau sur les mains ; puis un second qui tient une tablette et un style, et se prépare à écrire ; enfin, un troisième portant sur son épaule un sarcophage, celui, sans doute, qui est destiné à renfermer le corps d’Osiris. On peut faire, à l’égard de la première de ces trois figures, un rapprochement qui ne sera pas sans quelque intérêt. On remarque, à l’extérieur de plusieurs temples, des déversoirs comme celui que nous avons décrit au temple de l’ouest : ils sont décorés par un lion qui s’avance hors du mur de la moitié de son corps ; ses pattes sont placées à la manière de celles des sphinx, et entre elles se trouve la rigole située au niveau de la terrasse du temple. Comme de semblables conduits placés de la sorte n’auraient d’autre usage, dans nos climats pluvieux, que de faire écouler l’eau qui tomberait sur la terrasse, et que l’analogie est toujours la première règle du jugement, on est porté naturellement à penser qu’ils étaient aussi en Égypte destinés au même usage ; mais peut-on présumer que, dans un pays où il se passe souvent plusieurs années de suite sans qu’il pleuve une seule fois, ces conduits fussent destinés à l’écoulement de l’eau des pluies ? Si telle était leur destination, pourquoi tous les temples n’en auraient-ils pas été pourvus, et pourquoi n’en verrait-on pas à d’autres édifices qu’aux temples ? Il me paraît bien plus probable que leur objet était de verser l’eau nécessaire aux ablutions et aux purifications que la religion prescrivait dans certains cas : cette eau qui jaillissait du temple même, en semblait plus mystique et plus efficace. Dans le bas-relief que nous décrivons, on voit en effet l’image d’un temple avec un déversoir décoré de la figure d’un lion ; un personnage est placé au-devant, et reçoit sur ses mains l’eau lustrale, qui, à la vérité, sort de la gueule du lion, au lieu de s’échapper d’entre ses pattes. Enfin, ce qui vient encore à l’appui de notre sentiment, ce qui confirme du moins l’opinion que ces conduits n’étaient pas destinés à rejeter l’eau des pluies, c’est que celui du temple de l’ouest, au lieu de la verser au dehors de l’édifice, l’aurait fait couler sous la galerie.

Il eût été bien intéressant, pour la connaissance de la religion égyptienne, de posséder en entier une scène aussi importante que celle de la mort d’Osiris ; mais la sculpture de cette scène n’a jamais été achevée, et tout ce qui en existe a été recueilli. Il reste aussi dans cette salle plusieurs bas-reliefs qui n’ont jamais été terminés ; de grandes parties de murs sont demeurées lisses, ou ne portent que les saillies destinées à la sculpture. Mais, quoique cette salle n’ait jamais été finie, il est permis de conjecturer, d’après les scènes qu’on y voit, qu’elle devait être un des édifices de l’île les plus sacrés ; c’est ce que confirme encore le grand nombre d’inscriptions en caractères cursifs égyptiens que l’on y a tracées, et dont nous avons déjà parlé dans le §. II. Il semble que cette salle était un lieu de pélerinage, où les voyageurs pieux aimaient à inscrire leurs noms, et peut-être les motifs de leurs voyages. Ce que l’état de cette salle non achevée offre de plus remarquable, c’est qu’à côté d’une figure à peine ébauchée, on en voit d’autres entièrement finies et déjà peintes de toutes leurs couleurs. Ainsi, il paraît qu’aussitôt qu’une figure était sculptée, on s’empressait de la colorier. Il est vrai que l’on pourrait imaginer les raisons particulières pour lesquelles on aurait suspendu la sculpture de l’édifice, et seulement achevé de peindre les parties sculptées ; mais, comme la même singularité se retrouve en plusieurs autres lieux, on peut regarder comme certain que l’on peignait une figure dès que la sculpture en était finie, sans attendre que toutes les figures de la même salle, que toutes celles du même tableau fussent sculptées.

Quant aux motifs qui ont pu faire qu’un édifice si antique n’ait jamais été terminé, ils sont sans doute les mêmes que ceux qui, parmi nous, font que nos plus beaux édifices sont souvent restés imparfaits ; et comme nous en voyons de très-anciens qui n’ont point été sculptés ni même construits entièrement, tandis que d’autres plus modernes sont finis dans toutes leurs parties, on ne peut guère, ni en Égypte, ni ailleurs, conjecturer l’âge des monumens d’après la plus ou moins grande quantité de travail qui est demeurée sans être faite : il n’y a, au reste, qu’un bien petit nombre de monumens que l’on ait totalement terminés.

Tout près de l’édifice dont nous venons de décrire les ruines, est un escalier qui n’est pas moins ruiné que lui. Il était construit en dehors contre le mur du quai, et conduisait de l’île au fleuve. En face de cet escalier et sur la rive opposée du Nil, on en voit un autre tout semblable qui conduisait également du Nil sur le sol voisin c’est là que l’on trouve quelques ruines égyptiennes de peu d’importance et dont nous allons parler en peu de mots. Elles consistent principalement dans cet escalier du bord du fleuve et dans les restes de quai qui l’avoisinent puis, dans un autre escalier, en forme de perron, conduisant vis-à-vis d’une grande porte autrefois carrée, mais à laquelle on a, dans les temps modernes, ajouté un cintre en pierre d’une assez mauvaise exécution, et fort semblable aux constructions que l’on attribue aux Chrétiens qui habitèrent long-temps la Thébaïde enfin, dans les vestiges d’un petit temple placé au-delà de cette porte. Il ne reste plus de ce temple que les quatre colonnes du portique dont deux seulement sont entières, et portent leur chapiteau qui est en forme de vase. On voit encore entre elles les murs d’entre-colonnement et les pieds-droits de la porte d’entrée. Des débris et des décombres forment autour de cette ruine un monticule assez considérable.