Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre VIII/Paragraphe 4

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§. iv. Du bassin d’Hermonthis.


Au commencement de cette description, j’ai dit qu’il y a au midi du temple un bassin antique, revêtu en pierres. L’axe de ce bassin répond au milieu de la longueur totale de l’édifice[1]. On y descendait par des escaliers situés aux quatre angles. Quand on vient du temple, il faut descendre d’abord un premier escalier ou perron d’environ un mètre de haut ; la plate-forme où le temple est bâti, est élevée d’autant au-dessus du bassin : ce perron a quatre mètres et demi de largeur.

La longueur du bassin est d’environ trente mètres[2], et sa largeur d’environ vingt-six mètres[3] ; sa construction est visiblement de main égyptienne ; mais son état actuel représente mal cet ancien nilomètre que l’on dit avoir existé à Hermonthis. La colonne qui en occupait le centre, et que des voyageurs modernes prétendent y avoir vue, n’a pas laissé de vestiges. Ainsi l’on ne peut y découvrir aucun indice des hauteurs successives auxquelles s’est élevée l’inondation du Nil depuis les temps antiques, résultat qui serait si précieux pour la connaissance de l’exhaussement de la vallée et du lit du fleuve.

Au milieu du bassin, il y a une mare assez profonde, où l’eau arrive encore aujourd’hui, sans doute par filtration. Les femmes y lavent leur linge, et les bestiaux s’y abreuvent. Les escaliers des angles sont fort dégradés et encombrés : à l’un d’eux, qui est mieux conservé que les autres, on a compté dix-sept marches ; mais il est probable qu’il y en avait bien davantage, car ces dix-sept marches ne feraient au plus que six à huit pieds de profondeur. Il y a bien loin de là aux trente coudées dont le Nil s’élevait dans le nome d’Hermonthis, au rapport d’Aristide le rhéteur[4]. Je ne veux pas rechercher ici ce qu’il faut penser de cette assertion, qui est contredite par Aristide lui-même, lorsqu’il rapporte qu’à Coptos le fleuve s’élevait de vingt-une coudées, et à Éléphantine de vingt huit ; mais, quand on n’en compterait que vingt-deux au nilomètre d’Hermonthis, le fond du bassin aurait dû encore être à plus de dix mètres[5] au-dessous du bord, sans même tenir compte de l’exhaussement du sol.

Ce bassin doit donc être encombré d’au moins vingt-trois pieds ; mais je n’ai pas besoin d’avertir que cet encombrement est local et accidentel, et qu’il n’a rien de commun avec l’exhaussement que les dépôts du Nil ont opéré. Il suit de là que les escaliers ne devaient pas finir au milieu de chaque face du bassin[6] ; et il paraît qu’ils occupaient toute la longueur des faces, car dix mètres de haut supposent environ quatre-vingts marches ; et comme on ne peut guère supposer moins de trois décimètres ou un pied de largeur à chacune, il en résulte vingt-six mètres ou quatre-vingts pieds, qui font précisément la largeur du bassin.

La distance assez grande[7] qu’il y a entre le Nil et ce bassin pourrait d’abord faire douter qu’il ait vraiment servi de nilomètre ; en second lieu, aucun auteur ancien ne dit positivement qu’il y en ait eu à Hermonthis : il n’existe de passage à ce sujet que celui d’Aristide que je viens de citer[8] ; mais le fleuve pouvait arriver jadis par un canal jusqu’à cette ville. En outre, nous avons observé que le courant du Nil se porte de plus en plus vers la rive droite dans toute la haute Égypte ; peut-être autrefois coulait-il plus près d’Hermonthis : d’ailleurs, Aristide aurait-il pu connaître l’élévation du Nil dans cette province sans une échelle nilométrique ? Il faut se rappeler aussi que dans les villes de Memphis et d’Héliopolis, où le taureau était consacré, il existait des nilomètres. Jablonski a déjà montré le rapport qu’il y a entre le nom du bœuf Apis et celui des colonnes destinées à mesurer le Nil. Ainsi la tradition qui place un nilomètre à Hermonthis, où le bœuf était également consacré, reçoit de là une grande confirmation.

Je finirai cet article par une observation qui n’est pas sans importance. Les hautes eaux ne s’élèvent aujourd’hui qu’à environ sept ou huit pieds au-dessous du bord du bassin : si l’on y ajoute ce dont le sol s’est exhaussé depuis l’antiquité, et la hauteur d’environ trois pieds dont la plate-forme du temple est élevée au-dessus du bassin, on voit combien les architectes qui ont construit ce temple avaient pris soin de l’élever au-dessus du niveau de l’inondation.

  1. Voyez pl. 97, fig. 9.
  2. Quatre-vingt-treize pieds.
  3. Quatre-vingts pieds.
  4. Aristid. in Ægyptio.
  5. Trente-un pieds. Voyez le Mémoire sur le système métrique des anciens Égyptiens, où j’expose quelques résultats sur les mesures du nilomètre et du temple d’Hermonthis.
  6. La gravure représente l’état actuel des choses.
  7. Un kilomètre, ou cinq cents toises.
  8. Voyez les notes de M. Langlès sur le Voyage de Norden.