Description de la Forêt noire/7

La bibliothèque libre.
Traduction par Anonyme.
chez les veuves sulamites, aux petits appartements de Salomon (A. Boutentativos). (p. 49-59).

CHAPITRE VII.
Des raretés, curiosités du pays, etc,

La grande rivière dont nous avons déjà parlé au chap. V, est vraiment remarquable. Son eau est chaude et saumache ; elle n’a pas un cours réglé comme les autres rivières, mais elle s’arrête plusieurs heures par jour par le moyen d’une écluse qui s’élève et s’abaisse sans observer aucun période fixe. Plus elle a été long-temps retenue captive, plus elle coule ensuite avec rapidité. Cette rivière semblable à la Nesse en Ecosse, et au lac de Drontheim en Norvège, ne glace jamais dans le plus grand froid, et ainsi que le fleuve d’Adonis, près Byblus en Phénicie, il y a des temps où ses eaux paroissent toutes rouges, comme encore nous le lisons au journal de Mandrel, d’Alepp à Jérusalem.

Quelques cultivateurs expérimentés ont prétendu connoître à la seule inspection d’une bouteille de l’eau de cette rivière, les propriétés ou les défauts du terrein au bas duquel on l’avoit puisée ; la crédulité du peuple a souvent été dupe de ce charlatanisme, on en revient, tous les jours : cependant il faut convenir qu’on en peut acquérir quelques lumières générales sur la variation du climat ; par exemple, l’eau est-elle trouble ? vous êtes presque assuré d’une grande chaleur intérieure dans le centre et d’une tempête qui se prépare.

Mais quelque claires que puissent être ces eaux, elles ne sont jamais assez pures pour pouvoir servir aux ablutions ; au contraire, on s’occupe souvent à laver les bords du lit par où elles ont coulé ; on craint d’y tremper même le bout du doigt, et ce n’est qu’avec déplaisir qu’on s’apperçoit en être un peu mouillé.

Le canal, dont on vous a donné connoissance au chap. III, mérite bien aussi d’être rangé au nombre des curiosités du pays, non-seulement à cause de sa singulière profondeur, mais pour une autre particularité non moins surprenante. Différent d’un lac de la Chine, sur lequel on excite des tempêtes en y jettant la moindre chose, on appaise les plus violentes de celui-ci, en y plongeant un rejetton de sept à huit pouces de la plante coralline dont nous avons parlé précédemment. Ce canal répond parfaitement à la description donnée dans l’atlas d’un certain lac près de Besse en Brétagne, qui est si profond que la sonde la plus longue n’a pu le mesurer, et près duquel on entend quelquefois sortir d’un trou un bruit semblable au tonnerre.

Nous compterons encore parmi les curiosités du Merryland, un petit mont qui lui confine. Semblable aux montagnes de Savoie, lorsqu’il a neigé dessus, il grossit considérablement pendant quelques mois consécutifs, après quoi il diminue subitement, et revient au même état où il était auparavant, à cela près que sa surface est un peu moins unie. Cette augmentation de volume est l’annonce d’un jour qui sera pénible à passer. Bien des gens qui ne tiennent pas leur ferme à bail par devant notaire, prennent l’alarme lorsqu’ils voyent grossir la montagne, quittent ce pays et laissent tranquillement baisser l’enflure ; d’autres moins timides se donnent beaucoup de soins pour ce jour-là, et en font même un jour de fête et de dépenses.

J’aime sur-tout deux autres petites éminences appellées[1] t. t. n. s. qui sont à égale distance du Merryland à droite et à gauche. Elles en sont si voisines, qu’on les regarde comme ses dépendances. Ces deux monticules sont exactement semblables, séparées l’une de l’autre par une jolie vallée. Sur la partie la plus élevée de chacune, vous appercevez un petit espace bombé, dont le sol est communément couleur de rose tendre ; au milieu vous trouvez une petite ouverture d’où sort une liqueur salutaire à l’enfance. Ces sources sont souvent à sec, elles ne coulent presque jamais, lorsque la montagne s’enfle, et elles sont sujettes à ses divers changemens ; de sorte que ce n’est pas sans raison que les naturalistes ont imaginé qu’il devoit y avoir communication entr’elles. Mais après tout cela, rien ne mérite autant notre attention qu’un petit animal connu sous le nom de[2] M. m. b. v. r. l. On le voit souvent chercher à plonger dans le grand canal ; c’est l’endroit où il se plaît davantage. Il est si joli, qu’il mérite bien ici une description particulière, quoique nous en ayons déjà parlé, malgré qu’il ne soit pas grand, je puis dire de lui comme du Léviathan « je ne tairai ni ses parties, ni sa belle taille, ni son pouvoir ; il fait bouillonner la mer comme un pot ; c’est le roi, le premier des enfans de l’orgeuil ».

Quoiqu’il n’ait ni pieds, ni jambes, la force de ses muscles érecteurs est telle qu’il se dresse facilement sans cela. Le savant médecin et philosophe docteur Cheyne semble l’avoir eu en vue, quand il a dit ; « Le corps de l’animal n’est autre chose qu’un tuyau, une machine hydraulique remplie d’une liqueur de même nature que celle que les parens y ont versée, changée en grande partie, (peut-être en tout) par la nature des alimens dont il s’est nourri ».

Malgré qu’il n’existe que des mâles de cette espèce, ils réussissent cependant assez généralement à la multiplication de leur être. Cela ne peut manquer de paroître étrange à ceux qui, grossièrement enfermés dans la matière, ont une pénétration bornée, qui ne devine rien, est à tout instant embarrassée dans les preuves, et s’en tient à la façon dont nous sommes procrées. Mais que quelqu’un veuille consulter l’auteur déjà cité, il lui prouvera par les régles de la plus parfaite logique, qu’il faut croire qu’autrefois, primordialement, il n’y avoit point de différence de sexe chez les humains ; parce qu’enfin quand les choses seront retournées à leur premier état, il n’y en aura plus, et qu’il est d’ailleurs fort probable que la femelle n’est qu’une seconde intention et comme un appui à un édifice qui menace ruine.

Ces animaux sont de différentes grandeurs ; il n’y a cependant entr’eux que quelques pouces de plus ou de moins. Ceux dont la taille est prodigieuse dans leur espèce, sont très-estimés ; un seul a quelquefois fait la fortune d’un honnête homme par la rétribution qu’il en retiroit, en le montrant comme une pièce curieuse. Les personnes connoisseuses regardent cependant comme les plus vigoureux ceux qui sont de taille moyenne : c’est ainsi que les grenadiers d’un régiment ne peuvent fournir d’aussi longues marches que le reste d’un bataillon qui, ayant les nerfs moins allongés, conserve plus long-temps la force du ressort. Vous m’avouerez cependant qu’un de ces animaux, d’une riche taille, fait du moins bien plaisir à voir, du moins à une moitié du genre humain.

Il est encore à remarquer que ces animaux, soit qu’ils dorment ou veillent, lorsqu’ils ont la tête baissée, diminuent de près des deux tiers en longueur et en grosseur ; ils deviennent flasques et sont alors fort doux. On a peine à croire que ce soient les mêmes qui étoient si fiers auparavant, et avoient un petit air menaçant qui ne leur alloit pas mal. Souvent même on désespère en les voyant dans un si pitoyable abattement, qu’ils n’en puissent jamais revenir ; mais lorsqu’ils sont jeunes, ils ressuscitent au moindre toucher, relevent la tête et font alors grand plaisir, sur-tout aux femmes, par cette contenance majestueuse et imposante.

Qu’il me soit permis de citer encore une fois mon auteur qui dit : « Ce corps animal divinement organisé, peut être plié, replié, contracté, resserré dans une infinité de petits punctum saliens et de miniatures, et par une série progressive, dans le temps nécessaire, il se trouve nourri et augmenté des sucs de la femelle ».

Rien n’est plus ardent à poursuivre sa proie que ces animaux ; lorsqu’ils la découvrent, ils la chassent avec constance, la forcent avec une espèce de fureur. Ils n’ont point d’yeux, mais l’instinct leur suffit pour leur faire enfiler le droit chemin. Ils ont le nez camard ; c’est pourtant avec cela qu’ils débouchent plusieurs choses. Tout leur corps est diversement coloré ; mais la tête est vermeille et fort douce au toucher ; ils la tiennent presque toujours enfoncée dans une espèce de capuchon (dont quelques-uns sont cependant privés) ils ne l’en sortent guères que pour chasser et dévorer leur proie ; après quoi ils la retirent comme le limaçon fait rentrer la sienne dans sa coquille, lorsque quelque objet frappe ses cornes. Enfin ils n’ont point d’os et sont tout muscles, cartilages et chair. Leurs glandes expriment une liqueur qui est un spécifique connu pour certaines maladies ; et ce remède est si doux à prendre, que le palais le plus délicat le goûte avec plaisir, et n’y sauroit trouver aucune amertume ; l’homme le moins expérimenté, un jeune garçon, par exemple, peut l’administrer aux femmes avec le plus grand succès.

Nous venons de traiter le physique du Merryland, nous nous flattons que ces détails l’auront assez fait connoître ; passons maintenant au moral.

  1. Tetons.
  2. Membre Viril.