Description du département de l’Oise/Maignelay

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P. Didot l’ainé (1p. 242-253).

MAIGNELAY.


Maignelay, bourg et terre d’un très grand revenu, possédée autrefois par des seigneurs qui n’avoient pas d’autre nom, a passé dans la maison d’Halluin.

Le marquisat de Maignelay, composé de seize ou dix-sept villages, fut érigé en duché-pairie l’an i586, sous le titre d’Halluin, par Henri III, en faveur des sieur et dame de Maignelay, en considération des services rendus par la maison de Pienne et par la maison d’Halluin.

Le château de Maignelay étoit jadis un château fort ; ce qu’on reconnoît aux débris de tours, aux larges fossés, aux épaisses murailles qui l’environnent. Au milieu d’une cour est un vaste bassin, présentement à sec ; l’eau s’y rendoit de Coivrel, et formoit une fontaine publique : il fut rétabli de 1767 à 1768 par M. le duc d’Estisac, pere de M. de Liancourt : des pilastres d’ordre corinthien, de grandes arcades, deux rangs de colonnes massives, une salle décorée d’arcades et de colonnes, un pont-levis, annoncent l’ancienne opulence de ce château.

Dans la partie détruite à droite se trouvoit une tour fort élevée ; sur la plate-forme étoient deux statues de plomb de huit à neuf pieds de hauteur ; c’étoit Judith coupant la tête d’Holopherne : on voyoit ce monument de Noyon ; il dépassoit la hauteur du clocher.

Les possesseurs de cette belle propriété ont été les Tristan[1], connus sous le nom de Maignelay ; les Halluin, les Schomberg, leurs héritiers, madame de Clermont-Tonnerre, le marquis de Longeval[2], de qui M. de Larochefoucauld l’acheta.

Le portail de l’église est assez élégant ; autour de la porte, formée d’un arc à plein cintre, circulent des branches de vignes et des grappes de raisins ; le bénitier est un chapiteau de colonne corinthienne ; le baptistere est d’une forme elliptique.

En 1794 on a détruit un superbe mausolée dans cette église : il avoit été érigé en l’honneur de Florimond d’Halluin, par Marguerite-Claude de Gondy, dame de Maignelay, fille du duc de Retz, son épouse. Florimond d’Halluin fut assassiné à la Fere, dont il étoit gouverneur en 1591, par Colas, vice–sénéchal de Montélimard, et lieutenant des gardes du duc de Maienne. Ce monument étoit fait en forme de tombeau, recouvert d’une grande table de marbre noir ; elle portoit la statue en marbre blanc de Florimond, vêtue d’une cuirasse ciselée, terminée par une large bande de cuir ou d’étoffe en forme de fraise très froncée retombant sur les reins ; d’un pantalon étroit ; une épée à fourreau rond, des brassards et des gantelets formés de lames fort étroites qui s’avançoient de quatre pouces au-delà du poignet, completoient son armure.

On voit dans cette église une Vierge tenant son fils mort sur ses genoux, et près du grand autel Magdeleine et S. Jean ; ces statues sont de marbre blanc.

Maignelay est une commune très commerçante et très active : sept ou huit taillandiers y jouissent d’une telle réputation qu’on vient de dix lieues à la ronde les employer à forger toute sorte d’ustensiles, des axes de meules sur-tout.

Trente ou quarante personnes s’occupent à fabriquer des cordes de tilleuls.

Les habitants de ce pays ont peu de propriétés foncieres, et peu de propriétés mobiliaires ; ils y suppléent par leur industrie : tous exercent une profession. Il y existe trois corroyeurs, qui chacun ont dans leur commerce de 15 à 20,000 liv ; les autres sont cordiers, cordonniers, marchands, etc., etc.

Maignelay est situé dans une plaine, dont l’air est vif et salubre, à deux lieues et demie de Mont-Didier, à cinq lieues de Clermont, à quatre de Breteuil, à quatre de Ressons.

On compte cinq cent deux arpents de bois dans ce canton.

Les terrains des diverses communes sont mélangés de terres fertiles, mais presque par-tout coupées par des ravines.

L’usage des prairies artificielles commence à s’établir dans ce pays.

On va chercher des cendres de tourbes jusqu’à Amiens, ou des cendres rouges à Rolat pour les répandre sur les terres.

Maignelay possede deux places publiques remarquables par leur grandeur : l’une d’entre elles, destinée aux jeux et aux danses, présente une surface de soixante-deux toises sur vingt-neuf ; elle est ornée de gazons, et de quatre rangées de hauts peupliers, qui forment trois vastes parallélogrammes ; elle communique par deux allées de pommiers au bois de Maignelay, qui n’en est éloigné que de cent toises ; ce bois, percé de longues allées, offre de charmantes promenades.

C’est dans ce bois que se voyoit un chêne de quatorze pieds trois pouces de tour, mesuré à quatre pieds de sa souche ; son fût étoit de vingthuit pieds sans branches ; sa cime énorme s’appercevoit de plus de huit lieues : il étoit le premier couvert de feuilles, il étoit le dernier à les perdre. Les vieillards assurent que ce bois possédoit environ trente arbres de cette grosseur, et qu’en 1720 ils furent abattus pour servir à la construction de l’abbaye de Saint-Just. C’est l’arbre dont j’ai parlé, qui fut vendu cent pistoles par M. de Liancourt.

Il n’y a dans ce canton d’autre riviere que le Dom, qui prend sa source dans les prés de Dom-front, au bas d’une petite côte qui sépare le territoire de cette commune de celui de Rubecourt, département de la Somme ; elle passe à Domelieu, dans Aiencourt patrie de la trop fameuse Frédégonde, à Mont-Didier ; delà se jette dans la Somme à Amiens.

Les puits de ce pays sont très profonds.

On conserve avec peine dans les chaleurs les mares établies dans chaque village.

Une fontaine à Coivrel, comme nous l’avons dit, fournissoit par un aqueduc des eaux au château de Maignelay.

La commune de Domfront est sujette aux plus grandes inondations à l’époque des dégels et de la fonte des neiges.

Les eaux pluviales des villages de Fretoy, de Ploiron, de Godenvillers, du Corel, du Petit-Crevecœur, de Ferrieres par Dompierre, de Plainville, de la Morliere, de Welle par Royaucourt, inondent cette malheureuse commune : ces inondations causerent des épidémies funestes en l’an a : en l’an 4 un fermier, surpris par l’arrivée subite des eaux, fut huit jours sans pouvoir sortir de son grenier. Le curage des fossés par les propriétaires riverains empêche à présent ce désordre.

Derriere l’église de Dompierre on voyoit, il y a quelques années, un petit ruisseau, nommé la Cressonniere, qui se joignoit aux eaux de Dom-front : cette source a disparu.

On extrait dans toutes les communes des pierres de marne ou craon, qui servent à construire la voûte des caves, les cheminées, et le fondement des maisons.

On tire la chaux de Mont-Didier ou d’Anseauvillers.

Un particulier avoit établi une briqueterie et un four à chaux à Maignelay, mais il a cessé ses travaux.

Les habitations rurales ont une recherche qu’elles n’avoient pas autrefois ; elles sont plus blanches dans l’intérieur, les croisées sont plus belles, plus grandes, les meubles sont plus propres. etc

Il y a deux foires par an à Maignelay ; on y vend de sept à huit mille moutons.

Aux marchés, qui se tiennent deux fois par semaines, on vend beaucoup de légumes, de grains, des toiles, des tricots, beaucoup de fils, qui servent à entretenir la fabrique de grosse toile de Brunvillers, commune du canton d’Anseauvillers.

Le sol du Petit-Crevecœur est rempli de cailloux. La côte, exposée au nord, ne peut produire que des sainfoins : la petite vallée au bas du village renferme quelques bonnes terres, mais en petite quantité ; elles sont souvent dégradées par les eaux abondantes qui descendent de la montagne.

Ce village est traversé par la chaussée qui conduit de S. Just à Mont-Didier.

Les habitants de ce petit pays sont à l’abri de la misere ; ils partagent leur temps entre la culture des terres et l’exercice d’un métier.

On trouve au sortir du village une place verte, qu’on vient déplanter en ormeaux.

Près de Ferrieres vingt-quatre arpents de vignes, produisent par hectare, année commune, quatorze pieces de vingt-quatre veltes, d’un vin médiocre, qui se consomme à Mont-Didier, à Mai-gnelay, à Tricot, et qui peut se conserver trois ans : il se vend de 30 à 50 liv. la piece.

Les plus anciens dénombrements de l’intendance d’Amiens désignoient Ferrieres comme réunissant cinq cents feux ; elle ne contient à présent que quatre cent trente individus. Il n’est pas rare de trouver dans un des clos de vignes qui descendent le long de la côte des caves et d’anciens fondements qui prouvent que cette commune avoit jadis une plus grande étendue. La dépopulation et la ruine de Ferrieres furent occasionnées par les guerres civiles, et par les droits féodeaux dont elle fut grevée ; voici le tableau singulier de ces droits :

1°. Les lods et ventes, réglés sur le pied du septieme de la valeur.

2°. Les bannalités de pressoir et de moulin.

3°. Le droit d’épaulage ; il se percevoit sur chaque porc tué dans la commune, dont l’épaule droite étoit due au seigneur.

4°. Le droit d’afforage, qui consistoit en deux pots de vin dus sur chaque piece de boisson mise en vente par les cabaretiers.

5°. Le droit de rouage ; il étoit dû huit deniers par chaque paire de roues qui exportoit du vin de la commune.

6°. Le droit de pulverage, appelé dans le pays vitrillage ; il étoit de 5 sous pour chaque cheval, âne ou mulet qui se vautroit dans la rue.

Tous ces droits étoient affermés aux gardes et perçus rigoureusement.

En 1760 on tenta de s’y soustraire ; mais le parlement de Paris confirma le seigneur dans la possession de ces droits : celui de vitrillage fut seul aboli.

La seigneurie de Ferrieres appartenoit depuis un temps immémorial à la famille des Lemaitre. Cette famille a fourni sous Henri II, François II, et Charles IX, un premier président au parlement de Paris ; il se nommoit Gilles Lemaitre. Jean Lemaitre en 1482, Gilles Lemaitre en 1540, Jean Lemaitre en 1589, furent avocats – généraux du même parlement.

On voit au coin d’une rue de Ferrieres une colonne qui jadis portoit une croix ; la date qu’on y lit encore est 1152.

Le pays de Dompierre est assez fertile ; il est sur la même côte que Petit-Crevecœur et Ferrieres, et comme eux exposé au midi.

On y cultive quarante hectares de vignes, produisant année commune quinze pieces de vingt-quatre veltes par hectare, d’un vin assez estimé dans le pays, mais de peu de vigueur.

Le château de Dompierre offre des vues très pittoresques. Les habitants de ce pays sont naturellement bons, avides de nouvelles, enclins à la paresse et au plaisir : ils vivent très misérablement.

Les hommes cultivent la vigne pendant que leurs femmes vont chercher dans les champs, et souvent jusque dans les bois de Maignelay, éloignés d’une demi-lieue, des herbes et de la mousse pour nourrir la vache qui les fait vivre.

Ils se procurent un peu de bled du prix de leur récolte en vin : si les vignes n’ont point rendu ils vont quêter au loin pour la subsistance de leurs familles. L’hiver les femmes travaillent dans les veillées ; les hommes s’excercent à différent jeux dans les rues, pour s’échauffer et ménager le bois.

La révolution, par la suppression des gabelles, des droits sur le vin, des fortes censives dont les vignes étoient grevées, donne à ces malheureux une vie plus douce : ils sont sincèrement attachés au nouveau régime.

Il regne dans cette commune un usage licencieux nuisible aux mœurs, et propre à engendrer des haines et des vengeances : l’ancienne police le toléroit sans doute dans la persuasion qu’il pouvoit être avantageux dans un pays où les maris, presque toujours absents pour mendier ou pour travailler, n’ont d’autres surveillants de la fidélité de leurs moitiés que l’influence de l’opinion et la crainte de l’ignominie. Le voici :

Se commet-il un adultere dans le cours de l’année, les deux parties sont citées au carnaval suivant devant la justice dite des fous : elles refusent d’obéir ; leur procès n’en est pas moins instruit par contumace en place publique pendant trois.dimanches consécutifs ; enfin, après avoir entendu les témoins et les défenseurs des accusés dans leurs plaidoyers burlesques, on les condamne à être brûlés solennellement le jour du mardi-gras.

Tous les citoyens des communes voisines qui ont des chevaux ou des mulets sont sommés à l’avance de se rendre avec leur monture sur la place au jour de l’exécution ; ils manquent rarement à l’appel, et il se trouve quelquefois à ces farces plus de quatre-vingts cavaliers. Dans la matinée les officiers de la justice des fous ne manquent pas de prendre chez les cabaretiers un à-compte sur le produit de la fête, et, par suite de la licence du jour, ils enlevent chez les cultivateurs des environs, des jambons et des morceaux de lard, qu’ils se contentent de payer en monnoie de carotte. Sur les onze heures les condamnés, représentés par des mannequins de paille, sont traînés dans un tombereau sur la place, après avoir parcouru toutes les rues ; ils sont affublés de façon à faire reconnoître les personnages : l’homme porte d’une maniere très saillante les attributs de Priape ; la posture de la femme n’est guere moins obscene : on les brûle enfin. Toutes les femmes du pays s’empressent d’assister à cette scene révoltante, et croient donner une preuve d’autant plus convaincante de leur fidélité qu’elles déchirent plus inhumainement leur infortunée compagne.

Quand le mari n’a pas le talent de se faire aimer de la justice en la régalant amplement, on le met de la partie ; son mannequin, bien encorné, est placé sur la charrette fatale ; tantôt on le représente dans l’attitude de la fureur avec un bâton ou des verges à la main, quelquefois avec un mouchoir dont il s’essuie les yeux. Cette farce grossiere s’est renouvelée en l’an 6 sans que les autorités aient osé s’y opposer. Quelquefois on fait essuyer cette avanie à ceux qui font mauvais ménage avec scandale.

Godenvillers n’offre rien de remarquable : les chemins qui.y aboutissent sont ornés au midi et au nord de belles allées de pommiers très productifs.

Domfront est entouré de terres assez fécondes.

Les habitants n’y jouissent pas d’une grande aisance.

Domelieu, Royaucourt et Abbemont ne formoient autrefois qu’une même commune.

Royaucourt est situé dans une plaine fertile.

Les habitants du hameau d’Abbemont vivent commodément du produit de leurs propriétés qu’ils soignent eux-mêmes.

Ces trois communes cultivent environ vingt-sept hectares de vignes, qui rendent par hectare de treize à quatorze pieces de vingt-quatre veltes. Ce vin médiocre sert à la consommation de Mont-Didier.

  1. Un seigneur de la famille des Tristan ayant été fait prisonnier avec le roi Jean à la bataille de Poitiers, et conduit en Angleterre, fut obligé, pour payer sa rançon et les dépenses qu’il avoit faites dans sa prison, de vendre sa terre de Maignelay au seigneur d’Halluin en Flandre.
  2. M. de Longeval, ayant dessein de se défaire de sa seigneurie de Maignelay, appela tous ceux de ses vassaux qui sup-portoient les plus fortes censives, leur fit remise des arrérages, en réduisit la rente à une tres foible redevance, et ne vendit sa terre qu’après cet acte de bienfaisance.