Deux Merveilles du Cap

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DEUX MERVEILLES DU CAP

Des diamants sujets à faire explosion d’eux-mêmes ; des tortues pourvues de dents de chien, voilà des productions bien dignes de l’Afrique, cette « terre des monstres ! » Les tortues sont fossiles et se rencontrent dans les mêmes couches du sol que les diamants. Nos lecteurs pourront les voir, les uns et les autres, associés presque comme dans la nature, dans la galerie de géologie du Jardin des plantes, où nos gravures ont été faites d’après les échantillons.

Le diamant encore engagé dans sa gangue est représenté ci-contre de grandeur naturelle. Il provient des mines exploitées depuis peu, au cap de Bonne-Espérance, et déjà célèbres par les trouvailles qu’on y a faites. C’est un octaèdre très-arrondi, d’une limpidité un peu grasse. La roche qui l’empâte est une espèce de conglomération de grès à grains fins.

On aura une idée de la richesse des champs diamantifères du Cap par ce fait qu’une seule exploitation a fourni en moyenne, d’après M. Desdemaine Hugon, plus de trois mille diamants pendant huit mois passés. Les mines appartiennent à deux catégories très-distinctes. Les premières dites sèches, situées au milieu de plaines unies, consistent en couches où la pierre précieuse est mélangée avec des minéraux tels que les ilménites, les grenats, les pyrites, etc. ; les autres, appelées mines de rivières, sont établies dans le lit ou sur le bord des cours d’eau et offrent, en association avec les diamants, des agates, des calcédoines, des péridots.

Dans les deux cas, les diamants sont habituellement fragmentaires, et cela n’a rien de surprenant d’après leur déplorable faculté de faire parfois spontanément explosion, ainsi que nous le disions tout à l’heure. Ce sont justement les plus beaux et les plus gros qui sont le plus sujets à cette infirmité. D’ordinaire la rupture se déclare dans le cours de la première semaine, mais trois mois après : l’extraction, il y a encore possibilité qu’elle se produise. On dit qu’on l’empêche en enduisant la pierre de suif, mais si cet enduit doit être permanent, il diminue singulièrement la valeur de la gemme.

Diamant cristallisé engagé dans un grès verdâtre et provenant des mines du cap de Bonne-Espérance. (Grandeur naturelle.)

Les champs diamantifères sont situés sur la limite de la colonie du Cap et des États libres du fleuve Orange, à environ 1 200 kilomètres de Cape-Town. Leur altitude est d’environ 2 000 mètres. Chacun d’eux correspond à une sorte de bassin qui se signale même de loin par une très-faible élévation du terrain. L’enceinte des bassins, dont les parois descendent en pente régulière vers le centre, est constituée par des roches schisteuses facilement décomposables à l’air. Les couches qui les remplissent consistent en sables et grès gris ou verts, en calcaire et en argiles.

Quoique leur âge géologique ne soit pas encore absolument fixé, cependant, et malgré l’opinion de quelques géologues qui les rapportent au terrain carbonifère, tout porte à penser qu’elles datent de l’époque triasique. Les plantes fossiles qu’on y rencontre et que M. Ralph Tate a décrites, ont tout à fait les caractères de la végétation de cette période, et les reptiles très-nombreux dont les restes y sont enfouis offrent aussi, suivant M. Huxley, des affinités très-intimes avec la faune du trias. D’ailleurs, par ses animaux comme par sa flore, cette formation présente le faciès terrestre ou lacustre. C’est à l’année 1844 que remonte la première découverte de reptiles fossiles dans les couches qui nous occupent. Elle est due à M. Andrews Geddes Bain. Les études, auxquelles les débris recueillis donnèrent lieu, furent poursuivies par de nombreux géologues ; MM. Sharpe, Salter, Egerton, Hooker et Owen, en Angleterre ; MM. Paul Gervais, Albert Gaudry et Fischer, en France. Cette faune erpétologique est aujourd’hui très-considérable. On y distingue des crocodiliens, des lacertiens, des labyrinthodontes et des dinosauriens, dont les vertèbres sont doubles, en dimension, de celles de l’éléphant et d’un tiers plus grosses que celles du mégalosaure. Mais, les plus curieux de ces reptiles, ceux auxquels nous faisions allusion en commençant sont voisins des tortues, dont ils diffèrent néanmoins par des particularités importantes. Leur caractère le plus saillant consiste dans la présence de deux longues défenses aiguës, courbées, analogues à celles des machairodus, des chevrotains et des morses. C’est pour cela que M. Bain les avait nommés bidentals ; on préfère maintenant le nom plus régulier de dicynodon, qui vient du grec et signifie littéralement : deux dents de chien.

Ptyghognathus depressus (Fischer). Crâne fossile découvert dans les couches triasiques du cap de Bonne-Espérance. (Deux tiers de grandeur naturelle.)

Richard Owen, par l’étude approfondie de ces fossiles, reconnut que les dicynodontes étaient, de leur vivant, des animaux ovipares, à respiration pulmonaire et à sang froid ; car Cuvier a appris au paléontologiste à lire dans quelques restes d’os les détails de l’organisation viscérale et les particularités de la vie d’êtres à jamais disparus. À côté de caractères analogues à ceux des tortues, le célèbre savant anglais en trouva d’autres qui éloignent les dicynodontes de ces animaux pour les rapprocher des lézards, mais sans les confondre avec eux. D’après Huxley, ils devaient avoir une longue queue.

Aussi, Owen fit-il des reptiles qui nous occupent un ordre à part qui, sous le nom d’anomodontes, est maintenant aussi important et aussi bien caractérisé que n’importe quel autre ordre de la classe des reptiles. Cet ordre comprend plusieurs genres et, entre autres, celui des ptychognathus, auquel appartient l’animal dont on a dessiné ici le crâne d’après nature. C’est le P. depressus, découvert et décrit par M. le docteur Fischer, aide-naturaliste au Muséum d’histoire naturelle.

Les os ne sont pas conservés partout ; le plus souvent ils ont été usés ; sur quelques points ils ont disparu jusqu’à la gangue, qui est un grès dur à grain très-fins, de couleur gris verdâtre. Les défenses sont brisées, mais le dessinateur, tout en faisant sentir le point où s’est faite la rupture, les a restaurées pour rendre à l’animal sa véritable physionomie. Les cavités orbitaires sont grandes, arrondies, éloignées l’une de l’autre ; le globe oculaire devait se trouver à fleur de tête. M. Fischer signale dans la mâchoire inférieure deux cavités ressemblant à des alvéoles incisifs ; peut-être sont-ce réellement des dents rudimentaires, aussi peu développées que celles des hyperodontes parmi les cétacés. Il serait bien intéressant d’élucider cette importante question.

Quoi qu’il en soit, les anomodontes sont remarquables par l’ensemble de leurs caractères, qui en l’ont des êtres étranges, parce qu’ils semblent, avoir été empruntés aux régions les plus diverses du règne animal. C’étaient, comme nous l’avons dit, des intermédiaires entre les lézards et les tortues : la partie antérieure de leur tête est construite comme chez les premiers, mais ils avaient, comme les secondes, le bord des mâchoires édentulé et recouvert pendant la vie d’un étui corné analogue à un bec. La manière oblique dont s’ouvrait la bouche des ptychognathus rappelle certains poissons. D’après Huxley, leurs narines et divers traits de leur ostéologie les rapprochent des oiseaux. Leurs défenses ont beaucoup plus d’analogie avec la dent des mammifères qu’avec celle des reptiles. Enfin, la constitution du bassin d’un grand dicynodonte, par la manière dont les deux côtés sont soudés ensemble, reproduit aussi une particularité propre à divers mammifères et qui ne s’était jamais rencontrée jusqu’ici parmi les reptiles.

C’est par des transitions de ce genre, entre les types regardés comme les plus différents, que la paléontologie excite si vivement l’intérêt, non-seulement des savants, mais de tous ceux qui sont sensibles aux harmonies grandioses de la philosophie naturelle.

Stanislas Meunier.