Deux Romans d'Outre-Rhin - Mme W. de Hillern

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Deux Romans d'Outre-Rhin - Mme W. de Hillern
Revue des Deux Mondes3e période, tome 20 (p. 352-377).
DEUX ROMANS
D'OUTRE-RHIN

I. Die Geier-Wally, eine Gesehichti aus den Tyroler Alpen, par Mme W. de Hillern, 1 vol. ; Berlin 1875 ; — II. Ein Arzt der Seele, par la même, 2 vol. ; Berlin 1872.

Au groupe des femmes-auteurs de l’Allemagne qui ont été ici même l’objet de plusieurs études[1], il faut ajouter un nom nouveau, celui de Mme de Hillern. La vogue toute récente de cette romancière, l’importance et la valeur incontestable de ses productions, méritent de fixer un instant chez nous l’attention du public lettré. De la personne et de la vie de Mme de Hillern, il n’y a, pour le moment, que peu de chose à dire ; le moi n’apparaît pas dans ses écrits, et elle ne s’est point encore, à l’exemple de Mme Fanny Lewald, mise en scène dans de gros volumes de mémoires. Aussi la critique ne saurait-elle guère, sans une indiscrète curiosité, rechercher la part d’autobiographie qui a pu entrer dans la substance de ses œuvres.

Wilhelmine Birch est la fille d’un Danois qui a longtemps résidé en France ; de bonne heure elle a révélé de remarquables aptitudes, et la grande-duchesse Stéphanie de Bade, une princesse Beauharnais, qui avait pour elle une grande affection, se plaisait à lui prédire une brillante fortune littéraire. L’horoscope s’est trouvé juste ; la jeune Badoise, mariée depuis lors à M. le baron de Hillern, directeur de justice à Fribourg en Brisgau, est devenue, comme disent les Allemands, une femme géniale. Ce qui achève de lui donner le trait caractéristique, c’est qu’elle n’a rien du bas-bleu : c’est ayant tout un esprit sain, bien équilibré et sans afféterie. Ne cherchez pas dans ses livres ce petit monde raffiné, un peu factice, ni cette sorte d’émotion maladive qu’on trouve dans ceux de la comtesse Ida de Hahn ; n’y cherchez pas non plus les hardies aspirations, le souffle d’idées tempétueux, qui sont la marque particulière du talent de Mme Fanny Lewald ; elle a bien aussi, à l’occasion, une pointe d’humeur raisonneuse et une tendance à prêcher ; mais ce n’est point là, en définitive, le fond de son tempérament ni le sillon habituel que sa plume aime à creuser. Dans ses moindres écrits, elle reste femme, attachée aux mérites réels de son sexe, et fort peu engouée de nouveauté. Pour la faire connaître du lecteur, je me contenterai de choisir parmi ses romans[2], tous remarquables à divers titres, les deux compositions qui diffèrent le plus d’inspiration et d’allure : l’une, la Geier-Wally (la Fille au vautour), dont la traduction vient de paraître, est un conte rustique, plein d’une saveur originale, d’une énergie un peu sauvage, et qui en certains endroits, pour la hauteur du coloris, semble prendre figure d’épopée ; l’autre, ein Arzt der Seele (un Médecin de l’âme) est au contraire un récit de vie bourgeoise, où l’auteur a voulu aborder, d’un point de vue spécial, un des graves problèmes aujourd’hui inscrits sur toutes les cédules du parti socialiste allemand, celui de l’émancipation des femmes.


I

Chacun sait que les paysans du Tyrol sont gens bien râblés de corps et d’esprit ; l’âpre nature avec laquelle ils sont constamment en lutte leur imprime une sorte de grandezza physique et morale qui en fait des êtres fort différens des villageois de la plaine. Sauvage entre tous parmi les Alpes rhétiques est le haut massif des monts de l’OEtzthal, entre l’Inn et l’Eisack. Tandis qu’à l’est les vieilles solitudes de la Sill se sont vues troublées depuis douze ans par le sifflet retentissant des locomotives qui courent à l’escalade du Brenner, la sombre vallée de l’Ache, à l’ouest, a gardé et gardera peut-être à jamais son silence profond et sa virginale horreur. Roches glabres ou marbrées de lichens, torrens impétueux, glaciers rigides, tel est l’aspect tourmenté de cette région, où bien peu de touristes encore ont marqué l’empreinte de leurs pas. Un barrage de cimes gigantesques la circonscrit de toutes parts ; la Dent de Wild, le Similaun, ont près de 4,000 mètres d’élévation. A leurs pieds ou dans leurs replis reposent d’insouciantes nichées de villages et de chalets laborieux : là, tout le jour, l’air parfumé résonne des chants du pâtre et du tintement des clochettes ; là se déroule, sous ses aspects les plus gais, le cycle entier de la vie alpestre. Bien au-dessus de ces oasis se groupent encore en hameaux bon nombre de demeures humaines : tels sont par exemple Vent et Rofen, sous le cailloutis branlant des moraines, à la lisière des éternels névés. Puis au-delà commence la zone que l’habitant de l’alpe appelle Hochjoch : neuf mois d’hiver et trois mois de froid, dit-on là-bas. Quelques maigres pâtis, derniers vestiges d’un monde organique lent à périr, pointent toutefois çà et là dans ce désert, et l’avare villageois ne laisse pas d’exploiter ces restes de vie chétive. Il envoie, l’été, ses troupeaux brouter au Hochjoch tout ce qui leur tombe sous la dent, et mainte brebis paissante, que la convoitise pousse à la conquête de quelque plante des régions plus clémentes, égarée à ces altitudes, tombe au fond d’un gouffre glacé.

Voilà le théâtre au milieu duquel se développe le drame rustique de Mme de Hillern. La vue seule du décor n’est pas de nature à faire pressentir quelque mièvre « paysannerie. » Aussi bien qu’on ne s’attende pas à voir dominer ici les notes douces, les fins linéamens, les demi-sourires de la Mare au Diable de George Sand ou de la Barfüssele d’Auerbach. Tout ce qui offre apparence de ton reposé reste à l’arrière-plan ; le devant de la scène est tout en arêtes vives et en vigoureux reliefs : la Fille au vautour, son père le fermier, Vincent l’amoureux et Joseph le tueur d’ours sont autant de personnages tout d’une pièce, autant de types équivalens pour l’intensité de la sauvagerie.

Wallburga ou, familièrement, Wally, l’héritière du plus riche domaine de la Sonneplatte, a gagné son surnom de Fille au vautour en allant dénicher dans l’aire, au-dessus d’un abîme vertigineux, un jeune gypaète dont par surcroît elle a tué la mère en combat singulier. C’est la montagnarde la plus robuste, la plus fière et aussi la plus jolie qui soit à la ronde. Seul, Joseph Hagenbacher, de Sölden, le chasseur de chamois, peut marcher de pair avec elle. Il s’est, lui aussi, couvert de gloire en abattant un ours énorme qui semait la terreur dans le Vintschgau. Wally se trouvait à Sölden comme il rapportait son trophée, et, à la vue du héros, au récit de son valeureux exploit, elle a senti battre d’amour son cœur de seize ans. Malheureusement, avant même qu’elle ait pu parler à Joseph, et qu’en vertu du dicton : qui se ressemble s’assemble, le beau chasseur ait eu le temps de s’éprendre d’elle, son père le fermier vient tout gâter. Le Stromminger, — c’est son nom, — a passé jusqu’alors pour l’homme le plus vigoureux de la montagne ; à l’idée qu’il lui faut enfin céder le pas à un « jeune, » son orgueil se révolte ; il insulte Joseph et le défie. One lutte corps à corps s’engage sur la place de Sölden, et le vieux titan est vaincu. Vainement son adversaire, trop généreux pour faire opprobre à une tête chenue, prodigue ensuite à Stromminger les bonnes et cordiales paroles ; celui-ci repousse haineusement tout essai de réconciliation et se retire, blêmissant de rage, avec sa fille. Adieu alors toutes les espérances de Wally ; son rêve d’amour est mort-né : une barrière infranchissable la sépare désormais de Joseph. Chemin faisant, elle éclate en sanglots, et, pressée de questions par son père, elle ne peut s’empêcher de lui dire la vérité. Pour unique réponse, le coléreux vieillard d’un coup de son bâtons lui rompt à demi l’échine. La scène, passablement sauvage, est peinte à grands traits, et le cadre en est magnifique ; qu’on en juge :

« Ce fut pour cette âme comme l’averse de grêle pour la fleur en train de s’épanouir. Un instant, la douleur de l’enfant fut telle qu’il lui fut impossible de faire un mouvement. A part de grosses gouttes qui coulaient de ses paupières demi-closes, comme la sève qui s’échappe d’un rameau brisé, tout son être paraissait mort et éteint. Le Stromminger attendait à côté d’elle, pestant tout bas comme un bouvier qui attend auprès de sa bête qui s’est affaissée sous ses coups… Tout aux environs offrait l’image d’une morne solitude ; pas une voix d’oiseau, pas un murmure dans le branchage n’en interrompait le silence. Sur la rampe étroite et rocheuse que suivaient le père et la fille, nul arbre ne verdoyait, nulle bête ailée ne faisait son nid. Il y avait des milliers d’années, ce coin de terre avait dû être le théâtre d’un effroyable combat des élémens ; à perte de vue, on n’apercevait que les débris gigantesques d’une sauvage révolution de la nature. A présent, les feux dont l’éruption avait soulevé ce sol étaient éteints ; les eaux dont le déchaînement torrentiel avait entraîné ces masses de terrain s’étaient écoulées, les colosses immobiles gisaient là projetés les uns sur les autres ; les forces qui les avaient mis en branle s’étaient anéanties, et tout cet endroit n’était plus, en quelque sorte, qu’un morne cimetière, un chaos de monumens funèbres, au-dessus desquels se dressaient, pareils à la pensée aspirant au ciel, les blancs reliefs des glaciers. L’homme seul, éternellement agité, continuait en ces lieux la lutte sans trêve de la création, et troublait de ses convulsions la paix sublime de la nature. »

Une année durant, le Stromminger et sa fille n’échangent plus une parole en dehors des nécessités du travail ; puis, un jour, le fermier mande Wally, et, sans autre préambule, lui signifie qu’elle épousera dans le délai d’un mois Vincent Gellner, un riche fermier du pays : à quoi Wally répond tout net qu’elle ne sera jamais la femme de Vincent ; qu’elle n’aime point, et n’aura d’autre époux que Joseph, qu’elle aime. Une nouvelle scène de violence éclate et aboutit à une sentence de bannissement prononcée par le père contre l’enfant récalcitrante : Wally gardera le bétail au Hochjoch, sur les flancs glacés du Murzoll, jusqu’à ce qu’elle vienne à résipiscence ; l’hiver seulement, il lui sera permis de redescendre dans la vallée ; encore n’entrera-t-elle plus dans la ferme ; elle restera dans l’étable en compagnie des vachères.

Avec l’exil de Wally s’ouvre le deuxième acte du drame. Dès la pointe du jour le lendemain, la jeune fille commença la sinistre ascension, sous la conduite du Klettenmaier, un vieux domestique sourd, le seul qui, en raison même de sa surdité, eût pu grisonner au service d’un maître toujours grondeur. Une autre personne encore fit escorte à l’enfant du Stromminger : c’était la Luckard, une pauvre servante de la ferme, « qui avait tout vu d’avance dans les cartes ; » cette femme avait en quelque sorte servi de mère à Wally. « La Luckard accompagna Wally jusqu’à l’endroit où la montée devenait tout à fait raide. Là elle prit congé d’elle et s’en retourna… Wally se mit à gravir la pente tout en regardant au-dessous d’elle sur la route, où la vieille cheminait en pleurant dans son tablier. Alors elle se sentit presque attendrie elle-même. La Luckard avait toujours été si bonne avec elle ; toute faible et misérable, cette femme du moins l’avait aimée. Tout à coup elle voit la servante, là-bas sur le sentier, se retourner encore une fois et lever la main pour lui montrer quelque chose. Elle suit la direction de son doigt, et qu’aperçoit-elle ? un objet qui flotte dans l’air le long des rochers, d’une allure pesante et mal assurée, comme un cerf-volant auquel le vent ferait défaut. Il va toujours, donnant une petite poussée en avant, puis retombant pour se redresser derechef avec peine. C’était le vautour de Wally, qui, avec ses plumes rognées, l’avait suivie durant tout le trajet, voletant ainsi laborieusement. Ses forces paraissaient épuisées, et il ne pouvait plus que clopiner au vent en battant de l’aile.

« Jeannot ! mon cher Jeannot ! comment ai-je fait pour t’oublier ? s’écria Wally en bondissant comme un chamois de roche en roche pour aller par le chemin le plus court chercher le fidèle animal. La Luckard s’arrêta jusqu’à ce que la jeune fille eût regagné le sentier en bordure ; puis elle la salua de nouveau comme après une longue séparation. Enfin Jeannot fut atteint… Wally le mit sous son bras comme une poule et se sépara de la Luckard, qui de nouveau se prit à pleurer. »

A côté de ce petit tableau de genre, qu’il nous soit permis de citer, comme un autre spécimen de la manière large de l’auteur, une page de poésie descriptive. Wally venait d’atteindre le dernier village à l’entrée de la région des glaciers. Là elle s’arrêta et, s’appuyant sur son bâton ferré, elle abaissa ses regards sur le hameau silencieux, encore à demi plongé dans les songes. « Tandis que la jeune fille, avant de s’enfoncer dans le désert par dela les nuages, considérait immobile les dernières habitations de l’homme, la cloche de l’église de vent se mit, sous ses pieds, à sonner matines. Le petit presbytère, à la fenêtre duquel des œillets en boutons frissonnaient au vent, ouvrit sa porte ; le chapelain en sortit, et, les mains jointes, s’en alla vers l’église remplir les devoirs de son ministère. A droite et à gauche, les chaumières de bois entr’ouvrirent leurs yeux assoupis ; des formes humaines apparurent les unes après les autres, et toutes, s’étirant les membres, se dirigèrent successivement vers le temple.

« Au travers du crépuscule, la pieuse sonnerie, portée par le vent comme sur des ailes d’anges, arrivait tout entière sur la montagne sans qu’une seule note se perdît : Wally s’imaginait ouïr une voix d’enfant qui prie. Et de même aussi qu’un enfant éveille sa mère par son frais babil, le carillon de vent parut avoir éveillé le soleil. L’astre ouvrit son grand œil, et le rayon de son premier regard lança par-dessus la chaîne des montagnes une immense gerbe de lumière qui couronna les cimes au levant. Les épaisses teintes grises de l’aube se changèrent soudain en un azur transparent dont la clarté grandissante inonda de plus en plus les cieux de ses jaillissemens ; puis le soleil émergea dans toute sa magnificence au-dessus des crêtes nuageuses, en tournant avec amour sa face enflammée vers la terre. Les monts dépouillèrent leur manteau de brumes et se baignèrent à nu dans des flots de lumière. En même temps, les profondeurs des gorges s’emplirent de houleux ondoiemens, comme si tous les nuages, chassés du firmament purifié, s’y étaient soudain laissé choir. Les airs tressaillirent d’un hymne étrange de jubilation, et la terre, en s’éveillant, parut pleurer de joie. On eût dit d’une fiancée, au matin de sa nuit d’hymen ; pareilles à des larmes aux cils de l’épouse, les gouttelettes de rosée pendaient voluptueusement et en tremblotant aux brins d’herbe et aux buissons. C’était par toute la campagne l’image de la joie : en haut sur les montagnes, où les rayons éblouissans se reflétaient dans l’œil perçant du chamois, en bas dans la vallée, où l’alouette gazouillante s’envolait du sein des terres labourées.

« Wally contemplait avec ivresse ce réveil de la nature ; son œil était à peine assez grand pour contenir cet immense tableau des pures splendeurs aurorales. Le vautour, perché sur l’épaule de la jeune fille, agitait ses larges ailes comme pour saluer le soleil avec amour. Et pendant ce temps, au-dessous d’elle, le village de vent s’animait. Dans cette vive illumination du jour renaissant, Wally pouvait tout discerner : près de la fontaine, les garçons embrassaient les fillettes ; un blanc tourbillon de fumée ondoyait au-dessus des maisons et se perdait, sans laisser de traces, dans la sérénité de l’air printanier, comme une pensée triste s’évapore dans une âme heureuse. Les hommes se rassemblaient sur la place devant l’église ; ils avaient leurs belles chemises du dimanche et fumaient leurs pipes à garniture d’argent, car on était, au lundi de la Pentecôte, jour de fête et de réjouissance universelle…

« La jeune fille s’arracha enfin à sa rêveuse contemplation. Après un dernier regard d’adieu adressé aux joyeux et bruyans villages d’en bas, elle fit demi-tour et se mit à gravir les mornes champs de neige qui conduisaient au Hochjoch, c’est-à-dire à l’exil. »

Dès l’abord, dans sa hutte de cailloux, au sein des antiques névés, Wally est prise d’un frisson de peur. La croyance locale a peuplé de fées et de génies tous les monts glacés de la région ; le bonhomme Murzoll notamment et ses filles les « bienheureuses demoiselles, » ennemies irréconciliables des chasseurs de chamois, défraient les superstitions courantes de l’OEtzthal, et je me souviens d’avoir retrouvé jusque dans la Haute-Engadine, en deçà des défilés de Finstermünz, puis encore beaucoup plus au sud, aux environs du mont Portole, la vivace traînée de ces légendes murzollaises. Aussi le premier songe de Wally, sur sa cime désolée, est-il tout plein de fantômes. Elle rêve, un peu trop longuement, soit dit au passage, que le géant de la montagne l’emporte dans ses bras de pierre au « palais de cristal » de ses filles. Là, les fées lui offrent de devenir comme elles « bienheureuses ; » mais il faut qu’elle consente à voir s’arrêter les battemens de son cœur, il faut qu’elle renonce à la société des humains et à l’amour de Joseph. La société des humains, Wally n’en a cure ; mais pour l’amour de Joseph, c’est une autre affaire. Elle résiste énergiquement, et s’attire par sa résistance cette sinistre malédiction de Murzoll : « tu t’es mise en révolte contre la terre et le ciel ; le ciel et la terre te seront ennemis. Si tu rentres parmi les hommes, nous mettrons Joseph en pièces et nous te précipiterons avec lui dans l’abîme. »

On devine que cette vision fatidique n’est qu’une agrafe artificielle forgée pour relier par avance le dénoûment au prologue ; passons, notre intérêt va de préférence aux développemens psychologiques empreints d’un sain naturalisme. La rustique Wally est au demeurant un esprit fort et une âme libre ; cette vie solitaire, au milieu d’un petit troupeau de chèvres et de brebis, va merveilleusement à ses instincts ; la sauvage montagne a bien vite usé pour elle ses terreurs ; en revanche, elle garde l’attrait indélébile de ses grandioses sublimités. Du haut de son empyrée, la jeune fille peut au moins, sans nulle contrainte, songer à Joseph. Aussi, quand, à l’entrée de l’hiver, un pâtre de son père revient la chercher, ne se résigne-t-elle qu’avec une sorte de répugnance à regagner son village natal. Ce « retour au pays » forme un des épisodes les plus hardis du récit. Entre temps, de graves événemens se sont accomplis à la Sonneplatte : le vieux Stromminger est devenu à demi impotent, Vincent Gellner, le prétendant éconduit, a plus que jamais les bonnes grâces du fermier et gère en quelque sorte le domaine au nom de celui-ci ; par contre, la Luckard a été chassée, et elle en est morte de chagrin. Telles sont les nouvelles que Wally recueille en descendant du Hochjoch. Elle se rend droit à la ferme, résolue à venger l’affront fait à sa vieille amie. Le hasard veut que dès le seuil elle soit témoin d’un acte odieux de brutalité exercé par Vincent sur le Klettenmaier. Égarée par la colère, Wally, d’un coup de revers de hache sur la tête, abat le jeune homme à ses pieds. Aux cris des valets, tout le monde accourt. Le boiteux Stromminger, ne pouvant lui-même empoigner sa fille, ordonne aux gens de la saisir. Cette fois ce n’est plus dans l’exil lumineux du Murzoll, au sein de l’immensité libre, que la coupable expiera sa faute ; c’est dans les humides moisissures d’un noir cachot. À cette perspective, l’orgueil de Wally chancelle un instant : pour la première fois elle implore son père ; mais, quand elle voit les villageois la poursuivre avec des bâtons jusqu’au fond de la cuisine où elle s’est réfugiée, sa fauve nature se réveille. Elle saisit dans l’âtre des tisons embrasés, s’en fait une arme défensive contre la troupe des assaillans, fend la meute comme une flèche, se précipite dans la cour, et d’un bras vigoureux lance une bûche dans la grange au beau milieu du foin et de la paille. Il y eut une clameur d’épouvante.

« En même temps que la colonne de fumée, s’échappa de la toiture, avec un cri, un objet sombre qu’on eût dit engendré par le feu ; cet objet tournoya un moment dans l’air au-dessus de la grange, puis fila dans la direction que Wally avait prise. Celle-ci, entendant du bruit derrière elle, se crut poursuivie et redoubla sa course aveugle. La nuit était venue ; mais les ténèbres ne voulaient point se faire : un clair crépuscule répandait autour de la fugitive une lueur tremblotante qui la dénonçait au loin. La jeune fille escalada une saillie de rocher abrupt d’où elle pouvait dominer la route du regard ; elle s’aperçut alors que celui qui était à sa poursuite venait par les airs. Le but de Wally était donc atteint ; personne ne songeait plus à courir après elle ; sauver la ferme était une besogne plus pressante, et tous les bras s’y employaient.

« Au même moment, le vautour, — car c’était lui, — la rejoignit, et dans son élan la heurta si fort, qu’il faillit la jeter en bas du rocher. Wally pressa l’oiseau contre sa poitrine, et se laissa choir d’épuisement sur le sol. Elle regarda d’un œil trouble la lueur de l’incendie qui brillait au loin en colorant de ses reflets le sombre amphithéâtre des montagnes, et tandis qu’elle contemplait ainsi son œuvre, tout son visage enflammé de courroux respirait la menace et le défi. Les sourds bourdonnemens du tocsin lui arrivaient de tous les clochers d’alentour, et la sonnerie semblait lui crier distinctement : Incendiaire ! incendiaire ! Puis, peu à peu, les sinistres tintemens l’assoupirent ; elle perdit connaissance, et un voile bienfaisant s’épandit sur cette âme aux abois. »

Après avoir pendant quelque temps erré de village en village, son fidèle vautour à l’épaule, Wally, éconduite de tous les chalets, exténuée de froid et de faim, prit le parti de se réfugier à Rofen, chez les frères Klotz, les guides les plus renommés du pays. Ce mystérieux hameau de Rofen, blotti sous les pieds du terrible glacier mouvant du Vernagt, est le plus haut endroit habité qui soit dans tout le Tyrol ; de nos jours encore, il jouit d’une sorte de droit d’asile. Au milieu d’une affreuse tourmente de neige, la jeune fille parvint à gravir ces pentes presque inaccessibles en hiver ; mais sur le seuil même des Klotz, avant que sa main eût pu saisir le marteau de fer, ses forces défaillirent, et elle tomba évanouie. Ici interviennent une série de scènes intimes qui, pour la justesse de l’observation et le naturel des peintures, sont assurément les meilleures du livre. Les flocons de neige en tourbillonnant dans l’étroit défilé ont recouvert d’un épais linceul le corps inanimé de Wally ; à l’intérieur du logis, deux des Klotz, — le troisième est absent, — continuent, comme si rien d’inusité ne s’était passé au dehors, à fumer tranquillement leurs pipes près du poêle. Tout à coup un battement d’ailes contre la croisée attire l’attention de Léandre, le cadet ; la porte est ouverte, et l’on aperçoit sur le seuil le blanc monticule. Vite on déblaie la place, et alors apparaît l’étrange épave. Chez le jeune Léandre la surprise et la commisération se doublent dès le premier regard d’un sentiment d’une nature plus tendre : Wally est si belle dans sa détresse ! Mais Nicodème, le frère aîné, qui est homme de circonspection, se charge de soigner lui-même l’inconnue. Léandre, évincé de la pièce où celle-ci, un peu ranimée, divague en proie à la fièvre, s’en va rôder aux alentours avec son fusil. Le premier objet que découvre son œil de chasseur, c’est le gypaète, tranquillement perché sur le toit. N’osant tirer un coup de feu si près de la malade, il essaie de chasser l’oiseau, afin de le tuer au loin : celui-ci refuse obstinément de déguerpir. Le lendemain arrive Benoît, le second frère ; il a fait un tour au canton et rapporte des nouvelles d’en bas. Il dit comme quoi la fille du fermier de la Sonneplatte a mis le feu à la grange de son père et s’est enfuie dans la montagne avec son vautour. Nicodème, à ce mot, regarde Léandre, qui devient cramoisi ; tous deux ont saisi le joint des choses. Benoît, de son côté, en apprenant quelle personne on a recueillie au logis, déclare qu’il faut chasser à l’instant cette vagabonde, et qu’il n’y a point d’asile à Rofen pour les incendiaires. Aussitôt dit, aussitôt fait. Le bourru montagnard ouvre avec fracas la porte de la chambre où Wally repose, et entre vivement, suivi de Léandre et de Nicodème. À cette apparition tapageuse, la Marianne, sœur des Klotz, qui est assise au chevet de la malade, fait à Benoît signe de se taire ; mais, à peine Benoît a-t-il jeté un regard sur Wally qu’il modère de lui-même son pas et s’approche du lit plus lentement.

« La jeune fille dormait profondément. Elle était couchée sur le dos, son beau bras arrondi au-dessus de sa tête. Son abondante chevelure brune retombait toute dénouée sur sa blanche poitrine, qu’une épaisse camisole rustique avait garantie du hâle et du soleil, et dont une ample chemise de toile laissait voir à nu un petit coin. Elle avait en dormant la bouche entr’ouverte comme par un sourire, et deux rangées de petites dents pareilles à des perles brillaient entre ses lèvres charnues. Sur son front assoupi régnait un air de grandeur et de chasteté dont la muette éloquence ne saurait se traduire en paroles. « Benoît était devenu silencieux, tout à fait silencieux. Il considéra longtemps avec une sorte d’étonnement cette image décevante et pudique. Son visage basané prit peu à peu une coloration de plus en plus animée, jusqu’à faire concurrence à celui de Léandre, qui jetait l’éclat d’un brasier ; puis il serra les dents, et, se retournant : — Elle est vraiment malade, murmura-t-il d’un ton qui signifiait : Il n’y a par conséquent rien à faire. — Après quoi, il sortit sur la pointe des pieds. »

Il ne tient bientôt qu’à Wally, pour qui l’antique droit d’asile a élargi singulièrement ses franchises, de devenir à son choix la femme de Benoît ou celle de Léandre, et de rester, en qualité de fermière, à Rofen, où le vautour, lui aussi, a trouvé hôtellerie à son goût ; mais, toujours hantée par le souvenir de Joseph, elle décline les offres matrimoniales des deux Klotz. Le prudent Nicodème d’autre part, voyant de quoi il retourne, s’est rendu auprès du Stromminger, et par ses sages observations a obtenu de lui qu’il renonçât à l’idée d’enfermer sa fille et qu’il se contentât de la bannir comme devant. Il a été décidé que l’enfant rebelle reprendrait pendant l’été la garde du bétail au Hochjoch, et que l’hiver elle serait libre de se mettre en service où elle le voudrait, pourvu qu’elle ne rentrât pas au village. Voilà donc Wally réinstallée dans sa hutte solitaire face à face avec les génies, de plus en plus inoffensifs, de la montagne. Rien n’eût troublé cette année-là le séjour de la jeune fille au Murzoll, sans un incident inattendu qui vint compliquer d’un nouvel élément son amour opiniâtre pour le beau chasseur de Sölden.

Un matin du mois de juillet, comme au plus fort d’un violent orage elle était à la recherche d’une chevrette égarée, elle se trouva tout à coup en présence de Joseph. Celui-ci n’était pas seul ; il portait dans ses bras une charmante jeune fille qu’un coup de tonnerre venait de jeter presqu’en syncope : c’était, disait-il, une servante du Vintschgau qui allait se placer à Zwieselstein et qu’il s’était chargé de conduire par la montagne. Wally, toute tremblante d’une vague jalousie, reçoit les deux voyageurs dans sa cabane. Là, au bout de quelques instans, un duel sanglant s’engage entre le chasseur et le vautour imprudemment provoqué. Joseph terrasse le redoutable gypaëte, puis, non content de l’avoir terrassé, il veut l’occire « au vol » d’un coup de fusil. Wally s’y oppose énergiquement ; elle arrache la carabine des mains du chasseur décontenancé, et finalement le tueur d’ours se retire avec sa compagne après avoir cruellement persiflé en manière d’adieu la pauvre exilée qui a tant péché et souffert pour lui.

Le reste de la saison s’écoula sans apporter de changement dans le sort de Wally ; l’hiver venu, elle alla chercher une condition de l’autre côté du glacier, dans le Schnalserthal ; puis, à l’époque du renouveau, elle grimpa derechef au Murzoll ; mais cette fois ce ne fut pas pour longtemps. Son père le Stromminger mourut dans l’été, et la jeune fille put enfin reprendre pied sur son sol natal. Avec le vieux Klettenmaïer, elle retrouva dans la ferme Vincent Gellner, toujours épris, bien que son occiput eût gardé la trace du coup de hache. Son premier soin fut de le relever de sa gérance, car moins que jamais ses obsessions ne lui agréaient. En dépit de la fatale scène du Hochjoch, Wally espérait encore gagner l’amour de Joseph. A peine rentrée au village, elle était devenue, par le charme étrange de sa personne non moins que par sa fortune, le point de mire de tous les fils nubiles à dix lieues à la ronde ; aucun d’eux toutefois n’était de taille à mettre à merci une telle femme. — Celui qui pourra se vanter d’avoir eu de moi un baiser, dit-elle un jour par bravade, celui-là je l’épouse ; mais quiconque n’a pas assez de nerf pour me ravir un baiser ne possédera jamais la fermière de la Sonneplatte. — Et chacun de tenter l’aventure, dans l’espoir de prendre au mot la jeune fille. Celle-ci s’amusait de ce jeu sauvage où brillait sa force supérieure ; elle savait que son nom circulait au loin, et elle pensait que Joseph ne pourrait manquer de venir à son tour.

Joseph pourtant ne venait pas. Wally, en revanche, finit par être mise au courant des assiduités du chasseur auprès d’une certaine Afra, servante à l’auberge de Zwieselstein. Afra était cette même jeune fille en compagnie de laquelle le tueur d’ours avait franchi l’année précédente le Murzoll. Nul doute n’était plus permis : un jour que Joseph avait reçu quelques blessures en domptant un taureau furieux dans la grande rue de Zwieselstein, ladite Afra, prise d’un élan de tendre angoisse, avait sauté devant tout le monde au cou du garçon. Si grand que fût l’orgueil de Wally, son amour l’emportait encore sur son orgueil ; loin de renoncer au chasseur, elle n’eut plus qu’une seule pensée : l’enlever à sa rivale. Elle afficha tout à coup le goût du luxe et des atours ; lors de la procession de la Fête-Dieu à Sölden, on la vit se joindre au cortège dans une toilette pleine de froufrous et de tintemens argentins : elle avait compté attirer de la sorte l’attention du fier chasseur ; il eut à peine l’air de l’apercevoir et partit sans lui avoir adressé la parole. Dans son dépit, l’arrogante fermière s’en prit à la servante de Zwieselstein, et, laissant jaillir l’écume bouillonnante de sa jalousie, elle lui reprocha publiquement son impudeur et railla du même coup ce vaillant tueur d’ours qui aimait mieux, disait-elle, « une bonne amie qui de prime abord vous saute au col » qu’une femme dont il faut commencer par faire la conquête et avec laquelle on court le risque d’essuyer une piteuse déroute.

Dès ce moment, Wally leva l’ostracisme dont elle avait frappé Vincent, et comme Vincent, en homme avisé, non-seulement ne soufflait plus mot de son amour, mais encore avait grand soin d’être informé de tout ce qui se passait dans l’OEtzthal et particulièrement à Zwieselstein, la jeune fille sentait ses méfiances se dissiper peu à peu. Vincent néanmoins n’avait pas renoncé à ses visées. Un jour, après avoir bien attisé la jalousie de Wally au sujet d’Afra, il remit brusquement sur le tapis ses prétentions d’épouseur. Repoussé de nouveau avec une dureté sarcastique, le bilieux garçon, qui attendait depuis longtemps cette heure décisive, tira de sa poche un papier : c’était le testament du Stromminger. Le bonhomme, avant de mourir, avait trouvé moyen d’asséner à sa fille un dernier coup de poing en stipulant que, si dans le délai d’une année elle n’épousait pas Gellner, la ferme avec toutes ses dépendances appartiendrait à celui-ci ; Wally en serait réduite à sa légitime. Or les douze mois allaient expirer, et Vincent était résolu à faire valoir ses droits. Pour toute réponse, la fière montagnarde se déclare prête à faire ses paquets et à retourner au Murzoll avec son vautour. À ce coup, l’impétueux amant est hors des gonds. Dans un accès de douleur sauvage, il se jette aux pieds de la jeune fille : argent, prés et bois, qu’est-ce que cela ? C’est Wally qu’il lui faut ; c’est elle qu’il a compté prendre au testament comme au trébuchet. Tous les domaines du monde sans Wally, il s’en soucie bien ; le Hochjoch avec Wally, voilà tout son rêve. Ce disant, il déchire le papier et en disperse au vent les morceaux.

Au même instant, par un coup de théâtre fort heureusement imaginé, apparaît le messager de Sölden. En présence de Vincent foudroyé, il annonce à la fermière de la Sonneplatte que Joseph l’a chargé de l’inviter solennellement à la danse pour le jour de la Saint-Pierre ; le rendez-vous aura lieu le surlendemain à l’hôtellerie du Cerf. Dans les usages locaux, une pareille invitation passe pour l’équivalent d’une demande en mariage. Cette fois enfin Wally a de bonnes raisons pour se parer ; aussi s’attife-t-elle de ses plus riches bijoux, et dans la poche de sa robe d’hymenée elle glisse par surcroît deux cadeaux de circonstance, destinés à celui que tout le village avec elle considère déjà comme son époux : une belle pipe en écume de mer et un anneau.

Jamais danse de fiançailles n’avait excité à ce point la curiosité des montagnards ; il était venu du monde de toutes les localités circonvoisines ; dans ce public figurait avant tout le bataillon fort respectable des prétendans évincés. Joseph, arrivé sous la grande porte de la ferme, prit par la main Wally, qui étouffait de joie et d’orgueil, et la conduisit en cérémonie à l’enseigne du Cerf. Les façons du jeune homme n’étaient pourtant pas celles d’un épouseur ; sa physionomie avait un air étrange, presque farouche ; de plus, — était-ce intention ou hasard ? — il avait mis à l’envers la plume de coq de son béret, comme c’est l’habitude des montagnards en quête d’une querelle. En pénétrant dans la salle de bal, Wally frôla Benoît Klotz, qui était présent, lui aussi, et qui l’avertit tout bas d’être en défiance ; mais de quoi Wally, au bras de celui qu’elle aimait, eût-elle bien pu se défier ? Déjà les couples sont en place et l’orchestre n’attend qu’un signe : Joseph, lâchant la main de Wally, se place devant la jeune fille dans une attitude presque solennelle et lui dit à haute voix, de façon que tous entendent : — Wally, j’espère qu’avant de danser avec toi, je vais avoir le baiser qu’aucun de tes prétendans n’a pu te ravir. — Et comme Wally, après un moment d’hésitation, hausse timidement sa figure jusqu’à celle du chasseur : — Non pas, reprend ce dernier, je veux conquérir ton baiser et non en être gratifié. Allons, défends-toi, et ne me fais pas la partie plus belle que tu ne l’as faite aux autres ; sinon il n’y aurait pour moi aucun honneur.

À ce mot, le sang des Stromminger se réveille en Wally ; rouge de honte et de colère, elle se redresse et défie Joseph. Devant toute l’assistance endimanchée s’engage un duel sauvage, effréné, dont chaque péripétie provoque dans la salle de malicieux éclats de rire. Le tueur d’ours l’emporte enfin ; il conquiert son baiser, non sans avoir durement peiné. Un hurra universel retentit ; la pauvre fiancée s’est affaissée demi-morte sur la poitrine du chasseur ; mais lui, la repoussant : — Doucement, dit-il d’un ton moqueur, il ne m’en faut pas davantage. — Et comme la jeune fille le regarde d’un air effaré : — Ah çà ! reprend-il, t’es-tu figuré que j’étais venu en épouseur ? Non pas. Dernièrement, à la procession, tu as dit devant tout le monde qu’Afra était ma bonne amie parce qu’elle était de facile abord ; tu as ajouté que le tueur d’ours n’avait pas le courage de s’attaquer à la Fille au vautour… J’ai voulu te montrer que je pouvais venir à bout de toi. C’est assez ; le baiser que je t’ai pris, je vais le porter à mon Afra en expiation du tort que tu lui as fait. Et vous autres, ajouta-t-il d’un air étrange, épargnez-moi vos applaudissemens.

La fête est close avant d’avoir commencé ; toute la troupe des prétendans mal en point est partie, hennissant de plaisir ; deux personnes seulement sont restées auprès de Wally : Benoît Klotz et Vincent Gellner. Benoît le premier s’approche d’elle et lui demande ce qu’il faut faire, ce qu’elle attend de son amitié. — Ce que je veux ? s’écrie-t-elle, je veux qu’il meure. — L’honnête Klotz recule épouvanté : — Dieu te garde ! Wally, — répond-il en guise d’adieu, et il quitte la salle à son tour. Vincent, lui, s’est avancé vers la jeune fille, l’étincelle aux yeux — Wally, parles-tu sérieusement ? — Elle lève la main pour jurer : — Celui qui le déposera mort aux pieds de son Afra, celui-là je l’épouse, aussi vrai que je m’appelle Waliburga Stromminger.

La nuit suivante, deux coups de feu retentissent au bord de l’Ache, dans la direction de Zwieselstein. Wally, qui n’est point couchée, entend la détonation. Qui peut chasser à cette heure ? Mais non, personne ne chasse. Un éclair traverse l’esprit de la jeune femme : si c’était Vincent qui… Elle se souvient de l’horrible parole qu’elle a proférée la veille dans sa colère ; mais, depuis la veille, sa colère s’est éteinte dans son amour, qui, lui, est inextinguible. Malgré tout, elle pardonne ; ce crime qu’elle souhaitait, elle ne veut déjà plus qu’il s’accomplisse. Éperdue de terreur, elle se précipite au dehors, elle court au logis de Vincent. Le jeune homme est absent, et sa carabine n’est point à son clou. Elle veut cependant douter encore ; mais, à deux pas de là, elle rencontre Vincent lui-même, tout pâle, le fusil à l’épaule. Vincent a en effet tiré sur Joseph, et la façon dont il raconte la chose à Wally est effrayante de simplicité et de vérité.

« Ç’a été une rude besogne, dit-il en s’essuyant le front ; je n’aurais pas cru, ma foi, qu’il viendrait sitôt se mettre au bout de mon fusil. Le diable seul sait ce qui l’a fait rôder comme cela dans la nuit ! Imagine-toi, j’avais l’intention de me mettre en route de bonne heure pour arriver à Sölden dès le matin, avant qu’il fût levé, et voilà que, du premier pas, il me tombe sous la main. C’est égal, il faisait encore trop sombre ; la première balle l’a manqué, et l’autre l’a seulement effleuré. Il a dû tout de même être étourdi, car il a chancelé sur le sentier et s’est appuyé au garde-fou. J’ai saisi le moment, je me suis jeté sur lui par derrière, et je l’ai poussé par-dessus le parapet. » Ainsi s’était accompli, soit dit pour mémoire, l’arrêt du bonhomme Murzoll.

Au moment où la fermière de la Sonneplatte, affolée par l’épouvantable forfait de Vincent, entraîne le jeune homme pour le précipiter avec elle dans l’Ache, à l’endroit même où le crime a été commis, un appel expirant de détresse monte du fond de l’abîme. Wally s’arrête et lâche sa proie ; elle a reconnu la voix de Joseph. Le chasseur n’a pas roulé jusque dans l’eau du torrent ; il a été retenu, agrafé dans sa chute par quelque saillie de rocher. La jeune fille vole aussitôt par tout le village, criant à l’aide et frappant aux portes. Bientôt les gens sont sur pied ; on apporte toutes les cordes qu’on peut trouver, on les lie fiévreusement bout à bout, et l’on forme la chaîne au bord du plateau ; mais qui osera plonger dans le gouffre pour y chercher la victime ? Qui ? Ce sera Wally, la dénicheuse de vautours. En un clin d’œil, elle a escaladé la balustrade ; les villageois, la sueur de l’angoisse au front, dévident le câble en tâtant chaque nœud au passage. L’ancien du village commande la manœuvre. La pelote file appesantie de plus en plus ; puis soudain elle se détend et flotte dans l’espace. Une des attaches aurait-elle manqué ? Non ; la corde, halée, résiste ; Wally a posé le pied quelque part ; mais, bien que le crépuscule commence à poindre, une pluie fine et glacée, qui tombe dans le gouffre, empêche d’y rien discerner. Un second engin de sauvetage, apporté par le Klettenmaïer, est jeté aux mains de la plongeuse pour que celle-ci y attache Joseph. Après plusieurs minutes d’une anxieuse attente, une secousse imprimée d’en bas aux deux cordes annonce aux travailleurs qu’ils peuvent maintenant tirer à eux. C’est le moment le plus critique, car il faut que le halage de l’un et l’autre câble s’effectue bien à l’unisson ; une seconde de relâchement et tout est perdu. Les villageois affermissent leurs pieds sur le sol : les veines se gonflent aux jambes, aux bras et aux fronts, et bientôt la double épave émerge au travers du brouillard ; Wally et Joseph sont sauvés.

Il va sans dire que Joseph n’est point mortellement blessé ; Wally l’a fait transporter chez elle, l’a confié aux soins d’Afra, et s’en est retournée au Hochjoch pour y expier sa faute et y dévorer sa douleur dans la solitude. Vincent a disparu ; on apprend bientôt qu’il s’est suicidé en Italie. Joseph, de son côté, finit par se rétablir ; libre à lui désormais d’épouser Afra et de rester au domaine de la Sonneplatte, dont Wally déclare se dessaisir en sa faveur ; mais que deviendrait la conception romanesque si Joseph n’aimait pas Wally ? Il l’aime effectivement, il l’a aimée de tout temps ; un mauvais sentiment d’orgueil l’a seul empêché d’en convenir, et s’il a montré tant de sollicitude pour la servante de Zwieselstein, s’il l’a vengée si durement des insultes de Wally, c’est qu’Afra est sa sœur naturelle ; le respect dû à la mémoire de leur mère les avait contraints l’un et l’autre à garder le silence sur cette parenté. Telles sont les révélations que Joseph lui-même fait à Wally, dès que ses forces lui ont permis de grimper au Murzoll ; il ajoute que, dans cette nuit fatale où il avait été assailli par Vincent, c’était le remords de son odieuse conduite à la salle de danse qui l’avait poussé à rôder vers la Sonneplatte ; il voulait, dès l’aurore, frapper à la fenêtre de la jeune fille, faire à celle-ci amende honorable et lui prodiguer ses tardives tendresses de fiancé. À ces aveux, Wally ne répond que par une explosion d’amer désespoir ; Joseph la croit folle, il ne sait pas que c’est elle-même qui a convié Vincent au meurtre ; en apprenant de sa bouche l’affreuse vérité, il recule d’abord de terreur ; mais lorsqu’elle ajoute qu’en cette nuit sinistre elle est sortie, elle aussi, sous le double aiguillon de l’amour et du remords pour empêcher, s’il était possible, l’accomplissement du forfait, lorsqu’elle lui retrace les longs tourmens qu’elle a endurés à cause de lui, la surprise douloureuse du chasseur se fond dans une décisive expansion de tendresse et de reconnaissance ; en la femme jalouse et offensée qui a voulu le faire périr, il ne voit plus que l’amante héroïque qui l’a sauvé ; il la relève doucement et place, en signe de pardon, son bras sur le sien.

« La nuit était tombée ; du haut du ciel une figure souriante contemplait affectueusement les fiancés ; c’était le disque de la pleine lune qui avait émergé sur la montagne. Déjà les ombres du soir s’étaient épandues dans les vallées ; il était trop tard ce jour-là pour redescendre du Hochjoch. Ils rentrèrent dans la hutte, allumèrent du feu et s’assirent au coin du foyer. Quelle douce causerie après un silence de tant d’années ! Sur le toit, le vautour rêvait qu’il se bâtissait un nid ; le vent résonnait autour de la cabane comme une harmonie de harpes nuptiales, et à travers la lucarne pénétrait le scintillement d’une étoile. » N’ai-je pas déjà dit que l’églogue avait parfois couleur d’épopée ?


II

De la Geier-Wally au Médecin de l’âme, il y a, au point de vue de l’art et du genre, tout un abîme à franchir. Le pittoresque récit dont on vient de prendre une idée est sans nulle apparence de thèse ; un Médecin de l’âme au contraire est ce qu’on nomme un roman didactique et démonstratif ; l’action s’y complique d’une controverse, le drame y est gros d’une moralité. Si, dans une œuvre de cette nature, la conclusion coule de source, si la dispute des idées est conduite avec une entière impartialité, si rien n’y est sacrifié au profit d’une cause exclusive, le romancier a réussi dans sa visée essentielle : il l’a emporté sur le fond ; mais si volontairement ou à son insu l’auteur a faussé les termes du débat, s’il a restreint ou laissé dévier l’enquête selon les besoins de sa plaidoirie, alors, quelque talent qu’il ait déployé, si habile qu’il se soit montré dans la mise en œuvre, il n’a fait qu’un travail d’artiste ; le penseur en lui a manqué le but. Ce point dûment établi, et sans vouloir peser chaque chose dans une fine balance, je vais tâcher de mettre en leur jour les qualités et les défauts du roman social et philosophique qu’a écrit Mme de Hillern.

Ernestine Hartwich est la fille d’un hobereau de l’Allemagne du Nord qui exploite une distillerie à Unkenheim. Elle a eu en naissant l’irréparable tort de frauder l’espoir d’un père qui avait compté sur la venue d’un garçon ; aussi porte-t-elle lourdement le poids de sa faute originelle. Pour elle comme pour Florence Dombey, dans le roman de Charles Dickens, il n’y a au monde que rebuffades et brutalités. Dès ses premières lueurs de raison, la souffreteuse Ernestine, qui a grandi sans mère et au hasard, épèle vaguement l’énigme de sa destinée. Ces mots : « Ce n’est qu’une fille ! » qu’elle a entendu tant de fois répéter autour d’elle ne lui sortent pas de l’esprit, et l’on sait quel labour silencieux opère dans la cervelle d’un enfant l’obsession d’une idée fixe. Après avoir bien réfléchi à son sort, la pauvrette se dit qu’il dépend d’elle de le corriger : si c’est pour leur force et leur vaillance que l’on estime tant les garçons, elle s’efforcera d’égaler ceux-ci en mâle énergie. Le maître d’école d’Unkenheim n’assure-t-il pas déjà qu’elle a plus d’esprit et qu’elle apprend mieux qu’aucun garçon ? Le reste viendra par surcroît, il ne s’agit que de le vouloir. Et la fillette de passer incontinent de la théorie à la pratique. Invitée chez une châtelaine du voisinage, Mme la conseillère Möllner, elle y trouve sur la pelouse une nombreuse société d’enfans de l’un et l’autre sexe. Ernestine se mêle à leurs ébats avec le dessein bien arrêté de surpasser chacun en vigueur et en adresse. Elle y réussit en effet ; mais, au lieu d’obtenir le triomphe qu’elle attendait, elle ne récolte que jalousies, colères et mauvais traitemens ; dans l’ardeur du jeu elle a bosselé un front, fait un accroc à une robe ; en revanche, ses camarades l’ont outrageusement battue, et l’un d’eux a même failli la noyer dans le bassin ; ce qui n’empêche pas toutes les mères de s’éloigner d’elle avec épouvante comme d’une créature sauvage et brutale ; « c’est une petite virago, un vrai garçon, » crient les grandes personnes à la ronde : de sorte qu’en dépit des douces paroles de consolation que lui adresse la conseillère, Ernestine, outrée de tant d’injustice, se sauve sans souper avec ses vêtemens ruisselans d’eau à travers la nuit. Dès qu’elle s’aperçoit de sa disparition, Mme Möllner envoie à sa recherche son fils Jean, beau jeune homme d’une vingtaine d’années, qui vient de passer le matin même, de la façon la plus brillante, ses examens de doctorat. Jean rattrape l’enfant, toute pantelante, au milieu du bois, et se met en devoir de la ramener auprès de sa mère ; mais Ernestine résiste ; elle se dégage des mains de ce nouveau persécuteur et grimpe comme un écureuil à un chêne. Jean, qui n’en veut démordre, escalade le tronc à son tour. La fillette bat en retraite de branche en branche, et finit par se réfugier, sans autre souci du péril, au bout le plus extrême d’un rameau. Celui-ci casse sous le poids, et Möllner n’a que le temps d’allonger le bras pour saisir l’enfant avant qu’elle tombe ; cette scène nocturne est pleine de vivacité et de poésie ; on devine que tout le charme est dans les détails, dans les impressions des personnages, que nulle analyse ne saurait rendre.

Disons tout de suite que ce prologue du roman en est avec la fin la partie la plus vivante et la mieux venue, et cela tient précisément à ce qu’on n’y voit pas surnager la thèse. L’existence d’Ernestine au milieu des tristes bâtimens de la distillerie, entre un père ivrogne, paralytique, et un oncle froid et retors qui exerce sur elle comme sur tout le monde une domination absolue, est dépeinte avec une très grande vérité de traits et de couleurs. Le personnage de l’oncle Leuthold est particulièrement réussi. Ce Leuthold avait commencé par être professeur de chimie à Marburg ; mais, s’étant approprié par un odieux larcin une découverte scientifique d’un de ses collègues, il avait dû quitter l’université. Il s’était alors marié avec la fille d’un aubergiste et avait pris la direction de la fabrique de son beau-frère. Là, tant par persuasion que par menaces, il avait extorqué au vieux Hartwich un testament bien en règle qui lui assurait dans l’avenir la possession de toute la fortune au détriment de sa nièce. Au physique, Leuthold est distinction pure : front serein, doux parler, manières souples et insinuantes, un de ces hommes reptiles tels que chacun de nous en a rencontré ; au demeurant, nature très complexe et quelque peu contradictoire. Toutes ses vilenies, à y bien regarder, procèdent d’un mobile unique, l’amour de la science ; son ambition est de devenir un chimiste hors ligne et un physicien sans rival ; seulement il n’a point le temps d’attendre ; pour s’élever dans sa sphère, il lui faut d’emblée et coûte que coûte ce hausse-pied qu’on appelle l’argent. « Là où l’argent et l’intelligence sont réunis, dit-il à sa femme Berthe, robuste et triviale ménagère qui n’entend rien à ses visées de savant, on prend les hommes comme des mouches à la glu. » Et tandis que le bonhomme Hartwich, frappé d’une dernière attaque d’apoplexie, agonise misérablement dans une chambre voisine, Leuthold et sa moitié devisent, le cœur léger, de leur prochain changement de fortune ; mais ils ont compté sans les reviremens de la dernière heure. Quelques jours auparavant le hobereau, dans un accès de colère furieuse, a indignement maltraité sa fille ; le vieux docteur Heim, un ami de Mme Möllner, profite des remords tardifs du moribond pour lui faire signer un second testament en faveur d’Ernestine. L’oncle demeure toujours tuteur de sa nièce ; mais il n’héritera des biens que si celle-ci meurt sans s’être mariée.

En apprenant la ruine de leurs espérances, Leuthold et sa femme sont d’abord comme anéantis ; puis une altercation violente s’élève entre eux ; chacun accuse l’autre d’avoir manqué au dernier moment d’habileté et de vigilance. Une fois en veine de griefs, l’irascible couple tisonne à tour de bras dans le passé, et, à force de remuer leurs souvenirs communs, ils aperçoivent nettement une chose que le retrait de l’héritage laissait bien à nu, à savoir leur incompatibilité absolue d’humeur. Il y a là une excellente scène de comédie. Berthe la première, dont la langue est la plus alerte, prononce le mot de séparation ; son époux le saisit au vol ; en un clin d’œil l’affaire est réglée ; sans bruit, sans éclat, la grosse ménagère regagnera l’hôtellerie paternelle, et quant à la petite Gretchen, fruit de cette union si mal assortie, elle restera provisoirement auprès de son père.

Alors commence ce que l’auteur appelle « le meurtre d’une âme. » Armé de ses droits de tuteur, Leuthold se sent maître encore de la situation, et il a bien vite imaginé tout un plan nouveau qui lui rend barres sur l’avenir. Il sera lui-même et lui seul l’éducateur de sa nièce ; il exercera sur ses sentimens et sur ses pensées une surveillance et une action de tous les instans ; il en fera en quelque sorte le blocus : chaque fibre de son être et chaque nerf de son cerveau ne vibreront qu’à sa volonté. L’étrange précocité intellectuelle d’Ernestine, ses élancemens déjà passionnés vers je ne sais quelle gloire virile et les plus hautes abstractions de la science humaine sont pour Leuthold un sûr garant de réussite : il la façonnera peu à peu à son gré et à son image. « Je t’apprendrai, lui dit-il, ce qu’aucun femme n’a jamais su, et à vingt ans tu exciteras l’envie et l’admiration des hommes eux-mêmes. » Quelle revanche pour elle, après tant d’humiliations dont sa triste enfance s’est vue abreuvée ! Aussi Ernestine s’abandonne-t-elle avec une sorte d’ardeur fiévreuse à la discipline et aux enseignemens de ce maître austère, grâce auquel elle se sent grandir, jour par jour, devant les autres et devant elle-même ! Leuthold a d’ailleurs pris soin que nulle ingérence étrangère ne vînt traverser son œuvre et troubler la factice sérénité de l’atmosphère où vit Ernestine. Mme Möllner, son fils Jean, le vieux docteur Heim, eussent été d’incommodes témoins de ses agissemens ; aussi, sous prétexte que le froid climat de l’Allemagne ne valait rien pour la maladive enfant, s’était-il hâté de se soustraire à tout regard soupçonneux en partant avec sa pupille pour l’Italie.

Douze ans se sont écoulés. Mme Mollner a perdu les trois quarts de sa fortune, et son fils s’est fait professeur à l’université de N… Au moment où s’ouvre la seconde partie du récit, nous trouvons réunis chez Jean Möllner les principaux membres de la faculté de médecine et de philosophie ; parmi eux est le docteur Heim, qui occupe la chaire de pathologie, et qu’on n’appelle plus que « le Nestor de la science. » Un événement extraordinaire défraie l’entretien du docte cénacle : une jeune fille a demandé à suivre les leçons de la faculté et à y conquérir ses grades ; à l’appui de sa démarche, elle a envoyé un travail dont on donne lecture et qui a pour titre : des Mouvemens réflexes dans leurs rapports avec la liberté morale. Examen fait de l’écrit, on tombe d’accord que cet essai de physiologie révèle de très remarquables aptitudes ; mais là n’est pas le point sensible du débat : il s’agit de savoir quelle réponse sera rendue à la postulante, qui n’est autre, on le devine, qu’Ernestine Hartwich. Là-dessus un conflit d’opinions éclate. Après qu’on a bien argumenté pour et contre, il est décidé par cinq voix contre trois que, toute appréciation de capacité mise à part et uniquement pour le principe, les femmes demeureront exclues des cours de la faculté. La réserve introduite dans la formule de l’arrêt venait fort à point pour sauver d’une fâcheuse déconvenue l’infaillibilité intellectuelle de l’aréopage, car un instant après on apprenait par une lettre de sa magnificence, vulgo du recteur, que le lauréat jusqu’alors inconnu du dernier concours ouvert sur les phénomènes de la vision était non pas, comme on l’avait supposé, un des docteurs enseignans de l’université, mais bien Ernestine elle-même.

Les leçons de l’oncle Leuthold avaient donc porté fruit : la pupille avait en soi l’étoffe d’une savante. Par surcroît, la rachitique et laide enfant que les soins du vieux Heim avaient jadis sauvée de la mort était devenue une belle jeune fille, d’apparence toujours un peu maladive, mais d’un charme sévère et tout idéal. De retour en Allemagne, elle s’était installée avec son tuteur dans un vieux château, près du village de Hochstetten, à deux lieues de N… L’endroit avait été de tout temps malfamé ; les paysans prétendaient qu’il était hanté et s’en écartaient, craintivement comme d’une officine de sorcellerie. Cette considération seule eût suffi pour déterminer le choix de Leuthold, qui ignorait que les Möllner avaient quitté Unkenheim. Plus que jamais il avait besoin de mystère et de solitude ; il avait réussi jusqu’alors à tenir Ernestine en dehors du monde, à la rendre pour ainsi dire étrangère à l’humanité. Rompue à une discipline presque claustrale, la jeune fille, durant douze années, n’avait vécu que pour l’étude et la réflexion ; le regard pénétrant du maître n’avait jamais surpris en elle une velléité sérieuse de révolte ; mais un hasard ne pouvait-il à tout instant remettre en question le succès d’un plan si laborieusement mené ?

Les temps difficiles étaient venus en effet. Déjà c’était à l’insu de son tuteur et malgré ses formelles défenses qu’Ernestine avait fait sa démarche pour être admise aux cours de la faculté ; à son insu également elle avait écrit au bon docteur Heim, dont elle avait gardé un souvenir plein de gratitude. La jeune fille, surmenée par un travail opiniâtre, se sentait sérieusement malade et avait besoin de l’assistance d’un praticien émérite qui fût en même temps un ami. Au lieu de Heim, et par son consentement, ce fut Jean Möllner en personne qui, durant une absence de Leuthold, se présenta chez Ernestine. Il l’avait aperçue d’aventure un soir se promenant, d’un air pensif et fatigué, dans le jardin du vieux château, et à l’idée que cette jeune femme, si pleine de nobles fiertés, n’était autre que le petit lutin femelle qu’il avait jadis poursuivie comme un chat sauvage sur la ramure grinçante du chêne d’Unkenheim, tout un flot de souvenirs émus lui avait soudain monté au cœur.

L’entrevue d’Ernestine et du jeune homme dans la bibliothèque du château est racontée avec une sorte de charme mystérieux et une précision poétique de détails qui échappent à toute analyse. Jean, pour cette fois, ne se fait pas connaître ; mais, à l’abri du nom vénéré de Heim, il essaie de sonder dans ses replis la pensée de la solitaire ; il lui avoue qu’il vient en « médecin de l’âme » autant et plus qu’en médecin du corps, et comme l’ombrageuse Ernestine s’étonne du tour singulier que prend la consultation, il lui déclare sans ambages qu’il est un des membres de la faculté qui lui ont par leurs votes fermé le champ universitaire : non pas qu’il la range parmi ces femmes affolées d’orgueil pur qui veulent, coûte que coûte, tenir des rôles en vue sur la scène du monde ; il la connaît mieux qu’elle ne croit, il sait que l’amour de la science est le feu sacré qui l’enflamme ; mais, par la voie aride et périlleuse où elle chemine solitairement, peut-être se heurtera-t-elle à de grandes douleurs et à d’amères désillusions qui lui feront regretter de n’avoir pas pris un autre chemin. Devant un pareil langage, Ernestine ne sait que penser ; elle est tout ensemble émue et troublée ; sous la cuirasse dont son tuteur l’a revêtue, elle a senti comme une onde tiède courir dans ses veines. En vain se redresse-t-elle de toute la hauteur de son orgueil en face de cet adversaire inattendu qui l’attaque avec des armes qu’on ne lui a pas appris à manier : Jean parti, elle demeure rêveuse, et pour la première fois depuis des années les heures s’écoulent sans qu’elle songe à se mettre au travail. Son tuteur l’aurait-t-il trompée ? y aurait-il vraiment au monde d’autres joies et des joies plus vives que celles que procurent les triomphes de l’intelligence ? La satiété de l’esprit engendrerait-elle le vide du cœur ? Qui a raison, du froid et sévère éducateur, dont le dévoûment, après tout, l’a faite ce qu’elle est, ou de cet inconnu à l’œil clair, au parler chaud et vibrant, qui, si soudainement, s’est introduit dans sa vie ? Mais celui-ci est-il vraiment un inconnu ? En quel temps, en quel lieu a-t-elle entendu déjà cette voix sympathique et considéré ce loyal visage ? Il lui a semblé en l’écoutant, en le regardant, qu’elle percevait tout à coup comme un souffle de vent du soir dans le branchage : qu’était-il donc, et pourquoi venait-il la distraire de son recueillement et de sa solitude ?

Bien que le trouble de sa pupille, sa langueur inaccoutumée au travail, n’eussent pas échappé à l’œil clairvoyant de Leuthold, il s’était vu obligé par des soucis plus pressans de se relâcher de sa surveillance. L’avisé tuteur avait continué, sous un faux nom, d’exploiter la distillerie d’Unkenheim. Seulement, obsédé de la crainte qu’Ernestine et sa fortune ne finissent par lui glisser des mains, il avait voulu parer à toute éventualité en se lançant dans de gigantesques spéculations. Le résultat avait déçu ses calculs ; au moment même où l’ennemi, en la personne de Jean Möllner, faisait irruption dans son intérieur, Leuthold était informé par une lettre de son contre-maître, qui était en même temps son affidé, que les choses allaient de mal en pis et que la banqueroute était imminente ; tout le capital d’Ernestine se trouvait englouti dans la catastrophe. L’oncle dut prendre en hâte la route d’Unkenheim. Il va de soi qu’en son absence la pupille achève de rompre son ban ; elle pousse une première et timide reconnaissance au milieu de ce monde réel, qui n’a eu jusqu’ici pour elle que la valeur d’une abstraction. Son début n’y est pas heureux. Elle se heurte tout d’abord à des partis-pris, à des préjugés que son orgueil dédaigne de combattre et qui ne font que réveiller en elle les amers souvenirs de son enfance. Pour la vieille dame Möllner, chez laquelle Jean l’a introduite, la jeune Hartwich n’est qu’une déclassée, une créature socialement déchue, dont la place ne peut être ailleurs que sur des tréteaux. A la pensée de voir une telle femme, une « matérialiste, » devenir jamais l’épouse de son fils, l’âme bourgeoise de la conseillère s’effarouche et se cabre. Par contre, à l’idée de se mettre en vasselage pour la vie dans cette société de philistins qui ne sait pas même ce que signifie, en son acception la plus haute et la plus honnête, le mot d’émancipation, le cœur d’Ernestine retourne à sa sauvagerie native, « Ce n’est qu’une fille, » répétait autrefois son père ; « ce n’est qu’une femme, » répète aujourd’hui le monde. Eh bien ! puisqu’il le faut, elle demeurera rivée à Leuthold ; elle oubliera Jean et son rêve d’amour à peine ébauché. « Madame, dit-elle en parlant à la conseillère, je n’ai jamais songé à devenir la femme de votre fils, encore moins, si cher qu’il me soit, à lui faire le sacrifice de mes idées et de mes études. Je n’ai rien souhaité de plus que le bonheur de pouvoir donner à un homme au monde le nom d’ami ; ce bonheur même, je saurai y renoncer, rapportez-vous-en à moi. Adieu. » Et, comme jadis, toute petite, elle s’était sauvée en pleurant de la fastueuse résidence d’Unkenheim, elle s’enfuit, le cœur brisé, de la modeste maison de N…

Ici la thèse, sinon le drame, touche à son point culminant ; la question doctrinale est posée avec tous ses termes. Si rien n’a marché à faux, on doit savoir dès maintenant ou trouver le point de la démonstration. Le trouve-t-on en réalité ? Aperçoit-on d’une vue nette où tend le conflit d’idées qui forme la substance philosophique du roman ? Mais d’abord, que sont devenus les élémens du procès que l’auteur avait à instruire ? Mme de Hillern a eu certainement pour but de nous démontrer qu’une femme joue gros jeu à sortir de sa sphère d’action traditionnelle pour aller sur les brisées du sexe fort, que l’étude de la science pure est toujours malsaine à son cœur, et que trop souvent, aux yeux du monde, elle encourt une sorte de déchéance morale rien que par cet effort d’émancipation à l’aide du travail intellectuel ; mais il fallait, je le répète, que la conclusion ressortît, non pas de circonstances extraordinaires, de combinaisons accessoires, par lesquelles se trouvent altérées d’avance toutes les données du problème, mais du fond naturel des choses, du développement normal des faits et des caractères. Le cas d’Ernestine ne prouve rien dans l’espèce : je vois bien que j’ai affaire à une âme malade ; seulement la science, mise en cause, n’en peut mais. Tout le mal gît ici dans certaines conditions d’existence qui se sont ni indispensables ni exigibles pour les femmes qui veulent étudier la physiologie et l’anatomie. La pupille de Leuthold est une nature déformée par un système d’éducation exceptionnel ; elle s’est développée ou plutôt étirée d’un côté unique ; le cerveau chez elle s’est boursouflé aux dépens du cœur ; que dis-je, cette « émancipée » possède à peine son libre arbitre : en tout, elle sort de la règle, elle frise le phénomène ; donc, elle ne peut faire preuve..

Voici maintenant une autre critique qui n’est pas moins grave. Au lieu de s’en tenir à la méthode expérimentale, au lieu de chercher la veine d’intérêt dans l’observation pure et simple, Mme de Hillern a cru aviver et peut-être aussi relever l’action, en faisant intervenir sans nécessité la foi en face de la science. Certes, la lutte de ces deux principes peut fournir, à l’occasion, de puissans ressorts dramatiques ; mais ici ce n’est nullement le cas. Tout au plus l’auteur arrive-t-il à épandre sur son récit je ne sais quelle vague religiosité, une nébuleuse traînée de déisme qui se résout en une petite pluie de dissertations non moins innocentes qu’oiseuses. Il a plu à Mme de Hillern de faire de Leuthold un libre penseur, mieux encore, un athée ; c’est fort bien, et l’athéisme de ce Leuthold tient, en mainte occasion, un langage tout à fait logique et irréfutable ; ce qui n’est ni logique ni irréfutable, c’est que l’auteur, pour les besoins d’une thèse préconçue, impute à cet état intellectuel de son personnage toutes les vilenies qu’il commet. Si Leuthold est criminel et haïssable, n’est-ce pas uniquement parce qu’il est cupide, sans entrailles, et qu’il a recours à de condamnables pratiques pour esquiver les difficultés de sa situation ? Supposons pour un instant que ce même Leuthold, dix fois athée, si l’on veut, ne fût qu’un savant méconnu, ou un homme qui, de guerre lasse, eût tourné le dos à l’ambition et à la gloire, pour se confiner dans la solitude avec sa pupille et se dévouer tout entier à l’éducation de celle-ci : en quoi, pour Ernestine, les résultats eussent-ils différé ? Ses facultés en eussent-elles reçu un développement plus normal et plus harmonique ? Un pli de son existence en eût-il été dérangé ? Non certes ; dans ce cas pourtant, l’oncle Leuthold, au lieu d’offrir un type odieux, eût été une figure touchante, et, en dépit des aberrations de son système, il n’en eût pas moins incarné la notion du devoir et du sacrifice. Je reviens maintenant au récit.

Le tuteur, on l’a vu, avait ressaisi sa pupille ; mais il sentait que désormais il ne la tenait plus qu’à demi ; cet impérieux ascendant qu’il avait jusqu’alors exercé sur elle s’était brisé. « Mon oncle, lui avait-elle dit aux premiers mots de reproche qu’il avait essayé de lui faire au sujet de son évasion, je vous prie de ne me plus tenir pour un enfant qu’on morigène à sa fantaisie. S’il me plaisait de retourner dans ce monde que je viens d’apprendre à connaître, ce n’est pas vous qui m’en empêcheriez. Ce droit, vous ne l’avez pas de par la loi ; mais je n’y retournerai point, non, jamais. Le monde n’est pas fait pour moi, pas plus que je ne suis faite pour lui. Peut-être la faute en est-elle à vous, qui m’avez élevée en recluse et séquestrée de tous mes semblables ; peut-être eût-il mieux valu que j’eusse suivi, simple d’esprit, le vulgaire sentier de la vie. Puisqu’il n’en a pas été ainsi, c’est vous qui aurez à répondre de votre œuvre. Dans la voie où je suis engagée, je ne veux ni ne puis regarder en arrière. Je reste avec vous de mon plein gré ; je continuerai ma tâche solitaire et studieuse jusqu’au jour où, confondant les dédains et les préjugés, je trouverai dans la gloire un dédommagement à toutes les autres satisfactions dont je me serai privée ; mais, si ce jour n’arrive pas, alors, mon oncle, sachez-le bien, je vous maudirai. »

Dès ce moment, le tuteur, pris d’effroi, n’eut plus qu’une pensée, s’enfuir de nouveau avec sa pupille, et cette fois jusqu’en Amérique. Malgré ses protestations d’orgueil blessé, Ernestine aimait, à n’en pas douter, Jean Möllner ; si cet amour avait le temps de prendre racine, si l’idée du mariage venait à s’emparer de l’âme tenace de la jeune fille, Leuthold était perdu, car comment eût-il rendu ses comptes de tutelle ? Par l’entremise d’un agent transatlantique, il eut vite trouvé pour lui-même un emploi quelconque dans une grande usine chimique de New-York ; il mit en même temps sous les yeux de sa nièce un projet de traité qui lui assurait de gros honoraires pour une série de « lectures » à faire dans une société scientifique d’outre-mer. Le titre de lauréat d’une université allemande suffisait à ouvrir là-bas toutes les portes à la jeune fille ; Leuthold en montrait pour preuve quelques journaux américains, où déjà l’éloge de la femme géniale s’étalait en plusieurs colonnes dans le style de la réclame la plus ampoulée. Bien que flattée secrètement dans ses légitimes ambitions, Ernestine, avant de se rendre, en écrivit sous main à Möllner. N’ayant reçu aucune réponse, elle signa enfin le traité.

De plus en plus la thèse s’efface au profit du drame pur et simple. Comme Ernestine et son tuteur s’apprêtent à quitter Hochstetten, Jean Möllner apparaît soudain ; c’est le deus ex machina qui apporte les pièces du dénoûment. La jeune fille apprend que toute sa fortune est gaspillée, que son oncle est un faussaire, qu’on a vu celui-ci dérober de nuit dans la boîte postale du village les lettres écrites par sa pupille, enfin que les preuves de ces fraudes multiples sont au pouvoir de Möllner lui-même. Leuthold, se voyant perdu, se sauve à Hambourg dans le dessein de s’y embarquer au plus vite ; mais son signalement l’a devancé. Par un hasard malheureux, la maîtresse de l’hôtel où il descend n’est autre que Berthe, sa ci-devant femme. Celle-ci le dénonce, et au moment où on l’arrête, il s’empoisonne avec de la strychnine. Quant à Ernestine, qu’une horrible fièvre a saisie à la suite des révélations qu’elle a entendues, elle est recueillie dans la maison de la conseillère, où le docteur Heim lui sauve de nouveau la vie, en attendant que Jean Möllner achève de lui guérir l’âme. Cette analyse n’a suivi qu’un fil de la trame dont est composé ce long roman didactique. Pour avoir une exacte idée du talent que Mme de Hillern y a développé, il faut écarter la partie polémique de l’œuvre pour s’en tenir à l’exécution et aux détails de la mise en scène. À ce point de vue-particulier, le Médecin de l’âme fait bonne figure devant la critique. Dès que l’auteur se dégage des préoccupations doctrinales, sa plume excelle à trouver le point vital de la situation, la note juste du sentiment, le côté fin et délicat de l’analyse. Encore une fois, j’ai dû laisser en dehors de mon résumé trop succinct une foule de personnages et d’incidens épisodiques qui jettent cependant une vie singulière dans le récit ; il y a, entre autres acteurs secondaires du drame, un pauvre maître d’école de village qui est tout à coup atteint de cécité, et dont Mme de Hillern a su faire un type achevé de douleur contenue et souriante ; il y a aussi des aperçus d’intérieurs bourgeois, — tel est par exemple le ménage du professeur Herbert, — qui rappellent la façon nuancée et minutieuse de Charles Dickens dans ses tableaux de genre les mieux réussis. Et les paysans de Hochstetten, avec leurs passions et leurs préjugés, comme ils respirent et comme ils se meuvent ! Ah ! ce ne sont pas là des spectres de la caverne philosophique, ni de frêles figures prises au décalque. Et notez qu’il en est ainsi toutes les fois que le romancier, plantant là le dialecticien, se met à cheminer seul, à sa fantaisie. Leuthold lui-même n’est nulle part plus vivant que lorsqu’il laisse ses calculs et ses théories pour redevenir un homme comme un autre. Ses impressions physiques et morales durant son voyage en chemin de fer de Hochstetten à Hanovre, son entrevue avec sa fille Gretchen, qu’il n’a pas embrassée depuis des années, ses réveils de tendresse paternelle, ses remords, puis son arrivée à Hambourg, son arrestation, la série de scènes à la fois comiques et émouvantes qui marquent l’entrée de la pauvre Gretchen dans ce monde réel, dont les murs épais d’un pensionnat lui ont jusqu’alors dérobé la vue, tout cela est rendu avec beaucoup d’imagination et tout ensemble de naturel. Aussi ne chercherai-je pas loin ma conclusion. On a dit, je crois, de Mme Fanny Lewald, qui s’est posée, elle aussi, comme un écrivain à tendances, qu’elle disserte mieux qu’elle ne peint ; pour caractériser Mme de Hillern, il suffit de retourner le mot et de dire qu’elle peint beaucoup mieux qu’elle ne disserte : n’est-ce pas là en définitive une critique élogieuse pour le romancier, ce « demi-frère du poète, » comme l’appelle quelque part Schiller ?


JULES GOURDAULT.

  1. Voyez notamment celle de M. Albert Sorel dans la Revue du 15 septembre 1869.
  2. Doppelleben, — Aus eigener Kraft, — Ein Arzt der Seele, — Die Geier-Wally (1870-1875).