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Deux farces inédites attribuées à la reine Marguerite de Navarre

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Page:Marguerite de Navarre - Deux farces inédites, éd. Lacour, 1856.djvu/7

INTRODUCTION


Tout brillants qu'aient été les écrivains du siècle de Louis XIV, leur plus grande gloire est d'avoir donné le dernier coup de lime à ce beau style que leur avaient transmis leurs ancêtres. Le siècle suivant laissa la forme éclatante pour les grandes pensées; le nôtre, éclectique de sa nature, a cherché à concilier les efforts de ses prédécesseurs, en couvrant de dehors pompeux des conceptions profondes et hardies: il a péniblement gravi les sentiers qui le conduisaient à sa ruine. On attend une régénération, et nous n'en voyons la possibilité qu'en se retrempant aux sources vives de notre littérature. Comment! les oeuvres qui ont formé les La Fontaine, les Corneille, les Racine, les Pascal, les Molière, seraient-elles destinées à n'enfanter plus que des pygmées[1]? Les fantaisistes de nos jours, en ne demandant qu'à eux-mêmes leurs inspirations, n'ont malheureusement rien produit; malgré cette impuissance, chacune de leurs oeuvres, ils le proclament, est une Minerve sortie tout armée de leur cerveau. Ils n'ont été les élèves de personne, et ils veulent être les maîtres de tout le monde; mais plus ils écrivent, plus l'isolement se fait autour d'eux, et l'école toute-puissante par laquelle ils se croyaient vénérés, s'évanouit peu à peu et disparaît comme un songe.

Diogènes du dix-neuvième siècle, qui promenez partout votre lanterne pour trouver un homme, qui rencontrez-vous? À peine une ou deux figures où brille un rayon du feu sacré. Les autres, sans expression, aux yeux incapables de fixer le ciel, portent les stigmates des races dégénérées.

Où sont les littérateurs?

Sont-ils dans ces feuilletons qui réimpriment en français de fantaisie mille anecdotes extraites de mauvais romans anglais ou français des deux derniers siècles? Si de patientes statistiques avaient relevé le nombre de romans parus, depuis qu'un livre a pu p rendre ce nom, quel effroyable chiffre aurions-nous sous les yeux! En vérité, je le répète, les romans d'aujourd'hui sont faits, pour la plupart, avec des matériaux empruntés à ces romans d'autrefois, que leurs plagiaires ont raison de regarder comme oubliés à jamais dans les rayons poudreux des bibliothèques.

Sont-ils dans ces livres de critique remplis de nouvelles observations qui ne courent le monde que depuis deux cents ans; car si les romans abondent, que dirons-nous des journaux? Et pourtant ils n'étaient point connus avant 1600; moins de 150 ans après, leur nombre, en France seulement, s'élevait à dix mille volumes. Si l'on pense de combien d'observations, de faits, ces volumes sont remplis, l'imagination s'effraie; mais depuis 1750, erreur de ce calcul, cent mille volumes sont venus s'ajouter aux dix mille autres? Qui voudrait se charger de compter les répétitions, les plagiats? Ce travail, la vie entière de bien des gens ne suffirait pas à l'accomplir.

Pour arriver au théâtre, qui doit m'occuper particulièrement, la littérature s'y est-elle réfugiée? Moins qu'autre part! Où puisent les auteurs du jour? Dans le répertoire des lazzis du théâtre italien, tissu de bons mots dont on a tant usé qu'il n'en reste plus que la trame; il n'est pas jusqu'à la première scène française qui ne nous ait offert plusieurs douzaines de ces niaises bouffonneries. Espérons que le goût public finira par se lasser, et exiger des écrivains qu'il enrichit des conceptions plus morales, plus spirituelles, et surtout mieux écrites; c'est aujourd'hui, plus que jamais, que le mot du courtisan est vrai.

--Comte ***, avez-vous été voir la pièce en vogue?

--Sire, je me suis abstenu.

--Comment! une oeuvre pleine de patriotisme! Vous n'êtes donc pas Français?

--Plût à Dieu! Sire, que l'auteur fût aussi Français que moi!

Il est temps de donner à la littérature dramatique une impulsion véritablement littéraire, si l'on ne veut pas la voir tomber en peu de temps dans une déplorable décadence. Les vingt années qui viennent de s'écouler, à l'exception de quelques oeuvres qui surnagent, n'ont produit que toutes choses indignes de fixer les regards de la postérité.

C'est d'une étude approfondie de nos anciens écrivains que sortira la révolution attendue, et cette étude, il y a longtemps que notre siècle a eu la gloire de la provoquer. Jamais l'enseignement historique et les travaux qu'il enfante n'ont été plus encouragés par le gouvernement, par le public; jamais les littérateurs de genres divers ne s'étaient engagés plus courageusement dans cette voie, n'avaient plus longtemps persévéré à la suivre; il n'est pas jusqu'aux philosophes, jusqu'aux poètes, qui n'aient déserté les champs de l'observation et de la pensée pour saisir la plume sobre de l'annaliste, et disputer au temps quelques monuments des siècles passés.

Une chose pénible à constater, c'est que le théâtre seul soit resté en dehors du mouvement et n'ait pas produit d'historiens: la pente sur laquelle sont emportés les auteurs dramatiques est-elle si rapide qu'elle ne leur permette pas de s'arrêter un instant pour regarder en arrière et s'inquiéter un peu de ce qu'ont fait leurs aïeux, de ce qu'ils ont pensé, de ce qu'ils ont écrit? Rien! Par la faute de cette indifférence coupable, des étrangers ont été contraints de prendre la plume, et leur manque de pratique, s'il n'a pas fait échouer leurs travaux, leur a, au moins, imprimé un cachet fâcheux de provisoire, et dès leur frontispice, on lit: édifice éphémère que désavouera l'avenir.

Pour écrire l'histoire complète du théâtre, il faudra les soins d'un dramaturge: tout autre écrivain marchera sans cesse à côté de la question, et, fût-il le meilleur des Aristarques, je lui conteste le droit de s'ériger en juge absolu de plusieurs siècles dramatiques, s'il n'a pas lui-même pratiqué les lois auxquelles il prétend les soumettre.

Des précédents d'une certaine valeur viennent à l'appui de ce que j'avance. On possède une ou deux histoires des petits théâtres de Paris; des vaudevillistes les ont signées, et la principale est écrite par Brazier, le plus fécond des auteurs qui aient travaillé pour eux.

L'histoire du théâtre français, par les Parfait, a pour défaut principal leur manque de pratique, et ils ne se seraient pas prononcés, comme ils l'ont fait en beaucoup de cas, s'ils avaient été autre chose que de simples compilateurs.

Mais, me direz-vous, si les auteurs dramatiques ont si peu de souci pour leur histoire, quelle récompense obtiendrait de son travail celui d'entre eux qui l'écrirait?

Aucune à l'instant, je dois le reconnaître; il en serait réduit à compter sur la gratitude fort aléatoire de la postérité.

C'est à ceux pour qui l'histoire partielle du théâtre a des charmes, de tâcher, en la faisant aimer, d'avancer le terme de cette gratitude.

Et d'abord, faisons connaître les oeuvres anciennes et leurs auteurs, et montrons l'avantage qu'il y aurait à posséder un fil d'Ariane pour se guider dans ce dédale encore inexploré de l'art dramatique, tel qu'il était conçu sur tout le globe au moyen âge.

On a si peu fait! Il reste tant à faire! Pendant que l'on voit de toutes parts les publications littéraires des siècles anciens, poésies, romans, contes, facéties, remises au jour, en fort grand nombre, et agréés avec empressement par le public; c'est à peine s'il a paru deux cent cinquante mystères, farces ou moralités[2]!

À quoi attribuer l'indifférence de la foule, même des auteurs? n'est-ce pas à une sotte prévention?

Essayons de montrer que l'on se trompe si l'on croit ne rencontrer dans ces pièces que d'informes canevas sans action, sans style.

Je publierai successivement et les nombreuses observations que j'ai recueillies sur nos anciens dramaturges, et celles de leurs oeuvres restées inédites qui me paraîtront le plus remarquables.

Je commence par deux farces, que je ne craindrais pas de décorer du nom de comédies, si le grand siècle ne se l'était pas exclusivement réservé pour ces oeuvres comiques, dont il a emporté avec lui le secret.

On trouvera dans la _Fille abhorrant mariaige_, et dans la _Vierge repentie_, un sentiment exquis, un goût sûr, une portée philosophique et religieuse.

Ces farces,--ces comédies, si l'on veut,--ne portent pas le nom de leur auteur: est-ce à dire qu'il soit impossible à trouver? La manière d'écrire ne trahit-elle pas mieux quelquefois son homme qu'une signature, voire la plus authentique.

Ma foi, tout bien pesé, nous hasardons notre opinion, nous disons: Ces productions, à cause de l'esprit qui y règne, de la place où nous les avons rencontrées[3], de leur style exceptionnel, nous ont paru se rapprocher des oeuvres de la soeur de François I^er, la célèbre Marguerite d'Angoulême.

Telle est la supposition que nous autorise à faire la grande quantité de pièces aujourd'hui perdues, dont on sait que cette princesse est l'auteur. Les nôtres portent justement la date de 1538, époque à laquelle florissait son théâtre, florissaient les troupes d'histrions qui le représentaient. Nous traiterons ce sujet ailleurs et plus longuement, et nous examinerons les chances de vérité que notre hypothèse peut offrir[4].

On remarquera que la mise en scène n'est pas développée; c'était l'usage habituel de ces temps, et d'ailleurs on la retrouve indiquée sommairement par le récit, d'après les lois de l'ancienne poétique.

Dans ces deux farces, la vérité, le naturel des caractères sont observés avec grand soin. Catherine ne cesse pas d'être une naïve et simple enfant de dix-sept ans, Clément un amoureux timide, malgré sa loquacité de Mentor; c'est l'homme sage des comédies du dix-septième siècle, c'est presque l'amoureux des pièces de Marivaux. Ses mille détours ne sont que pour arriver à formuler ou à provoquer un aveu, et les deux farces se terminent avant qu'il ait osé ouvrir la bouche, au moment peut-être où il allait le faire.

Le second de ces ouvrages est la suite du premier: il est aussi clairement écrit, et d'une façon beaucoup moins prolixe. À ceux qui savent la grossièreté habituelle de ces temps, il est de toute évidence que ni l'un ni l'autre n'ont été composés pour une plèbe soldatesque et avinée, mais pour des goûts épurés d'une cour lettrée et non encore gâtée par les écarts des muses de la pléiade.

Mais brisons là.

C'est comme enseignement littéraire et dramatique que nous offrons la _Fille abhorrant mariaige_ et la _Vierge repentie_ à la méditation des lecteurs.

S'ils y trouvent quelque plaisir, s'ils en retirent quelque profit, d'autres publications analogues sont prêtes, qui leur seront successivement communiquées.

 LOUIS LACOUR. 

LA FILLE ABHORRANT MARIAIGE

À DEUX PERSONNAIGES CLÉMENT ET CATHERINE


CLÉMENT commence.

   Bien aise suis de veoir la fin
   Du soupper, Catherine, affin
   D'aller se pourmener ensemble;
   Car, veu la saison, il me semble
   Qu'il n'est chose plus délectable.

CATHERINE.

   Je vieillissois aussi à table,
   Et si m'ennuyois d'estre assise.

CLÉMENT.

   Qu'il faict beau temps quand je m'advise:
   Voyez, voyez tout à la ronde
   Comme le monde rit au monde:
   Aussi est-il en sa jeunesse.

CATHERINE.

   Vous dictes vray.

CLÉMENT.

                    Et pourquoi est-ce
   Que votre printemps çà et là
   Ne rit aussi?

CATHERINE.

                Pourquoi cela?

CLÉMENT.

   Pour ce que n'estes point bien gaye À mon gré.

CATHERINE.

              Paroist-il que j'aye
   Autre visaige que le mien
   Acoustumé?

CLÉMENT.

             Voulez-vous bien,
   Sans que vostre oeil soit esblouy,
   Que je vous monstre à vous?

CATHERINE.

                              Ouy!

CLÉMENT.

   Voiez-vous bien là ceste rose
   Qui s'est toute retraicte et close
   Vers le soir?

CATHERINE.

                Je la voy, et puis,
   Voulez-vous dire que je suis
   Ainsi décheue?

CLÉMENT.

                 Toute telle.

CATHERINE.

   La comparaison est plus belle
   Que propre[5].

CLÉMENT.

                 Si ne m'en croyez,
   Myrez-vous bien et vous voyez
   En ce ruisseau; mais dictes-moy
   Pourquoy avec si grand esmoy
   Durant le soupper souspiriez?

CATHERINE.

   Jà ne faut que vous enqueriez
   De chose qui aucunement
   Ne vous touche.

CLÉMENT.

                  Mais grandement;
   Car, quant vous estes en soucy,
   Je suis tout fasché... Qu'est-ce cy?
   Vous souspirez encor, madame?
   Comme il vient du profond de l'âme
   Ce soupir là! 

CATHERINE.

                Sans point mentir,
   J'ay qui au cueur se faist sentir;
   Mais le dire n'est pas bien seur...

CLÉMENT.

   À moy qui vous tiens pour ma soeur!
   Non, non, Catherine m'amye,
   N'aiez ne crainte ne demye:
   Dictes moy tout sans rien obmettre;
   Car à seureté vous povez mettre
   Votre secret en ces oreilles,
   Tant soit-il grand...

CATHERINE.

                         Voicy merveilles!
   Peult estre quant vous le sçaurez,
   Aucune puissance n'aurez
   De m'y servir.

CLÉMENT.

                 On vous orra:
   Et qui par effect ne pourra
   Vous secourir, peult estre au fort,
   Qu'on vous servira de confort
   Ou de conseil.

CATHERINE.

                 J'ay la pépye.

CLÉMENT.

   Dont vient cecy? Suys-je une espye,
   Ou ne m'aimez-vous point autant
   Que vous souliez?

CATHERINE.

                    Je vous hay tant
   Que j'ay moins cher mon propre frère:
   Et toutesfois mon cueur diffère
   D'en dire rien.

CLÉMENT.

                  Vous estes fine.
   Venez çà. Si je le devine,
   Le confesserez vous adoncq?
   Vous reculez? Promettez moy doncq,
   Ou je importuneray sans fin.

CATHERINE.

   C'est vous mesme qui estes fin:
   Or sus puis que promettre fault?...

CLÉMENT.

   Tout premier rien ne vous deffault,
   Que je voye, en félicité.

CATHERINE.

   Pleust à Dieu que la vérité
   Vous en deissiez!

CLÉMENT.

                    Quant à vostre âge,
   Vous estes en la fleur. Et gage
   Que le plus de vos ans ne monte
   Que dix-sept?

CATHERINE.

                Non!

CLÉMENT.

                    À ce compte,
   Je croy que la peur de vieillesse,
   Ne vous met pas en grant tristesse.

CATHERINE.

   Nenny.

CLÉMENT.

         On voit de tous costez,
   En vous, cent parfaites beaultez:
   Grant don de Dieu!

CATHERINE.

                     Je vous affie
   Que ne me plains, ne glorifie
   De beaulté quelle qu'elle soit.

CLÉMENT.

   Après, au taint, on apperçoit
   Que n'avez maladye aucune:
   Sinon qu'il y en eust quelcune
   Qu'on ne voit point.

CATHERINE.

                       L'adieu merci!
   Je n'ay rien eu jusques-icy
   De mal tache.

CLÉMENT.

                Quant au renom,
   Il n'est point mal. 

CATHERINE.

                      Je croy que non.

CLÉMENT.

   Puis, vous avez, j'en suis records,
   Ung esprit digne de ce corps,
   Voire tel, sur ma conscience,
   Que pour moy, en toute science,
   Je le vouldroys.

CATHERINE.

                   S'il y en a,
   Il vient de Dieu qui le donna,
   Et en loue sa bonté haulte.

CLÉMENT.

   Au reste, vous n'avez point faulte
   De ceste bonne grâce exquise,
   Laquelle est toujours tant requise
   En la beaulté.

CATHERINE.

                 Je vous asseure
   Que je vouldroys estre bien seure
   D'avoir bonnes meurs[6].

CLÉMENT.

                           Au surplus,
   Il n'est rien qui abaisse plus
   Beaucoup de cueurs que povre race:
   Mais Dieu vous a faict ceste grâce
   D'estre yssue de bons parens,
   Bien nez, riches et apparens,
   Qui vous ayment.

CATHERINE.

                   Je n'en doubte.

CLÉMENT.

   Que diray plus? Croyez qu'en toute
   Ceste ville, je ne voy point
   Fille qui me vinst mieux à point,
   Ne que pour moy sitôt l'esleusse.
   S'il plaisoit à Dieu que je l'eusse
   Pour ma femme.

CATHERINE.

                 Aussi pour époux,
   Je ne vouldroye aultr e que vous,
   Si c'estoit à moy à choisir,
   Et que j'eusse quelque désir
   De mariaige.

CLÉMENT.

               Il fault bien dire
   Que le regret qui vous martire
   Soit un grant cas!...

CATHERINE.

   Il n'est pas du tout si léger
   Comme l'on diroit bien!

CLÉMENT.

                          Or sus,
   Si je vous mectz le doy dessus,
   Ne vous en fascherez vous jà?

CATHERINE.

   Je vous l'ay accordé déjà.
   Besongnez.

CLÉMENT.

             Sans mentir, je sçay,
   Ce défaut, j'en ay faict l'essay,
   Combien le mal d'amour tourmente:
   C'est vostre douleur véhémente?
   Confessez, vous l'avez promis.

CATHERINE.

   Je vous confesse qu'amour a mis
   En mon coeur l'ennuy que je porte;
   Mais non pas amour de la sorte
   Que celle que vous entendez.

CLÉMENT.

   Si plus grand cler ne me rendez,
   Garde n'ay que plus j'en devine.
   Quel amour est-ce?

CATHERINE.

                     Amour divin.

CLÉMENT.

   Bref, quant dix ans je y penseroys
   Plus devyner je n'en saurois!
   Mais vostre bouche le dira,
   Ou ceste main ne partira
   Jamais de la myenne.

CATHERINE.

                       Quel homme!
   Vous pressez aussi fort comme
   S'il vous touchoit.

CLÉMENT.

                      Or, quelque chose
   Qui soit en vostre cueur enclose,
   Mectez la hardiement icy.

CATHERINE.

   Puisque vous me forcez ainsy,
   Je le diray. Quasi dès l'aage
   D'enfance, me vint en couraige
   Une affection si très grande.

CLÉMENT.

   Et de quoy?

CATHERINE.

              D'estre de la bande
   Des vierges sacrées.

CLÉMENT.

                       D'estre moynesse?

CATHERINE.

   Justement...[7].

CLÉMENT.

   Hem! c'est prendre gren pour farine.

CATHERINE.

   Que dictes vous?

CLÉMENT.

                   Bien Catherine...
   Je toussoys, dictes à loisir.

CATHERINE.

   Mes parens à ce mien désir
   N'ont jamais faict que résister.

CLÉMENT.

   Et vous?

CATHERINE.

           Et moy de persister
   Et de prières et de larmes,
   Pour les gaigner.

CLÉMENT.

                    Et eux q ue feirent?

CATHERINE.

   Finablement, après qu'ils veirent
   Que je ne cessoys de prier,
   De requérir, pleurer, crier,
   Ils s'inclinèrent, promettans,
   Dès que j'auroys dix-sept ans,
   De faire à mon intencion,
   Pourveu que ma dévotion
   Continuast. Or suis-je au terme:
   Mon vouloir est toujours ferme,
   Touttefois parens et amys,
   Contre tout ce qu'ils m'ont promis,
   Me reffusent. C'est ce qui tant
   Jour et nuyt me va contrestant.
   Je vous ay dict ma maladye:
   Si povez, faictes que je dye
   Que j'ay trouvé ung médecin.

CLÉMENT.

   Vierge plus blonde qu'un bassin,
   Tout premier conseiller vous veulx
   Que vos affections et voeux
   Vous modériez, et si contente
   L'on ne vous faict de vostre attente,
   D'en prendre ennuy ne vous jouez:
   Mais voulez ce que vous povez
   Pour le plus seur.

CATHERINE.

                      Morte je suis,
   Si je n'ay ce que je poursuis:
   Voire bientost.

CLÉMENT.

                   Mais voirement,
   D'où printes-voue primièrement
   Ce mortel désir?

CATHERINE.

                    Une foys
   Que guers d'aage je n'avoys,
   En ung couvent on me mena
   De nonnains; on me promena,
   On nous monstra là toutes choses:
   Ces nonnains fresches comme roses
   Me plaisoient et me sembloient anges,
   Tout reluysoit, jusques aux franges,
   En leur esglise. Leurs préaulx
   Et jardins estoient si très beaulx:
   Quant tout est dict, par tous les lieux
   Ou je vouloys tourner les yeulx,
   Tout me rioit. Si no us venoient
   Mille propos que nous tenoient
   Des nonnains en leur doulx langage.
   J'en trouvay là deux de mon aage
   Avecques qui je m'esbatoys,
   Du temps que petite j'estoys;
   De ce temps là, sans point mentir,
   Commença mon cueur à sentir
   Le désir d'une telle vie.

CLÉMENT.

   De rien condemner n'ay envye:
   Si est que, à toutes personnes,
   Toutes choses ne sont pas bonnes;
   Et, veu la gentille nature,
   Laquelle en vous je conjecture,
   Tant par les meurs que par la face,
   Il me semble, sauf vostre grâce,
   Que devez prendre pour espoux
   Quelque beau filz pareil à vous,
   Et instituer, bien et beau,
   Chez vous, un couvent tout nouveau,
   Dont vous seriez la mère abesse
   Et luy l'abbé.

CATHERINE.

                  Moi, que je laisse,
   Le propos de virginité!
   Plutost mourir!

CLÉMENT.

                   En vérité,
   Virginité grant chose vault,
   Pourveu qu'elle soit comme il fault;
   Mais pour cela n'est jà mestier
   Qu'entriez en cloistre ne moustier,
   Dont ne puissiez sortir après.
   Vous povez vivre vierge auprès
   De père et mère.

CATHERINE.

                    Il est ainsi;
   Mais non trop seurement aussi.

CLÉMENT.

   . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
   . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
   . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
   . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
   Les vierges de cueur pur et munde,
   Au temps passé, en lieu du monde,
   Plus honnestement ne vivoient
   Qu'avec leurs parents, et n'avoient
   Que l'évesque pour leur beau-père....
   Mais nommez-moy le monastère,
   Je vous prie, que vous voulez prendre
   Pour en servitude vous rendre
   À jamais?

CATHERINE.

             Celuy de Temspert.

CLÉMENT.

   N'est-ce pas celluy qui appert
   Sur la montagne, par delà
   Le boys de vostre père?

CATHERINE.

                           Là.

CLÉMENT.

   Je congnoys toute la mesgnye
   De céans. Quelle compaignye!
   Elle mérite, bien pensez,
   Que pour elle vous laissez
   Vos parents si bons et honnestes!
   Quant au prieur, sur toutes bestes,
   Je la vous promets la plus sotte.
   Il y a dix ans qu'il radotte,
   D'aage et d'ivroignerye extresme,
   Et a deux compaignons de mesme:
   Frère Jehan et frère Gervays;
   Frère Jehan n'est point trop mauvais;
   Mais au reste il n'a rien de l'homme,
   Fors seulement la barbe; comme
   Il n'a ne sçavoir, ne cerveau.
   Et frère Gervais est si veau,
   De contenance si badinne,
   Que, sans le froc sacré et digne
   Qui couvre tout, il trotteroyt
   Parmy la ville, et porteroyt
   Le beau chapperon à oreilles,
   Et les deux sonnettes pareilles
   Publicquement!

CATHERINE.

                 Ils sont tant doulx!

CLÉMENT.

   Si les congnoys-je mieul x que vous!
   Mais ils sont, j'entends bien le cas,
   Vers vos parens vos advocatz,
   Pour vous fere estre leur novice.

CATHERINE.

   Frère Jehan m'y faict du service
   Et est mon grand solliciteur,
   Je le sçay bien.

CLÉMENT.

                    Quel serviteur!
   Or, prenons qu'ilz soient maintenant
   Doctes, et vous à l'advenant;
   Pour cest affaire, dès demain,
   En moins que de tourner la main,
   Sots et mauvais se trouveront;
   Et tels que baillez vous seront,
   Vous les fault recevoir et prendre,
   Pour tout jamais!

CATHERINE.

                     Il fault entendre
   Que souvent on faict des bancquetz
   Chez nous, où l'on tient des caquetz
   Qui m'offencent et scandalisent;
   Car toujours des propos que disent
   Des mariés par vanité
   Ne sentent pas virginité:
   Et parfoys, dont faschée suis,
   Le baiser reffuser ne puis
   Honnestement[8].

CLÉMENT.

                    Qui fuyr veult
   Tout ce qui offenser le peult
   Quant et quant, se face inhumer.
   L'oreille doit s'acoustumer
   À oyr toutes choses dire:
   Prendre le bon, laisser le pire
   Pour le meilleur. Et, d'autre part,
   Je croy que vous avez à part Vostre chambre chez votre père.

CATHERINE.

   Ouy dea.

CLÉMENT.

            Si on délibère
   De fere quelquefois bancquet,
   Tandis qu'ils tiendront leur cacquet,
   Tenez vous en vostre chambrette,
   Et en dévotion secrette
   Avec Dieu là devisez,
   Psalmodiez, priez, lisez,
   Louez sa bonté éternelle
   Ainsi la maison paternelle
   Ne vous fera brin de soilleure;
   Mais bien vous la rendrez meilleure
   Et plus nette, ma bonne seur.

CATHERINE.

   Si est-il toutes foys plus seur
   Parmy les vierges se trouver.

CLÉMENT.

   Je ne veulx certes reprouver
   Compaignye chaste et honneste;
   Mais gardez bien qu'en vostre teste
   Vous n'aiez une impression
   De faulce imagination.
   Quant ung temps y aurez esté.
   Et de près tout veu et guetté,
   Peult estre que toutes les choses
   Entre les murailles encloses,
   Et lesquelles vos yeulx y virent,
   Ne vous riront, comme elles firent.
   Toutes celles qui voilles ont,
   Et m'en croiez, vierges ne sont.

CATHERINE.

   Voilà bons motz.

CLÉMENT.

                    Bons et notables
   Sont les mots qui sont véritables...
   Si non qu'à maintes du chappitre
   Soit permis de prendre le tiltre
   De Marie. . . . . . . . . . . . . . .
   . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
   . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CATHERINE.

   Vous parleriez bien autrem ent,
   Si vous vouliez.

CLÉMENT.

                    Propos final.
   Souvent tout n'est pas virginal
   Parmy ces vierges.

CATHERINE.

                      Mon beau, sire,
   Et pourquoy?

CLÉMENT.

               Je le vous veux dire:
   Pour ce que parmy ces pucelles
   Se trouve grant nombre de celles
   Qui de meurs ressemblent Sapho,
   Plus que d'entendement.

CATHERINE.

                           Ho! ho!
   C'est jargon, je ne l'entends point.

CLÉMENT.

   Aussi l'ay-je dict tout à point
   Affin que ne fusse entendu.

CATHERINE.

   Or voyla, mon cueur s'est rendu
   À ce désir, et fault bien dire
   Que l'esprit qui à ce m'atire
   Vient de Dieu, puisqu'il continue
   Depuis tant d'ans qu'il m'a tenue:
   Et ne faict que croistre et m'attraire
   De jour en jour.

CLÉMENT.

                    Mais au contraire;
   Cest esprit suspect me semble,
   Veu que tous vos parens ensemble
   Fuyent à ce que vous disiez.
   Ils eussent esté inspirés
   Si vostre désir fust de Dieu;
   Mais la plaisance de ce lieu,
   Que vous veistes petite fille,
   Des nonnains la doulce babille.
   Leur habit saint, le chant d'icelles,
   Leurs cérémonies tant belles:
   Voilà l'esprit qui attira
   Vostre cueur et qui l'inspira.
   Avec les caphardes parolles
   De ces moynes à te stes folles
   Qui vous chevallent pour leur bien.
   Et pour rungner; ils savent bien
   Que vostre père est homme large;
   À soupper l'auront, à la charge
   Qu'il portera du vin assez
   Pour dix buveurs, maistres passez;
   Ou bien chez luy s'en yront boyre.
   Parquoy, si vous m'en voulez croyre,
   Rien contre ce gré ne ferez
   De père et mère; et penserez
   Que Dieu veult que soubz leur puissance
   Demourrions en obeyssance.
   Songez-y bien.

CATHERINE.

                  En telle affaire,
   C'est chose saincte de ne faire
   Compte de ses parents.

CLÉMENT.

                          Sans fainte?
   Pour Jésus-Christ, c'est chose sainte
   De n'obeyr à père et mère?
   En quelque cas c'est chose amère,
   Les contempner en autre endroict;
   Car ung filz humain qui vouldroit
   De malle façon laisser mourir,
   --J'entends s'il le peult secourir,--
   Son père ydolastre ou ethicque,
   Il seroit ung vray filz inicque;
   Mais si vous n'aviez le baptesme,
   Et la mère, ou le père mesme,
   Vous voulust garder de le prendre,
   Lors à eulx ne devez entendre,
   Où s'ilz vouloiènt vous mettre en teste
   De faire chose deshonneste,
   Allors pourriez, en vérité,
   Contempner leur autorité;
   Mais qu'a besoing tout ce mistère
   De couvent ne de monastère?
   Vous avez, en toute saison,
   Jésus-Christ en vostre maison.
   Davantaige, ainsy que je trouve,
   Nature dict et Dieu approuve,
   Sainct Pol remonstre fort et ferme,
   Et la loy humaine conferme,
   Qu'enfans obeyr sont tenuz
   À un père dont ilz sont venuz:
   Voulez-vous de dessoubs les mains
   De vos parents doulx et humains
   Vous retirer, et fere change
   D'un vray père à un père estrange,
   Et de propre mère tant chère
   Permuter à une estrangère?
   Ou, pour mieulx dire, voulez-vous,
   Pour des parens bégnins et doux,
   Des maistres et maistresses rudes?
   Et achapter ces servitudes,
   Vous qui meritez qu'on vous serve,
   Fille de maison, non point serve?
   Certes, charité chrétienne
   Rompit la coustume ancienne,
   D'esclaves et serfs qu'on avoit,
   Fors que les marques on en voit
   Encor en quelque région;
   Mais soubs nom de religion,
   Ce monde fol, en son cerveau,
   A trouvé ung germe nouveau
   De servitude: on n'y permect
   Sinon ce que la reigle y mect:
   Quelque bien qu'on vous donne et baille.
   C'est au proffict de la canaille!
   Troys pas allez vous promener,
   Soudain vous feront retourner,
   Comme si la fuycte aviez prise
   Pour avoir vostre mère occise!
   Et afin qu'on congnoisse mieulx
   La servitude desdits lieux,
   Il fault que là soit despoillee
   La robe des parens baillee;
   Et à la mode qu'on traictoit
   Jadis les serfs qu'on achaptoit,
   Ils changent (qui est grant mespris!)
   Le nom qu'au baptesme on a pris:
   De sorte que pour Pierre ou Blaise,
   Fault avoir nom Jehan ou Nicaise:
   Jacques aura des qu'il fut né
   À Jésus-Christ son nom donné;
   Et quant cordelier se rendra
   Le nom de François il prendra!
   Souldart qui laisse la livrée
   Que son seigneur luy a livrée
   Semble renoncer à son maistre,
   Et sainct homme nous pensons estre
   Celuy qui une robbe vest,
   Laquelle Jésus-Christ, qui est
   Seigneur de tous, point ne lui donne:
   Et s'il despoille et habandonne
   L'habit que d'ailleurs il a prins,
   Il en sera plus fort reprins Que s'il laissoit, par griefve offence,
   La blanche robbe d'innocence
   Que eut de Jésus-Christ son roy!

CATHERINE.

   Certes on dict, et je le croy,
   Que c'est chose de grant mérite
   Si quelcun sa liberté quicte
   Et en tel servage se boutte
   De son gré.

CLÉMENT.

               Cela vient sans doubte
   De pharisaïcque doctrine!
   Sainct Paul, au rebour, endoctrine
   Que qui est franc s'y doit tenir,
   Sans point vouloir serf devenir;
   Mais plustost qu'on se délibère
   De devenir franc et libère.
   Et, ce qui rend plus malheureuse
   Ceste servitude fascheuse,
   Il vous fault servir plusieurs maistres,
   Souvent grosses bestes champestres,
   Bien souvent trop longtemps congneuz,
   Aulcune foys nouveaulx venuz!
   Or çà est-il loy ne usance
   Qui vous mette hors la puissance
   Et hors des droitz de père et mère?

CATHERINE.

   Nenny.

CLÉMENT.

         Et venez çà, commère!
   Povez-vous doncq, oultre leur gré,
   Vendre ou achapter champ ne pré,
   Qui soit de leur bien?

CATHERINE.

                          Rien quelconques.

CLÉMENT.

   Qui vous baille ceste loy donques
   De vous livrer en main estrange,
   Veu que père et mère à ce change
   Ne veulent consentir en rien?
   N'estes-vous pas leur propre bien
   Et leur chère possession?

CATHERINE.

   La foy et la dévotion
   Font cesser toute loy humaine.

CLÉMENT.

   Le faict de la foi se devant
   Ailleurs et principallement
   Au baptesme: icy seullement
   N'est question que de changer
   D'acoustremens, et se renger
   À ne sçay quel genre de vye
   Qui n'est bon ne mauvais de soy.
   Je suis marry quant j'apperçoy
   Combien avec la liberté
   Vous perdez de commodité!
   Maintenant, il vous est licite
   Dedans vostre chambre petite,
   Lyre à part vous, estudier,
   Faire oraison, psalmodier.
   Quant et autant il vous plaira:
   Et des qu'il vous y faschera,
   Vous povez ouyr las canticques,
   Au service divin aller,
   De Dieu en chaire oyr parler;
   Ou bien, si quelque fille ou dame,
   Qui soit bonne de corps et d'ame,
   Vous trouvez, ou homme sçavant,
   Ils vous pourront mettre en avant
   Cent bons propos, desquelz à l'heure
   Vous pourrez devenir meilleure;
   Et pourrez eslire et sercher
   Homme qui sçache bien prescher
   Jésus-Christ sans capharderye.
   Si une foys en moynerye
   Vous entrez, perdre vous convient
   Ces choses là, desquelles vient
   Ung grand prouffict quant à la foy.

CATHERINE.

   Mais tandis, à ce que je voy,
   Je ne seray point nonnain?

CLÉMENT.

                             Non.
   Et si serez, puisque ce nom
   Vous plaist si fort! or audience:
   Elles s'enflent d'obédience,
   Et vous n'avez vous pas cest heur
   D'obeyr à vostre pasteur
   Et aux parens, comme est escript
   En la reigle de Jésus-Christ?
   Quant à pauvreté qu'elles vouent
   Et dont tant s'estiment et louent,
   Ne l'avez-vous, quant tous voz bienz
   Vos parens les ont, et vous riens?
   Toutes fois les vierges vouées,
   Jadis, estoient surtout louées
   Des doctes et des sainctes gens
   De subvenir aux indigens,
   Selon la fortune et l'affaire:
   Ce quelles n'eussent pas sceu fere
   Si leur bien n'eussent regenté.
   Au reste, quant à chasteté,
   La vostre n'empirera point
   En vostre maison. Par ce point,
   Vous voilà nonnain. Autant vault.
   Dictes-moy que c'est qu'il s'en faut
   Ung certain voille, une chemise
   Qui dessus la robe soit mise,
   Au lieu que dessoubz on la porte,
   Et des mynes de mainte sorte,
   Qui, de soy, ne font valloir mieulx
   La personne devant les yeulx
   De Dieu, qui nostre cueur regarde.

CATHERINE.

   Vous me comptez quand je y prens garde
   Choses estranges et nouvelles.

CLÉMENT.

   Mais très vrayes et toutes telles
   Comme je le dy.

CATHERINE.

                  Certes cy est-ce
   Qu'au cueur n'auray jamais liesse,
   Si sans espoir on contredit
   Religion!

CLÉMENT.

             Voilà bien dict!
   Prinstes vous pas au baptesme
   Religion?

CATHERINE.

             Si feiz!

CLÉMENT.

                     Et mesme
   Tous ceulx qui soubz Jésus-Christ vivent
   Et ses commandemens ensuyvent
   Ne sont-ilz point religieux?

CATHERINE.

   Si sont!

CLÉMENT.

            Je suis fort envieux
   De savoir doncq comment s'appelle
   Ceste religion nouvelle
   Qui rend ainsi de nul effect
   Ce que loy de nature a faict,
   Ce qu'enseigne la loy anticque,
   Ce qu'approuve l'évangélicque,
   Et l'appostolicque conferme;
   Ce décret là, tant soit-il ferme,
   De Dieu n'est faict, ne approuvé;
   Mais par les moines controuvé.
   À ce propos, plusieurs se trouvent
   Qui les mariaiges approuvent
   Des jeunes gens, lesquels s'atachent
   Sans que père et mère le saichent,
   Voire malgré eulx, plusieurs fois:
   Raison humaine toutesfois,
   Ne les loix les plus anciennes,
   Ne Moïse dedans les siennes,
   Ne Evangille, ne canon,
   Ne tient cela?

CATHERINE.

                 Je croy que non.
   Par ce doncq vouliez proposer,
   Que je ne sçaurois espouser
   Jésus-Christ, s'il ne vient à plaire
   À mes parens?

CLÉMENT.

                 Je vous déclaire
   Que desja épousé l'avez:
   Si ont tous ceux qui sont lavez
   De baptesme. Qui est l'épouse
   Qui deux foys ung mary espouse?
   Il n'est question seullement
   Que ou lieu de l'habillement
   Et des cérémonies ensemble:
   Pour cela ne fault, ce me semble,
   Père et mère ainsi mespriser.
   Et puis il faut bien adviser,
   Qu'en voulant encore entreprendre
   De Jésus-Christ, pour mary prendre,
   À d'autre ne vous mariez[9]!

CATHERINE.

   À les écouter vous diriez
   Qu'on ne peut plus sainctement fere,
   Que ne tenir, en cest affaire,
   Compte de parens ne tuteurs?

CLÉMENT.

   Priez doncques ces beaux docteurs
   Qu'aux saincts escriptz ils vous en trouvent
   Quelque passage, et s'ils ne peuvent,
   Commandez-leur de boyre un verre
   De bon vin de Beaune ou d'Auxerre!
   Ils pourront bien faire cela.
   Quant ses parens on laisse là
   Infidelles, pour Jésus suivre,
   Cela, c'est son salut poursuyvre;
   Mais ses parens chrestiens quitter
   Pour en moynerye habiter,
   Qui est souvent, et j'en réponds,
   Pour les mauvais laisser les bons,
   Quelle dévotion peult-ce estre?
   Encores ceulx que le bon maistre
   Jésus-Christ avoit convertiz
   À la foy, du temps des gentilz,
   Estoient tenus, par tous moyens,
   Servir à leurs pères payens,
   Autant comme il se povoit fere
   Sans foy chrestienne forfaire!

CATHERINE.

   Vous tenez donc pour mauvais
   Cest ordre de vivre?

CLÉMENT.

                        Non fais!
   Mais tout ainsi qu'aux enserrés
   Et qui du tout se sont fourrés,
   Je ne vouldroys persuader
   D'en sortir hors, ne demander,
   Ains sans scrupulle, ne doubte,
   Puys conseiller à fille toute,
   Mesme de gentille nature,
   De n'entrer point à l'adventure
   En lieu dont ne puissent sortir:
   De ce vous puis bien advertir;
   Veu mesmes que, le plus souvent,
   Virginité en ung couvent,
   Plus tost qu'ailleurs, est en danger,
   Et que, sans vostre habit changer,
   Povez fere autant d'oeuvres bonnes
   Au logis, comme en font les nonnes
   En le ur couvent.

CATHERINE.

                     Vos argumens
   Sont infinis et véhémens.
   Toutes foys, de ce mien désir
   Ne se peult mon cueur dessaisir:
   Et en suis là.

CLÉMENT.

                  Et bien, m'amye,
   Si attirer je ne puys mye
   Vostre voulonté à la mienne,
   À tout le moins, qu'il vous souvienne
   Des propos tenus en ce lieu.
   Ce temps pendant, je prie à Dieu
   Que l'affection désireuse
   Que vous avez soit plus heureuse
   Que mon conseil n'a pas esté
   De n'avoir sceu estre accepté!


FIN.

II LA VIERGE REPENTIE


CLÉMENT.

   Catherine, à ce que j'entends,
   N'a pas esté nonnain longtemps:
   Je m'en vais frapper à sa porte
   Pour sçavoir comme tout se porte.
   Hola! hau!

CATHERINE.

             Entrez!

CLÉMENT.

                    Je vouldrois
   Rencontrer en beaucoup d'endroictz
   De telz portiers que cestuy cy!

CATHERINE.

   Et moy de telz heurteurs aussi.

CLÉMENT.

   Adieu Catherine!

CATHERINE.

                   Comment!
   Dict on adieu p remièrement
   Que saluer[10]?

CLÉMENT.

                  Je ne suis pas
   En ce lieu couru le grant pas,
   Pour vous veoir ainsi lermoyant,
   D'où vient cela que, me voiant,
   Voz yeulx ont esté explourez?

CATHERINE.

   Mais enfuyez!... Vous demourez,
   Je prendray ung austre visage.

CLÉMENT.

   Quel oiseau et mauvais présage
   Voy-je là, qui jaze en cueur
   De vieulx drappeaulx[11]?

CATHERINE.

                            C'est le prieur
   De ce couvent que vous sçavez.
   Je vous pry, si haste n'avez,
   Ne bougez, et m'en vuellez croire,
   Ils s'en vont achever de boyre:
   Séez vous ung peu icy près,
   Il s'en va tantost, et après
   Nous en deviserons tous deux,
   À notre mode.

CLÉMENT.

                Je le veulx,
   Et vous obeyray de faict:
   Ce qu'à moi vous n'avez pas faict.
   Or nous voicy seulletz. Là doncq,
   Comptez la fable tout du long:
   Elle me semblera meilleure
   De vostre main.

CATHERINE.

                  Je vous asseure
   Qu'entre tant d'amys que congnoys,
   Et que bien prudents je tenoys,
   Je n'ai point eu conseil plus saige
   Que de vous, le plus jeune d'aage
   De toute la trouppe. 

CLÉMENT.

                       Or me dictes
   Comment fut-ce que vous vainquistes
   De vos parens l'affection?

CATHERINE.

   Tout premier l'exhortation
   Des moynes et religieuses,
   Et mes requestes gracieuses
   Rengèrent ma mère à se rendre;
   Mon père n'y vouloit entendre
   En sorte du monde; à la fin
   Fort contre fort, fin contre fin,
   Bien assailly, bien debattu,
   Le bon homme fut abbatu,
   Et dist oy, en se sentant
   Plus tost forcé que consentant;
   Car en demenant ces propos
   Entre les verres et les pots,
   Ils menassoient ce pauvre père
   De malle mort et vitupère,
   S'il reffusoit à Jésus-Christ
   Son espouse[12].

CLÉMENT.

                   Est-il Antéchrist
   Plus malin que ces badins là!
   Ainsi m'amye?...

CATHERINE.

                    On me cela
   En la maison, durant trois jours:
   Ce temps pendant, j'avoys toujours
   Auprès de moy quatre converses,
   Qui, par flateries diverses,
   Me venoient encore inciter
   De tousjours au voeu persister;
   Fort sengneuses et dilligentes
   Que mes compaignes ou parentes
   Ne vinsent mon propos changer.
   Elles craignoient fort ce danger.
   Tandis, tout mon cas s'apprestoit,
   Et ordre au bancquet on metoit,
   Ce jour solempnel attendant.

CLÉMENT.

   Et que faisiez-vous cependant?
   Cueur, de lyesse banny[13],
   Ne vacilloit-il point?

CATHERINE.

                          Nenny.
   Mais j'enduray ung si horrible
   Je ne sçay quoy, qu'il n'est possible
   Qu'encor ce mal je sceusse avoir
   Sans mourir!

CLÉMENT.

                Sçauroit-on sçavoir
   Quelle chose c'est?

CATHERINE.

                       Je n'oy goute.

CLÉMENT.

   Ce que vous me direz, sans doubte,
   C'est autant que sur l'eaue escripre!

CATHERINE.

   N'yra-t-il pas plus loing?

CLÉMENT.

                             Tant dire!
   Avant que l'eussiez demandé,
   Cela estoit tout accordé:
   Voyez lieu et heure opportune
   Pour dire tout!

CATHERINE.

                  Il m'advint une
   Vision horrible et estrange!

CLÉMENT.

   Bref, c'estoit vostre mauvais ange.
   Qui en la teste vous metoit
   D'estre moynesse?

CATHERINE.

                     Non estoit.
   Et croy par ma foy, mon amy,
   Que c'estoit plustôt l'ennemy
   D'enfer! 

CLÉMENT.

            Deschiffrez-moy sa forme:
   Estoit-il point aussi difforme
   Comme on les paint? muffle de beste,
   Deux grandes cornes sur la teste,
   Piedz de griffon, yeulx, orreillez,
   Longue queue?...

CATHERINE.

                     Vous vous raillez.
   Si est-ce que j'aimeroys mieulx,
   En bonne foy, n'avoir point d'yeux
   Que veoir encor telle vision!

CLÉMENT.

   Aviez-vous pour provision,
   À l'heure, vos admonesteuzes?

CATHERINE.

   Nenny! Et jamais ces flateuzes
   N'en sceurent rien sçavoir, combien
   Qu'elles me pressèrent très bien,
   Quant me trouvèrent, de leur dire
   Pourquoy j'estoys en tel martire,
   Et si troublée.

CLÉMENT.

                   Voulez vous
   Que je vous déclare, à deux coups,
   Que c'estoit?

CATHERINE.

                 Ouy, si voyez
   Que le puissiez fere!

CLÉMENT.

                         Croyez
   Que ces femmes qui vous tentèrent,
   Tout le cerveau vous enchantèrent
   De leur propos; mais cependant
   Vous vous alliez toujours rendant
   Et persistiez?

CATHERINE.

                  Par ma foy voire;
   Car elles me faisoient accroyre
   Que telles choses advenoient
   À plusieurs, quant ils se donnoient
   À Jésus-Christ; mais si mon cueur
   Estoit de l'ennem y vaincueur
   En ce premier assault, qu'après
   Tout yroit bien.

CLÉMENT.

                    En quelz appretz
   Et pompes fustes vous menée?

CATHERINE.

   De mes joyaulx je fuz ornée,
   Et me feist on escheveller,
   Comme si je m'en deusse aller
   En tel estat propre et ydoyne
   Marier.

CLÉMENT.

           À quelque gros moyne?
   Hen! Que maudict soit la toux!

CATHERINE.

   À beau plain mydy, devant tous,
   Depuis la maison de ma mère,
   On me mena au monastère,
   En cest ordre.

CLÉMENT.

                  Sainte Marye!
   L'excellente bastellerye!
   Et comment,--à les bien louer,--
   Ces bouffons savent bien jouer
   Leurs sottes farces, pour complaire
   Aux yeulx du simple populaire?
   Combien de jours, bon gré, mal gré,
   Fustes vous en ce saint sacré
   Couvent de vierges?

CATHERINE.

                       Quasi quinze.

CLÉMENT.

   Vous cuydastes bien estre prinse
   Au trébuchet; mais venez çà.
   Quelle ocasion renversa
   Vostre voulloir si endurcy?

CATHERINE.

   Cela ne se dict pas ainsi;
   Mais c'estoit bien quelque grant chose.
   Six jours après que fuz enclose,
   Ma mère j'envoyay quérir,
   Et la sceu très bi en requérir
   Et plus que prier, si envye
   Elle avoit de m'avoir en vye,
   Que hors de là me feist retraire.
   Et elle d'aller au contraire,
   M'admonnestant d'avoir constance.
   Mon père vint après qui tanse,
   Et en tansant, très bien sçavoit
   Me dire, que par force avoit
   Vaincu les affections siennes,
   Et que je vainquisse les miennes,
   Sans luy acquerir ce mespris
   De laisser l'ordre que j'ay prins.
   Oyant cela, je leur denonce,
   Que s'ils ne font autre reponse
   Et ma langueur ne les remord,
   Qu'ils seront cause de ma mort;
   Et qu'ainsi pour vray en yroit,
   Si bref on ne m'en retiroit.
   Cela oy, ils s'estonnèrent,
   Et au logis me remmenèrent
   Tout droict.

CLÉMENT.

                Ô le bien que vous feistes
   Quant de si bonne heure en sortistes,
   Ains qu'avoir faict profession
   D'éternelle subgection!
   Mais je ne sçay point vouérement
   Quelle cause si promptement
   Changea votre cueur?

CATHERINE.

                        Jusqu'à ores
   Personne ne l'a sceu encores;
   De moy point ne le sçaurez.

CLÉMENT.

   Bien estonné vous serez,
   Si je devine et viens au point.

CATHERINE.

   Vous ne la devinerez point;
   Et quant vous l'aurez devinée,
   Rien n'en diray.

CLÉMENT.

                   Quelle obstinée!
   Si m'en doubté-je... Et la dispence?

CATHERINE.

   Il a cousté, comme je p ense,
   À mon père plus de cent livres
   En superfluité de vivres,
   Laquelle compter me pourroye.

CLÉMENT.

   De cuyr d'aultruy large courroye[14].
   Quelz bousfeurs! Or, pour la pécune,
   Je ne m'en soucy d'une prune,
   Puis qu'estes sayne et sauve ici.
   À tout le moins, après cecy,
   Quant bon conseil escouterez,
   S'il vous plaist, mieux le gousterez
   Que n'avez faict?...

CATHERINE.

                       Je le feray,
   Et, comme on dit, sage seray...
   Au retour des platz on m'appelle:
   Adieu vous dy!

CLÉMENT.

                   Adieu la belle[15]!


FIN.