Deux lettres bénédictines inédites/Introduction

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[Mélanges] (p. 3-5).

DEUX LETTRES BÉNÉDICTINES

INÉDITES

DOM GERMAIN — DOM DEVIC




Un des documents que l’on va lire avait sa place naturelle dans les Annales du Midi : c’est celui qui porte la signature de Dom Claude Devic, lequel appartient à notre région par sa naissance (Sorèze), par son séjour au monastère de la Daurade (Toulouse), par son professorat (abbaye de Saint-Sever), enfin et surtout par sa collaboration à L’Histoire générale de Languedoc. Mais j’ai d’abord un peu hésité, je l’avoue, à publier ici l’autre document, car Dom Michel Germain, né à Péronne, est un homme du Nord, et ses travaux n’ont en rien touché à l’histoire méridionale, si ce n’est par quelques passages d’une mémorable dissertation[1]. Pourtant comme les Annales du Midi embrassent, dans leur vaste cadre, avec tout le pays d’outre-Loire, les autres pays voisins aimés du soleil et particulièrement ce prolongement de la France que l’on appelle l’Espagne — car pour nous il n’y a plus de Pyrénées — j’ai pensé que la lettre de Dom Germain, étant en grande partie consacrée au fameux théologien Michel Molinos, je pouvais, sans accroc au programme de notre recueil, rapprocher la lettre du collaborateur de Dom Mabillon de la lettre du collaborateur de Dom Vaissete. D’ailleurs, ne tombe-t-on pas toujours du côté où l’on penche ? Et l’extrême intérêt que présente la lettre de Dom Germain me permettait-il de résister à la tentation de la mettre en lumière ? Comment se résigner à priver ce lecteur auquel on donne le doux nom d’ami, de la joie de lire une page où pétille toute la verve de celui que je ne crains pas de surnommer le plus spirituel des Bénédictins[2], et où les détails les plus nouveaux, les plus piquants, sont encore relevés par une si fine pointe de malice et par de si savoureux grains de sel gaulois ?

La lettre de Dom Dévic est moins curieuse que celle de son confrère. On y trouvera toutefois d’utiles renseignements sur le rôle joué, dans la capitale du monde chrétien, par le futur historien du Languedoc, renseignements qui confirment et complètent ceux qui ont été ainsi résumés, en tête du premier volume de la nouvelle édition, par l’académicien E. Dulaurier : « Il fut envoyé à Rome en 1701, en qualité d’assistant du P. Guillaume Laparre, procureur général de la Congrégation auprès du Saint-Siège. Son caractère doux et affable, sa piété tolérante et son savoir lui valurent de nombreuses et illustres amitiés ; le pape Clément XI, le fameux auteur de la bulle Unigenitus, et la reine de Pologne, Marie-Casimire, l’honoraient de leur bienveillance. En 1708, Dom Laparre ayant été envoyé en mission en France, il le suppléa pendant son absence avec le titre de vice-procureur général. Au milieu des occupations que lui donnait son emploi, il trouvait encore le temps de cultiver les lettres, amour de sa jeunesse ; il collationnait les manuscrits du Vatican et des autres bibliothèques de Rome pour ses confrères de Saint-Germain-des-Prés, et leur envoya quantité de notes et de mémoires[3]. » On remarquera dans la lettre de Dom Dévic, à propos de la victoire de Cassano[4] une allégresse patriotique qui prouve une fois de plus que nos Bénédictins épousaient avec la même ardeur les intérêts de la France et ceux de l’érudition.

Je dois la communication des lettres de Dom Germain et de Dom Devic à un magistrat dont j’ai déjà eu l’occasion de vanter la belle collection bénédictine et encore plus le solide savoir et l’obligeance parfaite, M. Henri Wilhelm[5]. En remerciant ici mon aimable confrère de la générosité de ses dons, je ne puis m’empêcher d’exprimer le vœu qu’il nous fasse jouir directement d’un choix des nombreux et importants documents qu’il a mis tant de zèle à rassembler. Le recueil que je voudrais arracher à la modestie du docte collectionneur serait doublement précieux, car aux lettres de ses chers Bénédictins il pourrait si facilement joindre les plus abondantes et les plus sûres annotations. Un tel recueil nous aiderait fort à attendre avec plus de patience la publication, dans la Collection des documents inédits, de la correspondance des Bénédictins que M. Alph. Dantier avait commencé à préparer et que doit nous donner (en plusieurs volumes[6]) un érudit qui, malgré sa jeunesse, est classé d’une voix unanime parmi nos plus actifs et nos meilleurs travailleurs, M. l’archiviste Henri Stein.

Ph. Tamizey de Larroque.
  1. Commentatio de antiquis Regum Francorum Palatiis, dans le livre IV du De res diplomatica, de Mabillon.
  2. Un juge des plus compétents en matière d’esprit, M. le prince Emmanuel de Broglie, lui a décerné les plus flatteurs certificats, à cet égard, en plusieurs passages de son beau livre sur Mabillon et la Société de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, etc. (Paris, 1888, 2 vol. in-8o), passim, notamment t. I, p. 27.
  3. Introduction, p. 27.
  4. On lit dans l’Art de vérifier les dates : « Le 16 août [1705], le duc de Vendôme défait le prince Eugène à la journée de Cassano, où les Français et les Espagnols achètent le champ de bataille par des ruisseaux de sang. »
  5. Voir Reliquiæ Benedictinæ, Auch, 1886, in-8o, p. 5.
  6. Il n’est question que de deux volumes ; mais le grand nombre des documents et le grand mérite de l’éditeur forceront la main au Comité des Travaux historiques, et j’espère qu’à la suite de cette douce violence paraîtront au moins quatre volumes aussi gros que bien remplis.