Deux voyages sur le Saint-Maurice/00

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PRÉFACE

Chers et bienveillants lecteurs, me voici devant vous avec un volume de 300 pages. C’est gros, c’est long ; vraiment, ainsi chargé, je me sens confus comme un grand coupable. Mon péché est sous vos yeux, je ne puis le nier ; je présenterai au moins des excuses et je chercherai des circonstances atténuantes.

Pourquoi n’avoir pas été plus court dans votre récit, me demandera-t-on tout essoufflé ? — En effet, ce volume devait être court, ou plutôt ce ne devait pas être un volume, mais quelques lettres écrites à la hâte pour les lecteurs du Journal des Trois-Rivières. Les lettres ont été publiées, et, par une bienveillance extrême, les lecteurs ont bien voulu y trouver quelqu’intérêt. Plusieurs amis ont même insisté fortement pour qu’elles fussent imprimées en brochure : hélas ! je n’ai pas su résister à leurs instances.

Je me préparai donc à donner à ces lettres une forme plus durable. On me fit remarquer alors, et je m’aperçus bien moi-même que j’avais fait une lacune en ne parlant pas des missionnaires du Saint-Maurice. Je voulus réparer cette omission, et j’écrivis un chapitre spécial sur les travaux de ces missionnaires.

Oh ! c’est ici que je vous prends, s’écriera mon lecteur : vous avez raison d’écrire, mais pourquoi n’avez-vous pas su vous borner ? — Mes amis, vous ne vous montrerez pas inexorables : J’avais une moisson abondante, et il m’en coûtait de mettre des épis de côté. En faveur des hommes de Dieu que mon livre va peut-être tirer de l’oubli, pardonnez à mes fautes d’écrivain.

Mais bientôt surgit une autre difficulté : Quoi, me disait-on, vous allez publier un ouvrage sur le Saint-Maurice, et vous ne parlerez pas de la chute de Chawinigane ? Vous devez bien voir que c’est impossible !

Je le voyais en effet, et alors que fallait-il donc faire ? Aller voir le Chawinigane, en faire la description et ajouter cela à mon volume ? Vous comprenez vous-mêmes que cet appendice aurait eu toutes les allures d’un champignon. Je me vis donc comme forcé d’entreprendre un second voyage, et de décrire, non pas seulement la chute de Chawinigane, mais tout le Bas Saint-Maurice. Ce voyage a donné la matière de la seconde partie du présent ouvrage.

Ici ce n’est plus la marche triomphale d’un prince de l’Église au milieu d’une population ivre de bonheur, c’est la marche silencieuse d’un très humble particulier dans un petit canot d’écorce. Dans des circonstances si désavantageuses, j’ai recours à l’histoire et à la légende pour donner de l’intérêt à mon récit. Je me débats tant que je peux pour empêcher mes lecteurs d’avoir sommeil, car l’injure la plus sanglante que l’on pût me faire, serait de peindre mon volume ouvert sur les genoux d’un lecteur endormi.

Allons, mes amis, entrez vaillamment dans la lecture de ces pages et j’espère que vous en pourrez voir le terme sans broncher.

Le premier voyage eut lieu en 1887 et le second en 1888.