Deuxième Mémoire sur l’éther muriatique

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DEUXIÈME

MÉMOIRE

SUR L’ÉTHER MURIATIQUE.

Par M. Thenard.

Dans mon premier mémoire sur l’éther muriatique, j’ai annoncé en le terminant, que j’allois m’occuper de recherches sur la nature de cet éther, et sur le mode de combinaison que ses élémens affectent.

J’ai même indiqué dans ce mémoire la marche que je suivrois dans ces recherches. Mais elles exigeoient trop d’expériences, et quelques-unes de ces expériences exigeoient sur-tout trop de tems, pour qu’elles pussent être promptement achevées. Aussi, quoique j’y aie consacré tous les jours plusieurs heures depuis plus de trois mis, suis-je loin de croire qu’on ne puisse rien ajouter aux résultats que je vais avoir l’honneur de communiquer à la classe.

Une des parties essentielles de ces recherches, c’étoit de déterminer la quantité d’acide muriatique qui par lui-même ou ses élémens, entre dans la composition de l’éther muriatique. Pour cela, j’employai de préférence le moyen que je vais décrire. Je mis ensemble dans une cornue que je plaçai à feu nu sur un fourneau, 534 gr. 76 d’acide muriatique, et un volume d’alcool, égal à celui de cette quantité d’acide, l’acide pesoit 1195, et l’alcool 825 à 8°, thermomètre centig. Au col de la cornue étoit adapté un tube plongeant au fond d’un flacon tubulé, dont la capacité étoit de trois litres, et qui contenoit deux litres d’eau ; et de ce flacon partoit un autre tube qui venoit se rendre dans une terrine, sous des flacons ordinaires renversés, pleins d’eau et soutenus par un têt troué dans son milieu ; je me servis toujours de la même eau pour recevoir les gaz, et cette eau représentoit un volume de deux litres vingt-huit centilitres. L’appareil étant ainsi disposé, j’échauffai peu-à-peu la cornue, et bientôt le gaz éthéré se produisit. L’expérience dura huit heures. Pendant tout ce tems, la pression fut sensiblement de 0.76m., et la température de 20°. centigr. Je recueillis tous les gaz, même l’air de vaisseaux dont je tins compte, et j’obtins 38 lit. 14 de gaz éthéré, y compris celui que l’eau de l’appareil avoit pu dissoudre, et celui qui remplissoit la partie de cet appareil vide d’eau. Estimant ensuite la quantité d’acide muriatique qui avoit disparu par la quantité d’alcali qu’il falloit pour saturer cet acide avant et après l’expérience, je trouvai qu’elle équivaloit à 176 gr. 21. Or, ces 176 gr. 21 d’acide, étoient susceptibles de neutraliser 100 gr. 78 de potasse bien pure et bien privée d’eau, et d’en former 131 gr. 018 de muriate de potasse fondu ; donc les 38 lit. 14 de gaz éthéré qu’on a obtenus dans la distillation de 534 gr. 76 d’acide muriatique et d’un volume égal d’alcool, sous la pression de 0m.76, et à 20° thermomètre centigr., contiennent 30 gr. 24 d’acide sec. Mais à la pression de 0m.75, et à la température de 18°. centigr., le gaz éthéré pèse 2.219, l’air pesant 1 ; par conséquent ces 38 lit. 14 de gaz éthéré, pèsent 102 gr. 722, et sont formés de

Grammes
Acide 30.240
Oxigène, hydrogène, carbone 72.482

Par conséquent aussi le gaz éthéré est un corps qui contient plus d’acide muriatique que le muriate de potasse ; car 130 parties de muriate de potasse fondu n’en contiennent que 30 au plus, ainsi que je m’en suis assuré par trois expériences dont les résultats ont été absolument les mêmes.

Lorsque la quantité d’acide muriatique qui entre d’une manière quelconque dans la composition du gaz éthéré fut déterminée, je m’occupai de la détermination des quantités de carbone, d’oxigène et d’hydrogène qui entrent aussi dans la composition de ce gaz. Cette détermination fut faite dans un eudiomètre à mercure, au moyen de l’oxigène ; mais il faut pour que l’expérience réussisse et ne soit pas dangereuse, que l’eudiomètre soit construit d’une manière particulière. Un eudiomètre dont la hauteur étoit de 0m.18, le diamètre intérieur de 0m.03, et l’épaisseur des parois de 0m.0045, n’a pu résister à un mélange de 0 lit. 0013 de gaz éthéré, et de 0 lit. 0040 d’oxigène. Trois fois j’ai répété l’expérience, et trois fois l’instrument a été réduit dans sa partie supérieure presqu’en poussière. Alors, je pris le parti de le faire extérieurement doubler en cuivre. La partie par laquelle devoit passer l’étincelle électrique étoit la seule qui ne le fut pas, et tout autour du conducteur étoit du mastic bien appliqué.

De plus, l’ouverture, c’est-à-dire, la partie inférieure, pouvoit en être fermée exactement au moyen d’un bouchon de fer à vis. Je prévins avec ces précautions tout accident, et l’expérience eut tout le succès que je pouvois desirer. En voici les données et les résultats,

Thermomètre centigrade 18°.88.
Baromètre 0m.767.
Ire. Expérience.
Parties.
Gaz oxigène 215.0
Gaz éthéré 66.0
Gaz acide carbonique obtenu 135.5
Gaz oxigène excédant 4.0
IIe. Expérience.
Gaz oxigène 228.0
Gaz éthéré 66.0
Gaz acide carbonique obtenu 136.5
Gaz oxigène excédant 17.0
IIIe. Expérience.
Gaz oxigène 228.4
Gaz éthéré 66.0
Gaz acide carbonique obtenu 135.5
Gaz oxigène excédant 18.0
IVe. Expérience.
Gaz oxigène 226.0
Gaz éthéré 66.0
Gaz acide carbonique obtenu 135.5
Gaz oxigène excédant 15.0

La moyenne de ces quatre expériences est

Gaz oxigène 224.35
Gaz éthéré 66.00
Gaz acide carbonique obtenu 135.75
Gaz oxigène excédant 13.50

Quantités qui, à la température de 18°. centigr., et sous la pression de 0m.75 deviennent

Gaz oxigène 228.6900
Gaz éthéré 67.2785
Gaz acide carbonique obtenu 138.3790
Gaz oxigène excédant

Mais comme 108 parties de notre mesure = 0 lit. 02, et qu’à 18° du thermomètre centigrade, et à 0m.75 de pression

Un litre d’oxigène = 1.3236
Un litre d’acide carbonique 1.8226
Un litre de gaz éthéré 2.6592

Il s’ensuit que les quantités d’oxigène, de gaz éthéré, etc., précédentes, savoir :

Litres. Grammes.
Gaz oxigène 228.69 = 0.04235 = 0.05605446
Gaz éthéré 067.2785 0.012459 0.03313097
Gaz acide carb. 138.379 0.02562 0.04669501
Gaz oxigène excédant 0.003383

D’où l’on tire que 0 gr. 0331309728 de gaz éthéré sont composés de

Grammes.
Acide muriatique 0.00975
Carbone 0.0121312256
Oxigène 0.0077224672
Hydrogène 0.00352728
————————
Total 0.0331309728
————————

et que 141 gr. 72 d’éther muriatique contiennent

Grammes.
Acide muriatique 41.72
Carbone 51.89
Oxigène 33.03
Hydrogène 15.08
————
Total 141.72
————

Ces résultats sont calculés, en supposant avec MM. Gay-Lussac, Humboldt et Saussure, que 100 parties d’eau sont formées de 88 d’oxigène et de 12 d’hydrogène, et avec M. Saussure, que 100 parties d’acide carbonique le sont de 74 d’oxigène et de 26 de carbone. Je préviens aussi que dans cette analyse, je n’ai point tenu compte de la vapeur d’eau que contenoit soit le gaz oxigène etc. que j’ai employé. Enfin, je préviens que j’ai analysé comparativement du gaz éthéré qui n’avoit point été liquéfié, et que j’avais reçu dans l’eau ; et du gaz éthéré que j’avois d’abord liquéfié et rendu ensuite à son premier état, en le faisant passer ainsi liquide dans des cloches pleines de mercure à 18° cent. ; et que dans les deux cas, j’ai obtenu des résultats identiques.

Maintenant que nous connoissons, les élémens et la proportion des élémens de l’éther muriatique, nous allons essayer de déterminer ce qui se passe dans sa formation.

Voyons d’abord si c’est l’alcool, ou si c’est seulement une portion des principes de l’alcool qui, en se comblant d’une manière quelconque avec l’acide muriatique, forme cet éther.

Il est évident que s’il étoit possible d’en extraire de l’alcool par les alcalis, la question se soit résolue. Mais ce moyen, comme on le verra bientôt, a été employé jusqu’ici sans succès ; il faut donc avoir recours à un autre.

Or, lorsqu’on distille un mélange d’acide muriatique et d’alcool, on n’obtient point de gaz, autre que le gaz éthéré ; et à quelque époque qu’on arrête la distillation, on ne trouve dans la cornue ou le récipient, que de l’eau, de l’acide et de l’alcool ; de deux kilogrammes de mélange, à peine obtient-on un résidu noirâtre appréciable en poussant la distillation jusqu’à siccité. Ainsi tout le charbon de l’alcool entre dans la composition de l’éther muriatique, et si tout l’hydrogène et tout l’oxigène qu’il contient n’y entrent pas, c’est qu’il y a formation d’eau dans l’opération. On est tenté de croire à cette formation, lorsqu’on considère que M. de Saussure, a trouvé dans 100 parties d’alcool 43,65 de charbon, 37,85 d’oxigène, 14,94 d’hydrogène, 3,52 d’azote, et que j’ai trouvé dans 141,72 parties d’éther muriatique, 41,72 parties d’acide muriatique, 51,89 part. de carbone, 33,03 parties d’oxigène, 15,08 d’hydrogène : mais il est permis d’en douter, lorsqu’on observe que l’alcool le plus rectifié contient probablement encore une certaine quantité d’eau. À la vérité M. de Saussure admet quelques centièmes d’azote dans l’alcool, et moi je n’en ai pas trouvé dans l’éther muriatique ; mais ne seroit-il pas possible que dans la combustion du gaz éthéré, l’azote qui selon M. de Saussure existe dans l’alcool, fût converti en acide nitrique. Ce point de théorie exige donc de nouvelles recherches ; tout bien considéré néanmoins, je suis porté à croire que l’alcool ou ses élémens désunis entrent dans la composition de l’éther muriatique.

Il est une autre question bien plus difficile encore à résoudre que la précédente. C’est de savoir de quelle manière les élémens sont combinés dans l’éther muriatique ; l’hydrogène, l’oxigène et le carbone y sont-ils désunis ou réunis ; ou bien en supposant qu’ils y soient dans la proportion nécessaire pour faire de l’alcool, y sont-ils à l’état d’alcool ; et en supposant que l’acide muriatique soit un être composé, s’y trouve-t-il tout formé ou bien décomposé ? Avant de choisir entre ces deux hypothèses, examinons avec soin tous les phénomènes que nous présente l’éther muriatique, et notons avec la même attention ceux qui sont en faveur de l’une et ceux qui sont en faveur de l’autre.

On se rappelle que la propriété, la plus remarquable de l’éther muriatique, c’est de ne point rougir la teinture de tournesol, de ne point précipiter par la dissolution d’argent, de ne point être décomposé par les alcalis, du moins dans un très-court espace de tems, et cependant de donner lorsqu’on le brûle, une si grande quantité d’acide muriatique que cet acide paroît sous la forme de vapeurs, et précipite en masse le nitrate d’argent concentré. Mais, lorsque j’eus l’honneur de présenter ces résultats à l’Institut, je n’avois pas pu faire entrer dans mes expériences le tems comme un élément ; depuis je les ai répétées, et j’y en ai ajouté beaucoup d’autres, en les soumettant toutes à cette circonstance qui peut influer ; car ce qui n’a pas lieu au bout de deux heures, est quelquefois produit au bout de six. Les résultats, en effet, ont différé de ceux que j’avois obtenus d’abord ; je vais les rapporter dans le tableau suivant. Presque toutes les expériences qu’il comprend, ont été commencées le 21 février et terminées le 19 mai, à une température variable depuis trois jusqu’à vingt et quelques degrés centigrades.

Ire. Série d’expériences.

1re. Éther liquide et gazeux avec potasse caustique solide et pure, point d’action.

2e. Éther dissous dans l’eau et potasse ; la potasse en se dissolvant dans l’eau, a élevé la température, et presque tout l’éther s’est dégagé.

IIe. Série.

1re. Éther gazeux et dissolution de potasse caustique, l’action a été lente ; au bout de trois mois le flacon sentoit le gaz éthéré aussi fortement que s’il en eût été rempli : cependant la potasse contenoit assez d’acide muriatique pour donner quelques flocons de muriate d’argent, par l’acide nitrique et le nitrate d’argent.

2e. Éther liquide 10 grammes, et dissolution concentrée de potasse pure 60 grammes, action lente ; au bout d’une heure, le nitrate d’argent n’indiquoit point d’acide muriatique dans la dissolution ; au bout d’un jour, il y en indiquoit des traces ; au bout de trois mois, il y en avoit 4 décigrammes. L’éther n’avoit pas sensiblement diminué, et la dissolution de potasse étoit toujours très-forte et très-âcre. On n’a retiré que de l’eau en distillant cette dissolution ; pendant les quinze premiers jours seulement, le flacon a été agité de tems en tems pour mêler la potasse avec l’éther.

IIIe. Série.

1re. Éther gazeux et dissolution de nitrate d’argent, d’abord point de précipité ; il commença à paroître environ une heure après le contact ; il alla en croissant ; au bout de trois mois néanmoins, il étoit très-foible, le gaz du flacon étoit toujours très-éthéré, la dissolution d’argent contenoit toujours beaucoup de nitrate d’argent.

2e. Éther liquide et nitrate d’argent ; même résultat que dans l’expérience précédente.

3e. Éther dissous dans l’eau et nitrate d’argent ; point de précipité d’abord ; il ne se forma que longtems après le contact ; au bout de trois mois la dissolution contenoit toujours beaucoup d’éther et de nitrate d’argent.

IVe. Série.

Éther gazeux, liquide et dissous dans l’eau, et nitrate de mercure peu oxidé. Les résultats de cette série sont à-peu-près les mêmes que ceux de la précédente.

Ve. Série.

Éther liquide et acide sulfurique concentré, point d’action. Éther gazeux et acide sulfurique concentré, point d’action. Éther dissous dans l’eau, et acide sulfurique concentré ; chaleur, dégagement de l’éther, point de développement d’acide muriatique.

VIe. Série.

Éther liquide et gazeux, et acide nitrique pur et concentré, point d’action.

VIIe. Série.

Éther liquide et gazeux, et acide nitreux liquide, point d’action. Si au lieu de faire ces expériences à la température ordinaire, on y procède en faisant passer le gaz éthéré à travers les acides sulfurique, et nitrique, bouillans ou presque bouillans, l’éther est sur-le-champ décomposé, et s’en sépare beaucoup d’acide muriatique.

VIIIe. Série.

Gaz acide muriatique, oxigéné et éther liquide. Action vive, décoloration et décomposition de l’acide et de l’éther ; production d’une assez forte chaleur ; mise à nu d’une grande quantité d’acide muriatique.

Outre ces diverses épreuves que j’ai fait subir à l’éther muriatique, je l’ai encore traité par la potasse, par l’ammoniaque de différentes manières.

Ire. Expérience.

J’ai fait passer pendant quinze heures du gaz éthéré à travers 160 grammes de dissolution de potasse très-caustique, portée successivement depuis 20° de température, jusqu’à environ 80° du thermomètre centigr. ; le gaz est sorti de cette dissolution sans avoir éprouvé d’altérations apparentes, même dans son volume. À mesure qu’une bulle y pénétroit, une autre s’en dégageoit, et celle-ci sembloit tout aussi éthérée que celle-là. On n’a trouvé que la valeur de 4 décigrammes au plus d’acide muriatique sec dans la potasse, point d’alcool ; il ne s’est rassemblé que quelques gouttes d’eau pure dans un flacon qui suivoit celui dans lequel étoit cet alcali.

IIe. Expérience.

J’ai fait dissoudre dans 60 grammes d’alcool à environ 800 de pesanteur spécifique, autant de potasse pure que possible ; j’y ai ensuite versé près de 15 grammes d’éther liquide, ils s’y sont parfaitement dissous. La dissolution a été abandonnée à elle-même pendant huit jours, à une température de 14 à 25° thermomètre centigr. ; au bout d’une heure, il n’y avoit point d’acide développé ; au bout de deux heures, il y en avoit des traces ; au bout d’un jour, on appercevoit un petit dépôt de muriate de potasse au fond de la liqueur ; ce dépôt s’est accru de jour en jour, en sorte qu’au bout des huit jours, il étoit assez considérable ; néanmoins au bout de ce tems, la dissolution contenoit tant de potasse qu’elle brûloit la langue, et tant d’éther qu’il suffisoit d’y verser de l’eau pourqu’il s’en dégageât sous la forme de grosses et nombreuses bulles.

IIIe. Expérience.

J’ai mis tout près de deux litres de gaz éthéré en contact avec 60 grammes d’ammoniaque liquide et concentrée ; d’abord il y a eu une légère dilatation ; au bout d’une heure, il n’y avoit pas sensiblement d’acide muriatique développé ; au bout d’un jour, l’acide muriatique étoit très-sensible au nitrate d’argent ; au bout de quatre jours qu’a duré l’expérience, il y a eu une très-légère absorption ; la liqueur saturée par l’acide nitrique a précipité de suite en flocons par le nitrate d’argent : le muriate d’argent formé représentoit 2 décigrammes d’acide muriatique. Le gaz restant lavé dans de l’eau pour en séparer l’ammoniaque, étoit très-éthéré et très-abondant.

IVe. Expérience.

Dans cette expérience, au lieu de me servir de gaz éthéré, je me suis servi d’éther liquide et d’ammoniaque liquide ; j’ai employé 12 gram. d’éther et 50 gram. d’ammoniaque ; je les ai agités de tems en tems et les ai laissés en contact pendant quatre jours ; au bout de ce tems, il y avoit toujours beaucoup d’ammoniaque et d’éther formant deux couches séparées. J’en ai retiré 4 décigrammes d’acide muriatique, point d’alcool.

Ve. Expérience.

J’ai mêlé ensemble sur le mercure à volume égal du gaz éthéré et du gaz ammoniaque ; ils n’ont point formé de vapeurs ; au bout de quatre jours, le mélange n’avoit pas sensiblement diminué de volume, et contenoit beaucoup d’ammoniaque, beaucoup d’éther et très-peu d’acide muriatique.

VIe. Expérience.

J’ai fait voir dans mon premier Mémoire sur l’éther muriatique, que lorsqu’on fait passer le gaz éthéré dans un tube de verre rouge cerise, il ne se dépose point ou presque point de charbon ; qu’il se développe beaucoup d’acide muriatique, et autant précisément qu’il en disparoît dans la formation de l’éther, et qu’il se dégage beaucoup d’un fluide élastique sentant l’empyreume, brûlant difficilement, très-lourd, et contenant à coup sûr beaucoup de charbon. J’ai voulu savoir quels seroient les résultats de cette expérience à une chaleurbien supérieure au rouge cerise ; mais de quelque manière que je m’y sois pris, elle n’a jamais pu complettement réussir : elle donne lieu à un si grand dépôt de charbon dans les tubes, que quelquefois ils en sont obstrués presqu’aussitôt qu’on l’a commencée, et alors une forte détonation est produite : je l’ai tentée sans succès dans un tube de porcelaine : avec un tube de cuivre d’environ 0m.025 de diamètre intérieur, dont l’extrémité étoit recourbée et plongeoit directement dans l’eau, elle a d’abord eu quelque apparence de succès ; mais enfin la détonation fut produite et la cornue brisée en une multitude de fragmens. On pourroit éviter cette détonation en adaptant un tube à la tubulure de la cornue. Tout ce que j’ai pu observer, c’est qu’il y a beaucoup d’acide muriatique développé, et que les gaz qui en proviennent, au lieu d’être très-lourds, comme lorsqu’on fait l’expérience à la chaleur rouge cerise, sont au contraire très-légers et brûlent facilement ; ce qui doit ètre en effet, puisqu’il y a beaucoup de charbon déposé.

Il résulte donc de toutes ces expériences :

1re. Que 141 part. 72 d’éther muriatique son formées de

Parties
Acide muriatique sec 041.72
Carbone 051.89
Oxiène 033.03
Hydrogène 015.08
—————
141.72

2e. Que l’alcool et l’acide muriatique distillés ensemble ne forment point de gaz autre que le gaz éthéré, et ne laissent aucun résidu appréciable.

3e. Qu’il est probable que l’éther muriatique est composé d’acide muriatique et d’alcool, ou de leurs élémens.

4e. Que la potasse, l’ammoniaque, le nitrate d’argent, le nitrate de mercure, n’indiquent point tout de suite la présence de l’acide muriatique dans l’éther ; qu’ils ne l’y indiquent qu’avec le tems, et de jour en jour, d’une manière plus marquée, à dater de l’époque où le contact a eu lieu, lors même qu’il est intime et le même à chaque instant.

5e. Que les acides sulfurique, nitrique et nitreux concentrés n’ont à la température ordinaire aucune espèce d’action sur l’éther.

6e. Que ces acides à une haute température, et que le gaz acide muriatique oxigéné à la température ordinaire en opèrent très-bien la décomposition ; et en séparent une grande quantité d’acide muriatique.

7e. Enfin, que la chaleur rouge est susceptible de produire cette décomposition d’éther en en séparant aussi beaucoup d’acide muriatique.

Que conclure de toutes ces expériences ? Résolvent-elles la question de savoir de quelle manière sont combinés les élémens de l’éther muriatique ? Je ne le crois pas : car si l’on en peut citer quelques-unes en faveur de la non-désunion des principes dans l’éther muriatique, on en peut citer de fortes en faveur de l’opinion contraire ; et en effet, 1°, si, comme quelques personnes ne craignent point de l’affirmer, l’éther muriatique étoit une combinaison d’acide muriatique et d’alcool, il semble que ces deux corps devroient s’unir à la manière des acides et des alcalis, et par conséquent se neutraliser aussitôt qu’ils seroient en contact, puisqu’ils seroient censés avoir plus d’affinité l’un pour l’autre, que l’acide muriatique même n’en a pour la potasse, et, à plus forte raison, pour la plupart des autres bases salifiables ; cependant on sait qu’ils ne se combinent que difficilement, et qu’ils ne se neutralisent que peu-à-peu et au moyen d’une légère chaleur. 2e. Lorsqu’on traite la dissolution aqueuse d’éther par la potasse ou par le nitrate d’argent, lorsqu’on mêle ensemble du gaz ammoniaque et du gaz éthéré, lorsqu’on dissout de l’éther dans de l’alcool de potasse, la décomposition de l’éther, toujours dans la supposition où il seroit formé d’alcool et d’acide muriatique, devroit s’opérer tout de suite ou en très-peu de tems, puisque le contact est immédiat et le même à chaque instant ; pourtant elle n’a lieu qu’avec beaucoup de tems, et seulement de jour en jour elle devient plus sensible. Ces deux difficultés n’existent point dans l’autre manière de voir, et voici comme on peut le concevoir. L’alcool devant être réduit en ses principes constituans avant de se combiner avec l’acide muriatique, si c’st un être simple, ou les élémens de cet acide, si c’est un être composé, il en résulte un ralentissement dans l’action de ces deux corps l’un sur l’autre ; et de même aussi et par une raison analogue, une fois que la combinaison est formée, on ne peut la rompre que peu-à-peu et avec beaucoup de tems, soit par les alcalis, soit par le nitrate d’argent, parce qu’il doit y avoir entre les molécules un autre arrangement que celui qui existe actuellement. Au reste, on observe un assez grand nombre de phénomènes semblables dans les matières végétales et animales qu’on traite par les alcalis, par les acides, etc. ; presque toujours dans tous ces traitemens, l’action st plus ou moins lente, comme dans le cas que nous considérons.