Devoirs qu’imposent les maladies contagieuses

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école nationale vétérinaire de toulouse



DEVOIRS

QU’IMPOSENT LES MALADIES CONTAGIEUSES

par

Marcel MAZEAUD

De Lubersac (Corrèze).



THÈSE POUR LE DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE
Présentée le 24 juillet 1876.



TOULOUSE
IMPRIMERIE PRADEL, VIGUIER ET BOÉ
rue des gestes, 6.
1876
ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES



inspecteur général :
M. H. BOULEY, O. ❄, membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.



ÉCOLE DE TOULOUSE

directeur :

M. LAVOCAT ❄, membre de l’Académie des sciences de Toulouse, etc.

professeurs

MM. LAVOCAT ❄, Tératologie.
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale et Maladies parasitaires
Police sanitaire.
Jurisprudence.
Clinique et consultations.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
Extérieur des animaux domestiques.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des Exercices pratiques, Clinique chirurgicale.
ARLOING, Anatomie générale et Histologie.
Anatomie descriptive.
Zoologie.
Physiologie.

chefs de service :

 
MM. MAURI, Clinique, Pathologie spéciale, Police sanitaire et Jurisprudence.
BIDAUD, Physique, Chimie, Matière médicale.
LAULANIÉ, Anatomie générale et descriptive, Histologie, Physiologie et Zoologie.
LAUGERON, Chirurgie, Clinique chirurgicale, Pathologie générale, Histologie pathologique, Extérieur et Zootechnie.
LABAT, Clinique, Thérapeutique et Pharmacie.


JURY D’EXAMEN


MM. H. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
Mauri, Chefs de Service.
Bidaud,
Laulanié,
Laugeron,
Labat.

PROGRAMME D’EXAMEN

Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.
THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie et de Physiologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie générale ;
2o Pathologie médicale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire, Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.


À MON PÈRE ET À MA MÈRE


Recevez comme faible gage de mon affection et de ma gratitude ce modeste travail, fruit de vos bontés et de votre amour pour moi.




À MA TANTE MARIE MAZEAUD
Faible témoignage de reconnaissance et d’affection.




À MON FRÈRE ET À MA BELLE-SŒUR
Attachement sincère.




À TOUS MES PARENTS
Témoignage d’attachement sans bornes.




À MES PROFESSEURS




À MES AMIS




À tous ceux à qui je suis lié par la reconnaissance
le respect ou l’amour.


M. M.


AVANT-PROPOS


Pénétré de mon incompétence, j’ai compris qu’il me serait impossible de mener à bonne fin un des vastes sujets dont s’occupe chaque jour la médecine vétérinaire. C’eût été présumer de mes forces en tentant une pareille entreprise, et j’ai tout lieu de croire que j’aurais succombé à une tâche aussi difficile et si peu en rapport avec mon âge et mon expérience.

J’ai cru mieux faire en adoptant comme sujet de thèse : Devoirs qu’imposent les maladies contagieuses.

Les obligations imposées par ces affections sont malheureusement peu connues de tous ceux à qui elles incombent. J’ai pensé qu’un petit opuscule retraçant succinctement les devoirs de chacun, pourrait avoir quelque valeur, être de quelque utilité.

M’inspirant des leçons de mes savants maîtres, MM. Lafosse, professeur, et Mauri, chef de service de clinique à l’École vétérinaire de Toulouse, j’envisagerai exclusivement, après avoir dit quelques mots de la contagion, les maladies contagieuses auxquelles s’applique la législation.

Je ne me dissimule pas les difficultés que j’aurai à surmonter dans une question de cette gravité. Tous mes efforts n’auront qu’un but, celui de les vaincre. Si je n’y suis pas parvenu et qu’il existe quelques lacunes, le vif désir de bien faire sera mon excuse auprès de mes bienveillants lecteurs.

Aussi, avant d’aborder cette étude, les prierai-je de vouloir bien m’accorder l’indulgence que mérite tout premier essai.

Marcel Mazeaud.


PRÉLIMINAIRES


Le nombre d’écrits relatifs à la contagion est considérable parce que, outre les livres spéciaux sur cette matière, elle a été traitée dans les ouvrages généraux de médecine, dans la plupart des monographies consacrées à l’étude d’une ou de plusieurs maladies contagieuses, parce que des historiens, des législateurs, des hommes simplement chargés de l’exécution des mesures sanitaires ont cru devoir aussi s’occuper de contagion.

définition. — Quelques auteurs ont défini la contagion, la transmission d’une maladie d’un individu à un autre par le moyen d’un contact médiat ou immédiat. Nous croyons devoir donner à ce mot une signification moins restreinte et nous admettons la contagion pour toute maladie dans laquelle le corps du sujet qui en est affecté produit un principe susceptible de communiquer le même mal à un individu sain, quelles que puissent être d’ailleurs l’origine de ce principe, les conditions qui rendent son imprégnation plus ou moins facile, les voies par où elle a lieu et la manière dont elle s’effectue.

Il semble d’après cette définition qu’il devrait être aisé de déterminer par l’expérience les cas de communications morbides et par conséquent de connaître la contagion partout où elle existe. Malheureusement la science est encore bien loin d’une perfection à laquelle on ne parviendra pas sans de grands efforts.

Enfin, les maladies contagieuses ou virulentes sont celles que produit un agent spécifique appelé virus, de nature inconnue, qui, développé primitivement chez l’homme ou chez les animaux, et toujours identique à lui-même, reproduit chaque fois qu’il est reçu et élaboré par l’organisme une maladie entièrement semblable à celle qui lui a donné naissance.

Ceci étant dit pour mémoire occupons-nous des devoirs qu’elles imposent à tous lorsqu’elles éclatent dans une contrée.



DEVOIRS QU’IMPOSENT LES MALADIES CONTAGIEUSES


Lorsqu’une maladie contagieuse règne dans une localité ou dans un département, divers devoirs sont imposés, en vue de s’opposer à ses ravages. Nous allons les diviser en quatre groupes principaux, autant de parties d’un même tout destiné à combattre les progrès de la contagion : 1o les détenteurs ou gardiens d’animaux malades ou suspects ; 2o les populations en général ; 3o les autorités ; 4o les vétérinaires eux-mêmes, ont des devoirs auxquels ils ne sauraient se soustraire.

1o DEVOIRS DES DÉTENTEURS OU GARDIENS D’ANIMAUX

Les propriétaires ou détenteurs d’animaux atteints ou suspects de maladies contagieuses doivent immédiatement en faire la déclaration à l’autorité locale, ainsi que le prescrit l’arrêt du Conseil du Roi, du 16 juillet 1784, ainsi conçu, article 1er :

« Toutes personnes de quelque qualité et conditions qu’elles soient, qui auront des chevaux et bestiaux atteints ou soupçonnés de la morve ou de toute autre maladie contagieuse, telles que le charbon, la gale, la clavelée, le farcin et la rage, seront tenues à peine de 500 fr. d’amende, d’en faire sur le champ leur déclaration aux maires, échevins ou syndics des villes, bourgs et paroisses de leur résidence, pour être les dits chevaux et bestiaux vus et visités sans délai, en la présence des dits officiers, par les experts vétérinaires les plus prochains, lesquels se transporteront à cet effet dans les écuries, étables et bergeries, pour reconnaître et constater exactement l’état des chevaux et animaux qui leur auront été déclarés. »

Si la déclaration n’a pas été faite, il est expressément défendu de soigner les sujets atteints par la contagion.

Voici l’article 4 de l’arrêt du Conseil du 16 juillet 1784 :

« Défenses sont faites à tous maréchaux, bergers et autres, de traiter aucun animal atteint de la maladie contagieuse et pestilentielle, sans en avoir fait la déclaration aux officiers municipaux ou syndics de leur résidence, lesquels en rendront compte sur le champ au subdélégué, qui fera appliquer sans délai sur le front de la bête malade un cachet en cire verte portant ces mots : animal suspect ; pour dès cet instant être les chevaux ou autres animaux ainsi marqués, conduits et enfermés dans des lieux séparés et isolés. Fait pareillement défense Sa Majesté à toutes personnes de les laisser communiquer avec d’autres animaux, ni de les laisser vaguer dans les pâturages communs, le tout sous la même peine d’amende. » C’est-à-dire 500 fr., ainsi que l’indique l’art. 1er du même arrêt.

L’arrêt du Conseil du 31 janvier 1771, dispose que si les bêtes déclarées malades sont abattues, le propriétaire qui a fait la déclaration est indemnisé du tiers de la perte qu’il a subie. Il ne faut pas oublier que si la déclaration a été faite par un autre, non-seulement le propriétaire est privé de l’indemnité, mais il est condamné à 100 fr. d’amende, dont moitié appartient au dénonciateur. (Arrêt du Conseil du 1er novembre 1775. — Art. 5.)

L’article 459 du Code pénal stipule de son côté que :

« Tout détenteur ou gardien d’animaux ou de bestiaux soupçonnés d’être infectés de maladie contagieuse qui n’aura pas averti sur le champ le maire de la commune où ils se trouvent…., sera puni d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois de prison, et d’une amende de 16 à 200 fr. »

La déclaration doit être écrite et échangée contre un récépissé qui sert au besoin de preuve justificative, elle a pour but de faciliter la surveillance par l’administration des mesures à prendre, soit pour l’isolement, l’abattage, s’il y a lieu, l’enfouissement. (Arrêts du Conseil du 24 mars 1745, art. 1er. — 19 juillet 1746.)

Les infractions à cette mesure entraînent de fâcheuses conséquences, au point de vue, non-seulement des peines infligées à ceux qui les commettent, mais encore des dangers qui peuvent résulter de la communication des animaux malades avec ceux qui sont encore sains.

Par conséquent, immédiatement après la déclaration faite, et même avant que l’autorité y ait répondu, le détenteur est tenu d’isoler les animaux malades.

L’article 459 du Code pénal lui est applicable s’il ne remplit pas cette obligation :

« Ceux qui, même avant que le maire ait répondu à l’avertissement donné de la maladie, ne tiennent pas renfermés les animaux malades ou suspects, sont punis d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois, et d’une amende de 16 à 200 fr. »

Si l’autorité a prescrit l’isolement et que le détenteur n’ait pas tenu compte de cette mesure, voici ce que lui apprend l’art. 460 du même Code :

« Sont punis d’emprisonnement de 2 à 6 mois, et d’une amende de 100 à 500 fr., ceux qui, au mépris des défenses de l’administration, auront laissé les animaux ou bestiaux infectés communiquer avec d’autres. »

Ce n’est pas tout, les articles 461, 462, 463, permettent d’élever ou d’abaisser les peines prononcées par les articles 459 et 460.

Ainsi, d’après l’art. 461 :

« Si de la communication mentionnée au précédent article, il est résulté une contagion parmi les autres animaux, ceux qui auront contrevenu aux défenses de l’autorité administrative seront punis d’un emprisonnement de 2 ans à 5 ans, et d’une amende de 100 fr. à 1000 fr., le tout sans préjudice de l’exécution des lois et règlements relatifs aux maladies épizootiques, et de l’application des peines qui y sont portées. »

Il faut, pour qu’il y ait lieu d’appliquer cet article, que le lien, la relation de cause à effet entre la communication et la contagion, soient établis clairement, qu’il soit, en un mot, prouvé que sans la communication il n’y aurait pas eu contagion.

Il ne suffirait pas de relever contre l’inculpé les deux faits de communication d’animaux infectés avec des animaux sains, et de contagion parmi ces derniers, car ces animaux sains tombés plus tard eux-mêmes malades peuvent souvent n’être que les premiers atteints par un mal contagieux dont l’apparition et le développement tiennent à des causes générales. Dans ce cas, le délit prévu et puni par l’art. 460 existe seul.

L’article 462 élève la peine et avec raison :

« Si les délits de police correctionnelle dont il est parlé au présent chapitre ont été commis par des gardes champêtres ou forestiers, ou des officiers de police, à quelque titre que ce soit, la peine d’emprisonnement sera d’un mois au moins, et d’un tiers au plus en sus de la peine la plus forte qui serait appliquée à un autre coupable du même délit. »

Mais, d’un autre côté, l’art. 463 du Code pénal autorise les tribunaux à diminuer la peine par l’admission de circonstances atténuantes.

« Dans tous les cas, dit cet article, où la peine de d’emprisonnement et celle de l’amende sont prononcées par le Code pénal, si les circonstances paraissent atténuantes, les tribunaux correctionnels sont autorisés, même en cas de récidive, à réduire l’emprisonnement même au-dessous de 6 jours, et l’amende même au-dessous de 16 fr. Ils pourront aussi prononcer séparément l’une ou l’autre de ces peines, et substituer l’amende à l’emprisonnement sans qu’en aucun cas elle puisse être au-dessous des mesures de simple police. »

L’examen de ces dispositions fait naître la question de savoir si les faits prévus et réprimés par les art. 459 à 460 du Code pénal, doivent être regardés comme des contraventions ou comme des délits.

Le fait et l’intention constituent le délit ; le fait seul, constitue la contravention. À ce point de vue la question présente, dans la pratique, un assez grand intérêt.

Nous remarquons tout d’abord que les art. 459 — 462 se trouvent dans le code pénal au chapitre des crimes et délits contre les propriétés, et non au titre des contraventions.

D’autre part, le principe des circonstances atténuantes qui ne s’applique aux contraventions que dans le cas d’une disposition spéciale de la loi s’applique aux délits en vertu de l’art. 463 ; or, personne ne songe à contester que le principe des circonstances atténuantes ne soit applicable en matière de police sanitaire des animaux, en vertu de l’art. 463 du Code pénal.

Notre avis est le suivant : L’absence de déclaration des bêtes atteintes ou soupçonnées de maladies contagieuses, la non-séquestration et le non-isolement constituent des délits pour la connaissance desquels il faut la réunion de ces deux éléments distincts, le fait et l’intention.

Non-seulement cela est juridique, mais encore cela est juste. Si l’on doit et s’il est même nécessaire de frapper avec une certaine sévérité l’homme qui, en connaissance de cause, garde sans les déclarer et sans les isoler des animaux malades, peut-être dans l’intention de les vendre en trompant son acheteur, il ne faut pas punir le pauvre agriculteur, qui, ne connaissant pas les caractères bien certains de la maladie, sera plus tard déjà cruellement atteint par la perte de ses bestiaux, s’ils sont sérieusement attaqués.

Évidemment, il est incontestable que le fait de la détention d’animaux malades établit contre le détenteur une présomption qu’il devra faire tomber en établissant sa bonne foi.

En outre, les peines dont se sert le législateur pour réprimer les délits ne sont pas celles applicables en général aux contraventions ; les art. 459 à 462 précités sont appliqués aux délits.

À côté des responsabilités plus ou moins graves, imposées par la loi pénale aux détenteurs d’animaux malades ou suspects, il existe une responsabilité pécuniaire contre les particuliers qui contreviennent à cette loi.

Ce sont les responsabilités encourues, et dont il est parlé dans la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791, d’après laquelle « lorsqu’un troupeau atteint de maladie contagieuse est rencontré dans des lieux autres que ceux qui lui sont assignés, le propriétaire, le maître du troupeau, est responsable du dommage occasionné par son troupeau. »

Il n’est pas même nécessaire, d’ailleurs, pour qu’il y ait responsabilité pécuniaire que le dommage causé l’ait été intentionnellement. Il suffit d’avoir conduit le troupeau infecté dans les localités non encore atteintes par la contagion et qu’à la suite d’une pareille imprudence la maladie éclate, sans autre cause connue, dans ces localités qui jusqu’alors avaient été épargnées.

Nous trouvons très-bien dans ce cas, l’application de l’article 1382 du Code Napoléon, ainsi conçu :

« Tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »

Quant aux habitants des localités la maladie n’a pas pénétré, ils peuvent conduire leurs bestiaux dans les divers marchés en remplissant les formalités prescrites par l’arrêt précédent, article 12.

« Tous les particuliers et habitants des villes ou des paroisses où la maladie n’aura point pénétré, qui voudront conduire ou envoyer des bestiaux aux foires et marchés, pour y être vendus, sont tenus, sous peine de confiscation de leurs bestiaux et de 200 fr. d’amende par chaque tête de bêtes à cornes, de se munir d’un certificat de l’officier de police de ladite ville ou du syndic de ladite paroisse, visé par le curé ou un des officiers de justice, lequel certificat fera mention de l’état de la dite ville ou paroisse sur le fait de la maladie, et contiendra le nombre et la désignation desdits bestiaux, et sera ledit certificat représenté aux officiers de police, etc. avant l’exposition sur les marchés desdits bestiaux. »

L’article 5 du même arrêt interdit la vente et l’achat d’animaux provenant des pays infectés, sous peine de 100 francs d’amende. Cette amende est applicable tant au vendeur qu’à l’acheteur, par chaque tête de bétail vendue ou achetée.

Au cas de vente aux bouchers d’animaux provenant de localités non encore envahies par l’affection épizootique, ces acheteurs sont tenus de prendre un certificat de l’officier de police de la localité dans laquelle l’achat a été fait. Ce certificat mentionne l’état des lieux concernant la maladie, le nombre et la désignation des bestiaux qui ont été achetés et doit être représenté à l’officier de police de la ville sur sa désignation. Ce certificat est une preuve justificative, qui atteste que les animaux achetés provenaient de contrées saines. Ces formalités sont prescrites par l’article 11 dudit arrêt, lequel article, en cas de contravention, ajoute :

« Les bestiaux sont confisqués, et les bouchers ont à payer une amende de 200 fr. par chaque tête de bêtes à cornes. »

Néanmoins le même arrêt du Conseil n’interdit pas d’une manière absolue la vente pour la boucherie des animaux sains provenant des pays infectés. Dans un lieu où quelques bestiaux auront été attaqués, les propriétaires peuvent vendre aux bouchers les animaux sains, mais à la charge que les animaux dont il s’agit soient tués dans les vingt-quatre heures de la vente. Aucun prétexte n’est admis s’ils ont été gardés plus longtemps avant de procéder à l’abattage, et cette dernière formalité n’étant pas remplie les propriétaires et bouchers sont passibles de 200 fr. d’amende, dont ils sont tenus solidairement. (Art. 8.)

Les bouchers sont, dans le cas d’achat d’animaux sains venant de pays où règne la maladie contagieuse, tenus, sous les mêmes peines, de se faire délivrer un certificat des propriétaires auxquels ils ont fait leurs achats. Ce certificat doit être visé par l’officier de police de l’endroit où les ventes ont eu lieu. Il doit contenir le nombre et la désignation des bestiaux achetés et mentionner que ces bestiaux n’ont aucun signe de maladie. Les bouchers doivent présenter ces certificats à l’officier de police où les animaux doivent être sacrifiés, à l’effet de constater que ces bestiaux ont bien été tués dans les 24 heures du jour de l’achat. (Art. 9.)

Malgré ces prescriptions, si les bouchers revendent des bestiaux à quelque personne que ce puisse être, ils tombent sous le coup de l’art. 10 que nous allons citer. Nous n’avons pas cru devoir reproduire les précédents à cause de leur longueur.

« Si aucuns des dits bouchers, abusant de la faculté qui leur est accordée par les articles 8 et 9, revendaient des dits bestiaux à telle personne que ce puisse être, veut Sa Majesté qu’ils soient condamnés à 200 fr. d’amende par chaque tête de bétail ; même qu’il soit procédé extraordinairement contre eux, pour, après l’instruction faite, être prononcée telle peine afflictive ou infamante qu’il appartiendra. »

Cette pénalité est même fixée à la somme de 500 fr. par l’article 1er de l’arrêt du 16 juillet 1784, déjà cité.

Ceci fait, les détenteurs doivent attendre l’intervention de l’autorité et recevoir ses délégués, leur ouvrir les portes des étables, écuries et bergeries, leur fournir tous les renseignements capables de les éclairer sur la nature du mal et de les mettre à même d’arrêter la contagion.

Avant et quelquefois après la visite légale du vétérinaire, on voit des propriétaires cherchant par tous les moyens en leur pouvoir à cacher les animaux, les vendre sur la place ou sur les marchés. On ne saurait le dire trop haut, une pareille conduite est doublement coupable ; elle porte une grave atteinte à la loi et aux intérêts généraux de la société.

Aussi l’article 6 de l’arrêt du Conseil en date du 19 juillet 1746 doit-il leur être, à notre avis, appliqué dans toute sa rigueur. Le voici textuellement :

« Défense est faite à tous particuliers, soit propriétaires de bêtes à cornes ou autres, de conduire aucun des bestiaux sains ou malades, des villes ou paroisses de la campagne où la maladie se sera manifestée, dans aucunes foires ou marchés, et ce sous peine de 500 fr. d’amende pour chaque contravention ; de laquelle amende les propriétaires des dits bestiaux, qui pourraient se servir d’étrangers pour les conduire aux dites foires et marchés, seront responsables en leur propre et privé nom. »

L’article 7 du même arrêt permet à tous particuliers qui rencontreront, n’importe dans quel lieu, des bêtes à cornes marquées de la lettre M, c’est-à-dire des bêtes malades, de les conduire devant le plus prochain juge, lequel les fera tuer sur le champ en sa présence.

En 1784 la législation devient moins rigoureuse et l’abattage des bestiaux n’est ordonné que lorsque les animaux ont été reconnus, par les experts, atteints d’une maladie incurable.

Néanmoins l’ancienne législation n’a pas été abrogée.

Un des derniers arrêts, sans contredit le plus important, l’arrêté du Directoire exécutif du 27 messidor an V (15 juillet 1797) donne au contraire une force nouvelle aux mesures anciennes édictées par les règlements émanés du conseil d’État du roi. Le ministre de l’intérieur, Benezech, en le transmettant aux autorités centrales et municipales de la République, déclare que cet arrêté ne les abroge pas, qu’il ne fait que concilier les dispositions de ces lois avec l’ordre constitutionnel.

Les mesures prescrites sont donc très-sévères. Malgré l’énormité des peines édictées que nous croyons être si peu en harmonie avec les idées de notre époque, avec les besoins et les libres franchises de notre commerce, on voit des détenteurs d’animaux se soustraire à leurs obligations. Pourtant il suffit d’un seul cas de ce genre pour propager le mal. C’est au vétérinaire de prévenir par de sages conseils ces manœuvres frauduleuses, d’en faire ressortir les désastreuses conséquences. C’est à lui de démontrer aux propriétaires combien est grande la responsabilité qu’ils encourent si, au mépris de la loi, quelques animaux malades soustraits à la visite ou à la mesure d’isolement devenaient, par le fait d’une vente illicite, la cause directe de l’épizootie contagieuse. Il doit faire, à cet égard, tous ses efforts pour les persuader.

L’enfouissement, dans certains cas, doit suivre immédiatement l’abattage ou la mort des animaux ; la loi en confie l’exécution aux propriétaires ; c’est par leurs soins et sous leur responsabilité que les débris et les dépouilles des cadavres doivent être enfouis.

La profondeur des fosses est laissée, pour ainsi dire à l’arbitraire des autorités compétentes. Elle est variable, selon les arrêts invoqués. L’arrêt du 18 avril 1714 exige que les fosses aient trois pieds de profondeur. Ceux de 1745, 8 à 10 pieds, de 1771, 8 pieds, et le décret de la Constituante de 1792, 4 pieds.

L’infraction à la loi entraîne une amende qui peut varier, suivant l’application des arrêts entre 20 fr. et 1000 fr.

Bien que toutes ces mesures sanitaires aient été rigoureusement observées, le propriétaire ne doit pas oublier que, si le mal contagieux est étouffé à son début, il reste encore des matières virulentes dans les locaux où ont séjourné les animaux malades, sur le sol, les murs, la surface des mangeoires, sur les fumiers, sur les fourrages délaissés, sur les instruments de pansage, en un mot, sur tous les objets qui ont eu des rapports de contact direct ou indirect avec les animaux dont il s’agit ; il y a lieu de procéder activement à une désinfection générale.

Il faut détruire la matière virulente partout où l’animal contaminé peut l’avoir portée. Cette mesure sanitaire est le complément des précédentes. Oublier cette utile prescription, serait s’exposer à voir réapparaître la maladie contagieuse qui réduirait ainsi à néant les sacrifices qu’on s’était imposés pour la combattre.

DE LA DÉSINFECTION

Définition. — La législation sanitaire entend par désinfection, la destruction des propriétés contagieuses que possèdent certains objets, qu’ils soient ou non pourvus d’une odeur infecte. Le nom est donc ici détourné de son sens français ou général pour en recevoir un tout à fait spécial que nous allons définir.

L’infection, en pathologie, s’entend de la communication des maladies par l’intermédiaire du milieu où vivent les animaux. Désinfecter, c’est donc enlever à ce milieu la faculté d’agir dans le sens de l’infection, soit que l’agent réel ou supposé de celle-ci soit disséminé dans l’atmosphère ou bien déposé sur les objets solides avec lesquels des rapports peuvent s’établir. Dans le sens général, au contraire, désinfecter, c’est purement et simplement détruire ou faire disparaître une mauvaise odeur ou une odeur incommode, en la remplaçant par une autre agréable ou moins désagréable que la première.

Au point de vue du but visé par la police sanitaire, il importe de ne pas confondre ces deux sortes de choses. Il y a, en effet, des substances réputées désinfectantes, parce que leur propre odeur se substituant à celle qu’il y a lieu de faire disparaître, empêche de la percevoir, mais qui laissent néanmoins subsister les propriétés auxquelles elle est due et n’attaquent en rien celles de ces propriétés auxquelles l’infection pathologique est attribuée.

Désinfectants. — Parmi les désinfectants nous conseillerons les préparations suivantes dont on peut se servir avec avantage pour opérer désinfection.

A. Acide phénique · · · · · · · 50 grammes
Eau · · · · · · · · · · · 1 litre

On fait encore dissoudre l’acide phénique dans 20 ou 30 fois son poids d’eau.

B. Chlorure de chaux · · · · · · 60 grammes
Eau · · · · · · · · · · · 1 litre

Délayer dans l’eau ou l’employer avec une brosse ou un balai.

C. Fulmigation désinfectante :
Chlorure de chaux · · · · · · 1 kilog.
Acide chlorhydrique · · · · · 1 litre
Eau · · · · · · · · · · · 3 litres.

Ces doses sont déterminées pour une écurie de 25 à 30 bêtes ; on les diminue ou on les augmente suivant l’étendue du local. On place au centre une terrine contenant les substances plus haut indiquées, on ferme la pièce, on laisse l’action se produire pendant 24 heures, après quoi on ouvre les portes et les fenêtres.

Plusieurs jours de ventilation s’étant écoulés, il n’y aura que des avantages à opérer un lavage à fond avec de l’eau pure ou légèrement alcaline.

De nouveaux animaux ne devront être introduits dans le local qu’après sa complète dessiccation. Dans le cas d’une maladie très-contagieuse, le typhus, par exemple, il y a tout avantage à retarder leur introduction au-delà d’une vingtaine de jours.

Voilà pour ce qui a trait aux locaux.

Quant aux objets contagieux ou contaminés, quels qu’ils soient, il y a lieu de procéder à leur désinfection avec le plus grand soin.

DEVOIRS DES POPULATIONS

Quand une maladie contagieuse exerce ses ravages dans une ou plusieurs localités, les populations ne doivent pas oublier qu’elles sont solidaires les unes des autres, et que tous leurs efforts se concentrant peuvent arrêter les progrès du fléau qui les atteint. L’accomplissement des devoirs qui leur incombent est commandé par la loi civile ; mais il ne l’est pas moins par cette loi morale qui oblige chaque homme à venir en aide à son semblable.

Dans certains cas, la législation sanitaire, faisant application du décret du 6 octobre 1791 sur les biens et usages ruraux et la police rurale (titre 1er, p. 4, art. 17), prescrit l’isolement des troupeaux malades dans la vaine pâture et leur assigne un chemin spécial de parcours.

C’est alors que doit cesser d’exister l’état de division dans lequel se trouvent fréquemment la plupart de nos villages, partagés en deux camps irréconciliables. Les cultivateurs riverains, mettant de côté toute haine, doivent prêter avec empressement leur concours à l’autorité, lui faciliter sa tâche en lui aidant à tracer le chemin à parcourir. Ils doivent tolérer, au besoin, que le chemin soit tracé sur leurs propriétés. Leur mauvais vouloir aurait des conséquences fâcheuses. En effet, les possesseurs d’animaux malades ou suspects ne peuvent pas toujours les nourrir à l’étable, et la vaine pâture leur permet d’attendre les ressources printanières. Tout obstacle les empêchant de bénéficier de la loi qui permet, dans certaines conditions, de conduire les bêtes malades ou suspectes dans les terrains vagues, serait un désastre à ajouter aux désastres de l’épizootie contagieuse. Ainsi donc, que tous, dans un lieu où sévit la maladie, s’entraident mutuellement ; que leur manière d’agir n’apporte aucune entrave à l’exécution des mesures que commandent l’hygiène et l’intérêt de la communauté, afin d’arrêter les progrès du mal en limitant le nombre des victimes qui en sont la conséquence. Du reste, la cause n’est-elle pas commune ? Cette solidarité d’efforts, cette coopération mutuelle de la part des agriculteurs n’ont-elles pas un but unique qui les intéresse tous au même degré ?

DEVOIRS DES AUTORITÉS

L’autorité municipale, instituée comme une gardienne vigilante des intérêts communs, a pour mission de les sauvegarder contre les maladies épizootiques, et quand un fléau semblable sévit sur le pays, elle doit prendre à la hâte toutes les mesures sanitaires nécessaires pour le prévenir, borner ou arrêter sa marche dévastatrice.

Dans cette occurrence, la conduite que l’autorité doit tenir est tracée :

1o Par le décret de l’Assemblée constituante sur l’organisation judiciaire, des 16-24 août 1790, titre II, art. 3, p. 5. Les objets de police confiés à la vigilance des corps municipaux sont : « Les soins de prévenir par des précautions convenables, et celles de faire cesser les fléaux, tels que maladies épizootiques. »

1o Par le décret de la Constituante, concernant les biens, usages ruraux, et la police rurale, du 6 octobre 1791. Le § 3, titre 1er, section 4, art. 20, dit : « Les officiers municipaux emploieront particulièrement tous les moyens de prévenir ou d’arrêter les épizooties. »

Dans les grandes cités, à Paris par exemple, où se trouve un préfet de police, ses attributions sont réglées par un arrêté du 12 messidor an VIII (1er juillet 1800), et 3 brumaire an IX (23 octobre 1801).

Cet arrêté est ainsi conçu : « Le préfet de police assurera la salubrité publique dans la ville, en prenant des mesures pour prévenir ou arrêter les épizooties, les maladies contagieuses ; en faisant enfouir les cadavres des animaux morts, surveiller les fosses vétérinaires ; en faisant arrêter, visiter les animaux suspects du mal contagieux, mettre à mort ceux qui en sont atteints. »

Aux termes de la loi du 5 mai 1855, sur l’organisation municipale (art. 50), le préfet remplit les fonctions de préfet de police dans la commune, chef-lieu de département, dont la population excède 40,000 âmes, mais les maires des dites communes restent chargés, sous la surveillance du préfet, des attributions tant générales que spéciales qui leur sont conférées par la loi que nous avons citée précédemment.

Comme il est facile de le voir, d’après les termes de la législation, les pouvoirs des autorités municipales et départementales sont très-étendus. Le législateur ne les ayant pas définis, il est évident qu’ils ont pour limite les limites mêmes qu’exige, que commande la gravité de l’épizootie.

En effet, suivant les lieux, l’imminence du danger, l’étendue et la nature du mal, la loi, dans sa sollicitude pour les intérêts qu’elle voulait protéger, ne devait pas spécifier les mesures sanitaires à prendre, car ces mesures doivent être variables et complètement subordonnées aux circonstances que nous venons d’indiquer.

Il est du devoir des magistrats municipaux de ne faire l’application de ces mesures qu’avec réserve et circonspection ; de ne pas abuser, en un mot, de cette latitude immense laissée à leurs pouvoirs discrétionnaires. Néanmoins, quand le besoin se fait sentir, ils doivent les appliquer sans hésitation, avec énergie.

Examinons à présent les mesures à prendre par l’autorité lorsqu’une maladie contagieuse règne dans une localité.

Ces mesures sont de deux ordres :

Les unes sont générales dans l’intérêt de tous ; les autres particulières dans l’intérêt des propriétaires détenteurs d’animaux atteints par l’affection contagieuse.

Les premières comprennent les animaux de toutes les localités où règne la contagion ; ce sont : la suppression des foires et marchés, l’interdiction des passages, des abreuvoirs communs, la marque, la défense de vendre les bestiaux, etc., etc.

Ces graves mesures, à notre avis, ne sont pas irréprochables dans leurs effets ; aussi ne croyons-nous pas à leur efficacité. Dans un pays comme le nôtre (et nous sommes heureux de pouvoir le choisir comme exemple), où les grandes épizooties contagieuses sévissent rarement, il est facile de prévoir quels seraient les résultats obtenus par ces moyens extrêmes.

Le commerce étant, pour ainsi dire, anéanti, ces mesures sont plus nuisibles qu’utiles à l’agriculture, qu’elles tendent à protéger. Aussi, sont-elles l’expression des mœurs et des besoins d’une autre époque ; car lorsqu’on porte atteinte à la liberté commerciale, base première de la prospérité et de la richesse des sociétés modernes, ne compromet-on pas gravement les intérêts généraux ?

Les autorités ne doivent les employer qu’avec connaissance de cause, alors que les autres mesures seraient impuissantes. En voici la raison. Leur action est très-grande ; elle ne se borne pas à la commune, au département, comme certaines gens pourraient le croire. Elle se fait sentir sur le commerce général et même international, car les intérêts de tous les pays sont unis par un même lien de solidarité.

Les mesures particulières, individuelles, n’intéressent que les particuliers détenteurs d’animaux atteints ou suspects de maladies contagieuses. Ces sujets doivent être isolés. Les déclarer, ne pas les conduire à l’abreuvoir ou dans les pâturages communs, tels sont les moyens efficaces à employer. Lorsque les maires ont rempli leur rôle, c’est-à-dire, quand ils ont atteint et circonscrit le mal, et par voie de conséquence préservé la commune de la contagion, le bon vouloir des intéressés doit seconder la vigilance de l’autorité locale. En agissant ainsi les mesures générales deviendraient d’une application inutile.

L’article 11 de la loi du 18 juillet 1837, la loi du 5 mai 1855 sur l’organisation municipale, nous feront ajouter : 1o que les municipalités peuvent prendre toutes les mesures relatives à la salubrité publique sans y avoir été autorisées par les préfets ou sous-préfets ; il suffira que ces magistrats en soient immédiatement avertis, afin qu’ils puissent les approuver ou les désapprouver ; 2o que les maires et les commissaires de police spécialement chargés de veiller à la salubrité publique doivent visiter scrupuleusement toutes les substances animales exposées en vente sur les marchés. Il résulte de cette obligation qu’il est souvent confié au vétérinaire la mission d’examiner ces matières alimentaires. Quoi qu’en disent ses détracteurs presque toujours intéressés, le vétérinaire doit faire distraire et rejeter ce qui est mauvais ; aucune considération ne doit le retenir.

DEVOIRS DU VÉTÉRINAIRE

Le vétérinaire, lui aussi, a des devoirs à remplir ; 1o envers lui-même ; 2o envers sa profession ; 3o envers ses confrères ; 4o envers la loi ; 5o envers les magistrats.

1o Devoirs envers lui-même. — Le vétérinaire ne doit pas perdre l’occasion d’étudier d’aussi près que possible une maladie contagieuse, d’en faire connaître les dangers à ses concitoyens et d’indiquer les moyens qui lui paraissent les plus propres à la combattre. Il manquerait à sa conscience, si, par indifférence ou mauvais vouloir, il agissait autrement.

Quand une épizootie éclate dans un pays, c’est un devoir pour tous et pour le vétérinaire en particulier d’intervenir avec toutes les ressources de la science. Dans ces jours de grandes calamités publiques, son intervention constitue sa part de responsabilité sociale. Assurément, elle n’aura jamais l’éclat et le retentissement attachés aux services que rend le médecin dont le dévouement et l’abnégation grandissent proportionnellement au danger auquel il est exposé en temps d’épidémie ; mais, il faut le reconnaître, si le rôle du vétérinaire est plus modeste, il n’en est pas moins méritoire. Le concours qu’il apporte à l’œuvre commune, dont le but final tourne au profit de la communauté entière, lui assure les sympathies de ses concitoyens et, à notre avis, un homme qui s’est imposé la tâche de faire le bien peut-il ambitionner une plus belle récompense ?

2o Devoirs envers sa profession. — C’est précisément dans ces jours de malheurs que se dessine le rôle du vétérinaire. Tout en sauvegardant l’intérêt des particuliers, il rehausse la médecine des animaux domestiques en établissant une certaine distinction entre les vétérinaires et les empiriques, dont quelques-uns usurpent souvent le titre des premiers. Ajoutons, enfin, que lorsque l’homme exerce une profession qui lui donne une position honorable dans la société, et sur laquelle reposent ses moyens d’existence, c’est bien le moins qu’il éprouve pour elle un sentiment de légitime reconnaissance. Comme membre de cette profession qui l’élève dans l’estime et dans la considération publiques, le vétérinaire méconnaîtrait les avantages qu’elle lui procure s’il ne se donnait pas en entier à elle ; s’il ne cherchait pas à mettre en évidence et à démontrer son importance et son utilité en signalant les services qu’elle rend à l’agriculture et au pays tout entier.

3o Devoirs envers ses confrères. — Unis par les liens d’une étroite solidarité, tous les membres d’une corporation se doivent les uns aux autres leur mutuel concours. Dans les centres peu populeux où règnent trop souvent des dissensions, des rivalités jalouses, condamnables, chacun doit oublier, pour cet instant tout au moins, tous motifs de haine et d’inimitié personnelles, prêcher la concorde et s’unir dans une même idée.

Des considérations d’honneur et de probité doivent diriger sa conduite. Si par délicatesse il doit s’abstenir de désapprouver hautement ce qui a été fait par un de ses collègues, son devoir lui prescrit de s’opposer avec énergie à toute méthode de traitement qui lui paraîtrait mauvaise. Il faut donc s’entendre, se consulter, et agir d’un commun accord afin de sauvegarder le plus possible les intérêts que l’on cherche à protéger.

Tout vétérinaire doit étudier la maladie contagieuse régnante, chercher à saisir les voies et les moyens par lesquels elle se propage, déterminer sa nature, en indiquer les traitements qui lui paraissent pouvoir l’entraver dans sa marche ou la combattre ; communiquant ensuite ses travaux à ses collègues, il doit les discuter au besoin, et après un avis général les publier afin qu’ils soient profitables aux localités envahies ou menacées par l’épizootie.

Si besoin est, les vétérinaires rédigeront ensemble un projet de règlement sanitaire approprié aux contrées où sévit la maladie contagieuse. Ils donneront, de la sorte, non-seulement la mesure de l’intérêt qu’ils portent au bien public, mais l’autorité administrative pourra trouver dans ce document les éléments des mesures à prendre pour faire cesser la maladie.

4o Devoirs envers la loi. — Le vétérinaire a des devoirs auxquels il ne saurait se soustraire, car ils lui sont imposés par la loi.

L’arrêt du 16 juillet 1784 (Art. 4) et l’ordonnance du préfet de police du 31 août 1842 (Art. 9), concernent particulièrement les vétérinaires. Il leur est expressément défendu de traiter un animal atteint d’une maladie contagieuse sans en avoir fait, au préalable, la déclaration à l’autorité. (Nous ne citons pas le texte de la loi, puisque nous l’avons déjà fait à cette partie de notre thèse : Devoirs des détenteurs d’animaux.)

En commentant cette loi, on remarque qu’elle a dans son texte un sens exclusif qu’elle n’a pas dans son esprit. En effet, elle met sur la même ligne, le typhus, la péripneumonie contagieuse, le farcin, la morve, la gourme, etc., autant de maladies contagieuses, il est vrai, mais parmi lesquelles il en est (le typhus, la clavelée) qui possèdent au plus haut degré des propriétés contagieuses, tandis que d’autres (la morve, le farcin) tout en se propageant par contact médiat ou immédiat, ne s’étendent pas au dehors de leur centre primitif d’action.

Néanmoins, lorsque le vétérinaire est appelé pour donner des soins à des sujets atteints d’une maladie contagieuse, il doit tout d’abord s’informer si le propriétaire, obéissant aux prescriptions de la loi, en a rendu compte à l’autorité. Si la déclaration n’a pas été faite, il doit engager l’intéressé à la faire et l’aviser qu’à défaut de cette formalité, il ne lui est pas permis d’intervenir sans l’avoir lui-même préalablement accomplie, sous peine d’une amende de 500 fr.

Pour un cas de morve, de farcin, de piétin, lorsque les animaux sont placés dans de bonnes conditions d’hygiène et d’isolement, on comprend qu’il ne soit pas fait de déclaration, l’intérêt général ne courant, pour ainsi dire, aucun risque. Mais en ce qui concerne les affections à marche rapide (péripneumonie épizootique, fièvre charbonneuse enzootique), les propriétaires et vétérinaires ne sauraient impunément éluder la loi sans être atteints par une pénalité des plus sévères qui trouverait sa justification dans l’imminence de la propagation de la contagion, ou dans le dommage causé à la communauté.

Le vétérinaire a le droit, et c’est son devoir, de tracer au propriétaire sa règle de conduite, et de lui rappeler les dispositions de l’arrêt du 16 juillet 1784, et des articles 459 et 460 du Code pénal déjà cités.

Si quelques propriétaires ne se rendaient pas à ce langage ferme et persuasif, le vétérinaire devrait leur représenter la responsabilité encourue par leur désobéissance et l’obligation que lui imposent la loi et sa conscience d’avertir l’autorité de l’existence de l’affection contagieuse, avant de chercher à la traiter.

Nous aimons à croire que le vétérinaire n’a pas souvent à remplir une mission si triste et si pénible. Pour ce qui nous concerne personnellement, nous faisons les vœux les plus ardents pour être dispensé d’une pareille corvée.

5o Devoirs envers les magistrats. — Quand une maladie fait son apparition dans une localité, l’autorité doit prendre toutes les précautions possibles pour prévenir l’invasion du mal, pour arrêter ses progrès. Elle réclame les lumières et le concours d’hommes spéciaux, elle fait appel à la science pour atteindre plus sûrement ce but.

Quand un grand nombre d’animaux sont atteints par la maladie et qu’elle exerce ses ravages sur une vaste échelle, l’administration supérieure confie à un ou à plusieurs vétérinaires la mission de se rendre sur les lieux pour étudier cette maladie, déterminer sa nature, ses voies de propagation et juger de l’efficacité des mesures prises dans les pays infectés. Le typhus contagieux du gros bétail, les maladies charbonneuses, la fièvre aphteuse, sont celles qui ont le plus éveillé la sollicitude de l’administration de l’agriculture et motivé son intervention par de semblables missions.

On comprend très-bien que les maladies contagieuses n’aient pas toujours ce caractère général de gravité. Selon le cas, le vétérinaire est délégué par la mairie, le sous-préfet ou le préfet. Après s’être concerté avec l’autorité locale, il doit visiter tous les animaux en présence ou avec l’assistance d’un délégué de la municipalité.

Cette délégation est un témoignage certain de la confiance qu’inspirent les ressources de la médecine vétérinaire appliquée aux maladies contagieuses et elle honore à un haut degré l’homme qui en est l’objet. Le vétérinaire doit s’empresser d’accepter cette honorable mission ; cependant rien ne l’y oblige, personne ne peut la lui imposer ; mais une fois qu’il a souscrit aux désirs et à l’invitation de l’autorité, il faut que sa mission reçoive son entier dévouement. S’inspirant de l’esprit qui l’a dictée il se rappellera qu’il est spécialement chargé de visiter les animaux atteints ou suspectés. Si les circonstances l’exigent, il adressera immédiatement un rapport à l’autorité qui l’a délégué, ou bien il attendra, pour faire un compte-rendu moral de ses opérations, le terme de sa mission. S’il reconnaît l’utilité de quelques mesures sanitaires, il les soumettra sous forme de projet à l’autorité compétente qui en ordonnera la mise en pratique si elle le juge opportun.

Ses opérations étant terminées, il les consignera dans un procès-verbal qu’il signera et fera signer par le délégué qui l’a assisté dans l’accomplissement de sa mission.

Le vétérinaire, pour accomplir à la satisfaction de tous les mesures souvent délicates qui lui sont confiées, restera sourd à toutes les sollicitations intéressées ; il devra n’avoir d’autre guide que sa conscience et agir avec circonspection, ne jamais se départir de cet esprit de déférence et de conciliation qui est le propre de l’homme investi de la confiance de ses concitoyens et de l’autorité administrative.

ORGANISATION DU SERVICE VÉTÉRINAIRE SANITAIRE

La Russie, l’Allemagne sont pourvues d’un service de ce genre. Nous sommes heureux d’apprendre que par arrêt du président de la République, en date du 24 mai 1876, il a été créé en France un Comité consultatif des épizooties. Il importait de donner à notre cher pays une organisation si longtemps désirée et si nécessaire. Mieux que toutes les prescriptions règlementaires elle le préservera contre les épizooties contagieuses. Ne se rappelle-t-on pas le rôle important qu’a joué le service vétérinaire qui a fonctionné en 1815 et 1816 dans le département du Pas-de-Calais où régnait le typhus contagieux ?

Un projet de loi sur la police sanitaire, comme conséquence du décret dont nous venons de parler, va nécessairement être élaboré. Quelles que soient les mesures prises par ce comité et son organisation, nous désirerions qu’au chef-lieu du département, de chaque arrondissement et de chaque canton, il y ait un vétérinaire sanitaire dont les fonctions seraient déterminées. Le vétérinaire départemental, par exemple, serait toujours prêt à se déplacer et exclusivement à la disposition du préfet. Les autres, dont les fonctions seraient limitées à la circonscription même de leurs localités, informeraient par écrit le sous-préfet, le maire, de leurs observations relatives à l’épizootie ; de telle sorte que rien n’échapperait à l’autorité supérieure qui serait informée dans un bref délai de la marche de l’épizootie, des mesures prises dans les localités et de l’exécution de celles qui auraient été prescrites.

Ce service sanitaire toujours prêt à fonctionner, chacun de ses membres remplissant son rôle, nous pensons que ce serait le meilleur moyen de rendre facile et certaine l’extinction rapide de toutes les contagions. Il serait inutile d’avoir recours à ces grandes mesures dont nous avons parlé qui offrent des avantages, mais qui présentent aussi bien des inconvénients. Il importe avant tout d’atteindre le but, en ne portant que le moins possible atteinte à la liberté et aux droits des citoyens. C’est ce que comprendra très-bien, nous en sommes sûr d’avance, le Comité consultatif des épizooties nouvellement institué.

Marcel MAZEAUD.