Dialogues des morts/Dialogue 72

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Texte établi par Émile FaguetNelson (p. 425-431).


LXXII

LA REINE MARIE DE MÉDICIS ET LE CARDINAL DE RICHELIEU


Vanité de l’astrologie


Richelieu. — Ne puis-je pas espérer, madame, de vous apaiser en me justifiant au moins après ma mort ?

Marie. — Ôtez-vous de devant moi, ingrat, perfide, scélérat, qui m’avez brouillée avec mon fils, et qui m’avez fait finir une vie misérable hors du royaume. Jamais domestique n’a dû tant de bienfaits à sa maîtresse, et ne l’a traitée si indignement.

Richelieu. — Je n’aurais jamais perdu votre confiance, si vous n’aviez pas écouté des brouillons : Bérulle, la du Fargis, les Marillac, ont commencé. Ensuite vous vous êtes livrée au P. Chanteloube, à Saint-Germain de Mourgues, et à Fabroni, qui étaient des têtes mal faites et dangereuses. Avec de telles gens, vous n’aviez pas moins de peine à bien vivre avec Monsieur à Bruxelles, qu’avec le roi à Paris. Vous ne pouviez plus supporter ces beaux conseillers, et vous n’aviez pas le courage de vous en défaire.

Marie. — Je les aurais chassés pour me raccommoder avec le roi mon fils. Mais il fallait faire des bassesses, revenir sans autorité, et subir votre joug tyrannique : j’aimais mieux mourir.

Richelieu. — Ce qui était le plus bas et le moins digne de vous, c’était de vous unir à la maison d’Autriche, dans des négociations publiques, contre l’intérêt de la France. Il aurait mieux valu vous soumettre au roi votre fils ; mais Fabroni vous en détournait toujours par des prédictions.

Marie. — Il est vrai qu’il m’assurait toujours que la vie du roi ne serait pas longue.

Richelieu. — C’était une prédiction bien facile à faire, la santé du roi étant très mauvaise, et il la gouvernait très mal. Mais votre astrologue aurait dû vous prédire que vous vivriez encore moins que le roi. Les astrologues ne disent jamais tout, et leurs prédictions ne font jamais prendre des mesures justes.

Marie. — Vous vous moquez de Fabroni, comme un homme qui n’aurait jamais été crédule sur l’astrologie judiciaire. N’aviez-vous pas de votre côté le P. Campanelle, qui vous flattait par ses horoscopes ?

Richelieu. — Au moins le P. Campanelle disait la vérité ; car il me promettait que Monsieur ne régnerait jamais, et que le roi aurait un fils qui lui succéderait. Le fait est arrivé, et Fabroni vous a trompée.

Marie. — Vous justifiez par ce discours l’astrologie judiciaire et ceux qui y ajoutent foi ; car vous reconnaissez la vérité des prédictions du P. Campanelle. Si un homme instruit comme vous, et qui se piquait d’être un si fort génie, a été si crédule sur les horoscopes, faut-il s’étonner qu’une femme l’ait été aussi ? Ce qu’il y a de vrai et de plaisant, c’est que, dans l’affaire la plus sérieuse et la plus importante de toute l’Europe, nous nous déterminions de part et d’autre, non sur les vraies raisons de l’affaire, mais sur les promesses de nos astrologues. Je ne voulais point revenir, parce qu’on me faisait toujours attendre la mort du roi ; et vous, de votre côté, vous ne craigniez point de tomber dans mes mains ou dans celles de Monsieur à la mort du roi, parce que vous comptiez sur l’horoscope qui vous répondait de la naissance d’un dauphin. Quand on veut faire le grand homme, on affecte de mépriser l’astrologie ; mais, quoiqu’on fasse en public l’esprit fort, on est curieux et crédule en secret.

Richelieu. — C’est une faiblesse indigne d’une bonne tête. L’astrologie est la cause de tous vos malheurs, et a empêché votre réconciliation avec le roi. Elle a fait autant de mal à la France qu’à vous ; c’est une peste dans toutes les cours. Les biens qu’elle promet ne servent qu’à enivrer les hommes, et qu’à les endormir par de vaines espérances ; les maux dont elle menace ne peuvent point être évités par la prédiction, et rendent par avance une personne malheureuse. Il vaut donc mieux ignorer l’avenir, quand même on pourrait en découvrir quelque chose par l’astrologie.

Marie. — J’étais née Italienne, et au milieu des horoscopes. J’avais vu en France des prédictions véritables de la mort du roi mon mari.

Richelieu. — Il était aisé d’en faire. Les restes d’un dangereux parti songeaient à le faire périr. Plusieurs parricides avaient déjà manqué leur coup. Le danger de la vie du roi était manifeste. Peut-être que les gens qui abusaient de votre confiance n’en savaient que trop de nouvelles. D’ailleurs les prédictions viennent après coup, et on n’en examine guère la date. Chacun est ravi de favoriser ce qui est extraordinaire.

Marie. — J’aperçois en passant que votre ingratitude s’étend jusque sur le pauvre maréchal d’Ancre, qui vous avait élevé à la cour. Mais venons au fait. Vous croyez donc que l’astrologie n’a point de fondement ? Le P. Campanelle n’a-t-il pas dit la vérité ? ne l’a-t-il pas dite contre la vraisemblance ? Quelle apparence que le roi eût un fils après vingt et un ans de mariage sans en avoir, répondez ?

Richelieu. — Je réponds que le roi et la reine étaient encore jeunes, et que les médecins, plus dignes d’être crus que les astrologues, comptaient qu’ils pourraient avoir des enfants. De plus, examinez les circonstances. Fabroni, pour vous flatter, assurait que le roi mourrait bientôt sans enfants. Il avait d’abord bien pris ses avantages ; il prédisait ce qui était le plus vraisemblable. Que restait-il à faire pour le P. Campanelle ? Il fallait qu’il me donnât de son côté de grandes espérances, sans cela il n’y a pas de l’eau à boire dans ce métier. C’était à lui à dire le contraire de Fabroni, et à soutenir la gageure. Pour moi, je voulais être sa dupe, et, dans l’incertitude de l’événement, l’opinion populaire, qui faisait espérer un dauphin contre la cabale de Monsieur, n’était pas inutile pour soutenir mon autorité. Enfin il n’est pas étonnant que parmi tant de prédictions frivoles, dont on ne remarque point la fausseté, il s’en trouve une dans tout un siècle qui réussisse par un jeu du hasard. Mais remarquez le bonheur de l’astrologie : il fallait que Fabroni ou Campanelle fût confondu ; du moins il aurait fallu donner d’étranges contorsions à leurs horoscopes pour les concilier, quoique le public soit si indulgent pour se payer des plus grossières équivoques sur l’accomplissement des prédictions. Mais enfin, en quelque péril que fût la réputation des deux astrologues, la gloire de l’astrologie était en pleine sûreté : il fallait que l’un des deux eût raison ; c’était une nécessité que le roi eût des enfants ou qu’il n’en eût pas. Lequel des deux qui pût arriver, l’astrologie triomphait. Vous voyez par là qu’elle triomphe à bon marché. On ne manque pas de dire maintenant que les principes sont certains, mais que Campanelle avait mieux pris le moment de la nativité du roi que Fabroni.

Marie. — Mais j’ai toujours ouï dire qu’il y a des règles infaillibles pour connaître l’avenir par les astres.

Richelieu. — Vous l’avez ouï dire comme une infinité d’autres choses que la vanité de l’esprit humain a autorisées. Mais il est certain que cet art n’a rien que de faux et de ridicule.

Marie. — Quoi ! vous doutez que le cours des astres et leurs influences ne fassent les biens et les maux des hommes ?

Richelieu. — Non, je n’en doute point ; car je suis convaincu que l’influence des astres n’est qu’une chimère. Le soleil influe sur nous par la chaleur de ses rayons ; mais tous les autres astres, par leur distance, ne sont à notre égard que comme une étincelle de feu. Une bougie bien allumée a bien plus de vertu, d’un bout de la chambre à l’autre, pour agir sur nos corps, que Jupiter et Saturne n’en ont pour agir sur le globe de la terre. Les étoiles fixes, qui sont infiniment plus éloignées que les planètes, sont encore bien plus hors de portée de nous faire du bien ou du mal. D’ailleurs les principaux événements de la vie roulent sur nos volontés libres ; les astres ne pourraient agir par leurs influences que sur nos corps, et indirectement sur nos âmes, qui seraient toujours libres de résister à leurs impressions, et de rendre les prédictions fausses.

Marie. — Je ne suis pas assez savante, et je ne sais si vous l’êtes assez vous-même, pour décider cette question de philosophie : car on a toujours dit que vous étiez plus politique que savant. Mais je voudrais que vous eussiez entendu parler Fabroni sur les rapports qu’il y a entre les noms des astres et leurs propriétés.

Richelieu. — C’est précisément le faible de l’astrologie. Les noms des astres et des constellations leur ont été donnés sur les métamorphoses et sur les fables les plus puériles des poètes. Pour les constellations, elles ne ressemblent par leur figure à aucune des choses dont on leur a imposé le nom. Par exemple, la Balance ne ressemble pas plus à une balance qu’à un moulin à vent. Le Bélier, le Scorpion, le Sagittaire, les deux Ourses, n’ont aucun rapport raisonnable à ces noms. Les astrologues ont raisonné vainement sur ces noms imposés au hasard, par rapport aux fables des poètes. Jugez s’il n’est pas ridicule de prétendre sérieusement fonder toute une science de l’avenir sur des noms appliqués au hasard, sans aucun rapport naturel à ces fables, dont on ne peut qu’endormir les enfants. Voilà le fond de l’astrologie.

Marie. — Il faut ou que vous soyez devenu bien plus sage que vous ne l’étiez, ou que vous soyez encore un grand fourbe, de parler ainsi contre vos sentiments car personne n’a jamais été plus passionné que vous pour les prédictions. Vous en cherchiez partout, pour flatter votre ambition sans bornes. Peut-être que vous avez changé d’avis depuis que vous n’avez plus rien à espérer du côté des astres. Mais enfin vous ayez un grand désavantage pour me persuader, qui est d’avoir en cela, comme en tout le reste, toujours démenti vos paroles par votre conduite.

Richelieu. — Je vois bien, madame, que vous avez oublié mes services d’Angoulême et de Tours, pour ne vous souvenir que de la journée des Dupes et du voyage de Compiègne. Pour moi, je ne veux point oublier le respect que je vous dois, et je me retire. Aussi bien ai-je aperçu l’ombre pâle et bilieuse de M. d’Épernon, qui s’approche avec toute sa fierté gasconne. Je serais mal entre vous deux, et je vais chercher son fils le cardinal, qui était mon bon ami.