Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Morgue (la)

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Morgue (la).

Située quai du Marché-Neuf. — 9e arrondissement, quartier de la Cité.
historique.

S’il faut en croire Vaugelas, cet écrivain d’un purisme si rigoureux, morgue serait un vieux mot français qui signifiait visage. À l’entrée des prisons, on trouvait autrefois un endroit portant le nom de Morgue, où l’on retenait quelquefois les prisonniers, au moment où on les écrouait, pour que les gardiens pussent bien voir leur morgue ou visage, afin de les reconnaitre en cas de tentative d’évasion. Plus tard, on exposa dans les Morgues, les cadavres dont la justice s’était saisie et qu’on voulait faire reconnaitre ; à cet effet, le public était admis à venir regarder par un guichet pratiqué dans la porte. À Paris, les corps inconnus furent exposés, jusqu’en 1804, dans la Basse-Geôle ou Morgue dépendant de la prison du grand Châtelet. À cette époque fut construit le bâtiment qu’on voit aujourd’hui à l’extrémité nord-est du pont Saint-Michel.

Ordonnance de Police du 9 floréal an VIII. — Cet acte intitulé : Ordonnance concernant la levée des cadavres, bien qu’il traite de beaucoup d’autres choses, entr’autres (art. 2 et 3) des secours à procurer aux cadavres qui donnent des signes de vie, et des primes à payer pour les noyés rappelés à la vie, règle le service intérieur de la Basse-Geôle à laquelle l’établissement de la Morgue a été substitué par l’ordonnance du 29 thermidor an XII. Plusieurs de ses dispositions sont tombées en désuétude ; voici les plus importantes de celles qui subsistent encore :

« Article 6. Aussitôt la réception du cadavre à la Basse-Geôle, il sera exposé nu aux regards du public, avec les précautions dues à la décence et aux mœurs ; ses vêtements seront suspendus à côté pour aider à la reconnaissance. Cette exposition durera trois jours.

» Art. 8. En cas de reconnaissance du cadavre à la Basse-Geôle, ceux qui le reconnaitront en feront leur déclaration devant le juge-de-paix ou le commissaire de police le plus voisin, qui leur en délivrera expédition. Sur le vu de cette déclaration, le préfet de police ordonnera la remise du cadavre et son inhumation en la manière accoutumée, sous les noms indiqués pour lui appartenir. Les réclamants paieront, s’ils en ont la faculté, les frais de repêchage et visite du cadavre, ceux de son transport à la Basse-Geôle et de son inhumation, sinon ils seront acquittés ainsi qu’il est dit en l’art. 13. Les vêtements et autres effets trouvés sur le cadavre leur seront remis.

» Art. 9. Tous les procès-verbaux relatifs aux cadavres envoyés à la Basse-Geôle, ainsi que les ordres d’inhumation, seront inscrits sur un registre tenu à cet effet à la préfecture de police.

» Art. 10. Il sera aussi tenu à la Basse-Geôle un registre où seront inscrits, jour par jour, la date de l’entrée des cadavres, leur signalement et les causes présumées de leur mort, ainsi que la date de leur sortie, soit pour être inhumés, soit pour être remis aux réclamants.

» Art. 12. Lorsqu’il sera repêché dans la rivière des portions de cadavre, celui qui les aura repêchées en donnera sur-le-champ avis au commissaire de police le plus voisin, et il sera procédé de la même manière que pour un cadavre entier.

» Art. 15. Il est expressément enjoint au greffier de la Basse-Geôle de vérifier, aussitôt l’arrivée d’un cadavre à la Basse-Geôle, si son signalement ne se trouverait pas conforme à l’un de ceux portés aux déclarations mentionnées en l’article précédent, auquel cas il en fera prévenir de suite la personne qui aura fait ladite déclaration, avec invitation de venir reconnaitre le cadavre pour être ensuite procédé ainsi qu’il est dit en l’art. 8. »

Ordonnance de police du 29 thermidor an XII. — Cette ordonnance portant affectation spéciale du nouveau bâtiment de la Morgue, renferme les dispositions suivantes :

» Article 1er. À compter du 1er fructidor prochain, la Basse-Geôle du ci-devant Châtelet de Paris sera et demeurera supprimée.

» Art. 2. À compter du même jour, les cadavres retirés de la rivière où trouvés ailleurs, dans le ressort de la préfecture de police, et qui n’auraient pas été réclamés, seront transportés et déposés dans la nouvelle Morgue, établie sur la place du Marché-Neuf (aujourd’hui quai du Marché-Neuf), quartier de la Cité. Ils y resteront déposés pendant trois jours, à moins qu’ils n’aient été reconnus et réclamés dans un moindre délai. Ils ne pourront être inhumés sans un ordre du préfet de police. »

Description du monument. — Détails sur le service intérieur.

Le monument de la Morgue, dont les dispositions intérieures ont reçu depuis peu d’années d’importantes améliorations, forme saillie, de toute sa profondeur, sur l’alignement du parapet qui borde le petit bras de la Seine. Une grande porte cochère donne accès à un immense vestibule. À gauche, en entrant, se trouve la Salle d’Exposition, que sépare du vestibule, dans toute sa longueur, un vitrage protégé par une barrière et derrière lequel s’étendent deux rangées de tables en marbre noir, inclinées vers les pieds et garnies chacune, vers l’endroit le plus élevé, d’une espèce d’oreiller ou pupitre, recouvert d’une feuille de cuivre qui maintient la tête dans une position convenable pour être bien vue. À droite, est le bureau du préposé de l’administration qui, sous le titre de greffier-concierge, et sous l’inspection d’un médecin, dirige l’établissement. À côté du bureau se trouve la salle d’autopsie, contenant deux tables de dissection, dont la plus neuve, la seule à peu près qui serve pour ces opérations, est garnie d’un appareil désinfectant, qui la met en communication avec un fourneau d’appel de près de 2 m. de haut, qui est placé dans la pièce voisine. Plus loin est la remise, qui renferme la voiture, en forme de caisson, dans laquelle on transporte au cimetière, sans pompe et roulés dans une serpillière, les corps qui ne sont pas reconnus ou qui ne sont pas réclamés. Dans une pièce voisine, que nous appellerons salle de lavage, et qui est dallée dans toute son étendue, se trouve une espèce de bassin long, en pierre dure et à large margelle, dans lequel on nettoie les effets apportés avec les cadavres. Près de ce bassin est placé un gros robinet, ordinairement garni d’un tuyau de pompe, et qui sert à laver les corps avant de les exposer. Dans une salle de dégagement, aussi dallée dans toute son étendue, et qui est située entre la précédente et la salle d’exposition, on dépose provisoirement sur des tables de pierre, et à l’abri des insectes, au moyen de demi-cylindres en toile métallique, les corps dont la reconnaissance a été opérée ou ceux qui sont dans un état de décomposition trop avancé pour être exposés, en un mot tous ceux qui attendent l’inhumation ; enfin, dans les combles se trouve un réduit dans lequel doit coucher celui des deux garçons de service qui passe la nuit dans l’établissement pour recevoir à toute heure les cadavres qui peuvent y être apportés.

But de l’institution. — Améliorations opérées.

L’établissement de la Morgue est spécialement destiné à l’exposition publique des individus sur l’état civil et le domicile desquels on n’a pu se procurer de renseignements suffisants pour faire dresser leurs actes de décès. — Le but que l’administration s’est proposé d’atteindre par l’institution de la Morgue est évidemment d’arriver à ce que le plus grand nombre possible des corps qu’on y transporte soit reconnu. Une exposition publique prolongée serait sans doute le meilleur moyen d’arriver à ce résultat, mais de puissantes considérations de salubrité ne permettent pas, dans l’état actuel de la science, de s’arrêter sérieusement à ce moyen, et il est aujourd’hui reconnu que les cadavres ne peuvent sans inconvénient séjourner plus de trois jours à la Morgue. C’est donc dans ce délai assez restreint qu’il s’agit d’obtenir les reconnaissances, puisqu’au-delà elles ne pourraient être opérées que sur le vu des effets seulement, et présenteraient dès lors plus de difficultés et surtout moins de certitude.

C’est dans ce sens qu’ont été dirigés jusqu’à présent les efforts de l’administration et, grâce à l’intelligente activité du greffier actuel de la Morgue, grâce à la promptitude des démarches officieuses faites pour faciliter et hâter les reconnaissances, le service de cet établissement a subi depuis quelques années d’importantes améliorations.

Ainsi, en 1830, quatre corps seulement étaient reconnus sur dix qu’on apportait à la Morgue, et aujourd’hui les reconnaissances s’élèvent à près des 9/10es ; autrefois les corps séjournaient en moyenne quatre à cinq jours à la Morgue avant d’être inhumés ou reconnus ; aujourd’hui la moyenne du séjour qu’ils y font n’est que de vingt-quatre heures environ.

Statistique sur la Morgue. — Développement sur les accidents et les suicides.

Nous allons terminer cette notice par une statistique détaillée qui donnera une idée de l’importance de l’établissement.

La Morgue de Paris reçoit en moyenne chaque année : 1o des quarante-huit quartiers de Paris ; 2o des soixante-dix-huit communes de la banlieue ; 3o des communes de Sèvres, Saint-Cloud et Meudon, comprises dans le ressort de la préfecture de police quoique faisant partie du département de Seine-et-Oise ; 4o de quelques autres communes environnantes, telles qu’Argenteuil, Saint-Germain, etc.

1o Portions de cadavres (10 à 12 chaque année) 11
2o Fœtus 38
3o Nouveau-nés à terme 26
4o Cadavres d’adultes (hommes 238, femmes 51) 289

Ce nombre de 289 adultes se divise en quatre catégories principales :

Hommes Femmes Total
Homicides 3 2 5
Morts subites ou par maladie 34 11 45
Blessures accidentelles suivies de mort 66 4 70
Suicides 134 35 169

Ces deux derniers articles méritent quelques développements que nous allons donner sous forme de tableaux synoptiques et qui, nous l’espérons, n’offriront pas moins d’intérêt au moraliste qu’au simple curieux. Nous devons toutefois faire observer que, malgré l’exactitude presque rigoureuse des documents que nous donnons, on n’aurait qu’une idée imparfaite du nombre des accidents et des suicides dont le département de la Seine est chaque année le théâtre, si nous n’y faisions figurer que le nombre des corps apportés à la Morgue. On le comprendra facilement si l’on veut bien remarquer que les individus blessés, tués ou suicidés dans leur domicile ou dans d’autres endroits où ils sont connus, ne sont presque jamais conduits à la Morgue, puisqu’on possède généralement sur leur état civil les renseignements nécessaires pour faire dresser leur acte de décès ; nous avons donc cru indispensable de compléter nos tableaux en y ajoutant le chiffre des victimes d’accidents et de suicides dont les corps ne sont pas transportés à la Morgue.

Les genres de mort suivant l’âge, sont à peu près dans la même proportion pour les corps qui ne sont pas transportés à la Morgue.