Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Antéchrist

La bibliothèque libre.
Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 81-83).

ANTÉCHRIST. — I. Divers types d’adversaires du Messie. — IL L’Antéchrist : a) Dans l’Ecriture : h) Dans la tradition ecclésiastique primitive.

Seules dans toute la littérature, canonique et apocryphe, de l’Ancien et du Nouveau Testament, les Epîtres de S. Jean ont ce terme d’antéchrist. Etjinologiquement, è « vri^/stiTs ; , l’antéchrisf, lantichrist, peut signifier anti-christ et pseudo-chiist. Encore que jieut-ètre le second sens ne soit pas loin de son esprit, S. Jean s’attache directement au premier, celui d’adversaire du Christ.

1. Divers types d’adversaires du Messie.— Avant d'étudier de plus près l’Autéchrisl dont parle S. Jean, il ne sera pas inutile de dresser le tableau sommaire des divers tyi)es d’adersaires du Messie que connaît la tradition apocaljptitpie, juive et chrétienne. Il y en a trois. Il y a la puissance politique hostile au peuple messianique et persécutrice des Saints. Il y a l’adversaire religieux agissant par séduction. Il y a enfin l’ennemi transcendant. Tous se donnent pour mission et chacun à leur manière s’efforcent d’empêcher l'établissement du règne du Messie et de Dieu. ANTECHRIST

148

a) Puissance politique.

C’est toujours un empire ou un tj’ran païen.

1. Gog et Magog. Ces personnages apparaissent pour la première fois dans Ezéchiel, xxxviii-xxxix. Gog est un roi et Magog le pays qui lui est soumis et que le prophète semble localiser quelque part en Arménie. Ezéchiel les voit, « après des jours nombreux », 6 dans la suite des jours », qui s’avancent contre Israël, entraînant à leur suite des peuples en foule. A peine ont-ils mis les pieds sur le sol palestinien que le courroux de laln-é s’allume contre eux. Parmi les bouleversements de la nature, ils sont anéantis par lahvé. Une ère de prospérité et de gloire commence alors pour les Israélites.

Perdant ce qu’ils pouvaient avoir à l’origine d’individualité historique et passant à l'état de types, Gog et Magog feront désormais partie de la tradition apocalyptique oii ils représentent les nations hostiles au règne du Messie et au peuple messianique. C’est en cette qualité qu’ils figurent dans l’Apocalypse de S. Jean, xx, '] et ss.

2. Les quatre Bêtes de Daniel. Au ch. vu et ss. des prophéties de Daniel, le Aoyant décrit « quatre bêtes puissantes qui montaient de la mer ». On lui explique que ces bêtes sont quatre empires « qui se lèveront de la terre ». La quatrième bête est particulièrement redoutable. Elle a dix cornes, plus une petite corne sur latjuelle se concentre l’attention. On expose au long ses méfaits et ses entreprises impies contre le Très-Haut et ses Saints. La première bête parait être l’empire chaldéen de Nabuchodonosor, la seconde l’empire médo-perse, la troisième l’empire d’Alexandre, la quatrième l’empire syrien d’Antioche. La petite corne doit être Antiochus Epiphane. Formant un contraste absolu a^ec ces puissances symbolisées par des bêtes, le voyant contemple un Fils de l’homme, un être humain, symbole et chef d’un royaume meilleur, le roj^aume messianique. Ce Fils de l’homme reçoit de l’Ancien des jours puissance et mission d’enlever aux trois premiers empires la domination et de détruire le quatrième. C’est ce qui arrive et, après de dramatiques péripéties, l’arrogante petite corne est vaincue. Il est à remarquer qu' Antiochus Epiphane, malgré qu’il représente une puissance d’ordre politique, revêt en même temps certains caractères qui le constituent, à un haut degré, le type de l’ennemi de Dieu, l’impie.

3. Le tyran mystérieux du IV^ Liyre d’Esdras. Au ch. V, 6, de cet apocryphe, dans un contexte eschatologique, nous lisons ceci : « Regnabit quem non sperant… » La formule est obscure. Vaganaj' écrit :

« Il ne faut pas confondre cette conception (de l’antéchrist) avec l’idée, que l’on rencontre quelquefois

dans les apocalypses juives, d’un tyran politique qui doit, à la lin du monde, persécuter le peuple de Dieu avec plus de rage que jamais (Sib., iv, 138 ; v, 214, 22'j). C’est sans doute à ce dernier point de vue que se rattache l’indication si mystérieuse que nous trouvons au chapitre v, 6, de notre apocalypse, parmi les signes avant-coureurs du royaume messianique… » {Le Problème eschatologique dans le IV' Lire d’Esdras, 1906.)

4- La Bête qui monte de la mer, dans l’Apocalypse. Cette Bête qui paraît au ch. xiii et qui reparaît au ch. XVII et ss. symbolise la puissance romaine, adversaire irréductible du Christ et de son règne. Comme dans le cas d’Antiochus Epiphane, nous avons affaire ici à un tyran politique sans doute, mais qui incarne en même temps des idées religieuses en opposition essentielle avec la foi des Saints. C’est même sur le terrain proprement religieux que la lutte s’engage.

5. Néron « redlvivus ». En plusieurs endroits de ce recueil composite qui porte le titre d’Oracles Sibyllins

figure un personnage assez étrange où l’on reconnaît généralement le k Néron redivivus » de la légende romaine (Or. Sib., iv, 11 9 et ss. ; 1 87 et ss. ; v. 33 et ss. ; 215-220 ; viii, 146 ; 154 et ss., etc. Cf. Suétone, Nero, 57 ; Tacite, Hist., 11, 8). A l’origine Néron, censé réfugié chez les Parthes, reparaît à leur tête et marche contre Rome. Son rôle est principalement politique. Plus tard c’est des Enfers qu’il remonte sous une forme fantastique et pour remplir un rôle surtout religieux, analogue à celui de l’Antéchrist. h) Adi’ersaire religieux.

1. « L’impie)) de II Thess. Avant que se produise la parousie, un personnage doit se manifester que S. Paul appelle : « l’impie », « l’homme du péché »,

« le tîls de la perdition ». Nul trait politique n’apparaît dans le caractère de ce personnage ni dans son

rôle ; c’est un adversaire purement religieux. Il agira par séduction et non par violence. Il provoquera une grande apostasie religieuse. Il s'égalera à Dieu, se mettra au-dessus même de lui, réclamera des honneurs divins.

2. La Bête qui monte de la terre. Apocalypse, xiii. A côté de la Bête qui monte de la mer, symbole de la puissance romaine, S. Jean place une Bête qui monte de la terre. Cette seconde Bête, serviteur et fondé de pouvoirs de la première, s’emploie à promouvoir par, voie de séduction, à exiger par voie de contrainte ! morale, le culte religieux de Rome et de César. Elle remplit un office essentiellement sacerdotal. C’est un adversaire religieux des Saints et de leur Roi.

3. L’Antéchrist des Epîtres de S. Jean. Cet adversaire du Christ a pour précurseurs et serviteurs anticipés des hérétiques qui refusent de reconnaître en Jésus le Messie et le Fils de Dieu. Nous sommes fondés à le considérer lui-même comme le négateur par excellence de la Messianité de Jésus et de sa Divinité. Son hostilité vis-à-vis de Jésus et des siens estj d’ordre purement religieux.

c) Ennemi transcendant.

1. Satan. C’est Satan en personne qui, en plusieurs endroits de l’Apocalypse de S. Jean, mène le comba contre le Christ et les siens. L’assaut final, décrit ai ch. XX, nous le montre en particulier dans ce rôle.

2. Bélial. Ainsi s’appelle dans plusieurs apoca lypses juives l’adversaire du Messie lors du confli eschatologique. Bélial est un esprit de l’air, le princj des esprits mauvais. Il a pour adhérents daiîs s «  lutte contre le Messie les membres de la tribu de Dan S. Paul le connaît comme l’ennemi né du Christ et pour ainsi dire, son antithèse, II Cor., vi, 15. Ces évidemment le même que Satan.

II. L’Antéchrist. — Parmi ces conceptions à h fois diverses et solidaires ou apparentées, essayon de distinguer et d’isoler celles qui ont trait à l’Anlc christ lui-même, en tant que type particulier d’ac' versaire du Christ. v

fl) Dans l’Ecriture. Le point de départ de la rechei ; che doit être évidemment les Epîtres de S. JeaiNous avons déjà vu que l’Antéchrist dont ces Epître' nous parlent appartient à la catégorie des adve saires religieux. Ce n’est ni une puissance politic[ii ni un tyran, mais un faux prophète et un séducteu D’autre jjart, malgré qu’on lui décerne des titres, te que le Menteur, qui dans la langue de S. Jean caraf térisent ordinairement le diable ; malgré qu’on noii montre son esprit déjà présent et actif dans le moncj et que, sous cet aspect encore, il soit comme assimil à Satan ; il ne semble pas qu’il dépasse la sphè | humaine et que S. Jean veuille nous le présent} comme un être transcendant. En lui-même, ce dci être un être humain mais en qui Satan vit et agit. Il même il s’agit d’un individu plutôt que d’une eolhj 149

ANTECHRIST

150

tivité. Un trait caractéristiqtie de l’Antéchrist, c’est qu’il semble être ce que l’on peut appeler un ennemi domestique. Ce n’est pas un païen. C’est un personnage pour qui le titre et le rôle de Messie ont une importance de premier ordre. Il sort du milieu des cbrétiens ou des juifs, comme un hérétique. Enlin son entrée en scène est un fait eschatoloj-ique, annonciateur de la parousie imminente.

Retrouvons-nous quelque part ailleurs dans les écrits canoniques du Nouveau Testament des conceptions identiques et dont on puisse afTirmer avec certitude qu’elles visent l’Antéchrist ? Oui, dans la seconde lettre de S. Paul aux Thessaloniciens, ii, 1-12.

« L’impie », etc., est lui aussi un adversaire d’essence

purement religieuse ainsi qu’il a été dit plus haut. C’est un individu plutôt qu’une collectivité ou que la personnification d’une tendance. C’est un être humain et non pas un esprit, ni Satan en personne. Toutefois il apparaît comme l’instnunent et le fondé de pouvoirs de ce dernier. Lui aussi sort évidemment des rangs du peuple messianique. Lui aussi est un ennemi domestique, un antimessie et un pseudomessie. Plusieurs voient une réminiscence des exigences impies de Caligula dans le passage où S. Paul attribue à son Antéchrist la prétention de recevoir dans le temple même de Dieu des honneurs diA’ins. C’est possible. Mais l’apôtre doit voir aussi dans ces prétentions divines de l’Antéchrist la forme extrême de ses prétentions messianiques. Il sera sur ce point en particulier l’antithèse absolue du Christ véritable dont S. Paul décrit les sentiments dans sa lettre auxPhilippiens, II, 5 et ss. L’apparition de ce personnage marquera l’acte suprême d’un mystère d’iniquité qui opère déjà. On a l’impression que ce mjstère doit être le rejet obstiné du Christ par les Juifs et leur active hostilité contre lui. Les Epîtres de S. Jean, elles aussi, paraissent suggérer cette manière de voir.

En tout ceci la pensée de S. Paul et celle de S. Jean, leur conception de l’Antéchrist, est au fond identique. S. Paul ajoute des explications, obscures pour nous, sur l’oljstacle qui empêche, pour le moment, l’impie de se manifester, mais qui doit, un jour, être écarté. Cet obstacle semble bien être une personne, ou une chose, une institution personnifiées. Divers savants ont suggéré récemment larchange Michel, protecteur d’Israël. Plusieurs Pères ont pensé à lempire romain.

Malgré qu’ils paraissent considérer l’un et l’autre, S. Jean surtout, la venue de lvntéehrist comme devant se produire dans un avenir ])rochaiu, ni lun ni l’autre, manifestement, ne savent ni n’enseignent rien de positif et de précis sur ce point.

S. Paul suppose que la tradition relative à l’Antéchrist était familière à ses correspondants de Thessalonicpic et sans doute à 1 ensemble des chrétiens de son temps. Cependant en dehors de sa deuxième lettre aux Thessaloniciens et des Epîtres de S. Jean, l’Antéchrist n’a[)i)araît nulle part dans les livres canonifiues du Noineau Testament sous sa pro[)re figure et dans son rôle spécial. Chose singulière, il est absent de l’Apocalypse de S. Jean ([ui, dans ses chapitres strictement escluitologiques, xx. ; — xxii, 5, ne mentionne que Satan puis Gog et Magog. Les apocalypses apocrypiies jui es ne l’ont j)as (hwantage, ni non plus les li^rcs canoniciiu^s de l’Ancien Testament. Nous n’y trouvons comme types d’adversaires du Christ que la puissance politique et l’ennemi transcendant.

Et cependant il demeure vraisemblable, non seulement que la conception de l’Antéchrist est antérieure à S. Jean et à S. Paul, mais qu’elle est. connue le donjectnre W. Bousset, d’origine juive. La Hèle qui paraît dans Jérusalem et qui met à mort les deux

témoins, Apoc. Joli, xi, pourrait représenter une forme ancienne et juive de la tradition relative à lvntéehrist. En l’introduisant dans un contexte qui n est plus proprement eschatologique, S. Jean a rendu le morceau difficile à entendre. De même la Bête qui monte de la terre, Apoc, xiii, représente une conception apparentée à celle de l’Antéchrist et suppose lexistence et l’influence de cette dernière. Mais encore une fois la figure a été retirée de son cadre eschatologique. L’Ascension d’Isa’ie, apocalypse juive retouchée par des mains chrétiennes à une date d ailleurs pinmitive (50-80 ap. J.-C), fournit, à sa manière, une attestation semblable. Le personnage de Bélial a été modifié sous l’influence, probablement, des idées relatives à lvntéehrist. Bélial n’intervient plus dans le conflit eschatologique sous sa forme propre d esprit mais sous forme humaine. Il revêt l’aspect d’un roi. Asc. Isaïa ?, 'iv, i et ss. Enfin la Didaché, qui pourrait être antérieure aux Epîtres de S. Jean, semble connaître l’Antéchrist lui-même, et cela dans un passage auquel plusieurs critiques attribuent une origine juive, xvi, l^ : « y.y.t tiVs fy.vr.jiTu.L

b) Dans la tradition ecclésiastique primitive. En général les anciens écrivains ecclésiastiques sont demeurés fidèles à la pensée de S. Paul et du S. Jean des Epîtres. Ils conçoivent l’Antéchrist comme étant essentiellement un séducteur, un faux prophète, un pseudo-messie. Souvent cependant dans le portrait qu’ils en donnent ils se montrent influencés à des degrés divers par les traditions relatives aux autres types d’adversaires du messie.

Sur certains points, les Pères ont cru pouvoir préciser les indications fournies par l’Ecriture. Ils ont ajouté quelques traits au signalement de l’Antéchrist qui, selon plusieurs d’entre eux, sortira de Dan. recevra la circoncision, s’appuiera sur les Juifs, se manifestera dans Jérusalem, rebâtira le temple, etc. Ils se sont plu à décrire son mode d’action, ses prodiges et sortilèges. Surtout ils ont cherché à marquer son rôle précis dans les actes divers du drame eschatologique. Ceux d’entre eux enfin qui voyaient dans l’obstacle dont parle S. Paul aux Thessaloniciens l’empire romain suivirent non sans angoisse les crises que traversa cet empire surtout à l'époqiu^ des invasions barbares, et vécurent dans l’attente de la venue de lvntéehrist. La part de conjectures personnelles, d’utilisation de traditions d origine et de valeur incertaines, d’illusions même, peut être considérable en tout ceci. L Eglise elle-ujème n’y a point engagé son autorité. Ofliciellement, elle ne sait que ce que S. Paul et les Epîtres de S. Jean lui ont appris. C’est peu de chose et de sens parfois incertain, mais cela échappe à toute objection motivée comme à toute démonstration rationnelle.

BiiiLioGHAiMiiK. — Adson, Be ortti, i’ita et morihiis ylntifliiisti (dans Migne, P. L., t. CI, col. 12891298) ; Malvenda, De Anticliristo lihri XI, in-folio, Home iGo4 ; Calmet, Dissertation sur l’Antéchrist, dans son Commentaire littéral, saint Paul, t. II, l’jiG, pp. xxvi-Lvii ; W, Bousset, Der Antichrist in der Ceberlieferun^ des Judenthums, des Aeuen Testaments, and der alten Kirche, in-8, Gœtlingue, 1895 ; Friedlænder, Der Antichrist in den vurchristlichen juedischen Quellen, in-8, Cfœttingue, 1901 ; C. Chauvin, Histoire de l’Antéchrist, d’après la Bible et les Saints Pères, in-16, Paris, 1903.

A. Lkmonnykh, O. P.