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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Babylone et la Bible

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 172-203).

BABYLONE ET LA BIBLE.

I. Considérations préliminaires : L’écriture cunéiforme. — Histoire des fouilles. — La critique biblique. — Panbabylonisme.

II. Les origines : La création. — Le Paradis et la chute du premier homme. — Les patriarches antédiluviens. — Le déluge. — La Tour de Babel.

III. La chronologie : Le Canon des Eponymes ; le Canon de Ptolémée. — Dates certaines servant de jalons dans l’histoire d’Israël. — Documents babyloniens les plus anciens.

IV. L’histoire : Valeur des documents historiques assyro-babyloniens. — Abraham. — Moïse. — Les Ḥabiri et l’Exode. — Principaux faits de l’époque des Rois. V. La législation : Le code de Hammourabi et le code de Moïse. — Mariage ; famille ; esclavage. — Justice. — Dépendance d’origine ?

VI. La religion et la morale : Monothéisme et polythéisme. — Le nom de lahvé, — Messianisme. — Prophétisme, divination, sorcellerie. — Prières ; hymnes ; psaumes de pénitence ; idée du péché. — Culte. Sabbat ; fête des Pourim. — Prêtres et sacrifices. — Croyances sur la vie après la mort.

VII. — Conclusions : L’histoire biblique sous un nouveau jour. — Méthodes défectueuses et conclusions précaires dans l’histoire comparée des religions ; raisons des similitudes ; emprunts possibles ; transcendance de la religion d’Israël.

Signes et abréviations.

ATAO2 = Alfred Jeremias, Das Alte Testament im Lichte des Alten Orients, 2° éd., Leipzig, 1906.

BA = Beiträge zur Assyriologie and semitischen Sprachwissenschaft, Leipzig.

BB, I, II, III, etc. = Friedrich Delitzsech, Babel und Bibel (II), Leipzig, 1902 ; — Zweiter Vortrag über Babel und Bibel (II), Stuttgart, 1903 ; — Babel und Bibel, ein Rückblick und Ausblick, Stuttgart, 1904 ; — Babel und Bibel, dritter (Schluss-) Vortag. (III), Stuttgart, 1905.

BDM = Fulcran Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6° et dernière éd., Paris, 1896.

Choix de textes… = Paul Dhorme, Choix de Textes religieux assyro-babyloniens, transcription, traduction, commentaire, Paris, 1907.

CT = Cuneiform Texts from babylonian tablets, etc., in the British Museum.

DBH = A Dictionary of the Bible, edited by James Hastings, Edinburgh, 1900-1904.

DBV = Dictionnaire de la Bible sous la direction de F. Vigouroux, Paris, 1895 et suiv.

EBS2 = Marie-Joseph Lagrange, Etudes sur les religions sémitiques, 2° éd., Paris, 1905.

Exp.T= The Expository Times, Edinburgh.

Fr. Martin, TR, 1900, 1908 = François Martin, Textes religieux assyriens et babyloniens, Paris, 1900, 1908.

KAT3 = Die Keilinschriften und das Alte Testament von Eberhard Schrader, 3° éd. par H. Zimmern et H. Winckler, Berlin, 1902.

KB = Keilinschriftliche Bibliothek, Berlin.

SBP = Stephen Langdon, Sumerian and Babylonian Psalms, Paris, 1909.

RB = Revue biblique internationale, Paris.

ZA = Zeitschrift für Assyriologie und verwandte Gebiete, Strassburg.

ZDMG = Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, Leipzig.

N. B. — Prononcer š comme ch ; g dur, Gilgamėš = Guilgamech. Dans les mots écrits en italique u se prononce ou ; il n’y a point d’e muet : e = é. Exemple : šeriqtu = chėriqtou.

Considérations préliminaires : L’écriture cunéiforme. — Histoire des fouilles. — La critique biblique. — Panbabylonisme.

« Beaucoup de lecteurs, dans le grand public, commencent à reconnaître que l’assriologie doit maintenant s’occuper des plus importants problèmes relatifs aux traditions et à la civilisation d’une bonne part de l’humanité » (St. Langdon, dans Babyloniaca. II, 3, 1908, p. 187). Il ne s’agit pas de quelques découvertes qui intéresseraient la Bible seulement çà et là, sur plusieurs points. Nous assistons depuis soixante ans à la résurrection de deux grands royaumes oubliés, l’Assyrie et la Babylonie. Les ruines des bords du Tigre et de l’Euphrate nous rendent peu à peu la longue histoire et l’immense littérature de ces peuples, voisins des Israélites et souvent en contact avec eux, de même race, de même génie, et parlant une langue de la même famille. Les monuments de cette civilisation très ancienne, déjà florissante au IIIe millénaire avant Jésus-Christ, enrichissent les musées de l’Europe et de l’Amérique. Pour donner une idée de la masse et de la variété des documents remis au jour et confrontés avec la Bible, il faudra esquisser sommairement l’historique des fouilles. Voici d’abord sur la nature de l’écriture cunéiforme quelques notions générales, sans lesquelles on ne saurait se rendre compte des difficultés du déchiff"rement et des discussions qui en résultent.

L’écriture cunéiforme. — L’écriture babylonienne était primitivement idéographique : elle représentait les objets, les idées. Dès une époque très ancienne elle s’est transformée graduellement en écriture phonétique, exprimant des sons ; mais elle a conservé jusqu’au bout l’usage des idéogrammes, surtout pour certains mots plus usuels, homme, roi, mois, etc. Pour comprendre cette transformation, prenons un exemple imaginaire en français. Pour désigner un mur, on trace la figure d’un mur, soit un rectangle. Cette figure a un sens, mais elle ne représente aucun son. S’il y a plusieurs synonymes de mur, comme muraille, cloison, rempart, cette figure peut les évoquer l’un ou l’autre indifféremment ; le contexte, suivant qu’il s’agit d’une maison ou d’une ville, indiquera s’il faut prononcer mur ou rempart. La même figure servira naturellement à exprimer une idée abstraite voisine, par exemple, l’idée d’obstacle. Cependant le sens principal et la lecture habituelle « mur » établiront un lien assez ferme entre la figure et le son. Un beau jour un scribe s’avisera d’employer la même figure pour exprimer un autre mot qui sonne de la même manière, mais dont le sens est tout différent, par exemple, l’adjectif mûr. Puis, il s’apercevra qu’en redoublant le signe de cette syllabe il obtient murmure. S’il joint ce signe à d’autres signes également revêtus d’une valeur syllabique, il peut composer d’autres mots : dès lors l’écriture syllabique est inventée. Le rébus en donne une idée assez exacte.

Dans cette écriture une consonne n’est jamais représentée seule : il y a donc autant de signes tout différents pour exprimer ab, ib, ub, ba, bi, bu, etc. Il existe aussi des signes particuliers pour certaines syllabes composées : bab, bar, nam, etc ; on peut écrire avec deux signes ba-ab, ou, avec un seul, bab. La polyphonie (c’est-à-dire la propriété, dont jouissent un grand nombre de signes, d’avoir plusieurs valeurs syllabiques différentes) rend parfois difficile ou problématique le déchiffrement de cette écriture compliquée ; dans un texte obscur les lectures des meilleurs assyriologues ne sont pas toujours définitives. Ainsi, dans les deux dernières lignes du poème sur le Juste souffrant, au lieu des lectures dim-ti-ia (Zimmern en 1902, Jastrow) et i-quir (Zimmern, Jastrow, A. Jeremias), mieux vaut, semble-t-il, lire kim-ti-ia et i-rim, et le sens est notablement changé (cf. Etudes, 20 mars 1908, t. XCLV, p. 806, et Dhorme, Choix de textes, p. 878).

A cause de certains caractères de cette écriture, la plupart des assyriologues en attribuent l’invention à un peuple non-sémitique, aux Sumériens, qui ont précédé les Sémites dans le pays de Sumer, au sud de la Babylonie.

Le nom de cunéiforme lui a été donné à cause de la forme des signes. Ce sont des coins on clous, plus ou moins nombreux, depuis un jusqu’à une dizaine ou une vingtaine, disposés et groupés ensemble pailles combinaisons très variées. Le nombre des signes les plus usuels est d’environ trois cents. A l’origine, c’étaient simplement des lignes représentant les objets. On écrivait sur la pierre ou sur l’argile molle. Les tablettes d’argile étaient ensuite cuites au four ou seulement séchées au soleil ; beaucoup nous sont parvenues mutilées ou à l’état de fragments ; d’autres parfaitement conservées, aussi nettes qu’au premier jour.

En 1802, la sagacité du savant allemand Grotefend, s’exerçant sur le texte perse des inscriptions trilingues de Persépolis, avait trouvé la clef de l'énigmatique écriture cunéiforme. Lorsque Henry Rawlinson, avec une ardeur et une persévérance extraordinaires, eut copié (1836-37, 1844)— estampé (1847), interprété en partie et publié (1846-1851) la grande inscription trilingue (perse, anzanite, babylonien) de Darius I Hystaspe, gravée sur le rocher de Béhisloun (non loin de Kermanchah dans le Kourdistan), le déchiffrement de l’assyro-babylonien avança rapidement. Parmi les savants qui y travaillèrent avec le plus de succès il faut nommer au premier rang H. Rawlinson, Ed. Hincks et J. Oppert. La langue de Ninive et de Babylone se révélait langue sémitique, assez voisine de l’hébreu. A côté des textes sémitiques, on en a trouvé d’autres en bon nombre, écrits et lus de telle façon qu’ils ne se rattachent à aucune langue connue ; ils sont souvent accompagnés d’une traduction assyrienne interlinéaire. La plupart des savants les disent composés en langue sumérienne. C’est une question très obscure, dont la discussion, qui dure depuis plus de trente ans, n’entre heureusement pas dans notre sujet.

Fouilles en Assyrie. — Un Français, P. E. Botta, agent consulaire à Mossoul, débute en 1842 dans ce genre de recherches à Mossoul même, et tout à côté à l’est, sur l’autre rive du Tigre, où sont les ruines de Ninive. A Khorsabad, près de Mossoul, au nord-est, il découvre le palais de Sargon avec les magnifiques sculptures, peintures et inscriptions qui ornaient les murs des grandes salles. Ses travaux sont continués par Victor Place (1851-55).

Les Anglais se mettent bientôt à l’œuvre : de 1845 à 1847 Layard, aidé par H. Rassam, retrouve l’emplacement de Kalah (Nimrud, près de Mossoul, au sud) et de Ninive (Koyundjik), et les restes de huit palais assyriens. De 1849 à 1851 explore à fond le palais de Sennachérib, et là il met la main sur une partie de la bibliothèque d’Assourbanipal. Rassam en trouvera une autre partie dans le palais même d’Assourbanipal (1853-54). Avec 3.000 inscriptions de même provenance, exhumées par George Smith en 1874, et 1.400 autres par Rassam quatre ans plus tard, ce sont en tout plus de 20.000 tablettes de la bibliothèque royale de Ninive, aujourd’hui au British Muséum ; G. Bezold en a dressé le catalogue détaillé (5 vol. gd in-8°, 1889-99). Divers monuments importants seront mentionnés plus loin à l’occasion. Signalons encore les ornements des portes du palais de Salmanasar II (860-825), découverts par Rassam en 1878 à Balawàt, au sud-est de Ninive : sur des plaques de bronze un double rang de fins bosselages représentent des scènes de la vie du roi et de ses guerres. On n’a fait que glaner ensuite, en Assyrie, les restes de ces abondantes récoltes, jusqu’en 1903, où les fouilles de Qala’at-Sergât (= Assour, sur la rive droite du Tigre, au sud de Ninive) ont permis de compléter presque entièrement la liste des anciens patésis (princes-prêtres) et rois d’Assour. Elles sont dues aux Allemands, ainsi que celles de Sendjirli (nord de la Syrie, nord-est d’Alexandrette), où fut trouvée en 1891 une remarquable stèle d’Asarhaddon avec figures et inscription cunéiforme.

Fouilles en Bahylonie. — En Babylonie les premières explorations (1849-1855, Loftus, Layard, Offert) furent superficielles ou peu productives. Cependant J. E. Taylor reconnut le temple de Sin dans les ruines de Muqayyar (ou 'Mugheir : = Our biblique). La période des découvertes importantes s’ouvre avec les fouilles de E. de Sarzec à Tello ( = Sirpourla = Lagas), 1877-1900, reprises en 1903 et continuées jusqu’à présent sous la direction du capitaine Cros. Elles ont mis au jour de précieux monuments des anciens rois de Lagas (IIIe et IVe millénaires avant Jésus-Christ). C’est de là que proviennent la stèle des Vautours, le magnifique vase d’argent d’Entéména, les statues et les cylindres de Goudéa (cyl. A et cyl. B, en tout environ 1.500 lignes). Les résultats ont été publiés avec la collaboration du savant archéologue Léon Hauzey ; les inscriptions ont été éditées et interprétées surtout par Amiaud et Fr. Thureau-Dangin.

Rassam avait étendu ses explorations jusqu’à Babylone (1879) et à El-Birs (Borsippa) ; il eut le bonheur d’inaugurer les fouilles d’Abu-Habba, l’antique Sippara, et d’y découvrir le temple de Samas. Plus tard, en 1894, le P.Scheil, O. P., y fera des fouilles avec fruit pendant deux mois. Les fouilles allemandes, entreprises à Babylone en 1887, ne donnèrent pas de grands résultats. Reprises en 1899 sous la direction de M. Koldewey, elle se poursuivent patiemment et scientifiquement.

Une expédition a été organisée, il y a vingt ans, par l’Université de Pensylvanie pour l’exploration des ruines de Nuffar (ou Niffer = Nippour). La ville est étudiée méthodiquement, à fond, jusqu’à l’époque antérieure à Sargon l’ancien ; on a découvert le temple de Bel avec quantité de documents de toutes sortes. Hilprecht, savant assyriologue, un des chefs de l’expédition, donne le chiffre de plus de 50.ooo tablettes trouvées sur ce terrain et examinées par lui.

Enfin, dans le pays d’Elam, à Suse, ce sont encore les Français qui ont ouvert la brèche. Les fouilles, commencées en 1897 sous la direction de M. de Morgan, exhumèrent bientôt des trésors inattendus : qu’il suffise de nommer l’obélisque de Maništousou (IVe millénaire), couvert d’une très longue inscription, la stèle qui célèbre la victoire de Naràm-Sin sur les Louloubi, etc. (stèle emportée de Babylonie à Suse par un conquérant) et surtout le célèbre code de Hammourabi. Ces textes ont été promptement édités et traduits par le P. Scheil, ainsi que les autres inscriptions sémitiques et anzanites trouvées à Suse (7 vol. gd in-4°).

Il faut mentionner ici (il en sera question plus loin) les lettres d’El-Amarna dont la découverte fut une grande surprise pour les savants : 300 tablettes d’argile, trouvées en 1887 à (Tell) el-Amarna, sur les bords du Nil, à 260 kilom. environ au sud du Caire, contiennent, en caractères cunéiformes et en langue assyro — cananéenne, la correspondance d’Aménophis III et d’Aménophis IV avec divers princes et intendants de l’Asie occidentale (de la Palestine en particulier, alors sous la domination égyptienne), vers 1 400 av. J. C.

Ce simple aperçu laisse entrevoir l’immense champ ouvert aux recherches. Il reste encore un nombre considérable de tells, cachant des ruines de villes antiques, complètement inexplorés, ou examinés très superficiellement. Au jugement de Hilfrecht, les ruines de Warkâ ( = Ourouk, Erech), les plus vastes de toute la Babylonie, demanderaient, pour être sondées à fond, une somme de 500.ooo dollars (environ 2.600.000 fr.) et au moins cinquante ans de travail. Pour celles de Muqayyar (= Our, patrie d’Abraham) il suffirait d’un million de francs ou guère plus, et de vingt-cinq ans de fouilles. Voir surtout H. V. Hilprecht, Explorations in Bible Lands during the 19th century, 1903 ; R. W. Rogers, A History of Babylonia and Assyria, 1901, t. Ier ; F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6e et dernière édit., 1896, t. Ier

Les découvertes et la critique biblique. — Ce n’est pas sans un dessein providentiel que ces merveilleuses découvertes ont été faites coup sur coup à l’époque actuelle, « Les monuments, remarque M. Mc Curdy, ont revu le jour dans le temps où les connaissances scientifiques nous ont préparés à les comprendre, et où l’esprit historique nous permet de les apprécier. Dans un autre âge ils auraient été perdus, détruits ou endommagés. » (Dans Recent Research in Bible Lands. 1897, p. 27.) Au xixe siècle, grâce à la facilité des moyens de transport, grâce aussi à la photographie, les monuments sont mis sous nos yeux ; grâce aux progrès de la linguistique, ils ont été rapidement interprétés. Aujourd’hui, plus que jamais, il est intéressant d’en comparer les données à celles des traditions bibliques, et de reviser, à la lumière des faits, certains jugements trop hâtifs ou trop subjectifs de la critique indépendante, si active depuis un siècle.

Les exégètes rationalistes ont témoigné en général peu d’empressement, et parfois quelque mauvaise grâce, à accepter les résultats des travaux assyriologiques. En 1869 Renan les attaquait dans le Journal des savants. En Allemagne surtout on s’obstine longtemps à ne pas les admettre. Knobel, commentateur d’Isaïe, ignore encore en 1861 le nom et l’existence de Sargon, dont les inscriptions sont publiées et traduites en partie depuis douze ans. Les ouvrages de Eb. Schrader mettent fin à ce scepticisme à partir de 1870. Kuenen a dû çà et là changer ses conclusions, comme on peut le voir dans son Histoire critique des Livres de l’Ancien Testament, traduite par M. A. Pierson. Nous lisons dans l’avertissement, en tête du second volume (1879) : « Les textes cunéiformes, importants à cause des points de contact nombreux que présente l’histoire d’Assyrie avec celle des Hébreux, ont aussi fourni des révélations inattendues, qui ôtent leur portée à certains arguments de M. Kuenen. Lui-même a été amené, tant la science marche rapidement, à transformer sur quelques points son ancienne manière de voir… » Pour continuer à soutenir (toujours sans succès) ses théories extravagantes sur l’inauthenticité et la pseudépigraphie des écrits prophétiques, M. Maurice Vernes ignore, ou feint d’ignorer et méprise de parti pris, les nombreux et éclatants témoignages des documents cunéiformes. En 1901, Wellhausen parait ne rien savoir des lettres d’El-Amarna découvertes alors depuis treize ans et objet d’innombrables études ; il écrit dans son Histoire Israélite et juive : « Jusqu’alors (vers 760) il y avait en Palestine et en Syrie un certain nombre de petits peuples et de royaumes qui s’attaquaient et s’accordaient entre eux, ne voyaient rien au delà de leur plus proche voisin, et, sans se soucier de ce qui se passait au dehors, tournaient chacun sur son axe propre » (cité par A. Jeremias, ATAO2, p. 262, note).

Les textes historiques, découverts, traduits et publiés les premiers, ont été confrontés aussitôt avec les relations des auteurs profanes et sacrés. Tandis que l’œuvre des historiens grecs, Hérodote, Ctésias et autres, a plutôt souffert de ce contrôle, la Bible y a gagné, de l’aveu unanime des savants. Mc Curdy remarque (1897), après le passage cité ci-dessus, que le temps est passé où l’on cherchait dans les monuments de quoi « confirmer » le récit biblique ; ils servent plutôt maintenant à « l’éclairer ».

Panbabylonisme. — Au fur et à mesure des découvertes, le champ des comparaisons s’est étendu : question des origines, question des idées religieuses, du monothéisme, des pratiques du culte, etc., tout a été discuté. Quelques assyriologues, éblouis par l’opulence de cette antique civilisation orientale, ont fait de Babylone la seule ou la principale institutrice de l’humanité. Suivant ces « panbabylonistes », comme on les a nommés, qui sont à peu près tous, en même temps, rationalistes ou fort peu soucieux de la Révélation, l’influence de Babylone, en particulier sur Israël, a été considérable, et l’on en trouve des traces nombreuses d’un bout à l’autre de l’Ancien Testament et même du Nouveau !

Dans une conférence donnée le 13 janvier 1902 à Berlin, et publiée ensuite sous le titre de Babel und Bibel, Babylone et la Bible, Fried. Delitzsch, pour fournir un nouveau stimulant aux contributions pécuniaires en faveur des fouilles pratiquées par les Allemands, exaltait la grandeur de Babylone dans des exagérations et des comparaisons où la Bible était fort maltraitée. Les affirmations brutales et partiales de l’éminent assyriologue, fourvoyé dans des questions théologiques, suscitèrent une controverse de plusieurs années. Une multitude de brochures, force articles de revues et de journaux furent publiés en Allemagne depuis 1902. L’empereur lui-même se jeta dans la mêlée, et, dans une lettre écrite le 15 février 1908 à l’amiral Hollmann, il exposa ses sentiments sur la révélation, et il déclara que Delitzsch avait eu tort de quitter le terrain de l’assyriologie pour faire une incursion des plus malheureuses sur celui de la théologie. Le professeur Harnack intervint pour apprécier la lettre de l’empereur. Puis, une foule d’exégètes et de critiques donnèrent leur avis : Ed. König, Œttli, Kittel, Budde, Döller, Baentsch, Gunkel, etc., et plusieurs assyriologues : Hommel, Zimmern, C. F. Lehmann, Alf. Jeremias, Winckler, Bezold, Jensen, O. Weber et encore Delitzsch qui répliqua, s’expliqua et continua, dans le même sujet, une exploitation aussi facile que lucrative.

La tendance à subodorer partout des mythes babyloniens est sensible dans la pseudo-réédition par Winckler et Zimmern (1902, 3e édit.) de l’excellent ouvrage de Eb. Schrader, Les inscriptions cunéiformes et l’Ancien Testament (2e édit., 1883). M. Zimmern retrouve en substance dans les textes cunéiformes les dogmes principaux du christianisme : « Naissance du Christ ; le Christ, Rédempteur du monde ; la plénitude des temps, le Christ envoyé par son Père ; la Passion du Christ ; le Serviteur de lahvé ; mort du Christ ; descente aux enfers ; résurrection ; ascension », etc. La préface et les notes nous avertissent que tout cela est douteux (souvent même, en réalité, c’est extravagant) ; mais le texte, en pleine page, le présente comme très plausible.

Dans la première partie du même ouvrage (p. 13, 158, 176-179, etc.), Winckler met en œuvre sa théorie qui fait de la mythologie astrale des anciens Chaldéens la clef de toute science, religion et civilisation. Au dernier Congrès des religions, à Oxford, Morris Jastrow jr a donné un bref et exact résumé de ce système : « A la base de la littérature et des cultes en Babylonie et en Assyrie, sous les légendes et les mythes, derrière le panthéon et les croyances religieuses, et même au fond des écrits qui semblent être purement historiques, il y a [suivant Winckler] une conception astrale de l’univers et de ses phénomènes », qui pénètre partout et domine la pensée dans tous les domaines, qui de Babylone comme centre a rayonné et influé sur les idées et les doctrines de tous les peuples (Transactions of the third international Congress for the history of religions, vol. I, 1908, p. 234). M. René Dussaud a très bien décrit aussi le panbabylonisme wincklérien : « On part de ce point de vue que les Babyloniens assimilaient l’image du ciel à celle de la terre… et que tout événement terrestre était regardé comme préfiguré dans le ciel… Les sciences et les arts (mathématique, musique, théorie des nombres dite pythagoricienne, harmonie) sont en rapport avec les conceptions astrales. Même dans les récits historiques, il y a une large part de mythologie astrale, puisque les événements étaient considérés comme prédits par le ciel et régis par l’astrologie. Le langage reflétait à chaque instant les croyances astrologiques. Les Babyloniens faisaient de l’astrologie comme M. Jourdain de la prose » (Revue de l’histoire des religions, juillet-août 1908, p. 112). Voir aussi l’exposition et la réfutation de la théorie de Winckler dans R. W. Rogers, The Religion of Babylonia and Assyria 1908, p. 211-225.

En leur attribuant une pareille façon de concevoir l’univers, on suppose à tort chez les Babyloniens, dès la plus haute antiquité, une connaissance extraordinaire de l’astronomie ! (de la précession des équinoxes, etc.). — Pour répondre à cette objection, appuyée par un récent ouvrage de l’astronome-assyriologue Kugler, S. J. (Sternkunde und Sterndienst in Babel, Bd. I, 1907), A. Jeremias vient d’écrire une nouvelle brochure, Das Alter der babylonischen Astronomie, 1908. Car A. Jeremias est le bras droit de Winckler dans la lutte sur ce terrain. Mais ces quelques pages contiennent nombre de lourdes méprises et d’assertions sans preuves, comme Kugler vient de le démontrer (Anthropos, mars-avril 1909, p. 477 499) Depuis quelques années l’école de Winckler attaque avec vigueur l’école de Wellhausen (Stade, Marti, etc.), et lui reproche de ne pas puiser assez aux sources historiques, de ne point tenir compte de toutes les données. Mais à la place de l’interprétation critique rationaliste, elle en offre une autre qui ne respecte pas davantage la révélation (cf. J. Calès, dans Etudes, t. CXIII, p. 461-467 ;  ; P. Volz, dans Theologischer Jahresbericht, 1907-1908, p. 185-187).

M. Alf. Jeremias traite la Bible avec moins de sans-gêne que Winckler ; il a amassé une foule de renseignements utiles dans un ouvrage très érudit, L’Ancien Testament à la lumière de l’Ancien Orient, 2e édition, 1906 ; malheureusement il s’y livre, çà et là, à des rapprochements de la plus extrême invraisemblance. Exemple : le mot ἀγνίον, agneau, se rencontre une trentaine de fois dans l’Apocalypse pour désigner le Messie. Cette image vient évidemment d’Isaïe, liii, 7 (cf. Jo. i, 29, 36 ; I Pet. i, 19). M. A. Jeremias trouve dans l’astronomie babylonienne une explication neuve ; il nomme « Epoque du Bélier » l’époque (800 av. J.-G. — 1400 ap. J.-C.) où le soleil, à l’équinoxe du printemps, entrait en réalité, par suite du phénomène de la précession des équinoxes, dans la constellation du Bélier : et il pense que le Christ est appelé Bélier dans l’Apocalypse, en tant que fondateur d’une ère nouvelle (p. 69 et 71). Outre l’étrangeté de l’idée, remarquez que dans le grec biblique, comme dans le classique, ἀγνίον signifie agneau ; mais bélier, l’animal et la constellation, se dit κριός. — Depuis plusieurs siècles le point équinoxial, toujours marqué par le signe du Bélier, coïncide en réalité avec la constellation des Poissons. C’est peut-être là, suivant M. Jeremias, l’explication du poisson symbolique des premiers chrétiens : ils auront voulu désigner ainsi l’ère nouvelle, pour l’opposer à l’époque païenne du Bélier ! (ibid., p. 69, note). Le même auteur, tout en protestant contre les évolutionnistes qui abaissent le christianisme au niveau des autres religions, veut expliquer par sa théorie astrale plusieurs données du Nouveau Testament (Babylonisches im Neuen Testament, 1906).

Les pires aberrations du « panbabylonisme » composent la substance d’un immense travail entrepris récemment par un assyriologue des plus en vue, P. Jensen. Ce savant s’est proposé de suivre les traces de l’épopée babylonienne de Gilgameš dans la littérature du monde entier (Bas Gilgamesch-Epos in der Weltliteratur, 1906). Un premier volume de plus de mille pages est destiné à montrer que l’histoire de l’Ancien et du Nouveau Testament est un tissu de fictions, toutes tirées du poème de Gilgameš. Ce poème met en scène trois héros principaux : Gilgameš, Eabani, Xisouthros. Or les traits, les faits et gestes de l’un ou de l’autre de ces héros, et souvent de deux ou de tous les trois à la fois, se reproduisent dans maints personnages bibliques. Gilgameš est reconnaissable dans Abraham, peut-être Isaac, sûrement Jacob, Moïse, Aaron, Josué, Siméon, Gédéon, Abimélech, Jephté, Samson, le Lévite d’Ephraïm, Saül, David, Urie, Absalon, Salomon, Jéroboam, Adad, Baésa, Elie, Elisée, Achab, Naaman, Tobie le père et le fils, Jonas, Jésus, Pierre, Hérode Antipas, etc. Eabani se retrouve dans Isaac, Jacob, Esaü, Joseph, Moïse, Aaron, le grand-prêtre Eléazar du temps de Josué, le Lévite d’Ephraïm, Jephté, Samson, le prophète Ahias, Samuel, Saül, David, Jonathan, Nathan, Absalon, Jéroboam, Elie, Tobie le fils, Nabuchodonosor, Daniel, Esdras, Jonas, Jean-Baptiste, Jésus, Lazare, etc. Xisouthros est copié dans Abraham, Lot, Abimélech, roi de Gérara, Jacob, Joseph, Moïse, Josué, Gédéon, Samuel, David, le roi philistin Achis, le téraphim enlevé par Rachel à Laban, le téraphim mis par Michol dans le lit de David, les prophètes Nathan, Elie et Ahias, Jéroboam, Adad, Tobie le fils, Daniel, Esdras, Jonas, Jésus, etc.

Voici, aux yeux de Jensen, un des rapprochements les plus frappants pour tout lecteur d’un peu « d’intelligence et de bonne volonté » ; je cite mot à mot (Das Gilgamesch-Epos, p. 406-407) :

1. Eabani est avec une hiérodule, une servante d’Istar.
&nbsp ;
Saül est avec un serviteur. (I Sam. ix.)
2. Eabani est invité par la hiérodule à se rendre avec elle à Erech auprès de Gilgameš.
Saül est invité par le serviteur à se rendre avec lui dans une ville auprès de Samuel.
3. Eabani y consent.
Saül y consent.
4. Ils arrivent à la ville de Gilgameš.
Ils arrivent à la ville de Samuel.
5. Là (à ce moment ?) une fête est célébrée.
Là (à ce moment) une fête est célébrée.
6. Ils rencontrent des jeunes filles (ou des femmes)
Ils rencontrent des jeunes filles
7. qui indiquent à Eabani (et à la hiérodule) où se trouve Gilgameš.
qui indiquent à Saül (et au serviteur) où se trouve Samuel.
8. Eabani a été annoncé à Gilgameš (probablement pendant la nuit) dans deux songes.
Saül a été annoncé par Dieu à Samuel (probablement en songe) le jour précédent.
9. Eabani aborde Gilgameš,
Saül aborde Samuel,
10. et reçoit de lui l’hospitalité.
et reçoit de lui l’hospitalité.

Pour prouver qu’il s’agit çà et là, dans la Bible, d’un même thème indéfiniment répété, Jensen s’appuie sur les coïncidences curieuses que voici (p. 189-191) : l’Exode a lieu au printemps ; de même le départ de Josué pour la Terre promise ; au printemps aussi les Israélites quittent Babylone, et un de leurs chefs s’appelle a Josué » ! Une seconde expédition (Esdr., viii, 31) se place également au printemps ! N’est-il pas invraisemblable qu’on se mette toujours en campagne au printemps ?

Quelques mots sur l’épopée de Gilgameš dans le Nouveau Testament. La naissance d’Eabani est un miracle ; comparez la naissance de Jean-Baptiste. Eabani est velu et vraisemblablement vêtu de peaux ; comparez le manteau de poils du prophète. Jean-Baptiste est aussi Gilgameš, car il blâme Hérode Antipas, comme Gilgameš a blâmé la déesse Istar, etc., etc. M. Loisy lui-même a dit de ce livre : « Voilà beaucoup d’érudition dépensée en pure perte » (Revue d’histoire et de littérature religieuses, 1906, p. 576).

Les origines : La création. — Le Paradis et la chute du premier homme. — Les patriarches antédiluviens. — Le déluge. — La Tour de Babel.

La création. — La légende babylonienne sur ce sujet était connue depuis longtemps par les fragments de Bérose (prêtre babylonien vers 275 av. J.-C.) et par quelques lignes de Damascius (vie siècle après J.-C). Une grande partie du poème mythique intitulé, d’après les premiers mots, Enuma éliš (Lorsqu’en haut…), fut retrouvée par George Smith et publiée par lui en 1876 (The Chaldean account of Genesis). Delitzsch, puis Jensen l’ont aussi interprétée ; et en 1902 L. W. Kimg, avec de nouveaux fragments trouvés par lui (The Seven Tablets of Creation). Voir P. Dhorme, Choix de textes…, et Lagrange ERS2 p. 366-381. Le poème, sous sa forme actuelle, remonte à l’époque de Hammourabi (vers 2050 av. J.-C) ; le fond est vraisemblablement de date beaucoup plus ancienne.

1re Tablette. — Avant le ciel et la terre, avant les dieux, il y avait l’Océan, Apsou et la Mer, Tiàmat, confondant leurs eaux (personnification du chaos). Apsou et Tiàmat engendrent les dieux (c’est l’ordre sortant du chaos). Mais l’inerte Apsou, troublé dans son repos par l’activité des dieux, consulte Tiàmat, et la perte des dieux est décidée. Ea, le plus intelligent des dieux, devine le funeste projet et le déjoue. Tiàmat furieuse enfante alors des serpents, des dragons, des hommes-scorpions, et autres monstres, qu’elle lance contre les dieux.

2e Tablette. — Ea rapporte à son père, Anšar, les projets de Tiàmat. Contre Tiàmat Anšar envoie son autre fils, Anou. Celui-ci, à la seule vue de Tiàmat, prend aussitôt la fuite. Le dieu Mardouk consent à livrer bataille, à condition d’être d’abord exalté dans l’assemblée des dieux.

3e Tablette. — Anšar envoie son messager Gaga pour convoquer les dieux. Les dieux se réunissent dans un banquet ; ils boivent, s’enivrent et poussent de grands cris.

4e Tablette. — Les dieux confèrent à Mardouk la toute-puissance. Il la manifeste en faisant soudain disparaître et reparaître un vêtement placé devant lui. Il s’arme d’un arc, d’un filet, de plusieurs sortes de vents violents ; porté par un ouragan comme sur un char, il s’avance hardiment contre Tiàmat. Au moment où le monstre ouvre la gueule, il y jette un vent de tempête ; puis d’une flèche il lui transperce le corps. D’une moitié de ce corps il couvre le ciel ; et, pour maintenir les eaux là-haut, un verrou est tiré et un garde est installé.

5e Tablette. — (Plusieurs lacunes considérables.) Mardouk met dans le ciel les étoiles, les planètes, la lune et le soleil : « Il fit briller Sin [la lune], il lui confia la nuit. Il l’établit, comme corps nocturne, pour régler les jours. »

De la 6e Tablette il ne reste que quelques lignes mutilées, récemment retrouvées et publiées par King. Pour donner aux dieux des adorateurs, Mardouk forme les hommes en prenant de son sang (King, Dhorme)1 ou du sang (Zimmern, A. Jeremias, Lagrange).

La 7e Tablette (immense lacune au milieu) récapitule les exploits et les créations de Mardouk et énumère les titres qui lui font mériter l’hommage des dieux et des hommes. Comme il est appelé là « créateur des grains et des plantes », « producteur de l’herbe » ; d’autre part, puisque, d’après Bérose, les animaux ont été créés en même temps que l’homme, il est probable que les passages absents des tablettes 5e et 6e racontaient la création des végétaux et des animaux.

Inutile de citer ou de résumer le premier chapitre de la Genèse, que tout le monde connaît. En comparant la cosmogonie babylonienne avec ce premier récit biblique de la création, n’y a-t-il pas, pour le moins, une forte exagération à parler de « connexion tout à fait étroite » (Delitzsch) ou « d’influence intense et très multiple » (Zimmern) ou même de « relation étroite » (King) ? Tout bien pesé, les ressemblances se réduisent à peu de chose, et elles sont purement matérielles. Dès les premières lignes des deux récits il est question du chaos : le mot hébreu tehôm, l’abîme des eaux, est l’équivalent du babylonien tiâmtu, tàmtu, la mer ; Tiàmat. La création du firmament et la séparation des eaux supérieures (Gen., i, 6-8) correspond à la division du corps de Tiàmat, dont une moitié couvre le ciel et forme une sorte de firmament contenant les eaux supérieures. Il y a beaucoup d’analogie aussi dans l’ordre des créations : les astres, la lune « pour régler les jours », puis probablement les animaux, et enfin les hommes. Suivant d’autres légendes plus anciennes, le créateur des hommes est Ea, et non Mardouk. Ea est « le seigneur de l’humanité, lui dont les mains ont créé les hommes » (Série Šurpu, tabl. IV, l. 70). Ailleurs on le voit qui crée un homme et, dans un autre texte, deux hommes, mais lorsque l’humanité existe déjà sur la terre. Nulle part on ne trouve dans les textes babyloniens et assyriens la création du premier homme, de la première femme, du premier couple humain. Dans telle ou telle création particulière, l’homme est formé avec de la terre. Le dieu Ea est appelé le « potier ». Comparez la représentation égyptienne du dieu Chnoum modelant le corps de l’homme sur la roue du potier. Cela rappelle un trait du second récit biblique (Gen., ii, 7). Ea crée Așoušounamir après avoir « formé une image en son cœur », et la déesse Arourou forme dans son cœur une image d’Anou, dieu du ciel, pour créer Eabani (qui, il est vrai, n’est pas un homme ordinaire). On a rapproché ce détail de Gen., i, 26, 27, où il est dit que l’homme fut fait à l’image de Dieu.

King s’est demandé si la division en sept jours, dans Gen. i, n’aurait pas été faite sous l’influence des sept tablettes babyloniennes de la création. Il est vrai, dit-il, les raisons d’employer le nombre sept ne sont pas les mêmes de part et d’autre : chez l’auteur biblique, c’est l’intention de donner un modèle à l’homme pour l’observation du sabbat ; dans le poème babylonien, c’est tout simplement la nature mystique du nombre sept. De plus, ici les œuvres de la création ne sont pas réparties suivant le nombre des tablettes, mais racontées seulement dans la quatrième et les suivantes. Cependant il peut se faire, continue le même auteur, et « cette supposition n’est peut-être

1. Sur le texte de Bérose, suivant lequel Bel (Mardouk) se serait coupé la tête, voir Lagrange, ERS2, p.386. pas trop fantaisiste », que l’idée de rattacher le sabbat au récit de la création ait été suggérée par le nombre des tablettes qui contenaient le poème babylonien. A cela on peut objecter : Est-il vraisemblable que l’auteur biblique ait vu et compté les tablettes cunéiformes ?

Voilà à peu près, à quoi se bornent les ressemblances. La raison en sera cherchée plus loin, à propos de la question du déluge. Les différences, d’ordre théologique, sont profondes et essentielles. Nous assistons, dans le poème babylonien, à la naissance des dieux, puis à leur lutte contre le principe qui leur a donné le jour, lutte dont l’issue aurait aussi bien pu être fatale pour eux. Mardouk a obtenu le premier rang par un décret des autres dieux ivres. Sa toute-puissance paraît assez précaire par la façon dont elle lui est octroyée et la preuve magique qu’il en donne. Il s’équipe bizarrement et va livrer bataille contre Tiàmat. La scène du combat, appelée « magnifique » par Delitzsch, mériterait plutôt le nom de « grotesque ».

Au lieu de ce grossier polythéisme, nous trouvons dans le récit biblique le monothéisme le plus pur. Un Dieu unique agit dès l’origine en maître absolu, avec une toute-puissance réelle. Il n’a pas à lutter péniblement et à ses risques contre des forces adverses ; d’une seule parole il crée et organise tout. La spiritualité des idées, la dignité du ton, la majesté du tableau élèvent cette page incomparablement au-dessus de la légende babylonienne et de toutes les cosmogonies anciennes. Les critiques indépendants eux-mêmes en conviennent sans difficulté.

Gunkel et Zimmern ont éuuméré avec complaisance les passages de la Bible et des apocryphes où il est question d’une lutte de lahvé contre Rahab, Léviathan et autres monstres (Is. iii, 9 ; xxvii, 1 ; Ps. lxxxix, 11 ; lxxiv, 14, etc.). Que cette façon poétique de désigner les puissances ennemies, l’Egypte, par exemple, personnifiée sous le nom de Rahab, soit due à l’influence de quelque poème mythique, c’est possible ; mais il faut bien noter (ce que les critiques omettent parfois) que la conception primitive est alors totalement transformée. Ces monstres ne sont plus des principes premiers, comme Tiàmat, puissances du mal et des ténèbres combattant contre Dieu à armes égales ; ce sont des créatures de lahvé (Job xxvi, 13 ; xl, 15 ; Ps. civ, 26, etc.), et lahvé en triomphe toujours en souverain absolu.

Le Paradis et la chute du premier homme. — La description du paradis terrestre, dans la Genèse, a pu s’inspirer de quelques traits des mythes babyloniens. Ici encore les points communs des traditions analogues s’expliquent par l’une ou l’autre des raisons examinées plus loin à propos du déluge. En particulier, pour l’arbre de vie, le P. Dhorme, qui repoussait d’abord le prototype chaldéen de l’arbre d’Eridou (Choix de textes…, p. 98), a modifié son opinion peu de temps après dans la Revue biblique, avril, 1907, p. 271-274. « On voit, écrit-il, que, dans la mythologie de l’antique Chaldée, figure un « arbre de vérité », planté à l’orient et gardé par le soleil levant » ; et dans l’arbre sacré d’Eridou il reconnaît « l’arbre de vie », à côté de l’arbre de vérité. M. Vigouroux dit aussi : « Dans le voisinage d’Eridou était un jardin, lieu sacré où croissait l’arbre de la vie… Cet arbre sacré est souvent représenté sur les monuments assyro-chaldéens, et l’on ne peut s’empêcher d’y reconnaître l’arbre du Paradis terrestre de la Genèse » (Dictionnaire de la Bible, art. Paradis terrestre, col. 2126). Si, avec Dhorme et A. Jeremias (ATAO2, p. 191), il faut distinguer deux arbres de cette sorte dans les légendes babyloniennes, il semble que plusieurs critiques, Kuenen, Budde, Gunkel, Cheyne, Loisy, se sont trop pressés d’en supprimer un des deux dans le texte biblique, ou de les confondre en un seul.

On discute sur le site du Paradis terrestre, et sur les deux premiers des quatre fleuves nommés dans Gen. ii, 11-14. Les deux derniers fleuves sont sûrement le Tigre et l’Euphrate (voir 'Dict. de la Bible, art. Paradis terrestre, et Rev. bibl., 1902, p. 268-271).

Malgré tous les rapprochements tentés sur divers points, on peut dire que jusqu’ici dans les inscriptions cunéiformes on n’a rien trouvé de parallèle au récit de la chute du premier homme. Plusieurs ont vu dans le mythe d’Adapa l’histoire d’Adam privé de l’immortalité. Le mythe d’Adapa est très ancien, puisqu’il se lit dans les tablettes d’El-Amarna (vers 1400 av. J.-C). En voici une brève analyse (pour le texte voir Dhorme, p. 148-161). Adapa, homme très intelligent, créé par Ea, probablement pour le service de son temple à Eridou, brisa un jour les ailes du Vent du sud qui soufflait contre lui. Cité pour ce méfait devant Anou, dieu du ciel, il est averti par Ea qu’on lui offrira de la nourriture, de l’eau, un vêtement et de l’huile ; qu’il prenne le vêtement et l’huile, mais pas l’aliment et l’eau qui causeraient sa mort. Adapa suit fidèlement ces prescriptions. Mais il se trouve que c’était un aliment de vie et l’eau de la vie qu’Anou lui offrait. Avec des analogies vagues et lointaines systématiquement forcées, quelques interprétations arbitraires, et trop d’imagination pour combler les lacunes du texte babylonien, M. Loisy est amené à penser que « la matière du récit biblique [de Gen. ii-iii] est presque la même que celle de la légende d’Adapa » ; toutefois il ajoute : « avec un esprit tout différent ». Il reconnaît en effet des différences « importantes et significatives » ; mais plusieurs analogies lui paraissent trop frappantes pour être fortuites : « De part et d’autre la science et l’immortalité sont des privilèges divins… qui ne sont pas donnés tous deux à l’homme, parce que, s’il les possédait l’un et l’autre, il serait comme Dieu ; il peut bien arriver à la science, mais non à l’immortalité ; encore paie-t-il cher ce don de la science ; il le possède contrairement à une volonté divine, et c’est cette volonté qui ajoute à sa condition mortelle tous les maux de l’existence. L’aliment de vie lui avait été dénoncé comme une nourriture de mort ; de sa rencontre passagère avec le fruit de l’immortalité, l’homme n’emporte qu’un habit, avec la malédiction divine » (Les mythes babyloniens et les premiers chapitres de la Genèse. 1901, p. 76). Zimmern estime « vraisemblable » l’influence du mythe d’Adapa au moins sur une partie du récit de Gen. ii-iii ; il regarde comme possible que le nom Adam vienne de Adapa. A. Jeremias écrit sans la moindre hésitation : Adapa = Adam.

Ces conjectures sont vraiment trop précaires. Car
— 1. L’équivalence Adam = Adapa n’est fondée que sur une ressemblance partielle des noms ; par une étymologie aussi fantaisiste « Adam » a été rapproché de l’égyptien « Atoum ». Plusieurs, avec Scheil, identifient plutôt Adapa avec Alaparos, qui pourrait bien être une lecture fautive de Adaparos, second roi de la liste des dix rois primitifs donnée par Bérose. Dans le poème, Adapa n’est pas le premier homme ; mais il est créé « parmi les hommes » ; et l’on ne voit nulle part qu’il soit le représentant de toute l’humanité.
— 2. On ne sait pas pourquoi Ea dénonce comme un aliment de mort les mets qui seront présentés. A-t-il voulu « tromper Adapa », comme M. Loisy l’explique par des considérations ingénieuses ? Ce n’est pas sûr. Il n’y a pas analogie proprement dite avec la scène d’Eve trompée par le serpent.
— 3. Adapa est privé de l’immortalité par suite de sa soumission fidèle aux ordres de son dieu. Adam, tout au contraire, est puni pour sa désobéissance. — 4. Dans la Genèse la prohibition ne porte pas sur l’arbre de vie, mais sur l’arbre de la science du bien et du mal. — 5. Entre le vêtement donné à Adapa à la place de son vêtement de deuil, et les habits de peau donnés par lahvé à Adam et à Eve pour couvrir leur honteuse nudité, le rapprochement fait par M. Loisy n’est pas sérieux ; le sens de l’action est entièrement différent. — 6. La fin du poème mutilée ne contenait pas, comme veut M. Loisy, la malédiction d’Adapa ; mais plutôt, comme l’ont très bien vu le P. Scheil et le P. Lagrange, la glorification d’Adapa. Ici encore le récit biblique et la légende babylonienne diffèrent toto caelo.

Dans sa fameuse conférence Babel und Bibel, Delitzsch disait : « La question de l’origine du récit biblique de la chute est d’une importance tout à fait exceptionnelle pour l’histoire des religions, surtout pour la théologie du Nouveau Testament, où le second Adam est opposé au premier par lequel le péché et la mort sont entrés dans le monde. Puis-je soulever le voile ? et signaler un ancien sceau cylindrique babylonien : au milieu, un arbre avec des fruits qui pendent ; à droite l’homme, reconnaissable aux cornes, symbole de la force ; à gauche, la femme ; tous deux étendant la main vers le fruit ; et derrière la femme, le serpent — n’y aurait-il pas connexion entre cette vieille image babylonienne et le récit biblique de la chute ? » (1902, 13e mille, p. 87). Il n’y avait aucun « voile à soulever » : ce sceau a été représenté, depuis bien des années, dans une foule d’ouvrages (cf. Vigouroux BDM, 2e éd., t. I, p. 199, 6° éd., t. I, p. 278 ; 'Dict. de la Bible, art. Paradis terrestre, col. 2128 ; etc.). Les rapports indiqués par Delitzsch étant supposés exacts, s’ensuivrait-il, comme cet auteur à l’air de le croire, qu’il n’y a là qu’une fable ? Nullement — nous le verrons un peu plus loin. Mais nombres d’auteurs ont remarqué combien sont risquées les analogies dont Delitzsch fait grand état. — 1. Les deux personnages sont confortablement assis et complètement vêtus. — 2. Le personnage qui a des cornes représente un dieu ; M. Delitzsch aurait dû s’en douter : les cornes sont le signe distinctif de la divinité (A. Jeremias, Zimmern, etc. ; voir l’article récent de St. Langdon dans Babyloniaca, 1908, p. 141) — 3. On affirme gratuitement que l’autre personnage est une femme ; c’est probablement, comme l’autre, une divinité. — 4. Rien n’indique pour le serpent le rôle de tentateur. Le personnage qui, suivant Delitzsch, est la femme lui tourne le dos. — 5. Ménant, Schrader, C. P. Tiele, J. Helévy, Dillmann, Budde, Koenig, Kittel ont nié l’analogie qui paraît si claire à Delitzsch ; Zimmern, A. Jeremias, Œttli et d’autres la trouvent très contestable. Vraisemblablement, selon P. Jensen, la scène représente deux dieux près de l’arbre de vie, et, à côté, le serpent leur protecteur.

Les Chérubins, gardiens du Paradis terrestre, ne rappellent-ils pas les taureaux ailés à face humaine qui gardent l’entrée des palais assyriens ? En 1878 Fr. Lenormant avait lu le nom Kirubu sur une amulette de la collection de Clereq. Cette lecture, admise encore par lui en 1880 (Les origines de l’histoire, 2e éd., p. 118), est tenue depuis longtemps pour erronée ; et l’équivalent du mot hébreu n’a pas été trouvé depuis en assyrien. Il est donc inexact de dire : « Les taureaux ailés des portes des palais assyriens sont appelés Kirubi « (Ermoni, La Bible et l’Assyriologie, 1903, p. 15). Faute d’un nom identique, de part et d’autre, et vu l’absence de toute description dans la Genèse, l’analogie reste matière de pure conjecture. Il en est tout autrement des chérubins décrits par Ezéchiel.

Une vision divine a bien pu présenter au prophète l’image symbolique d’animaux assez semblables à ceux qu’il avait sous les yeux, pendant l’exil à Babylone. Les théologiens, les apologistes et les auteurs mystiques n’y voient aucune difficulté (cf. A. Poulain, Des grâces d’oraison, 5e éd., 1906, p.324).

Quant à la « flamme du glaive tournoyant », ou du « glaive sinueux » (Gen. iii, 24), ce serait probablement une représentation de la foudre, telle qu’on la voit souvent sur les cylindres babyloniens : deux lignes en zigzag sortant d’une même tige. M. Fr. Thureau-Dangin a rappelé à ce propos un texte de Téglathphalasar I (vers 1100 av. J.-C.), où il est dit que sur les ruines d’une ville un foudre de cuivre est installé avec défense d’habiter là désormais (Revue d histoire et de littérature religieuses, I, 1896, p. 147-151 ; cf. Vigouroux, BDM6, I, p. 288).

Les patriarches antédiluviens. — Une liste de dix rois antédiluviens a été conservée par Bérose ; ce sont Aloros, Alaparos, Amélon, Amménon, Mégalaros, Daonos, Evédorachos, Amempsinos, Otiartes, Xisouthros. On a signalé plusieurs analogies entre ces dix rois et les dix patriarches antérieurs au déluge, nommés dans Gen. v : Adam, Seth, Enos, Caïnan, Malaléel, Jared, Hénoch, Mathusalem, Lamech, Noé. — M. Zimmern est frappé surtout de divers traits de ressemblance (dont plusieurs sont trop subtils et recherchés) entre Hénoch et Evédorachos (bab. Enmeduranki), l’un et l’autre septièmes dans la série. Le dernier roi, Xisouthros, le héros du déluge, correspond sûrement à Noé.

M. Offert, dans diverses Revues, a publié les résultats de son étude comparée des deux chronologies ; il a cru pouvoir conclure que les nombres bibliques pour cette époque ne sont qu’une réduction des nombres babyloniens. La durée totale des dix règnes est, d’après Bérose, 432.000 ans, ce qui équivaut à 86.400 lustres (le lustre = 5 ans = 60 mois). Additionnons, dans Gen. v, les nombres qui donnent l’âge de chaque patriarche à la naissance de son fils : 130, 105, 90, etc. ; nous obtenons 1.656 ans = 86.400 semaines (en nombre rond ; exactement 86.407 semaines et cinq jours). Or, 86.400 = 24 X 60 X 60 (Oppert, La chronologie de la Genèse dans Revue des études juives, t. XXXI, 1896). Un jour contient 24 heures = 86.400 secondes (24 X 60 X 60). Un professeur de théologie, le P. Hontheim, enregistre ces résultats, et conclut : « Donc, de la création au déluge il s’est écoulé un grand jour dont les secondes sont des semaines dans la Bible, et dont les secondes sont des lustres pour les Babyloniens » (Stimmen aus Maria Laach, 28 mai 1903, p. 600). Malheureusement ce calcul a pour base l’année solaire de 365 jours 1/4 ; or, les Hébreux semblent avoir toujours fait usage de l’année lunaire de 354 jours, qu’ils ramenaient à l’année solaire en intercalant de temps en temps, par une méthode empirique, un mois supplémentaire. L’année lunaire donnerait 88.746 semaines (cf. Fr. Lenormant, Les origines de l’histoire, 2° éd., t. I, p. 277 ; et J. Thomas, art. Année, dans DBV).

Quoi qu’il en soit, plusieurs apologistes catholiques pensent que les nombres donnés dans les généalogies patriarcales ne répondent pas nécessairement à sa réalité ; ainsi M. l’abbé Lesêtre dans la Revue pratique d’apologétique, mai 1906, p. 128 ; et le P. J. Brucker qui écrivait tout récemment après de mûres réflexions : « Nous croyons que ces généalogies et la chronologie, à laquelle elles servent de base, se trouvent dans la Bible par manière de citations, comme des documents dont l’écrivain sacré ne prend pas la responsabilité et qui, par conséquent, n’ont pas la garantie de son inspiration infaillible » (L’Eglise et la critique biblique, 1908, p. 226, cf. p. 71). Si l’on considère cela, et que le temps écoulé entre la création du premier homme et le déluge paraît beaucoup trop considérable pour être rempli par la série de dix patriarches, même avec une vie de la durée marquée par les chiffres bibliques, on ne jugera peut-être pas téméraire de penser que, dans la tradition relatée par l’historien sacré, le cadre numérique et chronologique a été suggéré par l’exemple des dix rois chaldéens préhistoriques. Nous aurions, dans ces nombres, des « périodes cycliques » : c’est l’opinion qui « paraît préférable » au P. Brucker (Etudes, 20 déc. 1906, t. CIX, p. 801).

Le déluge. — Passons au déluge où, entre les deux traditions, babylonienne et Israélite, les ressemblances sont manifestes et assez nombreuses. Ici encore l’histoire biblique étant bien connue, il suffira de résumer le récit babylonien et d’en citer quelques lignes. Ce récit est un épisode de l’épopée de Gilgameš ; il remplit la première moitié de la XIe et avant dernière tablette de ce grand poème (voir pour la traduction P. Jensen, Mythen und Epen, p. 230-247 ; A. Condamin dans Bulletin de littérature ecclésiastique, août 1900 ; P. Dhorme, Choix de textes…, p. 120-127 ; cf. p. 120-127). « L’épopée de Gilgameš remonte à une haute antiquité… Le héros figure sur des cylindres qui remontent aux plus vieux empires de la basse Chaldée ; mais on ne saurait dire si ces représentations figurées sont une tradition plastique du poème ou de la tradition qui lui est certainement antérieure » (Lagrange, ERS2, p. 342). L’épisode en question était déjà fixé par écrit vers l’an 2000 av. J.-C. Il nous était connu, pour le fond, par les fragments de Bérose. Une bonne partie de l’original babylonien a été trouvée par George Smith en 1872 dans les tablettes de la bibliothèque d’Assourbanipal. Sur une tablette datée du règne d’Ammizadouga (xxe siècle av. J.-C.) le P. Scheil a découvert un fragment d’un autre récit babylonien du déluge ; c’est une copie qui représente un texte bien plus ancien (voir RB, 1898, p. 5).

Outanapištim, appelé ailleurs Atra-ḫasis (= Ḫasisatra = Xisouthros) est averti, par le dieu Ea, du déluge futur et des moyens à prendre pour y échapper :

Prends, dans le vaisseau, des germes de tout ce qui vit.
Que le vaisseau que tu construiras
soit fait sur mesures ;

que sa largeur réponde à sa longueur !
(l. 27-30).

Outanapištim suit ces prescriptions ; il construit un vaisseau suivant les mesures indiquées :

Je versai à l’intérieur six šar de bitume…
Je le chargeai de tout ce que j’avais d’argent :
je le chargeai de tout ce que j’avais d’or ;
je le chargeai de tout ce que j’avais de germes de tout ce qui vit.
Je fis monter dans le vaisseau toute ma famille et mes parents.
Bétail des champs, animaux, artisans, je fis monter tout cela…
J’entrai dans le vaisseau et je fermai ma porte.

(l. 66, 82-86, 94).

Le déluge éclate et sévit pendant six jours et six nuits :

Quand vint le 7e jour, l’orage, le déluge,
les assauts de la tempête se brisèrent…
La mer se calma, l’ouragan se contint, le déluge cessa…
Tous les hommes étaient rentrés dans le limon…
J’ouvris une fenêtre ; le jour tomba sur la paroi de mon nez…
Le vaisseau était arrivé sur le mont Niṣir ;
Le mont Niṣir retint le vaisseau et ne le laissa plus flotter…
Quand vint le septième jour,
je fis sortir et je lâchai une colombe.
La colombe allait et venait ;
il n’y avait point de place (pour se poser) ; elle revint.
Je fis sortir et je lâchai une hirondelle.
L’hirondelle allait et venait ;
il n’y avait point de place (pour se poser) ; elle revint.
Je fis sortir et je lâchai un corbeau.
Le corbeau s’en alla ; il vit la baisse des eaux ;
il mangea, il pataugea, il croassa, il ne revint pas.
Je fis (tout) sortir aux quatre vents. J’offris un sacrifice ;
je fis une offrande sur la cime de la montagne…

(l. 130, 132, 134, 136, 141, 142, 146-157).

Le sacrifice est agréé. Mais la déesse Ištar se plaint du dieu Bel, auteur du déluge. Bel arrive, et, à la vue du vaisseau, il entre en fureur. Cependant Outanapištim et sa femme sont transportés au loin, à l’embouchure des fleuves, pour y vivre de la vie des dieux.

Remarquons d’abord quelques différences capitales entre ce tableau et celui que nous offre la Genèse. La c’est le polythéisme avec ses basses conceptions de la divinité :

Les dieux eurent peur du déluge ;
ils se retirèrent et montèrent dans le ciel d’Anou ;
les dieux, comme des chiens l’oreille basse,

se blottirent derrière l’enceinte
(l. 114-116)
,

Les dieux sentirent l’odeur (du sacrifice),
les dieux sentirent l’odeur agréable ;
les dieux comme des mouches

se rassemblèrent au-dessus du sacrificateur
(l. 160-162)

On ne sait pas la raison du déluge ; les dieux se disputent. Bel, qui a décidé la destruction de tous les hommes, est très irrité de voir que Outanapištim a échappé, Ea, le dieu très sage, s’explique. Ištar joue un rôle assez ridicule : elle veut, puis ne veut plus la perte de l’humanité, ou plutôt il semble que, déesse des combats, elle voulait la guerre au lieu d’une submersion (ki aqbi… qabla aqbima) :

Quand j’ai commandé dans l’assemblée des dieux
le mal pour perdre mes hommes,

c’est la guerre que j’ai commandée !
(l. 121-122)
.

Dans la Bible le déluge est un châtiment de l’humanité corrompue. Noé est épargné parce qu’il a été trouvé juste ; et avec lui, sauvé du déluge, c’est une ère nouvelle qui commence pour l’humanité. Par son sens religieux et moral cette histoire l’emporte infiniment sur celle du poème de Gilgameš. Mais les points communs sont incontestables, reconnus d’ailleurs par tout le monde ; ils permettent de conclure avec certitude à la parenté des deux récits.

Plusieurs hypothèses sont possibles a priori : le récit biblique aurait exercé quelque influence sur le récit babylonien, ou, inversement, celui-ci sur celui-là, ou, à la fois et réciproquement, l’un sur l’autre » ou enfin les deux traditions, indépendantes l’une de l’autre, dériveraient d’une source commune. (On pourrait combiner la dernière hypothèse avec une des précédentes, et admettre la dépendance sur certains points et l’origine commune pour d’autres.)

L’hypothèse d’une influence du récit biblique sur le récit babylonien doit être écartée, puisque le poème de Gilgameš est antérieur à l’existence même du peuple hébreu. La dérivation d’une source commune est admise par quelques auteurs. M. Vigouroux pense que « nous sommes en présence de deux traditions distinctes » (BDM6, I, p. 330) ; il ajoute pourtant, p. 332 : « Son récit (de Moïse) est-il une simple épuration de la tradition chaldéenne, ou bien est-ce la tradition antique conservée dans toute la fleur de son intégrité, par la race d’Abraham ? Nous ne saurions le dire… » Avec un bon nombre d’auteurs, M. Gigot regarde comme plus probable la théorie d’une origine babylonienne pour le récit de la Genèse. L’auteur sacré, à la lumière de l’inspiration divine, aurait épuré l’ancienne tradition d’un peuple polythéiste (Spécial Introduction to the study of the O. T. Part. I, 2e. éd., 1903, p. 177).

Aussitôt la question d’historicité se pose. Les récits des premiers chapitres de la Genèse contiennent-ils une histoire véritable, s’ils ont leur source dans les poèmes babyloniens ? Ces poèmes ne sont-ils pas de pures fables ? — Quelques considérations générales peuvent contribuer à éclaircir la question présente et les cas analogues.

1. L’influence babylonienne sur l’histoire primitive de la Bible est partielle, beaucoup moins étendue et moins directe que ne le prétendent les panbabylonistes, même pour le récit du déluge où elle est le plus frappante.

2. Personne n’est en droit d’affirmer qu’il ne se rencontre aucun fait réel au fond des légendes poétiques ; au contraire, il est a priori peu vraisemblable que tout y soit inventé de toutes pièces, surtout quand il s’agit d’une tradition comme celle du déluge. Qu’un pareil fait soit célèbre dans un poème plein de fictions, cela ne prouve rien contre l’historicité du fait ; si elle est établie par ailleurs, elle n’en est pas ébranlée (cf. J. Brucker, L’Eglise et la critique biblique, p. 207-234).

3. Quelques éléments essentiels de la révélation et de l’histoire primitives ont bien pu se conserver par la tradition, même pendant un espace de temps beaucoup plus considérable que les seules données de la Bible ne le laissaient supposer. « Les faits à transmettre, tels que nous les retrouvons dans la Genèse, étaient fort peu nombreux », remarque le P. J. Brucker ; et il signale comme les « plus importants » la création du monde et du premier couple humain et le péché originel (l. c., p. 229-230). | 4. Dans un récit, spécialement aux yeux des anciens, la réalité substantielle d’un fait n’entraîne pas nécessairement l’historicité des détails. Ceux-ci, surtout en poésie, sont souvent créés par l’imagination pour la mise en scène, pour l’ornement de la narration. Pour peu qu’ils se transmettent par la tradition orale, ils sont facilement modifiés ou transformés. Quand les deux traditions, biblique et babylonienne, ne coïncident pas dans les détails, il ne peut y avoir réellement conflit entre elles que si l’auteur sacré manifeste l’intention d’affirmer pour certains ces points secondaires. Si pareil cas venait à se présenter, il faudrait évidemment donner la préférence au récit inspiré.

A quelle époque et comment s’est exercée l’influence de la littérature babylonienne sur celle des Hébreux, spécialement au sujet des traditions primitives ?

Selon plusieurs auteurs (J. Goldziher, Fried. Delitzsch, etc.), les Israélites ont puisé directement à la source même, à Babylone, au temps de la captivité. Théorie inadmissible, sous cette forme générale, parce que 1. Les traditions en question existaient déjà chez les Hébreux longtemps avant l’exil. — 2. Il est invraisemblable que les Juifs, instruits et prémunis par leurs prophètes, se soient mis, officiellement et pour les vérités religieuses, à l’école des païens leurs oppresseurs. Ce n’est pas à dire qu’en ce temps-là l’influence de Babylone ait été nulle. On a vu plus haut le contraire à propos des chérubins décrits dans les visions d’Ezéchiel ; et l’on sait que les noms des mois assyro-babyloniens ont été adoptés peu à peu par les Juifs dans le courant du ve siècle av. J.-C.

D’autres critiques (Kuenen, Smend, Budde, préfèrent l’époque des Rois, du ixe au viie siècle av. J.-C — Israël, il est vrai, était alors en contact avec les Assyriens, surtout depuis l’expédition de Téglathphalasar III en Palestine (784), mais tenu en garde contre l’invasion des idées étrangères par la prédication des prophètes. Ce sont les rois impies, Achaz et Manassé, qui font des emprunts au culte et à la magie des Assyriens (II Reg., xvi, 18, xxi, 8-7).

Avec G. A. Barton, Gunkel, Zimmern, Driver, O. C. Whitehouse, etc., et parmi les auteurs catholiques, Fr. E. Gigot ('l. c.) et le P. V. Zapletal, mieux vaut remonter jusqu’à l’époque des lettres d’El-Amarna (vers 1400 av. J.-C). Ces documents d’importance hors ligne prouvent que le pays de Canaan était alors sous l’influence de Babylone. Des poèmes comme celui du mythe d’Adapa (v. supra) y étaient connus, et servaient même, semble-t-il, d’exercices de lecture. Quelque chose a pu passer, par infiltration ou par emprunt, chez les Hébreux (cf. V. Zapletal, O. P., Der Schöpfungsbericht, p. 90-98 ; A. R. Gordon, The early Traditions of Genesis, p. 62-76).

Enfin — c’est l’opinion de Franz Delitzsch, de Hommel, etc. — Abraham a pu transmettre à ses descendants quelques-unes des traditions qui avaient cours en Chaldée, son pays d’origine. Cette explication, fort plausible pour ce qui concerne certains faits primitifs tout à fait importants, se concilie très bien avec l’hypothèse précédente.

Ces données fondamentales ainsi transmises, et sans doute obscurcies ou déformées au cours des âges, ont pu, à diverses époques, être complétées et corrigées par des révélations particulières.

La Tour de Babel. — Sur ce sujet on n’a rien trouvé jusqu’ici dans les inscriptions cunéiformes. Une relation babylonienne, parallèle à celle de la Bible, nous est parvenue dans des textes de basse époque et d’origine peu sûre : un passage d’Abydène (iie ou iiie siècle après J.-C.) conservé par Eusèbe (Préparation évangélique, ix, 14, Migne, 'P. G., t. XXI, col. 701 —704 ; et Chronique, i, 8, trad. armén. publiée en 1818 par Ang. Mai, 'P. G. XIX, col. 128 ; et Fragm. Hist. græc, éd. Didot, t. IV, p. 282). De plus, un passage d’Alexandre Polyhistor citant la Sibylle et cité lui-même par le Syncelle (Didot, Fragm. Hist. græc, t. ii, p. 602) ; l’intervention de la Sibylle, et la ressemblance frappante avec le récit biblique rendent ce témoignage suspect.

Les anciens voyageurs qui ont visité les plaines de la Babylonie, à la vue des ruines les plus imposantes par leur masse, ont pensé tout naturellement à la Tour de Babel. Elred, en 1583, l’identifiait avec les ruines de’Aqarqouf à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de Bagdad. Sir Robert Ker Porter, en 1817-1820, se croyait sûr d’en avoir retrouvé les restes dans les gigantesques pans de murs de Birs Nimroud, à Borsippa ; les traces d’un violent incendie qui détruisit l’édifice lui semblaient attester la vengeance divine. Oppert et Sayce furent du même avis (cf. Vigouroux, BDM6. t. I. p. 870-401). — Mais, 1. Borsippa est à douze kilomètres au sud-ouest de Babylone (Babel) ; — et surtout 2. les briques vitrifiées par le feu portent le nom de Nabuchodonosor. Dans une inscription Nabuchodonosor se vante d’avoir fait réparer et achever ce monument, qu’un de ses prédécesseurs avaient laissé inachevé. La partie importante du texte était traduite ainsi par Oppert, il y a environ cinquante ans : « Nous disons pour l’autre, qui est cet édifice-ci : Le temple des sept lumières de la terre, et auquel se rattache le plus ancien souvenir de Borsippa, fut bâti par un roi antique (on compte de là quarante-deux vies humaines), mais il n’en éleva pas le faîte. Les hommes l’avaient abandonné depuis les jours du déluge, en désordre proférant leurs paroles. Le tremblement de terre et le tonnerre avaient ébranlé la brique crue… » (cité par Vigouroux, l. c., p. 381-382). Il y a là de nombreuses erreurs de lecture ou d’interprétation. Dans la collection Schrader, KB, III, 2 (1890), p. 53, ce passage est rendu exactement : « Alors Euriminanki (nom propre de la tour), la tour à étages de Borsippa, qu’un roi antérieur avait bâtie et élevée à une hauteur de 42 coudées, sans en ériger le faîte, était tombée en ruines depuis de longs jours ; le conduit des eaux était en mauvais état ; les pluies et les averses avaient démoli les murs ; les briques du revêtement avaient éclaté… » La durée de « quarante-deux vies humaines », les « jours du déluge », la confusion des langues, tout ce qui rappelait la Tour de Babel a disparu de la traduction correcte. — Les témoignages du Talmud auxquels on fait appel, toujours en faveur de Borsippa, ne méritent aucune confiance. Il ne reste donc pas une seule raison vraiment scientifique d’identifier les ruines de Birs Nimroud avec la Tour de Babel (cf. E. Pannier, art. Babel (Tour de) dans le 'Dict. de la Bible ; Hilprecht, Explorations in Bible Lands, p. 14, 15, 46, 47 ; 185).

Chronologie. — Depuis longtemps les historiens et les exégètes ont senti les difficultés de la chronologie biblique. S. Jérôme en parle d’un ton de découragement : «  Relege omnes et Veteris et Novi Testamenti libros, et tantam annorum reperies dissonantiam, et numerum inter Judam et Israel, id est inter regnum utrumque, confusum, ut hujuscemodi haerere quaestionibus non tam studiosi quam otiosi hominis esse videatur  » (Ep. 72, ad Vitalein, 'P. L., XXII, 676). Les indications chronologiques fournies par la Bible sont assez nombreuses ; malheureusement, sur plusieurs points, elles sont inconciliables, contradictoires. Ainsi, entre la Ire année de Jéhu et la 9e année d’Osée, roi d’Israël, la durée totale des règnes pour le royaume d’Israël est de 147 ans et 7 mois ; en additionnant les nombres d’années de chaque règne, entre ces deux mêmes termes, pour le royaume de Juda, on obtient la somme de 165 ans. Les diverses données qui concernent le même royaume, celui de Juda, par exemple, ne concordent pas non plus : ainsi, de II Reg. xvi, 2 ; xviii, 1, 2, 9, 10, 13, on peut conclure à trois dates différentes pour l’avènement d’Ezéchias. Quelle que soit la cause de ces divergences, qu’elles viennent de la négligence des copistes parfois, ou, au contraire, du soin des auteurs à reproduire exactement, sur ce point, la teneur de plusieurs sources indépendantes, toujours est-il que ces chiffres peu sûrs ne permettent pas des supputations fermes. Aussi, avec tous les critiques, les écrivains catholiques les plus conservateurs (Vigouroux, J. Brucker, Pelt, Mangenot, etc.) ont accordé la préférence, en matière de chronologie, aux données assyriologiques. Parmi les documents assyro-babyloniens les plus importants il faut mentionner le Canon des Eponymes et le Canon de Ptolémée.

Le Canon des Eponymes donne la série des règnes assyriens avec la série des années de chaque règne. Les années sont marquées une à une, toutes à la suite, par le nom d’un haut personnage de l’empire. Ordinairement le nom du roi est inscrit pour la deuxième année qui suit son avènement. Les années suivantes portent chacune le nom d’un grand fonctionnaire, intendant, général en chef, etc. Chaque année ainsi désignée s’appelle limu (ou limmu) éponymat (à tort les historiens, Maspero, etc., traduisent généralement ce mot par éponyme) ; et le nom de l’éponyme sert à dater les documents ; tels les archontes à Athènes, les consuls à Rome, les suffètes à Cartage. Les fragments de ces listes trouvés jusqu’à ce jour donnent la suite continue des années de 893 à 666 av. J.-C. et, de plus, quelques noms épars pour la période précédente et la suivante. Il est clair que si l’on peut dater par rapport à l’ère chrétienne une année quelconque de ces listes, on obtiendra du même coup la date de toute la série des règnes assyriens qui y sont contenus. Or, justement, une liste mentionne pour la dixième année du règne d’Assourdan, sous l’éponymat de Pur Sagali, une éclipse de soleil qui eut lieu au mois de Sivan (= à peu près juin). Tous les savants sont aujourd’hui d’accord à reconnaître que cette éclipse est celle du 15 juin 763 avant Jésus-Christ.

Le Canon de Ptolémée (ainsi appelé parce que Ptolémée, célèbre astronome et géographe grec du iie siècle après J.-C, l’a inséré dans son grand ouvrage astronomique) est une liste, écrite en grec, des rois de Babylone et de Perse depuis Nabonassar jusqu’à Alexandre le Grand, des Ptolémées d’Egypte et des empereurs romains jusqu’à Antonin le Pieux. A côté du nom de chaque roi se trouve le nombre des années de son règne ; puis, pour chaque règne, il est fait mention des éclipses observées par les astronomes de Babylone et d’Alexandrie.

Ces documents, contrôlés et complétés par d’autres inscriptions cunéiformes (Annales des rois, contrats. — tels les contrats des derniers rois de Babylone édités par le savant J. N. Strassmaier, S. J. — etc.). ont permis de dater exactement les campagnes des rois d’Assyrie depuis le ixe siècle jusque vers le milieu du viie siècle, et, par suite, plusieurs événements importants de l’histoire d’Israël. Voici quelques dates certaines qui peuvent servir de jalons :

854. Bataille de Qarqar. Achab, roi d’Israël, y était (Monolithe de Salmanasar II, col. II, 1. 91-92, KL. t. I. p. 172-173).

842. Tribut payé par Jéhu, roi d’Israël, à Salmanasar II (Obélisque noir de Salmanasar II, légende explicative d’un des bas-reliefs, KB, t. I, p. 150-151). De plus, d’après un estampage qui se trouve au British Muséum, nous savons que Jéhu paya ce tribut pendant l’expédition de Salmanasar II contre Hazaël de Damas. Or cette expédition contre Hazaël eut lieu la dix-huitième année du règne de Salmanasar II, c’est-à-dire en 842 (Obélisque noir, 1. 97, 98, KB. t. I, p. 140-141)

734-732. Expéditions de Téglathphalasar III contre les Philistins et contre Damas (Canon B des Eponymes).

722/21. Prise de Samarie (Annales de Sargon).

701. Sennachérib bloque Jérusalem et reçoit un tribut d’Ezéchias (Prisme de Taylor, col. III, l. 11-41. KB, t. II, p.94-97)

605. Bataille de Gargamiš ; avènement de Nabuchodonosor.

587. Prise de Jérusalem, la 19e année de Nabuchodonosor, d’après II Reg. xxv, 8, la 18e d’après Jér. lii, 29.

539. Prise de Babylone par Cyrus.

Pour la chronologie babylonienne, le document capital est la tablette 33, 332 du British Museum. C’est une liste des rois de Babylone depuis la première dynastie jusqu’à la période néo-babylonienne. « Les noms des rois sont inscrits par colonnes, un nom sur chaque ligne ; devant le nom de chaque roi un nombre indique, en années ou en mois, la durée de son règne. A la fin de chaque dynastie la colonne est coupée par une ligne transversale, et une note donne la somme des années pour la durée de la dynastie, le nombre des rois et le nom de cette dynastie » L, W. King). Cette tablette importante, mutilée aux deux extrémités, présente des lacunes qui ont pu être comblées par d’autres documents en grande partie, mais pas d’une façon complète (la liste de la première dynastie, qui a disparu totalement, est connue par ailleurs). La plupart des assyriologues, dans leur supputation chronologique, supposaient que les dynasties babyloniennes de ce Canon royal » étaient successives. Or, des textes récemment publiés et interprétés par M. King prouvent que la deuxième dynastie est simultanée et parallèle en partie à la première et en partie à la troisième dynastie : contemporaine de la première pendant 177 ans, de la troisième pendant 44 ans, entre les deux elle a régné à Babylone pendant 147 ans. Le début de la Ire dynastie peut se placer, conformément à une donnée de Bérose, en 2232 (d’après Fr. Thureau-Dangin, Zeitschrift für Assyriologie, janv. 1908, p. 176-187, à propos de l’ouvrage le King, Chronicles concerning early Babylonian kings, 1907). Ces derniers résultats sont fort intéressants pour l’apologiste, comme on le verra plus loin, en ce qui concerne l’époque d’Abraham et l’historicité du ch. xiv de la Genèse.

Au temps de la première dynastie de Babylone (xxiiie-xxe= siècle av. J.-C), la civilisation avait atteint depuis bien des siècles déjà, semble-t-il, un haut degré de développement. Cette époque nous offre une littérature extrêmement riche : poèmes mythologiques, légendes, hymnes, incantations, textes astronomiques, astrologiques, mathématiques. Le code de Hammourabi, comme on a pu le constater par des documents plus anciens, a codifié des lois et des usages depuis longtemps en vigueur. M. Fr. Thureau-Dangin a publié un mémoire intéressant sur la comptabilité agricole en Chaldée au troisième millénaire ; M. Léon Heuzey a décrit une villa royale chaldéenne vers l’an 4000 avant notre ère ; M. Oppert, l’administration des domaines, les comptes exacts et les faux au cinquième millenium avant l’ère chrétienne. (Ces lieux derniers chiffres sont à diminuer, comme on va voir.)

La chronologie de cette époque reculée s’appuyait en partie sur une inscription de Nabonide, dernier roi de Babylone, qui place Narâm-Sin, fils de Sargon l’ancien, roi d’Agadé (= Akkad, Babylonie du Nord) en 3750 av. J.-C, 3200 ans avant Nabonide. Les dates de ce genre, dans les inscriptions assyriennes et babyloniennes, paraissent en général exactes, calculées d’après des données sérieuses. Celle-ci est devenue suspecte, un peu parce qu’elle est beaucoup plus élevée que toutes les autres, mais surtout parce qu’elle oblige d’admettre dans l’histoire une lacune d’un millier d’années, lacune persistante malgré tant de textes découverts. D’après l’assyriologue et historien (J. F. Lehmann, il y aurait dans le texte de Nabonide une erreur de mille ans ; il faudrait lire 2200, au lieu de 3200 (Zwei Hauptprobleme der altorientalischen Chronologie, 1898). Lehmann est suivi par A. Jeremias. Pourtant bien des assyriologues ont ajouté foi jusqu’à ces derniers temps au chiffre de Nabonide : H. Badau (1900). Bezold (1903), Sayce (1906). Hilprecht vient de modifier sur ce point ses anciennes positions : « Il n’estime plus possible, dit-il, de concilier la donnée de Nabonide avec certains faits bien connus, établis par les recherches assyriologiques » (Mathematical. Metrological and Chronological Tablets from the Temple Library of Nippur, 1906, p. 41-45). Un autre assyriologue, L. W. King, qui admettait encore, il y a peu d’années, la date 3750, pense aujourd’hui qu’il faut la réduire (Chronicles concerning early Babylonian kings, 1907, vol. I, p. 17). M. Fr. Thureau-Dangin juge aussi que « cette date est sûrement trop élevée ».

En 1896, Hilprecht n’hésitait pas à « dater la fondation du temple de Bel et les premières constructions de Nippour de 6000 à 7000 ans avant Jésus-Christ et peut-être même plus tôt » (The babylonian expédition of the University of Pennsylvania, vol. I. part. II, p. 28, 24). En 1906, dans l’ouvrage cité un peu plus haut, il maintient cette estimation et il ajoute : « Les savants babyloniens des derniers temps pouvaient retracer l’histoire chronologique de leur pays au moins jusqu’au quatrième millénaire avant notre ère » (p. 3). D’autre part les fouilles nous révèlent, depuis quelques années, la très haute antiquité de la civilisation élamite. « Les plus anciens textes découverts à Suse, dit Scheil, sont certainement antérieurs à 4OOO avant Jésus-Christ, comme il ressort du caractère de l’écriture. » Si ces textes, trouvés à quinze mètres de profondeur, ont six mille ans d’existence, que penser des fragments de poterie situés à vingt mètres au-dessous de ces tablettes archaïques ? (Cf. J. de Morgan, La délégation en Perse, 1902, p. 81, 82, 105).

En face de ces faits, et d’autres d’un ordre différent, les exégètes, les historiens et les apologistes les plus autorisés ont renoncé avec raison au système artificiel de « chronologie biblique », construit avec des pièces disparates, mal conservées parfois ou mal comprises, à l’aide duquel on remontait jusqu’au jour précis de la création du monde (28 octobre 4004 avant Jésus-Christ).

Histoire. — D’abord quelques remarques sur la valeur des documents historiques contenus dans les textes cunéiformes.

Il faut distinguer trois sortes de textes historiques. Au premier rang, les Annales des rois, où les grands événements de chaque année d’un règne sont relatés dans l’ordre chronologique. En second lieu, les récits de guerres, où l’ordre réel est souvent sacrifié à un groupement artificiel des faits concernant le même objet. Enfin les Fastes, inscriptions triomphales et laudatives, moins sûres, au point de vue historique, que les précédentes, mais les complétant parfois par d’utiles détails. Ce sont là des documents officiels, écrits pour la gloire de souverains extrêmement soucieux de transmettre leur nom à la postérité ; il n’y faut donc chercher que la mention des actions glorieuses ; les défaites sont passées sous silence. (Notez le caractère essentiellement différent de l’histoire d’Israël, où les revers sont enregistrés avec beaucoup d’humilité et de sincérité, comme des châtiments divins et des leçons pour l’avenir.) Les historiographes assyriens ont dû exagérer les hauts faits du grand roi, surtout dans les inscriptions laudatives ; ils ont pu aussi se tromper, ou modifier à dessein certains détails, ou suppléer par l’imagination au défaut de quelques renseignements précis. Pourtant leurs relations, contrôlées de diverses manières, apparaissent généralement exactes. C’était la rédaction des notes, prises, au cours des opérations militaires. par les scribes officiels, témoins oculaires ou très bien informés, que maints bas-reliefs représentent dans l’exercice de leurs fonctions, sur un champ de bataille. (Pour le classement et la critique des texte historiques, voir C. P. Tiele. Babylonisch-Assyrische Geschichte. 1886, p. 12-87 ; cf. aussi S. Karppe, Les documents historiques de la Chaldée et de l’Assyrie et la vérité, dans la Révue sémitique, 1894, p. 347-361. Ce dernier auteur me semble abaisser un peu trop la valeur des monuments assyriens.)

Ces textes ont l’avantage d’être assez souvent contemporains, ou à peu près, des faits qu’ils rapportent, et de n’avoir pas été altérés dans des transcriptions successives. Ainsi, le Prisme de Taylor qui raconte les huit campagnes de Sennachérib, de 704 à 691, est daté de l’éponymat de Bel-émourani (691). Un autre texte daté de l’éponymat de Mitounou (700) relate en termes identiques, sauf quelques variantes, et quelques détails en plus, les premières campagnes de ce règne jusqu’à celle de 701 inclusivement. Ce récit a donc été écrit un an à peine après les événements de 701 (invasion de Sennachérib en Palestine, blocus et délivrance de Jérusalem).

On a souvent plusieurs exemplaires d’un même texte, et il est possible de les contrôler l’un par l’autre. Des lectures d’abord douteuses peuvent ainsi devenir certaines (le même mot est écrit là en idéogramme et ici phonétiquement, etc.). Les copistes assyriens et babyloniens semblent avoir été très fidèles dans leurs transcriptions. Quand l’original présentait un passage mutilé ou effacé, ils écrivaient en général, à la place, en petits caractères, ḫi-bi (ou ḫi-pi), effacé ; et ils se gardaient bien de suppléer par conjecture, même pour les lacunes faciles à combler. A la fin des copies on trouve souvent la formule : Kîma labirišu, conforme à l’original.

L’histoire biblique a été, sur bien des points, confirmée ou éclairée par les monuments de l’Assyrie et de la Chaldée. Il faut se borner ici à une revue rapide des faits principaux.

Abraham. — Les assyriologues identifient en général Our des Chaldéens, Ur-Kasdim, la patrie d’Abraham d’après Gen., xi, 28, 31 ; xv, 7, avec Muqayyar dans la Babylonie du Sud ou Chaldée, à 225 kilom. environ au sud-est de Babylone. On a trouvé en effet à Muqayyar plusieurs inscriptions et plusieurs sceaux royaux avec le nom de la ville, Uru. Contre cette identification plusieurs critiques font des objections tirées du texte biblique, qui semble placer dans le nord de la Mésopotamie la patrie des ancêtres d’Abraham (cf. Gen., xi, 10-26) ou d’Abraham lui-même, suivant une des sources du récit (cf. Gen., xii, 1 ; xxiv, 4, 7, cf. le v. 10, et Jos., xxiv, 2, 3). Cette question sera peut-être un jour définitivement tranchée par l’assyriologie, si l’on explore à fond les ruines de Muqayyar.

Au chapitre xiv de la Genèse, l’histoire d’Abraham est mise en contact direct avec l’histoire babylonienne. « Amraphel, roi de Sennaar, Arioch, roi d’Ellasar, Chodorlahomor, roi d’Elam, et Thadal, roi de Goïm », au cours d’une expédition aux environs de la mer Morte, s’étaient emparés de Lot et de ses biens. Abraham, avec ses gens, poursuit les conquérants, délivre les prisonniers et reprend le butin. L’historicité de ce récit a été souvent et violemment attaquée par les rationalistes, Sörensen, Hitzig, Nöldeke, Reuss, Wellhausen.

Dans ce texte, Gen. xiv, 1, Sennaar désigne sûrement la Babylonie. Amraphel représente assez bien, pour l’équivalence du nom au point de vue linguistique, Hammourabi, roi de Babylone, si célèbre, surtout depuis la découverte de son code. L’identification des deux noms et des deux personnages est généralement regardée comme plausible depuis le mémoire de Eb. Schrader lu en 1887 devant l’Académie de Berlin. — Arioch, roi d’Ellasar, est probablement Arad-Sin, roi de Larsa (en distinguant, avec Fr. Taureau-Dangin, deux fils de Koudour-Maboug, qui ont régné successivement, Arad-Sin et Rim-Sin ; le nom Arad-Sin peut être lu en sumérien Eri-Akou = Arioch). Pour Thadal, roi de Goïm, rien de clair n’a été trouvé jusqu’ici. Si le nom de Chodorlahomor n’a pas été lu non plus, d’une manière sûre, dans les inscriptions cunéiformes, du moins c’est bien un nom élamite, Koudour-Lagamar : la première partie de ce nom, koudour, signifie « serviteur », et entre dans la composition de plusieurs noms de rois élamites bien connus Koudour-Maboug, Koudour-Naḫḫounte. Quant à Lagamar, c’est le nom d’une divinité élamite, attesté aussi par les inscriptions.

Les objections des critiques sont tirées surtout des « invraisemblances historiques ». Qu’au temps d’Abraham quatre rois des rives du golfe Persique aient fait une razzia jusque dans la péninsule du Sinaï, qu’ils aient attaqué, en passant, cinq roitelets des bords de la mer Morte, enfin, qu’Abraham avec trois cent dix-huit serviteurs ait arrêté les vainqueurs et délivré les prisonniers, « ce sont simplement, disait-on, des impossibilités ». Mais les textes ont fait voir que, plusieurs siècles avant Abraham (en toute hypothèse, cf. supra), Sargon d’Agadé étendit ses conquêtes jusqu’aux bords de la mer Méditerranée. La nouvelle Chronique, publiée par L. W. King en 1907, confirme un texte déjà connu, suivant lequel Sargon « installa ses images en Occident », c’est-à-dire fit sculpter son image sur les rochers voisins du rivage ou dans le Liban.

Il ressort du récit biblique que Chodorlahomor est le chef de l’expédition ; il semble en résulter que les rois ses alliés, y compris le grand Hammourabi, sont ses vassaux ou, tout au moins, en quelque manière, sous son influence. Cela s’accorde avec les données de l’histoire élamite et babylonienne maintenant connues par les monuments. L’expédition en Occident a pu prendre place dans la période des trente premières années du règne de Hammourabi, lorsque durait encore la suzeraineté élamite, fruit de la conquête de Koudour-Naḫḫounte (2280 av. J. C).

La principale difficulté à l’identification d’Amraphel et de Hammourabi était la chronologie. Abraham et Amraphel vivaient, semblait-il, au moins deux siècles après Hammourabi que l’on plaçait au xxiiie siècle. Mais, comme on l’a vu plus haut, les nouveaux textes qui établissent la contemporanéité partielle des premières dynasties de Babylone, permettent d’abaisser de 221 ans la date de Hammourabi. Diverses données conduisent à la date approximative 2050 av. J.-C. pour Hammourabi = Amraphel et Abraham (voir, pour plus de détails, l’article « Hammonrabi-Amraphel » par le P. Dhorme, O. P., dans la Revue biblique, avril 1908, et celui du P. A. Condamin dans les Etudes, 20 mai 1908, sur le même sujet).

Moïse.Winckler, Zimmern, A. Jeremias, après d’autres, mettent en parallèle le récit de l’exposition de Moïse enfant sur les eaux du Nil et les légendes sur l’enfance de Sargon l’ancien, de Cyrus, de Romulus et de Rémus, etc. Voici le passage le plus saillant du texte relatif à Sargon l’ancien (traduction de M. Fr. Thureau-Dangin citée par M. E. Cosquin) :

(Ma) mère la prêtresse (?) me conçut ;
dans le secret elle me mit au monde.
Elle me plaça dans une couffe de roseaux ;
avec du bitume elle boucha ma porte.
Elle m’abandonna au fleuve qui n’était pas… ?…
Le fleuve me porta ; à Akki, le « verseur d’eau » il m’amena…
Akki, le « verseur d’eau », m’éleva comme son enfant ;
Akki, le « verseur d’eau », fit de moi un jardinier.

Si la ressemblance avec le récit de l’Exode se borne à peu près à l’exposition et à la découverte de l’enfant, qui est ensuite élevé par son sauveur, de pareils faits arrivent trop souvent et sont trop naturels pour qu’on les croie copiés l’un sur l’autre. Ils ont pu se produire souvent dans la réalité, et souvent aussi dans le roman. M. Emm. Cosquin montre fort bien les différences notables qui séparent le récit de l’Exode et la légende de Sargon : motif de l’exposition, but de la mère, etc. (Revue des Questions historiques, avril 1908, p. 393-396 ; cf. p. 372-373).

Les Ḫabiri et l’Exode. — La collection d’El-Amarna (voir plus haut) contient un bon nombre de lettres adressées au roi d’Egypte, dans lesquelles les gouverneurs des diverses villes de la Palestine, alors province égyptienne, implorent instamment son secours contre des envahisseurs qui ravagent le pays et s’en emparent peu à peu. Abdiḫiba, gouverneur de Jérusalem (Urusalim) écrit : « Les Ḫabiri pillent tous les pays du roi. Si des troupes sont là cette année, les pays sont au roi, (mon) maître ; si des troupes n’y sont pas, les pays du roi, mon maître, sont perdus. » Et dans un post-scriptum il s’adresse directement au scribe royal qui lira la tablette : « Dis-le en termes clairs au roi, mon maître : Tous les pays du roi, mon maître, vont être perdus » (éd. Knudtzon, n. 286, l. 56-64). Ce cri d’alarme, ce pressant appel pour un secours immédiat contre les Ḫabiri est répété dans plusieurs autres lettres du même gouverneur : « Gazer, Asqalon et Lakis ont fourni des vivres aux ennemis » ; le roi est trahi par ses gouverneurs (ibid. n. 287). « Les Ḫabiri s’emparent des villes du roi… il faut des troupes cette année même » (n. 288, 289, 230).

S’agit-il là de la conquête du pays de Canaan par les Hébreux, de leur établissement dans la région de Jérusalem ? Le nom des « Hébreux » peut fort bien être représenté — tout le monde en convient — par le mot Ḫabiru, Ḫabiri, qui revient sept fois, uniquement dans les lettres d’Abdihiba. Conder et Zimmern ont, les premiers, proposé cette identification. Elle est admise comme plausible par les assyriologues Winckler, Bezold, Lindl, Knudtzon, par les historiens Ed. Meyer, Guthe, C. Niebuhr, A. R. Gordon. Les Ḫabiri, dit Nöldeke, « sont ou les Hébreux — et jusqu’à preuve du contraire c’est l’opinion la plus vraisemblable — ou un autre peuple dont il n’est jamais plus question ensuite » (ZA, 1904, p. 96). L’identité de ces envahisseurs avec les Hébreux est combattue ou contestée par Stade, Cornill, Hommel, Jastrow jr, Lagrange (RB, 1899, p. 127-132), Sayce, W. Max Müller, le P. Vincent (Canaan, p. 449). G. A. Smith, et surtout A.-J. Delattre (Les Pseudo-Hébreux dans les lettres de Tell el-Aniarna, dans la Revue des Questions historiques, avril 1904, p. 353-382). L’hypothèse de Zimmern, contre laquelle on n’a pas apporté, me semble-t-il, de preuve décisive, reste possible, une l’équivalence probable des noms et de la substance des faits, malgré quelques difficultés.

Bien plus contestable est l’identification (affirmée par Winckler, etc.) des Ḫabiri-Hébreux avec les envahisseurs, bandits et pillards désignés par l’idéogramme SA-GAZ, ou seulement GAZ (écrit par d’autres : GAS) dans plusieurs lettres de la même collection. Le danger est signalé au roi d’Egypte par Abimilki, gouverneur de Tyr, par Zimriddi, gouverneur de Sidon, etc., et surtout, dans une trentaine de lettres par Rib-Addi, gouverneur de Gubla(Gebaïl, Byblos). Ces SA-GAZ attaquent donc la Phénicie septentrionale ; on les trouve aussi dans la région de Damas. Cela s’accorde mal avec la tradition des Hébreux sur la conquête de Canaan.

S’il était dénomtré que les Ḫabiri sont les Hébreux, il faudrait placer l’exode non plus sous Ménephtah, comme on le fait généralement sans raison péremptoire (cf. Vigouroux, BDM6, II, p. 288). nuiis deux siècles plus tôt. Thoutmès III serait le Pharaon oppresseur les Hébreux, et Aménophis II le Pharaon de l’exode (cf. E. Lindl (cath.), Cyrus. p. 39, 40). Pour plus de détails sur la date de l’exode voir l’article du P. Mallon, L’Egypte et la Bible.

Passons à l’époque des Rois.

I Reg. xx, 34 nous apprend que le roi d’Israël Achab fit alliance avec Benhadad II, roi de Damas, après l’avoir battu près d’Aphec. Une inscription de Salmanasar II confirme cette donnée d’une façon intéressante : le roi d’Assyrie par la victoire de Qarqar en 854 triomphe d’une coalition où Achab d’lsraël (A-ḫa-ab-bu mat Sir-’-la-ai) avec 10.000 hommes et 2.000 chars combattait à côté de Benhadad II de Damas (appelé dans le texte assyrien Dad’idri (= Ḫadad-idri, Hadadezer) d’après Schrader ; ou Bir’idri, suivant Winckler).

La Bible est complétée sur un autre point par l’obélisque noir de Salmanasar II qui mentionne « le tribut de Jéhu, fils d’Omri » (Amri (ou Omri) étant le fondateur de Samarie, les Assyriens appelaient le royaume d’Israël Bit ou mât Ḫumri, Maison ou pays d’Omri) ; et Jéhu ou son ambassadeur est représenté prosterné la face contre terre devant le grand roi (842 av. J.-C). Le même monument parle de 1.121 chars et de 470 chevaux pris la même année à « Hazaël de Damas », qui est en effet nommé dans I Reg. xix, 15, 16, comme roi de Damas et contemporain de Jéhu.

Adadnirari III (812-783) se vante d’avoir soumis le littoral de la Méditerranée, Tyr, Sidon, le pays d’Omri (le royaume d’Israël), Edom, les Philistins. Cette campagne se place probablement en 803.

Vers le milieu du viiie siècle nous rencontrons le grand conquérant assyrien Téglathphalasar III (745-727). A lire simplement dans la Bible les passages relatifs à Phul et à Téglathphalasar III, il semblerait que ce sont deux rois d’Assyrie différents. Ainsi l’ont compris tous les commentateurs avant la découverte des inscriptions cunéiformes. Voir II Reg. xv, 19 et 29, et surtout I Chr. v, 26. Cependant ce sont deux noms différents d’un même personnage : Téglathphalasar, roi d’Assyrie et conquérant de la Chaldée, est appelé Poulou (Phul) comme roi de Babylone. L’identification, suggérée d’abord par H. Rawlinson en 1863, est devenue tout à fait certaine depuis la découverte de la Chronique babylonienne, qui donne la série des rois et nomme Téglathphalasar juste à la place où se trouve Pula (Phul) dans la liste des rois de Babylone et Πῶρος (= Pulu) dans le Canon de Ptolémée.

738. — Dans ses Annales, Téglathphalasar III énumère ainsi les princes qui lui ont payé tribut la huitième année de son règne : « Tribut de Kouṡtaṡpi de la ville de Koummouh, de Raṣon du pays de Damas, de Menahem de la ville de Samerina, de Hirom de la ville de Tyr, de Sibittibi’li de la ville de Gebaïl », etc. Ces lignes se rapportent à la huitième année du règne de Téglathphalasar, 738. Très probablement Menahem (Meniḫimme) nommé là est Manahem (héb. Menahem) de Samarie, dont il est dit, II Reg. xv, 19. qu’il paya un tribut de mille talents d’argent à Phul, roi d’Assyrie. Très probablement, dis-je, et pas certainement, malgré l’opinion générale, parce que ce Menahem de Samerina ressemble beaucoup, par son nom et par la place qui’il occupe, à un Menahem de Samsimourouna, tributaire de Sennachérib en 701 et sûrement différent de Manahem d’Israël mort vers 736.

735-732. — C’est à ce même Téglathphalasar que le roi de Juda Achaz écrivit en 735 : « Je suis ton serviteur et ton fils ; viens, et délivre-moi du roi d’Aram et du roi d’Israël qui se sont levés contre moi (II Reg. xvi, 7). On connaît l’entrevue célèbre où le prophète Isaïe condamne cette politique néfaste (Is. vii). Téglathphalasar accourait l’année suivante et, pour prix de ses services, il inposait à Achaz un lourd tribut. Dans une inscription, « Achaz de Juda » est enregistré parmi les tributaires de 734 ; cf. II Reg. xvi, 8. — II Reg. xv, 29 est d’accord avec le texte (malheureusement mutilé) des Annales de Téglathphalasar qui raconte la campagne de 733-732 contre les royaumes d’Israël et de Damas. Par la conquête de Damas en 732, et l’installation d’un gouverneur assyrien à la place du roi, la prédiction d’Isaïe xvii, 1-3, est parfaitement réalisée, pourvu que l’on tienne compte de l’hyperbole poétique du début (voir Le Livre d’Isaïe, p. 123, 124).

II Reg. xv, 30, où il est dit que Osée, fils d’Ela, conspira contre Phacée, fils de Romélie, et le tua, a été confirmé et expliqué par une autre inscription assyrienne : « Ils renversèrent leur roi Phacée ; je leur donnai pour roi Osée ; je reçus 10 talents d’or, [?] talents d’argent… » (Inscr. de Téglathphalasar III, trad. Rost, p. 80-81).

722/21. — « On a beaucoup agité la question de savoir si Samarie fut prise par Salmanasar, comme l’écrivain hébreu semble le croire (II Rois xvii, 3-6 ; xviii, 9-10), ou par Sargon, comme le disent les scribes assyriens » (Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, t. III, p. 216, note). Peut-être, suivant Hommel, la ville fut-elle prise peu de jours avant la mort de Salmanasar, et la nouvelle en arriva en Assyrie après l’avènement de Sargon ; cela suffisait pour que Sargon inscrivît ce succès en tête de ses Annales. Quoi qu’il en soit, lors même que Salmanasar serait mort quelques jours ou quelques semaines avant le résultat définitif, l’historien biblique a pu, sans commettre une erreur formelle, lui attribuer cette conquête : Salmanasar l’avait entreprise et poursuivie pendant trois ans ; et Sargon, alors en Assyrie selon toute probabilité, n’a pas en personne conduit le siège de Samarie à bonne fin. (Dans The American Journal of Semitic Languages and Literatures, avr. 1905, t. XXI, p. 179-182, M. A. T. Olmstead pense que la prise de Samarie a eu lieu vers la fin du règne de Salmanasar ; mais il s’appuie surtout sur la lecture bien peu probable Šamara’in = Samarie, au lieu de Šahara’in. dans Chron. bab. B, i, 28.)

En 7Il nouvelle campagne des Assyriens en Occident, pour réprimer la révolte d’Asdod, à laquelle Juda, Moab, Edom et le Pharaon d’Egypte Sabacon avaient pris part. L’Egypte n’ose pas résister : Iamani, chef des rebelles d’Asdod, est livré à Sargon par le roi de Meluḫḫa (Ethiopie), c’est-à-dire par Sabacon qui régnait alors sur l’Ethiopie et l’Egypte. Ainsi se réalisait la parole d’Isaïe : « Ceux qui comptaient sur l’Ethiopie et qui étaient fiers de l’Egypte seront consternés et confus. Les habitants de ces côtes diront ce jour-là : Les voilà donc ceux sur qui nous comptions, vers qui nous voulions fuir, chercher refuge et protection contre le roi d’Assyrie ! … » (Is. xx, 5, 6).

Isaïe s’élève avec force et persévérance contre l’alliance avec l’Egypte :

Le secours de l’Egypte est vanité, néant (xxx. 7).
Malheur à ceux qui vont en Egypte chercher protection,
et qui comptent sur le ? chevaux ! … (xxxi, 1).

La grande tentation était d’obtenir de l’Egypte des chevaux pour lutter contre la cavalerie assyrienne, si redoutable suivant Is. v, 28 et le témoignage des monuments. Le Rabšaqê de Sennachérib dans son défi à Ezéchias (701) dit fort justement : « … Tu as pris pour soutien ce roseau brisé qui perce et blesse la main de celui qui s’y appuie. Tel est le Pharaon… Eh bien, fais cette gageure avec le roi mon maître : Je te donnerai deux mille chevaux, si tu peux fournir autant de cavaliers pour les monter » (Is. xxxvi, 5-8 ; cf. xxx, 16).

Le même prophète nous fait une peinture très exacte des Assyriens acharnés au pillage : x, 5-14 ; xxxiii, 1-9. « Dévaster, c’est le cri de son cœur ! » (x, 7). N’est-ce pas, en effet, le refrain perpétuel des récits de guerres dans les inscriptions assyriennes abbul, aqqur, ina išâti ašrup, « je détruisis, je ravageai, j’incendiai » ?

705. — Mérodachbaladan, roi de Babylone, connu surtout, jusqu’au milieu du siècle dernier, par l’épisode de son message auprès d’Ezéchias (II Reg. xx et Is. xxxix), se révèle à nous, dans les inscriptions cunéiformes, comme le héros de l’indépendance chaldéenne. Nous comprenons beaucoup mieux aujourd’hui le caractère de ce personnage très entreprenant, d’une persévérance indomptable, le sens et la portée de son ambassade auprès du roi de Juda, laquelle eut lieu probablement en 705, un peu après la mort de Sargon.

701. — Les textes assyriens éclairent singulièrement l’histoire de la lutte dramatique de Sennachérib contre Ezéchias, et le rôle d’Isaïe dans l’immense danger couru alors par le royaume de Juda. Dans le récit détaillé des historiographes de Ninive (Prisme de Taylor, KB, t. II, p. 80 ss.), on voit la coalition des petits princes syriens se fondre brusquement à l’approche de Sennachérib. Les uns fuient, les autres, chargés de présents, viennent baiser les pieds du conquérant. Les villes de Phénicie sont soumises, bientôt celles de Philistie ; puis le pays de Juda est envahi, « quarante-six places fortes » sont prises. Ezéchias paie un tribut « de 30 talents d’or et 300 talents d’argent » d’après la Bible, « de 30 talents d’or et 800 talents d’argent « d’après le texte assyrien (on n’a pas expliqué d’une façon pleinement satisfaisante cette différence, d’ailleurs peu importante). Ezéchias est bloqué dans Jérusalem ; Sennachérib se vante de l’y avoir enfermé « comme un oiseau dans une cage ». Longtemps à l’avance Isaïe ; a prédit ces malheurs ; maintenant que tout semble perdu, il promet le salut, il empêche la capitulation contre toute vraisemblance il annonce à maintes reprises, la ruine de l’armée assyrienne. Cette catastrophe, qui enlève à Sennachérib 185.000 hommes et l’oblige à partir précipitamment, est racontée dans la Bible (II Reg. xix, 35, 36 ; Is. xxxvii, 36, 87), e signalée aussi, quoique expliquée autrement, dans un passage d’Hérodote II, 141)— « Jamais prophète n’avait fait une prédiction plus hardie, et jamais prédiction ne s’était réalisée d’une façon plus éclatante » (Driver, Isaiah, his life and times, p. 82)f Evidemment Sennachérib ne se vante pas de cet échec dans l’histoire de ses guerres. Cependant malgré le silence gardé sur ce point et quelque arrangement des faits destiné à déguiser le malheur final on peut, à travers les lignes du texte cunéiforme entrevoir la vérité : Sennachérib ne dit pas qu’il pris Ezéchias, qu’il a conquis et pillé la ville, comme il ne manque pas de s’en glorifier toutes les fois qu’il a réussi. Il ne raconte pas, comme ailleurs, les exploits accomplis en route, au retour ; le récit se termine brusquement. Il est fort probable que le tribut, payé avant la tentative contre Jérusalem, a été placé à la fin pour donner à l’expédition une conclusion honorable, une apparence de succès : ainsi pensent Schrader, Fried. Delitzsch, Mc Curdy. La plupart des historiens (Stade, Maspero, etc.) estiment donc avec raison que la guerre de 701 s’est terminé pour les Assyriens par un désastre. Jérusalem étant sauvée miraculeusement : ainsi s’accomplissait la prophétie d Isaïe1.

1. H. Winckler pense que II Reg. xix, 8-37 se rapporte à une expédition de Sennachérib différente de celle de 701. Son opinion, telle quelle ou légèrement modifié est admise comme plus ou moins probable, par Homme Benzinger, Krall, Pinches, Guthe, Lindl, Scheil, A. Jeremias, Prasek. Cette hypothèse d’une double campagne en Palestine ne semble pas suffisamment fondée. Pendant cette campagne, d’après II Reg. xviii, 14, 17 ; Is. xxxvi, 2, Sennachérib a campé un certain temps à Lachis. Si l’on s’en tenait au prisme de Taylor où Lachis n’est pas nommée, on chicanerait peut-être sur cette donnée biblique. Heureusement nous avons un magnifique bas-relief qui représente Sennachérib assis sur un trône près de Lachis, au milieu des vignes et des figuiers, sur une colline. Debout devant le roi, les officiers rendent compte du siège et de la prise de la ville. Derrière les officiers, les prisonniers s’avancent, les mains jointes, et se prosternent à genoux. Juste au-dessus de la tête des officiers, une inscription porte : « Sennachérib, roi du monde, roi d’Assour, est assis sur son trône et passe en revue le butin de Lachis. »

Le récit de Sennachérib nous apprend un détail typique omis dans la Bible : l’extradition de Padî, roi d’Accaron ; Ezéchias, à qui les Philistins l’avaient envoyé et qui le tenait enfermé dans Jérusalem, est obligé de le livrer à Sennachérib. Les omissions de ce genre montrent que l’historien inspiré ne veut pas composer ex professo l’histoire complète d’Israël : il choisit, selon son but, les événements principaux.

« Alors Sennachérib, roi d’Assyrie, leva le camp et s’en retourna ; et il resta à Ninive. Et pendant qu’il priait dans le temple de Nesrok (?) son dieu, Adrammélek et Šaréṣer, ses fils, le frappèrent avec l’épée ; et ils s’enfuirent au pays d’Ararat. Et son fils, Asarhaddon, lui succéda » (Is. xxxvii, 37-38 ; = II Reg. xix, 36-87). H. Winckler objecte : dans la Chronique babylonienne « il n’est question que d’un seul fils, contre la teneur actuelle du texte biblique qui en nomme deux, Šaréṣer et Adrammélek » (KAT3, p. 84). — Mais le document babylonien a fort bien pu mentionner seulement le chef principal de la conjuration. Scheil remarque justement : « Le nom du principal meurtrier se retrouve seul dans Abydenus sous la forme de Adramelus » ; le savant assyriologue a découvert dans un texte cunéiforme inédit le même nom sous une forme un peu différente (ZA, XI, p. 425-428 ; RB, 1897, p. 207).

Winckler donne pour « tout à fait sûr « que Sennachérib a été assassiné à Babylone (KAT3, p. 85). A. Jeremias suit fidèlement cette manière de voir, et en conclut qu’il y a une lacune, dans le texte biblique, entre les deux versets (ATAO2, p. 53 1). Fr. Martin préfère également l’opinion de Winckler (Bulletin critique, 5 juin 1905, p. 306). Winckler s’appuie sur un texte obscur des Annales d’Assourbanipal (col. IV, l. 70-78), que la plupart des assyriologues expliquent dans un sens tout différent (Jensen, KB, II, p. 193 ; Tiele, Bab.-assyr. Gesch., p. 382 ; Meissner, ZA, X, 80, 81 ; C.H. W. Johns, Encyclopaedia biblica, 1331 ; Muss-Arnolt, Dict. aux mois kispu et sapanu). Lors même que l’on traduirait ce texte comme Winckler, il ne s’ensuivrait nullement que Sennachérib a été tué à Babylone (C. F. Lehmann, ZA, XIV, 1899, p. 76). Aussi, avec C. F. Lehmann, Maspero (Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, t. III, p. 346), Rogers (Hist. of Bab. a. Assyr., t. II, p. 214-217), G. S. Goodspeed (Hist. of the Bab. a. Assyr., p. 286), etc., j’admets plutôt que Sennachérib a été tué à Ninive ; et cela, non seulement à cause du texte biblique, qui pourrait à la rigueur s’interpréter autrement, mais à cause de la Chronique babylonienne, col. III, 1. 84-87 : « 31 Le 20

George Smith, W. Roberison Smith, Delitzsch, Schrader, Tiele, Duncker, Sayce, Mac Curdy, Maspero, Kent, Goodspeed, Œttli, ne l’ont pas acceptée. L’explication de Winckler est expressément rejetée par Meinhold, Skinner, Marti, Rogers, Kittel, H. Preserved Smith, Paton, Nagel, St. Langdon, Jensen, Wilke, Flinders, Petrie, Breme.

du mois de Ṭebet Sennachérib, roi d’Assyrie, 35 fut tué par son fils dans une insurrection (si-ḫi). [?] ans Sennachérib 36 régna en Assyrie. Depuis le 20 Ṭebet jusqu’au 372 Adar l’insurrection (si-ḫi) en Assyrie triompha (ou fut organisée) » (KB, II, 280-282). Il est extrêmement probable, pour ne pas dire sûr, que « l’insurrection » qui commence le 20 Ṭebet « en Assyrie » (I. 86-87) est la même que l’insurrection » mentionnée deux lignes plus haut, où Sennachérib fut tué, le 20 Ṭebet. Donc le meurtre eut lieu en Assyrie et, selon toute probabilité, à Ninive.

A propos du roi impie Manassé, emmené captif à Babylone par les Assyriens, puis ramené dans son royaume (II Par. xxxiii, 11 —18), il est excessif de dire : « Les inscriptions d’Assurbanipal confirment, autant qu’il est souhaitable, le récit des Paralipomènes » (DBV, iv, col. 642). Les inscriptions ne tranchent pas la question de savoir si les Paralipomènes rapportent là un fait strictement historique. Comme le remarque avec raison Driver (dans Authority and Archaeology, ouvrage publié sous la direction de M. Hogarth, 1899, p. 114-116), elles nous apprennent : 1° que Manassé paya un tribut aux rois Asarhaddon et Assourbanipal ; 2° que Šamaššoumoukîn entraîna dans sa révolte contre Assourbanipal les rois de l’Ouest parmi lesquels Manassé se trouvait probablement. Nous ne savons pas si Assourbanipal les châtia. D’autre part, les inscriptions d’Assourbanipal offrent un exemple de clémence tout à fait parallèle à celui dont parlent les Paralipomènes. Néchao, roi de Memphis et de Saïs, vaincu et conduit à Ninive, les fers aux mains et aux pieds, fut renvoyé en Egypte, revêtu des insignes de la royauté, et rétabli sur son trône. Pareille chose put arriver au roi de Juda ; cela paraît maintenant très vraisemblable, à ne considérer que le caractère d’Assourbanipal ; mais les monuments n’en disent rien. Et il reste la difficulté signalée par les critiques, à savoir le fait étrange que la captivité et le repentir de Manassé soient complètement passés sous silence par le Livre des Rois (IV Reg. xxi, 1-18 ; xxiii, 26 ; XXIV, 3, 4), qui énumère les crimes de ce roi et leur attribue le châtiment du peuple, l’exil de Babylone ; et par Jérémie, qui parle dans le même sens (xv, 4). Peut-être sommes-nous en présence d’un fait historique, grossi un peu par la tradition populaire en ce qui concerne le repentir du roi. En tous cas, dire qu’il n’y a point de passage biblique « que l’assjriologie venge et justifie d’une manière plus éclatante, quoique indirecte » (BDM6, t. IV, p. 89), ou simplement parler de « justification éclatante » (Pelt, Hist. de l’A. T.4 p. 262), c’est, semble-t-il, exagérer la note apologétique.

Une des principales difficultés du livre de Judith, est le nom de Nabuchodonosor qui se présente vingt fois, « toujours avec la qualification de roi des Assyriens. Dans ces conditions, en bonne critique, il faudrait faire remonter la leçon à l’auteur lui-même, car on ne s’explique pas comment les copistes auraient opéré partout une substitution si singulière. D’un autre côté, on ne comprend pas davantage comment un écrivain, qui paraît versé dans l’histoire et la géographie assyrienne, a pu dater son récit d’un Nabuchodonosor, roi de Ninive et vainqueur des Mèdes » (Ferd. Prat, dans DBV, t. III, col. 1829). Aucune solution « de tous points satisfaisante ».

Sur le Nabuchodonosor du livre de Daniel, et, dans le même livre, sur Darius le Mède, Astjage, etc., voir dans Dict. Théol., Bigot, art. Daniel. Ezéchiel (xxix, 18-20) annonce que l’Egypte sera livrée à Nabuchodonosor en récompense des services qu’il a rendus contre Tyr. Or sur un petit fragment d’inscription cunéiforme on lit que, la 37e année de son règne.

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BABYLOiNE ET LA BIBLE

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Nabucliodonosor alla en Egypte ; aussi les historiens TiELE, Mac Clrdy, Maspero, Rogers, Winckler, etc., ont-ils admis la réalité de cette expédition, qui avait été contestée par plusieurs critiques.

Quelques mots sur Cyriis. Avant le déchiffrement des inscriptions cunéiformes Cyrus n’était connu que par le roman de Xénophon (la Cyropédie), les récits plus ou moins légendaires d’Hérodote et de Ctésias, et divers passages de la Bible. D’après le témoignage clair des documents babjloniens, Cyrus n’est pas le « monothéiste fervent », « l’ennemi implacable des idoles y> que l’on croyait ; M. Vigouroux le remarque fort justement (BDM^, t. IV, p. 4 1 3). Les anciens commentateiu’s de la Bible ont été sans doute induits en erreur par quelques passages des prophètes, pris au pied de la lettre trop facilement, et sui-tout par le texte Is. XLI, 25, « Du Levant il invoquera mon nom », c’est-à-dire il adorera lahvé. Mais très probablement, d’après le parallélisme de xli, 2 ; xlv, 4> 13 ; xlii, 6, il faut ponctuer le verbe autrement, et lire « // est appelé par son nom » (voir A. Coxdamin, Le Livre d’Isaie, p. 249).

Quant à la prise de Babylone, nous sommes avertis par les inscriptions qu’il ne faut pas prendre au pied delà lettre les détails de la mise en scène dans l’annonce de cet événement par les prophètes (Is. xiii ; XLVi, 1, 2 ; XLvn ; Jér. l, li). Les conquérants sont entrés à Babylone sans coup férii- (bala saltiim) ; le changement de souveraineté s’est opéré sans secousse, et l’installation de Cyrus dans sa nouvelle capitale s’est faite, semble-t-il, d’une façon pacifique et toute naturelle. On peut constater à quelques joiu*s près la succession des règnes svu" de nombreux contrats de cette époque, publiés parle P. Strassmaier. Dans les tableaux poétiques des passages cités, sous les images et les métaphores, deux faits souverainement importants pour le peuple élu ont été prédits d’après la révélation divine : la chute de la dynastie qui régnait alors à Babylone, et la fin de la captivité juise. Cette double prophétie s’est exactement réalisée (voir Etudes, t. XCIII, p. 448-453).

Cette énumération n’a pas la prétention d’être complète, loin de là ; il faut nécessaii-ement se borner à quelques exemples. En A^oici encore deux ou trois, avant de passer à un autre sujet.

Un mot d’Ezéchiel était le plus ancien témoignage sur la ville de Helbon, au nord de Damas, et sur son vin fameux (Ez. xxvii, 18). Or, le vin de Hilbunu se trouve mentionné dans une inscription de Nabuchoilonosor et dans une liste de vins sur une tablette ])ilingue. — Il y aurait une foule de rapprochements intéressants à faire entre les noms géographiques donnés par la Bible, et ces mêmes noms retrouvés dans les inscriptions. Mais ce sujet ayant une portée apologétique moins considérable, on ne saïu-ait entrer ici dans le détail. Le lecteur pourra consulter les articles du P. DnoRME sur Les pays bibliques au temps d’El-Amarna, RB, oct. 1908, p. ôoo-Sig ; janv. 1909, p. 50-73.

Obstiné dans l’étrange théorie dont j’ai parlé plus haut (col. 333), M. Maïu-ice Vernes n’a pas voulu profiter des rudes leçons que lui infligeait l’assyriologie. Il prenait en pitié les savants qui n’ont pas su voir dans le livre de Jérémie « une composition libre, d’un caractère franchement pseudéjngraphe ». A propos de Jér. vii, 18 ; viii, 2, il déclai-ait avec une parfaite assm-ance : « Les allusions au culte de « la reine du ciel » et à l’astrolâtrie nous transportent en plein paganisme syro-phénicien ou syro-grec » {Du prétendu polythéisme des Hébreux, 2’partie, p. 441).

Voici le passage du prophète :

Les enfants ramassent du bois,

les pères allument le feu,

Les femmes pétrissent la pâte

pour faire des gâteaux à la reine du ciel…

Au lieu de nous transporter dans le monde syrogrec, les expressions de Jérémie rappellent, à n’en pouvoir douter, un usage du culte babylonien. « La reine du ciel », c’est la déesse Istar : sarrat samé est justement un des noms sous lesquels on l’invoque. L’offrande de gâteaux fait réellement partie de son culte. Le mot hébreu kan’àn, gâteau cuit, employé seulement ici et dans un passage parallèle (xliv, 171 9), est identique au mot babylonien kamânu, kawânu, usité, pour le même rite, avec le même sens (Jensen). Ce terme technique, si bien saisi et conservé par Jérémie, a été emprunté à Babylone en même temps que le culte de la déesse (Zimmerx, KAT^, p. 440- Quant à l’astrolâtrie, pas n’est besoin pour l’expliquer de descendre à l’époque grecque, attendu que les divinités astrales étaient en honneur à Babylone depuis un bon nombre de siècles.

Enfin, à côté de l’histoire, de la géographie et de l’archéologie, l’étude de la langue babjlonienne el assyrienne est pleine d’intérêt, même du point de vue qui nous occupe. Il suftit, pour s’en rendre compte, d’ouvrir les dictionnaires hébreux de Gesexius-Buh : . ou de Gesexius-Browx. On peut voir quelques exenples dans Etudes, t. XCIII, p. 434-436.

Le Code de Hammourabi et la Loi mosa’ique.

— Le code de Hammourabi, découvert à Suse en dt cembre 1901-janvier 1902, est daté par le fait mêm qu’il a pour auteur ce grand roi de Babylone (voir plus haut, col. 352). C’est la codification, avec additions et modifications, des lois et coutumes qui, vers 2050 avant Jésus-Christ, existaient en Babjlonie depuis un certain temps. Plusieurs dispositions et formules juridiques du code se trouvcnt déjà dandes contrats antérieurs à l’épocpie de Hammourabi

ScHEiL déchiffra aussitôt ce document incomparable, le traduisit et en donna une admirable édition dans l’espace de cjuelques mois (grande édition en 1902 ; édition de vulgarisation en 1904 : je m’en servirai beaucoup dans les pages suivantes). C’étai’l’année même où éclatait la controverse Babel une Bibel ; et l’on vit paraître bientôt toute une sérit d’études sui’cette législation comparée à la législa tion mosaïque. Un des plus importants travaux es celui de M. Stanley A. Cook, The Laws of Moses ant The Code ofHammurabi, igo3. Signalons encore ceu : de D. H. MÛLLER et de H. Gri.mme. On ne peut songe à faire ici cette comparaison en détail. Il suffira d’s’en tenir aux points principaux, à ceux qui metten le plus en relief l’analogie ou la différence des deu : codes. Moise — quelle que soit l’époque exacte d l’Exode (voir plus haut, col. 353) — a vécu plusieur siècles après Hammourabi. De plus, sa législation reçu, au cours des siècles (au sentiment même de exégètes catholiques les plus conservateurs, tel qii M. Hoberg), des compléments et modifications asse considérables. Il n’est pas nécessaire, pour le but i( visé, de distinguer ces diverses couches, et de leu assigner une date ; il resterait toujours la ditficull de savoir si telle loi, avant d’être codifiée, n’éta pas en usage depuis un temps plus ou moins long.

(Le signe § indique les articles du code de Hai mourabi.)

Le mariage et la famille.

Le mariage. — Chez les Babjloniens, c’est le pè’qui choisit une femme pour son fils (§§ 155, 156, 16C D’après un contrat du temps de Cyrus, un jeur homme, à l’insu de son père, avec l’appui de son frèi

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et d’un officier du roi, avait épousé une jeune fille. Le père porte l’affaire devant le tribunal ; le mariaf ; e est déclaré nul ; la tablette du conti-at est brisée (BA, t. IV, p. II).

Le mariage est un contrat ; acte doit en être dressé sous peine de nullité (§ 128).

Outre les cadeaux qu’il peut faire, le fiancé doit payer une somme d’arg-ent (tirliatu) au père de la fiancée (§§ 163, 164, 166). On a pensé généralement que chez les Babyloniens, comme chez les anciens Israélites et les Arabes de nos jours, cette somme à payer représentait un prix d’achat. Contre cette manière de voir M. Edouard CuQ, professeur à la Faculté de Droit de Paris, a fait valoir de fortes objections. En particulier, la tlrhatu, ainsi comprise, ne s’accorde guère avec la seriqtii, dot (= ; trousseau, dans la première édition de la traduction de Scheil), remise au mari par le beau-père. « On ne conçoit pas que le père remette de l’argent au mari pour subvenir aux besoins de la fille qu’il lui a vendue… » De A ?, , la tirhatu n’est pas indispensable (^ iSg) ; elle est remise lors des fiançailles et parait être devenue une simple garantie contre la rupture des fiançailles (§ 159). Enfin, la femme n’est pas traitée par la loi comme un objet (le propriété ; elle n’est pas dépourvue de capacité juridique (§§ 146, i^/. 151, 162, 163, etc.). Ainsi, « l’existence du mariage par achat, à Babylone, au temps de Hammourabi, n’est rien moins que démontrée… La tirhatu n’est plus qu’un souvenir de l’époque où le mariage par achat était usité » (RB, 1906, p. 35 1368). Contre l’abus qu’on fait de l’argument d’analogie M. Cuq remarque avec raison : « Certains auteurs semlilent croire que l’histoire comparative du droit fournit des arguments décisifs pour expli<fuer les points obscurs des lois anciennes ou pour en combler les lacunes. On ne saurait trop protester contre cette appréciation » (p. 360).

Chez les Hébreux, ce sont également les parents fjui choisissent la fiancée (Gen., xxxviii, 6 ; xxiv, 4 ; xxi, 21 ; Ex., XXI, 9, 10). Parfois le jeune homme prend une épouse de son choix, malgré le déplaisir des parents (Gen., xxvi, 35 ; xxvii, 46 ; Jud., xiv, 3). Pas plus que chez les Babyloniens le consentement de la jeune fdle n’est ordinairement requis. Le rnéhar payé par le fiancé peut être considéré, dans une certaine mesure variable sans doute suivant les temps, comme un prix d’achat (Gen., xxxiv, 12 ; Ex., xxii, 16). La jeune fdle est donnée parfois en récompense d’un exploit (Jos., XV, 16 ; I Sam., xviii, 25) ou pour prix d’un service rendu (Rachel et Lia, Gen., xxix. 18, 27).

L’homme qui a séduit une vierge doit l’épouser en payant la somme ordinaire (Ex., xxii, 16, 17 ; Deul., XXII, 28, 29). Cette dernière loi n’a point d’équivalent dans le code baliylonien.

Hammourabi ne signale qu’un petit nomijre de cas d’unions illicites pour cause de parenté. Si, après la mort du père, il y a conunerce entre le fils et la mère, les deux coupables sont brûlés (§ 15^) ; si c’est entre le lils et la femme principale (rabttii, suiv. Lehmann) de son père (hu|uelle ne sérail pas sa mère), ce fils est seulement chassé de la maison palcM-nelle (§ 158). La peine est légère aussi pour l’homme qui a commerce avec sa lille : il est chassé de la cité (§ 15^). Si un père al)use de la femme qu’il a donnée à son (Ils et cela après la consomnuilion du mariage, le’oupable est lié et jeté à l’eau (lire inaddusu, au lieu le inaddusi, § 155) ; si avant, le mariage est dissous i 156).

Le législateur hébreu énumère douze cas d’iuter iclion de mariage entre parents ; des peines sévères

"nt édictées contre les coupables (Lév., xviii, G-18 ; ^x, II. 12. 19-21 ; Deut., xxii, 30 ; xxvii, 20, 22. 23). >i 1 union criminelle d’un père avec sa lille n’est pas

mentionnée dans cette liste complète de Lév., xvni, c est plutôt par suite d’une omission de copiste que par sous-entendu.

Polygamie, bigamie, monogamie. — « Nulle pari dans le monde sémitique nous ne trouvons la polygynie aussi restreinte qu’en Babylonie » (S. A. Cook, /. c, p. 114, 115). Voici quelques lois sur ce sujet :’( Si un homme a épousé une SAL-3IE*, et si elle a donné à son mari une servante qui produise des enfants ; si cet homme se disposée prendre une concubine, on ne le lui permettra pas ; qu’il ne prenne pas une concubine t> (§ 144). « Si un homme a épousé une SAL-ME, et si elle ne lui a point donné d’enfants, et s’il se dispose à prendre une concubine, il peut prendre une concubine et l’introduire dans sa maison. Cette concubine ne sera pas mise au même rang que la SAL-ME » (§ 145).

« Si un homme a épousé une SAL-ME, et si elle a donné à son mari une servante qui lui enfante des enfants ; si ensuite cette servante veut devenir l’égale de sa maîtresse ; parce qu’elle a eu des enfants sa maîtresse ne peut plus la vendre ; elle lui fera une marque et la comptera parmi les esclaves » (§ 146). C’est exactement le cas de la rivalité d’Agar et de Sara (Gen., xvi, 3, 4). Rachel et Lia donnent aussi chacune leur servante à Jacob pour qu’il en ait des enfants (Gen., xxx, 1-1 3).

En Israël — sans parler des Juges ou rois polj-games, Gécléon, David, Salomon — la bigamie paraît avoir été en usage, et pas seulement chez les gi’ands ; cf. l’histoire d’Elqana (I Sam., i, i). et surtout la loi du Deutéronome, xxi, 15-17, et encore, semble-t-il, la façon de parler de l’Ecclésiastique, xxxvii, 1 1. Cependant la bigamie n’était pas l’idéal ; les figures des prophètes qui représentent la nation d’Israël comme l’épouse de lahvé supposent la monogamie comme type normal et parfait de l’union conjugale (S. A. Cook, p. 115).

Adultère. — Chez les Babyloniens, l’homme et la femme pris en flagrant délit d’adultère sont jetés à l’eau, « à moins que le mari ne laisse vivre sa femme, et que le roi ne laisse vivre son serviteur » (§ 129). Quant à la femme qui a fait tuer son mari pour en prendre un autre, elle est empalée (§ 153). Incriminée d’adultère sans preuve convaincante, la femme peut se disculper par un serment (§ 131) ou par l’épreuve de l’eau, en se plongeant dans le fleuve (§ 132). De même en Israël, peine de mort pour flagrant délit d’adultère (Deut., xxii, 22). En cas de soupçon, la femme doit subir le jugement des eaux amères (Xum.,

1. Le sens de ce mot SAL-ME est discuté : ScHi 11. WiNCKLER, Peisi R, Hakper traduis^eiit « femme « ; Sclicil confirme ce sens par l’inscription d’une statue du Louvre qu’il veut bien me signaler, où la reine.apir-asu, femme de i’ntd -GALest appelée deux fois SAL-ME. (S’il s’agit du texte publié dans Tcxira rlamitfs-aiizanite/i,’2" série, 190’i, p. 2, il porte : S.iL-ME Napir asu rutit Unta.s G AL, « Dame A’apir-asoii, épouse de Ountai^-GAL ». Ce texte serait plus décisif si, au lieu de riitii =^ épouse, il disait SAL-ME de Uiitas-G.AL.) Selon Fr. Tul’heai-Dangin, dont une obligeante communication me fournit les renseignements suivants, le sens d’ « épouse » parailexclu parle texte de Goudéu Cyl. B, XI, 3, où les sept filles du dieu Nin-girsou et de la déesse Baou sofit appelées S-ti-.VA", et par la Phique ovale d’Ourou-kagina, col. v, lO sq., où lune de ces déesses est désignée comme la SAL-ME chvv’xc de Xin-girsou (qui est son père !). En employant tantiM assalitni, lantiM SAL-ME, le rédacteur du Code de Hammourabi distinguerait deux sortes d’épouses de rangdifférent : SAL-ME, orditiairemenl jeune fille, vie ri^e ^scvailici nnc fille de condition’cf. Fr. Tiiireau-Danci. n, Les inscriptions de Sumer et d Ahkad, ly05, p. 90, n. 3 ; édition allemande, p. 56). — Le sens donné par C. H. V. JoiiNS, dans ces §§ du Code, « votary x, c est-àdire femme consacrée par vœu à quelque divinité, n’est pas probable (oir Johns DBH^ Extra vol., p. 591 » ^. 363

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V, I i-31). Dans l’épreuve subie à Babylone k il fallait un véritable miracle pour sauver l’innocent, ici, au contraire, l’épreuve était inoffensive et l’intervention miraculeuse était nécessaire pour punir la coupable » (J. Amalric, La condition de la femme dans le Code d’Hammourabi et le Code de Moïse, p. 52).

Répudiation. — Le pouvoir de répudier une épouse découle assez naturellement de l’idée que la femme est un bien utile : si le mari, qui en a payé le prix (là où c’est l’usage), découvre ensuite en elle certaines tai-es, il n’est pas tenu de la garder. — Le droit de répudiation est limité dans le code de Hammourabi ; incidemment quekpies motifs de divorce sont indiqués : la stérilité de la femme (§ 138), ou sa mauvaise conduite (§ 141). Le mari n’a pas le droit de renvoyer sa femme pour raison de maladie ; il doit la garder chez lui et la nourrir ; mais il peut en prendre une autre (§ 148). De son côté, si elle est notablement négligée par son mari, la femme est libre de divorcer (§ i^a). Plusieiu’s lois règlent les arrangements de biens à faire en cas de divorce (§§ 13^-142).

Chez les Hébreux aussi la répudiation est permise et réglée par la loi (Deut. xxiv, i-4). Les motifs qui légitiment le divorce sont exprimés là par un terme très général qui a suscité de nombreuses discussions : i< Si le mari découvre dans sa femme quelque chose à’inconvenant « (on traduit de diverses façons : « repoussant », « honteux », « réi^réhensible »), soit au point de vue physique, soit surtout au point de vue moral. Cette permission du divorce est accordée par Dieu à cause de la dureté de cœur du peuple d’Israël (Mat. xix, 8 ; Marc, x, 5) ; c’est plutôt une tolérance ; la désapprobation divine est nettement marquée par Malachie (ii, 13-16).

Devoirs envers les parents. — Le code de Hammourabi ne répète pas les anciennes lois sumériennes, suivant lesquelles le fils qui renie son père est vendu comme esclave, celui qui renie sa mère est chassé de la maison et de la ville. Il dit seulement : « Si un fils a frappé son père, on lui coupera les mains » (i^ 196). Le père ne doit pas renier aussitôt son fils pour un crime grave qui mériterait ce châtiment ; une première fois il fermera les yeux ; s’il y a récidive, il pourra sévir (§ 169).

Dans la loi hébraïque c’est uniformément la peine de mort pour le fils qui frappe son père ou sa mère (lîx. XXI, 15) et pour celui qui maiulit son père ou sa mère (Ex. xxi, 17 ; Lév. xx, 9). Le fils rebelle, débauché et incorrigible, s’il est accusé par ses parents et condamné par les anciens de la ville, est lapidé (Deut. XXI, 18-21). Chez les Hébreux plus qu’ailleurs la dignité et l’autorité de la mère sont sauvegardées par la loi ; comparez les livres sapientiaux : Prov. iv, 3 ; XXIII, 22 ; XXXI, io-31 ; Eccli. iii, 2, etc.

Le code de Hammourabi ne mentionne la veuve que pour fixer la part de biens qui lui est due après la mort du mari (§ l’jz), et, dans le cas où elle veut se remarier, pour régler la tutelle des biens qui reviennent aux enfants du premier lit (§ l’j’j). Le code hébraïque, sans contenir des dispositions juridiques aussi savantes, témoigne d’une plus grande sollicitude : « Vous n’affligerez point la Acuve » (Ex. xxii, 22). Tous les trois ans une partie de la dîme lui est réservée ; elle aie droit de glaner et de grappiller après les récoltes (Deut. xiv, 28-29 ; xxiv, 19, 20).

L’adoption juridique ne semble pas avoir été en usage dans l’ancien Israël, tandis qu’elle était fréquente à Babylone, comme l’attestent les lois et les contrats.

Esclavage. — Un bon nombre de lois de Hammourabi s’occupent des esclaves, mais toujours dans l’in-Urèt du maître. Elles déterminent les conditions de vente, d’affranchissement, de restitution ou répara tion en cas de dommage, etc. Le maître est autorisé à couper l’oreille à l’esclave qui se révolte (§ 282). Rien ne protège l’esclave contre un traitement cruel. C^hez les Hébreux, si le maître, en frappant son esclave homme ou femme, lui crève un œil ou lui fait tomber une dent, il doit, en compensation, lui donner la liberté (Ex. xxi, 26, 2’j). Le Deutéronome recommande : « Tu ne livreras pas à son maître l’esclave fugitif réfugié auprès de toi » (xxiii, 15, 16). C’est considérer dans l’esclave l’homme qui souffre, c[ui probablement veut se soustraire à un maître trop dur. Le code babjdonien prononce la peine de mort contre tout homme qui abrite chez lui un esclave en fuite (§ 19). Ici on ne voit dans l’esclave qu’une propriété : le receleur d’un bien quelconque est puni de mort (cf. § 7). Grande ressemblance, au contraire, pour le cas suivant :

« Si un homme a contracté une dette, et s’il a donné comme esclaves, pour de l’argent, femme, fils ou fille, ils serviront durant trois ans dans la maison de leur acheteur et maître ; la quatrième année ils seront remis en liberté » (§11-) « Quand tu achèteras un serviteur hébreu, il servira six années ; la septième il s’en ira libre, sans rien payer » (Ex. xxi, 2 ; cf. Lév. XXV, 39, 40 ; Deut. xv, 12).

Quelques comparaisons en matière de justice

Vol et brigandage. — « Si un homme a volé ou bœuf, ou mouton, ou âne, ou porc, ou barque, si c’est au dieu ou au palais, il restituera au trentuple ; si c’est à un moiichhînou (classe de citoyens mal définie), il compensera au décuple » (§ 8).

« Si le voleui’n’a pas de quoi payer, il sera mis à mort » (ibid.).

« Si un homme a perforé une maison, on le tuera et on l’enterrera devant cette brèche » (§ 21).

<i Si un homme a exercé le brigandage et a été pris, cethomme sera mis à mort » (§22).

Dommages. — « Si un bœuf, en passant dans la rue [Ungnad.Z^, avr. 1904, p. 16, et Harper], a frappé delà corne ettuéun homme, cette cause ne comporte pas de réclamation » (§ 250).

« Si le bœuf d’un homme a l’habitude de donner des coups de corne, et si le maître, averti de cette habitude vicieuse, n’a pas couvert les cornes ni entravé son bœuf, si ce bœuf a frappé et tué le fils d’un homme libre, le maître j « aiera une demi-mine d’argent » (§ 251).

M Si c’est l’esclave d’un homme libre (qui est tué), on paiera un tiers de mine d’argent » (8 252).

Dépôt mal gardé. — « Si un homme a versé, pour emmagasinement, son blé dans la maison d’un autre, cl si dans le grenier un déc’ict s’est produit, soit que le maître de la maison ait (luvert le magasin et ait

Ex. XXII. « 1 Si un homme a volé un bœuf ou un mouton, s’il l’a tué ou vendu, il restituera cinq bœufs pour un bœuf et quatre moutons pour un mouton.

  • Si ce qu’il a volé, bœuf,

âne ou mouton, se trouve vivant entre ses mains, il restituera le double.’^^ S’il n’a rien, il sera vendu pour (payer) ce qu’il a volé.

2 Si le voleur est surpris en délit d’effraction, et ?i, frappé, il en meurt, on n’est pas responsable du sang.

3 » Mais si le soleil est levé, on est responsable du sang, il faut compenser. »

Ex. XXI. « -* Si un bœuf frappe de sa corne un homme ou une femme, et que la mort s’ensuive, le bœuf sera lapidé ; on n’en mangera pas la chair ; mai » le maître du bœuf sera ac-, quitté. I

29 Mais si le bœuf aTaitf déjà l’habitude de frappei de la corne, et si son maître averti ne l’a pas surveillé le bœuf sera lapidé, s’il tiu un homme ou une femme et son maître aussi mis i mort. 30 Si une rançon es fixée, il paiera pour le ra chat de sa vie tout ce qu est fixé. 31 Si le bœuf frappi un fils ou une fille, la lo sera appliquée. 32 S’il frappa un serviteur ou une ser vante, on paiera au maîtr de celui-ci trente sicles d’aï gentetlebœuf sera lapidé.’Ex. XXII, 7-9 : « Si u homme donne en garde i un autre de l’argent ou de meubles, et si on les vol dans la maison de celui-ci 3(35

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pris du blé, ou soit qu’il conteste sur la quantité totale du blé qui a été versée chez lui, le propriétaire du blé poursuivra son blé devant le dieu, et le maître de la maison doublera la quantité de blé qu’il a prise et la donnera au propriétaire du blé » (§ 120, trad. du p. ScHEiL, modifiée dans les derniers mots : avec JOHNS, Harper et Peisek, jetraduis ustasanania « doublera », au lieu de « remplacera »).

le voleur, si on le découvre, restituera le double. Si le voleur n’est pas découvert, le maître de la maison se présentera devant Dieu, (pour qu’on sache) s’il n’a pas mis la main sur le bien de son prochain. Quel que soit le corps du délit, bœuf, âne, mouton, vêtement, tout objet perdu, dont on dira : C’est cela ! la cause des deux parties sera portée à Dieu, et celui que Dieu aura condamné restituera le double à son prochain. »

On a beaucoup discuté sur l’expression « devant Dieu », Ex. XXII, 8 ; Graf, rejetant avec raison l’anrienne interprétation, qui entendait par Elohim les juges, pensait qu’il s’agit là d’une sentence divine, d’un oracle donné par le sort, analogue à Ouriin et Thouinmim (ZDMG., l. XVIII (1864), p. 311). Cette explication, adoptée depuis par bien des auteurs, semble condamnée par le code de Hammourabi, où le jugement « devant Dieu » comporte l’audition des témoins et l’examen des témoignages (§ g, cf. §§ io6, 10^), qui seraient inutiles si l’on s’en remettait au sort. Suivant le P. Lagrange, ce jugement de Dieu consiste en ce que le serment est déféré au défendeur par le demandeur : Dieu est juge, étant mis en demeure de punir le parjure (RB, igoS, p. 47-48). Mais comment distinguer le coupable sur-le-champ, et lui imposer la somme à payer ? Il me semble qu’après l’audition des témoins et le serment prêté une sentence précise devait être prononcée par les prêtres, au nom de Dieu (cf. Br. Meissner, Beiiiàge zum altbab. Prialrecht, § 4) Peine du talion. — « Si un homme, dans un procès en matière capitale, ne peut pas justifier le témoignage qu’il porte, il est passible de mort » (§ 3). « Si c’est « n matière de blé ou d’argent, il portera la peine de ce procès » (§ 4).

« Si un homme a crevé l’œil d’un homme libre, on lui crèvera un œil » (§ 196). « S’il a brisé un membre d’un homme libre, on lui brisera un membre » (§ 197). « Si un homme a fait tomber une dent à un homme de même condition que lui, on lui fera tomber une dent » i§ 200).

i< Le témoin est-il un faux témoin qui a porté un faux témoignage contre son frère, vous lui ferez subir ce qu’il avait dessein de faire subir à son frère » (Deut. xix, 18-19).

« S’il y a dommage (irréparable ) tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure » (Ex. xxi. 23-25 ; cf. Deut. xix, 21, et Lév. xxiv, 17-21).

A. Babylone on poussait l’application du talion jusqu’aux ])lus absurdes conséquences : Si la lille d’un homme libre est frappée et en meurt, on tuera la fille de l’agresseur ( ! ^ 210). Si une maison mal bâtie s’écroule et tue le propriétaire, on tuera rarcliitecle ; si elle écrase le lils du propriétaire, on tuera le lils de l’architecte (§| 229, 230). Le piincipe du talion est loin de l’idéal de la justice (cf. Matth. v, 38, 3y). A l’origine, il règle la vengeance regardée comme un devoir sacré. Peu à peu il fait place à l’usage très juste de l’indemnité pécuniaire, dont le code de Hammourabi et celui de Mo’ise nous offrent plusieurs exemples (Ex. xxi, 19, 22, 30). Enfin, dans la loi pénale proprement dite, c’est au nom de la société et pour le bien général que le délinquant est puni.

La loi babylonienne est plus dure que celle d’Israël : elle menace de la peine de mort le voleur et le receleur d’un trésor volé au dieu ou au palais (§ 6).

l’homme qui achète ou reçoit en dépôt quoi que ce soit, sans témoins ni contrat (§ 7), celui qui s’approprie et vend un objet perdu (§ 9), celui qui aide un esclave à s’enfuir (§ 15), celui qui fait effacer la marque d’un esclave (§ 227)*, etc. En tout 35 crimes punis de mort. La peine barbare de la mutilation était fréquente aussi (§§ 192-195, 205, 218, 226, 253. 282). En Israël — abstraction faite de la peine du talion — elle ne se rencontre que dans un seul cas (Deut. xxv, n, 12).

Ces quelques rapprochements font entrevoir les points de contact et les différences des deux législations. L’une et l’autre, au lieu de procéder par principes généraux, se bornent à un choix de cas particuliers et concrets. Le code de Hammourabi est plutôt un code de droit civil et criminel. Il se place au point de vue utilitaire ; son but principal est de défendre la propriété. Affermage, irrigation et culture des terres, pi’ix de location d’hommes et d’animaux, salaire des ouvriers, honoraires des médecins, achat et vente des esclaves, transactions commerciales, dots, donations et héritages, tout cela est réglé par la loi. Cette savante organisation des affaires tlénote tine civilisation avancée. Telle disposition (§ 172) « attribuant à la femme non donataire une j)art dans la succession de son mari, n’est entrée dans notre législation que depuis la loi du 9 juin 1891 » (J. Amalric, 1. c, p. 26).

Le code babylonien ne légifère pas du point de vue moral. Nulle part il ne suppose l’amour du prochain ; non seulement il ne réprouve pas la convoitise, les mauvais désirs, mais il autorise certaines pratiques immorales, telles que la prostitution sacrée (§ 181 ; cf. Hérodote I, 199 ; Bai-uch vi, 43, Vulg.). Jamais il ne s’inspire de motifs religieux pour interdire l’injustice. Il n’est pas juste, a-t-on dit, de voir là une infériorité par rapport à la loi d’Israël ; car à côté du code purement civil, il devait exister un code religieux pour les prêtres. Mais la grandeur de la Loi israélite est justement dans l’idéal et les motifs qu’elle propose en s’adressant au peuple. Elle est tout imprégnée d’un sentiment moral et religieux, même dans le Code de l’Alliance (Ex. xx, 23-xxiii, 33). plus voisin du code de Hammourabi par la date et par le sujet. Ainsi, la prohibition du prêt à intérêt, déjà formulée dans Ex. xxii, 25, est inspirée par la miséricorde envers le pauvre, sans influence babylonienne ou égyptienne (J. Hejcl, Das alttestamentliclte Zinsverbot im Lichte der ethnolog’-hen Jurisprudenz so^vie des altorienlalischen Zinsivesciis (Bi blische Studien, xii, 4) » 1907 ; cf. RB, 1908, p. 302). Plus encore, le Deutéronome contient des invitations pressantes à l’amour de Dieu et du prochain, de nouvelles dispositions pleines d’humanité pour la défense des faibles, esclaves, captifs, étrangers, veuves et orphelins ; et même pour la protection des animaux (Deut. xxii, 6, 7 ; xxv, 4). H prohibe absolument les infâmes pratiques qui souillaient les cultes païens (Deut. xxui, 17, 18). En somme, par le principe qui la domine : la volonté divine à resjjecler ; par l’esprit de justice et de charité qni l’anime, la Loi d’Israël est bien supérieure à celle des Babyloniens (cf. Laguangk, R/i, 1903. p. 5û-51).

La Loi de Moïse (lé|)end-elle de celle de Hammourabi ? C’est une question fort controversée. Quelques assyriologues, tel M. C. Joiinston, admettent facilement une dépendance réelle et directe. D’autres auteurs, qui ont étudié le sujet de très près, comme

1. /.a.se-c-im, rapporté au verbe A’â « u/, est tratîu t « inaliénable » (Scheil), « qu’on ne pi^ut pas vendre » (WiNCKLrr. el IIaiu’er) ; avec.louNS et Pkiskr jo préfère le sens de (marque) « rendue invisible, elTacce >, du verbe sé’u. 36^

BABYLOXE ET LA BIBLE

368

M. S.A. CooK, pensent que les parallèles et les analogies s’expliquent assez bien par la commune ori, i ; ine sémitique des Babyloniens et des Israélites. En particulier, la loi du talion, où les rapprochements sont frappants, s’appuie sur un principe trop ancien et trop général, pour qu’on puisse parler d’origine et d’influence babyloniennes. Suivant le P. R. Louis, O. P., « les deux législations sont venues par deux chemins difTérents d’une source commune » (La BibJe et les documents Assyro-Bahyloniens, II. La législation, dans Revue pratique d’Apologétique, vol. ii, 1906, p. 439). M. C. H. W. Jonxs se prononce pour une dépendance indirecte : « Ressemblances et différences prouvent une codification indépendante d’anciennes coutumes siu" lesquelles la loi babylonienne aurait exercé une profonde influence » (DBH, Extra vol., p. 611-612). La Aérité, encore ici, paraît être dans un juste milieu : « Gardons-nous de conclure trop vite d’une ressemblance, même frappante, à une dépendance, surtout lorsqu’il s’agit des codes des sociétés primitives » (Ad. Lods, Rev.Hist. des relig., t. LI, 1905, p. 101). D’autre part, ne redoutons pas d’admettre, comme probables ou prouvés, s’il y a lieu, quelques emprunts faits par l’auteur sacré. Le caractère inspiré des Livres saints n’en est pas compromis, comme le P. Ferd. Prat l’a montré, en apportant les ténîoignages des SS. Pères, dans ses savants articles sur « la loi de Mo’ise » (Etudes, 5 juillet 1898, t. LXXVI, p. 97).

Sans être obligé d’admettre, avec M. Coxder et M. Alfred Jeremias, que Moïse a écrit en cai-actères cunéiformes — hypothèse sans preuve, mais possible à la rigueur — on n’a plus le droit de traiter d’in-A’raisemblable son rôle de législateur. « Il ne faudra plus nier [avec Wellhausen et les critiques radicaux] la possibilité, la vraisemblance même d’une origine au temps de Moïse, ou à une époque voisine, pour un ensemble de lois comme le Livre de l’Alliance [Ex. XX, 23-xxiii, 33] » (S. Œttli, Bas Gesetz Hammurabis und die Thora Israels, igo3, p. 87). Enface du code de Hammourabi, on sent mieux l’arbitraire de certaines sentences pseudo-critiques, comme celle-ci : « L’erreur des écrivains de législation comparée, qui mettent en parallèle les lois du Pentateuque et celles des autres peuples, est de méconnaître ce point fondamental que les lois du Pentateuque ne sont pas des lois réelles, des lois faites par des législateurs ou des souverains, ayant été promulguées, connues du peuple, appliquées par des juges ; ce sont des rêves d’ardents réformateurs, des Aœux de piétistes. ..)i, etc. (Rexax, Hist. du peuple d’isiai’l, t. ii, p. 376-37’;).

Religion et morale. — L’histoire de la religion l)abylonienne à travers les siècles offre aux recherches un champ immense dont une petite partie seulement a été explorée jusqu’à présent, malgré des travaux assez nombreux. De toute nécessité il faut nous en tenir ici à quelques indications sur les points les plus importants.

Monothéisme et polythéisme. — Depuis la première conférence de Fried. Delitzsch sur Babel und Bibel (1902) une controverse intéressante s’est engagée sur la question de savoir si le monothéisme, que l’on n’avait pu découvrir encore parmi les religions anciennes en dehors d’Israël, ne se rencontrait pas, dans une certaine mesure, chez les Babyloniens. Sans l’afïïrmer catégoriquement. Delitzsch l’insinue ; il send)le admettre, en particulier, qu’à Babylone « les esprits libres et éclairés i^rofessaient ouvertement » cette croyance, tandis qu’a un polythéisme grossier se perpétuait pendant trois mille ans dans la religion de l’Etat », où les prêtres, dit-il, fortement

organisés et très puissants contribuaient à le maintenir {BB, I, p. 4g, 50). [Les prêtres cependant appartenaient à la classe la plus éclaii’ée ; et n’est-ce pas à eux que l’on doit la conservation, souvent même la composition des textes où Delitzsch voit des conceptions voisines du monothéisme ?] Dans une autre Ijrochure le savant assyriologue proteste contre les critiques et les théologiens qui l’ont accusé, bien à tort, dit-il, d’avoir représenté le monothéisme Israélite comme emprunté aux Babyloniens (BB, Ein Riichblick, 1904, p. 16-18. 23 ; cf. C.H.W.Johxs, dans l ! .rp.T., X, Y>. 44)- Enfin, dans un troisième tract, il reconnaît que, sur ce point du monothéisme, a Babylone et la Bible restent en opposition poiu" toujours ». Puis, quelques pages plus loin, il semble oublier cette affirmation si nette, et, comparant lahvé à Chamos, à Melchom, à Asour, il écrit : « Israël est le peuple élu de lahvé, mais pas de Dieu dans notre sens uni-Acrsel, pas plus que les Assyriens, parce qu’ils étaient le peuple d’Asoui", maitre des dieux, n’auraient pu prétendre au titre de peuple élu de Dieu » {BB, iii, 1905, p. 36-37, 39-41).

Sur de simples considérations a priori, Wixckler, en 1902, conclut en termes vagues à un certain monothéisme babylonien (KA T^, p. 208).

Un assyriologiie d’Amérique (quia publié en 1900 un ouvrage important sur l’histoire babylonienne des premiers temps), M. Hugo Radau, s’est avancé du premier coup incomparablement plus loin : il a découvert que « la religion babj’lonienne est une religion purement monothéiste » ou, plus exactement, « une religion monothéiste avec trinité » (préface d’un petit volume intitulé Bel, the Christ ofa/icient times, 1908, lequel est la simple reproduction d’un article iiublié dans The Monist, oct. 1903).

M, A. Jeremias a remarqué des courants monothéistes au sein de la religion babylonienne, dan-, la doctrine ésotérique des prêtres, dans les sentiments exprimés par quelques hjinnes, dans la coî : ception d’un dieu suprême avec lequel tous les autre -. dieux semblent s’identitier (Monotheistische Stromui : gen innerhalb der babylonisclien Religion, 1904). L a^oue pourtant n’avoir rien découvert qui puisse être mis en parallèle avec la foi des Hébreux en un seul Dieu. De même M. Baextsch a étudié ces faits dans leur rapport avec l’origine du monothéisme Israélite {Altorientalischer und israelitischer Monotheismus. 1906). Il admet qu’à Babylone les savants, les prêtres surtout, se sont élevés parfois à des conceptions plu> ou moins proches du monothéisme ; mais ces conceiitions sont restées dans le domaine de la spéculation, à l’usage exclusif des savants, et, par cela même, foncièrement différentes des crojances d’Israël qui s’adressaient à toutes les classes, au peuple tout entier.

Quelques mots, d’abord sur le polythéisme babylonien en général, puis sur les textes principaux où l’on a AU des tendances monothéistes.

Dans les temps les plus anciens la Babylonie n’étail pas un royaume un et homogène ; elle se pai-tageai ! « en une foule de petits royaumes indépendants formés par les diverses cités. Chacune de ces cités étai’consacrée à un dieu, qui était regardé comme sor Arai seigneur, et au nom duquel un roi ou pâtés exerçait le pouvoir » (Fr. Thureau-Daxgix, Bie Su mer. und Akkad. Kônigsinschriften, p. xiii). « Li dieu de la cité, dit à son tour l’assjriologue anglai L. W. KiNG, n’était qu’une image agrandie du patési.. Une nombreuse compagnie de dieux composaient s ; maison, étaient à ses ordres comme serAÎteiu-s oi officiers d’Etat. Des dÎA inités spéciales exerçaien auj^rès de lui les fonctions d’échanson, de gardien d ; < harem, de conducteur du char ; d’autres étaient mus ciens, ou chanteurs, ou encore bergers, intendants, architectes ou inspecteurs de la pèche et de l’irrigation. Des divinités plus importantes étaient conseillers d’Etat… Et si l’on considère que, même aux époques historiques les plus anciennes, beaucoup d’autres divinités étaient l’objet d’un culte dans la plupart des villes, en plus du dieu de la cité, et que chacune de ces divinités avait sa maison et ses ministres divins, on comprendra le grand nombre de dieux dont les noms, lors même que leiu" origine et leurs fonctions restaient obscures, étaient connus des Babyloniens et des Assyriens dans les derniers temps >. (Cr, part. XXIY, p. 5).

Au cours des siècles, quand des Etats plus considérables se formèrent, plusieurs divinités dont la nature et les attributs offraient les plus grandes ressemblances se fondirent en un dieu unique. L’importance d’un dieu se mesurait à celle de la ville dont il était le patron spécial ; le dieu principal de la cité qui, entre toutes, avait conquis la domination devenait le dieu suprême du royaume ; ainsi Mardouk à Babylone au temps de Hammourabi. Mais cela n’empêchait pas une foule de divinités secondaires de subsister à côté du dieu principal. Leur nom s’est conservé surtout dans les incantations, d’autant plus efficaces qu’elles invoquaient un plus grand nombre de dieux : la série Siirpii en nomme environ cent cinquante (Morris Jastroav jr. Religion ofBabylonia, dans DBH, Extra vol., p. ôS^’^).

Malgré les simpliOcations qui ont pu se faire dans les derniers siècles par suite de l’encombrement du panthéon, les Babyloniens et les Assyriens ne se sont jamais élevés à l’idée d’un Dieu unique. Ainsi pensait l’historien des religions C. P. Tiele, qui a étudié l’assyriologie à fond aOn de mieux se rendre compte de la religion de ces peuples ; il écrivait en 1888 : « Quoiqu’ils aient approché très près du monothéisme, ils n’ont pas pu faire le dernier pas si important, p.is plus que les Egyptiens, et ils ont gardé jusqu’à la lin un polythéisme monarchique » (/ïahvlonisch-assrrisclie Geschichte, p. S^g, 540). Plus tard, dans Geschichte der Religion im Altertuni I, 18g5, p. 21 5), le savant auteur n’a pas modifié ce jugement qui, semble-t-il, reste encoi-e exact aujourd’hui.

Comme preuve d’un certain monothéisme chez les Babyloniens, Fried. Delitzsch a fait appel à plusieurs noms propres de l’époque de Hammomabi, composés de ilii, dieu : Ilu-ittia, « Dieu avec moi » ; Ilii-abi, « Dieu est mon père » ; A’èl-ilu, « Serviteur de Dieu » ; « Dieu a donné », etc. Cette interprétation m’a toujours paru fort douteuse : « Ne doit-on pas, demandais-je, traduirclesexemplcscités : « un dieu adonné’^, « un dieu est avec moi « , ou, mieux encore, « le dieu a donné », c’est-à-dire, le dieu ins’oqué, le dieu protecteur principal de la ville, de la famille ou de l’individu » ? (Etudes, 20 déc. 1902, t. XCIII, p. ^ô^). C. Bezold, Ed. KôNiG, d’autres encore ont fait les mêmes objections. M. Hermann Uanki : , dans un ouvrage spécial sur les noms de personnes du temps de llammouraI)i s’exprime ainsi : u II n’y a, dans l’état présent de nos connaissances, aucune raison suffisante de penser que ilii, (le) dieu », dans ces noms ne se rapitorlcrail pas à un dieu parliciilier — au dieu protccleur de rcnfant ou de celui qui donne le nom — de même que ///, <( mon dieu », et ilu.su, « son dieu » (fîarly /latiyloniau Personal Names. Hammuruhi dxnasty, iyo5, p. 21/i, note 3). « Lorscpul’ànie se trouve en présence de son dieu, remarque justement le P. Laora.noe, ce dieu fût-il innomé.ou I quand bien même on indiquerait sa généalogie, elle i lui prodigue toutes les épilhèles qui conviennent à h « divinité <-l le met sans hésiter au-dessus de tous l’s dieux » (i : RSi, p. 21). Tout récenunent, au Con grès des religions à Oxford, à propos de la religion des anciens Egyptiens, M. Flixders Pétrie disait aussi : « Le Dieu sous lequel un homme était né et vivait était pour lui le dieu… Les appellations copimunes de « Dieu » ou de « Grand Dieu » dans les inscriptions religieuses désignent naturellement le dieu local » (Transactions of the third international Congress for the History of religions, vol. I, igo8, p. 188).

Delitzsch s’était appuyé aussi sur un texte (publié par T. G. PixcnES en 1896, et de nouveau par L. W. KiNG, CT, part. XXIV, pi. 50, p. 9 transcr. et trad.), où Ton voit plusieurs grandes divinités présentées comme de simples manifestations de Mardouk :

Ninib = Mardouk (en tant que dieu) de la force. Nergal = : Mardouk » de la guerre.

Zamama= Mardouk » de la bataille.

Enlil = Mardouk » de la domination

et du gouvernement.

Nabou = Mardouk » de la santé.

Sin = Mardouk, illuminateur de la nuit, etc.

PixcHES estime, sans raison suffisante, que ce texte peut remonter à 2.000 ans aA’. J.-C. (The religion of liubvlonia and Assyria, 1906, p. 118). Zimmerx (KA T— p. 60g) et A. Jeremias (Munoth. Stroniungen, p. 4 et 26) le datent de la basse époque babylonienne (vers le vi*’siècle av. J.-C). Jkxsen et Bezold semblent trop sévères contre l’interprétation de Delitzsch. D’autres assyriologues, se refusant à voir là l’expression d’un monothéisme proprement dit, y reconnaissent pourtant une sorte d’hénothéisnie ou même la tendance à une conception monothéiste (Zim.meux, KAT’^, p. 609 ; C. H. W. Jou.Ns, Exp. T., t. XV, p. 45 : Morris Jastrow jr, DBH, Extra a’oI., p. 550 ; L.^^’. KiNG^ CT, XXIV, p. 9). Il faut remarquer, aver Bezold, que d’autres listes analogues identifient diverses divinités avec Éa, ou Bel, ou Ninib, on Nergal, etc., ce qui paraît indiquer, dans les différente centres religieux, une tendance à simplifier le panthéon, à tout rapporter au dieu principal, sans qu’on puisse savoir au juste le sens de ces spéculations. Mais il y a loin de là au monothéisme qui proclame un Dieu unique, et regarde comme néant tous les autres dieux. N’oublions pas que le culte de la déesse Istar a toujours été en grand honneur en Babylonie et en Assyrie ; tandis C{ue les Hébreux n’ont pas même un mot dans lem— langue pour signifier déesse. Les derniers rois de NiniAC et de Babylone dans leurs inscriptions invoquent pieusement les dieux et les déesses ; de même les simples particuliers dans leurs lettres, à la même époque : Salul au roi mon maître ! Que Asour, Bêlit, Sin, Samaé. Adad, Mardouk, Zarpanitoum, Nabou, Tasuu’toun : , Istar de NiniAC et Istar d’Arbèle, Ninib, Nergal, Laz, les grands dieux du ciel et de la terre, et les grand> dieux gardiens du pajs d’Assouret du pays d’Akkad bénissent le roi mon maître abondamment, aboi ! daunnént ! » (11. F. llxnvF.ii, Assyria n and hahyloniai : I.eilers, n. 358 ; cf. 11. Campbell TuoMrsox, Laie bubylonian f.elters, 1906).

Examinons un autre document cunéiforme, proA^enant des récentes fouilles de Ta’annek en Palestine, et trop rapidement expU)ité dans plusieurs otivrages de ces dernièn^s années. C’est une lettre de ro|)oque d’El-Amarua (vers 1400 av. J.-C), où un certain Ainiaini, cananéen, s’exprime ainsi : QwQ le maître des dieux garde la vie… » ; puis il est « jucstion de vulgaires affaires, et un peu plus loin, lignes 13-20 : « Pleure-t-on encore (la perte de] tes villes, ou es-tu rentré en leur possession ? Au-dessus de ma tête il y a quelqu’un qui est au-dessus des villes ; eh bien, vois sil veut le faire du bien ! De plus : s’il montre sa 371

BABYLONE ET LA BIBLE

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face (ou sa colère), ils (les ennemis) seront confondus et la victoire sera grande. » Au jugement de M. E. Sellin, directeur des fouilles de Ta’annek, c’est là une monolâtrie, telle quon peut la supposer chez les Israélites de cette époque (Tell Ta’anneA, dans Denkschriften der k. Akad.der lVissenschafien, V’ien, 1904, t. L, p. 108).

Dans son travail déjà cité, AJtorient. und israelit. Moiiotkeismus (i<jo6), Baentsch revient plusieurs fois sur ce texte (p. 40, 56-5^, 86) ; il le considère comme sur, il en fait le plus grand cas, et lui fait jouer un rôle important dans l’histoire religieuse des anciens Cananéens. Paul Volz s’en sert également dans son étude siu" Moïse (Mose, 190^, p. 27). Dans ATAO^ (1906), p. 323-324, -^- JEREMivscitele fameux passage et ajoute : « Elle aurait pu écrire en ces termes au roi de Tyr, et Elisée au roi de Damas. L’auteur de cotte lettre connaît le Seigneur des seigneurs, le Dieu des dieux… Il y a là plus qu’un courant latent de monothéisme. » Tout le monde suit, avec une pleine confiance, la traduction de Fr. Hrozxy, l’assyriologue qui le premier a interprété cette tablette ; et l’on ne tient aucun compte de sa remarque expresse que, poiw tout le passage traduit plus haut, pour les lignes 13-20 « en partie mutilées d’une façon notable, et dont le sens est difficile, la transcription et la traduction doivent malheureusement être regardées comme douteuses » (Tell Ta’annek, 1. c. supra, p. 116).

— Mais, en supposant la traduction exacte, s’agit-il, dans ces lignes, d’un dieu suprême ? et non pas plutôt du Pharaon, ainsi que M. Sellin avoue l’avoir pensé dabord ? De fait, les lettres d’El-Amarna contiennent bien des appels au roi d’Egypte en des termes analogues qui le feraient prendre pour un dieu.

Donc, transcription, traduction et interprétation douteuses. Il faudrait une base plus ferme pour appuyer des conclusions scientifiques.

En présence des sentiments élevés, exprimés dans les prières dont il sera question plus loin, il ne faut pas non plus se hâter de conclure au monothéisme de celiïi qui parle. Un dieu, Mardouk ou un autre, est imploré comme le plus puissant, exalté parfois si haut que les autres dieux sem]>lent disparaître (cf. Lagraxge, un peu plus haut). Chez les Assyriens, le dieu Asovu’occupe un rang tout à fait à part : il n’a ni père, ni enfant ; mais d’autres dÎAinités sont invo<juées en même temps. « Jamais on n’a tenu Asour ni Mardouk poui- un dieu qui n’en souffre point d’autres à côté de lui, en le concluant comme conséquence logique de la croyance qu’il ne peut y avoir qu’une seule Puissance dirigeant l’univers et de laquelle viennent toutes choses » (Morris Jastrovv jr, DBH, Extra vol., p. 550^, cf. p. 54’; ).

La haute idée de l’Etre divin expi’imée dans les hymnes ne doit pas nous faire oul)lier l’idolâtrie réelle et générale, dont quelques prophètes hébreux ont dénoncé l’absurdité. Suivant plusieurs auteurs rationalistes, Dlhm entre autres et plus récemment Delitzsch, ces satires bibliques du culte païen porteraient à faux ; elles supposeraient à tort l’identification des dieux et de leurs images. A cela on peut répondre que les prophètes, spécialement ceux du temps de l’exil, avaient vu les choses d’assez près, tandis que dans les textes c’est plutôt le beau côté de la religion qui se montre à nous ; pour l’Assyrie et la Chaldée, comme pour l’Egypte, les docmnents nous font connaître surtout le culte officiel ; sur le culte populaire et les idées du vulgaire nous sommes très peu renseignés. De plus, si le culte des pierres et des arbres sacrés confondus avec la divinité a été si fréquent dans l’antiquité, on peut bien penser que les statues des dieux n’étaient pas regardées comme de pures représentations : on les croyait habitées.

animées par le dieu ; et de là le peuple pouvait passer facilement à l’idolâtrie proprement dite (cf. A. CoxDAMix, Le Livre d’Isaïe, p. 283, 284). Les Babyloniens « allaient jusqu’à prier les fleuves, les canaux, les temples, les villes sacrées, leurs portes », V. g. : « Que le Tigre, l’Euphrate, le canal Mekalkal. le canal Durkiba, le canal Shitar, le canal Arahtum. cher à Marduk, t’absolvent… que la porte, et le nom de la porte, et Je maître de la porte et le génie tutélaire de la porte t’absolvent, te délivrent !)>(Fr. Martin, TB, 1903, p. xiii).

Concluons avec le P. Lagrange : en dehors des Hébreux « le véritable monothéisme : il n’y a qu’un Dieu, et il est luon Dieu, ne se retrouve nulle part » (ÉRS^, p. 439).

Le nom de Lahvé. — Les assyriologues Sayck, Pin-CHES, Delitzsch pensent que le nom du Dieu d’Israël, lahvé, était connu en Babylonie au temps de Hanimourabi, 2000 ans av. J.-C. Impossible d’entrer dans la discussion détaillée de cette question si souvent traitée depuis une dizaine d’années. (Voir les articles du P. Lagrange dans BB, 1903, p. 3^6 ; 190’j, p. 383386 ; Sayce et Hommel dans Exp.T., IX, p. 622 ; X, p. 42 ; XI, p. 270 : XYII, p. 26 ; XYIII, p. 332 ; XIX, passim ; Babel und Bibel, L p. 4/ ; H, p. 20 ; A’.^r^^p. ^gg ; ZA, XYI, p. 403, lib XVII, p. 2’ji ss.)Avec les assyriologues Zimmern, Bezold, Ranke, Hilprecht et S. Daicues — ce dernier vient de discuter de nouveau la question dans Z.4, XXII (nov. 1908). p. 126 ss. — je pense qu’on n’a pas encore démontré la probabilité de la présence du nom de lahvé dans les noms Ia--PIilu, la-PI-ilu, du temps de Hammourabi. H. Ranke, qui a fait une étude approfondie des noms propres de cette époque, estime que pour ce nom babylonien « la lecture, la prononciation et le sens sont incertains, et que par conséquent on ne saurait guère y appuyer des conclusions importantes. Qu’il faille y voir le nom du Dieu d’Israël, lahvé…, cela me semble très improbable, même si l’on suppose sûre la lecture laluvi-ilu)> (/. c, p. 234, note 5). C’est aussi la conclusion de la récente étude de Daiches.

Dans le nom la-u-um-ilu, que l’élément Iau{m) réponde à la forme abrégée, laou, du nom de lahvé, c’est plus vraisemblable, mais ce n’est pas prouvé non plus pour L’époque de Hammourabi. C. F. Lehma>'N est convaincu que. pour ce qui est des textes d’alors, les deux noms n’offrent rien de commun (Babyloniens ; Kulturmission einst und jetzt, 1903, p. 3^).

Plus tard, vers le v^ siècle av. J.-C, le nom de lahvé se rencontre dans un bon nombre de noms juifs inscrits sur des tablettes cunéiformes ; après l’exil et le long séjour des Israélites à Babylone, il n’y a rien là d’étonnant.

Quant à l’interprétation du nom de Ahi-iami (vers 1400av. J.-C, voir plus haut, col. S^o) c’est un exemple de la façon dont on asseoit parfois de belles théories sur une conjecture aventurée. M. Hrozny commence par dire que, dans la seconde partie de ce nom, on ne peut guère s’empêcher de voir le nom de lahvé ; et il transcrit d’abord Ahi-ia-mi, puis hardiment, dans la traduction, Ahi-Ja » i. Après lui, M. Sellin se déclare convaincu delà possibilité de cette lecture « qui ouvre un horizon tout à fait étonnant » ; il exprime cependant des doutes et demande qu’on se serve de cette tablette avec circonspection — recommandation trop négligée, comme nous l’avons déjà au pour In question du monothéisme. Cependant la lecture JA/-Jawi, au lieu de Ahi-iami, déjà révoquée en doute avec beaucoup de raison par K. Marti en 1906 (Dii Religion desvlten Testaments, p. 6), a été généralemen’repoussée ; et M. Sellin lui-même écrit en 1908 : « Ei vérité la présence du nom [de lahvé] sur des tablette ;

<’unéiformes cananéennes, de provenance soit babylonienne (vers 2000) soit palestinienne (Ta’annek vers ij150), est très incertaine ^^ (Die alttestamentliche Relii ; ion im Rahmen der arideni altorientalischen, p. 61).

Messianisme. — Dans les Inscriptions cunéiformes et l’Ancien Testament. 3° édition de l’ouvrage primitif de ScHRADER, totalement refondue et différente par le fond, la forme et l’esprit, M. Zimmern se livre aux rapprochements les plus risqués entre les conceptions polymorphes du panthéon babylonien et les croyances religieuses de l’Ancien et du Nouveau Testament. A propos de Mardouk on voit apparaître le Christ, Rédempteur du monde, la plénitude des temps, le Christ envoyé par son Père, la Passion, la mort du Sauveiu’des hommes, sa résurrection et son ascension. A côté de la déesse Istar on place la Vierge Mai’ie, Mère de Dieu. Ces rapprochements se fondent sur des ressemblances superticielles, purement extérieures, matérielles ou verbales. Quel rapport véritable y a-t-il, par exemple, entre Anou. le dieu babylonien du ciel, voisin de tant d’autres dieux qui peuplent le ciel et la terre, et l’idée des Hébreux qui se représentent le ciel comme l’habitation de Dieu, son royaume, le royaume des cieux ? (KAT^, p. 352, 353). Parfois la doctrine juive ou chrétienne est mal comprise, déflgxirée, dans ces parallèles forcés ; parfois aussi le texte cunéiforme est mal interprété, comme quand M. Zimmern donne pour prototype du Serviteur de lahvé souffrant un personnage qui se dit juste, mais qui souffre sans résignation, et qui n’a pas la moindre idée d’expier les crimes des autres, c’est-à-dire qui manque des notes caractéristiques du Serviteur de lahvé dépeint par Isaïe. Tout au plus peut-on comparer ce personnage, comme on l’a fait, à Job. Il <’st d’ailleurs légitime de louer la haute poésie de ce poème du Juste souffrant. Plutôt que d’en citer quelpie fragment, mieux vaut renvoyer à la traduction iTiiplète que j’en ai donnée dans les Etudes (mars, . y03, t. XCIV, p. 803-806) et à celle du P. Dhorme {Choix de textes…, p. 872-379).

On peut dire avec assurance que rien, jusqu’ici, n’a clé retrouvé dans les textes cunéiformes qui puisse passer pour le prototype ou la source, pour le pendant ou l’analogue de l’espérance messianique d’Israël. La méthode de comparaison, ainsi conçue et ainsi appliquée, n’a rien de scientifique : souvent elle procède a priori ; elle trouve ce qu’on ce » / trouver ; pres<iue toujours elle table sur des données insuffisantes : connaissance objective insuffisante, pour ce qui conerne la religion babylonienne, où il reste tant à déouvrir et à interpréter ; connaissance subjective iicomplète, du côté de la religion Israélite, pour plu’ieurs assyriologues peu compétents danscette partie. Vussi est-ce un conseil très sage que des savants, ses ais, ont donné à M. Hugo Radau, en le priant de intinuerle déchiffrement des tablettes de Nippour, ’l de remettre à plus tard la publication de son article sur h la Trinité babylonienne, prototype de la lirétienne w (Bel, the Christ…, 1908, préface). D’autres ^syriologues, Delitzsch, Zimmern, Jensen, devraient iissi rester sur leur terrain où ils rendent des sériées éminents, et résister à la démangeaison des "mparaisons.

Prophétisme : divination, sorcellerie. — « Les asipi -ic] ou « prophètes » formaient une classe à part. A luelques points de vue ils ressemlilaient aux prophètes d’Israël. » Ainsi parlait M. A. H. Sayce dans ^es Gifford Lectures, publiées en 1902, sous le titre ^he religions ofvncient Egypt and Babyloniu. Et plus "in : « Jusqu’à quel degré le prophète babylonien

sseniblait-il au prophète hébreu, il est pour le mo ment impossible de le dire. Mais ils différaient certainement en deux points « : d’abord, le prophète babylonien était membre d’un corps sacerdotal, tandis que les fonctions de prêtre et de prophète étaient indépendantes en Israël ; de plus, à Babylone, « le prophète était intimement uni au magicien et au nécromancien » ; il en était, au contraire, essentiellement distinct chez les Hébreux (p. 463-466).

Quelques remarques sur ces assertions. D’abord le personnage babylonien qui semblerait se rapprocher le plus du prophète n’est pasl’rtii/) », lequel est plutôt exorciste, chargé des conjurations et des expiations, mais le hdrii. « Le devin par excellence, l’interprète de la volonté des dieux, le prêtre chai’gé de rendre les oracles, c’est le bàrù », dit le P. Lagrange dans une excellente étude sur les textes publiés par Zimmern (Beitrage zur Kenntnis der bab. Religion, 18961goi).

« La traduction littérale de bàrù serait voyant,

mais ce mot identique, d’après l’usage, une vision intérieure, le don de la prophétie ; le bàrù regardait surtout l’avenir dans le foie des victimes » (liB, 1901, p. 404. 405). Voir aussi les pages substantielles de M. Fr. M.rtix, Textes religieux assyriens et babyloniens, 1908, introduction.

Déjà sous Hammourabi il existait un collège de ces prêtres-devins. On les retrouve au temps des derniers rois assyriens et babyloniens : Sennachérib les consulte pour savoir la cause de la mort violente de son père Sargon. Asarhaddon est encouragé, par les bons oracles qu’ils lui communiquent, à rebâtir Babylone ; ils exercent encore leurs fonctions sous Nabonide. Des prières et des consultations adressées à Samas, le dieu-soleil, par l’intermédiaii’e du irtr « , pour obtenir la révélation de l’avenir ou de quelque dessein secret, ont été publiées par J. A. Knudtzon (Assyrische Gebete an den Sonnengott… 1898). Elles sont datées des règnes d’Asarhaddon et d’Assourbanipal.

En voici un spécimen :

« O Samas, grand seigneur, à ma demande dans ta

faveur lidèle daigne répondre ! Depuis ce jour, le troisième jour de ce mois, du mois de Arou jusqu’au onzième jour du mois de Abou de cette année, dans ces cent jours et ces cent nuits, espace de temps lixé (pour limite) à l’oracle du prêtre-devin (bàrù) ; dans cet espace de temps fixé est-ce que Kastariti avec ses troupes, ou les troupes desCimniériens, ou les troupes des Mèdes, ou les troupes des Mannéens, ou tout autre ennemi, réussiront dans leurs projets ? Soit d’assaut, soit par force, soit par les armes et la bataille, soit par une brèche, une mine, ou à l’aide des machines de siège…, soit par la famine, soit en Aertu des noms du dieu et de la déesse, soit par des pourparlers et des transactions amicales, soit par tout autre moyen et stratagème usité pour la prise des villes, prendront-ils la ville de Kisassou, entreront-ils dans les murs de cette ville de KiSassou ? S’enipareront-ils de cette ville de Kisassou, tombera-t-clle entre leurs mains ? Ta grande divinité le sait. La prise de cette ville de Kisassou, par quelques ennemis que ce soit, depuis ce jour jusqu’au (dernier) jour du temps fixé, est-elle ordonnée, résolue, par l’ordre et les arrêts de ta grande divinité, ô Samas, grand seigneur ? Est-ce qu’on le verra ? Est-cequ’on l’entendra dire ? " (Knudtzon, I. c, n" I ; cf. Jastrow, Die Religion Bab. und Assyr., Il, p. 177).

Là, comme en général dans Ihabitude d’interroger les oracles, se manifeste laferine croyancedes anciens que la divinité dirige tout ici-bas et connaît d’avance le résultat des actions humaines. Mais devant cette consultation compliquée, où les formules synonymes sont multipliées, de peur, semble-t-il, que le dieu ne comprennede travers ou n’élude la question, on songe 375

BABYLONE ET LA BIBLE

376

tout naturellement au mol de TEvangile : « putant cnim qiiod in multiloquiosuo exaudiantur « Qlat.vi, 7). Comparez un passage de la Bible où, dans la consultation de lalivé par le moyen de Téphod sur un sujet analogne, la manière de procéder est bien plus simple et plus franche (I Sam. xxiii. 9-12).

Est-ce à dire que l’on puisse mettre en parallèle les prophètes Israélites et les prêlres-devins de la Chaldée, ou de l’Assyrie, comme ont fait H. Wi.vckler {KAT^, p. 171) et Delitzsch ? (BB. II, p. 18). En peu de pages, le savant Ed. Konig a fait bonne justice de cette manière de voir qui néglige des différences profondes, pom- s’en tenir à quelques traits superliciels d’analogie (Der altère Prophetismits, 1905, p. 3-6). La première et essentielle différence entre le vrai prophète et le devin échappera toujours à quiconque refuse d’admettre le siu-natuiel, la prédiction authentique : car entre des fonctions de même ordre et purement humaines, à supposer qu’il y ait sincérité de part et d’autre, il ne peut y avoir cpi’une différence de degré. Si les prophètes d’Israël ont été favorisés de révélations divines proprement dites, il est clair qu’ils sont incomparablement au-dessus des devins de l’antiquité (voir La mission surnatutelle des prophètes d’Israël, dans Etudes, 5 janv. 1909, p. 5-32). Cependant il faudrait remarquer au moins, avec Sayce — ce serait un premier pas vers la vérité complète — que le devin de Babylone a perpétuellement recours à la magie (rites complif (ués, incantations, etc.) ; tandis que le prophète hébreu est l’ennemi déclaré des pratiques magiques : la révélation lui vient directement de lahvé, sans ])asser par les entrailles des victimes. Les prophètes hébreux, surtout ceux du temps de l’exil, connaissent bien et réprouvent hautement cette magie chaldéenne. « Le roi de Babylone, dit Ezéchiel, se tient à la bifurcation de la route pour consulter le sort [pour savoir la direction qu’il doit prendre] ; il mêle les flèches [bélomancie] ; il interroge ses dieux domestiques ; il inspecte le foie [hépatoscopie]. (Ez. XXI, 26, Vulg. 21).

… Un malheur fondra sur toi [Babylone],

que tu ne sauras conjurer…

Garde donc tes enchantements

et tes sortilèges nombreux,

où tu peinas dès ta jeunesse I

Peut-être ils pourront te servir ;

peut-être liste rendront terrible ! (Is. XLvii, 11, 12).

Dans les versets suivants le prophète, avec une exactitude remarquable, décrit en quelques mots l’astrologie et l’art d’interpréter les présages, qui avaient pris à Babjlone un développement prodigieux. (Voir spécialement R. Campbell Thompson, The reports of the magicians and astrologers ofyinet’e /< and Bahylon, 2 vol. 1900.)

En Chaldée la puissance attribuée aux sorciers, et surtout aux sorcières, était considérable, allant jusqu’à bouleverser la naliu-e, déchaîner contre un homme une armée de mauvais génies, influer même sur les décisions des grands dieux, changer les destinées d’ici-bas. L’envoûtement, les potions magiques, certaines manipulations bizarres, ou plus simplement le « mauvais œil », la susm-ration de quelques paroles sinistres suflisaient à opérer ces prodiges. Contre ce pouvoir malfaisant les exorcistes étaient appelés à lutter au moyen de leurs incantations. Plusieurs séries de ces incantations ont été publiées : la série Maqlù par Tallqvist, la série Surpu par ZiMMERx (la 2’tablette Siirpii a 210 lignes !), les séries Utukki limniiti, etc., sur les mauvais esprits, par Campbell Thompsox, d’autres textes par L. W. KiNG, Babylonian Magic and Sorcerr, 1896.

Rien de pareil chez les Hébreux, sinon sous forme d’abus immédiatement réprouvé par les prophètes. Les diverses sortes de dix ination, augures, sorcellerie, incantations et consultation des esprits, sont expressément prohibées par le Deutéronome (xviii, 10, 11).

Prières, hymnes, psaumes de pénitence ; idée du péché. — Ainsi l’ancien Babylonien nous apparaît comme entouré de démons malfaisants et de génies protecteurs, exposé à l’influence de nombreuses puissances invisibles, sous le contrôle des divinités supérieures. Il sent profondément sa dépendance, et il est religieux. Les Assyriens n’étaient point, non plus, comme Renan l’imaginait, « presque indifférents en religion » (Hist. du peuple d’Israël, t.III, p. 15). Tout d’abord les noms propres de personnes en font foi. En Babylonie et en Assyrie, comme chez les Hébreux, ces noms traduisent un sentiment de confiance, de reconnaissance, de respect pour tel ou tel attribut delà divinité, ou encore un souhait, une bénédiction : Marduk-nhal-iddin, Mardouk a donné un fils ; Sinahc-erba (Sennachérib), Sin a multiplié les frères ; Isme-Sin, Sin a entendu ; Béli-ismeanni, Mon Maître m’a exaucé ; Ila-Damiq, Le dieu est favorable ; Bêlimuranni, Bel m’a regardé (favorablement) ; Mâr-Samas owvpil-Samas, Fils de Samas ; Màr-Istar, Fils d’Istar ; Apil-ilisu, Fils de son dieu ; Ilusu-abusu, Son dieu est son père ; Arad-Ea, Serviteur d’Ea ; Adadnirari, Adad est mon aide ; Narâm-Sin, ChéTi de Sin ; Manum-hala-Sin, Ç)[çeii exister] sans Sin ? Manumki-Sin, Qui est comme Sin ? Manum-sanin-Samas, Qui est égal à Samas ? Ana-pàni-ili, En présence du dieu ; Pân-Bêl-ad a g{g)al, Jevois (ou verrai) la face de Bel ; Ana-Samas-tér, Tourne-toi Aers Samas ; et tant d’autres noms qui otTrent un parallélisme frappant avec ceux de la Bible. Ici et là une piété spontanée s’est rencontrée dans des expressions identiques, alors qu’elle différait infiniment dans son objet. Monothéisme ici, et là polythéisme ; mais, de part et d’autre, idée d’une Providence qui régit ce monde et dont l’homme dépend dans la jouissance des biens matériels, et avec laquelle on peut se mettre en relation par la prière.

Les Assyriens et les Babyloniens ont une dizaine de synonymes pour désigner la prière. Elle semble avoir été fréquente chez eux, si l’on peut en juger par les formules de la correspondance épistolaire. Un fils écrit à son père : <( Tous les jours je prie Nabou et Nanà pour la vie de mon père ; et. à l’intention de mon père, je porte mes hommages à Ezida [temple de Nabou à Borsippa] » (R. F. IIarper, Assrrian and hahrlonian Letters, n° 219). Un fonctionnaire écrit à la mère du roi : « Que Bel et Xabou bénissent la mère du roi, ma souveraine ! Tous les jours je prie Nabou et Nanà d’accorder la vie et de longs jours au roi des pays, mon souverain, et à la mère du roi. ma souveraine. Que la mère du roi, ma souveraine, soit protégée ! » (ibid., n* 324). On litdans une lettre de Iddina-apli à la dame Qoudasou : « Je prie tous les jours Bel et Nabou pour la vie et la longévité et le bonheur de ma dame. Par la faveur des dieux moi je vais bien, ainsi que tous ceux qui sont avec moi. Mais tu ne t’es pas informée de mes peines, tu n’as pas reçu de mes nouvelles. Depuis le mois de Sivan j’ai été en voyage vers le pajs de Pa-ni-ra-ga-na ( ?) ; prie Bel et Bèlit pour moi… » (R. Campbell Thompson, Late bab. Letters, i"6). XiUeiiTs : « Par la faveur des dieux je vais bien. Si je prie les dieux, j’obtiendrai ce que je désire. » (ibid., n"* 194) « Je prie tous les jours… >/ est une formule qui revient souvent dans ces lettres. Il est vrai que le souhait ordinaire est « bon état du cœur et bon état 377

BABYLONE ET LA BIBLE

378

du corps », c’est-à-dire bonne humeur et santé, joie et bien-être ; mais c’est déjà beaucoup de reconnaître sur ce point sa dépendance par rapport à l’Etre divin.

Si des manifestations de la piété particulière nous passons à la louange officielle des dieux, nous en trouvons de magniOqnes expressions dans un grand nombre d’hymnes. Voyez les traductions françaises données par Scheilcu 1897 dansla Be^nie de Vliistoire des religions, et par M. Fr. Martin dans deux aoIumes de Textes religieux assyriens et babyloniens, 1900 et 1908 ; et le recueil plus complet de St. Lang-DON, SBP, 1909.

Quelle que soit l’élévation des sentiments, justement admirée dans ces pièces d’une poésie splendide, la note religieuse n’est pas la même que dans les chants sacrés des Hébreux. On trouverait difficilement dans la littérature babylonienne un chant religieux à l’uniciue (in de célébrer la gloire des dieux, de leur témoigner le respect et la reconnaissance, l’amour et la confiance, sans aucune mention des intérêts de leurs pieux clients. Les hymnes commencent d’ordinaire par de magnitif[ues louanges de la divinité ; ils exaltent ses attributs en stjde pompeux ; ils se terminent régulièrenient par une requête.

On sent que la préoccupation principale du suppliant est d’apaiser les dieux, de gagner leurs bonnes grâces, poiu" leur faire accueillir favorablement une demande. Un trait aussi caractéristique n’apas échappé à M. Jastrow, l’auteui* qui a consacré à cette religion l’étude jusqu’ici la plus complète. Il signale le lien étroit qui unit les prières et les incantations, et il en donne la raison suivante : « Les Babyloniens comme tes Assyriens ne se tournaient Aers les dieux que quand ils désiraient en ol)tenir quelque chose, protection ou guérison, délivrance d’un mal, ou bien faveur’… La pure louange des dieux sans autre intention n’existe pas dans le culte babylono-assyrien » {Die Religion Babyloniens and Assyriens, t. II, p. 138, igoG).

Au contraire, il arrive à l’Israélite pieux de perdre complètement de vue ses propres intérêts. Le psaume XXIX (Vulg. xxviii) ne se borne-t-il pas à célélirer la puissance de lahvé ? Bon nombre d’autres ont pour unique objet d’exalter les bienfaits divins ; ainsi les psaumes cv, cvii, cxi (Vulg. civ, cvi, ex), et la plupart de ceux qui commencent par les mots : « Louez lahvé !)) (Alléluia). Un poème d’assez longue haleine, le psaume civ (Vulg. cm) chante l’œuvre créatrice et providentielle de lahvé, Maître absolu de l’univers ; le poète ne sort pas un instant de ce sujet. Sans doute l’Israélite, autrefois comme aujourd’hui, n’était pas désintéressé des biens de ce monde. Cependant, grâce à la haute idée de Dieu qui caractérisait sa religion, il tournait facilement sa prière vers un plus noble idéal ; il demandait comme un bien suprême de se rendre agréable à lahvé par l’observation de ses commandements. Voyez les psaumes XIX, cxix (Vulg. xviii, cxviii), etc. Et si l’on dit que ces sentiments sont le fruit d’une évolution tardive où la pensée religieuse s’est épurée, qu’on nous montre en Babylonie, après plus de trois mille ans de civilisation, une évolution et une épuration pareilles. Mais chez les Hébreux, l’idée de la sainteté de la Loi dérivait en droite ligne de l’enseignement des plus anciens prophètes et du fonds primitif de la législation mosaïque sur la sainteté de lahvé. Ceci nous amène à parler de l’idée de péché chez ces anciens Sémites.

maintes reprises, la Loi inculque la nécessité pour le peuple élu d’être saint parce que son Dieu st saint (Ex. xix, 6 ; Lév. xi, ^î ; xix, 2 ; xx, 26, etc.). Si la Loi est une manifestation delà sainteté de lahvé,

le péché, violation de la Loi, offense cette souveraine sainteté. Pénétré de cet enseignement, l’Israélite envisage le péché sous un tout autre aspect que ses voisins polythéistes, n’en déplaise à Delitzsch, qui prétend qu’on se trompe fort en attribuant à Israël une conception plus profonde de la nature du péché. Car les Babyloniens pieux, dit-il, expriment dans leurs plaintes, en même temps que leurs maux extérieurs, la douleur de l’âme causée par le péché (BB, IIL p. 26). Il aurait fallu ajouter — c’est le point principal — poiu- quelle raison, de quel point de atic, utilitaire ou moral, le péché causait cette douleur. « La grâce du dieu miséricordieux, dit M. Fr. Jerk-MiAS, résultat recherché et espéré de la prière, n’est que la délivrance de la maladie. C’est ce que signiGe la rémission des péchés. Guérir et pardonner sont des synonymes. C’est en partant de là qu’il faut juger les concepts de faute et de péché, de miséricorde et de pardon >. (dans le Manuel d’histoire des religions de Chaxtepie de hx Saussaye, trad. franc., 190/1, p. 151). ÏIELE jugeait aussi que les Babyloniens et les Assyriens « n’étaient pas encore arrivés à distinguer nettement entre le péché et les suites du péché » (Geschichte der Religion im Altertum, vol. I, iSgS, p. 21 5). En elïet, ils sentent que tel mal est le châtiment d’une faute ; ils i-egrettent donc d’avoir commis la faute, cause du mal ; ils s’humilient pour apaiser le dieu irrité. C’est la crainte servile, et non le pur repentir d’avoir déplu à la divinité. A côté des gémissements et des supplications du coupable, on ne voit pas la promesse de mieux faire, la demande d’un secours pour y réussir. On le constatera aisément en comparant par exemple au psaume li (Vulg. l) les plus beaux passages des hjnines que l’on a appelés « psaumes pénitentiaux babyloniens » (Babylonische Busspsalmen, publiés par Zimmerx en 1885) :

Les fautes que j’ai faites, je ne les connais pas…

Le Seigneur dans la colère de son cœur m’a regardé,

Le dieu dans la fureur de son cœur m’a visité…

Je cherche (du secours) ; nul ne me tend la main ;

Je pleure, et près de moi je ne trouve personne.

Je crie ; personne ne m’entend.

Triste, gisant à terre, sans lever les yeux,

Vers mon dieu miséricordieux je me tourne en gémissant.

Le suppliant est convaincu que le mal physique dont il souffre est un effet du mal moral — cette pensée se rencontre souvcnt dans l’Ancien Testament, surtout dans le livre de Job ; — parfois il ne sait pas de fjuelle faute il s’est rendu coupable : « Ma petitesse, je ne la connais pas ; le crime que j’ai commis, je ne le sais pas » (Fr. Martin, TR, 1900, p. 15). Ou bien il ignore quelle divinité il a offensée, et, pour ne point risquer d’omettre justement celle-là dans ses invocations, il implore le « dieu inconnu », la « déesse inconnue « .

Le pénitent Israélite s’élève plus haut :

En moi, ù Dieu, crée un cœur pur.

Et renouvelle en moi un esprit ferme.’Xe me rejette pas loin de ta face,

Va ne retire pas de moi ton espi’it saint ! … .Vux impies j’enseignerai tes voies,

Et les pécheurs retourneront i toi… (Ps. iii, Vulg. l).

M. Fr. Martin a raison de souligner la ressemblance frappante entre le texte suivant traduit par lui cl divers passages des psaumes hébreux (TR, 1903, p. xxvi) :

Qu’ils meurent, eux ; que moi, je vive ; Qu’ils jiassent, eu.K ; que moi je prospère ; Qu’ils soient anéantis, eux ; que moi, je reste debout ; Qu’ils s’afl’aihlissent, eux ; que moi, je nie fortifie ! O dieu du feu, le puissant, le plus élevé dos dieux… Toi, tu es mon dieu ; toi, tu es mon maitre ; Toi, tu es mon juge ; toi, tu es mon sauveur ; Toi, tu es mon vengeur. 379

BABYLONE ET LA BIBLE

380

Ce sont sans doute des i-essemblances de ce f^enre qui ont entraîné l’assjriolo^ie et critique PaulHAti’T à ces conclusions d’un radicalisme éhonté : <( J’ai établi que la majorité des psaumes hébreux appartient à l’époque macchabéenne (i ; 0-"0 av. J.-C). Je n’ai pas découvert un seul psaume datant d’avant l’exil. Les prototj-pes des hymnes contenus dans le psautier hébreu sont les hymnes et les psaumes pénitentiaux des textes cunéiformes ^> (American Journal ofSemitic Languages and Literatiires, t. XXI, oct. 1904juil. 1905, p. 13^). Ainsi, à côté du Cantique de Débora, que les critiques sont unanimes à regarder comme un des morceaux les plus anciens de la littérature hébraiqiie — le jugement contraire de M. Maurice Verxes n’a point de valeiu", — les Israélites n’auraient eu pendant des siècles aucun chant sacré ! Très tard, après l’époque des prophètes, pour apprendre à chanter les louanges de lahvé, ils se seraient mis à l’école des Babyloniens !

Il faut signaler l’hymne à Istar, au sentiment de Jastrow, « le plus beau spécimen peut-être de ces psaumes pénitentiaux ». C’est un long texte de 1 13 lignes (y compris le colophon ou attestation finale du copiste), admirablement conservé, de la plus haute poésie religieuse. Il appartient à la série qui a pour titre : « Prières de l’élévation de la main ». KiNG l’a publié et traduit le premier. Le P. Dhormf. en donne aussi le texte et la traduction (sans les prescriptions finales et le colophon, 1. 106-1 13). J’en cite quelques lignes d’après ces auteurs (en modifiant la traduction de la 1. 41 « où je laisse indéterminé le sens de issir la isaru, qui peut s’entendre au physique ou au moral ; King prend plutôt le premier sens ; Dhorme donne le second qu’il dit « limpide » : « L’injuste devient juste en voyant ta face ! > »).

I. 1-2. Je te prie, souveraine des souveraines, déess « des

[déesses ! I^tar, reine de tous les peuples, directrice des hommes ! … 1. 15-17. Où ton nom n’est-il pas (entendu) ? Où tes décrets [ne sont-ils pas (observés) ? Où n’es-tu pas grande ? Où n’es-tu pas exaltée ? 1. 40-47. Là où tu regardes, le mort vit, le malade se lève ; 1. 41. Il va bien, celui qui allait mal, en voyant ta face ! Moi je t’invoque, soupirant, gémissant, souffrant, ton

[serviteur ! Regarde-moi, ô ma souveraine, accueille ma supplication ; En vérité tourne vers moi tes jeux compatissants, exauce

[ma prière ! Dis ma délivrance, et que ton cœur s’apaise ! Délivrance de mon corps affligé, qui est plein de troubles

[et de désordres ! Délivrance de mon cœur souffrant, qui est plein de pleurs

[et de soupirs ! … 1. 81. Délie mon péché, ma faute, mon méfait et mon

[défit… 1. 99-105, trad. Dhorme ; Que mes prières et mes suppli[cations aillent jusqu’à toi ! Que tes grandes miséricordes soient sur moi ! Que ceux qui me voient dans la rue magnifient ton nom ! Et moi près des humains je glorifierai ta divinité et ta Istar est élevée ! Istar est reine ! [force.

Bêlit est élevée ! Bèlit est reine ! Irnini, la vaillante fille de Sin, n’a pas de rival !

Un dilettante de l’histoire comparée des religions trouverait très intéressant et tout natm-el de mettre / en parallèle avec ces invocations celles que l’Eglise catholique adresse à la Vierge Marie, et de parler peut-être d’emprunts ou d’imitation. Je reviendrai, dans les conclusions, sur cet abus de la méthode comparative.

Pour pénétrer un peu dans la conscience babylonienne, il faut citer encore un texte assez long tiré d’une incantation où, dans le but d’éliminer un mal, on cherche à découvrir quel est le péché, cause du mal.

Incantation. [Je vous invoque], grands dieux, "… dieu et] déesse, seigneurs de la délivrance. Pour un tel, fils d’un] tel, dont le dieu est un tel, la déesse,

[une telle, … qui est malade, inquiet, troublé, affligé. A-t-il ofî’ensé son dieu, otlensé sa déesse ? .-t-il donné un refus au lieu d’une promesse, une pro [niesse au lieu d’un refus ? A-t-il séparé du père le fils, .-t-il séparé du fils le père, A-t-il séparé de la mère la fille, A-t-il séparé de la fille la mère ? A-t-il séparé de la belle-mère la belle-fille, .-t-il séparé de la belle-fille la belle-mère ? A-t-il séparé le frère de son frère ?…

A-t-il refusé de relâcher un captif, de délivrer un enchaîné ?… N’a-t-il pas péché contre un dieu, n’a-t-il pas offensé une

[déesse ? A-t-il affligé un dieu, méprisé une déesse ? Y a-t-il faute contre son dieu, manquement envers sa

[déesse, violence contre son a’ieul, haine contre son frère aîné ? A-t-il méprisé père et mère, offensé sa sœur aînée ? donné en petit, refusé en grand, dit oui pour non et non pour oui ?., . A-t-il employé une balance fausse ?… S’est-il servi d’argent faux, pas servi d’argent vrai ? A-t-il déshérité un fils légitime, établi un fils illégitime ? .-t-il tracé des limites fausses, pas tracé des limites justes ? A-t-il franchi ( ?) bornes, frontières, limite » ? Est-il entré dans la maison de son prochain ? S’est-il approché de la femme de son prochain ? .-t-il versé le sang de son prochain ? .-t-il volé l’habit de son prochain ? S’est-il élevé contre un supérieur ?

A-t-il eu la franchise en sa bouche et la fausseté dans

[son cœur ?… A-t-il enseigné des choses ténébreuses, a-t-il fait savoir

[ce qu’il ne faut pas ?… A-t-il trempé les mains dans la magie et la sorcellerie ? Est-ce pour une faute grave qu’il aurait faite, pour les péchés nombreux qu’il aurait commis ? pour une société qu’il aurait dispersée, pour une famille bien unie qu’il aurait désunie ? Est-ce pour tous les mépris qu’il a pu avoir pour son dieu

[et sa déesse ? Aurait-il promis de cœur et de bouche sans tenir sa pro [messe ? Aurait-il, dans une offrande, méprisé le nom de son dieu ? Aurait-il retenu ce qu’il aurait consacré ?…

(II. ZiMMERX, Beitriige zur Kenntnis der babylonischen Religion. Deuxième tablette Siirpii).

On le voit, ces pa’iens sémites n’avaient pas le sens moral trop perverti, et même, sur quelques points, ils n’étaient pas dépourvus d’une certaine délicatesse de conscience.

Le texte suivant rappelle les sentences des Proverbes :

N’ouvre pas la bouche, garde ta lèvre,

quand tu es en colère, ne dis pas un seul mot :

d’avoir parlé trop vite tu te repentirais plus tard ;

en réprimant (tes) paroles tu n’affligeras pas ton ; "inie.

[je lise négation avant le verbe]. Tous les jours offre à ton dieu sacrifice, prière et encens convenable ; devant ton dieu sois avec un cœur pur (.’), car c’est là ce qui convient à la divinité. Prière, demande et prostration le matin présente-lui… ( ?)…

et grandement avec (l’aide de) dieu tu prospéreras. Dans ta sagesse étudie les tablettes : la crainte (de dieu) engendre la faveur, le sacrifice enrichit la vie, et la prière délivre du péché…

(K, D, Macmillax, dans BA, t. V, 1906, p, 557-562).

Avec raison Delitzsch fait grand état de ce texte ;

il y renvoie pour montrer qu’il y a chez les Babylo381

BABYLONE ET LA BIBLE

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niens quelque chose d’analogue au commandement d’aimer son prochain comme soi-même. Malheureusement la seconde partie de la tablette est bien mutilée, et l’on ne voit pas au juste envers qui doit s’exercer la bienveillance qui y est recommandée. Delitzsch a trouvé deux autres preuves de l’amour du prochain à Babylone. Il est dit au II^ livre des Rois XVII, 24, qu’à la place des habitants de Samarie déportés, « . le roi d’Assyrie lit venir des gens de Habylone, de Kutha, d’Ava, d’Einath et de Sépharvaïm, et les établit dans les villes de Samarie ». Or, Jésus propose le bon Samaritain comme exemple de charité envers le prochain ! (BB, III, p. 28). Les Assyriens dévastaient les pays, ils empalaient, brûlaient ou mutilaient les prisonniers ; les Babyloniens, plus pacifiques, étaient cruels quelquefois (par ordre de Xabuchodonosor on égorgea les deux fils de Sédécias devant leur père, puis on creva les yeux à celui-ci et on l’emmena captif à Babylone (II Reg. xxv,’^). A ces exemples Delitzsch oppose, comme un trait remarquable de clémence, la grâce accordée à Joacliin, roi de Juda, qui fut tiré de prison par Eviln » érodach (Amil-Mardouk) après 87 ans de captivité (II Reg. xxv, 27). (BB, Ein Ritckhhck, p. 53, et 55, III, p. 21-22.)

Culte. Sabbat, fête des Pourim. — Ici encore il suffira d’examiner quelques points plus notables ; les problèmes analogues de moindre importance trouvent leur solution dans les mêmes principes.

Le sabbat. — La question de savoir s il y avait à Babylone un jour pareil au sabbat des Hébreux est discutée depuis 1876. Sayce a pris plusieurs fois parti pour l’affirmative (cité par Alfred Durand, La semaine chez les peuples bibliques, dans Etudes, juin 1895, t. LXV, p. 214-222). Delitzsch, sans ajouter de nouvelle preuve, n’a fait qu’accentuer l’affirmation en disant : « Le doute ne devrait pas être possible sur ce point : les abondantes bénédictions attachées au repos du sabbat ou du dimanche, nous les devons en dernière analyse à l’ancien peuple civilisé de l’Euphrate et du Tigre » (BB, I, p. 29). Alfred Jeremias pense que, prise « cum grano salis », cette assertion est exacte (ATAO^, p. 184). Depuis la conférence de Delitzsch la littérature siu- le sabbat s’est enrichie d’un nomljre efTraj ant d’articles, sans qu’un accord des savants se soit produit sur le sens primitif du mot et de la chose. Outre les travaux mentionnés plus bas, citons tout de suite Joh. Hehn, Siebenzahl und Sabbat bei den Babyloniern und im Alten Testament, 1907, dont le P. Dhorme a rendu compte en détail dans RB, 1908, p. 462-/466 ; et Eduard Mahler. Der Sabbat. Seine etymologische und clironologischhistorische Bedeutung. dans ZDMG, 1908, p. 33-79.

Voici les faits :

1. — Chez les Babyloniens il y avait un jour appelé sabattu (ou sapattu) et marqué comme « joiu- d’apaisement du cœur » (des dieux irrités), uni nufj libbi ; donc, semble-t-il, jour de pénitence et de prière (cf. KAT^, p. 692).

2. — Une tablette relative au calendrier indique, pour les mois Eloul II et Marhesvan, un certain nombre de « jours mauvais », à savoir le 7®, le 14^. le aie, le aS-- (=17X1 ou 2 ou 3 ou 4)> et le u/ ( : = le 49’jour (7 X 7) à partir du commencement du mois précédent). En ces jours-là « le pasteur des multitudes » (= h ; souverain) ne doit rien manger de cuit au feu, ni mettre ses vêtements brillants, ni monter sur son char, ni prononcer des décisions royales ; le prêtre ne doit rendre aucun oracle ; le médecin n’opérer aucune guérison (cf. Dhorme, Choix, p. 380).

Remarques : a) Les mêmes prescriptions valaient-elles pour les autres mois ? « A celle question on ne

peut donner une réponse définitive. Il semble cependant probable qu’il en était ainsi, et que certains jours, sinon les mêmes, étaient notés comme « mauvais » dans chaqque mois » (M. Jastrow, DBH, Extra vol., p. 58 1 a). — b) Il ne ressort nullement de ce texte n. 2 que les jours en question aient été des jours de repos général. D’ailleurs les contrats prouvent le contraire : on y trouve ces jours-là, comme les autres, consacrés aux affaires, aux opérations commerciales. — c) Rien jusqu’ici ne démontre l’identité du jour sabattu (ou sapattu) et des jours dont il s"agit sous le n. 2.

3. — Un texte publié par M. Pixches en 1904 (Pruceedings of the Society of Biblical Archaeology, vol. XXVI, p. 51-56) désigne le 15e jour du mois comme sa-pat-ti. Si l’on doit voir dans ce terme le sabattu (ou sapattu) mentionné plus haut sous le n. i, il faut renoncer à identifier ce jour avec les 7’, 14% etc., (n. 2). Mais on discute là-dessus : Hommkl nie qu’il y ait rien de commun entre ce 15’jour et le sabattu (Orientalistische Litteratur-Zeitung, 1907, p. 482) ; Hehn pense le contraire (/. c, p. 112).

Innombrables sont les étymologies proposées pour le mot hébreu sabbâth, et pour le babylonien sabattu. Pour ce dernier Zimmern conjecture d’abord sabâtu cesser ou sabâtu frapper (KAT’^, p. 598) ; puis il renonce à expliquer l’origine du mot (ZBMG, 1904, p. 202). Delitzsch lisait en 1904 sa pat-ti = (jour) de la division (du mois). D. Nielsen rattache le mot à subtu station (lunaire). Hehn le rapporte à sebïï être rassasié (/. c., p. loi). Dhorme le fait dériver de nabâtu briller (RB, 1908, p. 465). St. Langdon le ramène à sapâdu se lamenter (ZDMG, 1908, t. LXII, p. 29 sqq. et SBP, p. xx-xxiii). Pinches remonte à une origine « akkadienne » (sumérienne) (/. c, p. 56). Pour quelle raison les Babyloniens distinguaient-ils les 7" jours ? (cf. texte n. 2). A. Jeremus et WiNCKLER disent : à cause des 7 planètes. Kugler et d’autres : à cause des phases de la lune qui divisent le mois en quatre périodes de 7 jours (F.-X. Kugler, Babylon und Christentum, dans Stimmen aus Maria-Laach, avril 1908, p. 878). Hehn adopte cette dernière explication pour rendre compte de l’origine du sabbat ; le sabbat des Hébreux viendrait du.sabattu babylonien transformé, en Israël, dès les temps anciens. Cet auteur repousse l’opinion de Jastroav, suivant laquelle « il y a de bonnes raisons de croire que le sabbat des Hébreux, qui doit avoir quelque rapport avec le rite babylonien [du jour sabattu], avait d’abord un caractère de deuil et de pénitence et qu’il a subi plus tard [après l’exil] une complète transformation », devenant un jour de repos et de joie (cf. /)/ ?//. Extra vol., p. 58n).

En face de ces données insuffisantes et de ces hypothèses peu concordantes, on peut conclure, avec Bezold, que le sabbat Israélite n’a point, jusqu’à présent, d’explication satisfaisante dans les textes cunéiformes ; et, avec J. Nikel, que, lors même qu’il se rattacherait par ses origines lointaines à quelque usage babylonien, il s’en séparerait nettement par son caractère rituel différent et son sens religieux plus élevé (C. Bezold, Die babylonisch-assyrischen Keilinschriften und ilire Bedeutung fiir das Alte 7’estument, 1904, p. 4’) J » - Nikel. Alte und neue Angriffe aufdas Alte Testament, 1908, p. 19).

La fête des Pourim, dont le livre d’Esther raconte l’institution (ix, 17-82), a-t-elle une origine babylo-nienne ? Cette question lient à celle de l’historicité du livre d’Esther, car « la plupart des interprètes, ne voyant que le texte hébraïque, disent que l’auteur s’est proposé simplement d’cxplifquer l’origine et la cause de la fêle des Pourim, el assez justement, parce qu’en effet on ne voit guère d’autre but, si on met 38 :  ;

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(le côté les additions [les parties deutérocanoniques] » (CoRNELY, Manuel d’Introduction, igo’; , t. I, p. 420). Dans un récent commentaire du livre d’Estlier (1908), M. L. Baylks Patox expose soigneusement les diverses théories sur l’origine de la fête des Pourim (p. 77-94) : origine juive, ou grecque, ou perse ou babylonienne. Cette dernière opinion est celle d’un grand nombre de critiques modernes. Mardochée, remarquent-ils, répond évidemment au nom du grand dieu de Babylone, Mardoui- ; Esther est la forme araméenne ordinaire du nom de la déesse Istar. Le nom juif d’Estber, Hadassa (Estb., 11, 7) signitie en hébreu myrte ; en babylonien hadasatu est un nom poétique ^ovLT jeune épouse. Esther est cousine de Mardochée (d’après hébr. el LXX) ; même relation de parenté entre Istar et Mardouk. Ilaman serait Hunian (ffumman), le principal dieu des Elamites ; et Vasti représenterait la déesse élamite Masti (= ; Vasti). Donc, au fond, c’est l’antagonisme entre divinités babyloniennes et elamites. « Ces similitudes de noms, ajoute le )nème auteur, sont certainement frappantes et peuvent dilTicilement être fortuites. »

Quant au fond même du récit, on a donné de son origine les explications les plus diverses. Jensen en découvre la clef dans l’épopée de Gilgameè. Zimmerx trouve dans le poème mythique de la création le prototype de la légende d’Esther. Pour Wixckler il faut un mythe astral : Mardochée-Mardouk est le soleil du printemps, Tammouz, qui revient des régions souterraines, etc. Même divergence d’opinions pom* l’origine de la fête des Pourim. Selon les uns, c’est la fête babylonienne de Zagniuk, fête du « commencement de l’année », en l’iionneur de Mardouk. Suivant les autres, c’est plutôt la fête perse des Sacées, ou bien, c’est une combinaison des deux. Malheureusement la date de ces fêtes ne coïncide pas avec celle des Pourim.

Enfin pour le nom de Pourim on a jiroposé des étymologies variées (cf. P. Haupt, Purim, p. 16-22, BA, VI, 2) ; mais jusqu’à présent on n’a pas rencontré dans la littérature babylonienne un pareil nom pour la fête prétendue prototype de celle des Hébreux.

Après cette revue, la conclusion de M. Paton est, avec raison, assez hésitante : la fête des Pourim est probablement empruntée à Babylone, ou directement, ou indirectement par l’intermédiaire de la Perse, sans que l’on sache avec précision de cjuelle fête babylonienne elle dérive (p. 94). A la suite de ces considérations et autres semblables, M. Paton est devenu complètement scepticpie sur l’historicité du livre ; il n’admet pas même une base historique du récit : c’est aller beaucoup trop vite et trop loin. Disons plutôt avec M. Lucien Gautier : n La théorie assyriologique susmentionnée pourrait être admise comme fondée : il n’en résulterait pas l’impossibilité de croire que, sous le règne d’un roi de Perse, les Juifs habitant ses Etats aient été l’objet d’une éclatante délivrance » (Introduction à l’Ancien Testament, t. II, 1906, p. 248). « Les éléments babyloniens et elamites (lu livre d’Esther ne sauraient être méconnus… » ; et cependant « avec plus de raison encore que pour Judith, on peut admettre ici un fond historique… » {ItB, 1908, p. 807).

Prêtres et sacrifices. — A Babylone comme à Jérusalem certaines qualités sont requises pour celui qui doit accomplir les fonctions du sacerdoce. On a comjiaré Lév., xxi, 17-28 avec un texte de la bibliothèque d’Assourbanipal public et traduit par Zimmern, ^l’abord en 1896, puis de nouveau, avec diverses corrections dans KAi^, p. 533-534. M. Fr. Martix et le P. Dhorme ont également traduit ce texte, obscur sur plusieurs points (TR, 1908, p. 282-240 ; Choix de

textes…, p, 140-147). Paul Haupt s’en est servi, en 1900, dans un article intitulé « Les éléments babyloniens dans le Rituel Lévitique » (Journal of biblical Literature, 1900, p. 67, 64). D’après ce document, le prêtre-devin doit avoir une origine sacerdotale, une naissance légitime (Haupt, Zimmern :’( une origine pure », KAT^, p. 584, cf. 889 ; — Martin : « un père « pur », « beau)i, doué des qualités corporelles exigées du candidat » /. c, p. 289 (sens improbable )) ; de plus, une taille et des proportions normales, point de défaut aux yeux, aux dents, aux doigts, etc. (cf. Lév., xxi, 20 hébr.).

Les animaux offerts en sacrifice étaient les moutons brebis, agneaux, chèvres, taureaux, gazelles, colombes, etc. (cf. Deut., xiv, 4, 5). Les victimes doivent être pures, sans défaut. Certaines parties déterminées doivent être olTertes à la divinité ; d’autres sont réservées aux prêtres (cf. KAT^, p. 697, 8 ; Fr. Martin, TR, 1908, p. XVII, et dans Dhorme, Choix de textes…, la tablette cultuelle de Sippar, p. 890-398). « Avec les victimes, les prêtres assyriens offraient des gâteaux, des pains, des dattes, du miel, du beurre, du lait, de l’hydromel, du vin ordinaire, dvi vin de dattes, du vin de sésame, surtout de l’huile…, diverses sortes de farine, de la fleur de fai’ine « , du cèdre, et, « en guise d’encens, du cyprès et diverses espèces de plantes… Nous retrouvons une partie de ces objets dans les offrandes ou les cérémonies lévitiques >/. fai’ine, huile, vin. « Le cèdre est employé dans la jîurification de la lèpre sur les individus et sur les maisons et dans le sacrifice de la vache rousse (Fr. Martin, TR, 1908, p. xviii). Xon seulement l : i nature des offrandes est souvent la même de part el d’autre, mais parfois aussi le nombre des victimes ou des choses offertes. Cest frappant surtout dans le rite des douze pains de proposition ; les textes babyloniens nous présentent un usage analogue aux prescriptions du Lévitique (xxiv, 6-9) : 12 pains, ou gâteaux étaient offerts à Istar, etc., 3 X 12, à telle autre divinité (KAT’-^, p. 600).

A côté du nombre 12, les nombres 8, 7 et 9 jouent aussi un rôle important. Au XVe congrès des Orientalistes, août 1908, F. X. KuGLER a lu un mémoire sur le sens symbolique du nombre 9 dans les documents religieux et historiques.

Croyances sur la vie après la mort. — Siu’la question du sort des âmes après cette ie il est intéressant de comparer les croyances Israélites avec les idées babyloniennes. Dans les nomlireux travaux publiés sur ce sujet, depuis trente ou quarante ans, l’opinion des critiques a subi un revirement singulier. D’abord « on était unanime à soutenir qu’au début les Israélites croyaient la mort suivie d’un néant à peu près comi^Iet. Semblables en cela, pensait-on, aux Phéniciens, aux Babyloniens, aux Grecs, ils prêtaient aux morts, dans le scheol où ils vont tous, à peine une vague ombre d’existence… Ils ne louent plus Yahvéh. C’est le non-être… » (Ad. Lods. La croyance à la vie future et le culte des morts dans l’antiquité israélite, 1906, p. 2)- Renan s’est joué, comme d’ordinaire, dans des négations paradoxales sur ce thème ; il décrit la psychologie du Sémite pour qui « la vie, c’est le soufllc de Dieu répandu partout… Quand le souflle remonte vers Dieu, il ne reste plus qu’un peu de terre » (Hist. du peuple d’Israël, t. 1, p. 42). Plus loin, il est vrai, il parle dune « vie triste et morne » dans le scheol, mais fqui équivaut à peu près au néant (p. 129-131). En 1872, puis en 1882, J. Halévy a combattu ces idées en posant les thèses suivantes : « i » Les Sémites, comme on le voit jiar l’exemple des Assyro-Babyloniens, ont eu une croyance développée à la vie d’outre-tombe ; le poème de la Descente d’Istar décrit longuement l'aralou, la montagne septentrionale sous laquelle séjournent les morts. 2° Babyloniens, Phéniciens et Hébreux ont même cru à une rétribution après la mort… » En 1882, il ajoutait : « 3° Babyloniens et Israélites ont rendu à leurs morts un véritable culte. » Cette dernière assertion, en ce qui concerne les Israélites, appelle les plus expresses réserves. M. Ad. Lods, dans l’ouvrage où il résume l’opinion de J. Halévy dans les termes cités ci-dessus, essaie de prouver l’existence d’un culte des morts assez développé dans l’antiquité Israélite ; sa théorie a été critiquée et réfutée en détail par le P. Lagrange (RB, 1907, p. 426-431).

Dans un article intitulé « Le séjour des morts cliez les Babyloniens et les Hébreux », le P. Dhorme a mis en parallèle les données de la Bible et celles des textes cunéiformes sur les destinées futures de l’homme. Ici comme là, les morts descendent dans un endroit souterrain, ténébreux, plein de poussière, qui inspire de l’horreur ; mais sur leur condition là-bas on manque de renseignements précis. Il serait trop long et inutile de reproduire ici les textes ; on trouvera les principaux dans l’étude du P. Dhorme, RB, 1907, p. 59-78 ; et il sera bon de lire à ce propos le poème de la Descente d’Istar aux enfers (Choix de textes…, p. 326-341, cf. p. xxxiii-iv ; Lagrange, ERS2, ch. ix ; KAT3. p. 635-643 ; et Alfred Jeremias, Hölle und Paradies bei den Babyloniern, 1900).

Conclusions.

1. — L’histoire d’Israël, dans ses grandes lignes, a été confirmée d’une façon remarquable par les découvertes assyriologiques. Supprimer de cette histoire l’action des prophètes des viii-vie siècles, comme fait avec acharnement M. M. Vernes, professeur à l’Ecole des Hautes Etudes, dénote une ignorance ou une audace extraordinaire.

Si la critique radicale a pu souffrir du témoignage des monuments, une critique vraiment scientifique n’a eu qu’à s’en louer. L’histoire de l’Ancien Testament, au lieu d’apparaître isolée, et comme suspendue en l’air entre le ciel et la terre, est entrée en contact avec celle des peuples voisins. Ce n’a pas été à son désavantage : son caractère humain a été singulièrement éclairé, et son caractère divin mis en relief ; elle reste toujours l’histoire sainte.

On n’a rien perdu de l’enseignement du livre inspiré en abandonnant un système de chronologie fondé sur de fausses interprétations du texte biblique, pour adopter les dates plus sûres et plus homogènes de la chronologie assyrienne.

Dans l’immense littérature babylonienne, déjà par les seuls textes publiés jusqu’à présent, incomparablement plus étendue que celle des Hébreux, une chose importante à noter, c’est l'anonymie des écrits : pas un seul nom d’auteur ! (L’opinion contraire de St. Langdon, SBP, p. xi, ne me semble pas suffisamment fondée.) En revanche, les scribes inscrivent ordinairement leur nom et qualité au bas du texte qu’ils ont copié. Ceci nous aide à comprendre comment un certain nombre d’écrits du recueil biblique (la plupart sauf ceux des prophètes) nous sont parvenus sans nom d’auteur. Chez les Sémites et dans l’antiquité on était loin de nos idées modernes sur la propriété littéraire.

2. — Il convient de recevoir avec défiance les conclusions hâtives de l’histoire des religions, les généralisations des vulgarisateurs, et même les affirmations de certains savants du premier mérite sortis de leur spécialité pour dogmatiser sur le terrain philosophique ou religieux. Les assyriologues Delitzsch, Jensen, Zimmern, Paul Haupt, H. Winckler, A. Jeremias, H. Radau, par cette voie facile des assertions hardies et des rapprochements à effet, ont acquis de la notoriété dans le grand public au détriment de leur vraie réputation scientifique.

Il faut exiger des preuves, et, autant que possible, remonter aux sources, voir directement les textes. Souvent un texte, en passant de main en main, change de valeur ou de sens. Un premier auteur en signale la lecture et l’interprétation douteuses ; un second ne retient que le sens, favorable à sa thèse ; bientôt le texte est couramment cité comme sûr (voir plus haut, col. 371). Parfois le même auteur, sans apporter de nouvelles preuves, mais à force de répéter une chose avec plus d’assurance chaque fois, finit par donner pour conclusion certaine ce qui n’était d’abord qu’hypothèse risquée. Ou encore, dans une brochure de vulgarisation il supprime les restrictions, les nuances, et il se conforme au goût du public en lui offrant, au lieu de conjectures plus ou moins probables, des affirmations du ton le plus cru. Sous ce titre fallacieux « Les origines babyloniennes de la poésie sacrée des Hébreux », M. Philippe Berger, membre de l’Institut, essaie de montrer que les oracles assyriens ne diffèrent pas essentiellement de ceux des prophètes d’Israël, et que les sentiments exprimés dans les Psaumes sont d’importation babylonienne : « L’influence de la Chaldée sur la religion juive, dit-il, a été plus profonde encore, et elle s’étend à la conception même de la piété, c’est-à-dire des rapports qui unissent l’homme à Dieu » (Conférence faite au Musée Guimet le 6 mars 1904, p. 36). Voici un exemple de l’exactitude de ses citations et de la rigueur de ses raisonnements : « Cette nuée, à la fois obscure et lumineuse, qui accompagne les enfants d’Israël au désert, et qui est pour eux une colonne de fumée pendant le jour, une colonne de feu pendant la nuit, porte un nom : elle s’appelle la « Gloire » de Jéhova. Sans doute, les textes où nous la voyons paraître sont de date récente, mais l’idée est ancienne et elle figure dans un oracle de la déesse Istar d’Arbèles à Assarhaddon : « Voici, je serai pour toi une nuée pendant le jour et une flamme pendant la nuit. » [En note : Delitzsch, Babel und Bibel, II, p. 20.] Elle est à la base de la révélation du Sinaï » (p. 27). Il s’agit de cet oracle d’Istar à Assarhaddon : « Je ferai à ta droite monter de la fumée, et à ta gauche du feu s’allumer » (cf. Delitzsch, l. c, et Morris Jastrow jr. Die Religion Babyloniens und Assyriens, t. II, p. 162). M. Berger, « n’étant pas assyriologue » — il nous en avertit modestement — cite de seconde main, et sur la citation de Delitzsch il opère, en moins de deux lignes, trois changements importants : « je serai », pour je ferai monter ; « une nuée », pour une fumée (par contre, la fumée est introduite gratuitement dans le texte biblique) ; « pendant le jour » et « pendant la nuit » est substitué à ces autres mots : à ta droite et à ta gauche. Par ce procédé bien simple on obtient des ressemblances frappantes. F. X. Kugler a montré que dans ce texte bien lii, mais mal compris par Delitzsch, l’image d’Ištar, déesse de la guerre, qui protège son client au milieu des villes ennemies incendiées, n’a absolument rien de commun ni d’analogue avec la colonne de nuée la nuit, de feu le jour, qui indique au peuple d’Israël la route à suivre. Exode xiii, 21-22 (Stimmen ans Maria-Laach. avril 1908, p. 374-375).

3. — Il faut insister sur l’histoire comparée des religions, dont on abuse tant de nos jours.

Elu compilant des textes qui offrent quelque ressemblance, et en les rangeant bout à bout, sans en approfondir le contenu et sans en comprendre la portée, on prouve une chose : c’est qu’on a l’esprit beaucoup trop superficiel pour s’occuper avec profit d’histoire des religions.

Plusieurs auteurs reprennent en sens inverse, mais sans plus de critique ni plus de succès, la thèse de Clément d’Alexandrie. Ce savant et d’autres de son temps prétendaient que les poètes et les philosophes païens avaient pillé les livres sacrés des Hébreux. Pour que le foi fût manifeste, il suffisait que deux auteurs se soient rencontrés à dire à peu près la même chose sur n’importe quel sujet, par exemple, que le viii, bu avec modération, est utile, et nuisible si l’on en prend avec excès. « En histoire comparée des religions, dit M. A. Lods, c’est faire un travail de mince utilité que de se bornera noter des ressemblances, surtout des ressemblances aussi vagues ou aussi contestables » que celles signalées par certains critiques. Il faut « établir la filiation » (Revue de l’histoire des religions, 1904, t. L, p. 87, 88). (Plût au ciel que M. Lods eût toujours appliqué ces sages principes dans son ouvrage sur la vie future dans l’antiquité israélite !)

Il est rare, en effet, qu’une ressemblance soit assez typique pour prouver par elle seule qu’un des deux sujets dérive de l’autre. La nature humaine est essentiellement la même dans tous les temps et dans tous les pays, avec ses facultés, ses besoins, ses tendances, sa faiblesse et ses misères. L’homme qui se sent coupable et malheureux se tourne naturellement vers son Créateur, vers une puissance invisible capable de le délivrer. A quelque race qu’il appartienne, il risque fort d’implorer la miséricorde divine dans les mêmes sentiments et presque dans les mêmes termes. L’attitude de la prière, les manifestations extérieures du respect et de l’humilité sont à peu près les mêmes partout : on lève les bras au ciel, on se prosterne ; plus est grand le désir d’obtenir une grâce, plus on insiste en répétant la même formule dans une sorte de litanie. L’idée du sacrifice se trouve également au fond de toutes les religions, comme aussi celle de l’offrir sur un autel, par les mains d’un prêtre consacré à cet effet. Il est assez naturel de porter solennellement en procession les images de ceux que l’on veut présenter à la vénération publique. La purification, réelle ou symbolique, au moyen d’ablutions, la transmission d’un pouvoir ou d’une influence par l’imposition des mains, et bien d’autres pratiques religieuses sont autant de choses très conformes aux dispositions de la nature humaine. Il est puéril de s’étonner des similitudes en pareille matière, et de les noter avec empressement comme une découverte ; ou de se laisser prendre à quelques traits extérieurs de ressemblance entre certaines images, et de vite conclure à une imitation. « Faut-il rappeler cette extraordinaire prétention d’un érudit de faire remonter à une image de la déesse assyrienne Istar l’origine de la Vierge aux sept glaives devenue si populaire dans les pays catholiques ? » (H. Delehaye, S. J., Les légendes hagiographiques, 1905, p. 288, cite en note H. Gaidoz, « La Vierge aux sept glaives », Mélusine, t. VI (1892) p. 126-188). Pour en revenir à hymne à Ištar cité plus haut, col. 879, on comprend sans peine que les sentiments de tendre confiance, exprimés par un chrétien dans une prière à la Vierge Marie, pourront, sans être un écho, rendre le même son que les invocations du pénitent babylonien implorant sa déesse miséricordieuse. Celui-ci récite une « prière de l’élévation des mains » ; l’autre élève naturellement les mains pour implorer le secours d’en-haut. Le copiste babylonien dit, à la fin, qu’il a écrit ce poème « pour (la préservation de) sa vie » ; et bien des copistes du moyen âge ont employé spontanément des formules semblables.

M. Hubert Grimme a le premier attiré l’attention sur le parallélisme frappant de Eccle. ix, 4-9, avec ce passage de l’épopée de Gilgameš :

Lorsque les dieux créèrent l’humanité,
Ils placèrent la mort pour l’humanité.
Ils retinrent la vie entre leurs mains.
Toi, ô Gilgameš, remplis ton ventre.
Jour et nuit réjouis-toi, toi,
Chaque jour fais la fête,
Jour et nuit sois joyeux et content !
Que tes vêtements soient brillants !
Que ta tête soit lavée, lave-toi avec de l’eau !
Considère le petit qui saisit ta main.
Que l’épouse se réjouisse sur ton sein !

(Duorme, Choix…, p. 301-303, et RB, 1907, p. 78). L’Ecclésiaste dit, justement après quelques réflexions tristes sur la condition des morts :

Va, mange ton pain dans la joie,
et bois ton vin avec un cœur content !
car dès longtemps Dieu se plaît à tes actions.
En tout temps que tes vêtements soient blancs,
que sur ta tête l’huile ne manque pas !
Jouis de la vie avec la femme que tu aimes,
tous les jours de la vaine existence que (Dieu) t’a donnée sous le soleil.

Une relation de dépendance entre ces deux textes ne me paraît pas évidente ; je n’oserais pas même la dire très probable, si cet exemple était isolé. Ces manières de jouir et de manifester sa joie sont trop communes à tous les hommes ; le seul point frappant est le même ordre dans lequel cinq idées au moins sont exprimées, et cet ordre, étant assez logique, pourrait être le même de part et d’autre par le fait d’une pure coïncidence. Mais comme cet exemple se présente au milieu d’un ensemble de faits qui tendent à démontrer qu’Israël a été, dans une certaine mesure, sous l’influence de la civilisation babylonienne ; comme, d’autre part, la composition de l’Ecclésiaste se place, d’après tous les critiques indépendants et plusieurs critiques catholiques, à une époque assez basse ; comme enfin l’auteur du livre de l’Ecclésiaste paraît être un esprit cultivé et de beaucoup de lecture, la dépendance en question n’est pas sans quelque probabilité. Avec prudence le même raisonnement peut s’appliquer à tel rapprochement mentionné dans les pages précédentes, qui, pris tout seul, ne prouve pas grand chose, mais, situé auprès des autres, gagne en probabilité et mérite d’être pris en considération.

4. — Il faut tenir compte aussi de la communauté de race. Telle prescription mosaïque, au lieu de se rattacher directement, malgré les apparences, à la législation hammourabienne, ne fait peut-être qu’enregistrer une très ancienne coutume. Une origine commune, une même tournure d’esprit et la parenté des langues expliquent certaines expressions, comparaisons, métaphores et autres figures de langage, les formes de la poésie, le parallélisme des membres du vers (dont la littérature égyptienne offre aussi des exemples), la strophe mesurée par le sens et par l’arrangement parallèle ou symétrique d’un nombre égal de vers.

De l’influence en matière de civilisation matérielle on ne doit pas conclure, par une généralisation arbitraire, à une influence pareille dans le domaine religieux. Les Hébreux, soit lors de leur établissement au pays de Canaan, soit plus tard par suite des relations politiques ou commerciales, peuvent fort bien avoir adopté pour la supputation, la division du temps, les poids et les mesures, le système sexagésimal en usage sur les bords de l’Euphrate et ailleurs, sans avoir copié du même coup une religion étrangère. Sans doute, à diverses époques, surtout sous les rois impies Achaz et Manassé, les superstitions des Assyriens et des Chaldéens ont tenté de pénétrer en Israël ; mais ces abus ont été vigoureusement condamnés et refoulés par les prophètes.

5. — Si l’on joint à l’érudition, qui amasse les faits, un esprit philosophique qui juge sainement de leurs relations et de leurs causes, on ne se hâtera pas de conclure à l’emprunt ou à l’imitation, après un premier coup d’œil jeté à la surface des choses. On se demandera s’il existe un lien réel, un rapport de filiation entre les doctrines. Quand ce lien sera constaté par une méthode rigoureuse, comme celle que le P. Delehaye propose avec tant de tact et de science dans un chapitre sur les « réminiscences et survivances païennes » dans le culte chrétien (Les Légendes hagiographiques, ch. vi), il n’y aura, du point de vue catholique, nulle difficulté à l’admettre.

Si « Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Egyptiens » (Act. Ap. vii, 22), c’était apparemment, dans les desseins de la Providence, pour en tirer quelque profit. Aussi les Pères de l’Eglise n’ont pas eu de répugnance à reconnaître des importations étrangères dans le culte des fils d’Israël. Le P. Ferd. Prat cite dans ce sens S. Jean Chrysostome, Origène, S. Jérôme, Eusèbe, Théodoret, et, après eux, le grand commentateur Tostat qui écrit : « Beaucoup de cérémonies sont communes aux Juifs et aux païens : elles ne furent même accordées à ceux-là que parce qu’elles étaient déjà reçues parmi les gentils. Les Juifs s’y étaient habitués ; Dieu les toléra après en avoir effacé tout ce qui sentait la superstition » (Le Code du Sinaï, sa genèse et son évolution, 1904, p. 17, 18, cf. Études, t. LXXVI, p. 97).

6. — Mais, en parlant des emprunts ou des influences, il ne faut pas oublier, comme font malheureusement tant d’historiens des religions, les contrastes, les différences essentielles. Toute différence vraiment essentielle disparaît pour qui n’admet pas le caractère surnaturel de la religion de l’Ancien Testament. Pour ceux mêmes, parmi les historiens rationalistes, qui avouent la supériorité d’Israël en matière religieuse, et voient en lui le seul peuple strictement monothéiste de l’antiquité, ce phénomène est affaire de génie spécial, d’évolution plus heureuse dans des circonstances providentielles. Les croyants, au contraire, à cette question : « Quel est donc l’avantage du Juif sur le gentil ? » répondent avec saint Paul : « Cet avantage est grand de toute manière : d’abord c’est à eux que les oracles de Dieu ont été confiés » (Rom. iii, 1-2). La révélation surnaturelle, dont les prophètes ont été favorisés, met un abîme entre leurs oracles et ceux des païens. Eclairés par ces communications divines, les prophètes ont écarté de la religion de lahvé la magie et les superstitions, les pratiques honteuses ou homicides, en honneur chez les peuples voisins ; ils ont gardé pure la doctrine monothéiste, ils l’ont sans cesse développée et élevée. C’est ce qui place cette religion incomparablement au-dessus de toutes les autres du même temps : il ne s’agit pas d’une différence de degré, que de nouvelles découvertes pourront effacer ou amoindrir, mais d’une différence d’ordre, d’une véritable transcendance, qui vient justement de ce que la religion d’Israël est une religion révélée, d’ordre surnaturel.

7 — Aux yeux de certains apologistes malavisés, la transcendance de la vraie religion se transforme en opposition absolue et complète entre la religion divine et les cultes erronés. L’abbé de Broglie a montré les résultats déplorables d’une telle apologétique (Religion et critique, édité par l’abbé C. Piat, 1897, p. 132-139). Nous l’avons vu, dans la littérature babylonienne, qui représente la pensée religieuse de tant de générations, tout n’est pas perversion morale et superstition ; loin de là. On peut y admirer sans scrupule, dans une splendide forme poétique, nombre d’idées élevées. A travers la forêt des conceptions mythiques et polythéistes on entrevoit un Dieu créateur, qui gouverne le monde, qui punit ou pardonne les fautes, avec qui l’homme peut entrer en communication par la prière. L’obligation de la loi morale, la conscience du mal commis, la rétribution inévitable sont affirmés dans une foule de textes. A côté des vérités perçues par les forces naturelles de la raison, quelques souvenirs de la révélation primitive s’étaient probablement conservés à travers les siècles. Dieu, en accordant au peuple élu le privilège de la révélation, n’a point abandonné les autres peuples sans aucune lumière, sans aucun secours ; il n’a pas pu les soustraire à sa providence dans l’ordre naturel ; il n’a pas voulu refuser absolument à ces païens toute grâce surnaturelle pour les aider à bien vivre et à atteindre leur fin dernière.

Albert Condamin, S. J.