Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Constantin (La conversion de)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 353-357).

CONSTANTIN (LA CONVERSION DE). —

La conversion de Constantin est un des évènements les plus considérables de l’histoire du Christianisme. Au temps qui précède, l’Eglise est persécutée furieusement ; au temps qui suit, elle goûte une paix définitive. Placée dès l’abord sur le pied d'égalité avec les cultes païens officiels, bientôt elle est l’objet de toutes les faveurs du prince. L’empereur, maître du monde, est devenu un fidèle, ttittî ; fix^ùsJç, comme signeront bientôt les successeurs de Constantin. C’est donc un renversement complet, et l’histoire n’a pas conservé mémoire d’une réAolution plus profonde.

Le fait lui-même du changement de religion du prince ne peut-être mis en question. On ne discute 691

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plus, sinon sur la date de l’événement et sur les motifs qui le déterminèrent. Nous examinerons successivement ces deux points. On ne s’étonnera pas de nous voir négliger la question du baptême de l’empereur, elle est tranchée et n’a rien à faire avec celle qui nous occupe. Nous rechercherons donc : là quelle époque eut lieu cette conversion ; Il quelle en fut la sincérité ; III enfin quels motifs la provoquèrent.

I. — EusÈBE assigne à la conversion de l’empereur Constantin l’époque de sa victoire sur Maxence, 81^’- « 312 (Vita Constantini, i, 27-81, P. G.. XX, g44) ; LiBAXius la place en 323, après la défaite de Licinius ; ZosiME en 326, après le meurtre de Crispus (Historia nova, II, 29) ; M. Babelon la croit postérieure à févr. 313 (Mélanges Boissier, p. 49-55). Burckhardt et DuRUY rejettent l’hj’pothèse elle-mêuie et n’y voient qu’vme manœuvre politique.

L’opinion d’Eusèbe est celle de l’histoire véritable. Un fait hors de doute, c’est que, parti des Gaules païen, Constantin se présenta devant Rome comme le champion, le protégé du Dieu des chrétiens. Tandis que son adversaire Maxence faisait appel à toutes les ressources de la religion païenne jjour conjurer les dieux de l’ancienne Rome, les soldats de Constantin portaient sur leurs boucliers et sur leur étendard le signe)|(, le X et le I, initiales du nom du Christ : ’lr.70ûi Xptvro’i.

M. Maurice me semble avoir mis ce point hors de conteste [Société des antiquaires de France, procès-verbaux, séances du 11 9" 1903 ; 18 mai 1904). Il s’appuie sur la description de Lactance, qui écrivait en 314, tout près des événements. Il signale le monogramme sons cette forme, avec la légende m virtus exercit. », sur les monnaies ; entre 320 et 324 à Tarragone, de même à Siscia, à Thessalonica et à Aquilée. Cette frappe sans précédent lui semble avoir été inspirée par le premier étendard chrétien. Il se sépare donc d’EusÈBE, dont on suit généralement la version, mais dont le labarum (dépeint Vità Constant., i, 31) ne peut cti’e celui de 31"2. Il portait en effet, d’après la description, les médaillons de Constantin et de ses deux fils, par suite ne pouvait être antérieur à 316. Il fut l’étendard triomphal de la campagne contre Licinius en 324, et dut vraisemblablement son origine à l’élévation des deux Césars en 317. C’est aussi à cette date que le monogramme ^ apparaît au casque de l’empereur sur les monnaies de Siscia. Jusqu’en 324, le labarum reste l’étendard de l’empereur d’Occident et ne devient qu’ensuite l’étendard de l’empire entier. En 325, on le trouve gravé sur des monnaies, la hampe enfoncée dans le corps d’un dragon, pour marquer le triomphe du christianisme sur l’esprit des ténèbres. C’est ainsi encore qu’il était représenté au palais de Constantin : EusÈBE, Vita Constant., iii, 3 ; Maurice, Numismaiique constantinienne, Paris, 1908, p. cvi.

Le prince faisait par là profession publique de christianisme, sa victoire fut celle du Dieu des chrétiens. L’opinion ne s’j' méprit pas, et l’empereur, dans l’édit de Milan, dut rassurer ses sujets paiens, peu faits à l’idée de tolérance religieuse, contre la crainte de représailles. C’est Lactance qui, dès 314, dans son De mortibus persecuiorum, nous atteste cet événement. La numismatique constantinienne apporte une confirmation irrécusable de son témoignage. Ces attestations contemporaines ne laissent aucun doute sur l’époque de la conversion de l’empereur. Cf. J.Maurice, La numismatique constantinienne, p. lxxxv.

L’empire cependant ne pouvait devenir chrétien du jour au lendemain : Licinius pa’ien en gouvernait la moitié ; l’Occident, domaine propre de Constantin, renfermait moins de chrétiens que l’Orient. De plus l’empire, gouverné par deux personnes, n’était pas réputé divisé, et la législation demeurait commune, encore que, dans l’application des lois et la

distribution des faveurs, les dififérences pussent être très grandes (Duckesxe, Hist. anc. de l’Eglise, II, p. 62). L’édit de 314 établissait la reconnaissance du culte chrétien sur le même pied que les cultes paiens, et ordonnait restitution des biens confisqués. C’était beaucoup pour les persécutés de la veille, c’était trop peu pour la piété de l’empei-eur, que nous voyons subvenir aux besoins des communautés nécessiteuses par de larges aumônes, construire des églises magnifiques. Dès 313, le pape Miltiade célèbre son concile au palais de Latran, propriété de Fausta, femme de Constantin, devenue domus Ecclesiae. Dès cette époque, l’évêque Hosius est auprès de l’empereur, son conseiller, ministre du culte, quasi aumônier impérial. Entre 320 et 824. paraît toute une législation qui donne à l’Eglise la personnalité civile et les privilèges des cultes païens, tout d’abord : abolition des lois portées par Auguste contre le célibat (Cod. Theod., VIII, 16, 1), l’abolition (vers 3 1 2) du supplice de la croix et de la rupture des jambes pour les criminels (Aurk-Lius Victor, De Cæsai-., 40’mesures d’une inspiration chrétienne très délicate ; faculté de tester en faveur des églises accordée aux chrétiens (Cod. Theod., XVI, 11, 4), faculté d’affranchir les esclaves à l’église (Cot/. Just., l, 13. i, 2 ; Cod. Theod., IV, 7, 1), prescription du repos dominical aux tribunaux, aux bureaux, aux ouvriers des’es{Cod.Just., III, 12, a), défense aux juifs, sous peine du feu, de lapider ceux de leurs coreligionnaires qui se convertiraient XVI, 8, 1), exemption pour les clercs des fonctions publiques et des corvées (Lettre au proc. Anulinus Evs., B. E., X, VII).

Tandis qu’il réglait ainsi le statut de son Eglise, Constantin, dans cette première période, laisse la liberté aux cultes païens, les mesures qu’il prend contre eux n’ont d’autre but que de protéger les particuliers contre l’exploitation des haruspices et l’immoralité de certaines pratiques (Cod. Theod., IX, 6, I, 2, 3 ; XVI, 10, 1). Si par ailleurs, dans la législation officielle de l’empire, Constantin est obligé à la réserve, ses véritables sentiuients apparaissent dans les nombreuses lettres qu’il adresse aux fidèles de sa religion, dans le zèle avec lequel il prend fait et cause en leurs controverses, dans son souci de l’orthodoxie, dans ses efforts persévérants contre les dissidents :

« Vous n’ignorez pas, écrit-il au pape Miltiade, 

que j’ai un si grand respect pour l’Eglise sainte et légitime, que je voudrais vous voir faire disparaître tout schisme et division » (Eus., H. E., X, v. P. G., XX, SS’j) ; au proconsul d’Afrique, Anulinus, à la même date : « Parce qu’il est reconnu que la religion catholique est celle qui sait le mieux honorer la divinité et que, si on l’observe et qu’on la respecte, elle pourra faire le bonheur de l’empire » (H. E., X, vil, P. G., XX, 894). Même préoccupation dans la lettre à Chrest de Syracuse en 314(ibid., c, 890), où il déplore l’obstination de ceux qui u oublient leur propre salut et la vénération due à la très sainte foi… et se déchirent par une honteuse et détestable division. .. donnant occasion de railler à ceux dont les sentiments sont éloignés de la très sainte religion ». De même, lettre à l’évêque de Carthage, où il l’avertit qu’il met des sommes d’argent à la disposition de certains ministres de la légitime et très sainte religion catholique (//. E., X, vi, P. G.. XX. 892). Plus frappante encore son exclamation dans une lettre aux évêques catholiques, au sujet des Donatistes : Meum judicium postulant, qui ipse judicium Christi exspecto (Appendice aux œuvres d’OPTAT de Milève, Corp. Script, latin., t. XXVL p. 209).

Ce souci de leur vie intérieure, et le ton respectueux qu’il prend quand il s’adresse aux évêques, montrent bien la conviction intime de son àme, la foi 693

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d’un fidèle. Il ne serait pas légitime de mettre cette déférence au compte d’un secrétaire comme Hosius ou Eusèbe : Constantin était un souverain trop absolu et trop personnel, pour tolérer qu’on lui prêtât une attitude et des sentiments qui n’eussent pas été les siens.

Ce qui achève la démonstration, c’est le changement qu’on observe dans ses actes officiels à partir de 824, lorsqu’il est vainqueur de Licinius et seul maître de l’empire. Rien ne venant plus le contraindre, il sera chrétien sans ménagement. La guerre qu’il entreprend contre son rival, plus encore que sa guerre contre Maxence, est considérée par l’opinion publique comme un duel entre les deux religions. L’édit aux orientaux qui la couronne, proclame officiellement le triomphe de la religion chrétienne. L’empereur s’y affiche nettement chrétien, donne pour la raison de sa victoire le dessein, que Dieu a d’amener le genre humain « à l’observance de la loi sainte », expose la cruauté des persécutions exercées par ses prédécesseurs, le châtiment qu’ils ont reçu. Constantin accorde encore la liberté au paganisme, mais en quels termes ! « Que chacun suive l’opinion qu’il préfère. Il faut que ceux qui pensent bien soient persuadés que ceux-là seuls vivront dans la justice et la pureté que tu as toi-même appelés à lobservation de tes saintes lois. Quant à ceux qui s’y soustraient, qu’ils conservent tant qu’ils voudront les temples du mensonge. Nous, nous gardons la splendide demeure de la vérité… Plusieurs, me dit-on, assurent que les rites et les cérémonies de Verreur, et toute la puissance des ténèbres vont être entièrement abolis. C’est ce que j’aurais certainement conseillé à tous les hommes : mais, pour leur malheur, l’obstination de l’erreur est encore trop enracinée dans l’âme de quelques-uns » (Eus., Vita Const., 11, 60 ; P. G., t. XX, io31-io34).

Plus dures encore pour le paganisme, les paroles qu’il adresse, à peu près à cette époque, à l’assemblée des évêques (P. G., t. XX, 1 233-1 3 1 5). Sur l’authenticité substantielle de ces paroles, voir Dom J. M. Pfattisch, Die Rede Konstantins des Grossen an die Versanimlung der IIeiligen, Freihurgi. B., igo8.

Dès lors le christianisme de Constantin est trop évident pour que nous nous attardions à le prouver. Il commence la construction de Constantinople, ville toute chrétienne, le labarum devient l’étendard impérial, les fonctionnaires sont choisis de préférence parmi les chrétiens ; s’ils sont païens, il leur est interdit de prendre part officiellement aux cérémonies du culte (Eus., Vit. Const., ii, 44. P- G., XX, 1022). En 325, l’empereur rassemble le concile de Nicée, et y prend place avec tout le zèle et la déférence d’un prince chrétien.

II. Aurait-il joué double jeu ? — Faut-il ne voir en lui qu’un politique avisé, tantôt clirétien, tantôt païen, suivant l’occasion ? Duruv l’a pensé ; il dépeint l’empereur comme un sceptique, parlant à chaque parti la langue qui lui plaît, grâce à des secrétaires choisis dans les cauips opposés (Hist. des Romains, t. VII, p. 61). BuRCKHARDT de Bàlc (Die /.eit Constantins des Grossen) fait de Constantin un Bonaparte ambitieux signant le Concordat. Tli. Buikcieu lui reconnaît une sorte de superstition chrétienne, incapable de dominer ses préjugés païens (Constantin als Religionspolitiker).

Ces manières de voir, non exemptes elles-mêmes de préjugés, ne peuvent |)as se soutenir. « On ne saurait trop admirer, écrit Mgr Ducuksm ; , la naïveté de certains criliciues, qui altordenl cette littérature impériale avec l’idée préconçue qu’un ciu[)crcur ne pouvait avoir de convictions religieuses ; que des

gens comme Constantin, Constance, Julien, étaient au fond des libres-penseurs, qui, pour les besoins de leur politique, affichaient telles ou telles opinions. Au iv » siècle, les libres-penseurs, s’il y en avait, étaient des oiseaux rares, dont l’existence ne saurait être présumée, ni acceptée facilement. » (Hist. anc. de l’Eglise, t. II, p. 60, note.)

Que Constantin ne fut point de ces hommes, nous l’avons montré suffisamment.

Un seul fait donnerait prise au soupçon de duplicité : c’est le mélange de paganisme et de christianisme qu’on trouve dans les actes officiels et sur les monnaies de Constantin : ainsi l’empereur garde le titre de Pontifex maximus, et en exerce même les fonctions, en tant qu’elles n’impliquent aucune compromission de sa personne aA’ec le culte païen ; ainsi encore les monnaies frappées à l’effigie de l’empereur continuent à porter l’image du soleil et la dédicace

« Soli im’icto comiti », etc.

Le fait que six des successeurs de Constantin, incontestablement chrétiens, conservèrent la dignité pontificale prouve qu’elle n’impliquait pas nécessairement le sens qu’on lui prête. De même, la présence simultanée, sur les monnaies, de signes chrétiens et de signes païens démontrerait au besoin qu’il n’y a pas duplicité dans l’âme de l’empereur, mais plutôt une situation équivoque, comme il s’en rencontre lors d’un changement soudain dans les mœurs et les institutions. Le duc de Broglie, dans le Correspondant, 1888, t. CLIII, a bien montré comment les époques de transition sont pleines de ces compromis bizarres et de ces contradictions. Déjà sous les empereurs précédents, nous l’apprenons par des documents tels que les canons du Concile d’Elvire, des chrétiens exerçaient les charges de magistrat municipal, de gouverneur de province, voire même de flamine de cité ou de province. Ils se faisaient dispenser des cérémonies incompatibles avec leur foi. Combien plus l’empereur resté catéchumène devait-il se flatter de concilier ses croyances et sa situation ! Nous en trouvons la preuve dans les textes : c’est ainsi qu’en 313, il néglige les jeux séculaires, au grand dépit des païens (Zosime, ii, 67). On ne trouve nulle part trace de sacrifices ou de visite au Capitule lors de son entrée à Rome. S’il élève plus tard des temples, érige des statues de divinités, ce n’est plus pour lui qu’art et décorations. Zosime lui reproche d’avoir dans ce cas, par indifi’érence, enlevé aux statues leurs emblèmes, modifié même l’attitude de leurs mains, et d’avoir transformé en suppliante la mère des dieux (Zosime, ii, 31, édit. Mendelssohn, p. 88).

Pour les monnaies, M. J. Maurice, qui possède en cette matière une compétence exceptionnelle, me semble avoir résolu un problème qui déconcertait le docte Tillemont lui-même : « Les ofEciers monétaires gardaient une assez grande liberté dans le choix des dilTérents qui caractérisaient les séries monétaires et les émissions. Aussi n’inscrivirent-ils de signes chrétiens sur les monnaies que lorsqu’ils se crurent sûrs de l’approbation de l’empereur et que d’autre part ils pensèrent répondre dans une certaine mesure aux v<rux des populations… Dans les diocèses d’Espagne et de Pannonie, les ateliers de Tarragone, de Siscia et de Tiiessalonica inscrivaient déjà des signes chrétiens dans le chanx[) de leurs monnaies (dès’iVi). En Orient, ce fut après la chute de Licinius en 324 que les signes chrétiens parurent sur les nn>imaies. Dans les Gaules, et bien que ces provinces fussent gouvernées par un empereur chrétien, l’atelier d’Arles ne fit graver, comme premier symbole chrétien, le monogramme constantinien qu’en’.vkh, et ceux de Trêves et de Lyon qu’en 337, après la mort de Constantin. » (L’atelier monétaire d’Arles pendant la période Constantinienne de 313 à 337, Milano, 1005.) Le même auteur remarque ailleurs que, là où les formules restent païennes après 3"24, ce sont dos formules allégoriques et abstraites, telles que : Utilitas publica, temporum 695

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félicitas, L’bertas sæculi, etc., qui remplacent les anciennes dédicaces aux divinités (Bulletin de la Société des antiquaires de France, 1890, p. 382, cf. ibid., 1901, p. 197 à 201 : Signes chrétiens sur les monnaies de l’époque de Constantin, yumisttiatiquc constantinienne, p. cxivy.

m. Quels motifs provoquèrent la conversion ?

— BuRCKnARDT et DuRUY ne voient, avons-nous dit, dans cette conversion, qn’un calcul politique. Mais, fait observer Boissier, quel intérêt pouvait avoir Constantin à se faire chrétien ? voilà ce qui est fort malaisé à découvrir (^Fin du paganisme, I, p. 2’y). Les chrétiens étaient moins nombreux en Occident qu’en Orient ; s’il se réglait sur la religion de ses sujets, l’empereur n’avait aucune raison de changer la sienne, qui était la leur. Dans la circonstance criticpie de sa lutte avec Maxence, il avait tout intérêt, au contraire, à se ménager la faveur des païens de Rome. Si donc ce ne fut point à l’intérêt qu’il céda, ce fut à une conviction personnelle. D’où lui int cette conviction ? A en croire Constantin lui-même et les historiens du temps, elle dut son origine à une intervention miraculeuse de Dieu, dans laquelle l’empereur vit une promesse de Aictoire et la révélation de la puissance du Dieu des chrétiens.

Que Constantin connût déjà, avant ce fait, le christianisme, on n’en peut douter. A la cour de Constance son père, il avait dû le voir à l’œuvre, peut-être même, à en juger par le nom de sa sœur Anastasie, le christianisme était-il entré dans sa famille. Les ménagements dont il usait, suspendant pour ses Etats la persécution dont il a^ait signé l’édit avec ses collègues, font dire à Eusèbe qu’il était chrétien de cœur. Plus tard, à Nicomédie, Constantin, otage, vit de près le christianisme florissant malgré la persécution d’Orient. Quand, à son tour, il fut le maître en Occident, il se montra favorable aux chrétiens. Mais ces constatations ne nous livrent pas le secret de sa conversion. Celle-ci fut incontestablement déterminée au cours de la guerre contre Maxence. Parti païen de Gaule, il entrait à Rome décidé pour le christianisme. Quels événements étaient intervenus ? Eusèbe, qui eut les confidences de l’empereur, nous expose le développement de ses idées au cours de cette guerre. Ce développement est si conforme aux idées qu’un païen pouvait se faire, Constantin lui-même y est si souvent revenu, qu’on a lieu de le croire fondé en réalité.

Préoccupé de mettre de son côté la protection du ciel, sachant d’ailleurs que Maxence ne négligeait rien pour s’assurer celle des dieux nationaux, il se persuada que le Dieu des chrétiens lui serait un plus sûr ajipui ; la triste lin des ennemis des chrétiens lui en était un gage, les succès constants de son père et les siens semblaient fournir une contre-épreuve (Eus., V. C. I, 27). Sa victoire sur Maxence fut à ses yeux une première vérification, et comme la récompense du choix qu’il avait fait ; les succès qu’il remporte ensuite constamment, son triomphe définitif sur Licinius, affermirent sa fidélité. Il se plaisait à faire cette constatation, et la représentait aux païens qu’il voulait amener au christianisme.

Cette conversion de Constantin, comme on le voit, a beaucoup d’analogie avec celle de Clovis : donnemoi la victoire et je croirai en toi. Plus qu’à Tolbiac, le triomphe obtenu sur Maxence eut un caractère merveilleux. Tous les historiens sont d’accord pour le reconnaître : instinct a di<, nnitatis, écrivit le sénat sur l’arc de triomphe qui en rappelait le souvenir ; ainsi parle également le panégyriste de 821 (Paneg., x, i^. P. L., VIII, 592). L’inscription sur les boucliers, au matin de la bataille, du monogramme du Christ jusqu’alors inconnu, procède évidemment d’une inspiration subite. Lactance, en 314, raconte ainsi le

fait : Commonitiis est in quiète Constantinus ut cæleste signum Dei notaret in sentis, atque ita prælium committeret (De mort, persecut., 44)- Quelques semaines seulement après la victoire, un panégyriste liaïen de Trêves, peut-être Eumenius, disait de même : Aon diihiam te, sed promissam di^-initus petere victoriam (Paneg., ix, P. L., t. VIII, 656). De même Sozo-MÈNE, écrivant un siècle plus tard. Eusèbe (//.£., IX, ix, P. G., XX, 820. avant l’année 826), se contente de dire que ce fut après avoir appelé à son aide a le Dieu du ciel, son Verbe, le Sauveur de tous, Jésus-Christ » qu’il engagea la lutte. Tous ces témoignages, si proches des événements, s’accordent à signaler l’origine miraculeuse de la foi qui guida Constantin à la victoire. Quelques années plus tard, vers 387, Eusèbe écrÎA’ant la Aie de Constantin a laissé un récit plus détaillé des événements ; récit précieux, car il nous livre la version officielle certifiée par Constantin lui-même :

« C’était l’après-midi, le soleil commençait à

baisser, l’empereur vit, de ses yeux, dans le ciel, au-dessus du soleil, le trophée de la croix formé de lumière avec cette inscription : « Triomphe par ceci. » A cette vue, lui et les soldats, qui l’accompagnaient dans une marche…, et qui furent, comme lui, témoins du miracle, furent grandement étonnés : et il commença à se demander ce que signifiait cette apparition. Il y avait beaucoup réfléchi, lorsque la nuit tomba. Alors Jésus-Christ lui apparut pendant son sommeil, avec le signe qu’il avait aperçu dans le ciel, et lui commanda d’en faire une enseigne militaire et de s’en servir comme d’une égide tutélaire dans les combats. L’empereur se leva avec le jour et révéla le secret à ses amis. Puis il fit venir des orfèvres et des joailliers ; il leur dépeignit l’enseigne de vive voix et leur ordonna d’en exécuter la ressemblance avec de l’or et des pierres précieuses : en voici la forme… » (Eus., Vila Const., i, 27-80). Ainsi que le dit Mgr Dcchesne (Hist. une. de l’Eglise, II, 5g), nul n’est fondé à démentir Eusèbe quand il assure tenir ce récit de Constantin lui-même. Mais l’empereur n’a-t-il pas quelque peu dramatisé l’histoire de sa conversion ? On serait porté à le croire. Il ne semble pas douteux, en efl’et, qu’il n’exagère l’ignorance oxi il était du christianisme ; et de plus l’événement éclatant qu’il raconte, si propre à frapper les imaginations, aurait trouvé place au premier rang dans le récit des contemporains, s’il avait eu pour témoins, comme le dit Constantin, l’armée et l’empereur. Quoi qu’il en soit du détail, nous avons montré que la conversion de l’empereur avait été tenue pour miraculeuse par les contemporains.

En résumé, ce fut bien en octobre 812 que Constantin prit parti pour le Christ ; sa conversion fut sincère ; si, néanmoins, il resta catéchumène, si dans sa vie privée il nous offre le spectacle de crimes odieux, c’est qu’il était difficile, à lui plus qu’à tout autre, de dépouiller le païen (Tertulliex. Apol. 21, déclarait même la chose impossiljle à un César). Enfin si sa vie publique n’est pas exempte de contradictions, la faute en est aux circonstances plus qu’à lui-même. Les grandes choses que l’empereur a réalisées ont couvert ses faiblesses, et c’est à juste titre qu’au premier empereur chrétien la postérité a décerné le nom de grand.

Bibliographie. — On consultera Ulysse Chevalier, Bio- Bibliographie, article Constantin ; P. Allard, Persécution de Dioclétien. t. II, p. 284 ; Je christianisme et l’empire romain, Paris, 1908 ; Beugnot, Hist. du paganisme en Occident, t. I, p. 66 ; Boissier, La fin du paganisme, t. I, 47 ; Th. Brieger, Constantin der Grosse als Beligionspulitiker, Gotha, 1880 ; Broglie, L’Eglise et l’empire romain 697

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au iv° siècle, t. II, Paris, 1860 ; Histoire et diplomatie, 207 ; Burckhardt, Die Zeit. d. Constantins des Grossen, Leipzig, 1880 ; Chiffletius, Dissert. II. De loco, tempore et cæteris adjuiictis com’ersiouis viagni Constantini ad fîdem cliristianam, Paris, 1676 ; Desroehes, Le labarum, Etude critique et archéol., Paris, 189^ ; Duchesne, Hist. ancienne de l’Eglise, t. II ; Duruy, Hist. des Romains, t. VII, 36 ; Du Voisin J. B., Dissertation critique sur la vision de Constantin, Paris, i’]']l’, Fabricius, Dissert, de cruce Constantini Magni qua probatur eam fuisse phænomenon in Jialone solari, quo Deus usus sit ad Constantini M. animum promovendum, Hamburgi, 1706 ; Funk, Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen, II, Paderborn, 1899 ; Grisar, Zeitschrift f. Katlt. Tlieol, 1882, VI, 554-562 ; Knopfler, Konstantins Kreuzesvision, Hist. Pol. BUitter, 1908, p. 183, i fascicule ; Lejay, Rev. d’Hist. cl littérat. relig., XI, 1906. p. 27 ; J. Maurice, ^^’uniismatique constantinienne, Paris, 1908 ; Papebrocbius, Comment, hist. dans Acta SS, Rolland., 1685, niaii V, 12-27 ; Pfattisch, O. S. B., Die Rede Konstantins des Grossen an die Versammlung der Heiligen, Slrasliurger theologisclie Studien, IX, 4-Freiburgi. B., 1908 ; Preger, Hermès, t. XXXVI, 1901, J). 457-469 ; Tillemont, Hist. des emper., IV, 78-3 1 1 ; 613-614 ; Prou, dans Hist. de l’art, II, 901, Paris, 1905.

H. DCTOCQUET.