Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Convulsionnaires (Les)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 361-365).

CONVULSIONNAIRES (Les). — Outre les cas isolés ou sporadiques de convulsions merveilleuses, nous rencontrons dans l’histoire de nombreux exemples d’épidémies convulsives. Cependant, ces étonnantes convulsions, épidémiques ou non, ne se présentent presque jamais séparées, ni même nettement distinctes d’autres phénomènes, soit purement morbides se rattachant à quelque névrose, soit dus à une intervention diabolique, maléfice, obsession, ou possession. Ainsi l’hystérie compte parmi ses manifestations les attaques convulsives, et les possédés, soit réels, soit apparents, comme les obsédés et les maléliciés, sont très souvent sujets aux convulsions, bien que celles-ci ne soient pas caractéristiques d’une névrose déterminée, et moins encore d’une intervention quelconque du démon. La convulsion affecte aussi des formes différentes:tantôt elle se présente sous la forme de contorsions effrayantes ; ce sont ces contorsions qui dominent d’ordinaire, au point de vue corporel, chez les démoniacpies, soit réels, soit apparents. Tantôt la convulsion affecte un certain rythme, et imite les grands mouvements, le clownisme de la grande hystérie ; telle était ratta(iue convulsive de la cliorée épidémique du moyen âge, de la danse de Saint-Jean, de Saint-Guy, etc. (Voir notre étude sur les Démoniaques, dans la Science catholique, livraisons du 15 avril 1889 et suiv.)

Ici nous ne nous occupons que des convulsionnaires proprement dits, que nous distinguons d’abord

des danseurs que nous venons de mentionner, sans vouloir exclure les points de contact entre les deux, et en permettant au lecteur d’applicpier à ces derniers 3e qui leur serait applicable dans les considérations que nous ferons. ous distinguons encore les convulsionnaires des démoniaques ; non pas que nous voulions nier a priori toute intervention du démon chez les convulsionnaires ; nous ne Aoulons pas même exclure a priori, d’une manière générale et absolue, la possession proprement dite ; mais nous parlons de convulsionnaires qui ne présentent pas cet ensemble de signes, soit apparents, soit réels, certains et équivoques, qui font à première vue songer, à tort ou à raison, à une possession du démon. S’ous écartons aussi l’intervention d un maléfice, comme cause générale et apparente des convulsions. Les couvulsionnaires sont ceux chez lesquels dominent les convulsions proprement dites, comme effets soit d’une étonnante maladie déjà existante, ou se déclarant subitement, soit d’une intervention préternaturelle, qui n’a pas été généralement attribuée à un maléfice, ni à la possession du démon, et qui ne devait pas y être attribuée généralement et à première vue. Outre le maléfice, il y a l’interA-ention spontanée du démon. Outre la possession, il y a l’obsession proprement dite, ou toute autre action diabolique sans que le démon inhabite et possède. Outre le démon, il y a l’intervcntion céleste. Nous verrons qu’en réalité, toutes ces hypothèses ont été faites au sujet des convulsionnaires les plus célèbres, les con-A’ulsionnaires de Saint-Médard.

Outre les cas isolés d’étranges convulsions, et pour ne pas remonter trop loin dans l’histoire, nous renconti’ons, au cours du ix*^ siècle, des scènes tumidtueuses de cette nature, deux fois répétées, qui excitèrent au même degré la curiosité et la stupeur.Xous avons sur le premier fait, qui se passa à Uzès, dans l’église de Saint-Firmin, une lettre de saint Agobard, archevêque de Lyon, à Barthélémy, é^êque de Xai’bonne (f. L., t. CIV, col. 179) ; et sur le second, qui se produisit à Dijon, en l’église de Saint-Bénigne, une lettre d’AMOLox, archevêque de Lyon, à Théobold, évêque de Langres (P. L., t. CXVI, col. 77 et suiv.).

Xous pouvons comparer encore aux convulsionnaires de Saint-Médard les Camisards des Cé^ennes à la lin du xvie siècle et au commencement du xvii’(v. Hipp. Blanc, De l’inspiration des Camisards, Pai’is, Pion, iSSg) ; et bien plus près de nous, les convulsionnaires des revivais et des camp-meetings américains et anglais, au commencement de ce siècle et jusqu’à nos jours ; l’on y vit parfois jusqu’à quatre mille personnes tomber en convulsions (v. John Chap.man, Christian revivais, London, 1860; Hipp. Blanc, Le merveilleux dans le jansénisme, livre iii, Paris, 1865).

Enfin, en 1841 et 1842, régnait une épidémie convulsive, accompagnée d’une espèce d’extase, parmi les habitants des campagnes des parties centrales de la Suède (v. Mémoire du D’" Sonden, de Stockholm, dans Gaz. méd. Paris, 1843, p. 555).

Nous nous contenterons d’examiner au point de Aue philosophique et théologique les convulsionnaires de Saint-Médard ; d’abord, pai-ce qu’ils sont les plus célèbres dans l’histoire ; ensuite, parce que ce sont surtout ceux-là que les incrédules, comme les sectaires, ont allégués contre l’Eglise catholique ; et que, par conséquent, nous pourrons aussi, à leur propos, réfuter tout ce que les adversaires ont produit ou peuvent i)roduire contre l’Eglise à propos de convulsionnaires quelconques.

Nous commencerons par un exposé très succinct des faits.

La réalité de ces étranges convulsions et des 707

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phénomènes qui les accompagnèrent n’est, en somme, contestée par personne, et ne saurait l’être. Tout Paris en fut témoin, et nous avons encore les rapports détaillés de témoins oculaires, jansénistes et catholiques, partisans du surnaturel et naturalistes, qui ont pu se contrôler les uns les autres’. Or, tous sont d’accord, en somme, sur les faits ; l’interprétation seule diffère, et de là quelques divergences de détail, dues aux préventions et aux idées préconçues des observateurs, mais qui ne nuisent en rien à la constatation du fait en lui-même, et qui ne nous empêchent en aucune façon de connaître la vérité, ni de juger de la nature des phénomènes, comme si nous en avions été témoins nous-mêmes.

Il est vrai que les jansénistes ont prétendu aussi qu’avant les convulsions, des guérisons miraculeuses s’étaient produites sur le tombeau du diacre Paris ; mais quelle différence ici avec les convulsions, pour ce qui regarde même la constatation des faits, à part leur interprétation ! Ce sont les jansénistes seuls qui tâchent par tous les moyens d’accréditer ces miracles, et ; au témoignage d’un contemporain, lord Georges Littleton. déiste redevenu protestant, ceux qui y ajoutèrent foi étaient extrêmement disposés à les croire ; le même auteur s’indigne que les incrédules aient osé comparer et opposer de tels miracles à ceux de Jésus-Christ et de ses apôtres (v. Dictionnaire historique de Tabbé Feller, v" Paris. — Cpr. Recueil de litt. de philos, et d’histoire, Amsterdam, i-30. p. 123 ; et le protestant De Vœux, Amsterdam, 1740 » lett. 8 et 9). Au témoignage d’un autre contemporain, ces miracles soulevèrent l’incrédulité générale, qui se « déchaîna dès le commencement de vive voix, et par un grand nombre d’écrits de toute espèce, sérieux, raisonnes, satiriques, burlesques, comiques. Les miracles du saint janséniste furent condamnés par des mandements (entre autres, de Mgr J.-J. Languet, archevêque de Sens, et de Mgr de Yintimille, archevêque de Paris), anathématisés en chaire et joués sur le théâtre… En un mot, jusqu’à présent, la légende des miracles de l’abbé Paris n’a trouvé de crédit que dans le parti janséniste malgré toutes les démonstrations que les convulsionnaires et leurs défenseurs ont données de leiu" authenticité. » (Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, Bernard PiCART, t. IV, p. 182, Amsterdam, i^Sô.) Enlin, le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, appelant lui-même, tout en s’occupant de faire constater, par le ministère des curés, les prodiges qu’on annonçait s’opérer sur la tombe de Paris, confesse que le plus grand miracle du saint diacre était sa vie pénitente. Après la mort du cardinal, plusieurs curés présentent des requêtes à son successeur, Mgr de Yintimille. pour demander la continuation des informations faites sous son prédécesseur. L’enquête a lieu en 1735 ; les cinq miracles choisis à cet effet sont, après un examen rigoureux, déclarés faux et illusoires (v. Biographie universelle, vol. Sa, v° Paris). D’ailleurs, quant au caractère des faits, plus ou moins merveilleux, qui pourraient s’être passés au tombeau de Paris, avant les convulsions, nous n’avons pas à

1. Nous en citons, dès à présent, quelques-uns des principaux. Cakré DE.MoxTGERON.lun Jes fervents partisans des convulsions, qu’il attribue à l intervention divine ; il se dit converti au jansénisme. Dom Lataste, O. S. B., qui attribue en partie les phénomènes ronvulsifs et ce qui les accompagne à l’intervention diabi lique, et réfute les allégations jansénistes. Hecquet et de Do.NAiRE, qui attribuent tout à l’artifice et à la nature. Le célèbre chirurgien Morand, qui décrit dans ses Opuscules de chirurgie répreue du feu subie par la sœur Sonet, dite la Salamandre. La CoNDA.MixE, qui a dressé lui-même les procès-verbaux des scènes de crucifiement, et incline pour la supercherie.

nous en occuper ici directement ; mais nous ferons observer que toute question qui peut surgir à ce sujet trouvera sa solution là où nous parlerons delà nature et du caractère des convulsions et des autres phénomènes singuliers qui les accompagnèrent, et cela d’autant plus que ces prétendus miracles ne font qu’une série, tendant aux mêmes lins, avec les convulsions, comme le reconnurent la plupart des jansénistes eux-mêmes.

Les événements qui ont rapport aux convulsionnaires de Saint-Médard présentent trois époques différentes.

Première époque. François de Paris, diacre de l’église de Paris, janséniste endiu’ci, appelant et réappelant de la bulle l’nii ; enitus, mem*t au milieu des austérités inspirées par son fanatisme, en protestant qu’il persiste dans ses sentiments sur son appel de la bulle au concile. Il meurt donc en odeur de sainteté janséniste, le i’^ mai 1727, et est enterré dans le petit cimetière de Saint-Médard.

Quelques mois se passent, et voilà que les pèlerinages commencent au tombeau du diacre ; on fait des neuvaines au soi-disant bienheureux, les fervents s’étendent même sur son tombeau ou baisent la terre qui l’environne… On annonce bientôt des guérisons prodigieuses. Les appelans crient au miracle, c’est Dieu qui décide en faveur de la doctrine janséniste, par l’intercession de son servitevu* Paris. C’est l’époque des prétendus miracles dont nous avons pai’lé.

Deuxième époque. Au mois de juillet lySi, un premier cas de convulsions se produit dans la personne d’Aimée Pivert. Au mois d’aoïit, une sourde-muette de Versailles en ressent de même, et l’abbé de Bescherand vers la fin du même mois. Depuis lors,

« Dieu changea ses voyes, c’est Montgeron qui parle, 

et celles dont il se servit alors pour la guérison des malades fut de les faire passer par des douleurs très vives et des convulsions extraordinaires et très violentes ». Cependant le 15 juillet i^Si, l’archevêque de Paris Mgr de Vintimille défend d’honorer le tombeau de Paris et de rendre à celui-ci un culte religieux. Malgré cette défense, une afïluence extraordinaire se fait au cimetière de Saint-Médard, les convulsions s’étendent, bientôt il y a des convulsionnaires par centaines. En même temps, apparaissent les petits et les grands secours. Les convulsionnaii’es se trouvent soulagés en se faisant frapper sur le ventre, sur les reins, en se faisant presser, piétiner le corps ; c’est ce qu’on appelle les secours, donnés surtout par des hommes, les frères dits « secoureurs », qui frappent à coups de poing, se mettent quelquefois une dizaine sur une planche cpii écrase le corps des convulsionnaires. Plus tard, ces grands secours deviendront les secours meurtriers, à coups de bûche, de barre de fer, etc.

La cour s’émeut à la vue de ces scènes étranges, et, le 27 janvier 1732, une ordonnance du roi ferme le cimetière de Saint-Médard, avec défense de l’ouvrir, sinon pour cause d’inhumation. En même temps, on met en prison les convulsionnaii-es les plus renommés.

Troisième époque. C’est alors que l’épidémie convulsive est définitivement constituée. « A peine eut-on interdit l’entrée du saint lieu que Dieu paraissait avoir choisi pour y opérer ses prodiges, qu’il les multiplia plus que jamais… Des convulsions bien plus surprenantes… prirent tout à coup une multitude de personnes. » Ce sont encore les paroles de Montgeron. Malgré une nouvelle ordonnance royale du 17 février 1733, défendant aux convulsionnaires de se donner en spectacle au public, et à tous de

souffrir dans leurs maisons aucun concours ou assemblée de convulsionnaires, le mal dure toujoiu-s ; on se réunit clandestinement pour convulsionner ; aux convulsions s’ajoutent des extases, des discours, la prétention de faire des prophéties, de parler des langues inconnues, d’opérer des miracles d’invulnérabilité (il y a ressemblance frappante de ces phénomènes avec ceux qui se produisirent chez les Camisards. V. Hipp. Blanc, De l’inspiration des Cainisards, chap. ii et iii), de représenter au vif la passion et l’agonie de Jésus-Christ en croix ; d’où les scènes des secours meurtriers, de l’épreuve du feu, du crucitiement, etc. Ces surprenantes manifestations durèrent, pour ainsi dire, jusqu’à la Révolution et peut-être jusqu’à nos jours (v. Hipp. Blanc, Le mer’eilleux dans le jansénisme, etc. Paris, 1865, p. 27 et suiv.). L’attention publique en fut détournée pendant quelques années, environ depuis 17^0 jusqu’en 1758, mais nous les retrouvons aussi vivaces que jamais en 1769 et 1760 ; c’est alors que d’Alembert et La Condamine assistèrent aux scènes de crucillement. Cette occultation temporaire s’explique par l’apparition des philosophes ou encyclopédistes qui préparèrent la grande Révolution : les jansénistes avaient ruiné l’autorité de l’Eglise, comme celle du pouvoir civil, jeté le trouble dans les consciences et dans les convictions, et préparé de cette manière la voie à l’incrédulité et à la rébellion (v. Bergikr, Dictionnaire de Théologie, art. Jansénisme) ; et ainsi, quand ils crurent en finir avec les molinistes, par les miracles des conA’ulsionnaires, il se trouva qu’il ne fut plus autant question de jansénisme que d’incrédulité et de philosophisme. Voltaire, d’Alembert et les autres, qui avaient exploité le jansénisme en faveur de leur impiété, avaient attiré toute l’attention.

Nous voudrions pouvoir décrire en détail, d’après les auteurs contemporains ou même témoins oculaires, différentes scènes, qui donnent une idée plus complète des convulsions, et des autres phénomènes étranges qui les accompagnèrent, en mettant en regard les récits d’un témoin sectaire, prônant les convulsions comme d’origine céleste, tel que Carré de Montgeron, d’un témoin naturaliste et anti-convulsionnisle, quoique sectaire, comme Hecquet, d’un témoin inclinant pour la supercherie, comme La Condamine, et enfin d’un témoin catholique, qui fait la critique des faits, comme D. Lataste. Mais l’espace nous manque. Nous suppléerons cependant à cette lacune, nous l’espérons, à l’entière satisfaction du lecteur : tout en faisant l’examen des faits, en recherchant leur nature et leur caractère, nous produirons, d’après les témoins de différents sentiments déjà cités, nombre de détails capables déclairer et d’édifier complètement le lecteur sur les ijhénomènes en question. Nous voici donc arrivé à la seconde partie de notre étude sur les convulsionnaires, où nous avons la confiance de démontrer à l’évidence que rien, absolument rien dans leurs faits et gestes ne saurait fournir aux adversaires de la foi catholique et de la sainte Eglise le moindre argument contre sa doctrine. le moindre prétexte pour rejeter le surnaturel, ou les miracles en particulier, ou pour attaquer la sainteté de l’Eglise ; bien au contraire, nous y voyons la sollicitude constante, et jamais démentie alors comme dans les siècles précédents et dans ceux qui ont suivi, de l’autorité ecclésiastique, pour conserver intact le dépôt de la foi comme les bonnes mœurs, sa prudence pour discerner le vrai du faux, le bien du mal, son extrême réserve pour admettre le surnaturel, ou même le préternaturel, dans les guérisons ou dans les autres faits proclamés prodigieux par les foules. .otre première proposition est celle-ci : Etant donné que les convulsions de Saint-Médard, avec les phéno mènes qui les accompagnent, aient en réalité une origine préternaturelle, nous disons qu’elles ne sauraient venir de Dieu, soit immédiatement, soit médiatement pai-les Anges, mais que leur origine serait diabolique.

Dans les convulsions mêmes, dans la manière d’agir des convulsionnaires et leurs discours, dans les fins de toute cette œuvre des convulsions, comme l’appelaient les fervents, non seulement on ne voit rien qui soit digne de l’action divine, mais, au contraire, tout est indigne de l’intervention céleste, et mai’qué au coin du démon.

L’œuvre des convulsions ne tendait pas à la fondation d’une nouvelle forme de religion ou de culte, mais les jansénistes, partisans des convulsions, y voyaient une approbation divine de leur doctrine sur la grâce. Or, tout en prétendant être de l’Eglise catholique, ils se mettaient en rébellion ouverte avec son chef suprême et avec le corps des évêquestout entier, à l’exception d’un petit nombre d’évêques français, qui, sous le rapport de la vertu et de la science, étaient loin d’être parmi les plus distingués ; et, en même temps, ils étaient rebelles à la puissance séculière.

De plus, les jansénistes n’étaient point d’accord sur l’œuvre des convulsions. Les uns, et c’étaient les plus sensés en ce point, étaient adversaires convaincus des convulsions, comme Hecquet et bien d’autres. Les convulsionnaires eux-mêmes se divisèrent en plusieurs sectes, parmi lesquelles se distinguaient les Augusiinistes partisans du frère Augustin, qui, au dire de Barbier (Journal, ou Chronique de la Régence et du règne de Louis A’V (j18-i-63), t. II, p. ôaô), se faisait rendre un culte, couché siu-une table dans la posture de l’Agneau sans tache ; les Vaillantisies, tirant leur nom de l’abbé Vaillant, qui se prétendait Elle en personne. Montgeron lui-même déplore ce certain mélange dans l’œuvre des convulsions, et dit que les discours des convulsionnaires des deux sectes que nous venons de nommer étaient faits pour autoriser les erreurs, et ne pouvaient provenir que de l’égarement de leur propre esprit ou de la suggestion du démon (t. II, 2 « partie, Idée de Cétat des convulsionnaires, p. 19). De là encore la secte des mélangistes, des discernants, et plusieurs autres. Peut-on raisonnablement se figiu-er l’intervention et l’approbation divines dans cette confusion et dans cette rébellion contre l’autorité légitime ?

Les convulsions elles-mêmes, à part la tendance et les agissements des convulsionnaires, peuvent-elles bien être attribuées à Dieu ? Distinguons : à la permission divine, pour punir ces misérables, nous pouvons l’accorder ; à l’approbation divine, produisant ces phénomènes, qui saurait jamais le croire ? Qui pourrait se figurer que Dieu soit la cause de ces mouvements désordonnés, de ces horribles contractions de la figau-e, de cette protusion de la langue, de ces cris féroces, aboiements, etc., et cela pour signitier son approbation ?

On dira peut-être que c’étaient là des épreuves pour ces saints personnages, et le moyen d’attirer sur eux l’attention, et que le surnaturel se manifestait surtout dans les circonstances, dans les actions et les discours des convulsionnaires. Nous répondons que Dieu a des moyens plus dignes pour attirer l’attention, et que ce sont précisément les faits et gestes des convulsionnaires <jui répugnent le plus évidemment à une intervention divine. Dans les secours, dans la manière d’agir des convulsionnaires, dans leurs discours, c’est le ridicule qui le dispute à l’indécence ; c’est trop peu dire, c’est l’immoralité jointe à la cruauté, c’est la fausseté et même le blasphème et le sacrilège.

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Ainsi les convulsionnaires affectent l’état d’enfance, au témoignage non suspect de Montgeron (loc. cit., p. 88), qui y trouve une faveur spéciale du ciel ; elles priaient, dit D. Lataste (Lettres théolog., t. II, p. 298, et t. I, p. m), en se faisant la bai’be, pour imiter, disaient-elles, un saint, en mangeant de la soupe à vide, par la même raison, en faisant mille autres folies dignes des Petites-maisons. Le même auteur décrit ensuite le ridicule et l’indécence des secours les plus ordinaires, des jeunes lilles qui se livrent à des hommes qui les pressent, les secouent, les balancent ; des jeunes filles qui px-ient en se faisant tirailler les bras et les jambes, le sein, en se renversant les jambes en l’air (Lettres théolog., et cpr. le cas de la veuve Thévenet, à la fin de cet article). L’attitude des improvisateurs et discoureurs n’était pas moins. extravagante (D. Lataste, t. II, p. 929 et 980. Cpr. Picot).

Les discoiu’S eux-mêmes étaient remplis de faussetés, ce qui a fait dire à d’Alembert : « On assure que dès le lendemain de l’expulsion des Jésuites, les convulsionnaires ont commencé à la prédire, c’est ainsi qu’ils ont toujours prophétisé. Quand on vit que les prédictions ne s’accomplissaient pas, rien de plus simple : Dieu laissait pénétrer le faux dans l’œuvre, pour mieux aveugler les endurcis. » (V. Picot, Mémoires pour servir à l’histoire eccl. pendant le yjviuP siècle, année lySS, t. II, p. 117, édit. de Paris, 1815.) Et, notons-le bien, Montgeron lui-même n’ose approuver tous les discours : « Il y en a eu, surtout dans les premiers temps, dit-il, dont l’esprit était éclairé par une lumière surnaturelle ; mais, dans ces derniers temps, quelques-uns des discours n’étaient que la production d’une imagination échauffée, et ceux des augustinistes et des vaillantistes peuvent être l’effet de la suggestion du démon. » Nous avons déjà cité cet endroit plus haut. Quant aux petits secours, c’est encore Montgeron lui-même qui en reconnaît le danger au point de vue de la décence, et il insinue, avec force précautions, et en avertissant ses frères d’éviter les pièges du démon, mais assez clairement, que la satisfaction des mauvais instincts n’était pas étrangère à l’œuvre. (T. II, 4" partie, p. 3335.) Qui plus est, s’il faut en croire Barbier : « Ce qui est certain, c’est qu’il y a dix ou douze filles (convulsionnaires ) grosses, et que ces chefs de doctrine et de prédiction engagent les femmes du peuple, qui ont cédé à la persuasion, de leur livrer elles-mêmes leurs filles, ce qu’elles font en vue de Dieu. » (T. II, p. 027.)

Hecquet, sectaire lui-même, est explicite sur ce point. (Le naturalisme des comndsions dans les maladies de l’épidémie convulsionnaire (i^33), p. 69 et suiv.)

Enfin, la cruauté des grands secours, surtout des secours meurtriers, des épreuves du feu et des épées, des scènes de crucifiement, que peut-elle avoir de commun avec une œuvre divine ? Ajoutons à la cruauté, le désespoir. Poncet a vu une convulsionnaire qui voulait se déchirer le visage avec les ongles et se jeter par la fenêtre (l’abbé des Essarts (dit Poncet), Lettres sur l’œuvre des convulsions, cité par D. Lataste). Et le blasphème et le sacrilège ? « Une sœur dit un jour : Les sauvages adorent le soleil et ils adorent Dieu, car Dieu est le soleil. Une autre portait l’impiété jusqu’à dire la messe ; et ce qui est à peine croyable, des prêtres la lui servaient, et voulaient faire admirer la majesté avec laquelle cette fille commettait ce sacrilège. » (Picot, loc. cit.) Montgeron rapporte aussi le fait d’une sœur qui dit la messe avec dignité, d’un bout à l’autre, dans une langue inconnue (qui, sans doute, n’en est pas une). Mais elle dit cette messe, étendue sur le dos, et s’agi tant quelquefois si fortement, qu’on doit retenir ses vêtements pour prévenir toute indécence (t. II, p. 26, 55). Quelle dignité !

Nous nous sommes étendu un peu longuement sur notre première proposition. Il était important de montrer combien nous sommes loin ici des manifestations surnaturelles, et comme c’est à tort que les incrédules ont tenté de décrier les miracles et la sainteté de l’Eglise, à propos de ces scènes jansénistes. Que nous sommes loin ici du calme, de la dignité, de la moralité irréprochable, des fins sublimes, qui accompagnent les épreuves, les discours et les actions, les phénomènes surnatui’els d’extase, de vision, etc., des saints qu’honore l’Eglise catholique !

Nous passons à une seconde et dernière proposition, moins importante sous le rapport apologétique, et que nous expliquerons, pour ce motif, très brièvement. Toute intervention céleste étant écartée, comment faut-il expliquer l’œuvre étrange des convulsions ?


Deuxième proposition. — Il est indubitable qu’en bien des occasions, la fourberie eut sa part. En outre, une multitude de phénomènes étaient des effets naturels. Mais enfin, il nous paraît diflicile d’expliquer tout sans une intervention diabolique.

Quant à la fourberie, nous la trouvons dans la manière d’agir des jansénistes en général ; nous l’avons trouvée dans les miracles jansénistes et dans les discours des convulsionnaires. Les scènes de crucifiement, telles que les rapporte La Condamlne, en portent des traces évidentes, sans que nous voulions affirmer que la supercherie à elle seule suffit à expliquer tout (v. le rapport de La Condamine, dans Hipp. Blanc, Le merveilleux dans le jansénisme, etc., Paris, r865, p. io4 et suiv.).

Quant aux phénomènes ayant une origine naturelle, maladive, nous renvoyons le lecteur aux études récentes sur l’hystérie, aux travaux de M. Charcot et de ses élèves, surtout de M. Richer, Etudes cliniques sur la grande hystérie ; appendice, L’ILystérie dans l’histoire ; 3e section, Convulsionnaires, p. 866 et suiv. Nous avons donné une idée de l’hystérie, d’après MM. Charcot et Richer, dans notre article sur les Démoniaques de la Salpêtrière (Science catholique, 15 avril 1888). Si nous n’insistons pas sur la fourberie et sur le naturalisme, dans les convulsions de Saint-Médard, c’est que ce point a trouvé peu de contradicteurs, sauf parmi les jansénistes ou plutôt parmi les seuls partisans des convulsions ; et que la difficulté de discerner entre l’artifice et la nature, d’une part, et l’intervention diabolique, d’autre part, ne commence précisément qu’aux manifestations dont nous devons parler maintenant. Cependant, il nous reste une observation à faire au sujet des ouvrages que nous venons de citer. Les médecins de la Salpêtrière sont naturalistes a priori ; tout s’explique, suivant eux, par l’hystérie, et ils ont le tort, M. Richer en particulier, de citer les documents historiques, soit d’après Figuier, qui cite lui-même d’après Calmeil, soit du moins d’après ce dernier. Or, Calmeil supprime ce qui gène sa théorie, et, ce qui est plus grave, souvent il analyse à sa façon, notamment au sujet des convulsions de la dame Thévenet, dont il va être question à l’instant ; Hipp. Blanc (Le merveilleux dans le jansénisme, etc. (Paris, 1863), p. 153 et suiv.) met en regard le texte de D. Lataste et celui de Calmeil, pour faire voir comment celui-ci rend ses explications naturalistes plus faciles, en faussant les documents. Le lecteur trouvera donc chez M. Richer tout ce qu’il faut pour expliquer par l’hystérie, ou une maladie semblable, tous les faits qui sont explicables naturellement ; mais il doit tenir compte des modifications de certains textes et se rappeler le 713

CORPUS JURIS CAXOMCl

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naturalisme a priori de cet auteur. Sous ce rapport, nous nous permettons de renvoj-er encore à notre article déjà rappelé ci-dessus.

Entin, quant aux effets préternaturels, il nous semble que l’appréciation de D. Lataste est très judicieuse. Voici quelques faits, parmi un grand nombre, que ce théologien croit devoir attribuer au démon. La veuve Thévenet « s’élevait de temps en temps à sept ou huit pieds de hauteur, et jusqu’au plancher ; et, en s’élevant, elle emportait à trois pieds de terre deux personnes qui pesaient sur elle de toutes leurs forces

« Evénement encore plus prodigieux en un sens, 

événement horrible. Pendant que Mlle Thévenet s’élève la tête en haut, ses jupes et sa chemise se replient comme d’elles-mêmes sur sa tête… »

D. Lataste signale ensuite le fait que les convulsions se produisaient au moment où la personne louchait le tombeau de Paris, et cessaient instantanément, quand on la retirait.

« La merveille est encore plus certaine dans certaines

expériences qu’on a faites. On appliquait des reliques du prétendu bienheureux, tantôt à des enfants, tantôt à d’autres personnes qui ne pouvaient s’en apercevoir, à des personnes même profondément endormies ; et cette application était suivie dans le moment de convulsions étonnantes. Retirait-on ces reliques, les convulsions cessaient soudainement’( Mei’veilles encore innombrables d’expériences cruelles qu’on faisait sur des filles convulsionnaires, sans les blesser… On battait la Nisette sur la tête avec quatre bûches. Quatre hommes déchargeaient de grands coups de poing sur la tête de Marguerite-Catherine Turpin, surnommée la Crosse ; et, d’une bûche si grosse qu’on ne pouvait la prendre qu’à deux mains, on la frappait sur le ventre, sur le dos, sur les côtés et quelquefois sur le visage, et on lui donnait ainsi jusqu’à deux mille coups. Et tout cela se faisait sans que ces tilles en fussent même meurtries. »

Il faut avouer qu’il y a une certaine distance d’ici à la compression ovarienne, et que l’anesthésie et l’analgésie sont poussées un peu loin.

Concluons. Les convulsions merveilleuses de Saint-Mcdard sont une réalité historique. Une partie des faits ou du moins des circonstances qui les accompagnèrent sont dus à la fourberie ; une partie s’expliquent par des causes naturelles, surtout par les maladies nerveuses et en particulier par l’hystérie. Certains phénomènes ne sauraient raisonnal)lement s’expliquer que par une intervention préternaturelle. Mais l’agent ne saurait être Dieu ni les bons anges, c’est évidemment l’esprit de ténèbres. Bien loin de trouver dans les convulsionnaires un argument quelconque contre la doctrine do l’Eglise, contre sa sainteté, contre les miracles ou le surnaturel en général, nous y trouvons une conlirmation de l’infaillibilité de son enseignement, une preuve de sa prudence et de sa réserve, un argument a contrario pour les manifestations surnaturelles dans les vies des Saints, un indice assez clair de l’existence du démon et de son intervention néfaste dans les choses d’ici-bas, non seulement occulte, mais manifeste, Dieu le permettant.

G. J. Waffelært,

évèquc de Bruges.