Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Dime ecclésiastique

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 561-564).

DIME ECCLÉSIASTIQUE EN FRANCE.

— Sous l’ancienne Loi, la diine était un impôt du dixième sur le revenu foncier et le ci-oit des animaux, perçu soit au profit de la tribu de Lévi, qui avait été exclue du partage des terres du pays de Chanaan, soit pour l’entretien du culte rendu à Dieu par le peuple d’Israël, soit pour assurer la subsistance des indigents (Exode, xxii, 29 ; Lévilique, xxvii, 30-33 ; Nombres, xviii, 21-82 ; Deutéronome, xiv, 22-29). Sous la nouvelle Loi, elle peut être définie : une portion de revenus dont l’Eglise réclame le bénéfice. Elle a été ainsi appelée parce qu’elle fut introduite dans l’usage à l’imitation du tribut versé aux lévites, et aussi parce que originairement elle correspondait au dixième des produits imposés. Très décriée à la fin de l’Ancien Régime, volontiers elle est considérée de nos jours par le vulgaire comme une taxe illégale, écrasante, haïssable ; c’est un des abus rpii sont le plus gravement reprochés à l’Eglise. Il convient d’examiner les questions suivantes :

I. Origine et nature de la dîme. — II. Matière de la dime. — III. J’aux et quotité de la dime. — IV. Par qui elle était due. — V. J qui elle était due. — VI. Charges du décimateur. — VII. Mode de perception. — VIII. Abus reprochés à la dîme.

I. Origine et nature de la dime. —

Quoique le Christ n’ait pas établi dans son Eglise la dîme, il n’a pas moins hautement proclamé le devoir des chrétiens de subvenir aux besoins matériels des ministres du culte. Lorsqu’il envoie les douze apôtres prêcher la lionne nouvelle, il leur dit : « Ne prenez ni or, ni argent, ni aucune monnaie dans vos ceintures, ni sac pour la route, ni deux tuniques, ni chaussure, ni bâton ; car l’ouvrier mérite sa nourriture » (Matth., X, 9-10). De même encore, il invite les soixante-douze disciples, au cours de leurs missions, à chercher un abri dans la première maison venue et à y demeurer, mangeant et buvant de ce qu’il y aura ; « car, ajout et-il, l’ouvrier mérite son salaire » (Iaic, x, 4-8).

Le Sauveur a voulu mettre lui-même en pratique ses enseignements. Durant son ministère en Galilée, (Luc, VIII, 1-3), « les douze étaient avec lui, et quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits malins et de maladies : Marie, appelée Madeleine, de laquelle étaient sortis sept démons ; Jeanne, femme de Chusa, intendant de la maison d’Hérode ; Suzanne et plusieurs autres, qui l’assistaient de leurs biens, lui et ses disciples ». De plus, les aumônes faites à la petite troupe évangélique étaient nombreuses ; elles étaient concentrées dans une bourse dont Judas avait la garde et dans laquelle il puisait honteusement, — « il dérobait ce qu’on y mettait » (Jean, xii, 6).

La doctrine enseignée et pratiquée par Jésus est rappelée aux Corinthiens par saint Paul, qui invoque trois sortes d’arguments pour prouver le droit des ouvriers apostoliques à demander aux fidèles leur propre subsistance : 1° s’il est naturel que le soldat ne porte pas les armes à ses dépens, que le vigneron plante de la vigne pour en manger le fruit, que le pâtre se nourrisse du lait de son troupeau, que celui qui remplit les fonctions sacrées vive du temple et que celui qui sert à l’autel ait part à l’autel, à i)lus forte raison le semeur de biens spirituels doit pouvoir moissonner des biens temporels là où il a semé ; 2" la parole du Maître, qui « a ordonné à ceux qui annoncent l’Evangile de vivre de l’Evangile » ; 3" l’exemple des autres aj)ôtres auquel il fait exception (I Cor., XI, 7-1 5). Dans la première épître à Timothée (v, 1718), Paul écrit : c Que les prêtres qui gouvernent bien soient jugés dignes d’un double honneur (abondante rémunération), surtout ceux qui travaillent à la prédication et à l’enseignement, car l’Ecriture dit : Tu ne muselleras pas le bœuf, quand il foule le grain. Et l’ouvrier mérite son salaire, v

La Doctrine des douze apôtres indique clairement la règle de conduite à suivre à l’égard des trois classes de ministres de la parole : les apôtres peuvent, pendant deux jours, accepter le gîte et le couvert de ceux qu’ils visitent, ainsi qu’une ration de pain pour continuer leur route ; les prophètes et les docteurs ont droit d’être nourris et entretenus aux frais de ceux qu’ils enseignent ; aux proj)hètes reviennent des prémices de toutes sortes, mais non une dime proprement dite (xi, 3-6, et XIII, 1-7 ; édition H. Hennner. Paris, 1907, p. 20-25).

Tkrtullik.n, s. Cyphien, s. Jérôme, S. Augustin, S. Ambuoise (cf. les textes réunis par Tiiomassin. Ancienne et nouvelle discipline de l Eglise, édition Bar-le-Dnc, 1864-1867, t. VI, liv. m. et aussi la Didascalie des apôtres, e. 8 et 18) parlent des dîmes et exhortent vivement les fidèles à les acquitter. S. Augustin reproche à ses contemporains leur peu de zèle et montre <pie si les Pharisiens donnaiciiL le dixième de leurs biens, combien jdus les chrétiens doivent-ils le payer, car suivant la j)aroIc du Seigneur < Si A’olre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des eieux » (P. /.., t. XXXVII, col. 1911). Cependant, au temps des Pères de l’Eglise, les dîmes se présentent avec le caractère de dt)ns gracieux, d’offrandes, de contributions libres et volontaires aux frais du culte et à l’entretien des ministres de Dieu. Ce n’est (pi’au vie siècle qu’elles aiiparaissent comme une obligation religieuse. La lettre synodale du concile de Tours (667) relate que l’on doit donner le dixième de tous les biens et même le dixième esclave (Mansi, Sacrorum conciliorum nova et amplissima collectio, t. IX, p. 808). Le cinquième canon du concile de 1107

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Màcon (585) constate que le paiement de la dîme est très peu observé, et édicté la peine d’excommunication contre quiconque refusera opiniâtrement de l’acquitter (Mansi, ut supra, p. 947) Cette menace ne suHit pas à stimuler le zèle des fidèles ; il fallut la sanction des lois civiles, qui fut notifiée par plusieurs capitulaires des Carolingiens.

« Pourvoyez et ordonnez en notre nom que tout

homme, qu’il le veuille ou ne le veuille pas, donne sa dime » [capitulaire de Pépin le Bref (755-768) dans A. Boretius et V. Krause, Capitularia regum francorum, t. I, p. [. Hanovre, 1883, éd. des Monumenta Germaniæ histotica. Legum sectio 11^]. « Selon le commandement de Dieu nous ordonnons que tous, nobles, hommes libres et lètes (colons affranchis) donnent à leurs églises et à leurs prêtres la dixième partie du produit de leurs terres et de leur travail » [capitulaire de Charlemagne (775-790) dans Boretius, p. 69, c. 17]. « Que tout homme donne la dime, et que celle-ci soit répartie suivant la volonté de l’évêque » [Capitulaire dHéristal (779) dans Boretius, p. 45, cap. 7]. Celui qui refusait la dime était condamné à une amende de six sols qu’il payait à l’Eglise en plus de cette dîme [cf. Boretius, p. 186, cap. 3]. Le capitulaire de Mantoue est encore plus sévère, quand il étal>lit léchelle des peines à encourir en cas de refus de paiement : après trois monitions, le coupable se voit interdire l’entrée de l’église, et est puni d’une amende de six sols ; s"il résiste, on prononce la clôture de sa maison avec défense d’y pénétrer ; s’il outrepasse cette défense ou s’il persiste dans son refus, il est saisi et emprisonné jusqu’à la réunion du prochain plaid, qui lui inflige vine double amende, une de six sols pour TEglise et une autre pour le comte (Boretius, ut supra, p. 197, cap. 8).

Pour quelle raison les Carolingiens se montrèrent-ils si bienveillants envers l’Eglise ? On a supposé, avec vraisemblance, que ce fut un moyen de compenser l’extrême dommage occasionné par la sécularisation des biens ecclésiastiques qu’opéra Charles Martel en faveur de ses guerriers (P.Viollet, Histoire des Institutions politiques et administratives de la France, t. I, Paris, 1890, p. 876).

A partir de la seconde moitié du viii" siècle, la perception de la dîme s’organise à la manière d’un impôt, dont le paiement est rendu obligatoire par la sanction de l’Etat. Cette situation faite à l’Eglise par les rois de France persistera depuis cette époque jusqu’à la nuit du 4 août 178g, où l’Assemblée Constituante vota l’abolition des dîmes et le rachat de certaines d’entre elles. Le 17 juillet 1798, la suppression totale, sans rachat, fut proclamée.

De tout ce qui précède, il résulte que.contx’airement à l’opinion reçue dans l’Eglise gallicane, la dîme n’est pas d’origine divine. Le principe sur lequel en repose la levée, c’est-à-dire l’obligation des peuples à donner la subsistance à leurs pasteurs, est seul de droit naturel et de droit divin ; quant à la réglementation du mode de contribution des fidèles, à la iixation du taux de cette contribution, tout cela est de droit positif, de droit ecclésiastique. C’est, d’ailleiu-s, la doctrine professée par S. Thomas : « Determinatio decimæ partis solvendæ est auctoritate Ecclesiae tempore Novæ Legis instituta » (II » Ilae, q. 87, art. 1). Loin d’être une taxe illégale, par suite du principe dont elle découle et qui a été ju-oclamé par le Christ, la dîme est absolument légitinu>, aussi légitime que l’est en ce moment l’institution du denier du culte, rendu nécessaire en France par la suppression de l’indemnité qui était servie au clergé sous le régime concordataire.

IL Matière de la dîme. — A l’origine, la dîme fut

perçue sur le produit des terres (dîme prédiale ou réelle). Dès 850, le dix-septième canon du synode de Pavie comprit les revenus de toute nature (Mansi, op. cit., t. XIV, p. 980) ; cette doctrine fut admise par les Décrétâtes de Grégoire IX (lib. III, tit. xxx, de decimis) et par saint Thomas II » Il^e, q. 87, a. 2. Les fruits du travail, les gains retirés de l’industrie et du commerce, les héritages, les ventes, etc. étaient sou)nis à la dîme (dime personnelle). Toutefois, la dîme personnelle tomba en désuétude en France. Les juristes du xvii^ siècle, sans autrement préciser, affirment qu’elle n’est plus exigible, depuis très longtemps. En fait, on constate qu’au xvi « siècle la dîme n’était perçue que sur les biens de la terre et sur ce qui y croissait. Les produits principaux du sol, Ain, blé, seigle… composaient les grosses dîmes ; les produits de nioindre importance, comme les œufs, huile, foin, pois, fèves s’appelaient menues dîmes ; les légumes, les fruits… dîmes vertes ; le croît des bestiaux et des volailles, dîmes de sang, dîme de charnage ou de charnelage. Ces diverses sortes de dîmes n’étaient pas uniformément perçues dans toute la France ; il n’y avait sur ce point aucune règle fixe ; tout dépendait de la coutume des lieux, suÎAant la formule de Du.mou-Lix : De Gallia non debentur decimae, nisi consuetae tant uni.

III. Taux et quotité de la dîme. — Bien qu’aux Etats de 161 4 il ait été proclamé que « de droit divin le dixième de toute chose croissant sur la terre est entièrement dû à l’Eglise », nulle part, en France, depuis longtemps, le principe n’était appliqué. Le taux de la dîme était extrêmement variable ; il oscillait entre le onzième et le cinquantième ; il changeait suivant les us et coutumes des lieux. Aux xvi* et xvii « siècles, le Vicomte d’Avenel estime qu’il éqxxivalait à 4 "lo du revenu (Richelieu et la Monarchie absolue, t. iii, chap. v, Des cultes, Pai-is, 1887, p. 303). A la fin de l’Ancien Régime, ce taux se serait élevé à 7 °/o, suivant TAiyE(Les Origines de la France Contemporaine : La Révolution, Paris, 1878, p. 225-226), mais cette évaluation a été contestée par M. L. Durand (La dîme ecclésiastique au A’V/II^ siècle.Etude d’histoire du droit, Paris, 1898, p. 282) qui la rabaisse à 5 " o Les économistes ont encore cherché à établir le chiffre global auquel s’élevait en France la perception de la dîme. D’après le Secret des Finances, imprimé en 1581, la part de dîme payée par la nation atteignait de 25 à 30 millions de livres. En 1790, suivant le i-apport de Chasset au nom de la commission des dîmes, par suite de la dépréciation du numéraire, l’accroissement des terres cultivées, l’agrandissement du territoire français, la quotité de la dîme était de 133 millions de livres. Le vicomte d’Avenel avoue toutefois que ces chiffres sont exagérés et sont loin de correspondre à la réalité (op. cit., p. 807) ; encore convient-il de remarquer qu’ils ne représentent pas les sommes encaissées par les ayants droit, mais uniquement les sommes déboursées par les contribuables. Pour les époques antéi’ieures au XVI*’siècle, on peut seulement dire que les capitulaires des Carolingiens et les statuts conciliaires réclamèrent le dixième du revenu, mais l’empressement que mettent conciles et rois à rappeler leurs devoirs aux chrétiens prouve ((ue dès ce temps les exceptions devaient être plus fréquentes que la règle (cf. Boretius, op. cit., t. II, Hanovre, 1897, l’index final au mot decimae).

IV. Par qui la dîme était due. — D’après les capitulaires carolingiens, les décisions conciliaires, les décrétales (lib. III, tit. xx), saint Thomas (H » ll^e, i[. 87, a. 2), tout homme, étant tenu de rendre un culte à Dieu en signe de sujétion, est par le fait même 1109

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soumis à la dîme. C’est encore le principe qui domine à la un du xvi’- siècle, lorsque les protestants y furent astreints par l’article 26 de l’Edit de Nantes (lôgS). En pratique, un grand nombre de privilégiés jouissaient d’exemptions, tels les Cisterciens, l’ordre de Malte, des gentilshommes qui s’étaient rachetés à leurs dépens ou grâce à la faveur. Comme d’autre part la dime personnelle était inconnue en France sous l’Ancien Régime, les gens ne possédant pas de terres ne payaient pas la dîme réelle, qui retombait exclusivement sur la propriété foncière : c’était là une inégalité contre laquelle s’élevèrent tous les cahiers des Etats de 1789, ajuste titre.

V. A qui la dlme était due. — D’après le droit commun, la perception de la dîme revenait aux églises paroissiales. A l’époque carolingienne, les conciles avaient spécifié que trois ou quatre parts devaient être faites et que les attributaires de droit seraient la fabrique de l’église, le clergé, les pauvres, l’évêque (HÉFÉLÉ, Histoire des Conciles, trad. fr., Paris, 1870, t.V, p.155, 163, 828). A partir du x’siècle, les synodes gratifient l’évêque d’une part que le synode d’Auch (1068) fixe à un quart (Héfélé, ut supra, t. VI, p. 442). Peu à peu les curés furent dépossédés de la dîme, qui profita à ceux qu’on appela les gros Décimateurs, aux évêques, aux abbés, aux prieurs, aux couvents. Ceux-ci se considéraient comme des curés primitifs, soit qu’ils détinssent le droit de patronat, soit qu’ils aient été les premiers pasteurs d’un village ou qu’ils aient usurpé leurs privilèges. Des dîmes étaient encore possédées à titre de fief par des seigneurs laïipies, — on les appelait inféodées. Quoi qu’il en soit de leur origine, qu’elles aient été concédées ou non par l’Eglise ou usurpées à la faveur de l’anarchie qui régna à l’époque féodale, le troisième concile de Latran (i 179) les condamna formellement (Héfélé, op. cit., t. VII, p. 506), mais vainement. Il est curieux de constater que saint Thomas se prononce pour leur légitimité (II » II^^, q. 87, a. 3). Sous l’Ancien Régime, rares sont les curés qui jouissent des dîmes. Ils sont à la merci des gros décimateurs, qui leur octroient à peine de quoi s’entretenir ; d’où ces cris de colère <lu’ont enregistrés les cahiers des Etats de 1789. La subsistance fournie aux desservants s’appelait la portion congrue : elle fut fixée par des arrêts du parlement à 120 livres (1571), 200 (1634), 300 (1686), 500 (1768), 700 (1780) par curé, à 200 livres (1768), 250 (1778), 350 (1786) par vicaire.

VI. Charges du dëcimateur. — Le décimateur avait à sa charge les frais du culte, l’entretien de l’église et du presbytère, l’achat des ornements et des vases sacrés, l’assistance aux pauvres. Ses obligations ne varièrent pas depuis le vni"= siècle jusqu’au xix<=. En pralique, à la (in do l’Ancien Régime, tous ces devoirs étaient négligés par les gros décimateurs. Les cahiers des Etats généraux de 178g le constatent avec une unanimité parfaite, si bien que le portrait du curé de campagne tracé par Voltaiuk (Dictionnaire philosojjliifjue, Paris, 1829, voir au mot curé de campagne), ne paraît pas trop poussé au noir. Les gros

« lécimateurs vivent dans le luxe, tandis que les édifices

du culte tombent en ruines, et que les pauvres sont sevrés d’aumônes. Les arrêts du parlenient et les édils du roi seml)îej » t les encouragei’en (luelcpu* sorte, en réduisant leur conlrilmtion aux réparations des églises, à l’entretien du chœur, et en laissant aux paroissiens celui de la nef (édit de 1696).

VII. Mode de perception. — Nos connaissances r(lati^(lll(Il^ au uuxlc de jxiccption de la dinu^ sont des plus maigres. Nous savons seulement qu’à l’époque carolingienne la dîme était levée siu’-le-champ

même, en présence de plusieurs témoins (Boretius, op. cit., t. I, p. 106 et 197). Il faut redescendre, jusqu’aux xviie et xviiie sièclcs pour posséder quelques renseignements, très précis il est vrai. A cette époque l’agent chargé de la perception s’appelle diniier ou dimeur ; la circonscription dans laquelle il exerce ses fonctions est dénommée dimerie. Les dîmeries étaient délimitées par des bornes et portaient chacune un nom jjarticulier. Il n’y avait absolument rien de fixe dans l’organisation interne de la dimerie, qui était réglée par la coutume.

La levée même s’effectuait de trois façons : i ° par l’intermédiaire d’un dîmeur aux gages du décimateur ; 2*^ par abonnement, c’est-à-dire que le contribuable, après avoir passé une convention avec le décimateur, payait annuellement une somme fixe en nature ou en argent ; 3" par fermage ou par adjudication à un fermier de la perception des dîmes, moyennant en général une rémunération de 5 *’/q sur le produit de la collecte. Le mode de levée le plus répandu était le fermage. Que les fermiers aient usé de violence à l’égard des contribuables, qu’ils leur aient extorqué indûment de l’argent, qu’ils ne leur aient pas épargné des vexations de toutes sortes, les faits sont là pour le prouver. Leurs malversations occasionnèrent des rixes, des émeutes.

En principe, la dîme était perçue sans déduction des frais de culture et autres dépenses ; en fait, beaucoup de décimateurs avaient reconnu le droit de léger qui consistait dans l’abandon d’une part de la dîme en compensation desdits frais de culture.

La dîme suivait la variation de la récolte ; celle-ci était-elle fructueuse, le produit de la dîme était abondant ; l’intempérie des saisons avait-elle détruit les promesses de moisson abondante, le décimateur se contentait d’un moindre gain.

Quant au mode d’enlèvement des moissons, il n’y avait aucune prescription fixe ; cela dépendait de la coutume.

On a vu plus haut quels étaient les moyens de coercition employés sous les carolingiens : il faut y joindre les armes de l’Eglise, l’excommunication, l’interdit, la privation de sépulture chrétienne. Au xv" siècle, et même auparavant, ces armes étaient quasi totalement usées. La seule ressource laissée au décimateur consistait à poursuivre les délintjuants devant les coiu-s séculières qui prononçaient des amendes. Pour peu riue le collecteur fût tracassier, il lui était facile d’entraîner les contribuables dans de longs procès.

VII. Les abus reprochés àla dime. Conclusion. — Est-il exact de dire que la dime fut un inqiôt sensément conçu, sensément perçu, le meilleur de l’Ancien Régime, comme l’a prétendu M. d’AvE.MîL (op. cit., p. 3û2 ; comparez dans le même sens Vauban, La Dime royale, éd. Michel, p. 9 et 36) ? La lecture des cahiers des Etats généraux de 1789 laissent une tout autre impression. Bas clergé, propriétaires fonciers, ruraux s’entendent pour élever contre la dîme de graves griefs : 1° son injustice naturelle, i)arce qu’elle frap|)ait égalenu-nt les terres de mauvaise ([ualilé, ([ui réclamaient de gros frais de cullure, et les terres de (puililé supérieure ; 2° l’inégalité de la répartition, j)uis<|iu’seule la propriété foncière était grevée ; 3" l’absence d’une législation claire et précise relativement au mode de perception vexaloire, entièrement réglé ])ar l’usage et la possession, créant des entraves à l’exleusion de l’agriculture, occasionnant des sujets de contestation et des procès ; 4" les abus commis j)ar les gros décimateurs qui n’ont cure de s’acquitter des charges leur incondtant.

Il est toutefois remarquable que les critiques ne 1111

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AÏsent ni la quotité de la diine, ni le principe sur lequel la dîme même repose. Le pays ne refuse pas la sub"ention au culte ; il réclame une répartition et une perception équitables, la suppression des abus, l’établissement d’une législation précise.

Les abus constatés sous l’Ancien Régime sont-ils imputables à l’Eglise ? Tout d’abord, il convient d’ol)server que la science linancière et économique n’était pas très avancée, tant au Moyen Age que sous l’Ancien Régime, et qu’elle ne fournissait que des expédients très grossiers ressemblant aux procédés des conquérants, que la matière imposable était ti-ès durement traitée, même dans le monde religieux. D’autre part, à partir du Concordat de Fi-ançois I*^^*^ l’Eglise de France tombe pour ainsi dire en servage, les parlements s’emparent de la connaissance des causes bénéticiales et imposent leurs arrêts en matière de dime. L’Eglise n’est donc pas responsable des abus qu’elle n’a pas créés elle-même. D’ailleurs, la France n’a pas beaucoup gagné à l’abolition de la dîn »e : elle dut la rétablir sous une forme différente, I)ar la création du budget des cultes et de l’assistance pul)lique, qui, comparativement, grèvent plus lourdement que l’ancien impôt la fortune publique.

Bibliographie. — Il n’existe aucun travail sur la j)erception de la dime entre l’époque carolingienne et l’Ancien Régime. On trouvera les textes de di-oit dans Roch Drapier, Recueil des principales décisions sur les dîmes, les portions congrues, et les droits et charges des curés primitifs. Paris, 1741 ; Boretius, op. cit., t. II, l’index au mot decimæ ; Louis de Héricourt, Les Lois ecclésiastiques de France dans leur ordre naturel… Paris, 1719, p. 540-560 ; L. F. de Jouy, Principes et usages concernant les dixnies. Paris, 1775 ; Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l’Eglise, éd. de Bar-le-Duc, t. IV, lib. III ; concile de Trente, session XXV, cap. 12, de reformatione ; Héfélé, Histoire des conciles, t. XII, au mot décimes. Paris, 1878.

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