Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Eglise hierarchique (II. dans la chrétienté primitive)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 632-642).

II. — L’Eglise hiérarchique dans la chrétienté primitive

Division de la matière :

A. Le problème de l’âge a précatholique » du christianisme.

B. L’Eglise de Jérusalem et de Palestine.

C. L’Eglise pendant le ministère universel des apôtres.

D. L’Eglise pendant la. période « subapostolique ».

E. Conclusion : le fait catholique,

A. Le problème de l’âge « précatholique » du christianisme

a) Position générale des adversaires

Les critiques protestants et rationalistes croient pouvoir signaler un abîme entre Jésus-Christ et l’Eglise hiérarchique. La chrétienté primitive, au temps des apôtres et des premières générations qui suivirent, n’aurait jjossédé ni organisation hiérarchique ni unité sociale et visible. Elle n’aurait connu que l’enthousiasme évangélique, la ferveur mj’sticjue, la religion de l’Esprit. Des circonstances accidentelles auraient amené progressivement le christianisme à se hiérarchiser, à s’unifier, à devenir une religion d’autorité. Il aurait alors, par une fiction légendaire plus ou moins conscientCj essaj’é de rattacher au Christ et aux apôtres ses institutions hiérarchiques et catholiques. Mais ce serait en vain : car, entre Jésus-Christ et l’éiioque où l’organisation hiérarchique et catholique apparaît constituée,

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l’histoire découvrirait une première période, longue de cent vingt ou de cent cinquante ans, pendant laquelle cette organisation n’existait pas encore. Ce serait l’âge « précatlioliqtte « du christianisme. La conception hiérarchique et catholique de l’Eglise, le droit divin (surnaturel) du pouvoir pontifical et du pouvoir épiscopal, s’écrouleraient donc pai- la base ; et il faudrait dire avec Auguste Sab.vtier : « Le premier anneau de la chaîne d"or créée par le catholi-M cisme jiour rattacher sa liiérarchie aux apôtres,

« est un mythe. » (lieligioiis cl autorité, p. 141.)

Assez généralement, on reconnaît aujourd’hui qu’à la iin du ii" siècle, au temps de saint Irénée, au temps du Pape Victor et de la controverse pascale, le christianisme était vraiment une religion d’autorité. On regardait alors la hiérarchie épiscopale comme héritière du pouvoir et de l’enseignement des apôtres ; l’unité sociale et AÎsible de la chrétienté universelle trouvait son sjmbole et son centre dans l’Eglise romaine. Les textes historiques ne permettent aucune ombre de doute à cet égard. M. Henri MoNMER, aclievant un ouvrage consacré à établir le caractère tardif du catholicisme dans la chrétienté primitive (La notion de l’apostolat : des origines à Irénée. Paris, igoS, in-8°), donne pour titre à son dernier chapitre : Le système catholique : Irénée. Citons-en la déclaration capitale : « Ainsi, nous trou-vous déjà chez Irénée [tous les éléments conslitu<( tifs du catholicisme : le canon apostolique, la

« règle de foi apostolique, la succession apostolique, 
« et, couronnant l’édilice, la suprématie de Rome, 
« gardienne vigilante des traditions apostoliques » 

(p. 368).

Voici comment M. Harxack décrit le contraste qu’il y aurait entre ce christianisme catholique de la (in du II* siècle et le christianisme libre et mystique de la premièi’e génération :

« … Dans celt.^ institution, une cliose est déjà caractéristique : 

la distinction entre prêtres et laïques ; certains actes du culte ne peuvent être accomplis que par le prêtre, sa médiation est absolument indispensable. D’une façon générale, on ne peut plus s’approcher de Dieu que par des intermédiaires, par l’internaédiaire de la vraie doctrine, des vraies ordonnances et d’un livre sacré. La foi vivante semble s’être cliangce en une confession de foi à accepter ; la consécration à Christ, en cliristologie ; l’ardente espérance du royaume, en doctrines de rimmortalité et de la déification ; sl prophétie, en exégèse érudite et théologie savante ; les inspirés, en clercs ; les frères, en laïques sous tuleljp ; les miracles et les i^aérisons, en rien du tout ou en artifices de prêtres ; les ferventes prières, en liynines solennels et litanies ; V Esprit, en règles et canons. Ajoutez que les chrétiens sont lancés individuellement dans le grand courant de la vie du monde, et que la (pieslion brûlante entre toutes est celle-ci : dans quelle mesure peut-on participer à cette vie sans perdre sa ipialité de chrétien ? Ceiit vingt ans ont suffi pour accomplir ce formidable changement… » [Essence du christianisme. Traducl. l’J07, pp.’232, 233.)

Auguste Sabatiku décrit avec détail la Iransformationdu cliristianisme primitif, religion de l Esprit, en catholicisme hiérarcliiquc, religion d’autorité.

La première communauté chrétienne à Jérusalem n"a rien d’une liiérarchie indépendante. C’est un groupe mystique de Juifs pieux et enthousiastes, n’ayant d’autre règle de croyance et de conduite que l’inspiration privée, l’action intérieure et merveilleuse de l’Esprit-.Saint dans l’ànu* de ciiaque hdèle. Quand la prédication des apôtres eut multi|)lié les Eglises clircticnnes à travers le monde gréco-romain, ces conununautés earcnt, d’abord, le même caractère, mystique et enthousiaste, que l’Eglise de Jérusalem. Toutes les Eglises foruuiient autant de « fraternités » <listinctes, indépendantes ks unes des autres. Mais

toutes étaient reliées par la communauté d’un même Esprit, d’une même vie religieuse, d’une même espérance immortelle. Toutes appartenaient au même groupement invisible des élus et des saints. Et cette communion intérieure des âmes, cette unité d’ordre idéal et transcendant, qui rassemblait toutes les Eglises particulières, c’était la grande Eglise du Christ, l’Eglise universelle.

A mesure que les années passèrent, et que les générations chrétiennes se succédèrent les unes aux autres, la nécessité même de vivre et de durer parmi les conditions de la vie présente contraignit les Eglises particulières à dcA’enir progressivement des organismes hiérarchiques, analogues aux autres associations humaines, et l’unité morale et invisible de l’Eglise universelle tendit à s’actuer dans un corps social et visible. Bien des causes y contribuèrent : la multiplication du nombre des chrétiens, la diminution de la ferveur spirituelle et de l’enthousiasme primitif, mais surtout l’apparition des hérésies. La chrétienté traversa, au second siècle, les deux grandes crises du gnosticisme et du montanisme : l’une était un réveil de l’esprit hellénique et l’autre un réveil de l’esprit juif. Pour faire face à l’ennemi intérieur, la société chrétienne se replia sur elle-même et perfectionna son organisation. Dans chaque Eglise locale, naquit ou se fortifia le pouvoir de l’évêque. Dans toute la chrétienté, les différentes Eglises se groupèrent ensemble autour de l’Eglise romaine, qui, forte des traditions de la cité impériale, prit énergiquement la direction de la lutte.

Dès lors, « ce qui était transcendant dans la foi de K Jésus et des apôtres devient une société historique

« et visible. L’idéal et le réel se confondent. Dieu

(( veut régir le monde par son Eglise, et l’Eglise règne u par sa liiérarchie ». Le catholicisme est fondé.

Cf. Aug. Sabatier : Zes re//^/on.s d autorité et la religion de l’Esprit. (Faris, 1 904, in-8) Livre I, chap.ii. L Eglise (pp. 47-83). Ad. Harnack : Bas Jf’esen des Christentums (Leipzig, 1901, in-8°), onzième conférence : Die christlische Religion in ihrer Entwicklung zuni Katholizismiis (pp. 119-130). Essence du christianisme. Traduct. de 1907 : La religion chrétienne dans son évolution vers le catholicisme (pp. 229-259).

— Vulgarisation dans Ch. Guignebert : Slunuel d’histoire ancienne du christianisme. Les origines (Paris, igo6, in-16). Chap. xni, pp. 508-515.

Par anticipation sur la l)il)liographie, nous tenons à signaler dès maintenant le très remarquable ouvrage de Mgr Batiffol : L’Eglise naissante et le catholicisme. (Première édition : Paris, 1909. in-12.) On y trouvera une discussion compétente et lumineuse du prol)lèine cjne nous abordons ici par un autre biais.

Dans un article de la Theolagi^che Literaturzeitung, paru le 16 janvier 1909, à propos du volume de Mgr Batilfol, M. Harnack signale des points de repère sur la coH/7>c qu’aurait accomplie le christianisme durant Vàge précatholique. Premier stade : l’an 30, avec Jésus lui-même. Second stade : l’an 60, avec les apôtres du Christ. Troisième stade : l’aa 90, avec les disciples (hiérarchisants) des apôtres. Quatrième stade : l’an 130, autour de la crise gnostique. Cinquième stade : l’an lOo, autour de la crise montaniste. Sixième stade : l’an 190, avec le catholicisme de Victor et d’Irénée. M. Harnack note, dans cette évolution, un déplacement imperce|)liblc, mais continu, d’influence au profit du facteur hiérarchie, et la disparition lente de ce principe de liberté qu’étail le rôle immédiat du IIv£j//a. (Depuis lors, M. Harnack a fait paraître : Entstehung und Entuickelung der Kirchenvcrfassung und des Kirchcnrechts in dcn m-et ersten Jahrhunderten. Leipzig. 1910, in-S°, pp. xi-152. Ouvrage totalement consacre à la question présente.)

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b) Ordre de la discussion

Nous distinguerons trois périodes caractéristiques : (k) l’Eglise de Jérusalem et de Palestine ; (/3) L’Eglise pendant le ministèreuniversel des apôtres ; (y) L’Eglise pendant les trois générations qui suivent celle des apôtres : période commodément nommée « subapostolicfiie » par M. Durell (de Cambridge).

(k) Sur l’Eglise de Jérusalem. Première question : L’Eglise de Jérusalem était-elle une communauté toute mystique, ayant pour seule règle de croyance et de conduite l’action intérieure de l’Espi-it Saint ?

— Deuxième question : L’Eglise de Jérusalem était elle un groupement privé de toute indépendance par rapport à la Synagogue juive ?

(/S) Sur l’époque du ministère universel des apôtres : Première question : Y avait-il juridiction apostolique ? — Deuxième question : L’unité de l’Eglise universelle était-elle d’ordre purement idéal et mystique ?

— Troisième question : L’autorité des apôtres était-elle regardée comme passible de délégation et de succession ?


(y) Sur la période « subapostolique ». Double question : L’organisation hiérarchique des Eglises locales, l’unité catholique de l’Eglise universelle étaient-elles encore choses inexistantes ? — Ou, du moins, les voit-on paraître peu à peu, par suite des circonstances de la crise gnostique, A-ers l’an 130, et de la crise montaniste, A-ers l’an 160 ?

Après avoir examiné historiquement chacune des trois périodes primitiA-es, nous pourrons donner une réponse ferme à la question d’ensemble :

Oui ou non, le caractère hiérarchique et catholique de l’Eglise est-il postérieur aux origines ? Ouiounon, la chrétienté a-t-elle traA-ersé, d’abord, un âge précatholique ?


B. L’Eglise de Jérusalem et de Palestine

Deux caractères doivent y être étudiés : son caractère organique et son caractère autonome.

a) Caractère organique de cette Eglise

D’après le récit authentique, — et digne de foi, — de ses origines (cf. plus haut l’article Apôtres I Actes des]), la chrétienté primitiA-e de Jérusalem n’était pas, comme le prétendent nos advcrsaires, une petite secte de mystiques et d’ilhiminés, dépourA’ue de toute organisation permanente. Mais elle possédait, au contraire, une hiérarchie visible, une règle de foi extérieure et des rites spécifiquement chrétiens. Elle était donc constituée d’une manière vraiment organique.

(a) Hiérarchie visible. — Pierre et le groupe des Douze forment le collège apostolique, ayant mission d’enseigner et pouA-oir de régir toute la communauté chrétienne. On les trouvc constamment dans l’exercice du double rôle de prédicateurs et de pasteurs (ou chefs) de l’Eglise naissante.

Après l’Ascension et aA^ant même la Pentecôte, clioix de Matthias pour remplacer Judas parmi les Douze (Act., i, 12-26). Prédication de la Pentecôte ; admission et bai)tême des nouveaux converlis (Act., II, 3^-43). Gestion des biens destinés à la communauté (Act., IV, 35-87 ; ^ 2). Institution des diacres, délégation de pouvoirs (Act., i, i-C). Comparution en justice au nom de toute la communauté chrétienne (Act., IV, 8-20 ; A-, 27-33). Direction supérieure de l’apostolat des autres ministres de l’Evangile (Act., viii, i^19 ; IX, 26-80. Gal., i, 17-21). Enfin puissance coercitive, — quelquefois appuyée par intervention miraculeuse, — pour sauvegarder ellicacement le bon ordre de la communauté chrétienne (Jet., v, i-ii).

Bref, Pierre et les Douze sont bien les chefs pei"manents et responsables de l’Eglise naissante. Ils s’allirment et sont reconnus pour tels au dedans et au dehors. Il y a donc hiérarchie visible.

(/ ?) Règle de foi extérieure. — Ce n’est pas l’inspiration mystique, l’illumination tout intérieure de chaque individu, qui manifeste les A-éi-ités à croire. Mais il y a une doctrine ferme, qui constitue le message des apôtres, et que ceux-ci communiquent et imposent aA-ec autorité à tout membre de la communauté chrétienne. C’est la tradition, la chose transmise, la Tly.pv.So711 : ou encore, renseignement des apôtres : ôiôy.yr, rcÔv à.r.-^zxo/WJ (Act., Il, ^s).

Cette « règle de foi extérieure » se résume dans l’autorité divine de Jésus : Jésus est le Christ, Jésus est le Seigneur (Act., 11, 36 ; ia’, 10 ; a-, ^2 ; ix, 22. Cf. A-ii, 55-60 ; A’iii, 87 ; IX, 20). Christ, il réalise l’espérance messianique d’Israël ; Seigneur, il mérite les honneiu’s diA’ins et c’est par lui seul qu’on peut obtenir le salut.

Tel est toujours le sens des déclarations doctrinales de l’apôtre Pierre, le jour même de la Pentecôte (Act., Il), le jour de la guérison du boiteux (^c/., m), au moment de l’une et de l’autre comparution devant le sanhédrin (Act., iv et v), et lors du baptême de Corneille le centurion (Act., x). — Détail : Exemples et miracles de Jésus pendant sa Aie mortelle (^c^, II, 22 ; X, 36-38). Sa Passion et sa Croix (Act., II, 28 et 36 ; iii, 13 et 14 ; iv, 10 ; a-, 30 ; aiii, 82, -X, 89). Sa Résurrection glorieuse (Act., 11, 24-36 ; iii, 13-16 ; lA-, 10 ; A-, 30 ; a-ii, 55 ; ix, 3-6 ; x, 40, 40- Conditions et moyens du salut par le Christ (Act., 11, 38, -III. 15-26 ; lA-, II, la, 19, 20 ; a-, 29-82 ; ix, 17, 18 ; x, 4243).

Il j^ a donc une croyance obligatoire, présentée aA^ee autorité par le magistère enseignant des apôtres. Il y a règle de foi extérieure.

(y) Rites spécifiquement chrétiens. — La sanctification spirituelle n’est pas considérée comme produite par la seule action intérieure de l’Esprit-Saint dans, chaque âme chrétienne, indépendamment de tout rite sensible. Mais cette sanctification spirituelle est opérée d’une manière conforme au caractère organique et hiérarchique de la communauté chrétienne, elle est opérée par la A-ertu de rites extérieurs (deA’ant correspondre aux bonnes dispositions de chaque àme), rites dont l’application est réserA-ée aux pasteurs de l’Eglise.

Les Actes nous font distinctement reconnaître troisde ces rites : le baptême, l’imposition des mains, la fraction du pain. Même à supposer, comme on l’a prétendu quelquefois et un peu gratuitement, que ces trois rites fussent déjà usités en Israël aA-ant le Christ, ils sont pratiqués dans la communauté chrétienne selon le mode très particulier qu’enseignent les apôtres, et aACC une signification spécifiquement chrétienne. C’est, en effet, le baptême au nom du Seigneur Jésus ; c’est l’imposition des mains pour conférer le Saint-Esprit ; c’est la fraction du pain, renouvelant le mystère de la dernière Cène. Prenons des exemples historiques pour chacun de ces trois rites. Baptême au nom du Seigneur Jésus. Pm’iûcation de l’âme, et signe obligatoire d’introduction dans la comnmnauté chrétienne. — Jour de la Pentecôte (^t^, ii, 37-41). Chez les Samaritains (Act., a^ui, 5-1 6). Pour l’eunuque d’Ethiopie (Act., vni, 3638). Pour Saul convcrti (Act., ix, 18). Pour le centurion Corneille (Jc<., x, 47 » 48 ; ix, 15-17). Baptême bien distinct de tout baptême juif et même de celui de Jean-Baptiste (Act., xi, 16 et xix, i-5). Baptême obligatoire comme signe extérieur d’admission parmi les chrétiens, même s’il a été précédé par une eflusion directe de l’Esprit-Saint sur le nouvcau converti 1253

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(Jc^, X, 44-48 ; XI, 1 5-1 7). Le baptême de Teau, célébré par le représentant de l’Eglise, au nom du Seigneur Jésus (quoi qu’il en soit de la controverse sur l’emploi de la formule trinitaire par les apôtres), est donc un rite spécifiquement chrétien.

De même, l’imposition des mains pour conférer le Saint-Esprit. Le don du Saint-Esprit pour fortitier, perfectionner, sanctifier les âmes dans l’ordre de la vie intérieure et surnaturelle, malgré tous les obstacles, était l’un des grands résultats de la victoire du Sauveur (Act., 11, 33). Des signes merveilleux accompagnaient communément, à l'âge apostolique, l’effusion de l’Esprit-Saint (Jcf., 11, 1-21, 33 ; iv, 31 ; ix, 17 ;

X, 44 ; XI, i.'i). Or cette effusion de l’Esprit-Saint était normalement procurée au moyen de l’imposition des mains ; non pas de l’imposition des mains accomplie par tout ministre de l’Evangile, mais accomplie par les seuls chefs et pasteurs principaux de la communauté chrétienne. — Le diacre Philippe baptise les Samaritains convertis, mais ne peut faire davantage ; les apôtres Pierre et Jean viennent à leur tour et, par l’imposition des mains, ils communiquent aux nouveaux chrétiens le don du Saint-Esprit (Act., viii, 14I ;). Le magicien Simon admire les signes merveilleux qui en résultent ; il constate que « par les mains des

« apôtres était conféré le Saint-Esprit » ; et, mesurant à prix d’or le don divin, il offre aux apôtres de

leur acheter ce pouvoir de conférer le Saint-Esprit par l’imposition des mains (Act., viii, 18, 19). Quelques années plus tard, on voit l’apôtre Paul, ayant Ijaptisé de nouveaux chrétiens, leur imposer ensuite les mains pour leur conférer le Saint-Esprit (Act., XIX, 6). — Un auteur ])rotestant écrivait naguère, à propos du huitième chapitre des Actes : « C’est la

« notion sacramentelle et magique qui a prédominé
« depuis dans l’Eglise catholique > ; et le même écrivain

s’empresse d’ajouter : « notion essentiellement étran « gère à l'époque primitive ». (Moxnier, Action de l’apostolat, p. 170.) Il faut donc nier l’historicité du récit pour mettre en doute la valeur de l’imposition des mains à l'âge apostolique : car le sens même des textes ne peut pas être plus formel.

Fraction du pain. Sous ce nom, les Actes paraissent désigner un rite religieux célébré entre chrétiens, d’une manière qui leur était propre (Act., 11, 42). Rapproché d’autres textes (l Cor., x, 16-21, et

XI, 23-34), ce passage des Actes prend une plus grande clarté. Il désigne, croyons-nous, la réitéralion de la dernière Cène et du grand mystère qu’y accomplit le Seigneur Jésus, pour le transmettre en mémoire de sa Passion. Toutefois, au point de vue historique, l’interprétation des Actes est ici d’une moindre certitude que pour le baptême et l’imposition des mains.

Donc l’Eglise de Jérusalem possède plusieurs rites spécifiquement chrétiens, célébrés par les chefs religieux de la communauté chrétienne, et requis normalement pour procurer la sanctification intérieure. Ce fait s’ajoute à l’existence même d’une hiérarchie visible et d’une ri’gle de foi imposée à la croyance des fidèles par l’autorité de la hiérarchie ; tous ces faits signilicatifs s’ajoutent donc les uns aux autres, pour manifester le caractère essentiellement organique de la chrétienté primitive, c’est-à-dire de l’Eglise naissante à Jérusalem.

h) Caractère autonome de cette Eglise

Bien que les premiers chrétiens aient persévéré dans l’observance du culte mosaïque, l’Eglise de Jérusalem et de Palestine se trouva, dès le premier jour, virtuellement séparée de la Synagogue juive. Sur un signe d’en-haut, la séparation devint apparente et

formelle. Toutefois cette même séparation, atténuée d’abord par quelques tempéraments charitables, n’atteignit que peu à peu son entier accomplissement.

((x) Fidélité au culte mosaïque. — Prière quotidienne des apôtres et des chrétiens dans le Temple (Act., 11, 46 ; III, I, 2, 11). Leurs assemblées au portique de Saloiuon (Act., v, 12, 13). Prédication dans le Temple (Act., V, 20, 21, 25, 42). CouA-ersion au christianisme de prêtres juifs qui semblent garder leurs fonctions au Temple (Act., vi, 7). Stupeur quand il s’agira d’admettre au baptême des hommes étrangers au judaïsme et à la circoncision (Act., x, 14, 28, 34, 35, 45 ; XI, 2, 3, 18, 22 ; XV, i).

(/3) Séparation virtuelle. — Dès les premiers jours, la communauté chrétienne se reconnaît une mission religieuse, universelle, nécessaire ; et cela indépendamment de la hiérarchie mosaïque, ou même en dépit de la hiérarchie mosaïque. Donc, dès les premiers jours, la communauté chrétienne se reconnaît indépendante de la Synagogue juive ; elle pose nettement le principe d’une rupture totale. Qu’on s’en aperçoive ou non, parmi les contemporains, c’est déjà une séparation « virtuelle ».

Les apôtres se reconnaissent une mission religieuse, pour communiquer aux hommes la vérité divine et les moyens de sanctification intérieure. Cette mission est nécessaire, car elle apporte un message indispensable au salut. Cette mission est universelle, car le message est destiné à tous les hommes et nécessaire pour tous les hommes. Cette mission, les apôtres déclarent la tenir immédiatement et exclusivement de Jésus, qui est le Christ et le Seigneur. Cette mission, ils l’exercent indépendamment de la hiérarchie mosaïque, dont ils ne sollicitent aucun mandat ni aucune autorisation. Menacés, puis châtiés par le sanhédrin, ils répondent que Jésus est la « pierre

« angulaire » ; que par lui seul les hommes peuvcnt

arriver au salut ; que poursuivre l'œuvre de Jésus est un devoir qui s’impose à leur conscience ; que mieux vaut obéir à Dieu qu’aux hommes : bref la communauté chrétienne a sa raison d'être et ses principes d’action en dehors de la Synagogue juive, elle existe et se développe en dépit même de la hiérarchie mosaïque.

Prédication de la Pentecôte (Act., 11, 38, 39). Discours après la guérison du boiteux (Act., iii, 17-26). Première comparution devant le sanhédrin (Act.. iv, 8-20). Seconde comparution devant le sanhédrin(.^c/., V, 27-33). Prédication du diacre Etienne (Act.. vi, 9-1 5). Apostolat du diacre Philippe (Ad., viii, 5-23 et 27-39). Conversion du pharisien Saul (Act., ix, 15 et 20-30).

Donc l’Eglise de Jérusalem est nettement consciente du caractère autonome de sa mission religieuse. Le principe d’une rupture totale avec le judaïsme est posé dès le premier jour. C’est bien une séparation virtuelle.

(/) Séparation formelle. — Sur un signe d’en-haut, la communauté chréliennc admet dans son sein des hommes qui étaient et qui restent parfaitement étrangers au judaïsme et à la circoncision. Dès lors la séparation entre la comnuinauté chrétienne et la Synagogue juive devient apparente et « formelle ».

Le signe d en-haut. Série des faits : Vision prophétique du centurion Corneille (Act., x. 3-6). Vision symbolique de l’apôtre Pierre : animaux purs et impurs. Ce que Dieu a purifié, ne le nomme pas impur (Act., X, 10-16). Avertissement intérieur reçu par l’apôtre Pierre, au sujet de la reqnote du centurion Corneille (Act., x, 19, 20 ; cf. 24-33). Elfusion merveilleuseduSaint-Esprit sur Corneille etsa famille, en présence de Pierre et des chrétiens d’origine juive qui l’accompagnent. Et l’apôtre Pierre reçoit alors dans

l’Eglise, par le baptême, ces païens non circoncis (_Act., X, /54-48). Conclusion des faits : la volonté divine était clairement exprimée ; la communauté chrétienne devait s’ouvrir même aux gentils (Act., XI, 18).

Qu’on ne s’y méprenne pas. La nouveauté qui apparaît ici n’est pas l’extension de l’Evangile du Christ ou du « royaume de Dieu » à tous les peuples de la terre. Cette doctrine avait été précédemment affirmée bien des fois par les apôtres ; de même qu’elle était claii’ement contenue dans l’Evangile ; de même qu’elle se trouvait déjà dans les prophéties messianiques de l’Ancien Testament. Mais ce que les apôtres n’avaient pas encore bien discerné, ce que plusieurs de leiu"s disciples n’admii-ent qu’avec peine, c’est que les gentils, c’est que tous les peuples de la terre devraient parvenir au baptême, devraient entrer dans l’Eglise chrétienne, sans passer par le judaïsme, sans rece^’oir la circoncision.

Peu de temps après le baptême du centurion Corneille, va commencer l’apostolat des gentils, des incirconcis : à Antioche, à Chypre, et dans tout le sud de la province romaine de Galatie (Act., xi, 1930 ; XIII, XIV, XV, i). Dès lors, l’Eglise chrétienne est composée, en partie, d’hommes qui étaient et qui restent parfaitement étrangers au judaïsme et à la circoncision. Entre l’Eglise chrétienne et la Synagogue juive, la séparation devient apparente et formelle, quoiqu’elle ne soit pas encore totalement consommée.

(ô) Mesures de transition. — Tant que vécut la génération contemporaine des apôtres, tant que Jérusalem resta debout, un problème pratique se posa dans l’Eglise chrétienne. Comment accorder, dans une fraternité de chaque jour, les chrétiens venus du judaïsme et souvent très attachés aux observances mosaïques, avec les chrétiens venus du paganisme et nullement habitués à ces mêmes observances ? — La question était délicate.

Une première règle fut maintenue à l’abri de toute contestation : le rite de la circoncision ne devait pas être imposé aux chrétiens convertis du paganisme. Les conférences de Jérusalem tranchèrent définitivement ce point de doctrine, que les judaïsants avaient essayé de remettre en doute (Gal., ii, i-io ; Act., xv, i-31 ; XXI, 25).

Un second principe prévalut peu à peu, au moins en dehors de Jérusalem : la circoncision et autres observances juives n’étaient plus obligatoires, même pour les chrétiens venus du judaïsme. En effet, la loi évaugélique apportait complètement, à elle seule, les moyens de salut ; la loi mosa’ique n’avait été qu’une préparation et une figure : elle venait de trouver enfin son accomplissement dans l’œuvre du Christ ; désormais, c’était l’Eglise chrétienne qui était le véritable Israël de Dieu. Tel sera l’enseignement caractéristique de saint Paul, spécialement aux Galates et aux Romains. Déjà saint Pierre, aux conférences même de Jérusalem, professe équivalemment la même doctrine (Act., xv, 7-11). Il en résultait que les apôtres, non seulement pouvaient, mais devaient s’affranchir des observances juives, lorsque les besoins de leur ministère les y invitaient. Saint Paul en fit publiquement la remarque à saint Pierre, lorsque celui-ci, par crainte des judaïsants, cessa pour un temps de s’asseoir à la même table que les chrétiens de la gentilité. Ce fut là le célèbre « différend d’Antioche » (Gal., 11, ii-15).

D’autre part, beaucoup de chrétiens de la circoncision demeurant fidèles aux observances mosaïques, par esprit de pieuse tradition, il fallait respecter et ménager leurs susceptibilités ; il fallait obtenir des chrétiens venus du paganisme qu’ils s’abstinssent de

ce qui choquerait trop vivement leurs frères venus du judaïsme. Les conférences de Jérusalem (au moins d’après l’interprétation la plus commune et la plus plausible de ce j^assage des Actes) portèrent un décret pour les communautés où les chrétiens de la circoncision étaient, en grand nombre, mêlés aux chrétiens de la gentilité : Palestine, Syrie, Cilicie. DanscesEglises, les chrétiens non circoncis devaient s’abstenir des viandes immolées aux idoles, de la viande des animaux suffoqués, des aliments ou breuvages contenant du sang, et, en dernier lieu, de la

« fornication >, terme qui pourrait bien signifier les

mariages entre parents par affinité, aux degrés que les païens pratiquaient souvent et que prohibait le Lévitique (xviii). Par cette mesure, les chefs de la communauté chrétienne épargnaient aux chrétiens circoncis beaucoup de souillures légales et d’occasions de scrupules.

Chez les Corinthiens (I Cor., viii) et chez les Romains (xiv), une direction analogue, inspirée jiar la même raison de charité, semble avoir existé pour la manducation des viandes immolées aux idoles. — Cette mesure de prudence ne doit pas être confondue avec l’interdiction grave de participer au repas de communion des sacrifices païens, sous peine d’idolâtrie (I Cor., x).

Saint Paul lui-même fit aux observances mosaïques toutes les concessions personnelles qui, sans détriment du plus grand bien, pouvaient lui inspirer la piété ou la charité ou certaines convenances du ministère apostolique (^cL, XVI, 13 ; xviii, 18 ; xx, 6). Il agit surtout de la sorte envcrs la communauté, exclusivement juive, des chrétiens de Jérusalem (Act., XXI, 20-27).

Telles furent les mesures de transition qui atténuèrent l’effet apparent de la rupture entre l’Eglise chrétienne et la S3’nagogue juIac. Lorsque Jérusalem se trouva détruite (70) ; lorsque les communautés judaïsantes, qui ne devinrent pas hétérodoxes et schismatiqups. ne formèrent plus un élément appréciable dans l’Eglise du Christ ; lorsque la première génération venue du judaïsme se fut progressiA^ement éteinte, le cas de conscience dont nous avons parlé disparut peu à peu. Les mesures de transition tombèrent en désuétude. La séparation était consommée entre christianisme et judaïsme.

Dès la première heure, toutefois, cette même séparation avait existé virtuellement ; et, au bout de quelques années, elle était devenue apparente et formelle.

Donc l’Eglise de Jérusalem et de Palestine possédait un caractère autonome, demème qu’un caractère organique. En un mot, nous retrouvons l’Eglise hiérarchique dans la chrétienté la plus primitive.

C. L’Eglise pendant le ministère universel des apôtres

Pendant une douzaine d’années, l’Eglise de Jérusalem et de Palestine constituait, à elle seule, toute la chrétienté. Vint ensuite le ministère universel des apôtres, et l’on compta bientôt des communautés chrétiennes dans un grand nombre de provinces du monde gréco-romain, particulièrement autour du bassin oriental de la Méditerranée. Durant cette seconde période, la plus brillante, de l’âge apostolique, la chrétienté formait-elle vraiment une Église hiérarchique, avec les caractères du catholicisme ?

Trois problèmes méritent d’être considérés Le premier intéresse chaque Eglise locale : c’est la. juridiction apostolique. Le second intéresse tout l’ensemble de la chrétienté : c’est l’unité du corps social. Enfin 12 :

ÉGLISE (CHRÉTIENTÉ PRIMITIVE)

1258

le troisième intéresse la préparation de l’avenir : c’est la succession apostolique.

a) Juridiction apostolique

Dans chaque Eglise locale, l’apôtre fondateur apparaît non seulement comme pouvant marquer authentiquement la doctrine qu’il faut croire, mais comme pouvant imposer, en outre, les préceptes qu’il faut suivre ; comme poiivant cliàtier les rebelles ; comme pouvant déléguer ses atliibulions. — Donc, dans chaque Eglise locale, l’apôtre fondateur apparaît comme investi du pouvoir de juridiction.

Cette autorité, à la fois enseignante et gouvernante. est exercée par les apôtres en vertu même de leur fonction apostolique, en vertu de la mission divine qu’ils tiennent de Jésus-Christ. (Act., xx, 28 ; Gal., i, II ; I Cor., X, I ; Il Cor., x, 8-1 1 ; xi, 5 : xii, 11, 12 ; xni, 2 ; Bom., xv, 15. 16 ; I Tini., II, 7 ; Il Tim., i, 1 1.)

Le droit qu’a l’apôtre de commander et de punir s’affirme principalement dans les deux Epîtres aux Corinthiens. Le droit de déléguer et de transmettre le pouvoir spirituel s’allirme principalement dans les trois Epitres pastorales. (On utilisera plus loin ces dernières, à propos de la successioji apostolique.) Contentons-nous de résumer ici les Epîtres aux Corinthiens et d’y indiquer les passages affirmant l’autorité gouvernante de l’apôtre.

Première aux Corinthiens. — Paul a le droit de commander aux chrétiens de Corinthe ; il a le droit de les encourager ou de les punir, selon leurs mérites (iv, 14-21). Sentence pénale contre rincestueux(v, i-j). Concession d’un privilège au point de vue du mariage (vil, 10-16). Prescriptions liturgiques et disciplinaires (x, 16-21 ; XI, 18-34). Contrôle sur les charismes et règles assignées à leurs manifestations (xii, i-31 ; xiii, i-.’ig).

Seconde aux Corinthiens. — Affirmations catégoriques et itératives du pouvoir que l’apôtre Paul tient de Dieu sur l’Eglise de Corinthe. Droit d’imposer des prescriptions. Droit de châtier les transgresseurs (x, 1-18 ; xiii, 2).

Ces textes suffiront à mettre en relief la juridiction apostolique, s’exerçant dans chaque Eglise locale.

b) Unité du corps social

L’ensemble des fraternités chrétiennes, — l’Eglise du Christ, — ne constitue pas une simple unité idéale, d’ordre purement spirituel et mystique. Mais elle constitue, en outre, une véritable unité sociale, résultant de la communauté de régime extérieur.

( « ) Le Temple, le Corps, lEpousedu Christ. — Trois métaphores sont employées par saint Paul pour désigner l’Eglise universelle.

Temple du Christ. — Dans les Epîtres aux Corinthiens, cette image était employée pour désigner chaque àme chrétienne, ou encore l’Eglise locale de Corinthe (I Cor., iii, 9-17 ; vi, ig ; I Cor, , vi, 16). Dans l’Epître aux Ephésiens, la même image est employée pour désigner l’ensemble des chrétiens, l’Eglise universelle, dont le Christ est la pierre angulaire, dont les apôtres et les prophètes constituent les fondations, et dont les fidèles eux-mêmes sont les pierres vivantes (Eph., 11, 14, 19-22. Cf. I Petr., 11, 4-6).

Corps du Christ. — Dans la première aux Corinthiens, cette image était employée pour désigner l’étroite union des (idèles qui se nourrissent tous de la même Eucharistie (I Cor., x. 7), et pour désigner pareillement la solidarité entre chrétiens ayant à remplir des fonctions diverses : comme dans l’apologue de Menenius Agrippa, chaque membre doit contribuer, selon sa destination propre, au bien général du corps entier (I Cor., xii integr. Cf. Ilom., xii,

4-2 1). Dans les Epîtres aux Ephésiens et aux Colossiens, la même image est employée pour désigner l’ensemble des chrétiens, l’Eglise universelle : grand corps mystique dont Jésus-Christ est la tête, le chef ; dont tous les fidèles, juifs ou gentils, grecs ou barbares, sont les membres, et c’est le même Esprit du Christ, c’est la même vie du Christ, qui anime et qui rassemble intimement le chef et les membres (Eph., i, 22^ 23 ; IV, 3-16 ; Col., i, 11, 19 ; 11, 19).

Epouse du Christ. — Dans la seconde aux Corinthiens, cette image était employée pour désigner l’àme de chaque fidèle s’unissant au Christ (Il Cor., XI, 2). Dans l’Epître aux Ephésiens, la même image est employée pour désigner l’ensemble des chrétiens, l’Eglise universelle, que le Christ a aimée, que le Christ est venu épouser, que le Christ veut orner de la plus riche parure de grâce pour la rendre sainte et immaculée (Eph., v, 22-33).

Que le mystère de l’Eglise universelle, temple du Christ, corps du Christ, épouse du Christ, comporte l’unité spirituelle, mystique, invisible de la grâce sanctifiante et de la charité divine, on ne peut en douter. Cette doctrine de saint Paul est féconde en conséquences dogmatiques. Mais, pour l’Apôtre, l’Eglise universelle, temple, corps, épouse du Christ, comporte également un aspect extérievir et visible, un caractère de communauté sociale.

Saint Paul considère ici les chrétiens comme étant dans l’état de grâce où chacun doit vivre. Mais c’est bien à l’ensemble des chrétiens, au peuple fidèle du monde entier qu’il pense, en le désignant sous les noms de temple du Christ, de cor^s du Christ, d’e^OHse du Christ. C’est une collectivité d’hommes, un groupement visible, qu’il entend par le mot Eglise, quand il parle de l’Eglise universelle comme quand il parle de V Eglise de telle ville ou de telle région.

Il distingue : « un seul corps et un seul Esprit >> {Eph., IV, 4) ; ce qui suggère la notion d’un élément visible uni à l’élément invisible. Il caractérise le corps du Christ, qu’est l’Eglise, par « un seul baptême » (Eph., IV, 5) ; c’est-à-dire par le rite visible d’introduction dans la communauté sociale des chrétiens. Il parle également d’  « une seule foi » (Eph., iv, 5) ; ce qui, dans la pensée bien connue de saint Paul, suppose le magistère enseignant des pasteurs de l’Eglise (Eph., , 11, 12) : autoiùté doctrinale qui remédiera aux fantaisies de l’inspiration individuelle, qui empêchera les chrétiens de voltiger à tout vent de doctrine et de succomber aux pièges subtils de l’erreur (Eph., IV, 14).

L’Eglise universelle n’est donc pas un corps exclusivement mystique : elle est également un corps social hiérarchique. Son aspect visible deviendra de plus en plus incontestable avec ce qui nous reste à dire sur l’unité du régime extérieur dans la grande communauté des Eglises apostoliques de tout le monde gréco-romain.

(fi) L’unité du régime extérieur. — Il n’ya pas seulement magistère et juridiction de chaque apôtre sur les Eglises locales que lui-même a fondées. Mais il y a magistère et juridiction do tout le collège apostolique (les Douze et ceux qui leur sont régulièrement assimilés, comme saint Paul), sur toutes les Eglises chrétiennes à la fois. Bien que les circonstances providentielles de la première fondation du christianisme aient rendu moins nécessaires et moins fréquentes (à cette ép<)<iuc d’apostolat dispersé), les manifestations de la communauté de gouxernement ecclésiastique, on constate suffisamment l’unité du régime extérieur dans l’Eglise universelle.

Par exemple, le décret sur les observances mosaïques est pronnilgué à Jérusalem, par les chefs de l’Eglise, comme une règle qui s’impose, non seulement 1259

EGLISE (CHRETIENTE PRIMITIVE)

1260

dans la Palestine, mais encore dans la Syrie et la Cilicie. De fait, on applique ce décret à Antioche et en Asie-Mineure, tout aussi bien qu’à Jérusalem. Indice notable d’unité dans le gouvernement ecclésiastique (Act., XV, 22-3 1, 4 » ; xvr, 4) I’Chez les Galales, Eglise fondée par saint Paul, on reconnaît l’autorité de Pierre et des apôtres de Jérusalem. Les judaïsants abusent de ce fait contre l’autorité de Paul. Et celui-ci, pour maintenir ses droits, expose la collégialité qui (par désignation divine) le rapproche des autres chefs de l’Eglise dans le ministère de l’Evangile et le gouvernement des fidèles {Gal., i, 17-2/^ ; II, i-io).

Chez les Corinthiens, autre Eglise fondée par saint Paul, on reconnaît pareillement l’autorité des autres apôtres et surtout de Pierre. Là encore, quelques chrétiens abusent du nom de Pierre pour résister à Paul (I Cor., i^ 12). Là encore, Paul doit revendiquer, sur les fidèles de Corinthe, un pouvoir identique à celui des autres chefs de l’Eglise (I Cor., ix, 1, 0 ; II Cor., XI, 5, 22-33 ; xii, ii-13).

Chez les Romains, dans une Eglise qu’il n’a pas fondée, qu’il n’a pas même encore visitée, saint Paul évite prudemment de se mêler au détail des questions intérieures ; mais enseigne avec pleine autorité la doctrine qu’il faut tenir sur le grand problème de la justification. C’est au nom de sa mission divine et apostolique, au nom des droits qu’elle lui confère sur toutes les Eglises, que Paul agit de la sorte (Rom., I, 5-1 6 ; XV, 15-33).

L’apôtre Pierre donne avec autorité ses instructions aux Eglises de Pont, de Galatie, de Cappadoce, (l’Asie, de Bithynie, dont plusieurs au moins ont été fondées par Paul et non par Pierre (I Petr., i, i).

Même remarque pour l’Epître de saint Jacques aux fidèles dispersés des douze tribus (Jac, i, i), et pour 1 Epître de saint Jean aux.sept Eglises de l’Apocalypse (Apoc, II et m).

Bref, les documents laissent apercevoir l’autorité collective de tout le collège apostolique sur toutes les Eglises locales à la fois ; en d’autres termes, sur l’Eglise universelle. Ainsi apparaît, dans la chrétienté primitive, l’unité sociale, l’unité du régime extérieur.

(/) La primauté de Pierre. — Nous reviendrons plus loin sur ce même sujet dans l’article Pierre. Contentons-nous d’observer ici que les douze premiers chapitres des Actes reconnaissent manifestement à l’apôtre Pierre un rôle hors de pair dans l’Eglise chrétienne : tout au moins la présidence du collège apostolique. D’autre part, le reste du Nouveau Testament ne contient aucun fait qui soit vraiment exclusif de la primauté de Pierre. Les Epîtres contiennent même certains indices positifs qui concordent avec cette primauté de Pierre, après comme avant la dispersion des apôtres. Ceci posé, la présidence permanente d’un seul chef sur le collège apostolique vient encore accentuer l’unité du régime extérieur dans l’Eglise universelle.

Donc nous étions bien en droit de définir ainsi l’unité du corps social de l’Eglise, pendant le ministère des apôtres à travers le monde gréco-romain : l’ensemble des fraternités cliréticnnes, — l’Eglise du Christ, — ne constitue pas une simple unité idéale, d’ordre purement spirituel et mystique ; mais elle constitue, en outre, une véritable unité sociale, résultant de la communauté de régime extérieur.

c) Succession apostolique

Ce problème doit être étudié avec détail dans l’article Episcopat (Origine de /’). Nous n’avons à en considérer ici que le seul aspect indispensable à notre sujet. Pour faire connaître l’Eglise hiérarchique pendant le ministère universel des apôtres, nous devons

étaljlir que la juridiction spirituelle n’était pas considérée comme un privilège exclusivement spécial aux apôtres eux-mêmes et devant disparaître avec eux. Nous devons établir, au contraire, que cette juridiction était reconnue pour transmissible : qu’elle pouvait être déléguée à des représentants ou à des successeurs des apôtres.

(a) Double genre de fonctions.

Chez les apôtres. — Nous avons distingué plus haut(col.1240)un double rôle chez les apôtres : » celui’< de fondateurs et celui de pasteurs dans l’Eglise du

« Christ. Au rôle de fondateurs, se rattachait tout
« un ensemble de privilèges extraordinaires qui, 
« regardant la prédication initiale et le premier établissement

du christianisme, devaient disparaître

« avec la personne même des apôtres. Au rôle de
« pasteurs, correspondaient une autorité enseignante, 
« une fonction gouvernante qui devaient durer, 
« comme l’Eglise elle-même, jusqu’à la consommation
« des siècles, et donc se transmettre par voie de succession

perpétuelle. »

La succession apostolique, dont il nous reste à parler, se rapporte donc uniquement au rôle pastoral, à l’enseignement et au gouvernement des Eglises chrétiennes, et non pas aux prérogatives exceptionnelles, charismatiques et miraculeuses qui concernaient la fondation même du christianisme.

Chez les notables des premières Eglises chrétiennes. — Tout le monde est d’accord pour distinguer deux sortes de fonctions dans les premières Eglises chrétiennes : fonctions charismatiques et fonctions humainement déléguées.

Les fonctions charismatiques provenaient d’une communication immédiate et sensible de Dieu lui-même, par illumination ou inspiration miraculeuse. Nous n’avons pas à nous en occuper ici (cf. I Cor., xii, 10, 28, 30 ; XIV, 5, 13, 26-28 ; Rom., xii, 6-8 ; Ephes., IV, 1 1).

Les fonctions humainement déléguées provenaient d’une désignation faite par les apôtres eux-mêmes, ou encore d’une désignation faite par la communauté avec approbation des apôtres (cf. Act., xiv, 22). Les titulaires de ces fonctions portent des appellations diverses (cf. I Thess., v, 12 et Rom., xii, 8 ; I Tim., V, l’j ; Hebr., xiii, 7, 17, 24). Les appellations les plus communes sont celles d’i-niT/.or.oi eide -pîzQùT-poi ; pour le ministère inférieur, otozovît.

Le problème à résoudre est le suivant : les fonctions /i « ; « rt/ « e/71eH/c ?é/f’i, M e’es sont-elles exclusivement relatives à l’administration extérieure et temporelle des communautés chrétiennes ? L’enseignement religieux, le gouvernement spirituel des mêmes communautés ne serait-il pas le monopole des fonctions charismatiques ?


Nos adversaires, malgré l’extrême diversité de leurs systèmes, sont unanimes à répondre par l’affirmative. D’après eux tous, l’enseignement religieux et le gouvernement spirituel appartenaient, dans les Eglises, aux seuls hommes inspirés, aux seuls bénéficiaires de charismes divins et surnaturels. La prérogative de ces hommes était exactement du même ordre que la prérogative merveilleuse qui était reconnue aux apôtres. Quant aux titulaires des fonctions humainement délégués, c’étaient des administrateurs temporels (des conseillers de fabrique), n’ayant rien de commun avec le ministère spirituel et religieux. — Donc, d’après nos adversaires, il n’y avait pas, et il ne pouvait pas y avoir, de successeurs des apôtres. En efl’et, le ministère spirituel et religieux aurait appartenu exclusivement à des hommes inspirés, comme l’étaient les apôtres eux-mêmes, et qui tenaient leurs pouvoirs d’une communication immédiate et sensible de l’Esprit divin. On 1261

EGLISE (CHRETIENTE PRIMITIVE)

1262

ne pourrait pas plus concevoir une succession apostolique, par délégation humaine, qu’on ne peut concevoir une (( succession » véritable pour le don de prophétie ou des miracles.

Ce ne serait que durant le demi-siècle qui suivit la mort des apôtres que l’enthousiasme primitif aurait diminué, cpie les charismes auraient disparu ou seraient tombés dans le discrédit. Alors, les administratem’s temporels des Eglises chrétiennes, les titulaires de fonctions humainement déléguées, se seraient emparés progressivement de l’enseignement religieux et du gouvernement spirituel. Ainsi aurait pris naissance V Episcopat ; et, plus tard, pour se <lonner une noblesse, l’Episcopat aurait favorisé la légende, toute fictive, de son origine apostolique.

Il nous faut donc rechercher, d’après les textes, si le gouvernement spirituel des Eglises, à l'âge apostolique, était réservé aux hommes inspirés, au personnel charismatique ; et si les fonctionnaires humainement délégués ne devenaient pas les dépositaires de l’autorité religieuse des apôtres. En cas de réponse afhrmative, nous aurons ressaisi le principe même de la succession apostolique. Cela seul importe à notre but. Le reste concerne les origines de VEpiscopat.

( ; 3) Transmission de l’autorité spirituelle.

Les Actes et la Prima Pétri. — Saint Paul, dans les Actes (xx, 17-88), s’adresse aux fonctionnaires humainement délégués (les T : ^^ztQ-J, 7-poi, irtîxsrîi) de l’Eglise d’Ephèse. De même saint Pierre, dans sa première Epître (v, 1-4) s’adresse aux fonctionnaires humainement délégués (les r : pi- : Cù- : efioi, èTTiT^TTiOvrc ;) des Eglises d’Asie Mineure.

Or, du langage adopté ici par saint Paul comme par saint Pierre, il résulte manifestement que ces honunes, désignés ou approuvés par les apôtres, ne sont pas des administrateurs purement temporels. Ces personnages A'(/ « a/ne/Hen/ délégués apparaissent comme dépositaires (au moins partiels) de l’autorité apostolique dans leurs propres Eglises locales. Ils apparaissent investis d’un pouvoir religieux, d’une responsabilité spirituelle. « Veillez sur vous-mêmes

« et sur le troupeau entier auquel vous a préposés
« l’Esprit-Saint pour régir l’Eglise de Dieu ^> (Acf., 

XX, 28). Et saint Pierre assimile l’autorité pastorale de ces r.p'.^Q-J-zp'^i à sa propre autorité (p’j-jr.ps^Z-Jnpoz), ^oire même à 1 autorité du Christ (à « > ; t7 : o<//r>î ;), pour luieux leur inculquer le devoir d'être les modèles de leur troupeau (rJTrot tîO txoiij.-jioj), dont ils répondront devant le Souverain Juge (1 Petr., v, i-4).

Donc il y avait communication de l’autorité relig’ieuse des apôtres.

Les Epitres pastorales. — Les deux Epîtres à Timotliée, ainsi que l’Epitre à Tite, ont pour objet essentiel la délégation du pouvoir apostolique, en vue du gouverneuient spirituel des Eglises chrétiennes. D’oii le nom d’Epitres pastorales.

Quoitpie Tite et Timotliée possèdent plusieurs charismes (ils sont « prophètes », « docteurs », <( évangélistes »), leur droit à gouverner les Eglises chrétiennes dérive totakMucnt, néanmoins, d’une mission ou délégation, confiée par Paul à Timotliée cliez les Ephcsiens, à Tite chez les Cretois : mission ou délégation constamment et formellement signiûée dans les trois Epitres.

D’autre part, il est clair que le pouvoir confié à Tite et à Tiniolhée par Paul ne se rapporte pas à la soûle administration temporelle des Eglises ; mais bien à l’enseignement authentique de la vraie doctrine, à l’organisation du culte religieux, au rappel de tous les devoirs moraux, à la coercition des hérétiques et des rebelles. Indubitablement, il s’agit d’autorité religieuse, de juridiction spirituelle.

Enfin, ' Tite et Timotliée possèdent le principe

d’une délégation et succession perpétuelle. Ils devront instituer, dans chaque Eglise locale, des è-ri^yonoi, rps’y^'JT-p’ii, chargés du ministère spirituel et religieux (cf. Jac, V, 14), en même temps que de l’administration temporelle de la communauté. — Tite et Timotliée peuvent transmettre par l’imposition des mains (I Tim., V, 22) le caractère sacré en vue du culte divin ; et eux-mêmes ont reçu le pouvoir d’agir ainsi par la vertu de l’imposition des mains de l’Apôtre (II Tim., i, 6), en même temps qu’ils recevaient, pareillement, l’imposition des mains de tout le nps7Π: jTépi.yj (I Tim., IV, 14).

Donc, rien de plus net que les Epitres pastorales pour marquer la transmission du pouvoir spirituel des apôtres, la succession apostolique.

(Cf. I Tim., r, 3-20 ; iii, 1-16 ; iv, ii-14 ; v, 17-22 ; II Tim., I. 6-15 ; Tit., 1, 1-16 ; 11, 15).

Aussi, lorsque, vers la fin du i<"" siècle, un disciple personnel des apôtres Pierre et Paul, Clément de Jiome, énoncera, comme un fait notoire, la succession apostolique des pasteurs de l’Eglise (I Cor., xlii, 4 ; XLiv, 1, 2), il ne fera que répéter et pi’olonger les affirmations, déjà bien claires, du Nouveau Testament.

Les textes viennent de nous faire connaître l'^g’hse chrétienne pendant le ministère unii’ersel des apôtres. Dans chaque Eglise locale, on trouve la juridiction apostolique. Dans l’ensemble de la chrétienté, on trouve l’unité sociale, garantie par la communauté du régime extérieur. Et l’autorité des apôtres, quant au magistère enseignant et au gouvernement spirituel, se présente comme perpétuellement transmissible à des représentants ou à des successeurs légitimes.

En d’autres termes, pendant le ministère universel des apôtres, l’histoire atteste l’existence de l’Eglise hiérarchique, perpétuant les institutions mêmes du Sauveur, et portant les caractères du catholicisme.

D. L’Eglise pendant la période

« subapostolique » 

Comme nous l’avons dit plus haut, le caractère hiérarchique et catholique de l’Eglise chrétienne à la fin du 11° siècle n’est pas contestable et n’est plus sérieusement contesté. Hiérarchique, l’Eglise n’admet pas la souveraineté de l’inspiration individuelle, mais elle possède une autorité enseignante et gouvernante, chargée d’imposer à tout chrétien la doctrine qu’il faut croire et la conduite religieuse et morale qu’ilfaut tenir. Crt/Z/o/Zc/He, lEglisechrétienne, répandue à travers le monde entier, forme une grande unité sociale dont le centre nécessaire, dont la présidence permanente est dans l’Eglise privilégiée des apôtres Pierre et Paul, dans l’Eglise de Rome. Telle est la situation au temps de saint Irénée, au temps du Pape Victor et de la controverse pascale.

Reste à savoir si l’organisation hiérarchique et catholique de l’Eglise chrétienne était alors d’origine toute récente ; si elle ne venait pas de naître, par suite des nécessités accidentelles de la crise gnostique et de la crise montanisle ; ou bien, au contraire, si cette organisation n’avait pas constamment existé pendant la période « suhapostolique », c’est-à-dire pendant le siècle qui s'écoule depuis la chute de Jérusalem jusqu'à l'époque où écrivait saint Irénée.

L’enquête est dilHcile, à cause de la rareté des documonts (la période « subaposloliquc » est peut-être la moins connue de toute l’antiquité chrétienne) ; et à cause de la nature même de ces documents (ils n’ont pas pour objet de nous renseigner sur les institutions ecclésiastiques et n’y font souvent que de rapides allusions). Néanmoins, les textes fragmentaires qui 1263

ÉGLISE (CHRÉTIENTÉ PRIMITIVE)

126^

nous sont parvenus fournissent à 1 historien assez d'éléments, assez d’indications convergentes, pour appuyer des conclusions très fermes sur le caractère hiérarchique et catholique de l’Eglise naissante.

a) Valeur du témoignage même de saint Irénée. — D’après nos adversaires, l'évolution hiérarchique et l’unillcation catholique de l’Eglise aurait été chose récente à l'époque d’Irénée ; les contemporains auraient vu se consommer progressivement la transformation du régime.

Contre cette hypothèse, le témoignage même de saint Irénée paraîtra significatif et nous renseignera utilement, déjà, sur la période « subapostolique)>. En effet, l'évêque de Lyon nous présente le caractère hiérarchique et catholique de l’Eglise comme un fait universellement notoire et incontesté. C’est de là qu’il lire son argument capital contre les sectes hérétiques. Or, ce qui fonde l’argument, c’est que l’Eglise hiérarchique et catholique est une institution du Christ et des apôtres ; qu’elle possède la Tradition des apôtres, l’autorité des apôtres, la succession légitime et perpétuelle des apôtres (Ads-. hæres., lib. UI, cap. i, ii, m, IV. P. G., VII, col. 843-857).

Transcrivons, au moins, les deux fragments les plus significatifs du livre III, chapitre m :

Tradilioneiu itaquc apostoloruni, in tuto niundo manifestatarii, in omni Ecclesia adesl respicere omnibus qui cera l’elint videre : et habemus annumerare eos qui ab apostolis institua sunt episcopi, et successores eorum usque ad nos…

Sed quoniam valde longum est, in hoc tali votuniine omnium Écclesiarum enumerare successiones, maximæ et antiquissiniæ et omnibus cognitae, a gloriosissimis duobus apostolis Peiro et Paulo Romæ fundatæ et constitutae Ecclesiae, eam quant habet ab apostolis traditionem et annuntiatam nabis fideni, per successiones apostoloruni, pervenientes usque ad nos indicantes, confundimus omnes eos qui… præterquam quod oportet colligunt. Ad hanc enim Ecclesiam, propter po[ten]fiorem principalitatem, necesse est omne/n confenire Ecclesiam, hoc est eos qui sunt undique fidèles, in qua semper ab his qui sunt undique conservata est ea quæ est ab apostolis traditio.

Comment donc saint Irénée aurait-il pu attribuer une ancienneté immémoriale, une origine apostolique, à la hiérarchie et à la catholicité de l’Eglise chrétienne, si, en réalité, cette organisation était alors toute récente et si les contemporains en avaient euxmêmes constaté l’achèvement ? Bien plus, comment saint Ii'énée aurait-il pu affirmer pareille chose à titre d’argument irrécusable conti’e les hérétiques, si le fait n’avait pas été regardé alors comme avéré?

La moindre conséquence à en déduire est que l’organisation hiérarchique et catholique de l’Eglise n'était pas d’origine récente à la fin du ii^ siècle ; qu’elle était, au contraire, chose déjà ancienne et immémoriale ; qu’on la croyait d’institution divine et apostolique. Voilà qui en reporte, historiquement, la naissance bien longtemps avant l'époque de saint Irénée.

D’ailleurs, entre cette époque d’Irénée elle-même et l'âge apostolique, la distance à franchir est-elle si grande ? Irénée avait connu, en Asie, Polycarpe et d’autres « presbytres » qui avaient été les propres disciples de l’apôtre Jean. Irénée, depuis lors, avait pris contact avec l’Eglise romaine, sous le Pape Eleuthère, c’est-à-dire à une époque où îwaient passé deux générations seulement depuis la génération apostolique.

En de telles conditions, le témoignage de saint Irénée paraît être, à lui seul, d’un très grand poids pour établir l’existence de l’Eglise hiérarchique et catholique durant la période antérieure à Irénée, voire même depuis le temps des apôtres.

h) Témoignages plus anciens. — Enumérons main tenant quelques témoignages de la période « suLapostolique » elle-même. Quelques-uns seulement : car nous ne voulons pas entrer dans l’examen de ceux qui, tout en ayant leur valeur pour établir le fait qui nous occupe, exigeraient des explications plus minutieuses, comme le Pasteur d’Hermas. En outre, nous ne prétendons fournir ici que des indications très sommaires.

Ces divers témoignages accusent ou supposent déjà une organisation ecclésiastique toute pareille à celle que, plus tard, décrii-a nettement saint Irénée. Qu’on ne dise pas que le régime hiérarchique et catholique aurait été ignoré d’abord, et se serait déterminé progressivement, à mesure que le temps aurait marché (en attendant une plus complète formation à l'époque d’Irénée). Les témoignages qui sont, pour cette i)ériode. les plus clairs et les plus significatifs, au double point de vue hiérarchique et catholique, comptent précisément parmi les plus primitifs et les plus voisins de l'âge apostolique : Clément de Rome et Ignace d’Antioche.

(a)CLÉMENT de Rome. — Caractère hiérarchique de l’Eglise. La doctrine qu’il faut croire n’est pas manifestée par l’inspiration individuelle de chacun ; mais par la « glorieuse et vénérable règle de notre Tradition », rô ; -î'./saôîJîw ; r.u.w xy.vojy. (I Cor., VII, 2). C’est la hiérarchie ecclésiastique qui est la gardienne de cette Tradition. Il faut donc se soumettre à la hiérarchie ecclésiastique. Analogie avec l’armée romaine (I Cor., XXXVII, 2, 3). Analogie avec le sacerdoce juif (I Cor., XL, 5). Mission et succession apostolique des pasteurs de l’Eglise (I Cor., xlii, 4 ; xliv, i-4).

Caractère catholique de l’Eglise. L’ensemble de la chrétienté forme un grand corps social, dont la tête est l’Eglise romaine, l’Eglise des apôtres Pierre et Paul. Toute la lettre authentique de Clément aux Corinthiens exprime (ou suppose) la primauté religieuse, la présidence universelle de l’Eglise de Rome sur les autres Eglises locales. Rien ne signifierait mieux le caractère catholique de l’Eglise chrétienne (I Cor., VII, I ; xLvii, 6 ; lvii, i ; lviii, 2 ; Lix, - !  ; et passitn).

Donc, dès la fin du 1" siècle, vers l’an 96, chez un disciple immédiat de saint Pierre et de saint Paul, nous trouvons une notion équivalente à celle d’Irénée sur la hiérarchie et la catholicité de l’Eglise. (Mentionnons, à cet égard, deux pages significatives de Jean Réville, Origines de VEpiscopat, pp. 429 et 440.)

(/3) Ignace d’Antioche. — Caractère hiérarchique de l’Eglise. Distinction entre la fausse et pernicieuse doctrine des hérétiques, corrompue par les inventions humaines, et la vraie doctrine de l’Eglise chrétienne ; doctrine enseignée par le Christ et transmise fidèlement par les apôtres (ZTpves, ix, 2 ; xiv, i, a ; Magnes., xii, i, 2 ; Trall., vi, i, 2 ; Philad., viii, 2). Or Vinterprète autorisé de la doctrine du Christ et des apôtres, c’est V Evoque, qui est, dans chaque Eglise locale, le représentant de Dieu (Ephes., 11, 2 ; iii, 2 ; IV, i ; VI, i ; Magnes., 11 ; iii, i ; xiii, i ; Trall., iii, i ; VII, 1, 2 ; Philad., i, I ; III, a ; iv ; vii, i ; ^mirn., viii, 1).

Caractère catholique de l’Eglise. Toutes les Eglises locales forment, par leur ensemble, l’Eglise universelle. Dans chaque Eglise locale, il faut distinguer l'élément spirituel ou invisible et l'élément corporel ou visible (Magnes., iii, 2 ; xiii, 2) ; dans l’Eglise universelle, il faut distinguer, de même, l'élément spirituel, qui est l’union mystique des âmes chrétiennes, et l'élément corporel qui est l’unité sociale et visible des fidèles, chose apparente aux yeux des peuples {Smyrn., i, 2). L’accord de chaque Eglise locale avec l’Eglise universelle s’impose tellement comme règle et comme garantie, que le même mot « catholique » exprime pareillement l’idée d’orthodoxie et d’universalité (Smyrn., viii, 2). 12(35

ÉGLISE (CHRÉTIEXTÉ PBTMr’l « fyE)

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Pour Ignace d’Anlioclie, la présidence de l’Egalise universelle appartient à l’Eglise de Rome. Il y voit le centre visible de l’unité catholique. Cette pensée apparaît dans toute l’Epître d’Ignace aux Romains, à l’Eglise de Pierre et de Paul (/Vom., iv, 3)^uelle différence de ton et d’attitude avec les Ef^-es d’Ignace aux Eglises d’Asie ! L’inscription initiale multiplie les formules de respect et d’égard. La lettre elle-même contient, non pas des avertissements et des conseils fraternels, mais des recomn^ndations suppliantes et des hommages élogieux. Notons, en particulier, trois expressions caractéristiques.

L’évéque d’Antioche salue l’Eglise de Rome comme T.poy.v.dr.ij.vjYi T-7, i K/aTT/ ;  ;. Ce titre ne peut signifier : Eglise a qui se distingue par la charité » ; car 7 : po/Mr, ij.y.i n’admet guère la traduction : « se distinguer », et, du reste, la syntaxe exigerait, en pareil cas, que le régime, cr/v.-r, ^ fût au datif : « par la charité. » A vrai dire, r, ÇéO/.v.i}r, tt.y.t signifie : « présider ». Ignace l’emploie pour I^arler de l’évéque, « qui préside au nom de Dieu », et aussi des « presbytres » qui, autour de l’évéque, « président » dans l’Eglise locale (Magnes., vi, i et 2). Quant au mot àr/ûTTYi, il signifie « charité », avec toutes les dérivations admises par ce terme : notamment : « société de charité », association fraternelle. Ignace dit, par exemple : « la charité », Vàydnr, de Smyrne, d’Ephèse, deTroade, pour désigner l’£'g’/ise de Smyrne, d’Ephèse, de Troade (TralL, xni, 1 ; Nom., ix, 3 ; Philad. , XI, 2 ; Smyrri., xii i). Le verbe r.poxixOvi ; j.y.i, qui précède immédiatement t< ; vsjrj.r.r.t, fait comprendre que ce dernier sens est le seul raisonnable dans le texte qui nous occupe. Charité se trouA^e donc employé pour Église. Mais il ne s’agit plus de l’àyaû/î de Smyrne, d’Ephèse, de Troade ou de quelque autre ville, mais de l’à/KTt/i tout court, de la « fraternité chrétienne » f|u’Ignace voit répandue à travers le monde entier : bref, c’est l’Eglise universelle. Ylp^y.yOcfjiéjr, : ?, : , àya7T/ ; ç, ’( présidente de la charité », paraît donc signifier :

« Eglise qui préside à toute la chrétienté, » Le reste

de l’Epître n’a rien que de très concordant avec cette traduction.

Plus loin, Ignace adopte une autre fornuile qui ne réclame aucun commentaire : « Vous (Eglise de

« Rome) avez enseigné les autres. Et moi, je veux que
« demeurent fermes les choses que vous prescrivcz
« par votre enseignement ». y. /j.y.Or, Tîiiwr-i bréjj.i-d(Rom., ni, i). Voilà bien le rôle de « l’Eglise qui préside

à’< toute la chrétienté ».

Enfin, parlant de l’Eglise d’Antioche qui va être privée de son évêque, Ignace dit à l’Eglise de Rome : ce sera Jésus-Christ seul qui en prendra la garde, et aussi votre propre charité. MoVo ; aÙT/-, y I/jo-’jOi X^to-rà ; £7r « jz5T : /]T£t, zai r, ù/ji^)v êc/t/.TTr, (Rom., IX, 1). Nouvel indice qui, rapprociié des précédents, n’est pas sans quelque valeur.

Une telle conception du rang qui appartient à l’Eglise de Rome dans la cliréticnté met en relief le caractère hiérarchique et catholique de l’Eglise naissante. Ignace d’Antioche, dans les premières années du ite siècle, n’est guère moins net à cet égard que Clément de Rome dans les dernières années du 1" siècle.

(y) PoLYCAUi’K et l’Eglise de Smyrne. — Caractère hiérarchique de l’Eglise. Mainte allirmation du rôle des pasteurs, cpii sont les gardiens de la doctrine qu’il faut croire : doctrine de salut, transmise par les apôtres (Philp., vi, 3 ; vii, 1, 2 ; viii. i). lA-rme notion du christianisme comme religion d’autorité.

Cixr&clève catholique de l’Eglise. Le récit du niartyre de Polycarpe, rédigé à Smyrne par les témoins, affirme l’unité sociale et visible de l’Eglise universelle (Inscript., et viii, i ; xix, 2). La démarche de Polycarpe à Rome, sous le Pape Anicet, montre que

I c’était --bien dans l’Eglise romaine que Polyéarpe recoîirtnissait l’Eglise principale et le centre de l’unité catholique (EusÈBE, Hist. eccl., V, 25. P. G., XX, col. 508).

Au milieu du 11* siècle, nous’trouvons donc, chez Polycarpe de Smyrne, une conception de l’Eglise Iiarfaitement conforme à celle de Clément et d’Ignace.

(S) Hégksippe et ses contemporains. — Caractère hiérarchique de l’Eglise. Idée claire de la Tradition apostolique, gardée par les évêques, successeurs des apôtres (Eusèbe, Hist. eccl., IV, 22. P. G., XX, col. 377-382).

Caractère catholique de l’Eglise. Notion chez Hégésippe, de l’unité sociale et visible des Eglises chrétiennes du monde entier. Rome apparaissant comme centre religieux de cette unité (ibidem). Signification équivalente que prend la venue à Rome de plusieurs hérésiarques : notamment Valentin, Cerdon (Irkxée, Adv. hær., l. lll, cap. iv, 3. P. G., VII, col. 856, 857).

Ces différents indices (à rapprocher des autres données du problème) se rapportent au deuxième tiers du 11’siècle.

(î) Denys de Corinthe. — Caractère hiérarchique de l’Eglise. Clairement signifié dans plusieurs lettres à des Eglises helléniques et asiatiques. Autorité de l’Episcopat. Succession apostolique (Eusèb., Hist. eccl., IV, 23. P. G., XX, 384-38()).

Caractère catholique de l’Eglise. Résultant surtout de la prééminence universelle reconnue à l’Eglise romaine, et dont témoigne la lettre qui lui est adressée par Denys. Détail à retenir : Corinthe garde avec respect les admonitions que lui envoya naguère Clément de Rome (Euseb., Hist. eccl., Il, 25 et IV, 23. P. G.. XX, 207-210, 388).

Ce témoignage est des environs de l’année 170, Vers la même époque, était rédigé le canon romain du Nouveau Testament, le Fragmentum muratorianum, qui exprime si netteuient la notion d’autorité enseignante et d’unité catholique (lignes 62-59, ^ 62, 69).

( ?) Aberkios (Inscription du u" siècle). — (Voir plus loin l’article Epigraphie, où l’on donnera toutes les indications utiles sur cette « reine des Inscripfions chrétiennes ».)

« C’est lui [le Christ] qui m’envoya à Rome contempler

la Majesté souveraine et voir une Reine

« aux vêtements d’or, aux chaussures d’or. Je vis là
« un peuple qui porte un sceau brillant. J’ai vu aussi

n la plaine de Syrie et toutes les villes, Nisibe au

« delà de l’Euphrate. Partout, j’ai trouvé des confrères.

»

La « Reine aux vêtements d’or, aux chaussures d’or » n’est pas la Rome impériale, mais l’Eglise romaine. Aberkios parle de ses voyages à travers les Eglises chrétiennes. Partout il y trouve même foi,

! mêmes Ecritures, même Eucharistie. L’Empire

romain est tout à fait étranger à ce contexte. Mais, au contraire, l’esprit évident du contexte est de montrer le Christ conduisant d’abord Aberkios vers l’Eglise maîtresse et principale, av’ant de le conduire vers les différentes Eglises de la Syrie et de l’Euphrate. La désignation est d’autant moins contestable que la coutume de représenter l’Eglise sous les traits d’une matrone vénérable appartient au langage chrétien du 11° siècle, comme en témoigne sans équivoque le Pasteur d’HEUMAS.

Le caractère hiérarchique et catliolique de l’Eglise est donc heureusement illustré par cette brillante image de l’Eglise romaine. Eglise principale et centre de l’unité, qui est, dans la société chrétienne, comme la <( Reine aux vêtements d’or et aux chaussures

« d’or ». 

1267

ÉGLISE (QUESTION DES NOTES)

1268

— Donc : il résulte de tous ces témoignages que l’état de choses décrit par saint Irénée à la lin du II’siècle ne datait pas d’une évolution récente, mais avait constamment existé pendant la p’?'r/oc ?e « subapostolique )’. L’Eglise qu’ont connue Clkment de Rome, Ignace d’Antioche, Polycarpe, Hégésippe, Denys de Gorinthe, Abehkios et leurs contemporains, possédait le double caractère de la hiérarchie et de la catholicité.

E. Conclusion : le fait catholique

a) Dés-eloppement hiérarchique. — Le fait réel qui peut donner quelque vraisemblance à la théorie des protestants et des rationalistes, est que, sans aucun doute, la chrétienté primitive a connu un développement hiérarchique.

Au début, les fidèles sont, relativement, peu nombreux. Leur ferveur est enthousiaste. Miracles et charismes accusent une intervention directe et fréquente de l’Esprit-Saint, pour favoriser l’établissement et la diffusion de l’Eglise. En de telles circonstances, manifestement extraordinaires et ti-ansitoires, l’exercice de l’autorité extérieure est moins nécessaire, moins continu ; l’organisation hiérarchique apparaît avec moins de relief.

Peu à peu, les fidèles et les chrétientés se multiplient. La ferveur et l’enthousiasme diminuent. Miracles et charismes deviennent chose rare, exceptionnelle. L’action divine cesse, habituellement, de se manifester d’une manière apparente et sensible. Les périls extérieurs et intérieurs entourent l’Eglise, mêlée désormais aux conditions ordinaires du monde et de la vie. En de telles circonstances, l’exercice de l’autorité extérieiu-e devient plus nécessaire, plus continu ; l’organisation hiérarchique apparaît avec plus de relief. Bientôt même, elle multipliera, perfectionnera, diversifiera ses rouages secondaires. Voilà le développement hiérarchique.

Du reste, on constatera un phénomène analogue dans l’histoire de tous les grands Ordres religieux du christianisme. Les bénédictions privilégiées, les circonstances exceptionnelles du premier âge donnent une plus grande part à Vêlement spirituel et inspiré. Dans la suite, apparaît davantage l’élément social et juridique. L’organisation delà hiérarchie passe alors de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte. Mais c’est toujours la croissance des mêmes organes essentiels et distinctifs.

b) Continuité hiérarchique. — Nos adversaires admettent l’existence de l’Eglise hiérarchique à la in du II" siècle.

Or, les textes historiques nous ont manifesté la même organisation hiérarchique, la même unification catholique durant toute la période « subapostolique ». Et ce ne sont pas des faits survenus au cours de cette même période (crise gnostique, crise montaniste ) qui ont fait naître la hiérarchie ou unifié la catholicité : car, au nombre des témoignages les plus significatifs, on compte ceux de Clément de Rome et d’Ignace d’Anlioclie, ant(=rieurs l’un et l’autre à la crise gnostique comme à la crise montaniste.

Pour l’époque du ministère universel des apôtres, nous avons eu pareillement à constater l’existence d’une autorité religieuse, passible de délégation et de succession perpétuelles ; autorité du collège apostolique avec primauté de Pierre ; autorité qui garantit l’unité sociale et visible de l’Eglise universeÛe.

Enfin, dès l’époque où la chrétienté se trouve encore confinée à Jérusalem et en Palestine, les textes prouvent le caractère organique et hiérarchique de l’Eglise, en même temps que son autonomie par rapport au judaïsme.

Et nous rejoignons, de la sorte, l’œuvre même de Jésus-Christ ; la société visible et hiérai-chique, régie par l’autorité perpétuellement transmissible de Pieri’e, du collège apostolique, pour constituer en ce monde le « royaume de Dieu « sous son aspect extérieur et social ; pour procurer le « royaume de Dieu » sous son aspect intérieur et spirituel ; pour préparer le

« royaume de Dieu » sous son aspect eschatologique

et céleste.

L’Eglise catholique et hiérarchique apparaît donc constamment dans l’histoire, depuis Victor et Irénée, depuis Clément et Ignace, depuis Pierre et Paul, depuis Jésus-Christ en personne. Il y a eu, sans doute, développement hiérarchique, mais avec identité des organes essentiels, avec continuité hiérarchique.

Bref, il n’y a pas eu d’âge « précatholique ». Dans la chaîne d or dont parle Auguste Sabatier, chaîne d’or qui rattache la hiérarchie de l’Eglise aux apôtres et au Christ, les premiers anneaux ne sont pas un mythe. Les premiers anneaux sont bien réels et en or authentique.