Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Epigraphie

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 710-737).

EPIGRAPHIE. — I. Les inscriptions chrétiennes. — II. L Apologétique des Inscriptions : a) le Nouveau Testament ; — b) l’Eglise.

On peut évaluer à 100.000 le nombre des inscriptions grecques païennes actuellement connues ; les textes latins non chrétiens sont au moins deux fois plus nombreux, et les fouilles, les voyages accroissent tous les jours ces immenses séries. De cette masse de documents, qui ne représentent cependant qu’une bien faible partie de tout ce qui a été gravé sm’pierre, sur marbre ou sur bronze, se dégage une connaissance de jour en jour plus détaillée de la Grèce et de Rome. L’histoire proprement dite, dont les soui’ces littéraires nous avaient conservé la trame, contrôle, à la lumière des pièces oflicielles, les données de la tradition, en précise et arrête la chronologie, corrige les erreurs des annalistes, comble leurs lacunes et redresse leurs appréciations. Plus encore que l’histoire politique, l’histoire intérieure des républiques grecques, des monarchies hellénistiques et de Rome reçoit des documents nouveaux une lumière inattendue : nous sommes initiés, avec l’abondance de détails que réclame notre exigence scientifique, au mécanisme des assemblées populaires, aux relations de peuple à peuple, de ville à ville, à l’administration des provinces ou des colonies, à la vie intime de la cité. Commerce, droit civil et public, cultes et dévotions, fêtes religieuses et civiques, idées et sentiments : autant de points encore sur lesquels les inscriptions viennent suppléer au silence de la tradition littéraire ou compléter abondamment les informations fragmentaires dont nous lui sommes redevables.

Il n’est pas exagéré d’affirmer que, de nos jours, les inscriptions ont renouvelé notre connaissance du monde antique à l’époque classique. L’histoire, tant intérieure qu’extérieure, de l’Eglise reçoit-elle des marbres autant de lumière qu’en reçoit l’histoire d’Athènes ou celle des Césars ?

A la question ainsi posée on est bien forcé de répondre négativement. Cette infériorité, toute relative^ 1405

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de l’ôpigraphie chrétienne tient à l)ien des causes et en particulier à son caractère spécial. Nous constaterons cependant que, pour être moins riches que les textes d’époque païenne, les inscriptions émanées de chrétiens sont remplies de renseignements de toute première valeur. Un rapide inventaire donnera une idée de ces ressources généralement peu connues. Alin de faciliter l’appréciation des documents, on examinera d’abord quelques questions préliminaires ; puis, connaissance faite avec les documents, on groupera en faisceau quelques-uns des faits les plus saillants à la connaissance desquels les inscriptions chrétiennes ont contribué particulièrement. Ces indications rapides ne feront que signaler les principales séries de documents et l’avantage que l’historien peut en tirer.

I. Les inscriptions chrétiennes. — i. Inscriptions chrétiennes et inscriptions païennes ; a. ancienneté des inscriptions chrétiennes et textes crypto-chrétiens ; 3. diffusion des inscriptions chrétiennes : aire de dispersion et limites chronologiques ; 4- comment sont datées les inscriptions chrétiennes ; 5. le formulaire de l’épigraphie chrétienne : 6. premiers essais d’utilisation des inscriptions dans un but apologétique.

1. Inscriptions chrétiennes et inscriptions païennes- — Au total imposant de 300.ooo inscriptions païennes et profanes, c’est tout au plus si l’épigraphie chrétienne’peut opposer un chiffre global de 45-000 à ôo.ooo textes, dont environ So.ooo (chilfre communiqué par M. Marccchi) pour Rome seule ; les neuf dixièmes environ des textes sont rédigés en latin. Bien que ces chilTres soient très largement approximatifs, on n’est pas moins frappé de cette disproportion numérique énorme entre les inscriptions chrétiennes et les inscriptions païennes. Elle a toutefois son explication, d’abord dans la durée des deux

« régimes » : les textes païens couvrent au moins 8

ou 9 siècles, les inscriptions chrétiennes se répartissent à peu près exclusivement, si on laisse de côté l’épigraphie proprement byzantine, sur une durée de 400 ou 500 ans (ii^-vii* siècle) ; surtout il faut se rappeler combien fut restreint, parmi les chrétiens, le rôle de l’épigraphie, si développé à l’époque antérieure : là est l’explication vraie du contraste que nous remarquons entre l’immense diffusion du christianisme et la pauvreté relative de son épi graphie.

En Grèce et à Rome, pendant près d’un millier d’années, tous les organes de publicité ont dû être suppléés par l’inscription. Sur des tablettes de bois, recouvertes d’un enduit blanc, on traçait au minium ou l’on cliarbonnait les « atliches » ou les communications d’un intérêt momentané ; les documents qui devaient durer étaient inscrits sur la pierre, le marbre ou le bronze, et constituaient, dans l’intérieur de la cité, sur l’acropole, dans l’enceinte des temples ou sur les parois des monuments, des « archives »

1. « Jusqu’à la fin du iv° siècle, c’est-à-dire jusqu’à la mise hors la loi du paganisme, une inscription chrétienne est une inscription qui porte eri elle-niènie une preuve évidente de chiistianisme. De[)uis le début du v’siècle…, pn doit considérer comme chrétienne toute inscrij)lion qui ne contient pas un indice certain de paganisme. » (Monceaux, liei’. archéot., l’.)Û3, II, p. 61.) — Dans ces pages, nous ne nous occuperons que des inscriptions chrétiennes ayant, à un titre ou à un autre, un caractère religieux ; nous laisserons de côté les inscriptions profanes d’époque chrétienne qui ont leur intérêt, mais ne vont pas à notre but.

peu maniables, mais durables. Délibérations des différents conseils, Aotes du peuple, sénatus-consultes ou plébiscites, traités, monuments commémoratifs, inscriptions lionoriliques, comptes et inventaires des richesses sacrées données ou conliées aux temples, listes civiques, catalogues éphébiques, palmarès de concours, ex-voto, hommages aux dieux ou aux grands citoyens, dédicaces de monuments ; bornes limitant les territoires des cités, les domaines, marquant les droits hypothécaires ; milliaires jalonnant les voies de communication, etc. : autant de catégories d’inscriptions ollicielles qui renferment souvent des milliers et des milliers de textes. Acesdocuments publics vient s’ajouter la masse des titres privés dont l’immense majorité est constituée par les inscriptions funéraires.

A l’époque chrétienne, de cette infinie variété il ne subsiste que bien peu de chose. D’inscriptions monumentales, dédicaces d’églises ou d’édifices religieux, il ne pouvait être question avant la paix de l’Eglise ; pas de vie publique, — du moins avant les empereurs chrétiens, — donc, de ce chef, des séries innombrables feront défaut à l’épigraphie chrétienne ; plus d’inscriptions honorifiques dont s’accommoderait mal l’humilitédes lidèles ; plus derichesses à inventorier, au milieu de la pauvreté des premiers siècles ; plus de listes à dresser, dont la découverte fortuite aurait envoyé à l’amphithéâtre ou aux mines les « frères » : on s’aimait, on ne se comptait plus. Dégagé de tout le faste passé, l’hommage à Dieu se fait plus discret, on adore « en esprit et en vérité », mais cette foi ne saurait s’étaler en oiTrandes ou dédicaces pompeuses ; les riches secourent dans les pauvres les membres du Christ, mais ni la pierre ni le mai’bre ne conserA’ent le souvenir du bienfait qui ne doit être connu que de celui cjui en récompensera, quorum nomina JDeus scit.

Aussi ne doit-on pas s’étonner de constater que les inscriptions chrétiennes se répartissent en un tout petit nombre de catégories : des invocations pieuses, des acclamations religieuses, de brèves professions d’une foi ardente ; des proscynèmes près des tombes célèbres, analogues à ceux cjue les touristes païens s’amusaient à graver près des temples fameux et jus.que sur les curiosités qu’on allait visiter (grallites sur la cuisse ou le pied du colosse de Memnon) ; des sentences tirées de l’Ecriture ; un certain nombre de dédicaces d’églises consacrées à Dieu, aux saints, aux martyrs après la paix de l’Eglise ; des légendes inscrites sur divers objets du mobilier religieux ; des milliers d’inscriptions funéraires : voilà à quoi se limite l’épigrapliie chrétienne. Mais cette pauvreté n’est qu’appai-ente, et nous verrons quelles richesses le travail patient des érudits peut dégager des formules en apparence les plus stéréotypées et des plus pauvres gralliti.

2. Ancienneté des inscriptions chrétiennes et textes crypto-chrétiens. — De tous ces textes, ce sont sans doute les plus anciens qui seraient les plus importants, car ils nous rapprocheraient davantage des origines chrétiennes et nous fourniraient des documents j)récis. vivants, absolument sûrs et dégagés de toute élaboration littéraire.

Malheureusement il se trouve que les textes remontant aux débuts du christianisme sont excessivement rares : on n’en connaît pour ainsi dire point. Ainsi, à Rome, où la foi nouvelle gagna si vile de nombreux adeptes, où les inscriptions sont plus denses que nulle part ailleurs, sur 1.874 inscriptions datées antérieures au vii° siècle, de Rossi n’en conqite que 82 qui aient été gravées avant l’époque de Constantin. Sur ce nombre, il n’y en a qu’une qui appartienne au 1407

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! « siècle (J.-B. de Rossi, Inscr. christ. U. R., n° i)’.

Ce doyen des textes chrétiens, daté de l’an 71, ne nous apprend malheureusement aljsolument rien : la date et rien de plus. Des trois autres inscriptions qui ^ iennent immédiatement après lui dans la série des tititli romani, — n"" 2, 3 et 4, datés respectivement de 107, 1 1 1 et 204 J.-C, — deux sont également mutilés. Seule l’épitaphe de Servilia (n^ 3), trouvée dans le cimetière de Lucine, est intacte ; mais là encore notre curiosité ne trouve guère satisfaction : l’âge de la fillette, 13 ans, la date considaire, et c’est tout. Avec Constantin et ses successeurs, les textes deviennent plus abondants et plus explicites ; mais nous sommes déjà loin des origines. Dans les jîrovinces, même rareté de textes chrétiens de la toute première époque ; beaucoup de séries indubitablement chrétiennes ne commencent qu’auui* siècle, ou même avec la paix de l’Eglise.

A quelles causes attribuer cette éclosion si tardive de l’épigraphie chrétienne ? Goût du mystère, nécessité de ne pas se signaler aux pouvoirs publics soupçonneux ou hostiles ? L’influence de ces deux causes a dû, bien entendu, se faire sentir ; mais on a peine à croire que l’une ou l’autre, ou même toutes les deux réunies, aient pu condamner les chrétiens à un silence absolu, alors que les usages épigraphiques étaient entrés dans les mœurs au point que nous savons et que, par ailleurs, il était si facile de secaclier en employant des tours amljigus, en se créant un vocabulaire ouvert aux seuls initiés, ou même plus simiilement en continuant à parler le langage des inscriptions en usage dans le milieu particulier où se développaient les fraternités chrétiennes. Si cette dernière supposition était fondée, nous serions autorisés à rechei’cher dans la masse des inscriptions du II’et du III* siècle, d’allure sinon païenne, du moins indifférente, des textes émanés de chrétiens dont la foi se dissimulait sous les formules courantes que leur religion ne condamnait pas. Il n’y a là rien que de vraisemblable et il est infiniment probable que les recueils épigraphiques contiennent, mêlées aux textes païens, des centaines d’inscriptioiss crypto-chrétiennes.

En effet, comme de Rossi (Inscr. christ. U. / ?., i, p. ex sqq.) et, après lui, F. Cumoxt (Inscr. chrét. d’Asie Min., p. 2^9) l’ont fait remarquer, même si l’on lait abstraction d’une sorte de loi de larcane dictée par la seule prudence, le style épigraphique chrétien n’a pas été créé d’un seul coup et de toutes pièces. U s’est lentement développé, et les textes les plus anciens sont précisément, — même dans les provinces où la tolérance était la plus large, comme dans certaines parties de l’Asie Mineure, — ceux qui se distinguent le moins de leurs congénères païens. Est-ce à dire qu’il soit toujours impossible de faire le dépai-t entre les textes indubitablement païens et les inscriptions crypto-chrétiennes ? Non sans doute, car il y a des indices qui permettent de faire un premier triage auquel on devra l’identification de nombreux documents, certainement dus à des chrétiens des pi-emières générations. Dans le formulaire usité aux premiers siècles de notre ère parmi les adhérents de la religion olHcielle, il y avait certains détails nettement païens qu’un chrétien dcvait s’interdire sous peine de faire une compromission particulièrement fâcheuse.

1. Pour plus de commodité, les titres des ouvrages généraux qviH^nr&nXa& Bibliographie seront cités en abrégé au cours de cet article ; on emploiera aussi leâ sigles d’un usage courant, v. g. CIG et CIL pour désigner le Corpus grec et le Corpus latin ; Prentice, AAE ou PAE désigneront deux recueils d’inscriptions de Syrie, dont les titres sont trop longs pour être cités intégr’alemeat chaque fois et trop difficiles à abréger.

L’absence de ces formules, précisément là où on s’attendrait à les rencontrer, créera une première présomption ; elle ne sullirait pas : des indices plus positifs Aiendront discerner dans ce milieu neutre les inscriptions réellement crypto-chrétiennes. Voici quelques-uns de ces critères empruntés à l’épigraphie de l’Asie Mineure.

Si c’est à une époque relativement tardive (fin m* siècle) que la mention explicite de la foi chrétienne se rencontre sur quelques tombes (ypr.jTiy.JOi), dans des textes antérieurs elle se trahit ijai- des expressions plus vagues mais suffisamment claires l)Our les initiés. Sur la formule yryr.jnv.-jot ypr.zriyyci, voii" Studies… éd. by Ramsay, p. 197, 214-22’j. En Phrygie, — où se rencontre un assez bon nombre d’inscriptions chrétiennes du u* siècle (Ra.msay, Cities, p. 499) » — dès le milieu du m’siècle, sur des tombes dont quelques-unes sont évidemment chrétiennes et d’autres douteuses, on voit apparaître une menace à l’adresse des violatem-s de sépultures qui ne saurait émaner de païens : sVrat aùrfj r.pbi- : b-j dibv zov Çôvtz, é-rac aJri Tipii T5> 611-j xxl vûv zai iv xpiyiuu r, /j.épy.. Ce SOnt encore

d’autres fidèles qui Aoilent leur foi dans la mention plus ancienne et moins explicite sttki v.ùtÇi -pc :. riv ôsov^ Sû’i^ii di’Sj’j6-/o’j : ici nous sommes tout près de la formule païenne cju’un léger tour de main a transformée en un acte de foi, sans trop courir le risque de donner prise aux accusations des voisins idolâtres. Cf. Cu-MoxT, / « scr. chrét. d’Asie Min., p. 249 ; Ramsay, Cities…, p. 5 1 4-5 16 ; 3/o «  « m. Ecoles. liturg., i>.cx.viiicxx. Sur la formule riv ôsiv n’-j fj.r, àdty.r, 7-zti, voir Studies, p. 203 ; Bull, de corr. hellén., 1909, p. 292.

Ailleurs, une nuance dans les souhaits adressés par le mort à ceux qui passent près de sa tombe, suffit à déceler la religion du mort. Le païen souhaite le a bonjour », n la santé » au passant (y/Aps, ù/iv.iji) et bien des chrétiens s’en tinrent à cet usage inoffensif ; d’autres souhaitent x la paix », « la paix de Dieu ».

Pai’fois, l’emploi d’un mot sulfiraàattester le christianisme de toute une série d’inscriptions. Les chrétiens ne firent aucune dilficulté à donner aux monuments funéraires, au cercueil ou à ses annexes les dénominations courantes, telles que 71 ; ua, ix-j^yv., -jfj.Zoi, TT/ ; // ; , SîTt ; , raj-j ?, Br.y.r, , etc., et nène r.pit’yj dont un long usage avait effacé la signification primitive. Mais il est une appellation de la sépulture qui répond à une idée étrangère au paganisme : le mort païen « gît » (/<£(Ta(), le défunt chrétien <> dort » (z5t//ârKt) ; aussi remploi soit de y.o(tj.r, - : i.t soit de xoi[j.r, -rr, pio : ’, pour désigner la tombe, nous fournira-t-il un critère absolument certain. Cf. Ramsay, Cities, p. 530 et n°s 2>')b, 376, 379, 400, 445 ; CuMONT, loc. cit. ; Monum. Eccles. liturg., p. c, n. 2.

Même preuve indubitable de christianisme dans la mention de certaines dignités ecclésiastiques : prêtres, évêques, diacres, lecteurs ; mais là encore il faut se gai’der de précipiter un diagnostic : il y a des 7roî7, 5jT£^ct juifs et même païens et tous les iTii^y.o-Koi ne sont pas chrétiens.

On se tromperait aussi si l’on voulait faire du litre de i< frères » (àô- ; pî(), un signe décisif de christianisme. Il suffit de rappeler les inscriptions de la côte de Carie du type Ay.r, tîj ôîZvî ;  ; parmi les vainqueurs iigurent souvent des « frères » vZô-j.’ii. Letitre a trompé, on a voulu y voir des inscriptions chrétiennes, funéraires ou autres (Hirscufelo, Corsix, Diehl), alors cjuil s’agit de vœux pour des concurrents dans les, jeux (DucHESXE, ÏH. Reixach, Cimont). a défaut de tout autre indice, les noms propres fourniront parfois le principe de détermination qui manque par ailleurs. Si tout l’Olj’mpe, sous forme de noms théophores, se retrouve dans l’onomastique chrétienne des premiers siècles, il existe aussi toute une série 1409

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de noms de formation piirement chrétienne. Cf. infra, col. i^ii et ll^3à ; Ramsay, Cities, p. /49I-494 Les indices quon vient de passer en revue permettent donc, dans une large mesure, d’isoler un grand nombre d’inscriptions crypto-chrétiennes. Avec ces textes d’un christianisme latent, nous atteignons souvent le second siècle ; parfois même on croit prendre contact avec l’âge subapostolique.

3. Diffusion des inscriptions cbrétiennes — La question peut être envisagée d’un double point de vue, géographique et chronologique.

a) Aire de diffusion. — L’aire de dilïusion des inscriptions chrétiennes est immense ; elle s’étend aussi loin que les frontières de l’empire romain. Ce n’est pas à dire que l’ensemble des provinces ait été, d’un coup, gagné à la foi nouvelle. Dans certaines provinces, en Asie Mineure par exenqjle, le mouvement de conversion a été accéléré ; ailleurs, la pénétration a été plus progressive et plus lente. Voir les cartes de Haunack, Mission ii. Aushreitung, i’éd. Quoi qu’il en soit, tôt ou tard le christianisme a fait son apparition jusque dans les provinces les plus reculées, et des inscriptions, ici plus denses, là plus clairsemées, jalonnent ses étapes et servent à contrôler la tradition historique.

De la Mésoi^otamie et du désert d’Arabie aux cataractes du Nil et au limes africain, une chaîne de stèles, de colonnes, de linteaux de portes où se lisent des paroles chrétiennes enserre la moitié méridionale du monde romain ; tandis que, remontant par l’Euphrate en Arménie, rejoignant l’Europe par la Russie méridionale, contournant la mer Noire, communiquant avec le Rhin par le Danube, englobant la Bretagne, la Gaule et l’Espagne, toute une immense série de nouveaux jalons et de repères achève de délimiter la sphère d’influence de la foi victorieuse. Ces stèles qu’on exhume d’un bout à l’autre du monde antique font songer à ces bornes hypothécaires qui attestaient, dans la Grèce anti([ue, les droits des créanciers : là aussi ce sont les titres du christianisme qui réapparaissent.

Dispersées de par le monde, les inscriptions chrétiennes ne sont guère plus rassemblées dans les publications savantes. Cf. infra, Bibliographie : 2. Recueils des textes.

h) Limites chronologiques. — Nous avons déjà signalé l’excessive rareté des inscriptions chrétiennes remontant sûrement au i" et au ii’siècle ; d’autre part, les indications données sur les textes cryptochrétiens ont montré la possibilité de grossir quelque peu le contingent des monuments épigraphiques du premier âge. Il s’agit de compléter cet examen et d’établir les limites chronologiques du développement de l’épigraphie chrétienne.

Ces limites varient naturellement avec les provinces : dans les unes, le christianisme à pénétré de très bonne heure, d’autres ne l’ont vu apparaître qu’à une date relalivenu’nt tardive. Pour des causes qu’il est souvent malaisé de déterminer, il se trouve que des provinces, qui furent dés la première heure pénétrées d’influences chrétiennes, ne nous ont donné jusqu’à présent que des textes très tardifs, si l)ien qu’il y a un hiatus à peu près complet entre leurs origines chrétiennes et les premières inscriptions <|ue nous y rencontrons. Voir Hahxack, Mission u. Aushreitung, 2’édit., t. II, p.’jo-262, pussini.

Ainsi, si l’Asie Mineure est un peu mieux partagée, la Syrie et l’Egypte, où des communautés chrétiennes se constituèrent et fructiliérent largement, au 1" et au 11’siècle, n’apparaissent que très tard dans l’épigraphie. En Syrie, il n’est guère i)ossible d’identifier des inscriptions sûrement antérieures à la paix

de l’Eglise ; le premier texte égyptien chrétien daté remonte à l’année 874 A Rome, les catacombes ont assuré de bonne heure la liberté épigraphique des chrétiens et préservé de la destruction les anciens monuments. C’est ainsi qu’on y peut signaler un fragment daté de la fin du i""" siècle, 2 inscriptions du n’, 26 du m* et 206 des trois premiers quarts du iV siècle, alors que la même période est représentée en Egypte par l’unique inscription d’Athribis (Lefeb-AUE, n*^ 64). Dans la Gaule, — dont certaines églises remontent presque immédiatement à l’âge apostolique et fournirent des victimes aux premières persécutions, — les plus anciennes inscriptions, si l’on excepte le fameux texte de Volusianus, sont datées de 334, 347, 377, 405 et40g(LE Bla^t, Becueil, n" 62, 696, 069, 5g I, 248) ; le v* siècle compte 54 monuments ; le vi’131 ; il n’y en a que 20 pour le vin* (Le Blaxt, ÀS’oui’. Recueil, p. m). Gomme les inscriptions dépourvues de marques chronologiques ne. présentent pas d’indices décisifs d’antiquité plus élevée, il est à croire qu’elles se répai-tissent elles aussi suivant la même proportion et que le plus gi-and nombre d’entre elles appartiennent au vi’siècle. Cf. Le Blant, L Epigrapiiie chrétienne, p. 27. L’Afrique est plus favorisée : au point de vue de l’âge des inscriptions, elle tient le milieu entre Rome et la Gaule (P. Monceaux. Hist. littér., II, p. 182) ; mais faut-il s’en étonner, et n’est-il pas plutôt normal que la patrie des martyrs Scillitains, de Perpétue, de TertuUien, de Minucius Félix et de Cyprien soit aussi une des terres les plus fécondes en anciens monuments de l’épigraphie chrétienne ? C’est une série presque ininterronq)ue qui commence an m siècle pour se prolonger jusqu’aux temps de la domination byzantine. Cf. Le Blaxt, L’Epigrnphie chrétienne, p. 108 ; cf. Monceaux, Hist. littér.. II, 1 19-1 33 ; Bull, de la Soc. des Antiquaires de France, 1905, p. 214-215.

Si le point de départ des séries épigraphiques des difVérentes provinces dépend des monuments eux-mêmes et de leur âge respectif, nous sommes libres de les clôturer suivant les besoins de notre étude. En Orient, dans les pays de langue grecque, l’unité de la langue assure une continuité sullisante entre l’épigraphie classique d’époque grecque ou romaine, l’épigraphie chrétienne, l’épigraphie byzantine, celle du nioyen âge et de l’époque contemporaine. C’est la date de l’indépendance grecque (182 1) qui a été adoptée comme point terminus du Corpus chrétien en préparation, Bvzantinische Zeitschrift, XV, p. 497-500 ; cf. J. Laurent, Sur la s’uleur des inscriptions grecques postérieures à li.l’i. dans le Bull, de corr. hellén., 1898, p. 569-572. En Occident, la disparition progressive de la culture latine n’a laissé à l’épigraphie de cette langue ([u’une survivance très amoindrie. Il va sans dire <iue notre étude doit se limiter ; aussi adopterons-nous approximativement, pour l’Orient, l’épo’que de Justinien comme terminus ad quem : d’ailleurs, c’est à peu près à partir de cette époque <iue l’épigraphie chrétienne prend habituellement le nom d’ « épigraphie byzantine ». En Occident, on peut laisser la limite un ])eu plus indi’cise ; car si de Rossi arrête an vii « siècle son recueil romain. Le Blant se donne la marge d’un siècle de plus, pour atteindre jusqu’à la renaissance carolingienne.

4. Comment sont datées les inscriptions chrétiennes ? — C’est entre les deux termes que nous avons déterminés : terminus a que nécessairement variable suivant les provinces, terminus ad quem d’une fixité arbitraire, que nous avons à répartir les documents à utiliser. Les uns sont datés, c’est le petit nond)re ; les autres, la majorité, sont dépourvus de marques chronologiques. Par quels procédés les

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premiers sont-ils datés ? et par quels mojens pouvons-nous faire rentrer dans les cadres formés par les textes à date certaine ceux dont làge est indécis ?

Sur le premier point, il y a désaccord complet entre l’Orient et l’Occident. En Orient, que ce soit en Asie Mineure, en Syrie, en Egypte, dans la Grèce ou les lies, les chrétiens soucieux de chronologie ont eu recours, soit au cominit par années impériales, soit aux diverses ères en usage dans le milieu où ils vivaient. Ainsi, pour ne citer que deux exemples : en Syrie, les inscriptions chrétiennes emploieront, suivant les régions, Tère des Séleucides (3 12 av. J.-C.), celle d’Antioche (^g av. J.-C), celle de Bostra (106 J.-C.) et autres computs locaux ; en Egypte, par contre, la seule ère régionale usitée par les chrétiens est l’ère dioclétienne ou des martyrs (284 J.-C), combinée parfois avec celle des Sarrasins.

L’emploi des ères provinciales est plus rare en Occident ; on en trouve cependant des traces en Maurétanie et en Espagne. A Rome et en Gaule, ce sont les consulats ou les années de rois barbares. Francs et "NVisigoths, qui sont à peu près exclusivement employés. Le Blaxt, Recueil, p. lx ; de Rossi, Inscr. christ. U. IL, I, ji. iv à ci ; Le Blaxt, L’Epigraplne chrétienne, p. 1 2 sqq. A la fin du iv^ siècle ou au début du v’, il n’est pas rare de voir le nom du pape régnant prendre, dans les dédicaces d’édifices religieux, la place des noms consulaires et faire ainsi fonction d’éponyme ; mais l’usage ne s’étendit pas aux monuments funéraires. De Rossi, o/ ?. cit., 1, p. viii. Ce n’est pas le lieu d’entrer dans toutes les explications qu’entraînerait l’examen de la question des post-consulats, des différents cjcles, en particulier de la période indictionnelle : ces problèmes ont été discutés avec une maîtrise incontestée par J.-B. de Rossi (p. xvi-ci). Voir un résumé suftîsant dans Syxtus, Epigi-apltia, chap. II.

Les inscriptions datées, — que ce soit à Rome, en Gaule, en Afrique ou dans l’Orient de langue grecque, — sont loin d’être la majorité : à Rome, de Rossi comptait i.^oo textes datés contre près de 10.000 qui ne le sont pas. Du moins les inscriptions datées forment-elles un cadre assez nettement arrêté, des têtes de séries autour desquelles il est possible de grouper le gros des inscriptions dépourvues de mentions chronologiques.

Voici quels seront les indices dont la convergence aboutira au classement approximatif des textes d’âge indéterminé. Le Blaxt (Recueil, p. xviii sqq.) et de Rossi (Inscr. christ. U. R., i, p. cx-cxii) ont établi qu’il y a un double style épigraphique chrétien dont la ligne de démarcation est formée par la paix de l’Eglise ; l’un et l’autre, comme on le verra plus bas, a ses formules, et celles-ci indiqueront à peu près siirement si le texte à classer est antérieur ou postérieur à Constantin. Les symboles eux-mêmes (ancre, chrisme, colomlje, vase, i)oisson, croix de diverses formes) qui décorent les marbres, et ajoutent leur note mystique à la légende épigraphique ont leur histoire et nous sommes assez bien renseignés sur l’époque de leur apjiarition, de leur faveur et de leur abandon. Le Blaxt, Recueil, p. xvi ; A^om’. Recueil, p. Il ; L’Epigraphie chrétienne, p. 2 1-22. Leur présence ou leur absence fournira déjà un indice assez précis. On sait, par exemple, qu’en Gaule l’ancre est un des synd)oles chrétiens les plus anciens ; que la colombe apparaît en 878 et disparaît à partir de 63 1 ; que le poisson est usité de ! i-]% à 631 ; la croix, dans les épitaphes, de 448 à une date un peu postérieure à 585, etc. Ces indices viendraient-ils à manquer, les noms propres eux-mêmes sont là pour y suppléer dans une certaine mesure. Le Blaxt, Recueil, p. xxiii. Les chrétiens, en eflet, ont rompu assez vite a^e » l’usage

des tria nomina : après le m’siècle, le cognomen figure généralement seul dans les épitaphes, et il est très rare de le trouver précédé soit d’un gentilice, soit d’un prénom ; les noms des anciennes familles disparaissent de bonne heure de nos monuments, , les cognomina eux-mêmes sont d’une foriuation différente de celle de l’époque païenne ; des noms nou-Aeaux, tout imprégnés d’idées et de sentiments chrétiens, prennent naissance et se généralisent. Le Blaxt, L’Epigraphie chrétienne, p. i’6 ; de Rossi, Inscr. christ, r. R., 1, p. cxii-cxiv. Enfin un peu d’expérience et un commerce constant avec les monuments eux-mêmes permettent de tirer parti, a^ecune sîireté et une précision sufiisante, des indices plus vagues et plus délicats à manier fournis par la paléographie. Le Blaxt, L’Epigraphie chrétienne, p. 23-24 ; Paléographie des inscriptions latines du m" siècle à la fin du vu’, articles parus dans la Re^’. archéologique, 1896-1897. Ces diverses règles pratiques ont fait leurs preuves et, pour ne parler que de la Gaule, il y a bien peu de textes cjui aient mis en défaut la méthode et la sagacité de Le Blant.

5. Le Formulaire de l’Epigraphie chrétienne.

— Les formules, nous l’avons signalé en passant, sont un critère chronologique ; de plus, à les étudier, ^ nous apprendrons à dégager ce qu’il y a de spécifiquement chrétien dans les textes soumis à notre examen ; ce qui s’y rencontre à l’état permanent et se trouve être, s’il s’agit de sentences religieuses, l’expression soit des croyances, soit des aspirations du milieu chrétien de l’époque ; enfin, les traces de style plus personnel cpii trahissent une pensée, une àme individuelle. C’est de ces constatations générale » que les remarques de détail qui suivront dans le cours de cet article tireront lem- certitude ; aussi n"est-il pas hors de propos d’y insister.

C’est aux païens que les chrétiens ont emprunté le style lapidaire et ses formules. Les chrétiens les plus convaincus devaient, en effet, à la prudence de ne pas étaler, dans des inscriptions exposées à tous les regards, des nouveautés proscrites ou plus ou moins mal vues ; de plus, nombre de convertis avaient passé à la foi chrétienne avec tout un bagage de Aieilles idées, d’usages, de formules, de mots même qu’ils ne songeaient pas à désapprendre. De là, dans le style épigraj^hique chrétien, de longues survivances d’éléments païens, bien souvent d’ailleurs inofVensifs, conservés par la précaution des uns ou la routine obstinée des autres. L’une et l’autre cause, la première surtout, expliquent l’existence de ces inscriptions crypto-chrétiennes dont nous avons signalé la fréquence. A la seconde on attribuera spécialement la persistance, sous le nouveau régime, d’expressions qui rappellent les temps du paganisme^ tel par exemple le iJis Manihus, qui dut à l’oblitération de son sens primitif sa longue fortune ; telles encore certaines formules prophylactiques, certains souhaits aux morts, certains libellés d’épitaphes que les chrétiens syriens ne se faisaient pas scrupule d’emprunter à leurs voisins païens. (Sur le d. m. voir G. Gueevex, Die Siglen D. M. auf altchiistlichen Grabivschrif’ten u. ihre hedeutung, 1897 ; voir aussi l’interprétation mystique : donis meuwriæ spiritantium, que donnaient certains chrétiens africains des sigles d. m. s., cf. Bull, de la Soc. des Antiquaires de France, 1902, p. 224-226.) Parfois, on sent à un correctif discret lintention d’exorciser une formule avant de se l’approprier : à un défunt, ses parents païens adressaient la consolation fataliste : oùSdi. àO’y.vKzoi] les chrétiens d’Egypte corrigeaient : oJosiç

Si nous voulons entrer dans quelques détails, il 1413

EPIGRAPIIIE

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faut encore ici séparer la cause de ["Occident de celle de l’Orient. A ne considérer que les grands traits, l’épigrapLie chrétienne présente dans les dilïérentes parties de l’Occident une remarquable unité ; en Orient, au contraire, nous serons surtout frappés par la variété, les divergences.

A Rome, de Kossi (Inscr. christ. U. R., i, p. ex sqq. ; cf. Moniun. Eccles. Jitarg., -ç. xcviii-cxiii) a constaté l’existence d’un double style épigrapliique chrétien, autrement dit de deux classes d’inscriptions nettement séparées.

Le premier style est surtout caractérisé parla simplicité et la brièveté des légendes épigraphiques : la plupart du temps, les tituli ne renferment que le nom du défunt, souvent accompagné de sjiuboles mystérieux ; généralement l’âge et la date de la mort font défaut ; les textes grecs sont presque aussi nombreux que les latins. D’autres inscriptions de la même famille portent, de plus, des acclamations très simples, v. g. yi’as in Deo, in Cliristo, in pace, cum sanctis, in refrigerio, pete pru nohis, spirituni iuiun De IIS refrigeret (Monuni. Eccles. liturg., p. ci-cvi et cxxiv-cxxxi ; Kaufmaxn, Ilandlnich, p. 2Il sqq.). D’autres entin, constituant un troisième groupe dans la première famille, sont déjà d’une rédaction plus élaborée : l’âge du défunt, la date soit de la mort soit de la deposilio, la louange du mort y sont notés en formules sobres et élégantes.

Dans le second style, le type de l’inscription funéraire est beaucoup plus conq)let. Il est très rare que l’âge soit omis, qu’on ait négligé de noter le jour de la mort et surtout de la sépulture. L’éloge du défunt est d’un ton beaucoup plus accusé, poussé parfois juscju’à l’emphase : miræ sapientiae, miræ innocentiae, venernbilis ac rari exempli, miræ innocentiae ac sapientiæ (pour un enfant de 4 ans), etc. Les acclamations si simples du premier âge ont disparu pour faire place à une rhétorique un peu tendue ; les symboles se font rares, le monogramme constantinien ou la croix en tiennent lieu. L’épitaphe ne commence plus e.r abrupto, une introduction devient de rigueur : hic reqiiiescit in pace, hic jacei, hic positiis est…

La ligne de démarcation entre les deux séries d’inscriptions est formée par la paix de l’Eglise. Il y a donc, à Rome, un style épigrapliique antérieur à Constantin et un style postconstantinien : le premier, représenté parles plus anciens monumentsdes catacombes ; le second, au contraire, domiite dans les cimetières à air libre et n’apparaît que dans les parties les plus récentes des nécropoles souterraines. En Gaule, nous assistons à une évolution parallèle dont Lk Blaxt a nettement distingué et caractérisé les étapes (//ec « e/7, p. viii à xxxvn) ; on note cependant que la province est toujours un peu en retard sur la capitale : Rouie précède la Gaule dans l’adoption des sj’inboles et des formules et les abandonne avant elle (ihic/., p. xv et xix-xx).

Si la Gaule, malgré les rapports étroits des premières églises de la vallée du Rhône avec les chrétientés orientales, suivait de près les usages épigraphiques de Rome, à jdus forte raison devait-il en être de même de rvf’ri(nu’dont les connnunautés ont toujours été en lelations intimes avec celle de Rouu’(Monceaux, Ifist. littér., II, p. 120). Et de fait, comme a observé Le Blant, les formules des épilaphes cbréticnncsen Afrique sont « exactement calquées siu* celles des liturgies funéraires romaines » (Le Rlant, L’Epigr. chrét., j). 109, cf. b-ybS ; Monceaux, Ilisl. littér., II, p. 120). Ces formules idenlicpies et les symboles eux-mêmes se sont succédé là aussi dans le même ordre. De jilus, — et là l’avantage est jxuir l’Afrique sur la Gaule, — dans les provinces africai nes, les épitaphes du premier âge sont nombreuses.. Les unes sont datées ; d’autres trahissent leur ancienneté par des symboles caractéristiques, la brièveté de leurs formules, leiu" tour païen à la réserve du Dis Manihus rigoureusement exclu. Dans ce pi’emier groupe, une intéressante série de textes de Maui’étanie et de Xumidie, ainsi que quelques-uns des 6.000 fragments de <(< « // chrétiens recueillis à Carthage nous reportent en plein ni’siècle. Cf. Mo.nceaux, Hist. littér.. II, p. 121-125. L’âge suivant, le second style, est encore plus largement représenté (plus de 80 textes antérieurs à 400 J.-C.) et cette abondance, qui se prête à de multiples comparaisons, atteste une fois de plus la parenté foncière entre l’épigraphie africaine et l’épigraphie romaine : celle-ci plus tôt vidée du formulaire païen, celle-là conservant un résidu plus considérable de survivances antiques curieusement amalgamées avec des éléments tout à fait chrétiens. Cf. Monceaux, Hist. littér., Il, p. 169204.

L’homogénéité est donc un des traits les plus frappants de l’épigraphie chrétienne en Occident. Cette unité toutefois ne va pas sans variété. Voir Le Blant, Manuel, p. y.5 ; Becueil. ii, p. 152-167 ; I.’Epigr, chrét.. ^. 48-51. Pour n’emprunter nos exemples qu’à rvfric{ue, où le fait est peut-être plus sensible qu’en Gaule, les formulaires usités dans les Maurétanies différaient sur l)ien des points de ceux qui avaient cours soit à Carthage et en Proconsulaire, soit en Byzacène ou en Numidie. Il y a plus, on constate des divergences notables entre les deux Maurétanies : certains termes sont particuliers soit à la Sititîenne soit à la Césarienne. Les légendes mortuaires varient même d’une ville à l’autre, et l’on reconnaît à première vue une épitaphe chrétienne d’Altava, de Regiæ ou de Numerus Syrorum (Monceaux, Hist. littér., II, p. 202-203).

En Orient, par contre, ce qui fra]>pe le plus, ce n’est pas l’unité, mais bien l’inlinie variété du style des inscriptions chrétiennes. Cf. Monitni. Eccles. liturg., p. cxiii-cxxiv ; Kaufmann, Handbuch, ]}. iq-j209. A Rome, l’existence des catacombes se prêta naturellement à l’unilicalion de la rédaction des épitaphes. Nous avons indiqué comment ce formulaire se propagea dans le reste de l’Occident. En Orient, peu ou point d’arénaires, rien que des sépultures à découvert, infiniment dispersées : chacun fut donc davantage laissé à sa libre inspiration dans le libellé des inscriptions destinées à perpétuer le souvenir de ses morts. Le résultat pratique l’ut qu’en Orient il ne s’agit plus d’un style unique qui se soit différencié ; mais de styles nombreux, indépendants, ([ui se sont développés parallèlement sans beaucoup réagir sur leurs voisins. C’est ainsi que les inscriptions des différentes provinces d’Asie Mineure ont un caractère bien individuel, qui n’est pas celui des textes macédoniensou atlicpu’s, encore moins celui des inscrijitions de Syrie, de Palestine, d’Arabie ou d’Egyi)te. Il y a une distribution géographique des formules et l’on pourrait, de ce point de vue, di-esser une carte épigi’a]ihi(pie du monde gréco-oriental. Les mots eux-mêmes, emi)loy es par les chrétien s orient aux ])Ourdésignerla tombe, la mortou tel aulredélail, ont leur habitat. Ainsi, ij.nudpi’yj se trouve presfjue exclusivement dans l’épigrapliie chrétienne de Macédoine {Mélanges de Jinme, 1899, p. 545-5^6 ; igoô, p. 88) et spcn-adiqucment en Syrie ; y.-Ajjr.-ni ou y’jiiJ-i-.Tf.pio-j îw ? àvaTTKJiw ; ne se trouve qu’à Saloniquc (Mélanines de Rome, 1900, p. 282). De province à ju-ovince, de district à district, de ville à ville, de village à village le style éj)igrai)hi(pie se particularise et cette physionomie, infiniment nuancée, de l’épigraphie chrétienne gréco-orientale est pleine d’enseignements ; car, sous lvl.")

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la forme moins stéréotypée, apparaît plus souvent le caractère propre des populations et des rédacteurs. C’est ainsi qu’il n’y a pour ainsi dire point de contact entre les textes chrétiens phrygiens et ceux de Syrie ; dans cette dernière province, les districts du nord forment une région tout à fait à part ; que de variétés entre les différents centres chrétiens de l’Arabie ! En Palestine, un texte de Bersabéc se distingue, au premier coup d'œil, d’une inscription de Jérusalem ou de Jaffa. En Egypte, les citations scripturaires, les acclamations diilerent totalement de celles qui étaient en faveur, à la même époque, dans les montagnes d’Antioche (comparer les indices de Waddingtox et Prentice avec Lefebvre, Recueil, p. xxix-xxxi) ; dans cette même province, les procédés rédactionnels ont une telle saveur de terroir que la considération des formules, corroborée par l'étude des symboles et de l’ornementation des tituli, a permis à M. Lefebvre de localiser à coup sur près de 200 inscriptions dépaysées et conservées dans les collections égyptologiques sans indication de provenance (Lefebvre, Recueil, p. xxvi-xxviii).

Les divergences que nous avons signalées, plus rares dans les provinces occidentales, tout à fait communes en Orient, s’expliquent aisément par le milieu, les coutumes locales, les traditions d’ateliers. Il en va tout autrement de certaines concordances, même verbales, dont on ne pourra jamais donner une raison plausible, si l’on suppose la complète indépendance des graveurs. Comment aussi s’expliquer que chaque formule, chaque symbole ait eu successivement sa phase d’existence ; comment rendre compte du parallélisme signalé plus haut entre l'épigraphie deGauleet d’Afrique et celle de Rome, si on suppose des graveurs abandonnés à la fantaisie et à l’inspiration du moment ? Cf. Le Blaxt, Manuel, p. Sg-^^ L’existence de manuels professionnels à l’usage des graveurs est, pour l'époque classique, un fait bien établi (Mélanges de Rome, 1886, p. 588-594 ; Rev. de Philologie, 1889, p. 51-65). Que les graveurs chrétiens, les fossores des catacombes et les lapicides provinciaux aient eu enti-e les mains des collections de modèles spéciaux plus ou moins étendues, plus ou moins détaillées, c’est une hypothèse qui atteint la plus haute ATaisemblance. Dans certains cas même, on pense toucher à la certitude. L'épitaphe de saint Grégoire le Grand, simple usurpation, croit-on, de l’inscription funéraire d’un pape antérieur, a passé tout entière dans l'éloge funèbre d’un évéque de Nepi(/?ôHi. Quartalschrift, 1902, p. 61) ; des légendes de Trêves et de Reims reproduisent presque identiquement le même distique (Le Blant, Recueil, I, n°* 2^2 et 335) ; deux hexamètres inscrits dans la basilique Saint-Martin de Tours se lisent sur la porte de l'église de Mozat (Le Blant, Manuel, p. 65-66) ; quatre monuments de Briord sont des Aariantes inhabiles d’un A’ers iqie(ibid., p. 69) ; une inscription de Vaison est un vrai centon de formules qui se retrouvent à Arles, Clermont, Lyon et Vienne (iOid., p. 68), etc. Combien de textes métriques, où la présence de noms propres ou de pluriels qui faussent le mètre, trahit un réemploi ! (Le Blant, UEpigr. chrét, , p. 70-73). C’est justement le cas de la partie de l’inscription d’Abercius usurpée par son concitoyen Alexandros. Eniîn, argument décisif : une inscription de Crussol a gardé une trace encore plus révélatrice de son origine livresque. En faisant une expédition sur pierre du libellé type qu’il avait sous les yeux, le lapicide ignorant n’a pas su en combler tous les « blancs » et il a gravé : regni domni nostri Chdoedo régis tanto, oubliant de substituer à tant le chiffre précis (Le Blant. Recueil, n° 476 ; cf. un article du même, Sur les graveurs des inscriptions anti ques dans la Rey. de l’Art chrétien, 1859, p. 367-379). Ainsi, plus encore que l'évolution sjmétrique du formulaire latin dans toutl’Occident, ces coïncidences matérielles nombreuses, ces textes qui trahissent une adaptation maladroite, le dernier trait cité qui nous permet de prendre le lapicide sur le fait : tout cela ne peut guère scxpliquer sans que l’on soit amené à supposer l’existence de « manuels » professionnels — les Roret de l'époque — entre les mains des graveurs de métier. Ces manuels devaient contenir des modèles avec blancs à remplir ; des épigrammes d’un usage courant, de caractère assez vague pour pouvoir convenir à une infinité de gens, au « commun » des trépassés ; des types principaux d’inscriptions souvent demandées, enfin un florilège de citations scripturaires analogue à ceux que possèdent nos fabricants d’imagerie funéraire.

6. Premiers essais d’utilisation des inscriptions dans un but apologétique. — Ces notes, dont la Ijrièveté ne peut suppléer un manuel (voir Bibliographie), étaient nécessaires pour faire entrevoir quels arguments Tapologétique peut empi-unter aux inscriptions chrétiennes. Arguments assez difficiles à manier, car ils demandent avant tout d'être soumis à une critique prudente et avertie. C’est pom* avoir été l'œuvre d’hommes à qui manquait cette initiation préalable que les premiers essais de systématisation des données religieuses fournies par les inscriptions chrétiennes étaient condamnés à la stérilité et à un prompt discrédit.

Les découvertes de Bosio (7 1629) dans les Catacombes eurent un grand retentissement, et sa Roma sotterranea (1634) fonda une science nouvelle. Le succès de cet ouvrage fut prodigieux ; les circonstances y furent d’ailleurs pour une large part (cf. Dict. d’Arch. chrét., s.v. Bosio ; Leclercq, Manuel, l, p. 3-7). Comme le remai’que dom Leclercq (Manuel, I, p. 4) : '< le livre, sans paraître même y songer, répondait exactement aux exigences des polémiques religieuses engagées. Devant la prétention du protestantisme de ressusciter le christianisme primitif, dont il représentait l’Eglise catholique comme entièrement déchue, la Rome souterraine venait apprendre ce qu’avait été cette primitive Eglise, et combien elle se tenait près dans ses dogmes, sa discipline et ses symboles, de l’Eglise du xvi' siècle ». L’argument frappa vivement les esprits, et l’on cite plus d’une conversion opérée par la seule influence de faits si éloquents et si bien attestés (ibid.). Ce succès valut à l’archéologie et à l'épigraphie chrétienne une faveur particulière auprès des apologistes du xvii' et du xviii" siècle. Leur tort fut de demander aux faits une démonstration complète de la Religion et de l’Eglise, au lieu de se borner à recueillir les indices détachés fournis par les monuments et les inscriptions. Pour faire un tout cpii se tint, une Somme analogue à celles de la théologie, on fut amené à faire un mélange hétéroclite de documents de toutes les époques, à solliciter les textes pour les faire entrer dans les grandes lignes de la synthèse ambitionnée.

A. F. GoRius (7 1757) se proposait de compiler un recueil d’inscriptions chrétiennes, dans lequel les textes '( ita essent dispositi, ut per gradus omnes sacro-sancta mrsteria, ritus, dignitates et anti^jua hierarchia ecclesiastica et disciplina illustrarentur » (Rossi, Inscr. christ. U. />'., i, p. xxviii* ; Monum. Eccles. liturg., p. xcii). Le plan aboutit à une masse de flches explorées par de Rossi. Xous n’avons qu'à mentionner les projets ou les recueils de Mlratori, Maffei, Bacchinius, Bottarils, TERRmLiMus, BlanCHiNius, etc. (Monum. Eccles. liturg., p. xciii), poiu* arriver à A. F. Zacc.ajiia. Ce savant Jésuite (171 41417

EPIGRAPHIE

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1796) reprit à son compte le projet de Gorius. Comme lui aussi, il prétendait faire de l'épigrapliie une discipline subsidiaire de la théologie. On connaît le plan, aussi méthodique que compréhensif, suivant lequel il se proposait de distribuer les matériaux (Moniiin. Ecoles. Uturg., p. xciii-xciv). Le recueil ne fut pas fait, et on a presque lieu de s’en féliciter ; car les idées et la méthode qui y auraient présidé nous sont suflisamment connues par l’opuscule que Zaccaria publia en 1761 : De seterum cliristianariim iuscriptionum in rehiis theologicis iisit. Un exemple entre plusieurs. Le chapitre x a pour titre :

« Captif X legem passe servari, atque opéra hona, orationem pvæsertim atque eleemosvnam, esse meritoria

contra hæreticos ex lapidibus argiiit. » Les hérétiques nient la possibilité d’observer la loi ; appelonsen aux marbres. Une Dulcitia est louée d’avoir été })wrelnis optimis ; d"une Paulia il est écrit : cujiis fides et integritas immaciilata die vitæ suæ fuit ; voici Laurentius, inno.r anima, agnus sine macula ; et la conclusion suit : « servarunt ergo hi legem «. On sent ce que la conséquence a de discutable. Ailleurs, le mot « mérita)- — si fréquent cependant dans les inscriptions païennes — est imperturbablement interprété dans le sens théologique le plus rigoureux, dès queZACCARivle rencontre sur un marl)re chrétien.

Viennent ensuite quelques textes louant des défunts de leurs aumônes, et le chapitre s’achève sur cette sommation : « Quo, amaho, tam singularis atque præclara harum iirtutum recordatio spécial, nisi ut intelligamus eus fuisse, quihiis sancli illi i-iri Deu maximopere placuere, gluriamque sihi immnrtalcm pepererunl ? Stel ergo, anliquitaiem contra Lutheranoriim inventa pugnare. christianorumque titulos catltolicum dogma de honorum operuin meritis iùndicare. » C'était vraiment faire trop belle la partie aux adversaires ; pas plus qu’eux nous ne sommes convaincus par tous les faits ni par l’argumentation.

F. Daxzetta, s. J. (1692- 1766) suivit les errements de Zaccaria. S’il ne reprit pas le projet d’un Corpus inscriptionum christianarum, c’est que, sur les conseils de Z.ccARiA. G. Marixi s'était voué à cette tâche ; mais du moins il en condensa par avance la substance dans sa Tlieologia lapidaria, i. e. Inscripliones ad tlieologiam. disciplinam et rifus pertinentes, qui ne vit pas le jour (Cod. Vatic, SSa’i).

Un essai de même genre, mais i)lus compréhensif, est dû au jésuite espagnol J. B. Geneh (171 1-1781) ; il porte le titre de Tlieologia dogmatico-scliolastica perpeluis prolusionihus polemicis Itistorico-criticis necnon sacræ anliquitatis monumentis illustrata ; les 6 volumes dont il se compose parurent à Rome, de 1767 a 1777.

Tous CCS travaux jiortcnt l’empreinte de l’cpoque. Intéressants à plus il’un litre, ils attestent spécialement que leurs savants auteurs ont fort justement pressenti l’utilité liislori(iue et religieuse des inscriptions dirétieniii’s ; mais ral)sencc de critiiiue, des inductions insullisamment justifiées, des généralisations trop i)romi)tes enlèvent toute valeur sérieuse à ces syntlièses arbitraires.

On n’a pas les mêmes rci)roclu’s à adresser à des travaux plus récents. Telles sont par exemple les études largement documentées de F. Pipeu. "Voir son Einleitung in die monumentale Théologie, 1867, III"" Theil, a’er Alischnitt : Geschirlite der christlichen Knigraphik, p. 817-908 et surtout son article l’eher den Kirchengeschichllichen (iewinn ans J/tsrhriften 'ornehmlirh des christlichen Allerthums.ynhu- dnn^]r./ahrhuch fdeutsche Théologie, XXI (1876), p. 37-103. Dans ce dernier travail, divisé eu deux parties (liistoiic extérieure et intérieure de l’Eglise), sont réunis et juilicieuscment commentés une foule

de textes. Pour être vieux de trente ans, cet artiile mérite encore d'être souvent consulté. Le récent ouvrage du R. P. Sixte g. c. r. (.otiones Archæologiae christianæ disciplinis theologicis coordinalae, a"o1. II, pars l^ : Epigrapliia, Romae, 1909, in-S'^) ne saurait faire oublier les travaux de ses devanciers. Bien qu’il ait sur les précédents l’avantage d’une documentation plus nourrie et moins exclusivcment « romaine », il ne marque pas, sous le rapport de la méthode et de la critique, un progrès décisif : trop souvent l’auteur accumule là où il eîit fallu choisir, entasse là où il eût dû classer. Néanmoins, son travail sera utile à l’apologiste averti.

II. L’Apologétique des Inscriptions : A) Les Inscriptions et le Xonveau Testament ; — B) Les Inscriptions et l Eglise.

Réduits que nous sommes aux données très fragmentaires que nous fournissent les inscriptions éparpillées dans le monde chrétien et d'époques très diverses, nous devons avant tout nous défendre de vouloir, avec de tels matériaux, édifier une synthèse, même provisoire.

Il sutrira à notre but de glaner, dans les quelques milliers de textes dont nous disposons, les traits les plus suggestifs, de les grouper suivant l’ordre des temps, quand cela sera possible, et d’après leurs provenances, lîuis d’en dégager les conclusions à retenir.

Au lieu de prendre, comme les anciens, la « théologie » comme cadre, il a paru plus avantageux de rester dans l’ordre historique et de rassembler les matériaux, amenés à pied d'œuvre, autour de deux faits capitaux : l’Evangile et l’Eglise.

A propos du Nouveau Testament, on examinera brièvement la contribution de l'épigrapliie à la critique textuelle et à la philologie biblique, ainsi que son apport au commentaire historique et archéologique des récits évangéliques. De l’Eglise, nous ne toucherons qu’un petit nombre d’aspects : quelques détails sur le milieu où elle est née, sa diffusion dans le monde gréco-romain, son unité qui se maintient malgré son extension et s’affirme en dépit des luttes et des divisions, donneront une esquisse à grands traits de sa vie extérieure d’après les sources épigraphiques ; aux mêmes sources, nous emprunterons une autre série de détails concrets qui permettront de pénétrer plus avant dans sa vie intime : credo, sacrements, histoire du culte (liturgie et dévotions), institutions ecclésiastiques, physionomie du peui)le chrétien.

D’un paragraphe à l’autre, il y aura sans doute des lacunes ; la faute en sera au manque d’informations ou à l’obligation de choisir. Aussi bien ne s’agit-il pas de tracer un tableau délinilif où rien ne manque ; mais seulement une esquisse générale destinée à relier et mettre en valeur quelques détails bien venus.

A. Les Inscriptions et le Nouveau Testament : i. Contribution à l'étude du texte : a) citations hihliques ; h) points de comparaison pour la philologie néo-testamentaire. v) vocabulaire, /3) syntaxe ; a. Apport au commentaire historique et archéologique : n) recensement de Quirinias ; b) lysanias, tétrarque d’Abill’ne : c) divers traits relatifs aux voyages de saint Paul.

i. Contribution à l'étude du texte. — En dehors de la valeur jiroprc qu’ils tiennent de leur caractère d’Ecriture inspirée, les Livres saints ont un aspect luunain, et. par ce côté, ils relèvent de la philologie 14 -9

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et de riiistoiro. C’est île ce double point de vue que nous allons examiner Tutilité que rexcgcte peut tirer des inscriptions, soit pour ITtude du texte en lui-même, soit pour le commentaire historique et archéologique auquel il peut servir de base comme tout livre historique ancien. Il va de soi que la plupart des faits que nous aurons à consigner, surtout dans Texamen de la seconde question, concernent les livres du Nouveau Testament : cependant il n’y aura pas lieu d’exclure — notamment dans la première partie — les renseiirnements parallèles intéressant l’histoire du texte des Septante, qui fut, de tout temps, en usage dans TEglise. concurremment avec les livres nouveaux.

Deux catégories d’inscriptions ont une importance spéciale pour la philologie l)iblique : celles qui contiennent des extraits scripturaires. et celles, intiniment plus nombreuses, dont la comparaison avec le texte de l’Ecritiue peut éclairer certains problèmes soulevés par la critique verbale et l’histoire de la langue des Livres saints.

a) Citations biblique.". — Les documents lapidaires qui contiennent des extraits de la Bible sont plus nombreux quon ne le supposerait, îiotamment dans les pays de langue grecque et en Afrique. Cf. Wad-DiXGTOX, Inscriptions grecques et latines de la Syrie. index de J.-B. Chabot, p. 21 ; Palestine Exploration Fund, Quarterly Slatement. 1891. p. 183-184 ; W. K. Pkentice, AAE. p. 17 ; W. K. Prentice and E. Litt-MAXN. PAE, passini : G. Lefebvre. ReciteiL p. xxix ; P. Monceaux, Hist. littér.. t. I, p. 155-156 ; E. Diehl, Lateinische christliche Inschriften, n"" io-21 !.

On constate à première Aue l’abondance des emprunts aux Psaumes : dans les seules inscriptions de Syrie, on retrouve la trace d’une cinquantaine de Psaumes. Les citations souvent très brèves ne dépassent pas un ou deux versets ; mais il en est aussi de plus étendues. Ainsi une inscription de Chypre (iv’siècle) reproduit tout le ps. xiv (Bull, de corr. hellén., 181j6. p. 3^9-351) ; sur un rouleau de plomb provenant de Rhodes (m* ou iv* siècle), on a gravé le ps. Lxxx, moins les 3 derniers versets (Sitzungsber. d. k. pr. Ahad. d. If’iss. zu Berlin, 1898, p. 582 et suiv.) ; enfin, sur les parois d’une chambre funéraire de Kertsch, ornée de curieuses peintures, on lit, outre quelques versets des ps. xxvi et xci, le ps. xc en entier (i ?o « ). Qiiartalschrift, 1894, p. 49-8", 309-327). Le reste de l’Ancien Testament, moins approprié au but des graveurs, est aussi moins largement représenté ; cependant les citations n’en sont pas rares, surtout en Egypte et en Syrie. Le Nouveau Testament semble avoir joui, pour cet usage spécial, d’une moindre faveur que l’Ancien ; cependant les f|uatre Evangiles et quelques-unes des Epîtres de S. Paul ont fourni des légendes aux lapicides de Syrie, d’Egypte et d’Afrique. Voir les ouvrages cités plus haut.

On ne saurait méconnaître l’importance de ces citations bibliques, sûrement localisées et souvent exactement datées. Parfois, elles viendront, avec une autorité que ne sauraient avoir les manuscrits, exposés à toutes les corruptions inhérentes à une longue transmission, décider en faveur d’une leçon sur laquelle les codices étaient partagés. Tel est par exemple le cas de Luc, 11, 14 : trois inscriptions de la Sj-rie du Nord portent ï-ôiz(k au lieu de la leçon iiôcy.iyx couramment reçue. Le texte original du Gloria des anges annonçait donc, on peut le croire : « paix sur la terre, bonne volonté (de Dieu) sm- les hommes ». Cf. Recherches de science religieuse. 1(1910), p. 70-71. Les citations scripturaires épigrapliiques revendiquent encore à un autre titre leur place dans l’histoire du texte sacré. On sait quels problèmes sont

posés au sujet des recensions d’Hésycliius et de Lucien ; il est certain que l’examen des textes, conservés dans leur forme originale par les inscri[ » tions. pourra permettre d’ajouter quelques précisions à la délimitation de la sphère d’inlluence de ces recensions qui se partagèrent l’Orient. Cf. A. Deissmaxx, Philologus, LXIV, p. 473 et Licht lom Osten, p. 335.

Veut-on connaître la bible africaine, les sources sont de trois sortes : à côté des citations des auteurs ecclésiastiques et des fragments conservés par les manuscrits, figurent les inscriptions. Cf. Delattre, Les Citations bibliques dans l’épigraphie africaine {Comptes rendus du IIP congrès scient, internat, des catholiques, 2’sect., p. 210 suiv.) ; P. Moxceaux, Hist. littér., i, p. 99, 155-156. Récemment M. Moxceacx montrait (Rei de Philoh, 1909, p. 112-161, paS’sini) que, bien souvent, des retouches intentionnelles, apportées au texte sacré dans les légendes épigraphiques, trahissaient la main des donatistes.

Il n’y a pas jusqu’à l’exégèse qui ne puisse tirer pro fit des modestes versets, gravés de-ci de-là sur les monuments chrétiens des premiers âges. Une église de la Haute Syrie portait gravés sur les linteaux de ses multiples portes des versets des psaumes et deux extraits tlu Cantique (iv, i, 3. 4- 7 ; v, 2). Prextice et LiTTMANX. PAE, n"* 809-840. Si on tient compte du L-hoix spécial fait des versets des psaumes, gravés sur le même éditice, et qui tous ont un rapport étroit avec la « maison » du Seigneur, il n’est pas difficile de conclure que l’emprunt fait au Cantique s’inspircj du même symbolisme, et nous avons le droit d’en ! inférer le sens dans lequel on allégorisait alors, dans cette partie de l’Orient, les versets en question.

Enfin, de l’ensemjjle de ces textes scripturaires, classés par provenances, se dégage encore une utile conclusion. Nous constatons quels étaient, dans tels ou tels pajs, les livres saints que le peuple aimait à citer, parce qu’il les connaissait davantage ; quelles sentences, dans ces livres favoris, étaient les plus populaires. Ces renseignements ne sont pas sans importance pour l’histoire de la piété des foules. Cette piété a un caractère parfois touchant ; mais, plus souvent peut-être, n’est-ce pas le côté utilitaire qui l’emporte ? Deux inscriptions funéraires juives (u* ou i*’siècle av. J.-C), trouvées dans l’île de Rhénée, implorent la vengeance de Dieu contre les meurtriers inconnus de deux jeunes femmes ; le rédacteur de ces impréca^ tions s’est largement inspiré des livres saints et l’on sent visiblement qu’il attend des versets qu’il insère dans ses formules une efficace analogue à celle des philtres (Deissm.vxx, Licht…, p. 305-316). Les chré-j tiens ont souvent suivi les mêmes errements : l ps. LXXX inscrit sur la feuille de plomb de Rhode (cf. supra, col. 1419)semble être une amulette destinée " à protéger des vignobles : le Pater (Mat., vi, 9-13), tracé sur une terre cuite de Mégare. comme la correspondance apocrj-phe de Jésus et d’Abgar, gravée sur un linteau d’Ephèse. paraissent bien avoir aussi servi iVapotropaia, cf. Bull, de la Soc. des Antiquaires de France, 1901, p. 185-192. Faut-il en dire autant des nombreux versets bibliques gravés sur le linteau des portes ou des fenêtres dans les cités chrétiennes de la Haute Syrie ? Sans le moindre doute, répond M. Prentu :e (AAE, p. 25) : en fait. la question est plus complexe : il y a lieu de faire, là aussi, une part à la superstition, inséparable bien souvent de la vraie piété parmi les populations de christianisme récent ; mais on doit y reconnaître, au moins aussi souvent, des manifestations sincères d’une foi réelle et d’une dévotion spontanée, cf. Mélanges de la Faculté orientale (Beyrouth), III, 2. p. 721-725.

/) Points de comparaison pour la philologie néo1421

EPIGRAPHIE

1422

testamenlaire. — La philologie néo-testamentaire -a plus encore gagné aux nouvelles découvertes que l’histoire du teste sacré. On a considéré longtemps le grec biblique comme une langue à part, ayant son Aocabulaireet sasyntaxe.Si l’on consulte, en elTet, les ilictionnairesdu Nouveau Testament, on constate que, sur environ 5.ooo noms communs qu’ils contiennent, il y en a environ 550 qui sont qualiliés de « grec biblique ». Cette proportion très élevée, 1 1 °/„. de vocables spéciaux sullisait à donner au grec du Nouveau Testament une couleur particulière. La syntaxe l’isolait encore davantage, croyait-on, du milieu grec contemporain ; les grammaires de Blttmanx, Winer, WixKR-MoLLTOx s’accordent à noter les lois particulières que suit le grec néo-testamentaire. En 18g4, Blass déclarait encore que le grec du Nouveau Testament était « als ein besonderes, seinen eigenen Gesetzen folgendes anzuerkennen » ; l’abbé Viteac précisait : c’est un grec profondément a sémitisé ».

Au cours de ces dernières années, un mouvement de réaction contre cette universelle persuasion s’est dessiné parmi les philologues, et aujourd’hui, grâce aux derniers travaux de Blass, de Moultox et surtout de Deissmanx. les anciennes théories ont rapidement perdu du terrain. Il n’est plus question de grec « biblique », tout émaillé de sémitismes. La langue des Evangiles et de Paul n’est pas le « dialecte » isolé, si l’on peut ainsi dire, qu’on avait imaginé ; mais elle reprend sa place dans l’évolution générale de la langue grecque.

Le christianisme s’est développé tout d’abord dans les couches populaires (cf. Deissmanx, Bas Urchtistentum u. die untereii Schichten, 1909). Qu’il ait eu, presque dès la première heure, ses recrues dans le

« grand monde)^ de Rome, c’est un fait qu’on ne conteste

pas ; il n’en est pas moins vrai qu’il a fait d’ai)ord des conquêtes surtout dans les classes inférieures, parnù les petites gens. Or, au moment de la prédication des apôtres, si le grec l’emportait sur la langue olhcielle de l’Empire et était parlé par plus de millions d’hommes que le latin, — dans tout le sud de l’Europe, l’Asie antéiieure, les Iles et l’Egypte, — il ne faut pas imaginer ce grec comme une langue uniforme. Au-dessous de la langue littéraire des écrivains de l’époijue inqiériale, il y avait un parler plus libre d’allure, la langue de la conversation. Cette langue usuelle elle-même était susceptil)le de bien des nuances : plus châtiée et voisinant davantage avec la langue littéraire, quand elle était parlée par des gens de bonne compagfnie ; plus primesautière, plus simplilLée et ])lus courante, dans la bouche du populaire. Or la question se posait : les évangélistes et les apôtres, issus du peuple et parlant au peuple, n’avaient-ils pas conservé leur langue tlorigiiie pour lui parler la sienne ? Malheureusement cette langue, dont l’atlicisiue des raiUnés raillait et prohibait les verdeurs savoureuses et les motsénergi(iues, semblait à jamais perdue, et la question [ii’écédente demeurait sans réponse.

Mais M)i(i que des fouilles heureuses font sortir le grec populaire de l’oubli où il semblait à jamais enseveli ; et les études néo-testamentaires ont singulièrement i)rolité de celle exhiunation ines[)érée.

Trois catégories de documents nous ont conservé quelque chose du parler [)ittortsque des petites gens dans tout le milieu méditerranéen : les inscri[ttions, les papyrus et les ostraca.

Les inscriptions ne sont ])as toutes œuvres de lettrés ; les marchands, les cultivateurs, les soldats et les esela^ es ont bien soun eut eonlié au maibre (ui à la pierre l’expression de leur gratitude envers les dieux, de leurs prières ou de leurs tieuils. Bien que l’exposition |>ubli(pi<’de [jareils m<)nunu’ntsaitinq)osé

plus de tenue et de réserve, la langue populaire ne perdait pas tous ses droits, et il existe des quantités de mots que les inscriptions seules nous ont conservés, probablement parce que la littérature les proscrivait ou les ignorait. De ce chef, les inscriptions sont une source très féconde pour l’histoire du vocabulaire néo-testamentaire (Dkiss.maxx, Licht, p. iS, n. 2).

Avec les papyrus et les ostraca, nous entrons en plein milieu plébéien. Sans sortir de notre sujet épigraphiqvie, il faut signaler d’un mot ces deux sources si importantes relatives à la langue parlée dans le milieu où se lit la propagande chrétienne. La moyenne et la haute Egypte — surtout le Fayoum — recèlent des trésors : c’est par milliers que les papyrus s’y découvrent. Le contenu de ces documents est aussi varié cpie la vie ; pièces officielles : arrêtés de magistrats, instructions à des fonctionnaires, requêtes ; archives familiales : pièces de procédure, contrats de mariage, de vente, de prêt ; documents relatifs à des adoptions, des tutelles ; comptes, créances, reçus ; correspondance de toute sorte, depuis la lettre de condoléances jusqu’à l’invitation à un mariage, depuis la lettre de « Pitou » à son père jusqu’au billet amoureux et à la- lettre d’un gamin volontaire à son papa. Tous ces documents ouvrent un jour sur la vie poinilaire et sont, à ce prix, d’un intérêt sans égal ; mais ils ont peut-être plus d’importance encore pour l’étude de la langue courante, car le peuple écrit comme il parle.

Les ostraca n’ont pas un moindre intérêt : d’un usage moins coûteux que le papyrus, ces tessons de rebut se prêtaient aux mêmes besoins, et nous arrivent tout chargés d’écritures. Comme les papyrus, ils se répartissent entre les premiers Ptolémées et l’occupation arabe, couvrant ainsi un millier d’années, et nous permettant de suivre, de génération en génération, les phases de l’évolution du langage pai-lé, non seulement dans le bassin du Nil. mais encore dans tout le milieu méditerranéen, dans toute l’aire de dilTusion du christianisme.

Deissmanx a été le premier à poser qu’en gros et dans son ensemble le Nouveau Testament est un monument de la langue grecque, telle qu’elle était parlée par les gens simples et de petite culture de l’époque romaine, et que c’est par conséquent à la lumière des textes populaires que doit être étudiée la philologie néo-testamentaire. Son initiative a été féconde : à la compai’aison, d’étroites affinités se sont révélées entre la langue du Nouveau Testament et celle des inscriptions, des papyrus et des ostraca, si bien que le Nouveau Testament, tiré de l’isolement auquel on l’avait condamné, est rentré dans le domaine commun de la philologie grecque.

Il suffira de renvoyer pour une étude détaillée à quelques travaux plus utiles, tels que F. Blass, ^/ramniatik desneutest. (iriecltiscli, ’^'^ éd., 1902 ; J.-H. Moul-TON, Grarnmar of the Hetc testament Greek, vol. L 2 éd., 1906 ; Th. Nægeli, DerUdrlscliatz des.Ipostels Paulus, 1900 ; G. Thieme, Die Inschriftcn von Magnesia ani Mdander u. das A. Test., 1906. Voir surtout A. DEiS’ : iyisy, m belsludien et eæ liiln’lstudien (trad. anglaise, notablement améliorée par l auteur, Bible Studies. 2"^ éd., i<^o’5) ; Licht-om Osten, 1908 ; The Philologyof Greek /iible…, arHcU-s parus dans VExpositor, octobre-décembre 1907. C’est en particulier à ces travaux que nous emprunterons ((uel((ues faits : ils suffiront à donner une idée des résultats acquis i^t des espérances que sans doute réaliseront les fouilles activement poursuivies.

c/.)Vocabuluire.—KEsyv : D(SourcesofyenTestanient Greek. 1895), d’après les listes de Tmayer, comptait environ 550 mots prétendus « bibliiques » dans le 1423

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142’*

Nouveau Testament ; Deissmann n’en biffe pas moins de 500 : de 1 1 °’„, la proportion des termes bibliques tombe à i "/o, et qui sait si ce dernier résidu ne sera pas bientôt éliminé. Voici quelques exemples de sécularisations que les inscriptions, les papyrus et les ostraca ont permis de réaliser : à//c/£v/ ;  ; , svtxsç, (ipo^/i, ((/.KT<^&), è/zi/îo, T ! ip17711y., à^i/c/.pYJpoç, ^y.-ripoycipio}, KÙOvjri’j), Siy-ar/v}, orjy.dsu.y.riZo}, v.pyi~cty.r, v, T : p07x-jv/ ; -rr, ç, xKTarr5TK7/y.a…, etc, cf. Licht, p. 48-72 ; autres listes, Bible Studies, p. 86-169, ’94-267. Tous ces mots réputés’( bibliques » ou « ecclésiastiques » se retrouvent dans la langue des inscriptions et des papyrus, et tels d’entre eux sont signalés d’un bout à l’autre du bassin de la Méditerranée.

Si les textes nouvellement recueillis rendent à leur vraie source de longues suites de mots considérés auparavant comme des isolés, ils servent souvent aussi à attester l’origine ancienne de certaines signilîcations que les écrivains sacrés passaient pour avoir introduites. Tel serait le cas d’âô=/ïo ; , emploj’é pour désigner les « membres d’une confrérie ^), d’àvai-^osï’j) et ccjKT7p’y-jr ; aA’CC une valeur morale, d’è7 : 16jfj.r, rr ; ç au sens péjoratif, ).£iro-jpy-'j>, Jsiz-y-jpyt’y., /.vJoi, TTV.poiy.Oi…, cf. Licht, p. 72 ; Bible Studies, passim.

D’autres fois, c’est la nuance ijrccise du vocable scripturaire qui s’éclaire à la comparaison avec les textes « laïques ». Ainsi une inscription syrienne (Bull, de corr. hellén., 1897, p. 60) montre que la

« besace », ~r, py, dont les disciples envoyés en mission

ne doivent pas s’embarrasser (v. g. 3Ic., vi, 8), n’est pas le « sac à provisions », mais la « besace du quêteur ». Des actes d’affranchissement de Delphes, les papyrus et les ostraca révèlent le sens précis du verbe à-niyot, c’est le terme technique employé dans les reçus et les quittances ; ainsi, quand N.-S. disait des hjqjocrites, qui ne s’acquittent de l’aumône, de la prière ou du jeune, que pour la galerie : v-éyoj71v rèv , « /.tT$iv v.ùrôyj (.1//., VI, 2), il nous les montrait, d’une manière singulièrement expressive, palpant leur récompense, la réalisant comme un vendeur qui vient de signer le reçu de la somme qu’il empoche. Un exemple remarquable entre tous, nous est fourni par le mot ijy.’ : zr, pivj. Dans les LXX, il désigne le couvercle en or de l’arche ; mais comment ajuster ce sens au contexte du verset, dans lequel S. Paul (Rom., III, 25) nous montre le Christ, oy ^pcéO-ro é ©si ; i)y.7rr, piov… €v T’j> v.ÙTOii « ("yart ? La dilïiculté s’évanouit, si l’on rapproche du texte sacré deux inscriptions de Cos et un papyrus du Fayoum : u.v.arr, ptw doit s’entendre au sens d’  « instrument » ou d’  « objet de propitiation ou d’expiation » ; dès lors le verset de S. Paul devient tout à fait clair. Cf. Bible Studies, p. 124-1 35 ; F. Prat, Théologie de.S. / » «  « /, ! , p. 287-289. Ces quelques exemples suffisent à montrer dans quelle mesure les documents nouveaux éclairent la sémantique néo-testamentaire.

, 3) Syntaxe. — A la syntaxe nous pouvons ramener certaines tournures, certaines associations de mots qui passaient pour appartenir à la stylistique du Nouveau Testament et qui sont le bien comnum de la langue contemporaine. Quand S. Luc écrit : ôi ; ipyy-iyy (xii, 58), il n’est guère prol)able qu’il pense traduire le latinisme da operam, puisqu’un papjrus atteste l’usage de cette formule dans le grec populaire ; y.pi-J’, iTbà(/.’y.i’yj (Le., XII, 57), TVva(’co)y5yw(i]//.. XVIII, 28) ont le même caractère. On pourrait multiplier les exemples, cf. Bible Studies. p. lo’i ; Licht, p. 79-82.

La syntaxe néo-testamentaire, disait-on, est toute pénétrée d’iiébraïsmes, et l’on ne cherchait pas d’autre explication, toutes les fois qu’il s’agissait de rendre raison de quelque anomalie. Or. il se trouve que les documents païens, lesinscriptions aussi bien que les ostraca et les papyrus, présentent très souvent des’exemples parallèles, et ces vulgarismes réduisent le nombre des sémitismes trop facilement présumés. Ainsi, , î/£-îiv àiri…, « se garder de », n’est nécessairement ni un hébraïsme(BLAss) ni un sémitisme (Wkllhausen), cette anomalie dans l’emploi de la préposition était du domaine de la langue courante ; même remarque pour la construction dUtJOf.t avec sL, pour la formule jviridique £Ù ri mo/xv. ; la structure de Jo., i, 14) n’est plus incorrecte ni singulière, si l’on reconnaît, à de multiples exemples, que, dans l’usage populaire, nrr, p-/ ; i était traité comme un mot indéclinable ; le verset où S. Paul (I Cor., xi, 27), nous montre le sacrilège, après la communion, î>5x^ ? ~*"^ <701/j.v-o ; /.’A a.ïixy.T-j^ TîO Kjpioj, ne renferme plus grande dilïiculté pour qui admet une inlluence de l’usage symétrique d’à-y-aprùi^di qu’il n’est pas rare de rencontrer avec le génitif, cf. Licht, p. 79-86.

Les textes profanes n’éclairent pas moins d’un jour particulier le style néo-testamentaire. S. Jean est-il aussi Aoisin qu’on le dit de la stylistique sémitique ? Il ne paraîtrait pas, constate Deissmann ; S. Jean est avant tout populaire, comme tendent à le prouver de nombreux parallèles empruntés aux inscriptions et aux papyrus, cf. LAcht. p. 86-g5.

Tels sont, en gros, les résultats acquis à la philologie du Nouveau Testament à la suite de l’examen minutieux des monuments de la langue populaire du premier siècle : ce grec populaire est l’élément foncier de la langue néo-testamentaire, c’est lui qui a nourri son vocabulaire, enrichi ou assoupli sa syntaxe par des tournures hardies, moins conventionnelles et plus vivantes que celles de la langue littéraire.

Les réactions sont fatalement un peu trop radicales. Il ne faudrait pas oublier cependant que ce grec

« coUoquial », parlé par des aramaïsants, n’a quelquefois

sa vraie explication que dans un sémitisme sous-jacent. Sur ce point, M. Deibsmann n’a pas su se garder de toute exagération. Pour avoir envisagé à peu près exclusivement un côté du problème — le A’ocabulaire, — il n’a pas fait suffisamment ressortir le tréfonds sémitisant.- Voir un excellent article de J. HuBY (Etudes religieuses, 1909, t. CXVIII, p. 249262), où la question est ramenée à ses justes proportions, et, dans le même sens, G. C. Richards (Journal of Theological Studies, janv. 1909, p. 288290). Quoi qu’il en soit de cet excès, il ne reste pas moins vi’ai que la thèse de Deissmaxx a triomphé dans son ensemble, et que les inscriptions comme les papyrus et les ostraca sont désormais réintégrés dans le domaine auxiliaire de la philologie néo-testamentaire. — A’oir le récent article de H. Lietz-MANN, Bie klass. Philologie u. dus. T. (.eue.lahrbiicher f, d. klass. Altertum, 1908, p. 7-21), et l’enquête poursuivie par J. H. Moultox et G. Milli-GAN dans VExpositor.-^ série, 1908-1910. L’ensemble de la question est bien résumé par E. Jacquier (Histoire des livres da Nouveau Testament, t. III, p. 322-338).

2. Apport au corDinentaire historique et archéologique. — Le rôle tles inscriptions dans le commentaire des Livres saints ne mérite pas moins d’être signalé à l’attention. Pour en faire la preuve, il faudrait esquisser, de ce point de vue spécial, tout le commentaire du Nouveau Testament. Nous nous bornerons à quelques faits plus saillants qui sulFiront à donner une idée du genre de continuations historiques ou archéologiques que l’exégète est en droit d’attendre de l’épigraphie contemporaine de la rédaction des Evangiles et des Actes. On a constaté que S. Luc, plus que les autres évangélistes, a le souci du détail concret, du trait précis qui lixe les èntours 1425

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142Ù

de son récit, et qu’avec un art sobre, mais très sur, il atteint aux qualités les plus hautes qui font l’historien. On a remarqué aussi cliez lui une sympathie réelle pour le monde gréco-romain : il connaît ses institutions, en parle, d’après une information personnelle indiscutable, avec une précision qui ne laisse rien à désirer et qui sullirait à inspirer confiance en un auteur aussi sérieux et aussi averti (voir ime liste des principaux détails de ce genre relevés dans les Actes, Harxack, Sitziingsbericlite d. k. pr. Ahad. d. JViss., IQ07, p. 3 ; 8, n. 2, et Die Apostelgeschichte. 1908. passim et p. 6/|, n. i). C’est donc au troisième évangile et aux Actes que nous emprunterons les quelques traits dont il s’agit de montrer l’exacte documentation. De l’évangile nous ne retiendrons que deiix faits : le recensement de Quirinius et les sjnchronismes par lesquels Luc date les débuts de la mission de Jean-Baptiste ; aux Actes nous emprunterons quelques épisodes du ministère de Paul. A défaut d’ouvrage plus à jour, qu’il sufllse d’indiquer un livre qui a bien mérité de l’exégèse archéologique du ouveau Testament, Le Xom-eaa Testament et les décou’ertes archéologiques modernes, par F. ViGOCROUx, 2* édit., 1896.

a) Recensement de Quirinius. — Les deux versets dans lesquels Luc fait allusion à un recensement général de l’empire, exécuté, en Judée, pendant la légation de Quirinius en Syrie, ont suscité une abondante littérature et provoqué des polémiques passionnées. Bibliographie dans Schierf.r, (Jesch. des Jiid. Volhes’-K I, p. 508-509. Voir également le résumé très clair que le P. A. Durand a donné de l’état de la question, L’Enfance de lésus-Christ, 1908, p. 165-172.

Du texte de Luc se dégagent trois faits très nettement allirmés : 1°) qu’il y eut un recensement général de l’empire sur l’ordre d’Auguste ; — 2") que ce recensement, mis en corrélation avec la naissance de J.-C, fut exécuté en Judée avant la mort d’Hérode ;

— 3°) qu’au moment où il eut lieu, Quirinius était légat de Syrie.

Sur chacun de ces trois points on a voulu prendre en défaut la véracité ou l’information de l’évangéliste. On peut considérer l’attaque de Schuerer (t. I, p. 5 10-543) conmie la somme de tout ce qui a été écrit contre l’exactitude de la tradition évangélique à cet égard. Ce n’est point le lieu de reprendre ici l’exposé des difficultés accumulées par le savant historien, encore moins d’entreprendre la tâche laborieuse de les discuter. On l’a fait bien souvent, et l’on trouvera la substance des réponses qui nu rilent d’être reteniu’S. dans les commentaiics (al ! ioli(iues ou simplement conservateurs. La réfutation la plus ingénieuse a été présentée par W. Rams.vv, U’as Christ born at Bethléem ? 3’éd., ujoô, p. 95-196 ; voir aussi la notice de M. ViGOUKOLx, Le yonveau Testament, liv. H, ch. I, et la dissertation d’A. Mayer, Die Schatzung hei Christi Gehurt in ihrer lieziehung zu Quirinius, 1908. Tout récemment W. Weijer (Xeitschrift f. neutest. Wissenscliaft, 1909, p. 307-319) essayait d’établir, en s’appuyant sur une critifque très poussée du récit de Josèphe, que les deux allusions de Luc (£"i’., II, 1-2 ; Acl., v, 37) se réfèrent à un recensement unique, opéré, sous la conduite de Quirinius, en l’an 4 av. J.-C. Cette thèse demeure encore trop hypothétique pour (c nous en prenions avantage ; il fallait cei>en<lant signaler cette tentative de réaction contre la conliance absolue que l’on accorde à Josèphe, fpiand il s’agit de s’en prendre aux Evangiles.

Il y a. parmi les didicultés qui sont opposées au ténu)ignage de Liu-, des arguments de convenance dont la valeur démonstralivo e>l mince ; la prcue

a silentio y joue un rôle capital, et l’on sait ce cju’elle vaut ; enfin les plus grosses objections s’appuient sur le récit de Josèphe. Notons seulement ici le témoignage de deux inscriptions qui sont venues faire l)rèche dans l’argument a silentio, ont diminué d’autant la ditliculté et provoqué un changement d’attitude de la part de quelques-uns des adversaires de la véracité de Luc.

On savait par Josèphe (les textes réunis par Sciilerer. p. 516, n.27, discutés par W. Weber, cf. supra) qu’après la déposition d’Archélaus, Quirinius, en l’an 6’7 de notre ère, fut ciiargé du recensement de la Judée, dès lors annexée à la Syrie. Que ces opérations se fussent étendues à toute la Syrie, Josèphe le donnait à entendre (Antiq., XYII, xiii, 5 ; XVin, I, i)- Cette indication sommaire se trouve heureusement mise hors de toute contestation par une inscription de Beyrouth, dont on avait suspecté l’authenticité, précisément en raison de son contenu, jusqu’à ce que l’original en ait été retrouvé à Venise CIL, III, 6687 = : Dessau, Inscr. lat. sel., 2083). C’est l’inscription funéraire d’un olTicier de second rang qui eut sa part dans les opérations du recensement ; il vaut la peine de reproduire ce texte, puisque aussi bien c’est un document important pour l’histoire du gomernement de Quirinius :

Q. Aemilius Q. F. Pal. Secundus [in] | castris diA Aug. s{iib] I P. Sulpi[c]io Quirinio legato] | C[a]esaris Srriæ honori | bus decoratus, p ?[a]efect. cohort. Aug. /, pr[a]efect. | coJiort. II Classicæ ; idem iussu Quirini censum egi Apamenæ ci<.’itatis mil lium homin. civium CA’VII : idem missu Quirini adi’ersus | Ituræos in Libano monte | castellum eorum cepi ; et ante militiem præfect. fahrum I delatus a duobus cas. ad æ | rarium, et in colonia quæstor, aedil. II, daunnir II, pontifexs. I Ibi positi sunt Q. Aemilius Q. F. Pal. | Secundus f. et Aemilia Cltia lib. | //. m. amplius h. n. s.

Observer que ce recensement n’a laissé aucune trace dans le monument d’Ancyre, qui n’énumère que 3 « census » (28 et 8 av. J.-C, ^4 J.-C).

Quoi qu’il en soit de la signification de ce document, la diniculté demeure. Si le recensement syropalestinien de 6/7 (cf. Act., v, 37) est un fait historique l)ien établi, tout cela n’a rien à voir, ce semble, avec le recensement général que Luc place avant la mort d’Hérode (4 av. J.-C., cf. Sciuerkr, I, p. 4 i 5, n. 167) et auquel il mêle la personnalité de Quirinius ; à moins que l’évangéliste n’ait antidaté d’une dizaine d’années les faits qu’il rapporte, pour les rattacher à la naissance de J.-C ? L’anachronisme vivement reproché à Luc reposait sur le fait historiquement certain de la légation de Quirinius en Syrie à partir de l’an 6 de notre ère, cf. Schiterer, I, p. 327 ; Prosopographia Imperii Romani, III, p. 287, n° 732. Par un heureux hasard, un fragment d’inscription, découvert en 1764 à Tivoli CIL, xiv, 3613 ; Dessau, Inscr. lat. se/., 918), et délinitiveuient expliciué par Mommsen, est venu entièrement disculper l’évangéliste et témoigner une

; fois de plus de la sûreté de son information. De la

pierre, il ne reste que la moitié inférieure, el la cassure a emporté le nom du personnage à qui le monument était dédié. Cepeiulant l’atlribulion de cette inscription à P. Siilpicius Quirinius a réuni les sulVrages des épigraiiliistes les plus qualiliés (Schiereh, I, p. 324, n. 32). Le grand intérêt de ce texte réside spécialement dans la dernière ligne, où il est dit du titulaire de la dédicace : legatus pr. pr.] dii Augusti iterum Svriam et Phœniren optinuit]. Cette « seconde » légation en Syrie est celle de l’an 6 « le notre ère ; quant à la première, dont l’existence peut se i)rouver par des cond)inaisons historiques indépendantes de l’inscription de Tivoli el que celle-ci vient corroborer. 142 :

EPIGRAPHIE

1428

cette première légation peut être assez facilement localisée. La Sj rie, province consulaire, ne put être conliéeàQuirinius qu’après son consulat (12 av. J.-C) ; or, pendant les années suivantes, nous trouvons, à la tête de la province de Sjrie. d’abord M. Titius aux environs de l’an 10 ; puis C. Sentius Saturninus, de g à 6 et P. Quintilius Varus, de 6 à 4- Ce dernier était encore en charg-e lors de la mort d’Hérode (ScnuERER, I, p. 322), si bien que la première légation syrienne de Quirinius ne peut avoir commencé avant l’an 3 av. J.-C. Ainsi, en admettant que Jésus naquit au cours de la première légation de (Juirinius, nous n’arriverions qu’à diminuer l’erreur, sans la faire disparaître. Si Jésus est né alors que Quirinius était déjà en charge, Hérode était déjà mort ; si Ilcrode n’était pas encore mort, comment peut-on nous parler de (Juirinius ? Bien des tentatives ont été faites pour sortir de ce dilemme. Voir dans les commentaires conservateurs, et aussi l’analyse des solutions cqueSciiuiîRER énumère et critique, I, p. 534 et sniv. A s’en tenir aux possibilités, personne ne fera ditliculté d’admettre que les opérations du recensement se soient prolongées pendant plus d’une année, qu’elles aient au moins chevauclié sur deux années consécutives ; commencées en l’an 4 fi^’- J.-C. ou même plus tôt, elles amenèrent Joseph à Bethléem, et Jésus y naquit a^ant la mort d’Hérode ; i^oursuivies et achevées sous Quirinius, on imagine facilement qu’elles aient gardé le nom du gouverneur à qui il fut donné de clore les listes et de proclamer les résultats.

h) [.Ysanias, tétrarqiie d’Abilène. — Il est un autre synchronisme de S. Luc qui a été vivcment attaqué (Aoir bibliogr. dans Schuf.rer, I. p. ^o^ et 719. n. 44) et qui reçoit des inscriptions une conlîrmation éclatante. Pour dater la mission de Jean et le début de la vie publique de Jésus, l’évangéliste a multiplié les indications chronologiques (m, 1) : « Dans la quinzième année du règne de Tibère César, lorsque Ponce Pilate était gouvcrneur de la Judée, Hérode tétrarque de la Galilée, Philippe son frère tétrarque de l’Iturée et du territoire de la Trachonitide, Lysanias tétrarcjue de l’Abilène… » Auguste étant mort le 19 août de l’an 14, la quinzième année de Tibère correspond donc normalement à 28 29 ou 29/30 ; la procuratèle de Pilate couvre l’espace compris entre 26 et 36, de là aucune difficulté ; à l’indication relative à la tétrarchie de Philippe et à celle d’Anlipas on ne trouve rien à objecter. Quelcjnes criti(]ues ont prétendu se rattraper sur l’intervention du nom de Lysanias. « Luc fait régner, 30 ans après la naissance du Christ, un Lysanias qui avait certainement été tué 30 ans avant cette naissance : c’est une petite erreur de Go ans.)> (Stralss, Xoiivelle vie de Jésus, t ;-ad. NefTtzer et DoUfus, H, p. 20-21.) On Aerra de quel côté était l’erreur.

Caligula, en montant sur le trône (’i~). donna à son ami Agrippa I", aACC la tétrarchie de Philippe, celle de Lysanias (cf. Schuerer, p. 502 ; 7 1 --S) ; Claude (41)coniîrnia et agrandit cette dotation. Comme Josèphe ne connaît qu’un Lysanias, contemporain d’Antoine et de Cléopàtre, on en concluait que c’était de ce personnage que rvl)ilène avait reçu, puis conservé jusqu’à l’accession d’Agrippa, la dénomination de

« tétrai-chie de Lysanias w ; S. Luc mentionnant, en

29, un Lysanias, tétrarque d’Abilène, déplaçait donc de 60 ans, ou dédoul)lait le Lysanias iiistorique. Pour le malheur de cette hypothèse — fondée comme bien d’autres sur l’inerrance de Josèphe — une inscription découverte près d’Abila (CIG, 4^21 ^ Ditten-BERGER, Orientis Græci inscr. sel., 606) est Acnue attester l’existence d’un second Lysanias, qui répond exactement aux exigences du récit éAangélique. L’inscription émane d’un certain NAUiphaios, affranchi du

tétrarque Lysanias, et par sa date se place entre 14 et 2g. Nous avons donc la preuAe épigraphique de l’existence du tétrarque, contemporain de Tibère, que connaît S. Luc.

L’information fournie par ce premier document est d’ailleurs corroborée par une autre incription, découvcrte à Héliopolis de Syrie (CIG, 4523 : = Iriscript. græcæ ad res romanas pertinentes, III, io85) qui paraît appartenir à la sépulture de la famille royale d’Abilène et nous montre le retour fréquent du même nom de Lysanias dans la dynastie. Voir le mémoire de Re.nan, Mém. de l’Acad. des Inscript, et Belles-Lettres. XXVI, 2* partie.

Il n’est pas hors de propos de noter en passant que les indications de S. Luc relafives soit aux Hérode, soit aux Agrippa, pourraient être l’objet d’une étude détaillée, dans laquelle, à coté des textes historiques, les inscriptions et les monnaies auraient leur place. Les textes épigraphiques ont été réunis par Dittenberger (Orientis græci, 4’4-42g) : y ajouter l’édit d’Agrippa H trouAé à Yabroud (CLERAioxT-GAXXEAr, Bec. d’ArchéoJ. orient., VII, p. 54-76), une dédicace de Ba’albeck. CIL, III, 1438^ et l’inscription deFaqra, qui mentionne Agripiia II et Bérénice (Jahrb. d. k. d. arcliæolog. Instituts. XVII, p. 107, n. 43). On observcra en particulier que ces textes ont une utilité spéciale pour déterminer l’étendue des territoires qui furent successivcment sous la niouA-ance des deux Agrippa.

f) Divers traits relatifs au.r voyages de S. Paul. — Ces deux exemples d’ordre plutôt historique et chronologi ((ue suflisent à montrer que le texte de S. Luc n’a rien à redouter du hasard des découvertes épigraphiques, et que, l)ien au contraire, il peut en attendre d’utiles contirmations. Quelques autres détails empruntés aux Actes feront Aoir à l’éAidence combien l’éeriA’ain sacré serre de près la réalité : l’Acliaïe, Chypre, la Macédoine, l’Asie Mineure, Jérusalem nous fourniront autant de preuvcs de l’exacte information de l’auteur, autant de garanties de la haute Aaleur historique de son récit. Cf. supra, col. 268.

A Corinthe (.i’i ; 7,.’xvîii, 4), chaque sabbat, Paul discourait dans la synagogue. Il est intéressant de noter qu’on y aretrouA’é le linteau d’une synagogue, probaldement celle <n parlait l’apôtre, portant l’inscription : [r^vy.Jyo)// ; E ; c[KtOJvl, Deissmaxn, Licht, p. 8, n. 1 1 ; E. WiLiSH, Vc/ze Jahrhiicher, igo8, p. 427. Un autre détail mérite surtout d’attirer notre attention. Au cours du séjour de Paul, un rcA irement se produisit au sein de la colonie juiAC et A’oici comment S. Luc introduit ce récit : ry.//t&jyî : ôk yy6j-y.roj ivri ; Tr.i’k/y.iv.i (xviii, 12). Procousul (à^ôJTrarc :), cette désignation eût été une erreur entre 1 5 et 44 J.-C ; car, pendant ce laps de temps, l’Achaïe, d’abord déAolue au sénat, fut gouA-ernée par des légats impériaux. Mais, Claude ayant rendu la province au sénat, L. Juuius Annæus Gallio, frère de Sénèque, se trouvait précisément aA-oir rang et titre de proconsul. Comme une inscription de Delphes (Aem. Boirgvet. De rébus delphicis imperatoria aelate. igo5, p. 63-64) permet d’établir qucGallion était en charge en 52. il y a lieu de tenir compte de cette donnée pour la chronoh>gie si controvcrsée des Aoyagcs de S. Paul. Voir ci-dessus, col. 268.

Le titre à^ ccjdJTy.- : ’^^ rcAÎent deux fois encore dans les Actes : une fois, il sert à désigner les gouverneurs d’Asie (xix, 38) ; une autre fois, nous le trouvons appliqué au gouverneur de Chypre. Sergius Paulus (xiii, 7, 8, 12). Là encore une méprise était facile, et S. Luc s’en est exactement gardé ; comme l’Achaïe, Chypre eut ses Aicissitudes : d’abord ressortissant àl’administration impériale, elle passa, en 22 J.-C, au sénat, et dès lors reçut des i)ropréteurs aACC titre de 1429

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1430

proconsuls, comme en font foi les inscriptions et les monnaies. On serait même porté à identifier le Sergius Paulus des Jetés avec I’kv^vttktî : Uy/y^o : que nous révèle une inscription de Ciiypre {/nscr. gr. ad res Roinanas pertinentes, iii, gSo).

Instruit des détails de l’administration romaine, Luc ne connaît pas moins l)ien les particularités des institutions municipales, et, à l’occasion, il note d’un mot des minuties qui eussent échappé à un observateur moins avei-ti ou à une mémoire moins fidèle.

Racontant son arrivée à Philippes en compagnie de Paul, il écrit de cette ville onç éiriv rcoirv ; tô ? uicioci Mozîôsvtîz ; 7T< ; /iç, xî/’j)V(a(xvi, 12). riçoiTr, : Philippes était-elle donc la première ville de la province (/^ï, c"0 pour qui venait de l’ouest, comme menait Paul, car Luc nous dit avoir débarqué à N£K7tî/( ; ? Rien cependant ne saurait être plus exact : les inscriiitions latines retrouvées sur l’enqjlacement de Néapolis prouvent clairement que celle localité faisait partie intég-rante de la colonie de Philippes, c’en était un <.’iciis. rè-<^vciîv. Quant au mot zî^ojvia, dont S. Luc n’est pas prodigue, il est ici parfaitement en situation, car Philippes avait reçu d’Auguste, à la suite de sa victoire sur Brutus et Cassius, le titre et les privilèges de « colonie >. La connaissance de ce fait et de la situation privilégiée de la ville put parvenir de bien des manières à la connaissance de S. Luc ; mais il lui suilisait de jeter un coup d’œil sur les monnaies de la cité qui avaient cours lors de son passage pour y lire, au revers de l’etligie de Claude, la légende : Col{oni(i) Aiig(usta) lui (ia) Philip (pensis). Colons, et donc citoyens, il n’est pas surprenant que les gens de Philippes fassent sonner bien haut leur titre de a Romains » (xvi, 21), ce titre dont S. Luc, au contact de Paul, a appris la signification précise, et qu’il emploie habituellement aACC sa valeur politique (xvi, 37, 38 ; XXII, 25, 26, 27, 29 ; XXIII, 27).

Un miracle de Paul ayant réveillé le fanatisme, Paul et Silas sont appréhendés (xvi, 18-19) ; ^^ ^^^ traîne sur l’agora vers les magistrats (iri riv ; y.oy/y-y : v.ç) et on les fait comparaître devant les stratèges (7rpo7v : /v.yd-, rti cùro’ji rotç Txyy.rr/’Az). Ces deux désignations ont toute la précision désirable : le premier titre peut être considéré comme une dénomination générique des hauts fonctionnaires de la cité ; le second désigne plus particulièrement le^duoyiri iitre dicutido (’avaient, par ollice, la juridiction civile et criminelle, dans les limites prévues par la loi, et par conséquent qualité j)our punir le voyageur turbulent dont le [irivilège civi(|iu’n’était pas soupçonné. Cf. Pai’i.y-Wissoava, RealencYilopiidie, V, s. v. diio%’iri : IL Sciiim.kr u. M. Voiot, Die rôni. Staats-Kriegs-u. Privataltertluimer. p. 177 ; Likbrnam, Sttidte ^enyallung. t. 286 suiv. ; W. M. Ramsay, >'. Paul (lie Tia’eller, p. 212 ; du même, Tlie l’hllippians and tlieir magistrales. Journal of tlienl. Studies, I, p. 1 1 /|-i 16.

De Pliilippes, les’voyageurs gagnèrent Thessaloni<Hic, où lu- h’s attendaient pas de moindres dillicultés : le far : atisme juif ne désarmait pas. En effet, Pavil n’avait jtas parlé pendant trois sabbats dans la synagogue que les Jnifs exaspérés mettent la ville en émoi. A défaut de Paul, sou hôte est traîné devant les « politar([ues » (xvii. 6-8). Ce titre était tellement insolite qu’on a voulu croire tout au moins à une faute matérielle dans la tradition manuscrite des Actes. Mais, si aucune source littéraire, à part S. Luc, ne nous signale l’existence de TOJtrv.py/.i en Macédoine et spécialement à Thessaloniquc, l’éjjigraphie est là pour attester leur réalité. Ils ai)[)araissent nolaiiiment clans plusieurs inscriptifuis de Tliessalonicpie. ef, V. g. Ch. MicuF.i,. Recueil d Inscriptions grecf/ucs, 1287 ; LiEiîicN.vM, St(idterveraaltung, p. 298 ; six de

ces inscriptions reproduites par M. ViGouRou ::t, Le Nou’eau Testament, 1. III, ch. iv.

A son retour de Macédoine et d’Achaïe, Paul passa par Ephèse ; il y revint au cours de sa troisième mission et y séjourna deux ans (xix, 10). C’est au cours de cette prédication [)rolongée que se produisit l’incident raconté au chap. xix des Actes, la sédition des « argentiers » Je ne sais si les Actes renferment des pages plus vivantes et plus mouvementées que ce petit récit de 16 versets ; nulle part, en tout cas, les mouvements tumultueux et irréfléchis de la foule n’ont été saisis et rendus avec plus de vérité. Mais ce qui nous intéresse davantage peut-être, c’est la richesse de connaissances et l’étonnant don d’observation que cette page décèle chez S. Luc. Il n’y a pas un détail du récit qu’on ne puisse appuyer de multiples citations d’inscriptions contemporaines. Si la corporation des c/.çyjf, o/.6~’.i, si puissante à Ephèse, ne nous est connue que par S. Luc, du moins en trouve-t-on de sendjlables à Smyrne (CIG, 3154) et à Palmyre (^Y.DDIXGTo^^ 2602) : 6 r.Y^p^y/.c-’-ji /.v.l yyj- ; ’y-/c’^i. Comme le fait remarquer M. CHAPOT(£fl prOi’ince romaine proconsulaire d Asie, p. 516), la mode était alors de déposer dans le sanctuaire, comme hommages à la déesse, des objets, parfois en marbre ou en terre cuite, en argent quand le pèlerin était riche, représentant une statuette ou afTectant la forme d’un petit temple, d’oii le nom de vKc ; qu’on leur donnait (xix, 2^). Le nombre de ces ex-voto était considérable ; un collège de jyo’^opci les portait dans les processions. La corporation vivait des pèlerinages : ce détail concorde au mieux avec ce que nous savons de la célébrité mondiale du temple d’Ephèse à l’époque romaine. Menacés dans leur négoce, les argentiers se réunissent tumultueusement au théâtre. ous pouvons reconstituer le cadre de la scène ; carie théâtre, fouillé d’abord par WooD (1866), a été entièrement dégagé par les archéologues autrichiens, de 1897 à 189g, cf. Pacly-Wissovv. , Realencrclopâdie, ^.. Ephesos, col. 28167. Dans cet immense fer à cheval, de i^o mètres de diamètre, pouvant réunir 24.500 personnes, ce sont des ois et des acclamations sans On ; deux heures durant (xix, 3^), la foule hurle : ixc/c/.’rr, >, Aprsyi :. Ce trait suflirait à révéler un témoin, car le populaire ne pouvait acclamer sa déesse autrement qu’en emplo ^’ant le titre même que les inscriptions lui donnent ; cf. Woou, Discoi’eries at Epliesus…, Inscriptions from tlie great Théâtre, n° i passim ; Seymocu DK Ricci, Proreedings of the Soc. of Inhlical Archæology, XXXIII, p. 396 et suiv. Comme dans les inscriptions, dans les Actes. Osc’i et Ozci sont employés alternativement pour désigner la déesse. D’ailleurs, S. Luc connaît les traditions é[)hésiennes, le « liscours du « secrétaire > eu fait foi (xix, 35). De fait, Ephèse se glorifiait d’être néocore d’Artémis ; elle le fut aussi des Césars divinisés, et ce doulile fait a de muitii)lesattestations aussi bien dans les inscriptions (v. g. DiTTENnKKGKH, Orii’ntis Græci, ! Si. /igS, 49^5 Srlloge-, 656) que sur les monnaies (Chatot. op. cit., p. 44’î suiv.). Il n’y a pas jusqu’à l’allusion mythologique au ôiîrsTù qui ne ré[)oiule exactement au contenu de nos sources (cf. Bkxndorf, Forschungen in Ephesos, I, p. 237 suiv., passim)- S. Luc ne touche pas avec moins de sûreté aux institutions locales : le /pv.u.iLCf.rsùi qui intervient, secrétaire ilu sénat ou du peuple, était un personnage, et l’on s’explique aisénunif l’ascendaul ([u’il jtrit tout de suite sur la foule. Son discours, si bref qu’il soit (xix, 35-40). n’est pas un résumé décoloré, il est plein défaits. Il est visible que l’orateur s’inspir(> d’aliord de la législation, qui châtiait certains délits touchant au culte. Or Woon a découvert, dans le théâtre, un texte, d’après lequel 1431

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li.Vl

la mulilalion des slaliies et des iniapi-es, ainsi que quelques autres délits, sont considérés comme iipoTjyt’y. xv.'t v.-réîîiy. (WooD, Inscriptions from the gréai Théâtre, i, col. iv, lig. 39-41). Qui sait si cen’est pas précisément à cette loi que le /pviJ.fj.y.Tîùi fait appel ? S’agit-il, au contraire, de griefs particuliers à la corp 0r.1t ion, il rappelle cpi’il y a des assises, des proconsuls. Sur le rôle du proconsul dans l’administration de la justice, cf. Chapot, op. cit., p. 35 1 suiv. L’expression irjopvXoi ay^vrat (xix, 38) trouve sa justiQcation dans l’usage épigraphique de la région (Dit-TENBr. KGER. Oricntis græci, bi’j, n. '^). Si au contraire la Ibule a d’autres questions à mettre en délibération, qu’on attende une assemblée « régulière " (Cuapot, op. cit., p. 208). Un détail cependant du récit de S. Lue demeure obscur. Il nous montre (xix, 31) quelques-uns des « asiarques » restés fidèles à Paul ; qvii sont ces asiarques ? Si la question demeure sans réponse certaine, la faute n’en est pas à l’auteur des Actes, mais au problème lui-même qui n’a pas encore été éclairci, cf. Chapot, op. cit., p. 468-489 et 617.

Des péripéties du dernier Aoyage de Paul à Jérusalem, nous ne retiendrons qu’un trait, car il répond pleinement à notre but. Paul est accusé par des Juifs d’Asie d’avoir introduit dans le temple des Gentils ; on se précipite sur lui, on cherche à le tuer ; l’inter-A’ention du tribun de la cohorte seule le sauva (xxi, 27-32). Cette haine pronqîte à s’assouvir devait se couvrir d’un prétexte. Le prétexte existait. Si l’on en croit Josèphe, le parvis des Gentils était séparé de celui des Juifs par une balustrade, et les païens avaient défense de la lYanchir sous peine de mort : des stèles, placées de distance en distance, rappelaient en grec et en latin la prohibition et la sanction (Josèphe, J./., XV, xi, 7 ; />., /., V, v, 2, VI, 11, 4). Mais nous avons mieux que l’autorité de Josèphe : M. Clermoxt-Gaxxeau a découvert, en 1871, une des stèles dont parle l’historien juif ; cf. He^'. arcliéoL, nouv. série, XXIII (1872), p. 214-234, 290-296 ; Ditten-BERGER, 617('e « ^i.s o^ ; Y/ec/, 598 ; ScHUERER, lI, p. 272, n. 55 ; Deissmann, Licht, p. 49. C’est cette sentence que les ennemis de Paul voulaient indûment lui appliquer.

On pourrait pousser bien plus loin cette enquête. Par exemple, il serait tentant d’accompagner Paul et Luc dans leurs voyages de Palestine en Asie, d’Asie en Europe ; de nous embarquer avec eux, de refaire, sur leurs traces, les longues étapes des routes de terre, enfin le dernier voyage, si dramatique, du prisonnier. Avec les anciens itinéraires, les récits des Aoyageurs modernes, en observant les paysages et les ruines, on arriverait à rendre tous ses entours au récit déjà si coloré et si vivant du « témoin ». Ce travail, M. Ramsay l’a accompli, cf..S7. Paul, tlie Traveller and the roman Citizen, 7' édit., 1903 ; The Cities of St. Paul, 1907 ; Pauline and other studies in early Christian History, 1907 ; I.uke the physician, 1908 ; mais, ajjrès lui, il y a encore à glaner, et, presque à toutes les étalées, nous rencontrerions des inscriptions dont le contenu souvent Aient éclairer le récit des Actes, et toujours jette une lumière plus abondante sur le milieu dans lequel s’est répandue la prédication apostolique.

B. Les Inscriptions et l’Eglise : i. Vie extérieure de V Eglise : a) le milieu ; b) la diffusion de l’Eglise ;

c) l’unité de l’Eglise (Ahercius) : d) les luttes et les divisions : 2. Vie intérieure de l’Eglise : a) le Credo ; b) les sacrements ; c) le culte chrétien : c.) liturgie, /3) culte des saints et des reliques ;

d) les institutions ecclésiastiques ; e) la yie morale chrétienne : c.) les vertus, fi) la conception de la mort.

Vouloir tirer des inscriptions une histoire de l’Eglise serait une chimère ; attendre même de ces documents des renseignements plus précis' ou plus détaillés que ceux que nous fournissent les textes littéraires sur les débuts de l’Eglise, ce serait s’exposer à une déconA’enue totale. N’avons-nous pas remarqué les causes qui ont rendu assez rares les inscriptions chrétiennes aux premiers âges chrétiens, et les difficultés qu’il y a à les isoler des textes païens ? Cette réserve faite, on doit affirmer que les inscriptions peuvent fournir un précieux appoint à l'étude du fait ecclésiastique. Xous en signalerons quelques aspects ; ils donneront une idée des détails intéressants que les monuments lapidaires fournissent, pour leur part, à l’historien qui ne dédaigne pas de se faire un moment archéologue. A seule fin de trouvcr un cadre, nous distinguerons dans l’Eglise sa vie extérieure et sa vie intime.

I. Vie extérieure de l’Eglise. — Dans quel milieu, sous quelles influences ou malgré quels obstacles, l’Eglise s’est-ellc répandue ; à quels signes se manifeste l’unité dans la dispersion ; luttes et divisions : tels sont les points relatifs à l’histoire extérieure de l’Eglise, autour desquels nous grouperons quelques faits empruntés à l'épigraphie.

a) Le milieu. — Si l’on dépouille le Corpus latin et les inscriptions grecques d'époque romaine, on est, avant tout, frappé de la grande diversité qu’elles nous révèlent de province à province. On constate de multiples degrés d’assimilation : ici à peu près complète, là beaucoup moins poussée. Le caractère national des peuples se trahit à maint détail. Ce que nous savions de la politique romaine, de ses compromissions hal » iles, de son art de ménager les transitions et les étapes : tout cela devient sensible dans les multiples divergences que nous constatons de province à j>rovince, de ville à ville. Nous retrouvons, dans les inscriptions officielles ou privées, dans les dédicaces ou les ex-Aoto, la Aariété presque infinie des institutions municipales, la mêlée des cultes, la population bigarrée des dieux locaux dont la personnalité survit, en dépit des efforts d’unification tentés parle syncrétisme ; la multitude irréductible des langues indigènes, toujours Aivaces et conservant les idées et les aspirations du passé sous le nouvcl état de choses. Il n’y a pas jusqu'à la physionomie morale des peuples qui ne se trahisse avi libellé des textes, à telle formule favorite. Comparez les Gaules à l’Afrique, l’Egypte à la Syrie, la Grèce à l’Asie, les proA’inces danubiennes aux Germanies : de tous côtés, les contrastes s’accusent, et l’on constate combien d’autonomies Rome eut l’art d’unir, sans les fondre, dans le grand tout impérial. Sans faire des comparaisons aussi distantes, il suffirait de passer en rcvue les proA’inces asiatiques pour s’apercevoir de l'écart de civilisation qui existe des proAànces de bordure aux états du centre, défendus de la romanisation par leurs montagnes, leurs antiques traditions d’indépendance, leur génie national, leurs cultes primitifs. Cependant, quelque divcrs que fussent tous ces

1. Il fuut cependant faire une exception pour certainstextes d’une importance spéciale, que nous ne saurions aborder dans un article aussi sommaire ; car ils dematidoraient, pour ctre mis en valeur, un commentaire détaillé. Parmi ces monuments nous aurions à faire une place de choix au « cycle pascal » et au « catalogue » dViuvrages gravé, au début du m' siècle, sur une statue représentant S. Hippolyte. L’importance de ce texte a été mise en lumière en dernier lieu par M. A. d’ALKs : nous ne saurions mieux faire que de renvoyer à son étude, La Tlu-ologis de-I S. Hippolt/tc, Paris, 1906, p. iii-xi, xliii-l, 151-158.

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éléments, tous, même les plus rebelles à l’assimilation, avaient trouvé leur place dans le puissant ensemble créé par les conquêtes et la politique de Rome. S’il n’y avait pas eu fusion, il y avait unité.

Celle-ci tenait d’al>ord à un pouvoir central exceptionnellement fort, qui savait être le maître, se faire accepter ou s’imposer. Mieux encore que l’histoire générale, les inscriptions nous font entrer dans le détail de cette action puissante et continue qu’eut l’administration romaine dans toutes les parties de l’empire. Non contente de j^^ouverner de haut et de loin, elle s’insinue juscpie dans les moindres détails, faisant régner l’ordre et la dépendance partout où la prudence lui commande de ne pas imposer l’absolue sujétion,

A ce premier facteur d’unité extérieure s’ajoutaient d’autres agents d’une action jikis profonde. Les voyages, le commerce, l’immigi’ation ne créaient pas seulement des courants d’échange ; ils étaient propres à faire cheminer les idées, à propager les influences, à transmettre les éléments de civilisation. Or les inscriptions nous font assez voir qu’on voyageait beaucoup dans l’antiquité. Il suffira de citer cette femme gauloise qui lit 69 étapes pour aller en Italie « commémorer la mémoire de son mari très doux » CIL,

V, 2108) ; ces deux toutes jeunes lilles, Maccusa et Victoria, venues de Gaule en Macédoine, ob desiderium a’uitculi, et mortes peu après leur arrivée à Edesse (compléta cupiditate amoris…, fati miinus complerimt), Bull, de curr. hellén, 1900. p. b ! -2Athena, XXIII, p. 22 suiv. ; ou encore ce marchand d’Hiérapolis qui se vante d’avoir doublé ^2 fois le cap Malée

(DlTTEXBERGER, Syll.-, 872).

Dans ce dernier cas, les traversées avaient pour but le négoce. Or ce renseignement n’est pas isolé : nous suivons, aux inscriptions qu’ils ont laissées, la trace des hardis commissionnaires de l’antiquité. Nous connaissons les gros négociants organisés en corporations ou sociétés qui tiennent les grands einporia de Délos, d’Alexandrie ou de Pouzzoles ; nous connaissons leurs pourvoyeurs, par exemple ces chameliers de Palmyre dont les caravanes allaient chercher, sur le golfe Persique, les denrées d’Extrême-Orient et les convoyaient vers la côte méditerranéenne ; nous retrouvons le long des fleuves de la Gaule, les factoreries et les boutiques des détaillants étrangers. Souvent, le hasard du colportage les amenait à se fixer là où les retenait leur négoce, et c’est ainsi que les Orientaux essaimaient en Occident, marquant de leurs colonies tous les marchés de quelque importance, de Rome à Pouzzoles, jusqu’à la Bretagne et la Germanie. Cf. P. Schefi-eu-Boi-CHORST, Zur Geschichte der Syrer in Abetidlande (Mittheil. d. Instit. f. bsterreich. Geschiclitsfovschung,

VI, p. 521-550) ; L. BRKniEH, /.es colonies d’Orientaux en Occident, au commencement du moyen ài^e (Byzantinische Zeitschrift, XII, p. 1-89 ; V. Pahvax, Die Nationalitat der Kaufleute im rômisclien Kuiserreich, 1909). Marchands et soldats — l’Orient en fournissait beaucoup (cf. Scueeeeu-Boichorst, Bréuieh, Parvan)

— apportaient avec eux leurs idoles et leurs cultes, et c’est ainsi que les divinités orientales, en moins <le deux siècles, firent à peu près le tour du monde romain, recrutant ]>arlout des adeptes, s’installant dans les laraires privés ou dans les chapelles publiques, bientôt assiégées de dévots.

h) La diffusion de l’Eglise. — Il fallait rappeler tous ces faits, dont les uns allaient tourner à l’avantage du christianisme, taudis que les autres devaient lui faire échec, pour se faire une idée des clartés (des side-lights, comme disent les Anglais d’un mol expressif) que les inscriptions projettent sur l’histoire de la diffusion du christianisme.

D’une part, la grande unité impériale a facilité, dans une certaine mesure, l’unité de l’Eglise ; les communications, si largement ouvertes et si faciles, ont rendu possible l’action à longue portée des premiers prédicateurs, et expliquent comment, en un siècle et demi, le christianisme put apparaître sur toute la périphérie de la Méditerranée ; les centres orientaux, dès qu’ils se sont alimentés par des recrues chrétiennes, sont devenus des foyers religieux, qui immédiatement, rayonnèrent dans toute leur clientèle ; enfln, il n’est pas jusqu’aux cultes orientaux qui, ayant ouvert rOccident aux pensées religieuses, venues de Syrie et d’Asie, n’aient frayé la voie à la foi nouvelle, en qui ils devaient trouver une rivale obstinée et bientôt victorieuse.

Ces circonstances favorables au cléAeloppement du cliristianisme avaient ailleurs leur contre-partie. Sans parler des obstacles ii-réductibles d’ordre moral, intellectuel et religieux : corruption de la vie, déformation des esprits, scepticisme et dilettantisme qui s’alliaient aux superstitions les plus tenaces et aux absurdités sérieusement admises de la magie et de la théurgie ; sans parler des diflicultés que la religion nouvelle présentait aux esprits prévenus, — oi*igine vulgaire, patrons inconnus, morale austère, dogmatique intransigeante et exclusive, tout au i-ebours du syncrétisme régnant, — plus d’un des faits signalés plus haut devait entraver la marche conquérante du christianisme.

Nous avons constaté la diversité de caractère des provinces ; comment alors être surpris de voir la foi nouvelle faire ici de rapides progrès et là ne pénétrer " qu’avec peine ? Ainsi, en Plirygie, en Bithynie, en Proconsulaire…, elle semble avoir trouvé un sol propice, et bientôt la levure nouvelle soulève toute la masse ; mais, dans d’autres provinces de l’Asie, la résistance se prolonge, et les progrès de l’évangélisation se heurtent à des oppositions persistantes. Nous voyons subsister jusqu’au v’et au vi* siècle, les langues indigènes : mysien, isaurien, lycaonien, cappadocien, celtique, gothique, lycien… cf. Holl, Das Fortlehen der Volkssprachen in Kleinasien in nachchristlicher Zeit {/fermes, 1908, p. 2^0-254). Cette ténacité des vieux idiomes isolait les groupes’ethniques hostiles à la culture grecque, et les fermait à l’action catholique de la foi nouvelle. Aussi constatons-nous, dans la majeure partie de cette Asie qui donna à la semence apostolique sa première moisson, à côté de provinces renouvelées, des districts rebelles, où la vitalité du paganisme se maintient surtout dans les campagnes, où les superstitions séculaires gardent leurs attaches profondes, où les sectes rivales, fermées à toute action de l’extérieur, pullulent sourdement. Dans certaines proA inces, Ihostilité n’avait l)as encore désarmé à la veille du trionqihe final de l’Eglise : une inscription d’Aricanda nous a conservé une supplique des habitants de Pamphylie et de Lycie à Maximin, Constantin et Licinius, jiour leur demander de jirotéger le culte des dieux et de mettre fin au scandale impie du christianisme. Cf. Dict. d’Arc/i. chrét., s. v. Aril.anda.Ces diflicultés, le christianisme ne les rencontra pas seulement en Asie, nous les voyons fermer à l’évangélisation tout l’arrière-pays des côtes phénicienne et syrienne, qui complèrent, dès l’origine, dans les cités hellénisées de florissantes églises ; on sait jusqu’à quelle date le i)aganisme gaulois continua de se maintenir en dehors des grands centres, pénétrés d’influences asiatiques et grecques et ou erts dès la première heure à la foi nouvelle : dans une certaine mesure, hellénisation et conquêtes du christianisme se correspondent. Encore ne faudrait-il pas dépasser la I i)orlée de cette formule : de bonne heure, le christial’435

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nisme pénétra là où riiellénisiue avait échoué ; combien de jieuples barbares sont venus à la foi sans passer par la culture grecque ! L’iiellénisation seconda l’apostolat, mais à elle seule elle n’explique rien. Pour le détail voir Harnagk, Mission, II, p. 70-262 et un excellent opuscule de J. Rivière, La propagation du Christianisme dans les trois premiers siècles d’après les conclusions de M. Harnack, Paris, 190^. Le Blaxt (Recueil, pi. 98, cf. p. xli-xliii), a dressé pour la Gaule une carte épii^rapliique : la densité et î’àge des inscriptions rendent sensiljles, en une certaine manière, les étapes de la cliristianisation des provinces gauloises. Histoire ? non sans doute, pas plus que les arasements de murailles que la pioche du fouilleur met au jour ne sont le monument antique ; mais CCS pierres dispersées ont un sens i)Our qui sait les interroger : les unes marquent l’orientation d’une muraille, un détail révèle Tàge de lédi-Gce, un autre sa destination, un autre quelque chose de son décor. De même, les milliers d’inscriptions chrétiennes qui surgissent dans toute l’étendue de l’empire romain, de l’Espagne à l’Euxin et à la Mésopotamie, de la Bretagne et de la Germanie au limes africain et au Soudan, ne nous disent pas toute Thistoire de la diilusion de l’Eglise ; mais l’une nous révèle une date, une autre une église jusqu’ici inconnue, celle-ci un évêque, celle-là un saint, celle-ci le nom d’un fidèle, cette autre celui d’un martyr, d’autres enfin un acte de foi ou une invocation qui se répète d’un bout à l’autre du monde traA ersé par la religion nouvelle. Aussi n’y a-t-il rien de négligeable dans ce qui nous rend une connaissance plus précise ou plus détaillée de l’incomparable miracle moral qu’est la diffusion catholique de l’Eglise.

c) Unité de V Eglise (Ahercius). — En se répandant, l’Eglise ne se dispersait pas : elle assimilait les paj’s les plus divers en resserrant plus fort le lien de son unité, réalisant sans elfort le résultat devant lequel les armées et la politique avaient échoué. Ce sont les éléments du même credo qui se retrouvent dans les invocations qui se font écho dans les épigraphes, de la Syrie à la Gaule ; partout nous retrouvons même hiérarchie, même rites, mêmes croyances : « un Seigneur, une foi, un baptême », eoiume écrivait saint Paul aux Ephésiens (iv, 5), et comme le répète après lui une acclamation chi-étienne de Syrie (Prentice, AAE, 204). Mais cette unité de l’Eglise se manifeste encore d’une façon plus concrète et plus saisissante dans un des textes chrétiens les plus anciens, la fameuse inscription phrygienne d’Abercius, que de Rossi proclamait, avec un enthousiasme dont on n’est pas revenu, « la reine des inscriptions chrétiennes ». L’importance de ce texte, les polémiques passionnées qu’il a suscitées nous obligent à entrer ici dans quelque détail, mais sans la prétention ni l’espoir d’être complet. Il suffira d’avoir indiqué quelques faits principaux et renvoyé, pour la discussion des j)rol)lèmes, aux travaux spéciaux.

Les passionnaires grecs contiennent, à la date du 28 octobre, une vie d’Abercius, assez mal notée parmi les hagiographes jusqu’au jour où une découverte inattendue vint lui rendre un peu de crédit. Dans la vie, se trouvait insérée une éjiitajihe, en vers d’un mètre un peu hésitant, que l’évêque Abercius aurait dictée pour être gravée sur sa tombe. Ce petit poème avait participé à la défaveur qui pesait sur l’ensemble de la rédaction, et dom Pitra, tout en rétablissant assez heureusement le texte, n’avait pu parvenir à dissiper toutes les défiances. Mais voilà qu’en 1881 Ramsay découvrit à Kélendres, près de Synnade, en Phrygie Salutaire, une inscription funéraire, datée de l’an 300 de l’ère provinciale (216 J. -G.),

qui présentait avec le texte de l’épitaphe d’Abercius des rencontres si singulières, que le hasard ne suffisait pas à les ex|)liquer. Ramsay, Cities, p. y20-’j22 ; I)ici. d’Arch. clirél., s. v. Abercius, col. G9. Un vers en particulier dénonçait le jîlagiat, car le nom d’Alexandre, substitué à celui d’ASsptî ; , brisait la mesure et trahissait l’adaptation maladroite. L’épitaphe d’Abercius n’était donc pas simple élucubration d’hagiographe. On serait demeuré sur ce premier résultat, si le hasard n’avait fait royalement les choses. Deux ans après, repassant par Hiérapolis, M. Ramsay découvrait, encastrés dans la maçonnerie des bains, à 3 milles au sud de la ville, deux morceaux de la propre épitaphe d’Abercius (Ramsay, Cities, p.’J22--29). L’inscription suspectée était définitivement authentiquée par les précieux fragments. Restait à l’interpréter. Vu son importance, il est opportun d’en reproduire ici le texte et d’en donner la traduction. Dans la transcription courante, des capitales indicjuent les parties qui se lisent sur les fragments conservés au Vatican et reproduits plus d’une fois. Voir Nuo’. Bul. di Arch. crist., i, pi. iii-vii (à la grandeur de l’original) ; Bict. d’Arcli. chrét., s. v. Abercius (belle planche) ; Syxtus, tab, R, etc.’Ez/îzTv ;  ; 7ïo’/.£Wç é Tr5/£(Tv ; ç tîOt s~51V ; 3-a t^ôfj t’y ky’ji X’y.ifiôi jcjy. ! zri ; vjOo. dé’jiv. o’Jvou’'Aoépy.ioz iiv à (/.y-ô/jr/ ;  : 7T0t//£’vî ; âyvsO Oi ^dzy.ii Tcpo^v.zw sr/e/a ; op-71v ~ ; dtoti tî 5 à^ôy./y.’jiii ô ; ip^ît tj.zyv./.OJi TZ’Jyrr, /.y.d-jp’jivrv-i

cvrî ; yy.p ft’èotoc^î (rà ~o>f, i) ypv.y.ij.y~v. TTtrroi, EISPQMHv’iz ïnirlv, EiMENBASIAscy.v yBp7, 7Cf.i KAIBAXIAIS T « v /ô- ; <v ; ^p757 TOAON XI’.T : - : o"t ; oy. AAONAEIAOX îaH jyM.r.rA-, S<[)PArElAANE ; ^5vra. 10 KAlSVPlHSnE<55v îriîy KAIASTEAIIAvTy-m-uZi-j EVOPATHXAIA Zd-.- r.’jy THABSXOXZVXOye’ ; '.-^ ;.

IIAVAOXEXOXEIIO IIlSTIi : -Oy-r, iï r.pof. ; KAinAPE0HKE rp-y^-’OAXTHlXeVX à-i r-vj-rA

nAXMErE0HKA0’y., ov. îv EAPAZ : ATOnAP0£v5 ; âyvv ; ,

15 KAITOVTOXEnE5co^î ç, , AOlSE : i : 0<ît> ^<à TTK.-i ; ctvîv P^îv ; ttÔ> iyvjzv., y.ipy.’jij.y. oio : , j’ : y. y-sr’v.pzyj.

Tî^JTK TÏK^îTTW ; , ttn5V’AQîpi’.tO : ôlOt ypor.^ ?, lV.l,

k^oo’jr, <^7ro’j âro ; xkj os’jzspov y, yvj « /./iÔojj. tk09’5 vîîiv îi/|atS’XiT.ïp’X^kpy.ivj Tic/. : i tjvwo ; ’ ;. 20 îJ y.îvrît T’Ju.Qu Tiç èy.’j} izcpdv zivv. dri<7H.

et 0’ouv.’Po)/j.v.c’jyj tv.’j.sio) ÔTiTSi Si^yOïv. ypj^y., y.y.i ypr17rfj ~rx.zpiOi lîpoTTo’Jii VM’-V- y.p’^^

« Citoyen d une ville distinguée, j’ai fait ce [monument

] de mon vivant, afin d’y avoir un jour une place pour mon corps. Je me nomme Abercius, je suis disciple d’un saint pasteur, qui fait paître ses troupeaux de l)rebis sur les montagnes et dans les plaines, qui a de grands yeux dont le regard atteint partout. C’est lui qui m’a enseigné les écritures sincères. C’est lui cpii m’eiivoya à Rome contempler la majesté souveraine, et voir une reine aux vêtements d’or, aux chaussures d’or. Je aIs là un peuple qui porte un sceau brillant. J’ai au aussi la plaine de Syrie et toutes les villes, Nisibe au delà de l’Eujdirate. Partout j’ai trouvé des confrères. J’avais Paul…, la foi me conduisait partout ; partout elle m’a servi en nourriture un poisson de source, très grand, très pur, péché par une vierge sainte. Elle le donnait sans cesse à manger aux amis ; elle possède un vin délicieux qu’elle donne avec le pain. J’ai fait écrire ces choses, moi, Abercius, à I’àge de soixante et douze ans. Que le confrère qui les comprend, prie pour Abercius. On ne doit pas mettre un autre tombeau au-dessus du mien, sous peine d’amende : 2.000 pièces d’or pour le fisc romain, 1.000 pour ma chère patrie Hiéropolis. »

Comme l’écrivait excellemment M. L. de Graxdmaisox :

« A qui lit sans idée préconçue cette inscription l’.37

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|et se souvient des symboles cliers entre tous à la iipiété de l’Eglise primitive — le bon Pasteur, le Pois1 son figuratif du Christ, le pain et le vin eucharisti, jues, le sceau baptismal — son origine chrétienne

;  ; aute aux yeux. L’exégèse de certaines parties a sans

^ : loute ses difficultés, mais Tensemble est clair. » Etudes, t. LXXI. p. 440.

Cette constatation frappa au premier alîord les criliqnes. Zahn, Lightfoot, Y. Scholtze, Ramsay, d^ Rossi. DucHESNE, et, dans les controverses postérieure. WiLPERT, Marucchi, Pomjalowski, Grisar, Kauf MAXN, WEnOI-ER, PaTOX, DE SaXCTIS, BaTII- FOL, RoCCHI

, M prononcèrent avec décision pour le christianisme Ijlvbercius. Le sentiment n’entrait pour rien dans ces Jiiflirmations ; elles reposaient sur des faits précis Vpi’une lecture attentive du texte permet facilement’le colliger.

l’j) Abercius a été à Rome, et y a vu la majesté de Eiilise romaine, reine du monde chrétien ; 2") il y a . u aussi le peuple des fidèles marqué du sceau éclaant (du baptême) ; 3") il a trouvé partout des chréitns ; [")ix foi lui a servi de guide ; 5"^) elle l’a nourri poisson (J.-C), né de la Vierge ; 6’^ Abercius et 1’^ autres tidèles recevaient J.-C. sous les espèces du luiii et du A in. Qu’il n’existe pas de trace du culte 1 Abercius, ni d’attestation suffisante de son épisco-Kit ; qu’il soit ou non identique à V W’yjif, yio-_ Mkczî/vî ; I KrsÈBE (Hist. ecclésiast., Y, 16 ; P. G., XX, 46/t) ; que a-y.p’Jvj’j : , àyjr, de l’inscription soit Marie, l’Eglise ou

: rrt ; personniliée : ce sont là, après tout, f(uestions

1 ; ondaires. Il n’en demeure pas moins certain tjue a primauté du siège de Rome, le symbolisme du Miisson, le baptême, l’eucharistie, tout cela est attesté liir l’inscription d’Abercius pour le milieu du 11* sièle après J.-C.

De ces faits se dégage nettement 1 importance apologéii [ue de ce monument. Elle est de tout premier ordre, iiissi conçoit-on l’embarras de ceux qui se refusent à enendre parler de catholicisme avant Irénée. S’attacher uniquoment aux points difficiles, sans tenir compte de tout ce [lie le texte présente d’indubitable, baser sur quehpies inits plus vagues des hypothèses vertigineuses : telle était I seule voie ouverte à qui prétendait réagir contre lexpliiition obvie du texti’. On s’y engagea résolument.

< ;. FicKicr., en 18’. »’i, soutint que le texte était païen et vbercius myste de Cybèle et d’Attis, le divin « poisson ». i-outenir ce j)aradoxe, FiCKER dépensa un grand luxe d’hy1’liiéses et cela suffirait à le réfuter. Cependant DL"t : HESNK, M Hossi, ScHui.TZE, Makucchi répondirent vertement à l’Ile thèse, qui, il faut l’avouer, trouva peu de partisans utiaincus, si l’on excepte IIiis( : hfi ; i, d et Hak.nack. g| Une attaque sérieuse demandait plus de mesure : Har-ACK le compi’it ; l’année suivante, il essaya de rendre cceptablele système de Fi( ; KKi(, en envelopjjant dans une mprécision calcuh-e les affirmations trop radicales de son levancier. Il so garde bien de nier le caractère chrétien l’une bonne partie de l’insci’ijttion ; mais il essaie de le neltre en conli-adiction avec ipjelqnes autres délails du exte, dont il g-rnssit à dessein l’importance et la signifiation. Il n’est plus question de paganisme tout cru ; mais e texte n’en est pas moins disqualifie : oji en fait le proluil d’un syncrétisme asiatique, où s’amalgament les leli : ions solaires de Pliiygiee ! les mystères cbrétietis. L’eérè 9eétaitarhilrairc, ZAn.N le ])roclama nettement : Duchesnf. le fut pas moins catégorique.

La passe d’armes n’était j)as finie ; quelques mois plus ard(18’.lC), DiFTEUicu relèvele gant. Reprenant l’hypothèse’e FicKfKjil dépensa à la rendre vraisemblable une éruption considi’rable..bercius devient entre ses mains un irêlre d’Attis, envoyé à Home par son dieu ou j)ar lacunrérie qu’il()réside, pour aller as>islei’aux nocesrpi E ! a ; , ’-al)al il célébrer entre la pierre noire d’Emèse {)'>.’, /) et la Coelesi _8 de Carthage. Dans la pomiie des fêles, il vit défiler la lierre ( ».ov) aux saillies luisantes : le « saint pasteur aux , Tands yeux dont le rdgard.alleint partout », c’est Attis ; es « écritures sincères », les caractères ma^’iques de son iilte : les « confrères » partout rencontrés, les adeptes du

dieu ; « Pistis « qui conduisait le voyageur devient « Nestis », une divinité sicilienne qu’on naturalise en Asie Mineure et identifie à Derceto, pour jtouvoir substituer au ((poisson de source, très grand, très Jiur, péché par une vierge sainte » les poissons sacrés d’Atargatis, que seules les prétresses avaient le droit de pécher.

Tout s’explique trop bien, pour qu’on ne distingue pas un peu partout le tour de main sollicitant habilement faits et textes. Mais cette exégèse avait du moins l’avantage de discréditer un texte embarrassant ; on ne lui fut pas sévère. Do.MASZEWsKi, HEPi’uiNG(.4^<ts, 1903, p. 81-85, 188, S. Rei-NACH (il s’est depuis rétracté, Orpheus, p. 30) se déclarèrent convaincus, pendantque d autres critiques, plus indépendants ou plus sincères, comme F. Cumont, protestaient avec énergie contre l’audace de semblables manipulations.

Une thèse qui a résisté à de pareils assauts a fait ses preuves. Aussi bien, les attaques de la critique n’ont-elles lait que consolider la thèse du christianisme de l’inscription d Abercius. L’apologétique peut donc en toute conliance mettre en œuvre ce précieux monument. Nous aurons à le citer ailleurs comme un témoin de la discipline eucharistique et de la prière pour les morts, ici il sutht de noter les traits caractéristiques de l’unité de l’Eglise : ce ne sont ni les moins importants ni les moins appuyés. Abercius fait allusion à l’Eglise universelle, partout répandae, unie dans une même foi et participant aux mêmes rites sacrés. Pour venir après la Didaché, l’épilre de Clément de Rome, les lettres d’Ignace d’.Antioche et de Polycarpe, le Pasteur d’Hermas, ce témoignage ne perd rien de sa valeui- : c’est un anneaunlans la chaîne de la tradition, un anneau d’or. Cette Eglise qu’Aberciiis a trouvée identique à elle-même, de Phrygie en Syrie et de Xisibe à Rome, est un grand corps vivant dont la tête est à Roaie. Clément, Ignace, Polycarpe. Hégésippe, Denys de Corinthe témoignent que Rome, dans l’Eglise, est le centre nécessaire d’unité. Abercius rend hommage, à sa manière, il la primauté d’honneur et de droits de Rome : à 72 ans, il se rappelle que le saint pasteur l’a envoyé à Rome contempler cette « majesté souvei-aine et voir une reine aux vêtements d’or et aux chaussures d’or ». Sous cette périphrase chatoyante, le théologien qui comprend reconnaît la thèse catholique qu’affirme le voyage ad iimina, si l’on ose dire, de cet évéque phrygien, e’., sous le luxe d’épithètes où se complaît l’admiration du vieil asiatii|ue, il retrouve « rEg ; lise digne de Dieu, digne de gloire et d’éloge, digne du nom de bienheureuse et d’immaculée et présidant à l’universelle assemblée de la charité » qui avait, 70 ou 80 ans plus tiU. excite le lyrisme d’un autre oriental émerveillé, Ignace d’Antioche.

BiBLioGR. — Il suffira de renvojer à cinq articles, où l’on trouvera toutes les indications nécessaires et le résumé des controverses engagées autour de ce texte fameux. Cf. lie^ue des Questions hisluiujues, t. XXXIV, 1883. p. i-33(Dlciiesxe) ; Etudes, t. LXXI, 189- ; , p. 433-46i (L. DE Gr.axdmaison) ; lies’ue du clergé français, t. XII, iSy ; (Lejay) ; /^ict. d’Arch. clirét., s. V..41erc(f<A-(LEC.LERc ; Q) ; liùm. Quartalschrift,

1909, p. 87-112 (F. X. DŒLGEU).

d) Luttes et di’isions. — A son Eglise. J.-C. avait prédit la persécution (.1//., xxiv, 9 ; Jo., xvi, 2) ; Paul avait prémuni les fidèles contre le scandale de déchirures plus douloureuses (I Cor., xi, 19). La prédiction du Sauveur s’est réalisée, comme aussi la loi morale énoncée par l’apôtre : l’Eglise a été persécutée, les hérésies se sont efforcées de déchirer sa rolte sans couture. Persécutions et hérésies ont laissé des traces dans les inscriptions.

« ) Là même où elles ne rappellent lesou’eiiir d’aucun

martyr, lescalacombes témoignent déjà éloqueniment des j)erscculions qui conlraignaiiut l’Eglise à se cacher. Mais les souvenirs plus posilil’s sont extrêmement noiubreux : les inscriptions de l’Orient et de l’Occident rappellent la mémoire des martyrs et le culte dont ils étaient l’objet. Etienne le jirotoiuarlyr, Sergios, Léoutios, Racchos. Tliéodoros eurent des dévols dans tout l’Orient, et l’Occiilenl ne les ignora point ; mais nulle pari, si l’on exce15teRome, le nombre 1439

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des témoignages relatifs aux martyrs n’est aussi considérable qu’en Afrique. Ils ont été réunis par M. Monceaux (Enquête sur l’Epigraphie chrétienne d’Afrique, IV. — Martyrs et Reliques, dans Mémoires présentés par divers sa-anls à VAcad. des Inscript., t. XII, i"^’partie), qui a consacré une pénétrante étude à ces documents qui éclairent d’un jour si précis l’histoire des persécutions. Parmi d’obscurs héros, que la piété des fidèles honorait à l’égal des victimes plus illustres, nous retrouvons les noms de martyrs demeurés célèbres jusqu’à nos jours, et ce n’est pas sans émotion qu’on a appris la découverte récente de la pierre tombale des grandes martyres deCarlhage, Ste Perpétue et Ste Félicité, ensevelies a^ec leurs compagnons dans la Basilica Majorum (cf. Comptes rendus de l’Acad. des Inscript., 1907, p. 191-192, igS-igô, 516-531).

Il faut signaler, comme intéressant encore l’histoire des persécutions, les certificats de sacrifice dont nous avons conserA’é 5 exemplaires sur papyrus. Bien que leurs titulaires paraissent avoir été des païens, — et il ne faut pas s’en étonner, puisque l’édit de Décius visait tous les citoyens de l’empire et les obligeait tous à l’épreuve d’un sacrifice, — ces documents tiennent illustrera souhait ce que les écrivains ecclésiastiques nous racontent de l’épreuve imposée aux fidèles et du sort des libellatici. Cf. C. Wessely, Les plus anciens monuments du cliristianisme écrits sur papyrus, Patrologia Orientalis, t. IV, fasc. 2, 1906, p. 1 12124 ; Journal des Sasants, 1908, p. 169-181 (P. Foccart ) ; on y trouvera, avec le commentaire, la bibliographie de ces docimienls.

On a mentionné plus haut la pétition des païens d’Aricanda, demandant à Maximin de rouvrir l’ère des vexations contre les chrétiens. Peu de témoignages sont plus clairs sur l’état des esprits. A-ers 3 12, dans certaines provinces de l’empire.

De ce document il faut rapprocher une inscription récemment découverte à Laodicée de Lj caonie (LaodiceiaCombusta ) qui vient ajouter un trait nouveau à l’histoire des persécutions et nous donner le sens, sinon la teneiu", d’un des derniers édits portés contre les chrétiens, dont l’histoire n’avait pas gardé de traces. C’est l’inscription que l’évéque de Laodicée, Eugenius, fit graver siu* sa tombe. Il y raconte ses débuts dans la cai’rière militaire en qualité d’attaché à Vofficium du gouverneiu" de Pisidie. son mariage avec la fille du sénateur, romain C. Nestorianus ; survint redit de Maximin Daia, il confessa la foi dans les tortures ; rendu à la vie civile, il fut bientôt désigné pour l’épiscopat qu’il exerça pendant 25 ans ; évéque, il releva de ses ruines son église (détail des travaux) ; enfin, sa tâche accomplie, il se démit de ses fonctions pour attendre, dans la retraite d’un ermitage, la fin de ses joiu’s. Ce texte que M. Rams.vy n’hésite pas à rapprocher de l’inscription d’Abercius est un peu trop long pour être cité en entier ; il suffira d’en détacher les lignes qui en fontunmonimient historique de premier ordre :

lig. 5 !.’àkzôi a-ry.z’j ypo-joi /.e’/sj^co)^ j.o’i- : r, 7c/.Tr, : iT : l [^MjKçtu.tVsj

ÈTît Aiayi-JCjc r, ytu.o-Ji : ,..

L’édit de Maximin qui ordonnait aux chrétiens de sacrifier et leur défendait de quitter le seinice militaire dut être porté entre 807 et 312 ; Eugenius confessa la foi vers 310 ; l’inscription fut gravée entre 338 et 3^0. Voir le commentaire de cet important document par W. M. Calder (E.rpositor, nov. 1908, p. 389-419 ; avril 1909, p. 807-322) et W. M. Ramsay {ibid.. déc. 1908, p. 546-557 ; Lu/^e the physician, p. 339-351). Le texte a été reproduit par E. Preuschex

(Kiirzere Texte zur Geschicltte der alten Kirche u. des Kanons, p, 14g-150), a^ec quelques négligences, cf. Expositor, janv. igio, p. 51-55 [Ramsay].

fi) Comme les catholiques, les hérétiques gravaient des inscriptions ; nombre de ces textes sont parvenus jusqu’à nous et ajoutent quelques précisions, sinon à la connaissance des doctrines hétérodoxes, du moins à l’histoire de leur diffusion dans les provinces.

Ainsi une inscription trouvée à Dcir-Ali dans la région de Damas (Wadd., 2558), nous fait connaître l’existence en ce lieu d’une synagogue de Marcionites. Le texte est daté de 3 18 ; il Aient corroborer l’affirmation d’Epiphane, qui, peu d’années plus tai-d, témoignait de la persistance de la secte des Marcionites en Sjrie de son temps. C’est de plus la seule attestation épigrapliique de l’existence d’un lieu de culte public, consacré à une hérésie, et antérieur de plusieurs années aux églises chrétiennes les plus anciennes de la région.

Dans la Syrie du Xord. parmi de nombreuses inscriptions reproduisant le trisagion, il en est 4 où se trouAC insérée la formule de Pierre le Foulon (Puen-TicE. AAE, 6, 295, 822 ; cï.Monum. Eccles. liturg., p. cix et Bévue Bénédictine, XXII, p. 433-434) ; cette addition hérétique marque autant de centres monophysites. Le Montanisme a laissé des traces en Afrique et en Phrygie ; telle cette inscription qui porte la curieuse invocation : in nomine Patris et Filii [e^] Do{mi)ni Muntani (CIL. VIII, 2272) ; telle encore cette épitaphe de MîuvTKv/ ; , femme de Lupicinus, qui est qualifiée de /pîi."L’Mr, r.j-jy.’y-i/ : r, (Echos d’Orient, V, 1 48-149 ; VI, 6162 ; VII, 53-54)- Il est même probable que la mention

; /c-17r£Kvs : , qui se rencontre siu" quelques autres tituli

phrygiens, dissimule la Araie identité d’autres montanistes (cf. Raaisay, Cities, p. 491) Xoter une inscription manichéenne, à Salone, qui parait être unique en son genre : Bc<7sv. ttkc^evî ; , Ajgik, yiyyi/iv…., cf. F. CuMoxT, Rev. d’IUsf. ecclés., 1908, p. 19-20.

L’épigraphie gnostique est assez riche. Citons seulement l’inscription de FlaAÏa, à Rome, qui « désireuse de A’oir la lumière du Père…, s’est hâtée d’aller contempler les divins Aisages des éons, le grand ange du grand conseil, le Fils Aéritable, pressée qu’elle était de se coucher dans un lit nuptial, dans le sein paternel des éons » (CIG, 95g5rt, rej^roduit par Batif-FOL, Littérature grecque, p. 115).

Les textes de ce genre sont rai-es ; mais, par contre, quel n’est pas le nombre des petites amulettes à épigTaphe, dont les gnostiques propagèrent l’usage et qui sont si aljondamment représentées dans les col-^ lections d’antiquités chrétiennes ! (cf. Dicf. d’Arch. chrét., s. A". Abrasax, Basilidiens, Anges).

Mais, de toutes les épigraphies hérétiques, la plus riche et la plus instructivc semble être celle des Donatistes. Demeurée inaperçue ou négligée jusqu’à ces derniers temps, elle a été pleinement mise en lumière par M. P. MoxcE.vux, qui a montré tout le parti qu’on en peut tirer pour illustrer et compléter la littératiu-e polémique africaine du ia*^ et du a* siècle (Bew de Philologie, 1909, p, 112-161) Nous ne pouvons que signaler les points principaux de son étude si sagace et si érudite. Les textes donatistes actuellement connus peuvcnt se répartir en 4 séries. Le premier groupe (p. i 14-i 19) comprend les inscriptions graA’ées sur les monuments ou biu" ! nées siu" les bijoux qui reproduisent, isolément ou dans une formule phis étendue, la dcAÏse et le cri de guerre des donatistes, ce Deo laudes, leur « clairon de Ijataille » (Auc, Epist.. cviii, 5, 14). auquel répond le Bec gratias catholique. Comme l’écrit excellemment M. M., ces monuments, où se lit tantôt la dcvise I4’d

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des dissidents, tantôt celle des catholiques, sont les témoins les plus fidèles des querelles religieuses de ces temps-là, les interprètes les plus sûrs de la psychologie des foules. Ils aident à comprendre les âmes, en nous montrant comment la guerre entre les deux églises africaines se poursuivait juscpie dans les asiles de la prière et de la foi, jusque sur les murs, les piliers et les chapiteaux, les portes et les façades des Jjasiliques.

Une seconde série (p. iig-iSô) est formée des inscriptions monumentales donatistes ou antidonatistes, qui nous ont transmis lécho des controverses passionnées qui mettaient aux prises clercs et fidèles des deux églises rivales : principes et griefs réciproques, prétentions, espérances et rancunes des deux partis ont trouvé leur expression sur leurs édifices. A côté de la polémique de « tracts », il y eut aussi la polémique sur pierre : controverse directe à coups de formules ou d’acclamations, lutte indirecte à l’aide de textes bibliques habilement travestis. L’attitude provocante des donatistes se retrouve dans des formules sacrées : in Deo spera^’i nontimevo quitmlhi faciat homo ; — siDeus pro nobis qais contra nos ? — fideia J)eit et anibula ; — si Deus pro nobis, (jiiisad’ersusnos ? Leur prétention à la sainteté, à la pureté, à lajustice.se traduit dans les épithètes que leurs textes mettent en vedette : sancti, justi, bonis bcne : àprement ils revendiquaient le monopole de la catholicité, et ces disputes trouvent leur expression dans les inscriptions gravées sur leurs églises. A l’opposé, l’épigraphie catholique répond à tout ce fracas par des paroles de conciliation, des appels à la communion catholique {seniper pax, hic pax in Deo, pax I)ci Patris), de touchantes professions d’humilité, des allusions à la faiblesse de l’homme, à son caractère de pécheur, à la nécessité de la pénitence.

Les deux dernières séries (p. 187- 161) sont constituées par lépigraphie martyrologique donatiste et les épitaphes des schismatiques. On sait le culte que la secte, qui se disait « l’Eglise des martyrs », professait, non seulement pour les martyrs célèbres d’autrefois, mais encore pour les nombreux ciiampions du parti, tond)és dans les Ijagarres. Aussi, combien pent-otre de schismatiques parmi les martyrs, inconnus des liagiographes, que nomment les textes épigraphicpies de Numidie ! Mais, pour certains, on a plus que des présomptions : le diacre Emeritus qu’une dédicace pompeuse met sur le même pied que les saints apôtres, la moniale llobba, sœur de l’évêque Honoralus, — cæde traditnrum ^-exala. ineruit digniiatcm niartirii, — nous apparaissent comme des héros de la secte. Ils ne sont pas seuls. Il est curieux de mettre en parallèle avec ces épitaphes belliqueuses, d’où la piété est absente, la toucliante inscription rédigée par Augustin pour la tondie du diacre Nabor, donatiste converti, que ses anciens coreligionnaires assassinèrent :

…com’ersus paceni pro (j(iia) moreretur ani(n’il… vcruni niartyriiim K’cru est piclate prohat(um) (de Rossi, Inscr. Christ. U. //., II, p. /, 61) Les épitaphes de quelques sectaires, évêques, i)ré-Ires. diacres. conq)lèlcnt les renscignementsqne l’épigraphie africaine nous fournil sur le Donatisme. On voit que ces hund)lcs inscriptions, i)ieusenient recueillies par les archéologues, contribuent à éclairer l’histoire de l’Afrique, au temps d’Optat et d’Augustin.

2. Vie intérieure de l’Eglise. — D’autres séries de docuiiKiils nous l’oul ixiK’lrer jjIus avant dans la vie de l’Eglise, et nous livrent le secret de son unité, en nous montrant une sève unique qui circule dans tous les membres de ce corps : les âmes sont resser rées dans une même foi et nourries des mêmes sacrements ; la liturgie se crée et se codifie peu à peu ; le culte des saints et des martyrs maintient une étroite communion entre l’Eglise militante et l’Eglise triomphante ; les institutions ecclésiastiques se développent avec leur jihysionomie variable suivant les pro-A’inces ; la vie ascétique prend son premier essor ; la mentalité chrétienne se forme : sur tous ces points, les textes épigraphiques apportent leur contribution à la connaissance du fait ecclésiastique. Zaccaria, Gêner. Marucchi. le P. Sixte ont dressé des listes d’inscriptions, groupées en ordre logique ; on ne peut songer à reprendre ici ce travail, il suilira de rappeler quelques traits particulièrement significatifs sous (luelques rubriques : credo, sacrements, culte, institutions ecclésiastiques, vie morale chrétienne.

fl) Credo. — Il n’y a pour ainsi dire pas un article du credo qui n’apparaisse dans les inscriptions : l’unité de Dieu, la Trinité, la divinité de J.-C, la Rédemption, le jugement, le Saint-Esprit, l’Eglise, la communion des Saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair, la vie éternelle témoignent dune foi qui trouvait une suprême consolation à sallicher au grand jour, quand les circonstances le l)ermettaient.

A ce point de ^"ue, les marbres de la Gaule sont de la plus haute importance (Le Blaxt. Recueil, p. 11) ; cependant les inscriptions de l’Orient ne leur cèdent pas en valeur démonstrative. C’est à elles que nous emprunterons quelques exemples ; car là seulement, tlans les ruines admirables de la Syrie, nous ti’ouvons des inscriptions qui sortent du type funéraire, le seul ou à peu j)rès qui ait survécu en Occident. Quand on a fait le départ des textes suspects d’intentions sul )erstitieuses, il reste tout un lot d’invocations el d’acclamations, réparties entre le iv’et le i’siècle, où la foi se manifeste dans l’élan de la prière. Ce que ces chrétiens orientaux, chrétiens tardifs peut-être, mais animés d’un zèle de néophytes, gravent sur leurs maisons, pour attirer la bénédiction de Dieu et donner à leur acte de foi l’éternité de la picri-e, cest avant tout l’allirmation répétée de l’unité de Dieu :

« un seul Dieu >i, « un Dieu unique », « un Dieu, un

Christ)i. « un Dieu, roi éternel ». A côté de l’afiirmation monothéiste, déli ou protestation à l’adresse du paganisme ambiant, les i)rofessions de foi trinitaire sont multipliées au point de paraître répondre aux clameurs hétérodoxes : « au nom de la Ste Trinité », « grande est la puissance de la Trinité « ; souvent, c’est dans une doxologie que se traduit le même article du s}nd)ole, et le « Gloire au Père, au Fils, au S. Esprit ». s’oppose, ainsi que le Irisagion catholi([ue à la l’oi-mule hérétique de Pierre le Foulon.

La foi qui se manifeste aussi explicitement est déjà uneju’ière ; mais condjien souvent elle insj)ire des invocations i)lus directes et plus pressantes ! Les appels à l’aide, à l’assistance, à la protection, à la miséricorde de Dieu sont exlrênienient frétiuenls. k Seigneur, souvenez- ous de moi dans votre royaume » ;

« Seigneur, secourez-nous > ; « O Dieu unique, vous

(pii aimez ceux cpù aous craignent » ; « Celui qui s’abrite sous la protection du Très-Haut, repose à l’ombre du Toul-puissant. Il dira au Seigneur : tu es mon refuge et ma forteresse, mon Dieu en qui je me confie » ; « Seigneur, aie i)ilié de moi » ; « Oue ta miséricorde se mesure à nos espérances » ; u Sauve ton peuple » ; « Seigneur, garde cela à ton serviteur » ;

« Marcpie cette maison de ton sceau et de celui de ton

Fils » ; « Christ, entrez » ; « Là où le Christ est bienveillant, c’est le bonheur pour l’homme » ; « Christ, tu as mis la joie dans mon comu*. tu nous a fait abon1443

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der de froment, de vin et d’huile, dans la paix ». On confie le seuil de la porte à Dieu et au Christ : « Ils garderont à jamais mon entrée et ma sortie » (i. e. toutes mes actions) ; « II me bénira à l’entrée et à la sortie. » On s’encourage en songeant que « c’est le Dieu des puissances qui garde l’entrée » ; « S’il est avec nous, qui sera contre nous ? » ; « Jésus, né de Marie, habite là ». Les appels à l’hôte divin se font plus pressants : « La victoire est au Christ, arrière Satan ! » ; « Le Christ toujours vainqueur est là, foi, espérance, amour. Il relève le malheureux de la poussière, il retire le pauvre du fumier » ; « Il est médecin et dissipe tous les maux » ; « Il est sauveur ». La croix participe à son rôle protecteur : « La croix est victorieuse » ; « La croix présente, l’ennemi est sans force » ; « Par ce signe je suis vainqueur de mes ennemis ».

Ces quelques détails — c’est un choix très restreint — sont des indices précieux qui nous permettent de constater combien profondément le christianisme avait pénétré ces populations, qui, longtemps, em-ent si mauvaise réputation. La même foi, les mêmes prières, les mêmes emprunts à l’Ecriture se retrouA-ent dans l’épigraphie funéraire ; mais là, ce qui ressort surtout, c’est la croyance à la résurrection. Quel devait être le sort des âmes justes, affranchies par la mort ? la vision immédiate ou l’attente, dans l’Hadès, du triomphe final ? Sur ce i^oint la croyance des premiers siècles était hésitante (Le Blant, Recueil, II, p. 396-411). Mais tous attendent jiour leurs morts la résurrection, s’attachant à cette vision d’espoir de toute l’ai-deur de leur foi. Nulle part, peut-être, cette attente de la résurrection n’est affirmée avec plus d’insistance que sur les marbres de la Lyonnaise : surrectura citm (dies) Drii adi-enerit, surrecturus in XP°, resiirrecturus cum sanctis in spe resuvrectionis vitæ aeternae, reviennent sur toutes les tombes. Le Blant s’est demandé pourquoi cette foi si explicite, si appuyée, alors qu’ailleurs elle s’exprime avec plus de discrétion. Soiqiçonnant que le dogme ne s’affirmait que parce qu’il était combattu, il a montré que, de fait, cet espoir de la résurrection, proclamé si haut, était une réponse aux doctrines gnostiques qui avaient fait tant de ravages dans la Lyonnaise (Recueil, n"’liù’j, 478 ; cf. t. II, p. 161-168 ; Nous’. Recueil, p. xxi).

On pourrait accumuler les exemples, comme aussi passer en revue les autres dogmes du credo. Quelques références suffiront. En attendant la résurrection, les corps des défunts sommeillent dans la tombe ; avant de moiu’ir, ils ont pourvu à la sécurité de leur dépouille, que la vigilance de leurs descendants entoure d’une sollicitude inquiète : des amendes, des anathèmes, des adjurations doivent les protéger contre les violateurs ; on ambitionne le voisinage d’une tombe sainte, pour bénéficier de la sécurité que garantit la présence des martyrs ; souvent même les saintes espèces déposées auprès de la dépouille mortelle lui assurent l’immunité contre les attaques du déiuon (Le Blant, Recueil, I, p. 896 suiv. et commentaire du n" 492 ; Nous’. Recueil, p. xxi ; cf. Dict. d’Arch. chrét., s. v. Ad sanctos, Ampoules de sang, notamment col. 1757-1759 ; Anges, col. 2141-2144).

On aura vite constaté que les éléments fournis par les sources monumentales ne donnent pas à la théologie historique une base indépendante suflisante. Nous pouvons du moins, grâce aux inscrii^tions qui contiennent des éléments dogmatiques, constater dans quelle mesure les écrivains ecclésiastiques traduisent la pensée de leurs contemporains ; discerner les pi-éoccupations de telles et telles générations, percevoir l’écho des querelles ; surtout retrouver quelque chose de la mentalité chrétienne des humbles, de ceux

qui n’ont pas écrit de livres, mais dont les modestes épitaphes sont venues à nous, alors que tant de savants commentaires se sont perdus. Dans ces insci’iptions, d’un grec ou d’un latin souvent bien incorrect et d’une lecture malaisée, nous entrevoyons quelque chose de ce qu’ont pensé, cru, espéré, aimé et attendu ces lointaines générations, si proches de nous dans la foi, et, du même coup, ces vieilles pierres prennent pour le chrétien qui les épèle un puissant intérêt : il y sent vibrer des âmes.

h) Sacrements. — Nous avons déjà parlé du saisissement causé par l’apparition de la Roma sotterranea de Bosio (163/J) : les Catacombes, livrant le secret du christianisme primitif, le montrèrent si voisin dans ses dogmes, sa discipline et ses symboles, de l’Eglise du xvi" siècle, dont le protestantisme proclamait la déchéance, qu’il y eut des conversions, les premières qu’ait opérées l’arcliéologie. Or, s’il est un sujet où la continuité entre la primitive Eglise et celle d’aujourd’hui soit le mieux attestée par les monuments, c’est bien sur certains points de la discipline sacramentaire. La preuve en est facile, bornons-nous à quelques détails.

Le Baptême nous apparaît, dans nombre d’inscriptions, comme une nouvelle naissance : renatuSy mv.y.c/A-Mrjijîiç, renosatus ; on en conserve la date comme celle de la naissance à la xie^Monum. Eccles. liturg., n" 4224 ; Syxtus, p. 155-156) ; c’est une illumination (^M-ricry-s ;), le baptisé est un illuminé (vii^wriTTî ;) ; il marque d’un sceau, ^-^py.yic (cf. l’inscription d"Abercius ) ; il confère la grâce, tellement que, pour signifier

« baptisé », l’expression « accepta gratia » fait

souvent place à des formules plus brèves, auxquelles personne ne se trompait : ’c consecutus », ^i perce pit » : par lui on devient « iidèle », fîdelis, pdelis factus, TTiTTîç. Voir Dictionnaire de Théologie, s. v. Baptême, col. 233-244 ; I^ict. d’Arch. chrét., s. v. Baptême ; Syxtus, p. 154 suiv. ; Doelgeh, Die Firmung in den Denhmâlern des christlichen Altertums, dans Romische Quartalschrift, 1905, p. i-41)’Le baptême des enfants est expressément attesté. Le petit Posthumius Euthemion, mort à 6 ans, venait de recevoir le baptême (Monum. Eccles. liturg., 3447) ; Ingeniosa est morte régénérée à 4 ans (Syxtus, p. 156) ; on connaît d’autres petits chrétiens de 3, de 2 et d’un an. Aucun texte ne révèle mieux la sollicitude des parents pour ces tout petits que l’épitaphe d’Apronianus, (7^0 » *' annum et menses nos’e{m) dies quinque, cum soldu (= solide) amatus fuisset a majore sua et s-idit hune morti constitum esse petis’it de Aeclesia ut fidelis de seculo recessisset (Monum., 3429). La mort vient-elle à prévenir cette pieuse hâte, on essaie de se persuader que Dieu se laissera toucher par tant d’innocence, et que la croix gravée sur la tombe couvrira de son ombre sacrée la faute originelle inefi’acée. Ainsi s’efforçaient de croire les parents du petit Theudosius, qnem pura mente parentes optabant sacro fontes baptismale tingui, improba mors rapuef, set summi rector Olimpi præstabet requiem membris, uhi iiobile signum præfîxum est cruces Chr(ist)ique vocavetor ères (Bueche-LER, Carmina epigraphica, I, 770). Sur ce dernier texte, voir Le Blant, Nous’. Rec, ° 33 1 ; Rev. d’hist. et litt. relig., XI, p. 232-239.

Comme le baptême anticipé, le baptême tardif apparaît sur les monuments éi>igraphiques. Un chrétien meurt à 35 ans, 57 jours après son baptême (Syxtus. p. 156) ; combien d’autres, enfants ou hommes faits, que la mort surprit au lendemain de leur baptême, et qui partirent avant d’avoir déposé l’aube baptismale « in albis recessit », << albas suas octabas Pascæ ad sepulcrum deposuit », cf. Dict. d’Arch. 1445

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chrét.^s. V. Aubes baptismales : Syxtl’s, p. lôg-iôo. Le plus louchant exemple de l)aptème in extremis est celui de la petite Julia Florentina CIL, X, 71 12) : qiiæ priciie nonas mariias ante lucem pagana Jiata… mense octas-o decimo et vicesima secunda die completis fïdelis fada hora noctis octava ultimiiin spiritum agens supei^i.rit horis qiiattuor.

Le l>aptème purilîait le néophyte, la Confirmation achevait cette renaissance, qui, commencée dans l’eau, se consommait dans l’Esprit. Nous savons que, dans la collation solennelle, le l)aptème et la confirmation étaient conférés simultanément, aussi ne faut-il pas s’étonner de trouver peu de traces de celle-ci ; ce n’est pas qu’on y ait attaché peu d’importance, mais c’est qu’elle ne faisait qu’un avec le baptême, dans le grand acte de la régénération complète. Cependant elle apparaît avec plus ou moins de probal)ilité dans plusieurs textes, sous des formules mallieiu’eusement trop peu précises : « criicem accepit », « frontem cruce membva fronte purgans y>. Un texte du milieu du iv* siècle est plus clair, c’est l’épitaphe de Picentiæ I.egitiniæ neopliyiæ die V kal. sep. consignatæ a Libéria papa CIL, XI, 4975). A partir du v^ siècle, les textes sont plus nombreux. Voir l’étude approfondie que Doelger a consaci’ée à cette intéressante catégorie tl’inscriptions.

Les traces de la Pénitence sont plus douteuses. Agere pænitentiam se dit de la vie religieuse CIL, XIII, 2877, cf. V, 74 15 ; HuEBNER, /. //. r/jr.. 42 ; CIL, V, 5420, XII, 2198) ; il se peut donc que tous les tituli où le mot apparaît aient Irait à des moines ou à des moniales ; cependant Le Blaxt a cru reconnaître des traces de pénitence in extremis dans l’inscription d’Ajdutor (vi’siècle), (/Ki post acceptam pænitentiam migras it ad Bniim(hE Bhxyrjlecueil, n" OaS ; CIL, XII, 690 ; cf. Le Blaxt, n" G6).

Les documents relatifs à VEucharistie sont autrement explicites. Il sullit de signaler les deux monuments les plus importants : l’inscription d’Abercius et celle de Pectorius.

Du texte phrygien, il sulhra de rappeler qu’on y trouve l’universalité de l’aliment eucharistique :

« partout elle m’a servi en nourriture un Poisson de

source, très grand, très pur, péché par une vierge sainte » ; probablement aussi la communion fréquente

« elle le donnait sans cesse à manger aux amis » ; le

caractère spéciûquement chrétien du rite : la « foi », les « amis », tout cela ne convient qu’à des disciples du Christ ; la communion sous les deux espèces : « elle possède un vin délicieux qu’elle donne avec le pain ».

Presque à l’autre bout du monde romain, mais encore dans la splière de l’influence asiatique, nous retrouvons un précieux témoignage des usages eucharistiques des premières générations chrétiennes gauloises.

En 1889. furent découverts à Autun des fragments d’inscription grecque (fnscriptiones græcae, XIV, a5a5). Dom Pitha reconstitua et édita le texte, connu depuis sous le nom d’inscription de Pectorius. Quelle que soit l’incertitude de certains compléments, on peut s’en tenir à la lecture que nous donnons ici.

^lyQjoi eiypy.v(vj ôîjîov vî’vî ; , viTO/st 5î//y(5 Xp7, 78^’iyZ’j)v T^r ; /’f^-j v.fxQ p’jr’jv h> fipozirjii 617niTij>v ùSarfwlv. Tr, v i’/ ; v, fUt, GcoTzeo’p-jylr.-j] 113x7tv « ïvàîj ; K/o’jToSdro’j îîpi’v ;  ;. ^’jiT ?, po, « -/t’uv fiùtr, héy.). ! /./j.oy.v[î ^p&71v], ëfOtz T.ivy.WJ^ îyQuv éywj T.y.’jv.ixv.i. : ,.’lyOùï yà^prr/X’] or.py.^)ùy.ij}y 2î77 : 5Ta aiinp, tu t’jôoi fx]^r, ^-zr, p, ai).iry.^oy.i, ç-ii ; rà Oy.WTWj.’Aayy.-jSts [nKT]î^, roifiCi >'.îyy ! p17u.ivî O-j/xû cùv f/.[r, Tpi -/J.’jy.ipft xy.t à51/j ; si’1î « 71y èu.^( » iv, ’l[yOjCi iîprrJ-f, îi^] p.-j-r, 7î0 lî/-’jpi’yj{-, ).

La première lettre des cinq premiers vers donne en acrostiche IX0Vil.

« Race divine du Poisson céleste, Aeille sur la

pureté de ton cœur, car tu as reçu, parmi les mortels, la source immortelle des eaux divines. Ami. réchauffe ton àme dans les ondes vives de la Sagesse qui porte la richesse aux hommes. Reçois l’aliment, doux comme le miel, du Sauveur des saints et mange-le avec avidité, en tenant le Poisson dans tes mains. Mon Maître et Sauveur, je veux me rassasier du Poisson ; que ma mère dorme en paix, je t’en supplie, lumière des morts. Aschandios, mon père chéri, avec ma douce mère et mes frères, dans la paix du Poisson, souviens-toi de ton Pectorios. »

Le texte est important, instructif ; mais encore ne faut-il pas en surfaire la valeur et le témoignage. Y retrouver la divinité de N.-S. J.-C, ses titres et ses noms de Sauveur, de Christ et de Jésus ; la prédication des oracles évangéliques, l’incarnation, la mention du cœur sacré de J.-C.. l’antiquité et l’elTicacité du baptême, l’eucharistie, l’antiquité et l’authenticité des paroles sacramentelles, la présence réelle, l’antique usage de recevoir l’eucharistie sur les mains, la communion sous une seule espèce, l’effusion de la grâce par la prière, la prière pour les morts retenus au purgatoire, la vision béatiGque pour les justes, l’intercession des saints : n’est-ce pas se laisser entraîner à de dangereuses imaginations, et mêler à la réalité la fantaisie ? Cf. Le Blant, résumant dom PiTRA, Recueil, n° l, p. 11.

Le monument garde toute sa signification, si l’on se borne à y reconnaître ce que fournit l’interprétation obvie du texte. Il suffit de noter ici la « source immortelle de l’eau divine », « l’eau toujours jaillissante de la sagesse qui donne les trésors et réjouit l’àme », cette « faim » que « rassasie » la nourriture

« douce comme miel du Sauveur des saints », expressions

qui sont toute une mystique de l’eucharistie ; le poisson qu’on mange en le « tenant dans ses mains />, dernier trait qui prouve indubitablement la communion sous l’unique espèce du pain. Enfin, il est utile de constater quel sentiment révèle une profession de foi relative à l’eucharistie gravée sur un tombeau. La réponse est fournie par Jo., vi, 50 : si quis ex ipso manducas’erit, non morietur in aeternum ; nourriture durant la Aie, l’eucharistie est aussi un gage de résurrection.

Les détails liturgiques que nous aA’ons relevés, ainsi que ces effusions pieuses, sont d’un vif intérêt ; aussi importe-t-il de leur assigner une date. Or rien n’est plus déconcertant que les conclusions chronologiques auxquelles se sont arrêtés les interprètes de l’inscrii)tion de Pectorius : les uns la font contemporaine des Antonins, d’autres la rabaissent jusqu’au VII siècle. La vérité est à rechercher entre ces deux extrêmes : au dire des juges les plus autorisés et lesplusmodérés, l’inscription, dans sa teneiu- présente, ne serait pas antérieure à la fin du m’ou au début d W^ siècle ; mais il est bien probable que le petit poème théologique qui en fornu- le début, sorte de passe-partout, soit beaucoup j)Ius ancien et date des premiers tenqis chrétiens. Si le fait est exact, on conçoit la portée de pareil témoignage en faveur de la communion sous une seule espèce, à une date aussi reculée. Mais s’agit-il de la distribution publique de l’eucharistie ou de la communion faite en dehors de l’église ? Voir Diction, de Théologie, s. V. Communion sous les deux espèces, col. 552 et suiv.

Les inscriptions relatives au Mariage sont très nombreuses. O. Pelka les a réunies (Altc/iristliche Ehedenknuiler, dans la collection Zur Kunstgeschichte des Auslandcs, V, 1901). De son étude se dégagent des conclusions intéressantes, v. g. sur l’âge I147

EPIGRAPHIE

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iiiibile soit des lioniuics soit des femmes, les secondes noces. Le chapitre iv, consacré au mariage des clercs (p. 70-94) mérite surtout attention. L’auteur a groupé les mentions de clercs mariés de tous les degrés de la hiérarchie, des fossores aux évêques : il relève ainsi 8 évêques mariés ; aucun d’eux n’appartient au clergé de Rome.

c) Comme la théologie sacramentaire, Vliistoire du culte chrétien rencontre dans l’épigraphie une auxiliaire imprévue. Quel([ues indications seulement, relatives à la liturgie et aux formes diverses du culte rendu aux saints.

a) Les liturgies chvétieriTies n’ont point été codifiées dès l’origine ; institutions vivantes, elles se sont lentement développées et ne nous sont bien connues qu’à partir du moment où elles atteignirent leur ultime détermination. Cependant, nous ne sommes pas dépourvus d’informations sur leurs stades antérieurs : les ouvrages des écrivains ecclésiastiques sont pleins d’éléments liturgiques, c’est de la liturgie « à l’état naissant » ; les inscriptions chrétiennes ne sont pas moins riches. Cf. Monum. Ecoles, liturg., p. xciicxxii et n°^ 2775 suiv.

Ainsi l’épigraphie funéraire contient par avance nombre d’acclamations, d’invocations, de formules déprécatoires, d’extraits scripturaires (v. g. du livre de Job, de S. Jean et des Psaumes) qui se retrouvel’ont dans les liturgies postérieures, et dont elles semblent bien constituer un des stades primitifs. Cf. Le Blaxt, Les bas-reliefs des sarcophages chrétiens et les liturgies funéraires (Rev. archéoL, 1879, II, p. 223 et suiA’.) ; Manuel, p. 88-94 ; L’Epigr. chrét., p. 5j-58 ; DuMONT, Bull, de corr. hellén., I. p. 321-827 ; J. KuLAKOAVSKi, Eiue altchristliche Grahkammer in Kertsch{Rbm. Quartalschrift, 1894, p. 48-87 et 809827) ; Bull, de la Soc. des. Antiquaires de France, 1901, p. 185 et suiv. ; J. P. Kirsch, Les acclamations des épitaphes chrétiennes de l’antiquité et les prières liturgiques pour les défunts (Congrès scientilicpie, Fribourg, X, p. 1 18-122) ; Lefkbvre, i ?ecî/e17, p. xxix-XXX, cf. Comptes rendus de VAcad., 1909, p. 153-161.

Nous avons déjà noté que les inscriptions de la Haute Syrie présentent, plusieurs fois répété et sous diverses formes, le trisagion orthodoxe, ainsi que la variante hérétique cx-éée par Pierre le Foulon à la fin du v’siècle. Ce sont là, vraisemblablement, des emprunts à une liturgie déjà codifiée, cpii s’est conservée jusqu’à nous sans modification. D’autres textes au contraire, — doxologies, citations scripturaires plus ou moins adaptées aux usages directs du culte,

— nous révèlent une liturgie du type de celles de S. Basile et de S. Jacques, mais néanmoins assez différente, pour que, grâce à ces modestes témoins de la

« lex orandi » syrienne, nous puissions remonter, 

par delà les liturgies de S. Basile et de S. Jacques, à leur arcliétype commun. Cf. W. K. Prentice, Fragments nf an earlv Christian liturgv in syrian inscriptions (Trans. and Proceed. of the americ. philolo^. association, XXXIl, 1901, p. 81-100) ; dumème, AAÉ, préface, p. S-16 elpassirn ; H. Leclercq. L’épigraphie liturgique de la région d’Antioche, dans Bev. Bénédictine, XXII, iQOÔ, p. 429 et suiv.

/5) Culte des saints. Le culte des saints — et é^-alement celui des anges — se rattache intimement à la croyaiicQ au dogme de la commimion des saints. Voir Diction, de Théologie, s. v. Communion des saints d’après les monuments. Frères des vivants, devenus puissants, les saints continuent à s’intéresser à leurs frères de la terre : ils les couvrent de leur protection ; c’est en leur faveur que leurs prières montent vers Dieu, conmie se lèvent leurs mains sur les fresques naïves cpii nous ont conservé la repré sentation de quelques-uns d’entre eux ; mais c’est surtout au moment de la mort et du jugement que leur intervention se fait plus active : on croit à leur intercession, à leurs supplications, à l’efiicacede leur médiation ; enfin ce sont eux qui introduisent au ciel leurs clients. Si les saints jouissent, au ciel, de la vision de Dieu, et si les prières peuvent monter à eux de partout, ils sont cependant censés résider d’une façon spéciale dans leurs tombeaux, dans les chapelles qui renferment de leurs reliques ou ont été érigées en leur honneur ; aussi, plus on s’en approchera, plus on s’imposera au patronage de ces puissants amis : leurs reliques ou leurs tombes gardent les villes et protègent les morts c{ui A’iennent dormir près d’elles. Ces faits nous sont connus par les plus anciens écrits chrétiens ; mais il n’est pas inutile de recourir au témoignage des inscriptions qui nous font pénétrer d’une façon plus intime peut-être dans ces relations, faites de confiance et de vénération, qui unissent l’Eglise militante à l’Eglise triomphante. Là encore, il faudra se borner à ne toucher que quelques points plus saillants, sans entrer dans le détail de mille traits touchants où se révèlent, dans leur piété naïve, les humbles âmes des premières générations chrétiennes.

Il n’j' a. je crois, aucune source comparable aix inscriptions pour la précision des détails qu’elles nous fournissent sur l’histoire du culte des saints, des martyrs et des reliques. Encore ne doit-on pas en aborder l étude sans préparation et sans précautions, L’épithète « sanctus », rencontrée dans n’importe quel texte épigraphicjue n’atteste pas toujours un culte et ne canonise pas le défunt. Cf. Analecta Bollandiana, XVIII, p. 407-4 1 1 : XXIII. p, 8 et surtout la belle étude du P. Delehaye, ibid., XX""III, p. i 45200. On n’a pas toujours évité des erreur » sur ce point ; il y a même eu des méprises particulièrement fâcheuses. Les vieux hagiographes n’y regardaient pas de si près : du 83’mille d’une voie romaine ils faisaient volontiers 83 soldats martyrs. Combien d’autres fois, en quête de saints inédits, n’ont-ils pas pris, à la lecture d’une inscription mal comprise, le Pirée pour un saint ? On ne saurait toujours le déterminer avec certitude ; mais il est certain que l’on rencontre, dans les martyrologes, quekjues saints ou martyrs dont l’existence et le culte n’ont pas d’autre origine. Tel serait, au dire des juges les plus compétents, le cas des prétendus saints Senator, Viator, Cassiodorus et Dominata, martyrisés au temps d’Antonin (Martrrol., 14 sept.) ; de S. Marcel, vicaire général de Théodose, et de 12 martyrs ses compagnons ; de S. Atilus, honoré à Trino (Piémont) ; de Digna et Mérita, épithètes canonisées ; autres exemjiles cités par Delehaye, L^égendes hagiographiques, p. 98 et suiv. : Dei.eiixye, dans Mélanges Paul Fabre, Paris, 1902. p. 40-50 ; sur le cas célèbre de S" Philomène, voir en particulier O. Marucchi, Miscellanea di storia ecclesiastica, II, 1904, p. 865-386 ; ?iuovo Bullet. di Archeol. crist., Xll, 1906, p. 253-800 ; cf. Anal. Boll., XXI’V, p, 119-120 ; Boxavenia, s. j., La questione puramente archeologicae storico-archeologica nella contro^ersia fîlumeniana, Roma, 1907.

Mais des erreurs accidentelles ne doivent pas diminuer notre confiance dans les données fournies par les inscriptions. C’est à elles, bien souvent, que nous devons les renseignements les plus précis sur la diffusion du culte de tel outelsaint. Qu’on prenne comme exemple, v. g. le culte de S. Georges (cf. Delen, iYE, Les légendes grecques des saints militaires, 1909. p. 47-50) ; ou, mieux encore, les dévotions africaines : nous voyons figurer parmi les saints honorés dans cette province, à côté de saints ou de martyrs du pays, des saints romains : S. Pierre et S. Paul,

S. Hippolyte, S. Laurent ; des orientaux : S. Etienne, S. Julien, S. Hésiodorus, S. Menas, S. Pastor ; peut-être aussi des saints gaulois et espagnols. Cf. Monceaux, Enquête (Mémoires), p. 7 et Rabeau, ].e culte des Saints dans l’Afrique chrétienne, igoS. Ce sont encore de modestes monuments archéologiques, le plus souvent munis d’inscriptions, qui nous font connaître, par exemple, l’universalité de la dévotion à S. Menas, ce martyr phrygien, dont le sanctuaire dans le désert maréotide fut un des lieux de pèlerinage les plus célèbres de l’antiquité. Cf. Bict. d’Arch. cfirél., s. V. Ampoules à eulogies, col. i’^2b-i’j'50 ; C.-M. Kauf.man.v, Ikonogriiphie der Menas-Ainpullen, Le Caire, 1910.

Non moins que la diffusion du culte d’un saint, les dévotions locales reçoivent un jour particulier des découvcrtes épigraphiques, et le départ se fait entre les traditions légendaires et la réalité. Un exemple des plus suggestifs a été fourni par de récentes découvertes en Dalmatie. Voir Deleuaye, L’hagiographie de Salone, dans Anal. BolL, XXIII, p. 5-18 et Jahreshefle de Vienne Beiblatt, X, col. 77-110 ; cf. Saints d Istrie et de Dalmatie, Anal. Boll., XYIII, p. 369-4 1 1.

Nombre de cultes nous apparaissent en pleine possession ; pour d’autres, nous pouvons presque renu)nter à leur origine : tel serait le cas de S. Trophime d’Antioche de Pisidie, martyrisé à Synnada, sous Probus (276-282). Le reliquaire du saint, conservé au musée de Brousse (Bull, de corr. hellén., 1909, p. S^1348), remonterait, au dire de juges autorisés, au début du iv^, et même probablement à la fin du me siècle. Ce serait une des plus anciennes attestations d’un culte rendu à un martjr.

Enlin, chaque dévotion a ses manifestations spéciales : nous ne pouvions manquer den retrouver la trace dans les inscriittions et les monuments archéologiques. Tel nom de saint est très en faveur, les fidèles le pi’cnnent souvent au baptême ; tels autres saints voient de nombreuses églises s’élever sous leur vocable ; quelques-uns sont réputés posséder plus de crédit que d’autres : on le constate aux tondjes plus nombreuses qui se serrent dans leur voisinage, aux graffiti des pèlerins venus de loin se recommander à leur intercession, aux ampoules à eulogies qui, avec l’huile sainte des lampes allumées devant leurs tombes vénérées, l’eau des sources miraculeuses, la terre des saints lieux cpi’elles renfermaient, faisaient rayonner bien loin leur inlluence. Cf. Dict. d Arch. clirét., s. v. Ampoules à eulogies ; Le Blant, Becueil, i ». cvii et II, p. /129 et suiv.

Veut-on un exemple plus caractéiistique encore, il nous sera fourni par l’Afrique. De bonne heure, le culte des saints y a pris une grande extension, qui nous est attestée, non seulement par les écrivains du paj s, par la riche série des relaliojis martyrologifpies, par plusieurs canons de conciles ; nuiis encore par d’innoiid)rables monuments retroués de nos jours : basili(4ues ou chapelles, tables d’autels, inscriptions de tout genre. Cf. //ec arcliéol., 190/1, I, p. 177 ; S. GsRLL, Les monuments antiques de l’Algérie, 1901, 2 vol. in-8’J. Ce dernier ouvrage énumère et décrit (t. ii, p. 107-31J3) 169 chapelles, baptistères ou basiliques dont l’existence a été constatée avec certitude ; beaucoiq) de ces monuments sont dédiés à des saints. En attendant un travail d’ensemble sur le culte des saints en Afri(|ia-, ipii repreiulrail et compléterait celui de M. IIaueai’, nous avons dn moins la bonne fortune de posséder d(jà une enquête conscieiu-ieuse sur les inscriptions qui mentionnent des martyrs, des saints ou des reliques <lans le nord de l’Africpu". M. MoNCKAix en a rele^ é environ 120, et le nombre s’en accroît cha(|vu-jour. Grâce à ces dociunents

nombreux, on peut dresser des listes de martjrs africains d’après les sources monumentales (Monceaux, Hist. littér., 111, p. 530-535 ; cf. Mémoires, p. 3 et suiv.), les confronter avec celles des martyrs et des confesseurs mentionnés dans les sources littéraires (Monceaux, /List, littér., III, p. 536-561), identifier les personnages, déterminer avec plus ou moins de rigueur leur époque et les circonstances de leur mort et séparer les martyrs donatistes des saints catholiques. Sur ce dernier point, voir 7 ?ei’. de Philologie, 1909, p, 112-161. Nulle part on ne constate mieux l’appui nuituel que l’archéologie et l’histoire peuvent se prêter, et l’on ne saisit tiussi clairement les i-ésultats précis qui naissent de cette intime collaboration.

Les inscriptions en relation plus immédiate avec les « reliques » sont pour nous d’un intérêt particulier. Les noms employés tour à toiu’pour désigner les parcelles A’énérées des saints corjjs — nomi/ia, niemoriae, reliquiæ — (cf. Bull, de la Soc. des Antiq. de France, 1898, p. 238-2^1 ; 1905, p. 208-209 ; ’9*^7’p. 285-286) ; la place qui leur est assignée dans les églises, dans la table même de l’autel, dans des reliquaires, urnes d’argile ou modestes colïrets de pierre ; les authentiques qui les accouqjagnent, gravées sur des briques, des tessons, des lamelles de plomb ou des plaquettes de mica : tous ces détails ont leur prix, ce sont les titres d’antiquité d’une des dévotions les plus chères aux cœurs chrétiens, et personne n’en récusera le témoignage. On n’est pas moins surpris de retrouver, dès le iv’siècle, à côté des dépouilles des martyrs et unies dans la même vénération, des parcelles de la vraie croix (Monceaux, n""* 297, 317, 319) : de cruce Dni, de ligna crucis, sancto ligna crucis Christi sah’utoris, — et de la terre sainte (ibid., n" 317). Le n° 317 serait le texte épigraphique le plus ancien relatif au culte de la vraie croix (.Jz/aL BolL, 1891, p. 367).

Tous ces documents de la dé^ otion africaine font écho au témoignage de la passion des Occidentaux pour les reliques (cf. Bréhier, Byz. Zeitschrift, XII, p. 35) et parfois aussi de leur naïveté : ne croyait-on pas posséder, à Carthage et à Calama, des reliques des trois jeunes Hébreux jetés dans la fournaise par Nabucliodonosor ? (Monceaux, n°* 23/j et 261). Les Français du moyen âge ne devaient pas montrer plus de déliance.

d) Institutions ecclésiastiques. — Sur ce dernier point, nous sommes encore en droit d’attendre des inscriptions des informations d’autant plus précieuses qu’elles ont à suppléer au silence des sources littéraires. Elles ne trahissent pas noire attente : églises locales mieux connues, traditions re^isées. fastes épiscopaux complétés, éèehes identifiés, personnel ecclésiastique et institutions religieuses reconstitués : tel est, sur ce point spécial, le bilan des résultats de l’épigrapliie et de l’archéologie.

Soupçonnait-on, à les voir figurer dans les listes épiscopales ou dans des énumérations île géographes, que des villes comme Madaba, dans la Transjordane, ou Androua, dans la haute Syrie, étaient, au début de l’époque byzantine, des centres chrétiens importants ; que Madapa renfermait douze églises prestpie toutes ornées de belles mosaïques, et que la petite ville syrienne, dont les ruines ne couvrent pas plus d’un mille carré, possédait dans son enceinte dix églises ou chapelles ? Se ferait-on une idée de la vie clirélienne et des constructions ecclésiastiques de la Syrie centrale, si les voyageurs (Vogué, Buti.eh, etc.) n’en avaient étudié les ruines et copié les inscriptions ?


Sans les découvertes archéologiques et épigrapliiques de Uamsay et de tant d’autres, nous saurions 1451

EPIGRAPIIIE

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bien peu de choses de l’Asie Mineure de Paul, d’Ignace d’Antioche, des grands Cappadociens. Il sullit de parcourir les Cities and Bislioprlcs ofPhrygia, ou V Ilistovical Geography of Asia Mliior, pour toucher du doigt l’importance de la contribution des inscriptions à la connaissance des églises de cette province. Détails, si l’on veut ; mais, en histoire, n’y a-t-il que les grandes lignes ? Cf. encore, à titre d’exemple, Ramsay, Luke the physician and other slitdies in the history of religion (iç^oS) : The chitrch of Lycaonia in the fourtli century, p. 329-/410.

Dans d’autres églises, des traditions locales ont suppléé l’histoire ; sur ce fond peu sûr, les légendes ont entrecroisé leur végétation parasite. Faire la part de la vérité serait souvent bien ardu, si, de-ci, de-là, une inscription, un nom d’évêque relevé sur une dalle funéraire, la date d’une église ou d’un tomlieau ne venaient fournir à l’histoire des appuis solides. L’épreuve a été tentée utilement pour la Dalmatie. Cf.ZmLi.ER, Bei>. d’hist.et de litt. relig., Xl, p. 198-218 ; 385-40’j et Les origines chrétiennes de la province romaine de Dalmatie, 1906 ; et les articles du P. De-LEHAYE cités plus liaut, col. 1449- La légende des 1 1.000 A’ierges de l’église de Cologne, compagnes de Stc Ursule, change bien d’aspect à la lumière de l’inscription de Clematius, qui nous reporte peut-être au milieu du iv" siècle. Voir l’article de dom G. Mo-RiN, Mélanges Paul Fabre, 1902, p. 51-64.

L’apport des monuments se réduisit-il à évincer de fausses traditions, ce serait déjà un avantage appréciable ; heureusement, nous leur devons surtout des données positives nouvelles qui enrichissent d’autant nos connaissances.

Nombre de textes viennent ajouter des noms aux fastes épiscopaux qui peu à peu se complètent ; d’autres nous révèlent l’identité d’évèchés dont le nom sevd nous était pai-venu dans des souscriptions conciliaires. L’histoire et la géographie ecclésiastiques enregistrent ces résultats et, de jour en jour, nous acquérons une connaissance plus précise des églises dont la fortune était liée à celle des métropoles.

Nidle part l’acquis n’a été plus important en cette matière qu’en Orient, Asie, Syrie et Arabie ; cf. Ramsa y, Waddington, BuuENNOw.Ces églises avaient un clergé dont la hiérarchie était plus ou moins complète ; quelqiies-unes vivaient d’une vie chrétienne très rudimentaire ; dans d’autres, l’essor Aers la perfection avait donné naissance à des institutions monastiques. Or, si les inscriptions de l’Occident latin nous font connaître une hiérarchie absolument complète, du lecteur et des humbles minorés aux évêques, archevêques et au pape, des couvents de religieux des deux sexes (cf. Le Blant, Recueil et Nouv. Recueil, passim ; Syxtus, p. 175-228 ; Diehl, n"" 17-92), il ne nous est pas indifTérent de retrouver pour l’Orient des renseignements parallèles. Ainsi la hiérarchie syrienne — métropolites, archevêques, évêques, chorévcques, périodeutes, archiprétres, prêtres, archidiacres, diacres, sous-diacres, acolytes, lecteurs — peu à peu apparaît, grâce à l’apport incessant des documents épigraphiques ; la connaissance du monachisine égyptien, syrien, asiatique s’enrichit de tous les textes qui nous font découvrir monastères et laures, abbés, archimandrites, higoumènes, moines, anachorètes, abbesses, moniales, diaconesses, et jusqu à ces femmes stylites que la renommée de S. Siméon embrasait d’une émulation inconsidérée. Voir index de Prentice, de Waddington, de Lefebvre ; sur les femmes stylites, Res’. Etudes grecques, 1904, p. 882 ; Anal. Boll., XXVII, p. 891-892.

e) Vie morale chrétienne. — C’est le sort des hum ides de disparaîtiNe sans laisser de traces : les annales’ne retiennent rien ni de leurs vertus ni de leurs souffrances. Cependant, plus encore que les personnages dont l’historien se préoccupe, les petits doivent avoir leur place dans la peinture du christianisme, qui est avant tout celle d’une immense transformation morale et de la religion des humbles et des doux. On conçoit donc le prix qu’auront les moindres’documents qui nous permettront de retrouver quelque chose de la physionomie des anciennes générations chrétiennes. Ces documents sont nombreux ; car, pour qui sait les interroger, les plus brèves épitaphes sont des témoignages du plus haut intérêt. On y retrouve l’empreinte des vertus morales comme des tra^œrs de ceux qui les ont fait graver ou y ont essayé eux-mêmes leur main inhabile ; sur ^i ces marbres soignés ou ces tessons frustes, un jour, / s’est fixée une pensée, un sentiment, une aspiration, ^’et, après quinze ou seize siècles, nous les retrouvons f aussi réels, aussi vivants, aussi émus.’(

On pourrait essayer des dépouillements régionaux, * classer ces menus faits d’àmes, confronter ces traits dispersés, et l’on verrait, sous la diversité des profils, se dessiner la physionomie du « chrétien » qui s’opposerait nettement à l’àme païenne. Mais c’est là une étude qu’il faut se contenter d’avoir indiquée. On se bornera à noter ici quelques détails assez généraux pour donner, à défaut du portrait, une esquisse morale des âmes chrétiennes telles qu’elles apparaissent dans les inscriptions. Deux traits surtout sont à retenir : les vertus morales et la conception de la mort ; ils nous montreront le changement opéré par la foi dans la vie pratiiiue et dans une des conceptions les plus fondamentales.

« ) Vertus morales. — Les A^ertus morales n’ont pas

manqué totalement dans le paganisme. Cependant il faut avouer que quelques-unes y sont bien rares, que d’autres y ont été inconnues. Parmi les chrétiens, bien au contraire, les belles âmes ne sont plus l’exception, c’est la foule. Ce qui, dans l’âge antérieur, semblait l’apanage exclusif de quelques personnalités plus hautes, de quelques caractères assez trempés pour retenir quelque chose de la rectitude naturelle, cela, dans le christianisme, se retrouve dans toutes les âmes simples et dioites : la transformation serait inexplicable, si l’on ignorait que Jésus a passé et que sa grâce demeure.

Les atTections familiales elles-mêmes se sont purifiées : les cœurs chrétiens semblent AÙbrer plus profondément, l’amour est plus touchant, plus ému, on le sent plus vrai et moins égoïste. Le sentiment de la solidarité humaine, devenu plus pénétrant avec les enseignements de l’Evangile, montre des frères dans tous les hommes. Ce sentiment de fraternité se traduit par la charité sous toutes ses formes : amour du prochain, esprit de conciliation, patience, douceur ; pitié pour les esclaves, ces « humbles amis » (Sénèque, Ep. xLvii, 1) devenus de Arais frères ; œuvres de miséricorde, hospitalité, aumône, rachat des captifs sont des traits ifui réapparaissent souvent dans les inscriptions, cf. Le Blant, n°’406, ! ’], 586 ; 197, 6^5, /)83, 5’48, 25, 450, 37(5, 879. Ainsi l’épitaphe du marchand Agapus (Le Blant, n° 4 ?) nous apprend qu’il fut la consolation des affligés et le refuge des pauvres, aimé de tous il visita assidûment les sépultures des saints et pratiqua l’aumône et la prière ; Viliaric (ibid., n" 386) est appelé pater pauperorum ; Epæphanius (ibid., n" ^07) était carus pauperebus ; d’une chrétienne, nous apprenons (ibid., n" 450) qvCelle élsiit omnibus cara, pauperebus pia, mancipus benigna : la bonne Eugenia fut plus généreuse encore : captii’os opihus vinclis luxavit iniquis (ibid., n° 543) Ces A-ertus, les païens les comprenaient

ils les 1453

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admiraient ; quelques-uns même s’y essayèrent. Voir Le Blant, L’L’pigr. chrét., p. 102 suiv. ; Z’es sentiments d affection exprimés dans quelques inscriptions antiques {Mémoires de l Acad. des Inscr. et Belles-Lettres, t. XXXVI, I, p. 220-233) ; BEURLiEU, To/es sur les épitaplies d’enfants et l’épigrafjhie chrétienne primi</te(Soc. des Antiq. de France. Centenaire 1804-1904. Rec. de mémoires, p. 55-60).

En voici d’autres que le paganisme ignora ou méprisa, et dont les chrétiens sont à peu près les seuls à nous donner des exemples d’une grande beauté. Les jeûnes (Le Blaxt, youw Rec, n°* 133, 44’)> 1^ pénitence (Rec, n°" 663, cf. 66, 023), la Aie religieuse la continence dans le mariage, la virginité nous ré-A’èlent un idéal qui resta au-dessus des âmes païennes les plus élevées. Que l’on compare à la matrone romaine domiseda, lani/îca, le portrait de cette Gauloise de Vienne, qui conviendrait à tant d’autres de ses sœurs dans la foi : castitas, fides, caritas, pietas, oùsequium, etquæcumque Deus f’oeminis inesse præcefjit, his ornata bonis Sofroniola in pace quiescit {Rec, n° 438).

Plus que d’autres encore, l’humilité est une vertu spécifiquement chrétienne qui tend à reproduire les abaissements du Christ, si souvent raillés des païens. Cf. V. g. Le Blant, Le Christianisme aux veux des païens (Mélanges de lEcole de Rome, VU, p. 196-21 1). Or les chrétiens ont éprouvé de bonne heure l’attrait de l’humiliation : on le constate à l’eiracement voulu, dans leurs inscriptions, de tout ce qui rappelle le’( monde », à la discrétion de telles formules (v. g. quorum Deus nomina scit), au titre de « pécheur » <pie quelques-uns n"hésitent pas à revendiquer, et à tant d’autres indices où l’on devine des âmes ennemies de la parade et conliantes dans le seul Dieu qui sonde les cœurs. Leur humilité a même des expressions inattendues. On sait dans quel esprit les Romains et les Grecs choisissaient leurs noms : Pietas, Probitas, Eutychus, Melite, ILedone, Lefws, Eros, Amoenus, Elegans, Amor^ Suas’is, Jucundns…

« talent des noms favoris, car ils rappelaient des

idées élevées, riantes, des qualités gracieuses ou tVheureux augure ; souvent l’alféterie ou la mignardise étaient poussées plus loin : les noms de parfums, de fleurs, d’oiseaux, de pierres unes ne sont pas rares, on en paraît volontiers les enfants ou les esclaves. Le Blant, L’Epigr. chrét., p. 93.

Sans donner dans ce travers, les chrétiens affectionnaient les noms qui éveillaient une idée de joie et de ïcloive{Vincentius, Victor, Gaudiosus, LIilaris) et les appellations qui désignent une qualité morale {Digna, Decentius, lienignus, Casta), cf. Le Blaxt, Jiec, I, p. 155 et 350. Cependant, malgré ce goîit pour les noms joj’eux, nous en voyons apparaître qui représentent autant d’injures. Alogia, Alogius^ Insapieniia, In/uriosas, Calumniosus, Coiitumeliosus, Imf)ortunus, Exitiosus, Foednlus, Malus, Malu.Pecus, I-’rojectus, Stercus, >7erfo/vHs reviennent assez souvent dans les inscrii)lions chrétiennes pour qu’on se jiréocciipe lie sa^oir rpiel goût étrange a’ail inspiré le choix de ces vocaJjles ridicules ou abjects. Or il est impossiljle de ne pas être frappé de la correspondance assez exacte entre ces noms et les invectives sans nombre proférées contre les chrétiens, à l’époque des persécutions. Ne leur a-t-on pas reproché leur stupidité, leur démence ? Xe les a-t-on pas accusés d’attaquer l’empereur, les dieux, de causer les malheurs publics ? Leur a-t-on épargné le mépris sous toutes ses formes, même les plus triviales ? Cf. Dict. d’Arch. chrét., s. V. Accusations. Longtem[)s ils purent répéter avec S. Paul : « Blasphemamur et obsecramus ; tanquam j)urgamenta hujus inundi facti sumus ; omnium perijjscma usque adhuc » (I Cor., iv, 13). Et il semble

bien que leur humilité ait reçu linsulte avec une résignation joyeuse, qu’ils s’en soient même glorifiés et qu’ils aient retenu avec amour, jusque dans la paix de l’Eglise, les appellations dérisoires qui, en rappelant les épreuves passées, consacraient l’espoir des récompenses promises aux âmes patientes et résignées {Rom., V, 3-4). Cf. Le Blant, Rew arcliéol., 1 864, II, p. 4-’ ; Rec, p. CI et suiv. ; II, p. 64-70 ; L’Epigr. chrét., p. 93-96 ; voir aussi les observations de R. Mowat sur la thèse de Le Blant, Res’. archéol., 1868, I, p. 355-363.

, :) Conception de la mort. — Ces quelcques détails empruntés aux inscriptions éclairent certains aspects de i’àme chrétienne, et ce ne sont pas les moins intéressants. Nous pouvons, une fois de plus, constater, et jusque parmi les plus humbles, à quel point le christianisme a transformé la vie morale. Son action n’a pas été moins profonde dans le domaine des idées. Un exemple suffira. Voyons comment l’idée de la mort apparaît transfigurée par la foi.

Nulle part la dislance qui séparait les deux « cités » ne se mesure plus exactement que sur les tombes. Poiu- les païens tout finit là ; pour lé chrétien, c’est là que tout commence. Aussi, dans l’épigraphie chrétienne, nous ne retrouvons plus ces accents déchirants qu’arrachait souvent le désespoir, à la disparition d’un être aimé à jamais perdu ; plus de traces non plus de ces sentences narquoises, inspirées par l’épicurisme, et que le défunt était censé adresser aux passants pour les engager à cueillir les joies éphémères de la vie ; disparues aussi ces consolations banales que développent les « consolationes » païennes et que résume la formule funéraire « jiersonne n’est immortel ; >, « la vie, c’est ça (= la tombe) « ; on ne rencontre plus les souhaits, si tristes dans leur néant, que les vivants adressaient à ceux pour qui ils ne pouvaient plus rien : « que la terre te soit légère »,

« repos à tes os ».

La douleur apparaît encore, sans doute ; elle trouve même parfois des accents si Ai-ais et si profonds, qu’on se sent ému de ces chagrins dont on lit la confidence. Mais ces larmes ont de la douceur, car elles ne sont pas sans espérance ; la mort du Christ a transûguré la mort. Ce n’est plus l’anéantissement, c’est la remise de l’àine entre les mains de Dieu, c’est un passage. Rien n’est plus expressif que certains mots nouveaux, adoptés par les chrétiens pour nommer la tombe et dissimuler les tristesses de la mort : la tombe est un lit de repos, la mort un sommeil, Miijr, i : r, pt.’yj^ y.(ii’y.r, 7u, kxoiuLr, 6r, ^ qiiiescit, quies, dormit. Cf. Monum. Eccles. lilurg., p. c, note 2, p. cxxiv-cxxxi. La perspective de la résurrection console des tristesses de la tombe où Aient seule dormir l’eiweloppe passagère (hospita caro. Le Blant, Rec, n° 226) ; le corps l’attend dans le sommeil {y.’jijj.f-f.iii^j koii à„ry.7Tc/.7î(, ti) alors que l’âme est déjà dans lu lumière de Dieu, //( luce Domini (Dieiil, n"’122, 129, 131, 133, 134). Quand on a déchiffré sur des tombes l’expression de cette attente humble et joyeuse (diem f’uturi iudicii, intercedentibus sanctis, lætus spectit. Diehl, n" 133), on n’est plus surpris de voir api)eler les défunts~des « vivants » (cf..Monum., n » 2968 : D. M. IXeVi : Zi^XTiiN ; 3364 : Alexander mortuus non est, sed vii’it sufter astra). Ainsi entendue, la mort n’est même plus une séparation : on prie pour les défunts, on se recommande à leurs prières ; on n’a pas l’illusoire espérance de ne les plus revoir qu’en songe, consolation fragile à huiuelle se rattachaient, dans le paganisme, des âmes désolées :

/ta peto i’os, mânes sanctissimi, commendatum habeatis meum curum ut vellitis huic indulgentissimi esse, horis nocturnis ut eum yideam… CIL, VI, 18817). 1455

EPIGRAPHIE

1451

Ou sait qu’on rejoindra dans le sein de Dieu ceux qui sont partis en paix les premiers, proecessit i ?i pace. Cette échappée toujours ouverte sur l’au delà consolait et réconfortait.

Bibliographie. — La Bibliogi’aphie des publications relatives aux inscriptions chrétiennes est excessivement abondante, on se bornera ici à quelques indications plus importantes ou plus utiles. Xe sont pas reproduits, dans les listes ci-dessous, les titres d’ouvrages ou d’articles qui ont été donnés intégralement dans les pages qui précèdent.

1. Manuels et travaux densemble. — Outre les manuels généraux d’épigraphie grecque et latine de S. Reinach (Traité dEpigrapliie grecque, Paris, 1885). W. La.r (ed(f/andb II cit der griechischen Epigrapliik, I, Leipzig, iç^o’j), R. Gagnât (Cours d’Epigraphie latine, ’à' éd., Paris, 1898), consulter les ouvrages spéciaux d’E. Le Blant,.Vanuel d Epigraphie chrétienne d’après les marbres de la Gaule, Paris, 1869 ; L Epigraphie chrétienne en Gaule et dans l’Afrique romaine. Paris. 1890 ; O. Marucchi, Eléments d’Archéologie chrétienne, Paris, 1900, I, p. 1 4-255 ; Epigrafia cristiana (Manuali Hoej)li), Milan, 1910 ; P. Syxtus, O. C. K., ^otiones Archæologiae christianæ disciplinis theologicis coordinatae, vol. II. pars ^ : Epigraphia, Rome, 1909.

Abrégés très utiles dans C. M. Kauiniann, Ilandbuch derchristlichen Archæulogie, Paderborn, 1905, p. 191-274 ; F.-X. Kraus, Real-Eiicrclopddie der christlichen Alterthiimer, Freiburg i. B., 1882-1886, t. II, p. 3g-58 ; Martigny, Dictionnaire des Antiquités chrétiennes, 3 « éd., Paris, 1889, p. 357-878 ; W. Smith and S. Cheetham, Dictionary of Christian Antiquities, Londres, 1898, t. I, p. 841-862 ; Realencycloptidie flir protestantische Théologie u. Kirche, 3"^ éd., t. IX(1901), p. 167-183 ; Hergenrôther-Ivaulen, Kirchenlexikon, VI, p. 788-794 ; Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, art. Inscriptiones. Voir encore Dictionnaire d Archéologie chrétienne et de Liturgie, passim ; H. Leclercq, Manueld’Archéologie chrétienne, Paris, 1907, passim.

2. Recueils de textes. — a) Becueils généraux contenant des inscriptions chrétiennes. — Corpus biscriptionum Græcarum de Boeckh. vol. IV(1856-78), n’^s 8606-9926 ; Inscriptiones Græcae. nouveau Corpus des inscriptions grecques, comprenant tous les pays de langue grecque, sauf l’Asie, la Sjrie, l’Egypte et l’Afrique, publié par l’Académie de Berlin ; les inscriptions d’Asie Mineure (Tituli Asiae Minoris) sert)nt éditées par l’Académie de Vienne ; celles de Syrie. Palestine et Arabie par R. E. Briinno ^v et L. Jalabert ; celles d’Egj-pte et de Cyrénaïque par Seyiuour de Ricci ; — Corpus Liscriptionum I.atinarum (voir la distribution de ce recueil dans Gagnât, Cours d’Epigr., p. xx-xxi) : les inscriptions chrétiennes de Rome n’y figurent pas ; — Monumenta Ecclesiæ liturgica pul)liés par F. Gabrol et H. Leclercq, aoI. I, Paris, Kjoo-igoa, p. xcii-CLXii, textes nos 2775-8802 et 4162-4388 ; E. Diehl, Lafeinische christliche Inschriften (Kleine Texte fiir theologische und philologische Vorlesungen und Vebungen, herausg. von H. Lietzmann, n°* 26-28), Bonn, 1908 (choix de 244 textes).

Un Corpus universel des Inscriptions grecqueschrétiennes est en préparation, sous la direction de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Voir le projet et le plan dans Bull, de corr. hellén.. XXII. p. 410-415 ; Byzantinische Zeitschriff, XV, p. 496-502. Sur les recueils plus anciens et les ouvrages divers (voyages, missions archéologiques, dissertations) contenant des inscriptions, voir Lar fcld, op. cit. ; S. Chabert, Histoire sommaire des études d Epigraphie grecque, Paris, 1906 ; R. de La Blauchère, Histoire de l Epigraphie romaine, Paris, 1887 ; Gagnât, op. cit. et Bibliographie de l’Epigraphie latine, Paris, 1901 ; J. P. Waltzing, Le Recueil général des Inscriptions latines et l’Epigraphie latine depuis cinquante ans. LouYSLin, 1892.

h) Becueils particuliers

Asie Mineure : W. M. Ramsay, The Cities and Bishoprics of Phrygia. Oxford, j8g5-7, p. 514-568 : Studies in the History and Art of the eastern provinces of the Boman Empire, edited by W. M. Ramsay, Aberdeen, 1906 ; F. Cumont, Becueil des Inscriptions du Po « / (en préparât.), formera le fasc. III des Studia Pontica : nombreuses séries chrétiennes dans les revues, cf. infra.

Pont Euxin : V. V. Latysev, Les Inscriptions grecques chrétiennes de la Bussie méridionale (en russe), Pétersbourg, 1896.

Grèce : A. Bayet, De titulis atticis ckristianis antiquissimis, Paris, 1878.

Italie : J.-B. de Rossi, Inscriptiones christianae Urbis Bomae, Roma, 1857-1888. Le a-o1. I contient les inscriptions datées (1874 numéros) ; le vol. II est consacré à une étude sur les inscriptions métriques chrétiennes et à un inventaire détaillé des manuscrits anciens renfermant des inscriptions.

Gaule : E. Le Blant, Inscriptions chrétiennes de la Gaule antérieures au VIII^ siècle, Paris, 18561 865 ; youi’eau Becueil des Inscriptions chrétiennes. .., Paris, 1892.

Suisse : E. Egli, Die christlichen Inschriften der Schiveiz vom IV-IX Jahrh., Ziirich, 1895.

Germanie : F.-X. Kraus, Die altchristlichen Inschriften der Bheinlande, Freiburg, 1890.

Bretagne : Aem. Hiibner. Inscriptiones Britanniae christianae, Berlin, 1876.

Espagne : Aem. Hiibner, Inscriptiones Hispaniae christianae. Berlin, 1871 ; Supplementum, Bei’Iin, 1900.

Afrique : P. Monceaux, Enquête sur VEpigraphie chrétienne d’Afrique : 6 articles parus dans la Beue archéologique, 1908-1906 ; continuée dans les Mémoires présentés par divers savants à V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XII, 1= partie, p. 161-339, Paris, 1907.

Egypte : G. Lefebvre, Becueil des Inscriptions grecques-chrétiennes d’Egypte, le Caire, 1907.

Syrie : H. W. Waddington, Inscriptions grecques et latines de la Syrie, Paris, 1870 ; W. K. Prentice, Greek and latin Inscriptions (Part III of the Publications of an american archælogical Expédition to Syria in 1899-1900), New-York. 1908 ; W. K. Prentice and E. Littmann, Greek and latin Inscriptions (Division III of the Publications of the Princeton L’niversity archæologiral Expédition to Syria in 1901-190.’t), Leyden, 1^908 (en cours).

c) Bévues et bulletins épi graphiques

Un grand nombre de revues publient des inscriptions chrétiennes, notamment : Bulletin de correspondance hellénique. Bulletin de la Société des Antiquaires de France, Byzantinische Zeitschrift, Jahreshefte des oesterreichischen archæologischen Institutes in M’ien, Mittheilungen d. k. d. archæologischen Instituts : Athenische Abtheilung et Rômische Abtheilung, Xuovo Bullettino di Archeologia cristiana, Bévue archéologique, Bévue biblique. Bévue des Etudes anciennes, Bévue des Etudes grecques. Bvmische Quartalschrift… etc.

Les dépouillements sont facilités par divers bulletins épigraphiques, voir Jahresbericht iiber die 145" :

ESCLAVAGE

1458

Fortscliritte der Idassischen Altcrtliiinisnissensclidl’t de Bursian, spccialenient t. XXXVI, p. 146-153 ; t. LXVI. p. njb-2-2’6 ; t. LXXXVII, p. f-b-f^C)l : le dernier bulletin s’arrête aux textes pul>liés en 1894. Pour les seize dernières années, on est réduit aux indications fournies par VAiine’e épigraphique, la Jixzantinische Zeitsclirift, le A’ « oio BuUeltino dl archeol. crist., la Replie des Etudes grecques, et la Roui. Ouaitalschrift.

3. Travaux spéciaux. — J. E. Cliurcli, Zur Piiraseologiederlateinischen Grabinschriften. 1° Die Situsformel ; 2° die Quiesformel (Archi^’fur lateiu. Lexikographie, XII, p. 21 5-238) ; F. Cumont, Les Inscriptions chrétiennes de l’Asie Mineure (Mélanges d’Archéologie et d’Histoire, Ecole française de Rome, XV, p. 2^0-299) ; Ehrhard, Zur christlichen Epigraphik (Theologische Quartalscltrift, LXXII, p. 179-208) ; J.-B. Gêner, s. j., Theologia dogmuticosculuslicu, perpetuis prulusionihus poleuiicis historico-criticis necno/i sacræ antiquitufis nionunientis illustrutu, Rome. 6 vol., 1767-1777 ; E. Le Blanl, Paléographie des inscriptions lutines, du IIP siècle à la fin du VU’{Revue archéologique^ 1896-1897) ; P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne (plusieurs chapitres sur les inscriptions), Paris, 1901 suiv. (en cours) ; F. Piper, Einleitung in die monumentale Théologie, lllter Teil, 2ter Aljscbnitt, p. 817-908, Gotha, 1867 ; Ueher den Kirchengeschichtlichen Gewinn aus Inschriften vornehmlich des christlichen Alterthums (Jahrhiicher fur deutsche Théologie, XXI, p. 37-io3). Gotha, 1876 ; J. Ritter, TJe compusitione titulorum christianoruni in CIG editoruni, Berlin, 1877 ; De titulis græcis christianis commentatio altéra (Symholæ loachimicae, I), Berlin, 1880 ; A. F. Zaccaria, s. j., De veterum christianaruni Inscriptionum in rébus theologicis usa, Venise, 1761 (réimprimé dans Migne, Theologiæ cursus complétas, V, col. 309-396).

L. Jal.vbert.

ÉPISCOPAT. — Voir Evèuues.