Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Evangiles canoniques (III. Sur le quatrième Evangile)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 860-883).

III. — VALEUR HISTORIQUE DU QUATRIÈME ÉVANGILE

Opinions des critiques

326. i"^ De Bretschneider â Eenan. — Le problème de l’historicité du quatrième Evangile a été mis à l’ordi-e du jour par Bretschxeidkr, en 1820, dans ses Probabilia de Evangelii et Epistolarum Joannis apostoli indole et origine. Bretschneider posait en principe l’autorité historique des trois premiers Evangiles ; comme il les estimait inconciliables avec le quatrième, il en concluait que celui-ci n’était pas un document digne de foi, par conséquent ne pouvait être l’œuvre de l’apôtre Jean.

C’est l’opinion qu’adopta Strauss, dans la i^e édi- | tion de sa Vie de Jésus, en 1835. Dans la préface à ! la 3’édition du même ouvrage, en 1838, il parut se rétracter. « Le Commentaire de De Wette et la Vie de Jésus-Christ de Xeander à la main, écrivait-il, j’ai recommencé l’examen du quatrième Evangile, et cette élude renouvelée a ébranlé dans mon esprit la valeur des doutes que j’avais conçus contre l’authenticité de cet Evangile et la créance qu’il mérite. » Mais, dans la 4’édition, en 1840, il se prononça plus i fortement que jamais contre l’origine johannique du document.

227. Baur. — Sur ces entrefaites, parurent les divers travaux de F.-C. Baur : Ueber die Composition und den Charahter des Joli. Esangeliums, dans 1705

ÉVANGILES CANOXIOUES

1706

les TlieoJ. Jahrbiicher, de Zeller, 18^4 ! Kritische Untersitchiingcn iiber die hanon. Eyangelien, 1847 ; Dcis Christenthnm iind die christliche Kirclie der drei ersteii.lahrhunderle, 2* éd., 1860, p. i^G sq. Baur voyait dans le quatrième Evangile une composition libre de la spéculation religieuse, en rapport étroit avec tous les mouvements d’idées qui agitaient l’Eglise à l’époque où il parut ; son auteur, persuadé d’avoir mieux saisi que ses devanciers l’esprit du Christ, aurait de très bonne foi modifié l’histoire évangélique, accommodé les faits à l’esprit de l’époque et prêté à Jésus des discours qui répondaient, non à la réalité, mais à l’évolution de l’idée chrétienne.

Strauss. — F. Strauss se rallia à ces conclusions de Baur, dans sa Nouvelle vie de Jésus, en 1864.

« Pour l’Evangile de Jean, dit-il, la conclusion de la

critique moderne est de ne voir que de vaines apparences dans les notables additions dont il enrichit le fond de l’histoire évangélique : tout ce qu’il a d’historique serait puisé dans les anciens Evangiles ; tout ce qu’il donne en plus serait fictif ou arbitrairement transformé. Ce jugement a toute chance de demeurer sans appel. » Nuuv. vie de Jésus, t. I, p. 182. Et, en effet, Strauss se l’approprie entièrement. A l’entendre, l’auteur de TEvangile « commence, pour ainsi dire, par dérober au ciel son idéal du Christ, après quoi il lui fait revêtir cet idéal du costume de l’histoire ». Ibid., p. 186. La plupart de ses récits sont des (i morceaux combinés en pleine connaissance de cause « ou des « mythes réfléchis ». Ibid., p. 204. Cependant, nous n’avons pas affaire à un faussaire : î’évangéliste était persuadé que ce qu’il écrivait était vrai. Sevilement « la vérité à laquelle il aspirait n’était point une fidélité de procès-verbal, mais la pleine et complète expression de l’Idée. Voilà pourquoi il fait parler son Christ comme il l’entendait parler dans son for intérieur. Son Christ se comporte, agit et A’it dans les récits de l’Evangile comme dans l’imagination de I’évangéliste. De même que l’apôtre dont il emprunte le nom, l’auteur écrit une apocalypse, une révélation ; mais au lieu de projeter ses conceptions sur les nuées menaçantes de l’avenir, il les représente sur la trame unie et paisible du passé ». Ibid., p. 205, cf. p. lb.

S38- Ileiiaii. — Peu de temps avant le dernier ouvrage de Strauss, en 1863, Rexax publia sa Vie de Jésus. L’auteur y faisait usage du quatrième Evangile, quoique avec infiniment de réserves et de précautions. c< Qu’en somme, disait-il, p. xxv, cet évangile soit sorti, vers la fin du premier siècle, de la grande école d’Asie Mineure, qui se rattachait à Jean, qu’il nous représente une version de la vie du maître, digne d’être prise en haute considération et souvent d’être préférée, c’est ce qui est démontré, et par des témoignages extérieurs et par l’examen du document lui-même, d’une façon qui ne laisse rien à désirer, n Strauss et ses partisans ne manquèrent pas de le lui reprocher. Renan maintint fermement ses positions. La 13’édition de sa’ie de Jésus, publiée en 1867, reçut un appendice, p. 4/7-54’, destiné à répondre aux reproches reçus. Il était intitulé : De l’usage qu’il convient de faire du quatrième Evangile en écrivant la vie de Jésus, hn conclusion de cette étude minutieuse, où l’Evangile était examiné paragraphe par paragraphe, était ainsi formulée : « Je crois toujours que le quatriènu- Evangile a un lien réel avec l’apôtre Jean et qu’il fut écrit vers la fin du i" siècle ». « Les discours sont presque entièrement fictifs ; mais les parties narratives renferment de précieuses traditions, remontant en parlie à l’apôtre Jean, n Préf. à la l’i' éd., p. xi. C’est cette même opinion que Renan continua de soutenir

dans Jes Evangiles, 1877, p. 428, et dans L’Eglise chrétienne, 1879, p. 47, 58, 78.

289.’-<° Opinions des critiques actuels. — 1° Opinion radicale de plusieurs. — Parmi les critiques récents, plusieurs se sont efforcés de remettre en honneur les théories de Baur et de Strauss, qui refusent au quatrième Evangile tout rapport avec l’apôtre saint Jean et toute valeur historique. Tels, J. RÉVILLE, Le quatrième Evangile, son origine et sa valeur historique, 1901, 2° éd., 1902 ; P. W. Sciimik-DEL, art. John, Son of Zebedee, dans VEncycl. biblica, t. II, 1901, col. 2504-2562 ; Kreyenbuehl, Das Evangelium der Wahrheit, Xeue Losung der joanneischen Frage, t. I, 1900 ; t. II, 1906 ; A. Loisy, Le quatrième LJvangile, tgo’â ; C. Guignebert, Manuel d’histoire ancienne du christianisme, 1906, p. 894, 404 sq.

D’après ces critiques, le quatrième Evangile n’aurait d’historique que l’apparence : en réalité, ce serait une sorte de poème allégorique, reproduisant, non la vie réelle, mais une vie idéale de Jésus ; une œuvre de théologie, reflétant, non l’enseignement propre du Sauveur, mais la foi de son Eglise, après plus d’un demi-siècle d’expérience. Les faits racontés seraient seulement des symboles, ou des signes : sous leurs traits d’apparence historique, empruntés par l’auteur à ses devanciers, il faudrait chercher une allusion à l’histoire du mouvement chrétien, aux usages nouveaux de l’Eglise, aux controverses récentes, ou l’indication d’une vérité spirituelle. Les discours seraient des compositions libres, tendant à expliquer le sens profond des récits, à illustrer quelque croyance ou quelque pratique de l’Eglise contemporaine.

« Tout le travail de la pensée chrétienne depuis la

résurrection du Sauveur j- a son écho », dit M. Loisy, op. cit., p. 55. « Le principe symbolique et la théologie de l’incarnation dominent » l’Evangile entier, ibid., p. 77. « L’auteur a voulu montrer le Christ, et son livre est une ostension. Il a conçu le Christ lui-même comme une manifestation sensible de l’être divin. Son Christ est le Verbe incarné ; son Evangile est pareillement une incarnation, la représentation sensible du mystère de salut qui s’est accompli et se poursuit par le Verbe-Christ. Discours et récits contribuent à cette révélation du Sauveur : les faits racontés, comme symboles directs et signes expressifs des réalités spirituelles ; les discours, comme illustration et complément des récits, comme explication de leur sens profond. » Ibid., p. 76. Celte construction théologique sous forme d’allégorie n’est d’ailleurs pas une composition artificielle, c’est « une sorte de vision géniale » dont Ja tradition historique des premiers Evangiles a fourni les éléments. On dirait qu’elle « a jailli spontanément par une puissante inspiration ». C’est que ; < l’auteur est un grand mystique, le premier et le plus grand des mystiques chrétiens. Ce n’est sans doute pas assez dire : il faut ajouter qu’il était prophète. Le quatrième Evangile pourrait bien être une vision, comme l’.Vpocalypse johannique, et dans la même mesure ». Ibid., p. 284. G59. Cf. Strauss (n" 228).

230. 2° Opinion moyenne du plus grand nombre des criti</ues indépendants. — Le plus grand nombre des critiques cependant, même de ceux qui n’admettent i>as la conqiosition de notre Evangile par l’apôtre saint Jean, reconnaissent dans cet ouvrage un fond de tradition historique, comme faisait Renan.

D’après C. Wkizsakckkr, Das Apostolische Zeitalter der christlichen Kirche. 3* éd.. 1902. p. 5j8, b’i-,

« le caractère très particulier de cet Evangile, au point

de vue des idées et des tendances, ne s’explique que par sa dépendance à l’égard de l’enseignement de 1707

ÉVANGILES CANONIQUES

1708

Jean l’apôtre ». L’auteur du livre et son école pouvaient se réclamer du lils de Zébcdée : « la doctrine, consignée dans l’ouvrage, avait dû se former sous ses yeux n.

« Que Jean, fils de Zébédée, se trouve de quelque

façon derrière le quatrième Evangile, déclare M. Har-NACK, Die Chronologie der dltcliristlichen Literatur, 1897, t. I, p. 677, voilà ce qui ne peut être mis en contestation. Notre Evangile serait donc à traiter comme Evangile de Jean le presbytre (censé distinct de l’apôtre et rédacteur véritable du livre selon Jean fils de Zébédée). » Plus récemment, le même critique répétait, Dus Wesen des Chrislentums^’900, p. 13, que le quatrième Evangile « renferme une tradition véritaltle, encore que difficile à vérifier ».

Sauf réserve sur l’identification plus que douteuse du rédacteur de l’ouvrage avec le prétendu presbytre Jean, c’est à cette opinion que se tiennent pareillement J. MoFFATT, The historical iVeu’Testament, 2* éd., 1901, p. 495 sq. ; P. Gaudner, A historical View of the Saw Testament, 1901 ; O. Holtzmann, Lehen Jesu, ’90ï, P- 34, 35, note i ; 313, note i ; cf. Das Johannesevangelium, 1887, p. 48 » >38, etc. ; Heitmueller, DasJohannes-Evangclium (Die Schriften des iV. T., von J. Weiss, t. II, 3’Abschnitt), 1907, p. 186 sq. ; même E. A. Abbott, art. Gospels, dans VEncycl. biblica, t. II, 1901, col. 1794- 1796, et A. JuE-LicDER, à partir de la 3° édition de son Einleitung in das y. T., 1901, p. 335-339, bien que ces deux derniers auteurs adoptent en grande partie la théorie symbolique de Baur et de Strauss.

â31. Quelques critiques vont jusqu’à supposer le quatrième Evangile composé à l’aide de mémoires, ou écrits fragmentaires, rédigés authentiquement par le fils de Zébédée. — D’après H. Wendt, Die Lehre Jesu, 1886, t. I, p. 215-342 ; a’^ éd., 1901 ; Das Johannesevangelium, 1900, un disciple de Jean aurait utilisé, pour composer l’Evangile actuel, un recueil, rédigé par l’apôtre, de discours introduits par de brèves notices : ces notices fourniraient un supplément de A’aleur à la narration synoptique ; les discours mêmes représenteraient, dans leur substance, des souvenirs authentiques. — Des hypothèses analogues ont été proposées par Briggs, General Introduction to the Sludy of Holy Scripture, 1900, p. 327 ; JVeu’Light on the Life of Jésus, 1904, p. 140-158 ; et par W. Soltau, Zum Problem des Johannesevangeliunis, dans la Zeitschrift fiïr die neut. Wissenschaft, 1901, p. 147. Cf. F. Spitta, Das Johannes-Evangelium als Quelle der Geschichte Jesu, 1910.

S3â. De l’opinion soutenue par Renan et Harnack, on peut rapprocher celle de plusieurs critiques qui identifient le disciple bien aimé, garant de la tradition contenue dans cet Evangile, avec un disciple hiérosolymitain de Jésus, différent de l’apôtre Jean (n*177). Ainsi H. Delff, Das vierte Evangelium iviederhergestellt, 1890, p. 12 sq. ; W. Bousset, Die Offenbarung Johannis (Kommentar iiber das N. T. de Meyer), 1896, p. 44-47 ; ^- Frlir. vox Sode.x, Urchristliche Literaturgeschichte (die Schriften des N. T.), 1905, p. 217-220. « Seule, ditM. Bousset, op. cit., p. 45, une critique systématique et négative à l’excès peut méconnaître que l’Evangile de Jean contient une narration indépendante, parallèle à celle desSynoptiques, et en beaucoup de points supérieure, dès que le récit porte sur le terrain de Jérusalem. »

Il n’est pas jusqu’à H. Holtzmann, le plus en vue des critiques symbolistes, qui ne trouve dans notre Evangile un certain fond traditionnel, sans aller pourtant jusqu’à le faire remonter au fils de Zébédée : Das Evangelium des Johannes (Hand-Commcntar zum

N. T.), 2’éd., 1893, p. 23-24, 221 ; 4’éd., refondue par W. Bauer, igoS, p. 25-28, 298, 304.

S33. 3° Opinion des critiques catholiques et d’un certain nombre de protestants. — Cependant, la grande généralité des auteurs catholiques et un certain nombre d’écrivains prolestants continuent de voir dans le quatrième Evangile l’œuvre personnelle de l’apôtre saint Jean ; et bien qie plusieurs n’en apprécient pas moins d’une façon fort large la fidélité historique de notre document — ainsi, d’après J. Drummond, An Inquiry into the Character and Authorship of the Fourth Gospel, 1903, plusieurs récits, par exemple celui de la résurrection de La- 1 zare, tendraient à se rapprocher d’une pure composi- ! lion sjiubolique ; les discours prêtés à Jésus contiendraient, pour une large part, la pensée personnelle de l’écrivain, mêlée à ses souvenirs, — ils estiment dans l’ensemble qu’étant donnée l’authenticité de l’ouvrage, son historicité s’impose d’une façon générale.

Au sentiment de B. Weiss, Einleitung in das N. T., 3’éd., 1897, p. 381 ; Das Johannes Evangelium (Kommentar liber das ?>’. T. de Meyer), 9’éd., 1902, les discours attribués au Christ reproduiraient avec fidélité la substance de l’enseignement du Sauveur, tout en offrant une combinaison de la pensée de l’évangéliste avec ses souvenirs objectifs. — C’est également l’opinion de divers critiques catholiques : P. Batif-FOL, Six leçons sur les Evangiles, 4° éd., 1897, p. 128129 ; art. L’Eucharistie dans le A^. T., dans la Revue hibl., 1903, p. 513 ; Th. Calmes, Comment se sont formés les Evangiles, 1899, p. 49 ; L’Evangile selon saint Jean, 1904, p. 76 ; M.-J. Lagraxge, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1904, p. 18.

234. Le plus grand nombre des auteurs catholiques cependant bornent la part de l’évangéliste à un certain travail de condensation ou d’adaptation qu’il a fait subir aux discours du Christ et à la forme littéraire dans laquelle il les a traduits : Dom A. Cal-MET, L’Evangile de S.Jean (Commentaire littéral sur les livres de l’A. et du N. T.), 1 729, p. 7 ; Corluy, Commentarius in Evangelium S. Joannis, 2’éd., 1880, p. 15-16 ; L. Cl. FiLlion, Evangile selon saint Jean, 1897, p. Li ; Knabenbauer, Commentarius in Evangelium secundum Loannem, p. 48-49 ; E. Mangexot, art. Jean (Evangile de S.), dans le Dict. de la Bible, t. III, 1903, col. 1 189 ; C. Fouard, Saint Jean et la fin de Vàge apostolique, 1904, p. 280-239 ; A. Nouvelle, L’authenticité du IV’Evangile et la thi’se de M. Loisy, 1905, p. 133 ; J. Fontaine, Les infiltrations protestantes et l’exégèse du A’. T., 1^ éd., s. d., p. 322-436 ; C. Chauvin, Les idées de M. Loisy sur le quatrième Evangile, igo6, p. 176 ; E. Jacquier, Histoire des livres du N, T., t. IV, 1908, J). 281, 256-260 ; A. Brassac, Manuel biblique, t. III, 19 10, p. 194-209.

C’est l’opinion qui paraît également soutenue, avec des nuances diverses, par un certain nombre d’écrivains prolestants : B. W. yBSTCOTT, The Gospel according to St. John (The Speaker’s Commentary), 16*^ mille, 1908, p. LVi-Lix ; F. Godet, Commentaire sur l’Evangile de saint Jean, 4’éd., 1904, 1. 1, p. 144sq. ; H.-R. Reynolds, art. John (Gospel of), dans le Dict. of the Bible, t. II, 1899, p. 718 ; W. Sanday, The Criticism ofthe Fourth Gospel, igoô, p. 167-169 ; Th. Zahn, Das Evangelium des Johannes (Kommentar zum N. T.), 1908, p. 35-36.

Nous allons montrer que le quatrième Evangile, soit dans sa partie narrative soit dans ses discours, ne peut pas être qualifié de composition artificielle où seraient représentées sous le voile de l’allégorie les idées propres de l’auteur, mais doit être regardé comme contenant une véritable tradition historique 1709

ÉVANGILES CANONIQUES

1710

I. Le quatrième Evangile

n’est pas

une composition artificielle en forme d’allégorie

I. — Pour les récits et les faits

S38. I Le cadre chronologique et topograpMque. — Ce qui frappe du premier coup, dans le quatrième Evangile, c’est que le cadre chronologique et topograpliique du ministère de Jésus apparaît autre que dans les trois premiers Evangiles : au lieu d’un ministère exclusivement galiléen se déroulant, sans indication de saisons successives, comme si tout s’était passé la même année, depuis le baptême jusqu’aux approches de la Pàque où mourut le Sauveur, nous avons un ministère ayant pour théâtre principal la Judée et que la mention d’au moins deux Pâques intermédiaires (ii, 13 ; vi, 4), très probablement trois (v, i), montre se prolongeant sur un espace de plusieurs années.

Son explication symbolique. — L’évangéliste, dit-on, a voulu « montrer Jésus sur le théâtre que les prophéties assignaient à l’activité du Messie » et

« prouver que la manifestation évangélique n’avait

pas eu lieu, pour la plus grande partie, dans un coin obscur de la Palestine, mais dans la capitale du judaïsme ». D’autre part, « dans la pensée de l’auteur, le schéma chronologique doit couvrir une période de trois ans et quelques mois : c’est une demi-semaine d’années, le chiffre messianique par excellence, qui joue un si grand rôle dans la prophétie de Daniel et dans l’Apocalypse ». Loisy, Le quatr. Evang., p. 6 ; ^, 65.

336. 2° Critique de cette explication. — Mais cette inler[)rétation est arbitraire et mal fondée. Un théologien, créant de toutes pièces son cadre évangélique, aurait laissé entièrement dans l’ombre le ministère galiléen ; du moins il n’aurait pas pris à tâche de le rapjieler à diverses reprises, de le mettre en relief dans lîlusieiu-s épisodes, de lui nuiintenir visiblement sa durée prolongée, à côté d’apparitions, en somme très courtes, dans la capitale juive : i, 43 ; u, 1, II, I a ; IV, 3, l^^, 46, 54 ; vi, 1, 2 ; cf. i, 44 ; xxi. 2.

Pour admettre le s}’ml)olisme de la durée fixée au ministère du Christ, il faudrait que le chiffre de trois ans et demi fût nettement marqué, comme il l’est dans Daniel, xii, 7, 1 1, où il est question d’une « demisemaine » d’années, comme il l’est dans l’Apocalypse, où il s’agitexactement, soitde <> quarante-deux mois », XI, 2 ; XIII, 5, soit de » douze cent soixante jours », XI, 3 ; XII, 6 ; cf. xi, g, 11 ; xri, 14- Or, non seulement l’évangéliste ne fait nulle part ce compte de trois ans et demi, mais il n’offre même pas les éléments qui nous permettraient de le faire. Il ne mentionne expressément que deux Pâques : ii, 13 ; vi, 4- Poiu" en obtenir une troisième, on est contraint de procéder par conjecture et d’identifier à une fête de la Pàque

« la fête des Juifs » dont il est question au chap. v, 1.

Celle du ch. vi, 4 est à peine l’oi)jet d’une mention fugitive, tandis qu’on voit soulignées par d’importants épisodes les deux fêtes secondaires, des Tabernacles et de la Dédicace, <[ui ijartagent la dernière année : vii, 2 s([. ; x, 22 sq. Enfin, à s’en tenir aux indications mêmes de l’auteur, l’espace de temps écoulé entre le début de la vie publique et la Pàque qui ouvre la première année pleine, loin de donner l’idée nette d’une demi-année, peut tout au plus éfjuivaloir à ijuehpies jours : i, 29, 35, 43 ; 11, i, 12, 13. De toute manière, il est donc inq)ossible que notre écrivain ail voulu assigner au ministère du Christ la durée synd)olique de trois années et demie.

S37. 2° Les récits de miracles. — Parmi les

récits du quatrième Evangile, se distinguent tout particulièrement les récits de miracles, au nombre de sept : le changement de l’eau en viii, la guérison du fils de l’ofticier royal, la guérison du paralytique de Béthesda. la multiplication des pains, la marche sur les eaux, la guérison de l’aveugle-né, la résurrection de Lazare.

1° Leur interprétation symbolique. — Aux yeux des critiques symbolistes, ces récits miraculeux sont des tableaux allégoriques, figurant une vérité religieuse, un attribut ou une œuvre du Christ. De là le nom de r/ ; //£rc/., ou de signes, que leur donne l’évangéliste. LoisY, Le quatr. Evang., p. ;  ;  ; , 112. De là aussi ce fait que le Christ johannique n’a pas besoin d’être sollicité à faire ses miracles, mais en prend généralement l’initiative, ces prodiges étant « l’image de son œuvre spirituelle, qui lui appartient en propre, à laquelle il se li^Te volontairement ». Ibid., p. 5go.

S38. Le changement de l’eau en vin à Cana, 11, 1-12, signifie le remplacement de l’eau de la Loi par le vin de l’Evangile. Le judaïsme légal est devenu impuissant, il n’a pas de vin ; le Seigneur en est averti par sa mère, c’est-à-dire la femme qui, dans l’Apocalypse, xii, 1-2, 5, figure la société religieuse de l’Ancien Testament et qui, en langage chrétien, s’appelle la Synagogue. Les urnes vides, destinées à recevoir l’eau des ablutions légales, sont au nombre de six, nombre imparfait : elles figurent le ji » daïsme impuissant et usé. Strauss, ^Vohi’. vie de Jésus. t. II, p. 255-262 ; H.-J. HoLTZMANX, Evang. Joh., p. 5058 ; ScHMiEDEL, art. 70/j « , col. 2521, 253g ; Arbott, arl. Gospels, col. 1796, 1800 ; J. Rkville, Le quatr. Evang., p. 135-138 ; LoisY, Le quatr. Evang., p. 282 sq.

339. La guérison du fils de l’officier royal qui se meurt à Capharnaiim, iv, 46-54, montre le Christ principe de vie nouvelle à l’égard du monde païen. Celui-ci est représenté par le jeune homme malade. La parole : « Ton fils vit » signifie l’œuvre de résurrection spirituelle, plutôt que de guérison, accomplie en faveur de la gentilité. La mention de la « septième heure », à laquelle est rattachée le miracle, souligne la perfection de l’œuvre du Christ. Enfin, la guérison est opérée à distance et constatée après un certain délai, pour marquer que la conversion du paganisme n’a pas été opérée directement par le Sauveur. J. RiJviLLE, up. cit., p. 160 ; LoiSY, op. cit., p. 3’j6 sq.

540. La guérison du paralytique de Béthesda, v, 1-18, est destinée à faire valoir l’œuvre salutaire du Christ. Ce malade qui attend inutilement depuis des années sa guérison dans la piscine aux cinq portiques, représente l’humanité, spécialement le peuple juif, qui a cherché vainement son salut dans la Loi. Ses trente-huit ans de maladie paraissent calqués sur les trente-huit ans, mentionnés dans le Deutéronoine, II, 14, comme durée des pérégrinations d’Israël dans le désert. On peut encore l’expliquer ainsi : comme l’épisode se place vraisemblablement deux années avant la passion, l’homme aura quarante ans à la mort de Jésus ; cette durée de ((uarante ans. qui a été celle du séjour complet au désert, et qui marque dans la Bible le temps d’une génération, convient assez bien pour le personnage qui représente Israël et qui peut représenter aussi l’humanité sauvée par le Christ. La piscine est un symbole du judaïsme, et ses cinq portiques sont une allusion aux cinq livres de la Loi. Straiss, op. cit., p 15g ; Holtz.man.v, op. cit., p. 90 ; ScHMiEŒL, art. cit., col. 252 1 ; Abbott, art. cit., col. 17gG ; J. Béville, op. cit., p. 163 ; LoisY, op. cit., p. 38g sq.

541. Le miracle de la multiplication des pains, vi, i-15, est un acte symbolique accompli parle Sauveur pour servir de thème au discours sur le pain de vie, 1711

EVANGILES CANONIQUES

1712

qui va suivre : il signifie la nutrition des âmes par le pain de la vie éternelle ou la chair du Christ. L’évanjïéliste mentionne que la Pâque était proche : c’est r|u’à ses yeux la multiplication des pains figure la Pàque clirctienne, ou la mort de Jésus commémorée dans l’eucharistie. Le jeune garçon qui a en mains les cinq pains et les deux poissons doit correspondre au serviteur d’Elisée, dans le récit analogue du 1I « Livre des Rois (Vulg., IV Bois), iv, l^^2-l^l^ : il semble représenter les diacres, ministres auxiliaires de la Cène eucharistique chez les iiremiers chrétiens. Tandis que, d’après les Synoptiques. Marc, vi, 4 » = Matlh., XIV, 19 = Luc, ix, )6, Jésus bénit les pains (îJ/cV’ ; "-’), notre auteur dit qu’il rendit grâces {.iiyv.piTTr.yv.C) : il préfère le terme sacramentel par lequel on désignait de son temps l’eucharistie. Jésus (rdonne de recueillir les débris de pain, et on en recueille douze corbeilles : c’est pour marquer l’excellence de l’eucharistie, et en même temps son caractère permanent et inépuisable. Strauss, op. c/7., p. 2^4 ;

HOLTZMAXX, op. cit., p. 102 : SCHMIEDEL, Oit. Cit.,

col. 2538 ; Abbott, art. cit., col. 1802 ; J. Réville, op. c7., p. 1^6 sq. ; Loisv, op. cit., p. 4 20 sq.

348. Le miracle de la marche sur les eaux, vi, 1621, est intimement lié à celui de la multiplication des pains : comme lui. il doit correspondre au discours qui va suivre, et doit être en rapport avec la même idée. On y voit, en effet, le Sauveur marcher sur les eaux du lac ; d’autre part, il est dit que les disciples voulaient (r.Oi’/w) le prendre dans la barque, mais que la barque s’en fut atterrir aussitôt (cJ^sw ;), comme si on était arrivé incontinent à destination et que Jésus lui-même se fût transporté à terre instantanément. Ainsi le Verbe incarné, qui tout à l’heure parlera de donner sa chair en nourriture et son sang en breuvage, n’est pas soumis aux lois de la matière, ])as plus à la loi de l’étendue qu’à celle de la pesanteiu-. Strauss, op. cit., p. 287 ; IIoltzmann’, op. cit., ]>. io3 ; Schmiedel, a ?-t. cit., col. 2621 ; J. Réville, op. cit., p. i’ ; 6 ; LoisY, op. cit., p. 434 sq.

243. La guérison de l’aveugle-né, ix i-41, représente sous une forme matérielle la vérité proclamée ] ar Jésus immédiatement a^ant le miracle : a Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du inonde », ix, 5-6, et qu’il répète encore après : « C’est pour un jugement que je suis venu en ce monde, jiour que ceux qui ne voient pas voient et que ceux qui voient deviennent aveugles », ix, 89. L’aveugle représente, soit le judéocliristianisme, converti au Christ et exclu de la synagogue (H. Holtzmaxn, P. AV. Schmibdel), soit la gentilité, opposée au judaïsme (E. A. Abbott), soit la gentilité et le genre liumain en général (Loisy). La boue étendue sur ses yeux rappelle celle dont Dieu fit, au commencement, le corps de l’homme : elle signifie la création nouvelle, la création spirituelle du Verbe incarné. Il est dirigé vers la fontaine de Siloé, ou de l’Envoyé, parce ([ue l’humanité est invitée à dépouiller ses misères morales et à obtenir la Araie lumière dans l’eau vive du baptême chrétien. Strauss, op. cit., p. 150 ;

HOLTZMANN, 0/7. cit., p. I 44 ; SCHMIEDEL, art. cit., COl.

2539 ; Abbott, art. cit.. col. 1803 ; J. Réville, op. cit., p. 210 ; LoisY, op. cit., p. 585 sq.

S44. La résurrection de Lazare, xi, i-44 » est l’expression symbolique de la vérité religieuse proclamée par Jésus : « Je suis la résurrection et la vie », XI, 25. Elle figure, à la fois, la vie spirituelle que le Christ donne présentement à celui f|ui croit en lui, et la résurrection corporelle dont il fera bénéficier le juste à la fin des temps. Lazare est le type de l’humanité souffrante et abandonnée, qui attend de Jésus la vie éternelle. De ses deux sœurs, « Marthe, qui rencontre Jésus la première, semble représenter le

premier groupe de Juifs convertis, et Marie les fidèles recrutés j)armi les Gentils. Associés en Jésus, les deux groupes réalisent par lui la résurrection de l’humanité, de l’homme, leur frère, qui gisait dans le tombeau depuis quatre jours, peut-être les quatre mille ans qui ont précédé la venue du Christ. » LoiSY, op. cit., p. 645. D’un autre côté, la parole de Jésus : « Lazare, notre ami, dort », xi, ii, signifie que la mort du chrétien n’est qu’un sommeil, non une mort véritable, et la haute voix qui retentit sur le tombeau de Lazare rappelle la grande trompette qui retentira sur le tombeau du genre humain. Strauss, op. cit., p. 196-207 ; HoLTZMANX, o/j.c ; <., p. 153sq. ; Schmiedel, art. cit., col. 2520 ; Abbott, art. cit., col. 1805 ; J. Réville, op. cit., p. 221 ; LoisY, op. cit., p. 643 sq.

245. 2° Critique de cette interprétation. — Peutêtre suffirait-il d’avoir exposé ces interprétations symboliques pour que l’on soit convaincu de leur peu de solidité. Quelques remarques, en tout cas, le feront constater clairement.

Tout d’abord, il est certain que, dans la pensée de l’évangéliste, les miracles ou signes sont des œuvres de puissance, qui montrent ou manifestent le Christ, non à la façon de peintures idéales, dépourvues de réalité (n° 237), mais bien comme des œuvres réelles qui attestent historiquement la divinité de leur auteur. Cf. II, II, 18, 23 ; III, 2 ; IV, 48 ; vi, 2, 14, 30 ; vii, 31 ; XII, 18, 87 ; XX, 30.

La spontanéité des miracles johanniques n’est pas, non plus, un signe de leur caractère symbolique (no 237). Nombre de miracles synoptiques sont également spontanés de la part de Jésus : tels, la guérison de l’homme à la main desséchée, de la femme courbée, de l’hydropique, la délivrance du possédé de Capharnaiim, de celui de Gérasa, la résurrection du fils de la veuve de Naïni : 3/a/c, iii, i-3 ; Luc, xiii, 10-12 ; XIV, 1-4 ; Marc, i, 21-26 ; v, i-13 ; Luc, vii, 111 5 ; cf. Mat th., viii, 14-15 ; tels aussi, les prodiges de la pêche miraculeuse, des deux multiplications de pains, de la marche sur les eaux, du poisson au statère, du figuier maudit, de la transfiguration : Luc, V, 1-7 ; Marc, vi, 80-44> viii, 1-9 ; vi, 45-5 1 ; Mat th., XAii, 28-26 ; Marc, xi, 12-14 ; ix, 1-7. — Par contre, des sept miracles du quatrième Evangile, plusieurs paraissent assez clairement demandes à Jésus : le premier miracle de Cana est accompli à la sollicitation discrète de sa mère ; le second, à la requête expresse de roflicier de Capharnaiim ; le miracle même de Bétlianie n’est pas sans rapport avec la prière des sœurs de Lazare : Jean, 11, 3, 5 ; iv, 4/ » 49 ; XI, 3, 22. Le caractère spontané des autres n’a pas de quoi suri)rendre, si, à l’exemple de la plupart des miracles synoptiques mentionnés, où se retrouve le même caractère, ils sont opérés plus directement par le Sauveur en preuve de sa doctrine ou en témoignage de sa mission.

246. Le changement de Veau en c// ; (cf. n° 238). — Il est impossible de trouver signifié, dans le changement de l’eau en viii, à Cana, le remplacement de la Loi ancienne par l’Evangile. Le fait que les urnes étaient destinées aux al)lutions légales ne suffit pas à établir qu’elles soient un symljole du judaïsme. L’auteur ne dit pas qu’elles aient été vides, mais seulement que, sur l’ordre de Jésus, elles furent « remplies jusqu’en haut ». Le nombre de six est donné d’une façon très indifférente, comme le montre le renseignement, nullement suspect de symbolisme, fourni sur leur capacité de « deux ou trois mesures «. Surtout, l’eau des ablutions ne pourrait représenter l’Ancienne Loi que sous ce rapport précis de la purification légale, en tant qu’impuissante à conférer autre chose que la pureté extérieure et matérielle ; or, le vin qui la remplace n’est aucunement présenté 171^

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comme le moyen de la puriQcation spirituelle et véritable.

En réalité, l’antithèse, qui est au fond du récit, et qui est exprimée par le Sauveur lui-même, au v. lo, se trouve entre le vin nouveau du miracle et le vin qui a servi à la première i)artie du repas. Cette antithèse même ne peut signifier l’Evangile nouveau remplaçant la loi ancienne : ce sont, en efTet, les mêmes convives qui boivent du premier vin et du second ; le même repas a pour ainsi dire deux parties : le Sauveur et ses disciples ont assisté à l’une et à l’autre ; il n’y a donc pas l’opposition nécessaire entre le régime nouveau du christianisme et celui du judaïsme ancien. Concevrait-on d’ailleurs que le régime de lEvangile fût représenté i)ar un festin nuptial dont le Christ n’est pas l’Epoux, mais un simple convive ?

Il est bien évident que la mère de Jésus ne peut représenter la synagogue : elle est si bien sa mère selon la chair, si peu la Aieille communauté d’Israël, qu’on nomme auprès d’elle les frères du Sauveur, que plus loin on parlera de son éi)oux, et on mentionnera même à ses côtés sa sœur ou belle-sœur : II, 12^ VI, 42", XIX, 20. Et puis l’auteur aurait-il donc Aoulu montrer la synagogue demandant au Christ (le promulguer son Evangile, ou d’instituer son Eucharistie, en faveur des chrétiens ?

S47. La guérison du fils de Voflicier royal (cf. no 239). — Pour que le fils de l’olficier royal de Capharnaiim pîit représenter le paganisme, il faudrait qu’à tout le moins il apparût en quelque détail du récit comme un païen lui-même. Or, toute indication en ce sens fait défaut. An contraire, son père, qualifié de /BaTt/tzo ; , ne peut, semble-t-il, être qu’un parent ou un ollicier du tétrarque de Galilée, Hérode Antipas : c’est donc apparemment un Galiléen ; il réside d’ailleurs à Capharnaiim, et rien n’insinue qu’il ne soit pas un Juif comme les autres habitants de cette contrée.

La parole : « Ton lils vit » — tout le contexte le montre : cf. iv, 47. 49- 52 ; et aussi l’analogie de l’Ancien Testament : Is., xxxviii, 1, 19 ; Ps. cxvii, i-j ; cxviii, 77. 116, 144 ; Prov., IV, 4 ; ^"i 2 ; Eccli., XVII, 27 ; Estlter, IV, 1 1 ; xvi, 13, etc. — signifie simplement que l’enfant, après avoir été moribond, est désormais hors de danger, pleinement rendu à la vie : elle ne convient point à la résurrection proprement dite du paganisme, plongé dans la mort du péché.

La mention de l’heure ne peut, non plus, avoir la Iiorlée symbolique qu’on suppose. La formule approximative : <i vers la septième heure » n’est pas d’un écrivain symboliste. L)ire que l’auteur a choisi un nombre parfait, j)our marquer la perfection de l’œuvre du Christ, est arbitraire, car, s’il avait employé un nombre différent, on aurait prétendu tout aussi l)ien qu’il avait voulu accentuer l’étal malheureux du monde païen au moment de sa conversion

Enfin, il est clair que si le moribond est guéri à distance, il l’est par Jésus lui-même, et instantané luent, si bien que l’on insiste sur la simultanéité de l’intervention du Sauveur et do la guérison cflïctuéc, le retard apparaissant seulement dans la constatation de cette coïncidence. Comment cela pourrait-il signifier que le paganisme n’a été converti que par les disciples du Christ ?

248. le paralytique de liéihesda (cf. n » 240). — Le paralytique de Béthesda figure en compagnie d’autres malades : « Sous ces portiques, dit lévangéliste, étaient couches quantité d’infirmes, aveugles, paralyfifpies, estro[)iés », v, 3 : cela rend l>ien invraisemblal )le qu’il soit un type figuratif. Ce qui rend la chose encore plus improbable, c’est que Jésus attribue son infirmité à ses péchés, v, 14 : or, au point de

vue symbolique, l’infirmité du malade signifie son état de péché lui-même.

Au fait, l’âge donné au paralytique ne peut s’interpréter raisonnablement d’un symbole du peuple juif. Les trente-huit ans dont il est question dans le Deutéronome, ii, i 4, ne se réfèrent qu’à une partie du séjour d’Israël dans le désert, savoir au trajet de Cadès-Barnéa au torrent de Zéred. Partout ailleurs, la durée ofiicielle du fameux séjour est exactement de quarante ans : yomb., xiv, 33-34 ; xxxiii, 13 ; Deut., Il, ’j ; VIII, 2 ; XXIX, 5 ; Amos, 11, 10 ; v, 25 ; Ps. xcv, 10 ; Néliém., i-s., 21 ; Judith, v, 15 ; Act., vii, 23, 30, 36, ! ’i ; XIII, (8 ; Ilébr., iii, 10, 17. Or, c’est d’une façon absolument fantaisiste que l’on prétend trouver ici le chiffre de quarante, en ajoutant aux trente-huit ans mentionnés les deux années qui restent jusqu’à la mort du Christ.

La mention des cinq portiques ne su (Tirait sans doute pas à montrer dans la piscine prol)atique la figure de la Loi de Moïse. Une circonstance va d’ailleurs formellement contre un tel symbolisme : c’est que l’eau de la fontaine, étant la figure du régime légal, devrait être représentée comme inefficace et sans vertu, jusqu’à l’intervention du Christ ; or, au contraire, le fond même du récit — quoi qu’il en soit de l’authenticité des vv. 3’, 4 (cf. no 47) — suppose que l’eau avait efficacité pour guérir, et qu’elle avait guéri déjà, puisqu’on y venait.

249. La multiplication des pains (cf. n" 241). — La liaison entre le miracle de la multiplication des pains et le discours sur le pain de vie est indéniable ; mais elle se comprend parfaitement, au point de vue de l’histoire, et de la part de Jésus, Le Sauveur a pu partir du fait de la multiplication des pains et du voyage de la foule à sa recherche, pour en tirer une leçon sur l’empressement qu’il faut avoir pour le pain de vie qu’il est lui-même ; il a même pu, lors de l’accomplissement du miracle, se proposera l’avance cette instruction ; mais il paraît certain que Févangéliste n’a pas créé son récit sous l’influence de cette idée, et qu’il n’a pas modifié le récit parallèle de ses devanciers pour faire valoir cette signification symbolique.

Si nous considérons, en effet, la partie principale du récit, 1 allusion à l’eucharistie n’y apparaît pas plus accentuée que dans les Evangiles antérieurs ; elle l’est même moins. L’expression i^yy.piz-iij n’a pas dû être choisie par l’évangéliste comme étant le terme sacramentel apte à désigner l’eucharistie : dans les écrits du Nouveau Testament, les deux termes vjyy.pmiï-j et iii.iv/uj sont employés à peu près indifféremment l’un pour l’autre, dans la description du repas religieux : cf. Marc, xiv, 22 : = Matth., xxvi, 26 = Luc, xxii, 19 ; I Cor., XI, 24. Notre auteur lui-même fait rendre grâces à Jésus, en employant le terme t’jy’/.pnr-rj, dans une circonstance qui n’a pas le moindre rapport avec l’eucharistie, savoir la résurrection de Lazare. Ici le verbe actif l’Ay/iï-j serait même j)articuliérement bien Acnupour marcjuer comment la bénédiction du Christ affecte les pains matériels et les ]>énètre d’une vertu divine qui les rend aptes à se multiplier.

Les Synoptiques, dans leur double récit de multiplication de i)ains, Marc, vi, 4’= Matth., xiv, ig =z Luc, IX, iG ; Marc, viii, 6 = Matth., xv, 30, insèrent ce détail que Jésus, après avoir I)éni les j)ains, les « rompit ». Ce trait figure également dans tous les récits de la dernière Cène : Marc, xiv, 22 = : Matth., XXVI, 26 = Laic, xxii, 19 = I Cor., xt, 24. Comment se fait-il que le quatrième évangéliste, s’il était préoccupé du symbolisme eucharistiijue, soit justement seul à l’omeltre ? Un tel trait aurait heureusement comi » lété le rapport entre les deux actes.

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du Christ multipliant les pains, et du Christ instituant l’eucharistie ; d’autre part, il aurait adaiirablement figuré la relation de ce sacrement avec la mort violente du Sauveur, dont le souvenir est attaché à tous les récits de l’institution et va être rappelé dans le discours même sur le pain de vie, v, 62.

Enfin, peut-on croire que l’cvangéliste ait si bien vu dans le pain du miracle le pain de l’eucharistie, quand, au lieu de glisser légèrement, comme ses dcvanciers, sur le mélange des poissons, il mentionne au contraire ces poissons bien à part, à propos de la distribution à la foule, en paraissant leur appliquer spécialement cette réflexion que chaque convive en reçut autant qu’il désirait ?

Ces traits fondamentaux sont directement opposés à l’intention symbolique en question. A côté de cela, les menus symbolismes allégués sont bien insig-nifiants ; et ils ne sont d’ailleurs pas fondés. — « La Pàque était proche ", dit l’évangéliste : le caractère large et A’ague de cette indication montre qu’elle n’est pas inspirée par la préoccupation symbolique ; elle est tout à fait analogue aux notices chronologiques qui introduisent nombre de récits et ne présentent sûrement aucune signification spéciale : 11, 13 ; vii, 2 ; xi, 55. — Quant au jeune garçon qui tient les pains, il suilit de lire le passage des Rois (n° S41) pour voir qu’il ne peut correspondre au serviteur d’Elisée, mais seulement à l’homme de rencontre qui arrive de Baal-Shalisha : il n’apparaît donc en aucune façon comme le diacre de Jésus. Il est d’ailleurs visible que les auxiliaires du Christ en cette scène sont les apôtres eux-mêmes.

550. La marcIie sur les eaux (cf. n* S48). — Si le quatrième évangéliste, en relatant la marche sur les eaux, avait été préoccupé de montrer le Christ soustrait aux lois de la matière, en particulier à la loi de la pesanteur, il aurait, semble-t-il, insisté sur cette vérité essentielle, dans le discours sur le pain de vie, qui vient à la suite : le fait est qu’on n’y trouve rien de pareil. A comparer son récit avec celui des Synoptiques, on n’y découvre non plus aucune indication qui A-^ienne accentuer ou souligner ce point de A’ue.

L’idée du Christ soustrait à la loi de l’étendue paraît moins encore avoir occupé son esprit. S’il aA’ait tenu à laisser le Sauveur hors de la barque, n’aurait-il pas nettement déclaré qu’il se transporta à terre en un clin d’oeil, en faisant entendre qu’au contraire la barque dut continuer normalement sa course sur le lac ? Il est d’ailleurs inexact que le Christ johannique reste hors de la barque, et que celle-ci se trouve transportée au riA’age instantanément : le contexte du A’. 19, où il est dit que les disciples furent d’abord efTrayés, puis rassurés par Jésus, montre que le v. 20 doit se traduire, conformément au sens le plus ordinaire de l’expression, par : a Ils consentirent donc à le prendre dans la barque » ; la comparaison des Synoptiques et le contexte du a-. 18 montrent également que la barque n’atterrit pas précisément d’une façon subite, mais, la tempête ayant été apaisée, et aussitôt Jésus reçu parmi eux, elle s’en fut tout droit et sans retard au lieu où elle se dirigeait. Le récit johannique a donc exactement la même portée que le récit traditionnel : les deux symbolismes qui pou-A-aient aA’oir quelque aHinité aA’ec l’idée du Christ, aliment spirituel dans l’euciiaristie, n’ont sûrement pas inspiré notre relation particulière.

551. La guérison de l’a^eugle-né (cf. n° 243). — La diversité des symbolismes supposés à l’aveugle-né montre à l’avance que le caractère tyj)ique du personnage est loin de ressortir nettement du récit. — L’idée du judéochristianisme est, à première A’ue, séduisante : l’aveugle est Juif ; guéri par le Sauveur,

il est pris à partie par les pharisiens et mis hors la sj nagogue. Mai.-> il serait bien étrange qu’un théologien éphèsien de la fin du i"^"" siècle, qui ne paraît s’intéresser Araiment qu’au christianisme spirituel et intégral, eût ainsi mis en relief le christianisme lialestinien des premiers jours. Et puis que signifieraient les parents qu’il lui donne ? Ce ne peuvent être le judaïsme, puisqu’aussi bien que lui ils sont en butte à la persécvition des pharisiens. Et aurait-il songé à le représenter aeugle de naissance ?

Le personnage n’est pas mieux qualifié pour représenter la gentilité ? Il serait surprenant que, pour type du monde païen, l’auteur eût aouIu un Juif. Que n’a-t-il mis en scène un Gentil ? Cela ne dépassait pas son pouvoir d’invention. Au besoin, il n’aA-ait qu’à exploiter l’un des incidents synoptiques où figurent de tels personnages.

Contre le symbolisme de l’humanité s’élèA-ent des difTicultés analogues. L’éA’angéliste aurait-il dessiné un type du genre humain en traits si nettement indi-Aiduels ? Lui aurait-il donné des parents qui le reconnaissent expressément pour leur fils, qui refusent de répondre pour lui parce qu’il est en âge de s’expliquer lui-même ? Aurait-il mentionné ces Aoisins qui se demandent si c’est bien là l’infirme qu’ils aA aient coutume de voir mendier à la porte du temple ? Cela est au plus haut point invraisemblable. — Il est donc A-rai que le personnage central du récit n’offre aucun SA’mbolisme net et cohéx-ent.

Les détails de l’épisode ne conviennent pas mieux à l’interprétation en question. Le Uniment de boue marque si peu l’acte créateur du Verbe que l’aveugle, pour être guéri, doit au préalable se j)urifier de cette boue même, en allant se lavcr les yeux à la piscine.

— Que la piscine représente l’eau du baptême chrétien, celane ressort éA’idemment pas du nom de Siloc, qui signifie « Envoyé ». Alors même que, par cette expression, l’évangéliste songerait au Christ, EuA’oyé du Père, il n’y aurait pas d’allusion caractéristique au baptême. Il est d’ailleurs beaucoup plus probable que l’auteur entend, ici comme ailleurs (1, 38, ^i, 42 ; A-, 2 ; XIX, 14). fournir une explication littérale : Siloé paraît signifier « émission d’eau » ; les eaux delà fontaine étaient, en efïet, amenées par dériA’ation d’une source supérieure.

Les autres indications du récit contredisent positivcment la signification relative au baptême chrétien. — Jésus ne vient point avec l’aveugle à Siloé, ce n’est pas lui qui lui dessille les yeux, et ce ne sont pas davantage ses disciples, mais c’est l’aA’euglc qui, sur son ordre, va à la fontaine se laver pour recouvrer la vue. Il faudrait donc penser que le chrétien est le propre ministre de son baptême ? Pourquoi l’évangéliste n’a-t-il pas donné ce rôleaux apôtres du SauA’eur ?

— D’autre part, le Christ ne provoque l’aveugle à un acte de foi qu’après sa guérison opérée, dûment constatée, et même après son expulsion par les pharisiens : comment accorder cela aA’cc l’économie essentielle du baptême chrétien ? Le baptême ne précède pas l’acte de foi, il en est le couronnement et la consécration : comment se fait-il que le Sameur demande seulement après coup au miraculé s’il croit au Fils de l’homme, et qu’à ce moment-là même le miraculé déclare expressément qu’il ne le connaît pas encore ?

— Il paraît éAident que l’auteur, en composant son récit, a pensé à tout autre chose qu’à représenter le baptême chrétien.

La relation qui existe entre l’épisode et les paroles où Jésus se déclare la lumière du monde, n’est donc pas celle d’une composition symbolique à la A’érité spirituelle dont elle serait la traduction. L’infirmité de l’aveugle fournit au Sauveur l’occasion d’accomplir une fois de plus en faveur de son entourage l’œuvre 1717

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d’illumination pour laquelle il a été envoyé et qu’il doit réaliser avant que vienne la mort, qui mettra lin à sa carrière terrestre et amènera pour les Juifs la nuit, en les privant de leur lumière. Cf. xii, 35 ; xi, 9 ; vii, 33 ; viii, 21 ; iii, 19-21 ; v, 35. D’autre part, l’aveugle, devenu voyant, sert au Sauveur de thème de comparaison pour rejirésenter les Juifs fidèles, au cœur simple et droit, devenus croyants, par contraste avec ceux qui, se targuant de bien voir, de voir mieux que les autres, et ayant la prétention de les éclairer, en réalité sont des aveugles.

S58. La résurrection de Lazare (cï. n"244). — « Je suis la résurrection et la vie », dit Jésus à l’occasion de la résurrection de Lazare : cette parole signiliet-elle qu’il est principe de vie spirituelle pour l’humanité croyante, et cette vérité peut-elle être symbolisée par le miracle que raconte l'évangéliste ? Il ne semble pas. Le Sauveur explique ainsi sa pensée : « Celui qui croit en moi, quand même il mourrait, vivra. Et quiconque vit et croit en moi ne mourra pas pour toujours. » La mort dont il s’agit est incontestablement la mort corporelle ; il semble donc que la vie pareillement en question ne puisse être que la vie du corps. Le croyant a beau subir la mort, il ne lui reste pas soumis à jamais ; il en sera délivré un jour ; une fois trépassé, il reviendra à la vie. Or, on conçoit qu'à l’appui de cette allirmation de principe, et comme gage de ce qu’il accomplira plus tard à l'égard de tous les croyants, Jésus ressuscite actuellement un mort en particulier. La résurrection de Lazare n’apparaît plus, dans ce cas, comme le sj’mbole d’une vérité spirituelle, mais bien comme une preuve de la déclaration faite par le Christ, un exemple individuel et présent qui garantit le fait général et à venir.

De fait, Lazare n’a pu être conçu par l'évangéliste comme type représentatif de l’iiumanité. Sun nom. interprété « Dieu est secourable », n’offre qu’une signification vague et banale, en regard du symbolisme précis attribué au récit. Le personnage est, au contraire, bien individualisé par les renseignements fournis sur sa famille, et il est impossible de les réduire au symbolisme. — On veut que Marthe soit la figure de l’Eglise judéo-chrétienne, et Marie celle de l’Eglise de la gentilité : mais d’où vient que la magnifique profession de foi du v. 2^, qui convient si bien au christianisme spirituel et parfait, se trouve placée, non dans la bouche de Marie, mais dans celle de Marthe ? Et que peuvent signifier ces détails, que les Juifs de Jérusalem viennent offrir leurs condoléances aux deux sœurs, qu’ils sont reçus directement par Marie, demeurée à la maison, qu’ils s’en vont à sa suite, quand ellr sort, appelée par Marthe ? Enfin conçoit-on que le judéochristianisme et l’hellénochristianisme soient représentés comme les deux sœurs du genre hiiniain, que ces deux sœurs viennent, toutes deux ensemble, puis l’une après l’autre, demander au Clirist, d abord la guérison, ensuite la résurrection de ce frère qui, en réalité, ne se distinguerait pas d’elles-mêmes ? — Enfin, si les quatre jours écoulés depuis la mort de Lazare représentaient les quatre mille ans, censés écoulés depuis l’origine du monde, à quoi se référerait la maladie antérieure du défunt ? Elle ne répond sans doute pas à un état qui aurait |)récédé la naissance de l’humanité? — Le symbolisme de la résurrection spirituelle de l’humanité doit donc être mis complètement hors de cause.

Le trait concernant le sommeil de Lazare, d’autre part le rajjport prétendu entre la voix haute de Jésus et la tromj)ettedu jugement dernier, sont évidemment des raisons insudisantes pour penser (pu- la résurrection de Lazare soit, à proprement parler, figurative de la résurrection corporelle des justes à la fin des temps. Ce qui convainc du contraire, c’est que la

manière dont est présenté le personnage, son association à Marthe et à Marie, sa désignation comme étant de Béthanie, à quinze stades de Jérusalem, enfin les multiples détails fournis sur les démarches de Jésus, celles des deux sœurs, la présence des Juifs, et les incidents qui servent d'épilogue au miracle, sont sans relation possible avec l’idée que serait censé figurer notre auteur.

353. Conclusion. — Les récits johanniques de miracles ne sont donc pas des compositions symboliques. Cette constatation est très significative en ce qui concerne les miracles reliés par l'évangéliste luimême à des sentences qui pourraient offrir la clef de leur symbole : la résurrection de Lazare n’est pas la traduction sensible de cette vérité que le Christ est la résurrection et la vie ; la guérison de l’aveugle-né ne figure pas, à proprement parler, le Christ lumière du monde ; la multiplication des pains et la marche sur les eaux ne représentent pas allégoriquement comment le Christ est le pain de la vie spirituelle dans l’eucharistie. Ces deux derniers miracles prêtent, en particulier, à une vérification capable de donner une pleine certitude : ils sont communs au quatrième Evangile et aux Synoptiques ; or, dans notre document, ils ne sont pas plus expressifs de la vérité qui est en question, ils le sont même moins que dans les documents antérieurs, et leurs particularités propres ont A’isiblement une tout autre cause que la préoccupation de mettre cette vérité en évidence.

3° Les autres récits qui se trouvent communs aux Synoptiques. — Nous pourrions nous en tenir à ces premières constatations. Bornons-nous à les compléter par l’examen de trois récits, autres que des récits de miracles, et qui, se retrouvant dans les premiers Evangiles, permettent de contrôler plus sîirement leur symbolisme possible. Ce sont : l’expulsion des vendeurs du temple, l’onction de Béthanie, l’entrée à Jérusalem. Nous y ajouterons quelques remarques sur la date assignée à la mort de Jésus.

854. 1° L' expulsion des vendeurs du temple. — Interprétation symbolique. — L’expulsion des vendeurs du temple, 11, 1 3-22, d’après les critiques symbolistes, serait le même fait que les Synoptiques placent à la fin du ministère de Jésus -.Marc, xi, iS-ig : =^Maith., XXI, 12-i’j = Luc, XIX, ^5-/58. Le quatrième évangéliste compléterait le récit de ses devanciers à l’aide de données éparses dans leurs documents. — C’est ainsi que la déclaration du Sauveur : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours », doit être empruntée à la déposition des faux témoins devant le sanhédrin : Marc, xiv, 58 = : Mattb., xxvi, 61. — La réponse prêtée aux Juifs : « Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple… » tloit viser le temple de Zorobabel : l'évangéliste paraît a^-oir entendu de ce temple les sept semaines que /V////e/, ix, 25, distingue d’abord dans la fameuse propliélie des soixante-dix semaines d’années ; dans cette prophétie, une demisemaine estmiseà part et pouvait s’entendre du temps de l'épreuve messianique, ce qui ramène le nond)re à six semaines et demie d’années, ou quarante-six ans api)roximativement. Du temple de Zorobabel. la pensée de l’auteur se serait portée au Christ, tlont il lui paraissait la figure : la vie terrestre du Sauveur est censée correspondre au nombre parfait de sept semaines d’années ; aussi bien Jésus scnible-t-il, d’après l'évangéliste, avoir près de cinquante ans à la fin de sa vie : viii, 5^ ; la durée de son ministère public, étant de ])lus de trois ans, doit elle-même répondre au chillrc messianique d’une demi-semaine d’années, ou de trois ans et demi. Rn cons(=(iuence, les quarantesix ans peuvenl s’entendre, à un point de vue symbolique, de l'âge du Christ : le Sauveur a, figurative171 J

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ment, ([uaraute-six ans accoiuiilis, quand il chasse les vendeins du temple. — Quant à la date de l’incident, l’expulsion des Aendeurs n’a pu, dans la réalité de l’iiistoire, avoir lieu qu'à la lin du ministère de Jésus : la parole sur le temple, alléguée si hautement devant le jjrand-prètre, a dû, en eflet, être prononcée peu de jours et non plusieurs mois avant le procès ; d’ailleurs une manifestation de ce genre, véritable acte d’autorité messianique, ne pouvait qu’amener incontinent la condamnation du Sauveur. Le quatrième évangéliste a donc opéré une transposition : il a placé l'épisode au début même du ministère, parce que c'était en réalité le premier acte de Jésus dans son unique séjour à Jérusalem, et aussi par égard pomla prophétie de Mahichie, ni, i, où la venue de l’Ange de l’alliance à son temple paraissait figurer l’incarnation du Verbe et suivre, d’autre part, immédiatement l’envoi du messager précurseur. Loisy, /.e quatr. E-ang., Y>. 28 ; sq. ; J. Rkville, Le quatr. Es’ang., p. 14 i ; cf. Abbott, art. Gospels, dans VEncycl. biblica, t. 11, col. 1801.

235. Critique de cette interprétation. — Quoi qu’on en dise, l’incident est parfaitement vraisemblable à l'époque où le place notre évangéliste. La parole sur le temple, alléguée par les faux témoins, peut dater de deux ans, et avoir sutlisamment frappé les Juifs pour leur revenir en mémoire au moment où il s agit de trouver un chef d’accusation contre le Sauveur ; peut-être même s expliquerait-on mieux, dans ce cas, la discordance des témoignages, soulignée par les évangélistes. — L’expulsion des vendeurs n’est pas, non plus, la cause immédiate de la condamnation de Jésus : ce qui, à la fin de sa vie, ])orte au comble la fureur des chefs religieux, c’est la journée des Rameaux, ce sont les incidents significatifs qui la suivent, c’est le progrès de l’influence du Christ, constaté lors de l’entrée triomphale, témoigné de nouveau par l’accueil fait à ses prédications, riacé au début du ministère, l’incident n’a rien qui doive donner lieu à un dessein de mort immédiate : tout au ])lus peut-il j^rovoquer un commencement de projet hostile, pareil à celui que, pour la même époque, signalent les Synoptiques eux-mêmes : Marc, m, 6 et ]iarall.

D’un autre côté, on n’arrive pas à expliquer raisonnablement la transposition supposée de la part de notre évangéliste. Le premier acte du ministère hiérosolymitain, c'était l’entrée à Jérusalem : il l’a ]>ourtant maintenue à sa place. Rien, dans notre épisode, n’insinue que l'évangéliste aurait songé à la prophétie de Malachie, encore moins aux combinaisons étranges censées échafaudées sur son texte. — Par contre, il ne serait pas étonnant que les Synoptiques eux-mêmes, dont le cadreparait beaucoup plus systématique, eussent transporté, au début de l’unique séjour hiérosolymitain dont ils fassent mention, un fait qui en réalité se serait passé dans un voyage antérieur.

Ce qui donne confiance en la relation johannique, c’est l’allusion aux quarante-six ans de la construction du temple : cette donnée n’aaiu’un rapport avec la i>rophétie de Daniel, ix, 26-27 ; ^^'^ ^^ convient en aucune façon au temple de Zorobabel : cf. Esdr., i, I ; III, 8-10 ; IV, 5, 2^ ; vi, 15 ; A^gée, 1, 1 sq. Elle se réfère très nettement à l'édifice que les Juifs ont sous les yeux ; et nous savons qu’en effet, au début de la vie juiblique du Sauveur, les travaux de reconstruction du temple, entrepris par Hérode, duraient depuis quarante-six ans : cf. ScncERER, Geschic/tte desjitdischen Volkes im Zeiialter Jesu Christi, 3* éd., 1901, t., p. 369. 392 sq. Cette donnée elle-mcnie, se trouvant dans la bouche des Juifs, ne peut viser le moins du monde l'âge de Jésus ; par ailleurs nous avons vu

(no S36) que l'évangéliste n’entend pas fixer au ministère du Christ la durée du chiffre messianique de trois ans et demi, et c’est très gratuitement qu’on s’autorise de la parole des Juifs, au ch. viii, b-), pour conjecturer que le Sauveur avait alors quarante-neuf ans.

D’autres faits encore tendent à montrer la bonne information de notre auteur. La parole mise dans la bouche de Jésus : « Détruisez ce temple, et je le rebâtirai en trois jours… » est beaucoup plus vraisemblable que celle que lui prêtent les faux témoins, dans les Synoptiques, et elle fournit la clef de leurs contradictions. Il } a également tout lieu de croire que le propos, ainsi retenu par les Juifs, a été tenu ])ar le Sauveur dans une circonstance où l’attention était vivement portée sur l'édifice du temjyle : c’est justement ce qui appai-aît dans le récit johannique. H. HoltzMANN, Dus E-angeHuni des Johannes, 1893, p. 60 ; O. Holtzmaxx, Lehen Jesu, 1901, p. 34, 313, note 1, 32 y. Enfin, la remarque du v. 22 : « Lors donc qu’il fut ressuscité des morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela, et ils crurent à l’Ecriture et à la parole que Jésus avait dite », montre bien que l'évangéliste ne se désintéresse point de la réalité de l’histoire ; elle donnerait même à entendre que l’auteur était l’un des disciples, dont il décrit ainsi l’expérience : cf. XX, 8-9.

356. 2*^ L’onction de Béthanie et l’entrée à Jérusalem. — Interprétation symbolique. — Au dire des critiques sjiubolistes, les épisodes de l’onction de Béthanie et de l’entrée à Jérusalem seraient deux tableaux symboliques figvu-ant la conversion du monde, ou le triomphe du Christ et de l’Evangile.

A Béthanie, Marie, sœur de Lazare, oint les pieds de Jésus et les essuie de ses cheveux : u on doit croire, dit M. LoisY, op. cit., p. 672, que l’action est sjiubolique et destinée à montrer comment Marie, l’Eglise de la Gentilité, a recueilli aux pieds de Jésus (cf. Luc, X, 3y) le parfum de l’Evangile qui se répand dans tout l’univers. Cette hypothèse est d’autant plus probable que la réflexion : Et toute la maison fut remplie de l’odeur du parfum, remplace la parole de Jésus, dans Marc etMatthieu : /^ar/o « < o « ce^ Evangile sera prêché, on dira en soutenir d’elle ce qu’elle a fait (Marc, xiv, 9 z^ Matth., XXVI, 13). Ce n’est pas pour rien que la Jjonne odeur se répand devant Lazare, figure de l’hunaanité rachetée. Ilsuflit d’entrer dans le symbolisme du récit pour n’y plus trouver de dilBcultés ». Aux murmures de Judas, sur le gaspillage du parfum, le Sauveur réj)Ond, v. J : « p ;  ; kvt/ ; v, ivy tU -ry r, ij.ipr/ : j TSV hTy.j.i.y.Tfi.oj ixTj : r, r/f, Tr, avrî. M. Loisy traduit : « Laissela, alinqu’ellelegardepourle jour de ma sépulture » ; et il ajoute, op. cit., p. 6^5 : '> Dans notre récit, le parfum n’a pas été répandu tout entier, ou bien il est censé subsister, bien que répandu » ; ce serait pour marquer que « l’Evangile, à partir de l’ensevelissement du Christ, se répandra par toute la terre ».

257. Dans le récit de l’entrée à Jérusalem, il est dit, XII, 13, que les gens « prirent les branches des ])a nevs(Tv. ; îy.iy. Tôj-^ iîoizwv)… etilscriaient : Hosanna ! Béni soit celui qui Aient au nom du Seigneur et le roi d’Israël ! » « Les paltnes du quatrième Evangile, dit M. Loisy, op. cit., p. G ; 8, doivent être apparentées de très près à celles que portent les élus dans l’Apocalypse (vu, 9). On portait des palmes en signe de joie, à l’entrée solennelle des princes dans la capitale. C’est au Christ-roi que cet hommage est rendu. » De fait, la formule de l’acclamation messianique, empruntée aux Synoptiques, est « modifiée, a(în de signifier plus clairement la royauté de Jésus ». L’auteur veut « figurer le triomphe éternel du Sauveur dans la vraie Jérusalem, l’Eglise de la terre et celle du ciel. 1721

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Le Christ passe de Béthanie, la maison tle douleur, à Jérusalem, la demeure de gloire ».

358. Critique de cette interprétation. — Si l’on vérilie ces interprétations, par la comparaison des récits johanniques avec les récits parallèles des Synoptiques, on constate qu’elles n’ont pas le plus léger fondement.

— Comment croire, par exemple, qu’en montrant Marie essujant avec ses cheveux les pieds de Jésus, l’évangéliste a prétendu exprimer qu’elle « reprend » ainsi le parfum et le « recueille » en quelque sorte aux pieds du Sauveur ?Ccla dépasse toutes les bornes de la vraisend^lance. Ilestdit d’ailleurs expressément que la femme « apporte » le parfum avec elle. Et n’est-il pas encore ridicule de rapprocher le trait en question de celui que rajjporte saint Luc, x, 89 :

« Assise aux pieds du Seigneur, Marie écoutait sa parole

», comme si la mention, fournie de part et d’autre, des « pieds » du Sauveur autorisait à établir une équivalence entre la parole recueillie de sa bouche et le parfum essujé à ses pieds ! Faut-il ajouter que, chez les Synoptiques, la prédication de l’Evangile est mentionnée dans une proposition on ne peut plus secondaire ; que rien, absolument rien n’indique que notre auteur entende y faire correspondre la mention du parfum enabaumant la maison ; que Lazare figure en qualité de simple convive, et n’est en aucune façon le type île l’humanité rachetée ?

La réponse du Sauveur, au v. 7, doit signifier très probablement : « Laisse-la, afin qu’elle Vait gardé pour le jour de ma sépulture » ; c’est-à-dire : ne lui reproche pas de l’avoir gardé jusqu’à ce jour qui peut être regardé comme le jour de mon onction funèbre. On a ainsi une équivalence parfaite avec la relation synoptifque : dans l’onction pour laquelle vient d’être utilisé le parfum, il faut voir l’onction anticipée de la sépulture, censée imminente. Il n’est aucunement question de la prédication évangélique. — D’ailleurs, à adopter l’iiypothèse de M. Loisy, on ne concevrait pas mieux que le parfum tenu en réserve piit signifier l’Evangile, et l’on comprendrait moins bien encore que le succès de l’Evangile fiit rattaché à la sépulture du Sauveur, non à sa résurrection.

Les particularités les plus saillantes du récit, comparé à la relation des Evangiles antérieurs, n’oni donc aucunement leur raison tl’ètre dans la préoccupation symi)olique. Et il faut en dii’e autant des noni-Ijreux détails secondaires, en particulier de ceux qui concernent le rôle personnel de Judas, et de la fixation de l’épisode au sixième jour avant la Pàque. La liaison établie par les Synopli(pies entre l’onction de Béthanie et les pourparlers de Judas avec les sauhédrites semble due à une certaine connexion logique des deux épisodes : elle s’ex|)lique bien si l’incident de Béthanie, en excitant le dépit de Judas, avare et voleur, comme le marque le rjuatrième Evangile, a poussé le disciple infidèle à chercher dans un marché infâme le moyen de satisfaire sa passion. (]f. O. IIolizmaxn. tehen Jesit, hjoi, p. 35,

ioi}. 3l, ’4.

289. I-es traits propres au récit johanniciue de l’entrée à Jérusalem ne sont pas davantage inspirés par le synd)olisme. En disant que les gens prirent

« les branches des palmiers », l’évangéliste vise très

clairement les hnincltes des arbres qui bordaient le chemin ; s’il précise que ces arbres étaient des palmiers, cela montre sinqilement sa connaissance exacte des environs de Jérusalem. I’]n tout cas. rien n’est moins symbolique que l’expression dont il fait choix : il suffit pour s’en convaincre de la conq)arer à celles de l’Apocalypse. — Chez les trois Synopli([ues. les vivais sont également adressés au Christ-roi : noire auteur n’a donc pas modifié leur formule dans le sens que l’on prétend ; au contraire, ses expressions sont

moins caractéristiques que, par exemple, celles de saint Luc, xix, 38. — Enfin, on n’a pas le moindre indice qu’il attache à Béthanie une idée de tristesse, ni cju’il envisage Jérusalem comme une demeure de gloire ; il songe d’ailleurs si peu à suggérer cette antithèse qu’il omet de rappeler, en tête de son récit, que Jésus vient de Béthanie, et qu’à la fin il néglige de mentionner qu’il entre en effet dans la capitale.

Les autres détails conviennent encore moins bien au symbolisme : l’incident de l’ànon n’est pas pour faire valoir le triomphe du Christ-roi ; la citation du prophète Zacharie est beaucoup moins cx[)ressive que dans les Synoptiques ; la remarque, que les disciples comprirent seulement après la résurrection le rapport de cette scène avec l’Ecriture, montie bien le souci de ne pas aller contre l’histoire, cl parait même attester un souvcnir personnel de l’évangéliste, témoin et acteur : cf. 11, 22 ; xx, 8-9.

S60.’1" Le jour et l’heure de la mort de Jésus. — 1" Les données des Evangiles. — Si l’on s’en rapporte au témoignage des Synoptiques, le dernier repas de Jésus a été une cène pascale, fixée chez les Juifs au soir du 14 nisan (aux premières heures du 15, d’après la manière juive de compter les jours de six heures du soir à six heures du soir), et il est mort le lendemain, 15 nisan, vers trois heures de l’aprèsmidi : Mme, XIV, 12-17, ^^ = Matth., xxvi, 17-20, 30 = Luc, XXII, 7-15 ; Marc^ xv, 6 = Maitli., xxvii, 15

: = I.uc, XXIII, 17 ; Marc, xv, 26, 33-34, 4^ = Mattli., 

xxvii, /|5-46, 07 = Lau xxni, 44- — Or, plusieurs indications du quatrième Evangile donneraient à croire que la mort du Sauveur s’y trouve placée, non au 15 nisan, mais au 14, où devait être célébré le repas pascal ; non à trois heures de l’après-midi, mais tout à fait au soir.

D’un côté, en eifet, il semblerait que la mort de Jésus précède le grand jour (le 15) qui était inauguré par l’immolation de la pà<iue. Le récit de la dernière Gène est introduit par celle mention chronologi(pie, xiir, 1 : 77, 05 51 -77, ^ kopzf, i t ; j r.v.~yy., « avant la fcte de la Pàf{ue ». Au matin de la passion, les Juifs refusent d’entrer dans le prétoire, xviii, 28, « afin de ne point se souiller, et de pouvoir manger la pàque ». Ce jourlà est appelé, xix, 14 : « préparation de la Pàfjue >-. Il est dit, du lendemain, comme s’il avait été le jour même de la solennité pascale, xix, 31 : « c’était un grand jour que le jour de ce sabbat’. — D’autre part, on voit, XIX, I 4, qu’au moment où se termine le procès devant Pilate, « il était emiron la sixième heure », donc, si l’on compte à la manière juive, autour de midi. Dans ces conditions, la mort de Jésus n’a pas dû avoir lieu vei"s trois heures, mais jibis tard. De fait, les Juifs demandent, aussitôt après, au gouverneur de faire enlever les cadavres, xix, 31, comme si le sabbat allait commencer, c’est-à-dire, si l’on était tout i)rès de six heures du soir.

UQ. 2" L’Iiypotlièse d’une transposition syinlwlicjue. — On a donc soupçonné une transposition de la part de l’écrivain johannicpie. Cette transposition aurait un motif symbolique, l’intention de montrer en Jésus le véritable Agneau pascal. Il était prescrit par la Loi, A’.ror/., xir, 6, que la pàque fût immolée le 14 nisan, ’< entre les deux soirs x, c’est-à-dire à la chute du jour. Notre auteur reporterait l’immolation du Christ, du 15 nisan au 14, elde3 heures de l’aprèsmidi vers G heures.

En même temps, il aurait soin de souligner plusieurs rapports typologiques entre la passion du Sauveur et le rituel pascal. La Loi, Exod., xir, 22, ordonnait de marquer les portes des maisons avec un l>alai d’hysope tremi)é dans le sang de l’agneau : de là la lige d’hysopeà laquelle est fixée l’éponge imbibée 1723

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de vinaigre, Jean, xix, 2g. L’agneau devait être mangé intact, Exod., xii, ^6 de là la mention du crurifragium épargné à Jésus et le rappel de la prophétie : M On ne lui brisera pas d’os », Jean, xix, 36. Enfin, il était prescrit de manger la pàque sur place, Exod., XII, 46 : de là cette indication, Jean, xix, 4', que Jésus fut enseveli « dans l’endroit où il avait été crucitié ». Strauss, Nouv. vie de Jésus, t. II, p. 296 sq. ; A. RiiviLLE, Jésus de Nazai-eth, t. II, p. 347-348 ; J. RÉVILLE, Le quatr, Evang., p. 290 ; Schmiedel, art. John, col. 3526-2527 ; JuELicHER, Einleit., p. 878-379 ; LoisY, /.e quatr. Evang., p. 67-69, 868 sq. ; Scott, Euurtli Gospel, p. 223-224 1 Holtzmann-B.4.uer, Evang. Joli., p. 285.

268. 3° Critique de cette hypothèse. — La discussion logique de cette hypothèse demande que les allusions au rituel de la Pàque, et l’adaptation qui concerne l’iieure de la mort, soient examinées avant la moditication censée apportée au jour. Déjà, en effet, le Christ synoptique, en instituant le mémorial de son immolation au cours du repas pascal, célébré le 14 nisan, et en mourant au jour de la solennité de la Pàque, le 15, apparaissait assez manifestement comme la Pàque nouvelle et véritable : I Cor., v, 7 ; cf. I Pier., I, 19. Si le quatrième évangéliste a voulu accentuer encore le rapport typologique, il n’a pas dû se borner à transporter la mort du 15 au 14, mais, comme on le pense en effet, il a dû la faire coïncider avec l’heure de l’immolation de l’ag-neau et orner son récit d’allusions sullisamment claires au rituel pascal.

// n’y a pas d’allusions claires au rituel pascal. — Or, tout d’abord, ces allusions claires au rituel pascal manquent véritablement. — Dans l’Exode, il est question d’un balai d’hysope, que l’on trempe dans le sang de l’agneau, pour en asperger les portes des maisons juives ; le quatrième évangéliste parle d’une tige d’hysope, à laquelle on fixe une éponge remplie de vinaigre, que l’on approche de la bouche du Sauveur. Il n’j' a pas d’analogie possible entre les deux situations. Rien n’autorise à croire à une intention symbolique. Le détail se comprend, au contraire, fort bien dans la réalité. L’iiysopede notre Evangile est représentée comme une tige desséchée et rigide : elle correspond à ce que les Synoptiques nomment

« un roseau », Marc, xv, 36 = Matth., xxvii, 48. La

croix de Jésus était peu élevée, et une tige de cette sorte pouvait aisément porter aux lèvres du Sauveur la petite éponge qui servait à fermer le goulot du vase où était la boisson vinaigrée des soldats.

A la suite du coup de lance, nous lisons, xix, 36 :

« Ces choses arrivèrent pour que fût accomplie

l’Ecritxire : On ne lui brisera pas d’os. Et une autre Eci’iture dit encore : Ils regarderont vers celui qu’ils ont percé. » Il n’est pas vraisemblable que le rappel de la première prophétie soit destiné à souligner un rapport du Christ avec l’agneau pascal : l’auteur ne l’aurait pas fait suivre d’une autre citation, prise de Zachar., xii, 10, et quin’arien à faire avec cette idée. Le coup de lance porté au côté de Jésus déjà mort ne peut d’ailleurs correspondre au coup de couteau appliqué à la gorge de l’agneau pour l’immoler. Si donc l'évangéliste entend, par son premier texte, se référer îiExod., xii, 46, il doit avoir en vue, non un rapport typologique, mais un simple rapport prophétique, comme dans le cas de sa seconde citation. Il semble d’ailleurs plus probable qu’il vise le texte du Ps. xxxiv, 21, où il est dit que les os des justes ne seront point broyés.

Enfin, il paraît évident que la mention de la proximité du sépulcre a uniquement pour but d’expliquer comment, pressé par l’imminence du sabbat, on choisit cet endroit pour y déposer le corps de Jésus, XIX, 42.

S63. L’heure de la mort du Christ ne coïncide pas avec celle de l’immolation de l’agneau. — L'évangéliste est encore moins préoccupé de faire coïncider l’heure de la mort du Christ avec celle de l’immolation de la pàque. Il n’a pas un mot pour insinuer qu’elle soit arrivée sur le tard. Quand il mentionne la démarche des Juifs pour l’enlèvement des corps, il n’indique aucunement que cette démarche ait eu lieu sitôt après le dernier soupir de Jésus et peu avant le commencement du sabbat. Au contraire, il place, entre la mort du Sauveur et l’ouverture du sabbat, un certain nombre de faits qui semblent réclamer un temps assez notaJile, xix, 38 sq. Enfin, on a de bonnes raisons de croire que l'évangéliste compte habituellement les heures à la façon romaine : 1, 89 ; IV, 6, comparé à Gen., xxiv, 1 1 ; iv, (52) ; la sixième heure, à laquelle il fait terminer le procès devant Pilate, peut donc être six heures du malin : on a ainsi un accord exact avec les Synoptiques, où le crucifiement a lieu à neuf heures, le commencement des ténèbres à midi, la mort à trois heures.

364. Le jour de la moi-t n’est pas anticipé au l’i nisan. — Dans ces conditions, il devient invraisemblable que notre auteur se soit soucié d’anticiper tendancieusement le jour de la mort. — Certains auteurs ont pensé que le quatrième évangéliste a^ait réellement fixé la mort de Jésus au 14 nisan, et qu’il faudrait ramener, d’une façon ou d’une autre, à cette date les données des Synoptiques. Maldonat, In Matth., XXVI, 2 ; dom Calmet, L’Evangile de S. Jean, 1729, p. 344 ; B. Weiss, Das Johannes-Evangelium, g^ éd., 1902, p. 379 ; F. Godet, Comment, sur l’Evang. de S. Jean, 1881, t. III, ]>. 606 sq. ; P. Schanz, Conimentar ither das Evang. des heil. Johannes, 1885, p. 544 sq. ; O. Holtzmann, Leben Jesu, 1901, p. 35, 309, 312 ; Th. Calmes, L’Evang. selon S. Jean, p. 36437a ; W. Sanday, The criticism of the fourth Gospel, 1905, p. 155 ; E. Jacquier, Hist. des livres du N. T., t. IV, igo8, p. 228. — Mais il est bien difficile de contester que la dernière Cène, chez les Synoptiques, soit le repas pascal, et il est assez arbitraire de supposer que Jésus aura célébré la Pàque avec ses disciples, un autre jour que les Juifs. Au contraire, les données du quatrième Evangile peuvent sans trop de peine cadrer avec l’indication du 15 nisan, et l’on a même des raisons positives de croire qu’en réalité elles se rapportent à cette date.

268. La mention chronologique qui introduit la dernière Cène, xiii, i : « Avant la fête de la Pàque », convient très bien au jeudi 14 nisan. L’auteur peut l’employer même à propos du repas pris sur le soir, dès lors qu’il compte les jours à la manière romaine d’Asie Mineure. Au point de vue romain, le jour de la fête est bien celui qui suivra le prochain lever du soleil, le vendredi 15. Ce qui le confirme, c’est que l'évangéliste rattache très expressément à ce dernier souper la dénonciation du traître, et par là l’identifie nettement à la dernière Cène synoptique : or celle-ci est le repas pascal du 14 nisan, et elle était connue comme telle dans la tradition primitive : I Cor., v, 7 ;

XI, 23-20.

Le jour où meurt Jésus est appelé « préparation de la Pàque », xix. 14. Mais on n’a jamais désigné ainsi chez les Juifs les préparatifs de la solennité pascale ou la veille de la Pàque ; cf. Bochart, Hierozoicon, t. I, De agno paschali, p. 667. Tout le contexte montre que l’attention de l’auteur est portée sur la circonstance de la a Préparation du sabbat » ou vendredi, appelé couramment « la Préparation » ; XIX, 31, 41-42 ; cf. Marc, s.v, ^2 ; iMatth., xxvii, 62 : Luc, xxni, 54 ; Martyrium S. Polycarpi, vii, l. II est donc simplement question de la Préparation ou du vendredi qui se trouvait dans l’octave pascale et. 1725

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cette année-là, coïncidait avec la solennité même de la Pàque.

La réflexion : « grand était le jour de ce sabbat », XIX, 31, ne désigne pas autre chose que la solennité lial)ituelle du jour consacré au Seigneur : elle est destinée, en elTet, à justilier le repos obligatoire de ce jour ; quand l’auteur vient à parler de la démarche de Marie-Madeleine au tombeau, le lendemain, il ne dit point : « le premier jour après la Pùqæ », mais simplement : « le premier jour après le sabbat », xx, I. Son insistance à appeler ce jour « grand » peut tenir à ce que ses lecteurs sont accoutumés à célébrer le jour du Seigneur le dimanche. Tout au plus pourrait-on penser qu’il veut mettre en relief ce sabbat particulier en tant que sabbat de l’octave pascale.

La mention de xviii, 28, que les Juifs « n’entrèrent pas dans le prétoire, afin de ne point se souiller, mais de pouvoir manger la pàque », donnerait bien à entendre que l’on est encore au matin du 1 4 nisan, si l’on examinait ce passage hors de tout contexte. Mais les observations antérieures invitent à y regai-der de plus près. Or, Tévangéliste, écriant pour les chrétiens d’Asie Mineure, a fort bien pu viser jiar l’expression générale : « manger la pàque », non précisément l’agneau de la fête elle-même, mais les azymes et les hosties pacifiques dont la inanducation devait continuer durant l’octave, et pour laquelle il fallait èirc également pur. Cf. Dent., xvi, 2, 3 ; II Clirun., XXXV, 'j-9 ; xxx, 21-22 ; Mischna, ir.Pesachim, VI, 4 ; LiGHTFooT, Horæ hebiaïcæ et talmiidicae, in Matth., xxvi. — A supposer d’ailleurs que l'évangéliste entende parler de la manducation de l’agneau pascal, rien n’empêcherait d’admettre que les Juifs dont il est question, c’est-à-dire les pharisiens et princes des prêtres, avaient été empêchés par l’arrestation et le procès de Jésus de célébrer le repas sacré au soir du jeudi 14 nisan et se proposaient de le faire seulement au cours de la nouvelle journée commencée, le vendredi 15.

S66. Plusieurs faits confirment positivement ces interprétations et paraissent même les rendre nécessaires. Déjà nous avons noté que notre évangéliste identifie formellement le dernier repas de Jésus, pris en icompagnie de ses disciples la veille de sa mort, avec la Gène que les Sjnoptiques présentent euxmêmes clairement comme le rei)as pascal. D’autre part, au lieu de souligner le lendemain de la mort du Christ par la coïncidence de la solennité pascale, il se borne à attirer l’attention sur la circonstance du sabbat. Ces faits sont déjà très significatifs. Dautres ne le sont pas moins.

Lorsque Jésus dit à Jvidas, xiii, 27 : « Ce que tu as à faire, fais-le vite », [)lusieurs des disciples pensèrent qu’il s’agissait de quelque achat en vue de la fête, ou d’aumônes à distribuer aux pauvres pour la même occasion, xiii, 29. Or, on ne conq)rendrait guère que les disciples eussent songea des emplettes destinées à la fête, si celle-ci devait commencer seulement le lendemain soir. La chose ne se comprend bien que si l’on est au soir du 14 nisan, où se célèbre le repas pascal : on sait que les achats aux jours de fête n'étaientpas interdits d’une façon absolue comme aux jours de sabbat. L’idée d’une distribution d’aumônes ne vient bien elle-même qu'à ce moment-là, puisque cette distribution avait lieu le jour de la fête, et non la veille.

Au cours de l’interrogatoire du Sauveur, le vendredi matin, Pilatedit aux Juifs, xvui, 3g : « Il est de coutume chez vous que je vous mette quel([u’uu en liberté à la Pàque. « Cette formule suppose qu’on est au jour même delà solennité pascale, le 15nisiin ; elle se comprendrait dillicilementlaveille. D’ailleurs, c’est bien au jour de la fête, d’après les trois Synop tiques,.)/ « rc, XV, 6= : 3/a/^/(., xxvii, 15 = Zhc, xxiii,

! -, que le procurateur avait coutume d’accorder cette

grâce.

567. Si l’on joint à ces observations que l'évangéliste ne pousse pas la transposition chronologique supposée jusqu’au point intéressant pour le symbolisme, savoir jusqu'à la coïncidence précise de l’heure de la mort avec celle où on immolait l’agneau, et à la correspondance exacte des détails de la passion avec les particulai-ités du rituel pascal, on peut être certain que l'écrivain n’entend pas modifier la date indiquée pai' ses devanciers, mais, malgré certaines apparences, maintient la mort du Christ au jour qu’indiquent les premiers évangélistes, au vendredi 15 nisan, joiu- de la solennité pascale. Cf. S. Jiîhomk, In Mattli., XXVI ; S. Augustin, Epist. lxxxvi, 13 ; BoCHART, Hierozoicon, part. 1, lib. II, c. 50 ; Luc de Bruges, In sacra J. C. Eangelia coinni., 1606, p. 447" Ifbo ; TohET, In sacrum Joannis Evangelium comni., 161 1, t. 11, p. 5-18 ; Patrizi, De Evangeliis Libri III, dissert, l ; J. Corluy, Comment, in Eang. S. Joannis, 1880, p. 313, 333 ; L. C. Filliox, Evangile selon S.Jean, 1887, i>. 273, 336 ; B. F. Westcott, The Gospel according ta St. John, 1903, p. 196, 278 ; Th.ZAHX, Das Evangelium des Johannes. 1008, p. 536, 620 sq.

Conclusion. — En somme, l’hypothèse symbolique doit être déclarée, avec assiu-ance, excessive et erronée. Qu’il y ait çà et là quelque symbolisme dans les récits johanniques, que l’auteur ait choisi de préférence tels ou tels faits, ou mis en relief telles ou telles circonstances, à cause de leur valeur doctrinale, on peut et on doit sans doute l’admettre : ainsi, l'évangéliste aura relaté la multiplication des pains, la guérison de Taveugle-né, la résurrection de Lazare, par égard pour les sentences allégoriques annexées à ces épisodes ; la parole concernant la résurrection a pu l’amener à raconter rexi)ulsion des vendeurs ; la sentence visant la prochaine sépulture aura motivé le récit de l’onction de Bélhanie ; le lavement des pieds a sans doute été retenu >owv la leçon du Christ serviteur. Mais il est impossible de prétendre que la préoccupation symbolique ait véritablement inspiré l'évangéliste dans sa composition.

2. — Pour les discours et les idées

568. Les discours du quatrième Evangile sont artificiels, et les idées qui l’inspirent dans l’ensemble et dans le détail, propres à son auteur : voilà, dit-on, ce qui résulte d’un certain nombre de considérations. — Au point de vue de la forme, le style des discours mis dans la bouche de Jésus est identique à celui des discours attribués à Jean-Baptisle ou des parties propres à l'évangéliste lui-même ; à la dilTércnce des Synoptiques, ces discours sont constitués par une série d’images ou d’allégories profondes ; le jeu des dialogues repose sur l’emploi par le Christ de paroles à double sens, et sur les méprises qu’elles provoquent dans son auditoire. — Au point de vue du fond, on est étonné de voir revenir sans cesse un petit nombre de jiensées essentielles sous un nombre limité d’images ; constamment l’on retrouve les mots « vie, résurrection, lumière, ténèbres, chair, esprit, monde, jugement », et dans une acception différente de celle des Synoptiques. Surtout, les idées du Sauveur et son histoire elle-même sont représentées différemment de la réalité : le quatrième Evangile reflète l’histoire du mouvement chrétien accompli depuis les temps évangéliques juscjuà son auteur ; il décrit les relations extérieures de l’Eglise avec le monde romain et le monde juif, à la fin 1727

ÉVANGILES CANONIQUES

1728 ï

du premier siècle ; il représente ses institutions et sa vie intime ; il atteste sa conception récente du royaume de Dieu ; enlin, il met en lumière son idte du Christ, élaborée en sa forme dcûnitiA e. Strauss, yoiiw -ie de Jésus, t. II, p. 3^3 sq. ; Juelicheh, Eiiilcit., p. 350, 380 ; Sghmirdel. art. John, col. -ibij ; J. Réville, op. cit., p. 299 ; LoisY, op. cit. p, 55, 75 sq., i^i sq.. etc.

Ces allégations sont-elles fondées ?

569. i"^ Style et procédé littéraire — i<* Ze sijle. — Il est très vrai que les discours du Christ et du Précurseur, relatés dans le quatrième Evangile, ont quelque chose de l'évangélisle dans leur forme littéraire, qu’ils portent son cachet personnel dans la construction des phrases, la connexion des propositions, le groupement des pensées, l’arrangement général de leurs divers éléments. Mais cela ne nuit pas nécessairement à leur authenticité : il est, en effet, assez naturel qu’en reproduisant un entretien ou un discours qu’il n’a pas sténographié, un auteur, surtout s’il écrit longtemps après l'événement, fasse subir à cet entretien et à ce discours une certaine transformation.

570. 2" L’emploi de l’aUéi ; orie. — On oppose aux paraboles et aux simples comparaisons des Synoptiques ce qu’on appelle les allégories du quatrième Evangile. Cette opposition n’est pas fondée en réalité. — La prétendue allégorie du Bon pasteur, x, 1-16, est appelée par l'évangéliste 71y.p01y.iy., « comparaison » ou '( parabole » ; et, en effet, on trouve dans les vv. i-5 un petit tableau de mœurs pastorales, que le Sauveur fait suivre d’un commentaire, destiné à en donner l’explication ou à en montrer l’application, sans que ce commentaire corresponde d’une façon adéquate et avec une symétrie parfaite à chaque trait de la comparaison. Nous avons donc affaire essentiellement à un tableau parabolique, en partie susceptible d’applications allégoriques. — 11 en est exactement de même de la soi-disant allégorie de la Vigne, xv, 1-8.

571. La plupart des paroles à double sens que l’on signale dans les discours de personnages autres que Jésus, ne se révèlent telles qu’au symboliste de parti pris. A peine faut-il excepter la déclaration de Caiphe, xr, 50 : mais justement cette déclaration est exceptionnelle, et notée comme telle par l'évangéliste, qui la justiQe par le caractère sacré du grand-prêtre et prend la peine d’indiquer sa secrète signification.

Si l’on prend les discours du Christ lui-même, on y trouve, il est vrai, un certain nombre de sentences à forme allégorique ou de paroles à sens figuré. Mais, d’abord, elles sont beaucoup moins nombreuses qu’on le prétend. Elles peuvent se ramener à une dizaine : II, 4 (cf. VII, 6) ; II, 19 ; iii, 3 ; iv, 14 (cf. vii, 3^) ; iv, 32 ; IV, 35 ; vi, 2'^, 35 sq. ; viii, 3 1-32 ; viii, 1 2 (cf. ix, 5 ; 39 ; XII, 35-36) ; xi, i i, 23 ; xxi, 15 sq. Ensuite, la plupart ont leur signification syml)olique révélée expressément par l'écrivain : 11, 21-22 ; xi, 11, 14 ; vii, 39 ; XII, 33 ; cf. XXI, 19. Ailleurs, il était bien inutile d’indiquer le symbolisme, tant il était simple et ressortait clairement du contexte. Nulle part il ne s’agit de signification énigmatique ni d’allusion profonde.

Fait non moins digne de remarque, un certain nombre des sentences en question ont leur analogue ou leur parallèle dans les discours mômes du Christ de la Synopse. Ainsi, le symbole de la moisson : cf. Maltli., IX, 37-38 ; Luc, X, 2 ; le sommeil de Lazare : cf. Marc, v, 89 et parall. ; les brebis représentant les fidèles : cf. Mal th., x, 6 ; xv, 2 ; xxv, 33 ; 31 = Marc, XIV, 27 ; etc. ; le Christ lumière du monde : cf. Mal th., V, l’i. — Les autres sentences ne sont pas

sans avoir elles-mêmes une certaine parenté avec diverses expressions imagées, ofTertes par les premiers Evangiles : Jean, 11, 4 ; cf. Matth., 's.xvï, 18, 45 ; Marc, xiv, 35, 41. Jean, ni, 3 ; cl'. Matth..xiu, i ; Marc, -K, 15. Jean, i, 32 ; cf. Matth., iv, 4= Luc, iv, 4 ; I/eut., viii, 3.

En tout cas, il n’en est pas une qui ne réponde au mode d’enseignement habituel au Sauveur. — Le Christ synoptique a fait ample usage de l’allégorie : Matlh., v, 13 ; Marc, I, 17 ; viii, 15 et parall. ; Matth., VII, 6, 15 ; viii, 22 ; X, 38 ; xi, 29 ; xv, 13, 14, 26 ; Marc, XII, 10, 17 ; xiv, 8, 36 ; Luc, xii, 35 ; etc. Et cela se comprend : les deux genres, parabolicpie et allégorique, sont étroitement apparentés, étant fondés sur la raison commune de la comparaison, qui est exprimée dans la parabole, sous-entendue dans l’allégorie ; rien de plus aisé que de passer d’un genre à l’autre. — Les allégories johannifjues elles-mêmes peuvent toutes se réduire à des comparaisons. Elles sont d’ailleurs mêlées de comparaisons proprement dites et de sentences strictement paraboliques : iv, 37 ; VIII, 17, 35 ; XI, 9 ; XII, 35 ; xiii, 16 ; xv, 20 ; iii, 20 ; XIII, 10 ; VII, 18 ; XV, 13, 15 ; surtout : iii, 8, 14 ; XII, 24 ; XV, 4) 6 ; XVI, 21-22.

278. 3° Le jeu des dialogues. — L’on n’est pas autorisé à parler d’un procédé régulier et uniforme qui fonderait tout le jeu des dialogues johanniques sur des méprises prolongées et jamais éclaircies. Un bon nombre d’entretiens échappent entièrement à cette règle. — Les cas où nous trouvons une parole allégorique de Jésus entendue par ses auditeurs dans un 1 sens matériel sont restreints à quelques scènes : 11, J 20-2 1 ; III, 4 ; IV, II, 1 5, 33 ; vi, 34 ; viii, 33 ; xr, 1 2- 1 3, 14. — Tous ces exemples ne sont d’ailleurs pas identiques. Dans trois cas seulement, le Sauveur poursuit l’entretien sur l’idée contenue dans la sentence figurée : iii, 5 sq. ; iv, 13 sq. ; vi, 35 sq. L’entretien avec la Samaritaine, iv, 13 sq., est même la seule circonstance où le Maître fasse durer la méprise et ne développe pas aussitôt la vérité, d’abord présentée sous forme de symbole.

Or, on trouve également dans les Synoptiques des sentences figurées que l’entourage de Jésus ne comprend pas ou interprète même à contresens : Marc, vir, ib-i-) =1.Matth., xv, ii-15 ;.Marc, v, 39-40 et parall. ; VIII, 14-21 ^=i Matfh., xvi, 5-12 ; cf. Marc, x, 89 = Maltk., XX, 22. — On peut parfaitement penser que des incidents de ce genre se sont produits beaucoup plus souvent que ne le disent les premiers Evangiles, manifestement abrégés et incomplets.

Par ailleurs, les dialogues johanniques offrent un déA’eloppement très naturel et sont mêlés d’incidents extrêmement vivants, qui leur donnent un véritable cachet de réalité.

â73. 2° Uaiformité et caractère spécial des idées. — A la variété des sujets traités diins les Evangiles synoptiques, on oppose l’uniformité et la spécialité des thèmes familiers au quatrième E"angile.

Mais, d’un côté, on s’explique bien le caractère de variété qu’offrent les premiers documents, si l’on observe qu’ils embrassent l’ensemble du ministère galiléen, riche en épisodes, et que la tradition première a été guidée dans le choix des faits et des, sentences par les préoccupations du moment, savoir la prochaine venue du Fils de l’homme, les conditions nécessaires pour avoir part au royaume, les vertus, préceptes et conseils, destinés à former pratiquement la vie chrétienne.

D’un autre côté, il n’y a pas à s'étonner outre mesure ([ue les discours rapportés par le quatrième évangélisle et les idées mises en valeur dans ces discours offrent une certaine communauté d’esprit et de tendances, tout en appartenant au Christ de l’his1729

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1730

toire : l’écrivain s’est visiblement inspiré de considérations apol()f ;  : é tiques dans le choix qu’il a fait de ses épisodes ; il a dû relever, dans les enseignements du Sauveur, ce qui allait mieux à son but particulier, à son goût personnel, aux besoins de ses lecteurs ; et l’on sait que ces besoins étaient nouveaux, notablement diiférents de ceux des premiers jours.

S74. En particulier, notre auteur a pu choisir de préférence, comme convenant mieux aux tendances mystiques de son âme, et s’adaptant plus parfaitement à l’idée qu’il se faisait du divin Maître, les sentences sur l’esprit et la chair, la lumière et les ténèbres, le monde, le jugement, la résurrection, la vie. Mais rien n’autorise à croire qu’il les tire de son propre fond. La plupart de ces expressions, spécialement les antithèses de l’esprit et de la chair, de la lumière et des ténèbres, de la vie et de la mort, sont familières à l’apiitrc saint Paul et se présentent chez lui avec un sjmbolisme beaucoup plus net et beaucoup plus riche ; si notre évangéliste, venu longtemps après, cx*éait librement ses discours, n’aurait-il pas dépassé les tentatives de son devancier ? N’aurait-il pas à tout le moins copié à fond ce modèle ? En réalité, le grand Apôtre n’a fait que suivre l’exemple du Sauveur, transmis par la tradition ; et tout porte à croire que notre évangéliste a reproduit les sentences authentiques du Maître. Il est certain que les Synoptiques offrent nombre de déclarations fort semblables : J/arc, xiv, 38 ^ : = MattJi., XXVI, 4 1 ; V » 1 4 ; xiii, 38 ; xviii, ;  ; Luc, xii, 30 ; xvi, 8 ; Muith., V, 14-16 ; vi, 22-23 ; Luc, xi, 34-36 ; xvi, 8 ; Marc, IX, 42 ; x. 30 et parall. ; Matth., vii, 14 ; xix, 17 ; xviii, 8 ; xxA’, 4(J ; Luc, x, 25, 28 ; etc. On a le droit de supposer que ces sortes de sentences ont été prononcées par le Sauveur en nombre beaucoup plus grand et même ont servi de thème à tel ou tel de ses entretiens.

278. 3° Rapport des idées johanniques avec les idées et les faits postérieurs â Jésus. — La question qui intéresse le plus intimement l’authenticité des discours johanniques est bien celle du rapport entre les idées qui sont attribuées au Christ dans notre document et celles que le Christ de l’histoire a pu avoir dans la réalité. En effet, si l’auteur a composé librement ses discours, il est à croire qu’il les a pénétrés des tendances et des préoccupations propres à un théologien mystique de son temps. C’est ce que prétendent les critiques symbolistes. Voyons si leur prétention est justiliée.

1° Les allusions à l’histoire posté’aiii ; éli(/ue. — Des allusions que l’on prétend trouver à l’histoire du mouvement chrétien oi)éré depuis le Christ, la plupart sont purement arbitraires. C’est, par exemple, de i)arti i)ris que l’on voit, dans i’avengle-né expulsé par les pharisiens, la figure du christianisme naissant excommunié de la synagogue (11° 251) ; dans riiisloire du lils de l’oflicier royal, l’image anticipée de l’évangélisation des Gentils (n° S47) ; dans les épisodes de l’onction et de l’entrée à Jérusalem, des tableaux prophétiques du triomphe de l’Evangile (n" 338-339) ; dans Pierre et Marthe, des types du judéochristianisme ; dans Lazare, Marie de Héthanie, Marie de Magdala, des symboles du christianisme de la gentilité (n° 383).

Les autres, comme celles qui visent la mission, les travaux ou les épreuves futures des apôtres, iv, 38 ; XIII, 36 ; xiv, 12 ; xv, 27 ; xvi, 2 ; xxi, 18, sont analogues à nombre de prédictions synoptiques, et ne pourraient être refusées au Sauveur que dans l’hypothèse, non recevable, où il aurait été convaincu de l’avènement immédiat du royaume et foncièrejuenl ignorant de l’avenir de l’Eglise.

376. 2* Les relations de l Eglise avec l’empire romain et la synagogue. — La tin du i" siècle fut signalée par les persécutions dont l’Eglise fut l’objet de la part de l’empire romain. Il est très remarquable que le quatrième Evangile n’offre aucune allusion tant soit peu plausible à ces persécutions, et qu’au contraire, quand le Sauveur parle des persécutions qui attendent ses disciples, il ne signale que des persécutions juives : xvi, 2.

377. Que penser de l’attitude observée à l’égard de la synagogue ? — Le Christ johannique, dit-on, parle des « Juifs » comme s’ils étaient des étrangers à son égard et à l’égard de ses disciples : xiii, 33 ; xviii, 20, 35, 36 ; cf. viii, 17 ; x, 34 ; xv, 25 ; l’auteur s’attache à faire ressortir l’aveuglement et l’obstination de ces mêmes Juifs, v, 16-18 ; vi, ^i, 53 ; vii, i, 12, etc., à réfuter leurs objections, vii, 15, 27, 4 1-42, 52, etc., à prouver contre eux la messianité de Jésus et la supériorité de l’Evangile, v, 39, 46 ; vi, 32, etc., en se plaçant au point de vue du judaïsme de son temps. Juelu.ueu, op. cit., p. 384 ; Sciimiedel, art. cit., col 2519 ; J. Réville, op. cit., p. 198 ; Loisy, op. cit., p. 515, 854, etc.

Tout cela est loin d’être établi. Il serait d’abord bien étrange que l’évangéliste eût fait parler le Sauveur comme un non-juif : c’eût été se contredire, car ailleurs il lui fait déclarer expressément qu’il est Juif lui-même : iv, 22 ; cf. g. En réalité, Jésus tient le langage qui convient à ses interlocuteurs dans la circonstance ; saint Paul, tout Juif qu’il était, ne parle pas autrement : Act., xx, 19, 21 ; xxv, 10 ; xxvi, 2, 4> 7, ai ; Boni., iii, 9 ; ix, 24 ; I Cor., 1, 22 sq. : etc.

La mobilité d’impressions que l’auteurattribue aux Juifs, la versatilité de leurs sentiments, leur incrédulité obstinée, en face des miracles du Christ, répondent à ce que rapportent les Synoptiques eux-mêmes et convient à l’entourage réel du Sauveur mieux encore qu’aux conte :  ;  ; porains de l’évangéliste, — Quant aux objections tirées de l’origine humaine de Jésus et de sa patrie connue, Nazareth, elles se comprennent elles-mêmes beaucoup moins bien à l’époque de l’auteur qu’au temps du Sauveur et dans son milieu.

378. 3" Les institutions de l’Eglise. — Au dire des critiques symbolistes, les discours johanniques contiendraient une théorie des deux grands sacrements chrétiens, baptême et eucharistie, qui aurait été inconnue du Christ de l’histoire et appartiendrait tout entière à l’évangéliste et à l’Eglise de son temps. Dans cette théorie récente, le baptême chrétien n’est pas seulement un baptême d’eau, mais aussi un baptême d’Esprit, et son ellicacité essentielle est de conférer une nouvelle naissance selon l’Esprit-Saint : III, 5. De même, l’effet essentiel de l’eucharistie est de communiquer la vie du Christ au croyant. Récits et discours contiendraient d’ailleurs maintes allusions aux rites de ces deux sacrements. H. J. IIoltz.MANX,.eutest. Théologie, 1897, t. II, p. 497 H- ; Schmieuel. art. cit., col. 2527 sq. ; J. Réville, op. cit., p. 148, 182 ; Loisy, op. cit., >. 116, 460, etc.

Or, si nous examinons les choses, nous constatons d’abord que les prétendues allusions à la liturgie ecclésiastique sont sans aucun fondement. Il faut un esprit de système peu ordinaire pour trouver une allusion à l’interrogation qui précédait le baptême, dans ix, 35 (cf. n" 251) ; à l’imposition des mains qui l’accompagnait, dansix, 6 ; à l’inlerdicliou de le réitérer, dans xiii, 10 ; une allusion à la pratique des dimanches elirétiens, dans xx, 1, 26 ; à la communion sous les deux espèces, dans xii, 26 ; au ministre auxiliaire de l’eucharistie, dans vi, 9 (cf. u" 349) ; ù la permanence du sacrement, dans vi, 13 1731

ÉVANGILES CANONIQUES

1732

(cf. ibid.). Il est très clair, au contraire, que l’écri-A ^ain n’a pas la moindre référence au rite fondamental, et bien connu, de la rupture du pain, en vi, 1 1 (cf. ibid.). Ce manque d’allusions à des pratiques familières à l’auteur est dès l’abord assez significatif : il n’engage pas à croire que notre écrivain tire sa doctrine sacramentaire elle-même des croyances de son temps.

S79. De fait, on a de bonnes raisons de penser que, dans les Synoptiques, la parole de Jean-Baptiste touchant le baptême d’Espi-it-Saint et de feu, réservé au Messie, Marc, i, 8 = Matth., iii, ii = Luc, iii, 16, contient déjà une allusion assez nette à l’ellicacité spiritueil’..’.a baptême clirétien. Les textes de saint Matthieu, xxviii, 19 et de saint Marc, xvi, iG, tendent à montrer qu’en elïet le Sauvcur a institué, pour les candidats au royaume de Dieu un baptême, à la fois baptême d’eau et baptême d’Esprit. Et cela est pleinement conlirmé par l’étude des pratiques {Act., II, 38 ; viii, 16, 36-38 ; x, 47-48 ; xix, 5) et des doctrines de l’Eglise i^rimitive (Boin., vi, 3-4, 11 ; I Cor., XII, 13 ; Il Cor., i, 21-22 ; v, 5, l’j ; Gal., iii, 2y ; VI, 15 ; Eph., 1, 13 ; iv, 24, 30 ; Col., 11, 12 ; iii, 10 ; Tit., iii, 5-6 ; Hébr., vi, 4 ; I Pierre, i, 3, 14, ^3 ; 11, 2, a4 ; ni, 21 ; iv, 2 ; I Jean, 11, 20, 2^), qui sont trop bien établies pour ne pas dépendre de l’enseignement authentique du Sauveur.

380. En ce qui concerne l’eucharistie, il semble bien impossible de nier que la communion au corps et au sang du Sauveur n’ait été instituée par le Maître lui-même. Le témoignage de la iiremière Epitre aux Corinthiens, xi, 20-34, s’accorde sur ce point avec celui des Synoptiques : Marc, xiv, 21-24 ^ Matth., XXVI, 26-28 ^ Luc, XXII, 17-20. Or, il ne s’agit pas seulement de commémorer par un acte sensible la mort sanglante du Maître disparu, mais bien de s’unir, en se l’incorporant, à la chair et au sang de la victime rédemptrice, et pai- là de s’assimiler l’ellicacité même de sa rédemption, de s’approprier cette rémission des péchés et cette destination à la vie éternelle qui sont l’effet propre de la mort salutaire du Christ. Le rôle de la communion eucharistique ofTre donc une réelle analogie avec celui du baptême qui remet les péchés et A’oue à l’éternelle vie. Et puisque le baptême n’opère ces etl’ets qu’en infusant l’esprit et la vie du Christ, il est logique de penser que tel est aussi l’ellet essentiel de la communion au corps et au sang du Sauveur. Ainsi il y a harmonie entre l’enseignement du Christ johannique et les déclarations du Christ de l’histoire.

Le discours sur le pain de vie, où cet enseignement est formulé, offre par ailleurs, comme l’entretien avec Nicodème, où il est question du baptême chrétien, de bonnes garanties d’authenticité.

S81. 4" L’idée du royaume de Dieu. — Dans le quatrième Evangile, dit M. Loisy, op. cit., p. 817, 74-73 »

« le sentiment de la présence iuvisible du Christ au

milieu des siens l’emporte sur l’attente de son retour visible ». « Dieu est déjà présent avec le Christ dans chaque fidèle et dans l’Eglise ; le royaume des cieux a fait place au règne spirituel de Jésus. » « Jean dépend de laSynopse comme de son point de départ, mais il représente l’Evangile avec une expérience de trois quarts de siècle, l’Evangile de l’Eglise organisée en royaume de Dieu sur la terre, tandis que les Synoptiques représentent encore, dans l’ensemble, l’EAangile annoncé par Jésus. » Cf. Strauss, Nom-, c/e de Jésus, t. I, p. 184 ; JiKLiciiER, up. cit., p, 358 ; ScHMiEDEL, art. cit., col. 203 1 ; J. Rkville, op. cit., p. 143, 260 sq., 304 sq.

388. En réalité, si nous prenons le discours à Nicodème, iii, 3, 5, Jésus parle du royaume de Dieu, non comme d’une réalité spirituelle qui viendi-ait

s’intérioriser dans l’àme du croyant, mais comme d’une réalité extérieure que l’on Aoit, d’un lieu où l’on entre. Aux vv. 15-18, il est question du jugement et de la vie éternelle : or ce jugement est directement le jugement suprême, conditionné à l’avance par les mérites présents, et cette Aie éternelle est celle qui suivra la résurrection, bien que le fidèle y ait droit dès maintenant et la tienne déjà en quelque sorte. Un tel langage est en harmonie exacte avcc celui du Christ synoptique.

Dans le discours rattaché à la guérison du paralytique de Béthesda, a-, 25-29, ^^ s’agit si bien du jugement dernier et de la résurrection finale qu’il est question des morts qui entendront la Aoix du Fils de Dieu et ressusciteront, soit pour la Aie éternelle, soit pour la condamnation.

Dans le discoiu-s siu- le pain de Aie, Jésus parle cinq fois de la Aie éternelle, opposée à la mort : ai, 40, 47, 52, 55, 59, cf. 39, 50 ; et quatre fois, en termes exprès, de la résurrection « au dernier joui* » : ai, 39, 40, 44. 45. Ce contexte semble bien montrer que la Aie éternelle, dont le Sauveur parle, tout en étant censée possédée déjà par le fidèle, connue assurée et préparée par les réalités présentes, est la Aie éternelle proprement dite, qui suivra la dernière résui’rection.

Les entretiens du Cénacle supposent, il est Arai, la réalité du royaume futur préparée dans les conditions mystiques de la Aie d’ici-bas. Mais l’union spirituelle, actuellement réalisée entre le Christ et les siens, ne porte aucun préjudice à la réalité ultériem-e de leur réunion dans le royaume. Est-ce que, dans les croyances de la première Eglise, attestées par les Epitres de saint Paul, on ne trome pas l’idée de l’union au Christ i)ar l’Esprit associée à l’attente de la parousie prochaine, sans que la première idée fasse rien jierdre à la seconde de sa force ni de son importance ? Par le fait, si l’on étudie attentivemenl nos entretiens, non seulement l’eschatologie n’en est point absente, mais elle transparaît en quelque manière à travers tout le discours : xia-, 18-23 ; xvii, 2025 ; xA’i, 16, 20-23 ; xia’. 2-3, cf. 28.

S83. Tout bien considéré, l’idée du retour de Jésus et de sa réunion finale aACc les siens n’est pas présentée par notre éAangéliste dans un relief moindre que l’idée de son habitation actuelle dans l’àme du croyant. Si les Synoptiques ont reproduit avec plus d’abondance les sentences et discours eschatologiques du SauA’eur, c’est que ces déclarations intéressaient particulièrement les premières communautés chrétiennes pour lesquelles les Logia furent d’abord recueillis (n" S73). Ils ne laissent d’ailleurs pas de montrer la réalité future du royaiune ayant sa préparation et déjà son commencement dans les conditions actuelles de l’Eglise : Marc, i, 1-9, 26-29, 30-32 ; Matth., xiii, 33 ; Marc, x, 16 ; Matth., xi, 12 ; xii, 28 ; xxiii, 13 ; Luc, XAii, 21. Or, en cet ordre d’idées, le Sauvcur a pu s’exprimer aA ec plus d’étendue que ne le manifestent nos premiers documents. La richesse de doctrine qui se constate sur ce sujet dans les Epitres de saint Paul, et qu’on a tout lieu de croire commune à l’Eglise apostolique, semble bien supposer un enseignement de Jésus analogue à celui que contient l’EAangile johannique.

284. 4° Le Verbe incarné. — Le Christ historique nous est connu par les documents qui remontent au temps de ses disciples immédiats, les premiers EAangiles et les Epîtres de saint Paul : est-ce que le Christ du quatrième Evangile a cessé d’être le Christ de l’histoire, pour s’idéaliser, se transformer et devenir le Christ de la foi ? 1733

ÉVANGILES CANONIQUES

173^

D’après les critiques sjnibolistes, tout l’Evang^ile jobannique serait dominé par l’idée du Logos, ou Verbe de Dieu, incarné. L’auteur aurait emprunté cette idée à l’école grtctiue d’Alexandrie et au juif Philon ; il l’aurait adaptée au Cbrist, et, identiliant dans son esprit le Christ avec le Verbe, aurait conçu toute l’histoire du Sauveur en fonction de cette idée. Stkauss,.Vo<a’. vie de Jésus, t. II, p. 54 sq. ; Juelicher, op. cit., p. 3^6 ; ScHMiEDEL, art. cit., col. 2534 sq. ; J. RÉVILLE, op. cit., p. 112 sq., 301 ; Loisy, op. cit., p. 55, g8, 154, etc.

Or, tout d’abord, la dépendance de notre auteur à l’égard de la philosophie alexandrine et philonienne est très douteuse. — Le Logos de saint Jean a un caractère hypostatique bien détîni, qui manque à celui de Philon ; ses attributs sont pour la plupart diiTérents ; il semble qu’il n’y ait entre eux de commun que ce que le Logos philonien paraît tenir lui-même de la Sagesse hébraïque : Job, xxviii, 20-28 ; Prov., iii, 19-20 ; VIII, 22 sq. ; Bar., iii, 29-38 ; Eccli., i, i-io ; xxiv, 5-14 ; Sag., VII, 25-20 ; ix, a, 4, 9-11 ; cf. Ps. civ, 24 ; cxxxvi, 5 ; Jér., x, 12 ; li, 15. Comme, sur tous les autres points, les attaches du quatrième Evangile sont nulles avec les données de la philosophie grecque et les écrits de Philon, on a le droit de penser que l’idée johannique du Logos se rattache essentiellement à la littérature saci-ée de la Sagesse, bien qu’elle ait pu être provoquée par les préoccupations philosophiques des milieux d’Asie-Mineure, et le terme de Logos être préféré à celui de Sagesse, comme familier aux écoles juives et chrétiennes dans ces mêmes milieux.

Notre évangéliste n’est d’ailleurs pas le premier à appliquer l’idée du Verbe à Jésus : il suppose, non seulement l’idée, mais son rapport avec la manifestation du Christ, connus de ses lecteurs : i, i, 14. C’est ce que supposent également la P*^ Epître johannique, I, I, et l’Apocalypse, xix, 13. Une croyance semblable est attestée, d’autre part, parl’Epitre aux Hébreux et plusieurs autres Epitres de saint Paul, où, à défaut du nom, figure d’une façon très claire la doctrine du Logos incarné en Jésus : Ilébr., i, 2, 3 (cf. Sag., vii, a5-26), 10 (cf. Ps. eu, 26) ; II, 14 ; V, ’j ; x, 5 ; Rom., I, 3 ; IX, 5 ; x, 6 ; I Cor., i, 24, 30 ; via, 6 ; // Cor., iv, 4 ; V, ig ; viii, 9 ; Gal., iv, 4-6 ; Eph., iv, 9 ; Col., 1, 1517 ; II, 9 ; Philip., II, ’ ;. L’idenlilicationdu Christ avec le Verbe était donc chose reçue expressément en Asie Mineure, au dernier quart du 1" siècle, et équivalemment dans la plupart des Eglises, dès les années 50-Go.

Or, une telle croyance, à cette époque, ne se comprend que si elle s’accorde avec les souvenirs gardés de Jésus par ses disciples : il doit y avoir une véritable proportion entre la délinition théologique de sa personne et la réalité historique de sa manifestation. On est même conduit à i)enser que la théorie a ses racines dans les propres déclarations du Sauveur.

De fait, la traduction exacte de l’ensemble des déclarations du Christ synoptifjue se trouve bien dans la doctrine de sa divinité proprement dite et de sa préexistence élernelle (voir les art. Jésus-Cuhist et Dieu) ; d’autre part, le Sauveur semble avoir aimé prendre le langage de la Sagesse des Ecritures, comme s’il avait voulu se présenter lui-même pour la Sagesse divine : Matth., xxii, i-’i =.I.uc, xiv, 16-17 (cf. Prov.,

IX, i s(i.) ; Matth., xi, 38-30 ; xxiii, io(cf. Prov., i, 23 ; vni, 4- "J> 32-36 ; Eccli., vi, 23-26 ; xxiv, 26-27 ; li, 23-26) ; Matth., VII, 24-26 z= Luc, xiii, 25-2 ; (cf. Prov., I, 24-33 ; VIII, 32-36) ; cf. Jean, vj, 27 sq. (Prov., ix, 5) ; VI, 35 s([. (Prov., iii, 18, 22) ; viii, 12 (Sag., vi, 23) ;

X, 37 (Prov., IX, 5). Son identilication avec la Sagesse hypostatique, ou le Logos subsistant en Dieu, ne

S fait donc, en somme, qu’exprimer et déllnir ce qui

était implicite dans ses discours et dans l’ensemble de sa manifestation.

Il nous faudrait maintenant examiner dans quelle mesure on peut dire que l’idée du Verbe a influencé la représentation évangélique du Christ. Nous ne pouvons que résumer ici les résultats de cet examen. D’un côté, l’humanité de Jésus n’a été ni voilée ni transligurée tendancieusement sous l’éclat de la gloire du Verbe : le Christ johannique est réellement homme, et les traits abondent qui donnent à sa vie un véritable cachet d’humilité. D’autre part, ses relations avec Dieu ne sont pas les relations pures et simples du Verbe éternel, mais bien celles d’une créature humaine à l’égard du Père Souverain qu’elle honore et qu’elle aime. Enlin, sa manifestation comme Messie et Fils de Dieu est une révélation vivante, pleine d’habileté et de mesure, analogue à celle que décrivent les Synoptiques.

Pour la solution complète de cette question, voir les articles Jésus-Ciirist et Verbe.

II. Le quatrième Evangile contient une tradition historique

I. — Pour les récits et les faits

S88. 1° Le quatrième évangéliste a vovlu établir la foi par l’histoire. — De l’examen que nous venons d’esquisser il résulte, comme un fait certain, que le quatrième Evangile n’est pas la composition artificielle d’un théologien de la fin du i » "^ siècle, qui aurait exprimé sous le voile de l’allégorie historique les croyances idéales de l’Eglise de son temps.

1° Il a voulu prouver la foi. — Nous aurions pu le conclure des paroles mêmes qui se trouvent à la fin de l’Evangile, et où l’auteur révèle le dessein de son ouvrage, xx, 30-31 : « Jésus, dit-il, a fait beaucoup d’autres signes, en présence de ses disciples, qui ne sont pas écrits dans ce livre ; ceux-ci ont été écrits afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et que, croyant, vous ayez vie en son nom. »

Impossible d’interpréter ces paroles en ce sens que l’évangéliste aurait voulu seulement représenter la foi, l’expliquer ou la décrire, en une narration symbolique, qui aurait les apparences de l’histoire, tout en étant conçue uniquement en vue de l’idée théologique à figurer. LoisY, op. cit., p. 77, 94, 922. Il est très clair qu’il s’est proposé, non d’enseigner la foi, mais de l’établir. — Comment cela ? En racontant les signes, c’est-à-dire les œuvres surnaturelles ou les miracles accomplis par le Sauveur, et qui révèlent sa qualité de Christ et de Fils de Dieu. Ces œuvres significatives sont aptes à fonder la foi, parce que ce sont des réalités constatées, des faits garantis. C’est pourquoi l’auteur a soin de dire que les signes ont été opérés a en présence des disciples » ; après l’épisode du coup de lance, il en a appelé également au témoin garant du récit, xix, 35 ; dans le chapitre final, il présentera encore le disciple bien-aimé comme garant des faits racontés dans l’Evangile, xxi, 24 ; cf. I Jean, i, i-3 ; iv, 14 ; III Jean, 12. Dans tout son livre d’ailleurs, il insiste sur la preuve du témoignage expérimental comme base de la foi : i, 15, 19 sq., 3234 ; II, 11 ; iii, 27 sq. ; v, 36 ; ix, 36-4 1 ; x, 25-26, 38 ; XI, 15, 42 ; XII, 37-40 ; xiA-, 12, 39 ; XV, 24 ; XX, 8, 20,

25.

286. Il paraît donc certain que l’intention principale de notre écrivain est, non pas symbolique ou proprement dogmaticiue, mais l)ien apologétique. Il veut donner la foi au Christ, Fils de Dieu, par le récit des œuvres qui ont réellement manifesté sa messianité et sa divinité.

L’examen du livre répond tout à fait à cette indi1735

ÉVANGILES CANONIQUES

1736

cation. L’auteur s’est proposé de narrer un certain nombre de miracles saillants, particulièrement aptes à révéler la puissance du Christ età faire entrevoir, de sa part, d’autres œuvres plus merveilleuses encore. Cf. i, 50-51 ; V, 20 ; vi, 61-62. Le même point de vue apolojfétique peut se reconnaître dans les épisodes autres que des miracles.

Toute la question est donc de savoir si l’évang-éliste a entendu prouver la vérité chrétienne par le récit de faits empruntés à la réalité et dûment garantis, ou bien s’il a voulu l’établir sur des fictions pieuses purement imaginaires. Or la réponse à cette question ne saurait faire de doute.

S87. — 2° // a youlu la pvom’er par l’histoire. — L’hypothèse d’un roman apologétique doit être déclarée franchement inadmissible. Il est impossible, en effet, de supposer qu’un écrivain bien intentionné, comme on reconnaît qu’était l’auteur de notre Evangile, un croyant d’une haute élévation morale, qu’on ne peut se résoudre à traiter d’imposteur, ait prétendu fonder la foi des chrétiens asiates sur des Actions, en affectant cependant de donner à son œuvre les apparences de l’histoire, en paraissant vouloir compléter les Evangiles antérieurs, bien plus, en garantissant les faits racontés par le témoignage d’un disciple direct de Jésus, l’illustre Jean d’Ephèse, auquel il s’identifie lui-même (n°* 166-174).

Au surplus, dans l’hypothèse adverse, sa source d’information principale, sinon unique, aurait été les Evangiles antérieurs. Or, nulle part on ne voit qu’il les copie ; il en omet nombre d’épisodes qui auraient fort bien servi son dessein ; il ne s’inquiète pas de marquer l’accord de son histoire avec ces Evangiles traditionnels, ni de fournir des explications qui concilieraient leurs antinomies apparentes. Au contraire, en une foule de circonstances, il s’écarte de ses devanciers, jusqu’à paraître en désaccord avec eux, sans qu’il y ait à cela le moindre intérêt dogmatique ou apologétique, et sans que, d’autre part, il se préoccupe de l’impression défavorable que ces divergences pourront faire sur ses lecteurs. Une telle conduite est absolument inconcevable de la part d’un romancier chrétien qui tiendrait à donner à sa composition imaginaire les apparences d’une histoire digne de créance et capable de fonder la foi.

388. Reste alors l’hypothèse que l’écrivain ait possédé sur les faits évangéliques des renseignements ou des souvenirs indépendants, et qu’il ait puisé à cette source pour composer un Evangile parallèle, d’ai)rès sa tournure d’esprit propre et les besoins particuliers de ses lecteurs. Seule plausible après l’élimination des autres, cette hypothèse est pleinement confirmée par l’étude intime de l’ouvrage.

2° L’examen du livre révèle une tradition historique. — 1° Les détails topographiques. — L’évangéliste, nous l’avons vu (n"’160-164), fournit, à propos des épisodes qu’il raconte, de nombreux détails topographiques, touchant la Galilée, le lac de Génésareth, la Samarie, la Judée, Jérusalem. Ces détails sont pour la plupart inconnus des Synoptiques et des autres écrits du Nouveau Testament, qui, par contre, en contiennent d autres, non moins intéressants, laissés de côté par notre auteur. On peut en conclm-e qu’il fournit les siens en toute indépendance et de son fond. Or, ils sont reconnus remarquablement exacts, autant que précis. Ce fait nous garantit d’abord que l’évangéliste n’est pas aussi insouciant à l’égard du réel qu’on se plaît à le dire, et que, par conséquent, la vie remarquable, le réalisme intense de ses récits ne sauraient être attribués à la vigueur d’imagination d’un voyant, absorbe dans sa contem plation et indifférent à l’histoire. D’autre part, la manière très naturelle dont les détails topographiques se mêlent au récit, au fur et à mesure de l’occasion (par exemple, dans iv, 5, 6, 20, 35 ; cf. n"161, 163), tend bien à montrer que l’auteur n’est pas seulement bien informé touchant les lieux en question, mais possède des souvenirs évangéliques étroitement rattachés aux théâtres de l’activité du Sauveur,

589. 2° Les récits cl^pisodcs communs aux Synoptiques. — Si l’on prend les épisodes qui ont leur équivalent dans les premiers Evangiles, tels que la multiplication des pains, vi, i-15, la marche sur les eaux, VI, 16-21, Tcxpulsion des vendeurs du temple, II, 13-22, l’onction de Béthanie, xii, i-ii, et le reniement de saint Pierre, xviii, 17-27, la comparaison des récits parallèles montre avec évidence que, nulle part, notre évangéliste ne dépend véritablement de ses devanciers ; multiples sont les divergences, soit pour les détails fom-nis, soit pour les expressions. Or, ni celles qui ont quelque importance, ni celles qui sont insigniûantes, n’ont leur raison d’être dans une préoccupation tendancieuse ou un procédé artificiel ; elles ne s’expliquent raisonnablement que de la part d’un écrivain qui est en possession de renseignements indépendants et peut aller de pair avec les autres évangélistes sur le terrain de l’histoire.

590. 3° Les références à la tradition synoptique. — Que notre auteur soit à même de compléter les Evari’iles antérieurs, c’est bien ce que montrent les racco. ds implicites de sa narration avec l’histoire traditionnelle. On dirait qu’il s’attache d’une façon générale à compléter les Evangiles antérieurs d’un point de vue personnel. S’il reproduit la multiplication des pains et la marche sur les eaux, déjà racontées par ses devanciers, c’est à cause de leur liaison avec le discours sur le pain de vie qu’ils ont omis et que lui tient à souligner. S’il reprend le récit de l’expulsion des vendeurs, c’est pour le situer à sa vraie place et expliquer le propos tenu plus tard par les faux témoins ; ceux de l’onction de Béthanie et de l’entrée à Jérusalem, c’est à cause de leur connexion avec la résurrection de Lazare et avec la démarche des Grecs. Dans l’ensemble, l’auteur semble omettre délibérément ce que les premiers Evangiles ont déjà relaté : et on le voit bien par l’omission qu’il fait de l’institution de l’eucharistie, tout en racontant la dernière Cène.

Néanmoins il a maintes références implicites à la tradition antérieure. Jean-Baptiste fait clairement allusion à la scène synoptique du baptême, i, 31-34. Le ministère galiléen est expressément supposé, iv, 43, 54 ; VI, 1 sq. ; VII, i sq. Bien plus, l’évangéliste note, à propos du dernier témoignage du Précurseui", que celui-ci

« n’avait jias encore élé jeté en prison », iii, 24 ; 

à propos de la comparution de Jésus devant Anne, que ce fut sa <( première » station, xvii, 13. Ces indications n’ont aucune portée dogmatique : il n’y avait aucun intérêt à séparer si notablement le dernier témoignage de Jean-Baptiste des deux premiers ; la scène qui se passe devant Anne aurait pu se jiasser tout aussi bien devant Caïphe. Les renseignements de l’évangéliste n’ont de Aaleur qu’en histoire et ils ne se comprennent que s’il a l’intention de compléter ses devanciers et se sent en mesure de le faire. De même, le pluriel : « nous ne savons », attribué à Marie-Madeleine dans le récit de sa visite au tombeau, XX, 2, paraît bien supposer la scène synoptique parallèle, où elle figure en compagnie d’autres personnages.

291. 4* Le cadre chronologique et topographique du ministère. — Notre assertion trouve une preuve particulièrement remarquable dans l’information donnée par l’Evangile johannique sur la durée et le 1737

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théâtre, du ministère du Christ. D’après notre document, il y aurait eu plusieurs, probablement quatre Pâques au cours de la vie publique de Jésus, et le Sauveur se serait manifesté à diverses reprises à Jérusalem avant le voyage que motiva la Pàque linalc (n° 235)- Or, les Evangiles synoptiques, sans contenir d’aflirmations expresses qui aient pu donner à notre écrivain l’idée des trois années de ministère et des multiples séjours hiérosolymitains, offrent cependant à l’observateur attentif un certain nombre d’indications qui vont à justifier la possibilité, et même à démontrer laprobabilité du cadrejohannique.

Tout d’abord, s’il est vrai que la relation synoptique ne distingue pas, dans la vie de Jésus, à quelles époques ont eu lieu les faits, et donne simplement l’impression d’une période de temps unique, se terminant à une fête de la Pàque, il n’est pas moins vrai que la masse des faits détaillés, et qui sont pourtant, comme le montre l’inégalité même du contenu des trois écrits, un faible résidu de la réalité, d’autre part, la nécessité d’expliquer le résultat extraordinaire obtenu par l’action du Sauveur, action que nous constatons avoir été voulue par lui lente et progressive, donnent encore plus fortement l’impr -ssion que tant et de si grandes choses ne se sont pas pa -ées en un an.

S93. De fait, à étudier de près les récits synoptiques, on trouve divers indices d’une pluralité de saisons. L’épisode des épis froissés, placé au début du ministère, Marc, ii, aS = Matth., xii, i = Luc, vi, i, suppose une époque assez voisine de la moisson, donc, étant donné le climat de Palestine, la saison de printemps, ou les environs de la Pàque. La multiplication des pains, notablement séparée du précédent épisode et bien antérieure aux derniers jours de Jésus, Marc, VI, Sg = Matth., xiv, ig =r Luc, ix, 14 = Jean, VI, 10, a également lieu au printemps : les gens peuvent s’asseoir sur un gazon vert et abondant, et la circonstance de la Pàque prochaine fournit une explication topique de la foule rassembléeaux environs de Capharnoiim. Nous trouvons ainsi l’indice d’au moins deux années complètes dans la vie publique du Sauveur. Une troisième année pourrait aller de la Pàque des épis froissés à une Pàque antérieure, placée, comme le marque notre Evangile, ii, 13, entre l’époque du baptême et l’emprisonnement de Jean-Baptiste, que suivit le retour définitif en Galilée.

293- Si l’on remarque que le quatrième évangélistc, à propos de la multiplication des pains, dit en termes exprès que l’on était proche de la Pàque, vi, 4, sans qu’on puisse croire son indication déduite des données synoptiques, qu’elle précise néanmoins exactement, on peut voir dans cet ensemble de faits une preuve positive que notre écrivain est particulièrement renseigné sur le cadre chronologique du ministère.

Cela conduit à penser qu’il n’est pas moins bien informé lorsqu’il place à Jérusalem un certain nombre de ses épisodes. Plusieurs faits concourent d’ailleurs à nous en assurer. D’un côté, le quatrième évangéliste reconnaît manifestement la durée pleine du ministère galiléen, décrit par les Synoptiques, et n’accorde au ministère hiérosolymitain que quelques moments très courts, à l’occasion des fêtes. D’autre part, le fait que la vie publique du Sauveur a embrassé plusieurs années rend hautement probable, et même certain, qu’il a dû, à l’occasion des fêtes, monter à Jérusalem. Enfin, divers détails sj-noptiques paraissent supposer elfectivement des relations suivies du Sauveur avec la capitale juive, antérieurement au voyage qui amena sa mort : tels, les disciples et amis qu’il a dans Jérusalem et aux environs : Marc, XIV, 3 = Matth., xxvi, 6 ; Marc, xi, 2-3

etparall. ; xiv, 13-15 et parall. ; xv, 43 et parall. ; Luc, x, 38-42 (rapproché de Jean, xi, i-xii, i) ; telle encore, sa parole de reproche à la ville ingrate, demeurée insensible à ses avances, Matth., xxiii, 3’j = : Luc, XIII, 34 Mais si le quatrième évangéliste est capable de préciser et de compléter à bon escient ses devanciers en ce qui concerne le cadre chronologique et la topograpliie générale du ministère de Jésus, ne faut-il pas attribuer également à une information spéciale les faits qu’il raconte d’une manière personnelle et indépendante ?

5° Un grand nombre de données particulières. — Il est certain que ses données ont les meilleures apparences de l’histoire et qu’en un bon nombre d’entre elles on a des raisons très particulières de voir une tradition autorisée.

294. liéthanie, l’endroit où Jean baptisait. — L’évangéliste indique comme théâtre du premier témoignage de Jean-Baptiste « Béthanie, au delà du Jourdain, où Jean baptisait » : i, 28. Or, la tradition concernant le séjour du Précurseur en Pérée a toutes les garanties possibles d’authenticité : au rapport des Synoptiques, Hérode Antipas fit saisir et emprisonner Jean-Baptiste parce que celui-ci lui reprochait son mariage incestueux avec Hérodiade, femme de Philippe, son frère, Marc, vi, 17 et parall. ; mais on ne s’explique bien les reproches du Précurseur à Hérode, et son arrestation par les ordres du tétrarque, que si Jean-Baptiste a séjourné dans les Etats de ce prince, c’est-à-dire dans la Galilée, au nord, ou dans la Pérée, à l’est du Jourdain. C’est précisément ce que suppose la donnée johannique ; et l’on ne voit pas qu’elle ait pu être déduite des Synoptiques : ces Evangiles n’indiquent en aucune façon que le Baptiste ait exercé son ministère de l’autre côté du fleuve, comme notre auteur le précise résolument, cf. x, 40 S93. f-es premiers disciples, sortis de l’école de Jean-Baptiste. — D’après le quatrième Evangile, les premiers disciples de Jésus sortaient de l’école de Jean-Baptiste et avaient commence à suivre le divin Maître longtemps avant la scène des bords du lac à laquelle les Evangiles antérieurs rattachent leur appel. Cela explique bien, en eft’et, l’importance exceptionnelle accordée, dans les premiers temps de l’Eglise, au Précurseur.

Cela permet aussi de mieux comprendre la scène de leur vocation, d’après les Synoptiques, Marc, i, 16-20= Matth., IV, 18-22 = Luc, v, i-ii. L’appel de Jésus a pu s’étendre à divers moments, com[)rcndre plusieurs phases, se préciser et se compléter en des périodes successives. Les premiers évangélistes se sont contentés de reproduire le plus important de ces moments : de là un relief tout spécial donné à cet épisode. Mais ce relief ne doit pas être regardé comme exclusif. Au contraire, la vocation du bord du lac, telle qu’ils la racontent, avec la brusque invitation de Jésus, et l’adhésion instantanée des pêcheurs à qui il s’adresse, font soupçonner des rencontres antérieures, ayant servi à la préparer. Or, on conçoit que la première de ces rencontres ait eu lieu aux bords du Jourdain, où la foule était attirée par Jean-Baptiste. Les disciples seront revenus avec le Sauveur dans la Galilée, leur patrie ; ils l’auront accompagné pour la Pà<iue suivante à Jérusalem, seront restés quelque temps avec lui en Judée. Mais on comprend aussi qu’à leur retour, ils aient repris leur métier sur le lac, jusqu’à l’heure décisive où le Maître leur notilie de laisser là leurs filets pour le suivre et s’apprêter à devenir à leur tour pêcheurs d’hommes.

C’est à cette vocation suprême que s’en tiennent les Synoptiques : encore une fois leur relation ne 1739

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porte pas préjudice à celle de notre document ; au contraire, l’épisode johannique est dans la vraisemblance de l’histoire. Le fait qu’un des premiers disciples en question, l’anonyme appelé en compagnie d’André, est très probablement, pour ne pas dire certainement, identique au disciple bien-aimé. auteur de l’Evangile, est de nature à en garantir l’historicité.

396. Bethsaïde, pairie de Simon Pierre et d’André. — Dans le même chapitre, nous sommes informés que Si ; non-Pierre et son frère André étaient de la ville de Bethsaïde. Or, ce renseignement ne figure pas dans la tradition synoptique. A lire même les premiers Evangiles, il semblerait que les deux frères aient habité Capharnaiim. J/o/r, i, 2g et paraît. Si notre auteur dépcTidait de ses devanciers, il aurait sûrement retenu le nom de cette dernière ville ; d’autant qu’il la connaît bien, ii, 12 ; iv, 46 ; vi, 1^, 60. Comme ni la raison du sjmbolisme, ni aucune autre, ne permettent de supposer qu’il a remplacé délibérément le nom de la ville importante par celui du petit A’illage voisin, il y a tout lieu de croire qu’en disant Pierre et André originaires de Bethsaïde, il se montre écrivain particulièrement renseigné.

597. Je motif du départ de Jésus pour la Galilée.

— L’évangéliste attribue le départ de Jésus pour la Galilée, qui suivit le dernier témoignage de Jean-Baptiste et doit correspondre à celui que ses devanciers racontent en tête du ministère galiléen, Marc, I, 14 = Matth., IV, 12 ==. Luc, iv, 14, à la crainte cjue sin succès n’excite contre lui la haine des pharisiens, IV, 1-3 ; cf. IV, 44 ; vii, I sq. ; xi, 8, 54- Cette donnée encore est indépendante des relations synoptiques, elle est même divergente à leur égard, et elle se trouve néanmoins en coïncidence remarquable avec elles.

D’après les deux premiers Evangiles, en effet, Jésus revient délinitivement en Galilée quand il apprend l’emprisonnement de Jean-Baptiste, Marc, i, 14 = Matth., IV, 12. Mais pourquoi ce brusque éloignement des lieux où avait baptisé le Précurseur ? Il est permis de supposer qu’un séjour prolongé en cette région devenait un péril pour le Sauveur lui-même. D’où venait ce péril ? Evidemment, de ceux qui déjà s’étaient attaqués à Jean. Or, les Synoptiques ne mettent pas la mort du Baptiste sur le compte d’Hérode Antipas seulement : ils laissent entendre que la main des pharisiens n’y fut pas étrangère, Marc, ix, 11-12

: ^Mntth., xvii, 12. Sans doute ceux-ci ont-ils intrigué

pour compromettre, auprès d’Antipas, l’homme qui, non content de reprocher son adultère au tétrarque, les poursuivait eux-mêmes de ses anathèmes menaçants. Cela explique bien que le Sauveur, au lieu de fuir la Galilée, où règne le meurtrier du Baptiste, s’y retire au contraire, pour se dérober aux véritables ennemis à craindre, les pharisiens.

Si réelle et si profonde est l’harmonie de la notice johannique avec les données synoptiques correspondantes, qu’elle ne peut s’expliquer que i^ar une information parallèle, très exacte.

598. I.e rôle d’André et de Philippe. — A la multiplication des pains, vi, 5-8, et lors de la démarche des Grecs, xii, 20-2 1, on voit les deux apôtres André et Philippe jouer un rôle remarquablement approprié à leur origine et à leur situation. Tous deux portent un nom à forme essentiellement grecque, et ont pour patrie la petite ville de Bethsaïde, que sa position au bord du lac de Tibériade et ses riches pêcheries devaient mettre en relations toutes particulières avec les pays environnants. On comprend dès lors qu’ils soient les premiers à recevoir la confidence des Grecs du chapitre xii ; ces Grecs font partie de la caravane de pèlerins qui, chaque année, des régions voisines

de la Palestine, soumises à l’influence hellénique, et surtout des paj’s situés aux confins de la Galilée septentrionale, venaient à Jérusalem célébrer la Pàque. Désireux devoir Jésus, ils s’adressent à deux apôtres spécialement qualifiés pour leur servir d’intermédiaires.

De même, l’on peut croire que l’intervention de Philippe et d’André, à l’occasion de la multiplication des pains, tient à ce que. gens de Bethsaïde, ils sont plus familiarisés a^ec la région, plus aptes à communiquer avec la foule, composée surtout de Juifs hellénistes, se rendant pour la fête à Jérusalem, donc tout désignés pour recevoir du Sauveur l’incitation à acheter des vivres, et lui signaler le jeune homme qui se trouve là avec les pains et les poissons.

299. Marthe et Marie. — Les deux sœurs Marthe et Marie, qui figurent dans une scène de saint Luc, X, 38-42, paraissent aussi dans les deux éjjisodes johanniques de la résurrection de Lazare, xi, i-45, et de l’onction du Sauveur à Béthanie, xii, i-3. Or, dans ces derniers épisodes, elles j^résentent le même caractère, la même attitude, que dans la scène du troisième Evangile, sans que cependant l’on puisse croire à une imitation littéraire de la part de notre auteur. C’est ainsi que, sans le dire expressément, il suppose Marthe l’ainée de la famille et la maîtresse de maison, XI, 5, 19, 20. Saint Luc. de son côté, laisse entendre la chose, sans la préciser, x, 38-39. ^^ y ^ donc sur cette donnée, de part et d’autre implicite, un accord très réel. Et il est d’autant i)lus significatif que l’attention de notre auteur, dans l’introduction à son récit, se porte d’abord sur Marie, qu’il nomme en premier liei, comme censée mieux connue par l’épisode de l’onction, xi, i.

300. L.eur résidence à Béthanie. — Le quatrième évangéliste est seul à mentionner comme lieu de résidence des deux sœurs, le village de Béthanie, à quinze stades de Jérusalem, xi, i, 18 ; xii, i. Or, ce renseignement, qui n’a pu lui cire suggéré par le récit de saint Luc, répond néanmoins on ne peut plus heureusement aux insinuations de son contexte. Si l’on examine attentivement, en cfTet, la narration du troisième évangéliste, on s’aperçoit qu’elle est engagée dans une série d’épisodes, xi, 51-xiii, 21, qui supposent le Sauveur aux environs de Jérusalem, assez longtemps avant la Pâque finale, probablement à l’occasion de la fête de la Dédicace, dont parle saint Jean, x, 22, cf. l.

C’est d’abord la parabole du bon Samaritain : l’histoire est censée avoir pour théâtre la route conduisant de Jérusalem à Jéricho, Luc, x, 30 : or, le Maître a dû, selon sa coutume, tirer les circonstances de sa parabole des objets environnants, afin de frapper plus vivement ses auditeurs ; par conséquent il devait se trouver sur les lieux mêmes dont il évoque la pensée en son discours. Les repas pris chez les phai-isiens, Luc, xi, 3^. les invectives prononcées contre eux et les docteurs de la loi, Luc, xi, 39-54, et que justement saint Matthieu, xxiii, place à Jérusalem même, enfin l’allusion à l’accident de la tour de Siloé, Luc, xiii, l, qui devait impressionner particulièrement les milieux hiérosolymitains, sont autant de nouveaux indices que le Sauveur se trouve à cette époque près de la ville sainte.

Il est donc tout à fait à croire que le village de Marthe et de Marie était lui-même situé non loin de la capitale juive, sans doute sur cette route de Jérusalem à Jéricho, à laquelle il vient d’être fait allusion dans la parabole du bon Samaritain. Or, cela est en accord j)arfait acec la donnée johannique, qui place la résidence des deux sœurs à Béthanie, un peu à l’est de Jérusalem. On a le droit de trouver ce rapprochement très suggestif.

301. fa résurreclioji de Lazare et l’entrée triomphale à Jérusalem. — L’émoi que cause la résurreclion de Lazare aux portes de Jérusalem, peu avant la dernière Pàque, rend heureusement compte de l’enthousiasme qui accueille le Christ à son entrée dans la ville. Dans les Synoptiques, on est un peu surpris de la réception, si spontanée et si unanime, faite au Sauveur : qu’est-ce qui a donné naissance à ce mouvement insolite ? Comment la foi messianique est-elle parvenue tout à coup à ce degré d’intensité ?


Le fait nouveau a dû être amené par des événements récents, considérables, que passe sous silence la narration incomplète des premiers évangélisles. Saint I-ac. xix, 3y, y fait en quelque sorte allusion lorsqu’il montre la foule des disciples louant Dieu à haute voix pour tous les prodiges dont ils ont été les témoins, et que l’évangéliste, si l’on en juge par son récit antérieur, sous-entend. Il semble d’ailleurs difficile d’expliquer l’entrée triomphale par l’attitude bienveillante des seuls Galiléens venus à la fête. Si le gros des partisans de Jésus s’était uniquement composé de ces provinciaux du nord, on ne comprendrait guère qu’ils aient eu pareille audace à Jérusalem, en face des pharisiens.

L’enthousiasme général de la réception ne se conçoit bien que si le Sauveur avait précédemment acquis grand renom dansia capitale mèmeouaux alentours. C’est précisément ce que suppose le quatrième Evangile, quand il fait dépendre en bonne partie l’entrée triomphale du miracle de Béthanie.

302. Art parole sur la destruction du temple, à l’expulsion des vendeurs. — Le récit de l’expulsion des vendeurs, nous l’avons vu (n° S55), fait preuve de la meilleure information, en rattachant à cette circonstance la parole sur la destruction du temple, que reprocheront au Sauveur les faux témoins. La forme sous laquelle est reproduite cette sentence convient elle-même exactement au Christ, tout en donnant la clef des modilications que lui font subir ses accusateurs.

Le rôle de Judas dans l’épisode de l’onction. — De même, le rôle attribué à Judas, dans le repas de l’onction, donne la raison du lien qu’établissent les deux premiers Synoptiques entre ce repas et la résolution suprême du traître (n’^ S58).

303. Le lavement des pieds. — L’épisode du lavement des pieds explicjue également bien la parole cjue saint Luc, xxii, 26, 28, fait prononcer à Jésus, au moment de la dernière Cène : « Que le plus grand parmi vous devienne comme le plus petit, et celui qui commande comme celui qui obéit ; car qui est le plus grand, de celui qui est à table, ou de celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or, moi, je suis au milieu de vous comme le serviteur. » L’opposition que le Sauveur établit, dans cette sentence, entre celui qui est à table et celui qui sert, d’autre part l’appel qu’il fait à son propre exemple, paraissent supposer nécessairement que, dans la circonstance, il a réellement fait, au milieu de ses disciples assis, oflice de serviteur.

304. Je caractère de Simon Pierre. — L’attitude prêtée à Simon Pierre dans cet épisode johannique, son indignation à la pensée que le Seigneur veut hii laver les pieds, son empressement à offrir ensuite plus fju’on ne lui demande, xiii, G -9, sont très conformes au tempérament impétueux, à l’humeur vive et primesautière, qui le caractérisent dans l’histoire synoptique : Marc, viii, 82 =.Vattli., xvi, 22 ; Marc, XIV, 29, 68 sq., et parall. La même remarciue s’applique aux autres récits du quatrième Evangile où le chef des apôtres est en scène : xiii, 87 ; xviii, 10, 17, 25 sq. ; XXI, 7. Or, il semble dillicile d’attribuer un

tel accord à une imitation réfléchie de la part de notre écrivain.

305- L.es soldats romains à l’arrestation du Christ.

— Il n’est pas jusqu’au détail fourni sur la troupe qui vient arrêter le Christ, xviii, 3, et à la parole prêtée au Sauveur à cette occasion, xviii, 9, qui n’expliquent le signe du baiser indiqué par Judas et la liberté laissée aux disciples, malgré leur essai de résistance.

Dans les premiers Evangiles, Judas se croit, en effet, obligé d’indiquer d’avance à ceux qu’il conduit le signe qui leur montrera Jésus. Or, la chose est étonnante si la bande se compose uniquement de valets juifs : n’ont-ils pas vu fréquemment le Christ dans le temple ? Ils sont capables, semble-t-il, de le reconnaître aisément. Mais il n’en est pas de même si le gros de la troupe, ceux qui marchent en avant et doivent avoir le rôle principal, sont, comme le déclare notre évangéliste, des soldats romains, récemment transportés de Césarée à Jérusalem pour les fêtes pascales. On comprend que Judas, devançant le bataillon, s’approche de Jésus et le trahisse par son baiser, Marc, xiv, 45 et parall., puis que le Sauveur, aux soldats qui s’approchent pour le saisir, pose la question : « Qui cherchez-vous ? » Jean, xviii, 9.

La participation des soldats romains à l’arrestation du Christ paraît d’ailleurs assez naturelle, quand on songe qu’au témoignage même des Sjnoptiques, la circonstance de la Pàque, la présence de la cohorte dans la capitale, la crainte d’un soulèvement des Galiléens, partisans de Jésus, amenèrent les autorités juives à saisir Pilate de cette affaire et à tout remettre entre ses mains, comme s’il s’était agi d’un agitateur politique et d’un séditieux.

306. La défense faite par Jésus d’inquiéter ses disciples. — Si les premiers Evangiles ne signalent pas la participation des soldats romains à l’arrestation du Christ, ils parlent néanmoins d’une foule, et d’une foule nombreuse, bien armée, Marc, xiv, 43 et parall. : comment, malgré une force si imposante, la petite troupe des apôtres réussit-elle à s’échapper ? La chose est bien extraordinaire, étant donné que les disciples essaient d’abord de résister et vont jusqu’à blesser un serviteur du grand-prêtre. Ce fait surprenant s’explique au mieux par l’intervention de Jésus, que signale le quatrième évangéliste. Le Sauveur veut subir seul sa passion : à sa demande réitérée, les soldats déclarent et répètent que c’est lui qu’ils cherchent ; il les invite dès lors à laisser ses disciples en paix. Subjugués par l’ascendant de celui qui leur parle, heureusement surpris de le voir congédier lui-même ses défenseurs, on comprend que les soldats n’hésitent pas à obéir. Sur ce point encore, notre auteur apporte un complément de valeur au récit de ses devanciers.

En somme, la partie narrative du quatrième Evangile accuse, dans son ensemble et tout particulièrement en nombre de ses détails, une tradition historique qui marche de pair avec les Synoptiques, confirme leurs données, les explique ou les complète.

2. — Pour les discours et les idées

307. 1° Les discours et leur liaison avec les récits. — « Bien chélive est la critique qui conteste toute base traditionnelle aux discours et qui en retient une pour le cadre iiistorique et les récits. Faits et discours se tiennent dans l’œuvre johannique. » Cette parole est de M. Loisy, op. cit., p. 45, au sujet de la position prise par Kenan (n° S28). Nous pouvons la faire nôtre, en la détournant de sa portée tendancieuse et en en renversant les termes : l’his1743

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loi’icité reconnue aux récils du quatrième Evangile est un argument a priori très sérieux en faveur de l’authenticité de ses discours.

Comprendrait-on, en effet, un apologiste, soucieux de relater avec exactitude les actes du Sauveur en vue d’établir la foi chrétienne, et ne craignant pas de méleràses récits d’histoire des discours qui n’auraient jamais été prononcés par le Christ, mais seraient son œuvre propre ?

Puisque l’évangéliste a sur la vie de Jésus des renseignements indépendants, exacts et précis, autant qu’abondants et divers, il peut être également informé d’une façon personnelle au sujet de ses entretiens. S’il a pu compléter la biographie synoptique de la manière que nous constatons, il a pu puiser aussi à bonne source ce qu’il ajoute aux discours recueillis par ses devanciers. Les enseignements du divin Maître ont dû être incomparablement plus abondants, plus variés et plus riches, que ne le rapportent les trois premiers Evangiles : un écrivain, capable d’ajouter nombre de traits d’histoire aux récits de ses devanciers, a pu compléter également leurs comptes rendus de discours en puisant dans des souvenirs authentiques.

308. 1" Les discours annexés à des épisodes particuliers. — Les discours du quatrième Evangile se présentent, en effet, dans un cadre historique qui semble en garantir l’authenticité. Ils sont intimement mêlés aux récits, reliés soit aux faits les plus importants, soit à des épisodes particuliers de la vie de Jésus. C’est ainsi que le discours du chapitre v, 19-47, est rattaché à la guérison du paralytique de Béthesda ; le discours sur le Bon pasteur, x, 21-1, à la guérison de l’aveugle-né : le discours du chapitre XII, 23-36, à la démarche des Grecs ; les discours du Cénacle, xiii-xvii, à la dernière Cène elle-même. Tous ces épisodes ont un cachet historique indiscutable : c’est une sérieuse présomption d’authenticité pour les entretiens qui leur sont étroitement annexés.

309. 2" Les autres discours. — IJentretien avec Nicodème. — Le prélude de l’entretien avec Nicodème a aussi tout l’aspect d’une introduction historique. Le nom du personnage est grec ; mais l’usage des noms propres grecs était alors fréquent chez les Juifs palestiniens. Le Talmud connaît précisément un Nicodème contemporain de la ruine de Jérusalem, dont le nom juif était Buni, et qui aurait été disciple de Jésus. Cette tradition doit être indépendante de l’Evangile : on ne s’expliquerait pas que les talmudistes aient emprunté au document chrétien un personnage qui aurait été inconnu des Juifs ; on comprendi-ait encore moins que, non contents de le désigner par son surnom grec, seul mentionné dans notre écrit, ils aient précisé son nom juif, parfaitement ignoré de la tradition chrétienne. Le témoignage du Talmud prouA’e donc véritablement l’existence d’un disciple de Jésus du nom de Nicodème.

On a dès lors un motif positif d’affirmer que le quatrième évangéliste introduit dans son récit un personnage historique. La façon dont il est présenté en deux autres endroits du livre, vii, 50 et xix, 3g, garantit également son individualité réelle. D’autre part, la circonstance du temps auquel eut lieu sa démarche initiale auprès de Jésus, et l’occasion qui motive cette démarche elle-même, iii, 1-2, présentent un caractère tout spécial de vraisemblance. Ici encore nous avons donc une précieuse garantie en faveur de l’entretien qui est ensuite rapporté.

310. L’entretien avec la Samaritaine. — L’épisode de la Samaritaine n’offre, pour la partie narrative, aucune probabilité sérieuse de symbolisme. L’héroïne du récit figure en compagnie de compatriotes, habitants de Sychar, qui sont par elle invités à venir

trouver le Christ, et dont un certain nombre croient à sa parole ; elle n’est donc pas un type représentatif du peuple samaritain. Dans ses maris successifs, il n’y a non plus aucune allusion probable au passé religieux de la nation samaritaine ; la donnée se comprend bien, au contraire, au point de vue de l’histoire : cf. Marc, xii, 20-22 et parall. ; Jean, iv, 2g.

Contre l’historicité générale de l’épisode, on objecte que, dans les Synoptiques, Jésus interdit à ses disciples d’aller en Samarie de son vivant, Matth., x, 5, et que l’évangélisation de ce pays, racontée au livre des Actes, viii, 5 sq., doit être la première. Mais cette difficulté n’est pas péremptoire.

L’ordre que le Christ donne à ses apôtres de n’aller ni aux Samaritains ni aux Gentils n’est pas une disposition rigoureuse et absolue, pas plus que la restriction de sa mission personnelle aux brebis perdues d’Israël, Matth., xv, 24 : ses paroles ne se comprennent même bien que si l’on y voit une secrète allusion à une mission moins restreinte, que le Sauveur se réserve de confier ultérieurement à ses apôtres, et qu’il leur manifestera au temps voulu par de nouvelles et déflnitives directions. — Une exclusion pure et simple des non-Juifs ne serait d’ailleurs pas d’accord avec l’esprit général du Sauveur. On voit les apôtres, peu après sa mort, étendre l’Evangile hors du peuple hébreu : le Maître aurait-il donc eu plus d’étroitesse dans ses vues, plus d’exclusivisme dans ses ambitions religieuses, que ses disciples ? Ses actes et ses discours attestent précisément le contraire. On ne peut mettre en doute que, tout en rcserA’ant pour le moment aux Juifs son ministère et celui de ses apôtres, Jésus n’ait eu une bienveillance marquée à l’endroit des Samaritains et des païens : Matth., VIII, II sq. ; XXI, 43 ; xxii, i sq. ; xxiv, 14 ; xxviii, ig ; Marc, VII, 24-30 ; xiii, 10 ; xvi, 15 ; Luc, iv, 26 ; ix, 5156 ; X, 30 sq. ; xvii, 12 sq. ; xxiv, 47 Il n’y a donc pas lieu d’être surpris qu’un jour, traversant la Samarie pour se rendre en Galilée, le Sauveur se soit manifesté d’une façon transitoire, présage d’une manifestation ultérieure plus complète, à une femme samaritaine et à un petit village des environs de Sichem. Cela ne devait pas plus tard dispenser ses disciples de travailler à l’évangélisation proprement dite de la Samarie. Nous avons vu ailleurs (n°’181. 163), comment l’auteur se montre intimement familiarisé avec les lieux qu’il décrit, et mêle d’une façon on ne peut plus naturelle ses indications ou ses allusions topographiques à l’entretien qu’il raconte. On peut y Aoirune preuve rassurante de « abonne information en ce qui regarde l’entretien lui-même.

311. L.^ entretien sur le pain de vie. — L’authenticité du discours sur le pain de vie paraît, de son côté, garantie par la façon très spéciale dont il est déterminé pour le temps et pour le lieu. Bien que mis en relation avec la multiplication des pains, il se trouve nettement séparé du miracle par d’autres épisodes ; il n’est prononcé que le lendemain, de l’autre côté du lac, auprès de Capharnaiim, et se termine dans la synagogue de cette ville, vi, 26, 5g. Ces indications si précises ne semblent pas pouvoir se comprendre en dehors de l’histoire.

Le discours est suivi d’un épilogue, vi, 60-71, dont le cachet historique ne paraît pas de moins bon aloi. Scandalisés des déclarations qu’ils viennent d’entendre, un certain nombre de disciples renoncent désormais à suivre Jésus. Ce relief donné à la défection de nombreux disciples paraît inexplicable dans l’hypothèse d’une fiction, apologétique ou dogmatique, et confirme l’authenticité des déclarations du Christ qui l’ont provoquée.

318. fes entreliens à la fête des Tabernacles. — L’introduction aux entretiens de la fête des Taberna1745

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clés se présente également sous de fort bonnes apparences. A la suite du discours sur le pain de vie, Jésus continue de séjoiu-ner en Galilée, par crainte des Juifs, jusqu’à la fête des Tabernacles. Invité par ses frères à profiter de cette solennité pour se manifester à Jérusalem, il décline d’abord l’invitation, puis se rend secrètement à la ville sainte, où il arrive au milieu de la fête, vii, i-14- Or, l’attitude ainsi prêtée aux parents du Sauveur offre un cachet de réalité frappant, et la conduite du Sauveur lui-même se couiprend on ne peut mieux dans la vérité de l’histoire.

Les frères de Jésus le pressent d’aller en Judée pour s’y manifester : ils doivent avoir en vue une démonstration éclatante, destinée à proclamer sa messianité temporelle dans la capitale. Cf. vi, 15. Le Sauveur refuse d’abord de les suivre : se rendre à Jérusalem avec la caravane serait encourager les tendances galiléennes, surexciter l’enthousiasme de la foule, rendre irrésistible le mouvement qui, bon gré mal gré, ferait de son entrée dans la ville une démarche de prétendant. Or, Jésus prévoit ce qui doit se produire à la Pàque suivante. Son heure n’est pas encore arrivée, le temps marqué pour sa mort est encore à venir : il se refuse donc à brusquer les choses, en portant tout de suite à son comble la fureur de ses ennemis. Mais il n’j- a plus le même inconvénient à se rendre ensuite à la ville une fois la fête commencée, et privément. L’émoi que pourra produire son arrivée sera facilement contenu, dans la foule galiléenne, par l’attitude menaçante des chefs religieux hiérosolj’uiitains, et la haine de ses ennemis sera encore obligée de garder à son égard des mesures.

313. Aux entretiens ainsi introduits, se mêlent des épisodes dont le caractère historique n’est pas moins frappant : telle, la comparution des satellites devant le sanhédrin, à qui ils viennent rendre compte de leur mandat, vii, 45-52 ; tel surtout le jugement de la femme adultère, vii, 53-viii, 2 (cf. n°° 43-44). Historiques au premier chef, ces épisodes contrilment à garantir les discours et les entretiens dans lesquels ils sont intimement engagés.

L’entretien à la fête de la Dédicace. — Enfin, il faut en dire autant de l’introduction aux discours de la Dédicace et de leur épilogue. Au début de l’entretien, on voit Jésus se promener, à cause de la saison mauvaise, sous le portique de Salomon, x, 22-28. A la (in, l’évangéliste, sans avoir cependant déclaré au préalable que le Sauveur était venue de Pérée, le montre se retirant « de nouveau de l’autre côté du Jourdain ». x, 40.

314. 3° Les dialogues. — La plupart de ces discours du Sauvcur sont d’ailleurs entremêlés de dialogues extrêmement naturels, de reparties animées, d’interruptions prises sur le vif, qui donnent l’impression d’entretiens bien réels. Cela est si vrai que, pour expli(iuer la vie de ces entretiens, on est contraint de prêter à l’évangéliste un tempérament mystique extraordinaire : si vi ante est sa description, si peu suspect d’imposture son procédé, qu’il a dû voir les choses, entendre les paroles, en esprit, et rapporter le tout de bonne foi, sans pour ainsi dire se douter que ces entretiens étaient le produit de son imagination (n"" SS7, S29). Mais, nous l’avons vu, une telle hyi)otlièse est en contradiction vérital)le avec les caractères certains de l’œuvre johannique, en particulier avec la multitude et la variété de ses indications topographicpies et histori(iues, reconnues à la fois très précises, très concrètes et très exactes. Le naturel et la vie des entretiens peuvent donc être regardés comme un indice significatif de leur historicité.

2 » Les idées et leur rapport avec la réalité de

l’histoire. — Si nous examinons maintenant le fond d’idées propre au quatrième Evangile, la manière dont s’y trouvent représentés les partis juifs, les idées messianiques de l’entourage de Jésus, l’attente de la parousie, la personne du Christ, en nous demandant quel rapport existe entre cette représentation et la vérité de l’histoire, voici ce que nous constatons.

313. 1° La description des partis juifs. — Le portrait tracé des partis juifs s’agitant autour du Sauveur est manifestement indépendant des données synoptiques. Il se trouve néanmoins en conformité exacte avec elles et avec la réalité. — On sait que les premiers Evangiles signalent comme partis principaux, à l’époque de Jésus, les sadducéens et les pharisiens ; et trois classes parmi les membres du sanhédrin : les chefs des prêtres, les scribes et les anciens.

Le quatrième eA’angéliste n’est point esclave de ces données : nulle part il ne mentionne le nom des sadducéens ; ni celui des scribes, à l’exception d’un texte discuté appartenant à la péricope de la femme adultère, VIII, 3 (n° 44) ; nulle part, non plus, il n’associe en un même groupe les trois classes constituant le sanhédrin. Rien ne lui aurait été plus facile cependant ; et il l’aurait certainement fait, s’il avait été réduit sur ce point à exploiter les renseignements fournis par ses devanciers.

Notre écrivain se borne à mettre en scène les pharisiens et les chefs des prêtres, en qui il paraît résumer l’autorité dirigeante à Jérusalem. Or, qu’il laisse dans l’ombre les anciens du peuple et les sadducéens, rien d’étonnant : les anciens n’ont joué aucun rôle spécial dans la vie de Jésus et ne sont mentionnés dans les Synoptiques que comme faisant partie du grand conseil ; les sadducéens sont à peine signalés en telle ou telle circonstance par les premiers Evangiles, Matt/i., III, 7 ; XVI, 1-12 ; XXII, 23-24 et parall. ; il n’y a pas lieu d’être surpris qu’ils ne figurent en aucune des scènes johanniques. Mais, que notre auteur mette dans un relief aussi exclusif les pharisiens et les chefs des prêtres, qu’il attribue à leur double complicité l’opposition dont a été victime le Sauveur, et donne même le rôle prépondérant aux chefs des prêtres, comme s’ils avaient été les véritables représentants de l’autorité du sanhédrin, vu. Sa, 45 ; XI, 47.57 ; XVIII, 3, 35 ; xix, 6, 15, 21, cela dénote de sa part une information remarquablement précise et exacte.

316. Dans les Synoptiques aussi, les chefs des prêtres ont au sanhédrin le rôle principal ; à de rares exceptions près (.V/flrc, VIII, 3 1 et parall. ; /.hc, xx, ig ; XXII, 66), ils sont nommés avant les anciens et les scribes, comme ayant le pas sur eux et dominant le grand Conseil : Marc, viii. 31 et parall. ; xt, 27 et parall. ; xiv, 43, 53 = Matth., xxvi, 47, 57, 5y ; Marc, XV, I, 31 = Matth., xxvii, i, 41. Leurs complices sont généralement appelés « les scribes » ; mais il est très digne d’attention que ces scribes app.irtiennent au parti des pharisiens : ils en partagent les idées, les tendances, l’attitude ; ils ne font qu’un avec eux. Parfois ils sont appelés k les scribes des pharisiens ». Marc, II, 16 = Luc, v, 30 ; cf. Act., xxiii, 9 ; Matth., XXII, 35 ; Marc, 11, 24, comparé à Matth., xii, i, et Luc, VI, 2 ; Marc, x, 2, comparé à Matth, xix, 3. Le plus souvent, leurs noms sont unis pour former un même groupe : Marc, vii, i, 5 ; Matth.. v, 20 ; xii, 38 ; xxiii, 2- 1 5 ; Luc, V, 2 1 ; VI, 7 ; vii, 30 ; xi, 53 ; xiv, 3 ; xv, 2 : si bien que, là où un évangéliste dit : « les pharisiens », un autre peut dire : « les scribes », ou bien :

« les pharisiens et les scribes ». Comparer Marc, iii, 

22, et Matth., xii. 24 ; Matth., xii, 14, et Luc, vi, 7 ; Marc, IX, 10, et Matth., xvii, 10 ; Marc, xii, 35, et Matth., XXII, 4’j Matth., xxiii, 13 sq., et Luc, xi, Sg1747

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53 ; Marc, ii. iG et Matlh., ix, 1 1. Luc, v, 30 ; cf. Luc, XV, 2. Les Synoptiques ne sont même pas sans associer explicitement, dans l’opposition faite au Christ,

« chefs des prêtres et scribes », on, ce qui revient au

même, « cliefs des prêtres et pliarisiens » : Marc, xi, 18 et parall. ; xiv, i et parall. ; xa% 31 ; Matth.. xxvir, 62 ; XXI, 45 ; cf. Luc, XX, ig ; xxiii, 10.

Il y a donc sur ce point une équivalence réelle entre les données du quatrième évangéliste et celles des trois premiers. Mais il est très remarquable que notre auteur néglige de mentionner les scribes en tant que scribes, pour les signaler seulement sous le nom de la secte à laquelle ils appartenaient. C'étaient en réalité des pharisiens, ces scribes qui ont eu affaire avec Jésus, qui l’ont épié, assailli de questions insidieuses, décrié auprès du peuple. En les mentionnant comme tels, notre auteur est entré en plein dans la vérité de riiistoire.

Les pharisiens du quatrième Evangile ont d’ailleurs exactement la même physionomie que les scribes, mis en scène dans les Sj’noptiques. Comme eux, ce sont des gens de doctrine, compétents dans l’interprétation de la Loi,.s’intéressant aux questions de purification et de baptême, méticuleux sur le point de rol)servation du sabbat, s’attribuant le droit de vérifier les titres à la messianité et les œuvres surnaturelles du Christ : 1, 2^ ; iii, i-5, 10 ; iv, i, comparé à iii, 25 ; vii, 4"- 52 ; viii, 17 ; ix, 14.' xi. 46 ; xii, 42.

La manière dont notre auteur discerne que les scribes en conflit avec Jésus étaient des scribes du parti i)harisien, et que ce sont bien ces pharisiens qui, conjointement avec les chefs des prêtres, ont été les vérital)les adversaires du Sauveur, est une preuve très signilicative d’information sûre et indépendante.

317. 2° Les idées messianiques dans l’entourage de Jésus. — L'évangéliste n’est pas moins indépendant de son milieu ni moins fidèle à la réalité historique quand il décrit les idées messianiques de l’entourage de Jésus. — La surprise de la foule au sujet du Christ qui connaît les lettres sans avoir étudié, vii, 15, 46, n’est A-raisemblable que chez les auditeurs réels de Jésus. Leur réflexion est analogue à celle que font entendre les Juifs, dans les premiers Evangiles, lorsqu’ils admirent comment le Sauveur enseigne, non à la façon des rabbins ordinaires, mais d’autorité : Marc, i, 22 : Matt/i., vii, 28-29 '> ^"c, iv, 32.

« Lorsque viendra le Christ, objecte encore la foule, 

personne ne saura d’où il est « , au. 27. Sil est Arai que cette dilTiculté suppose une tradition courante, d’après laquelle le Messie dcA-ait apparaître inopinément, elle se comprend beaucoup mieux, formulée autour du Sameur. connu pour être le fils de Joseph de Nazareth, que dans les milieux juifs de la fin du 1" siècle. A cette époque, en efl"et, les rabbins n’ignoraient pas que les chrétiens pi*oclamaient justement leur Christ d’origine mystérieuse et divine. Et comment un apologiste aurait-il pris à tâche de réfuter un propos qui attestait une croyance semblable ?

On s’expliquerait moins encore que l’objection tirée de l’origine galiléenne de Jésus, a-ii, 4 '-42. 52, ait été rapportée par l'éAangéliste, comme une objection d’actualité. On ne le Acrrait pas formuler nettement la difliculté, sans en indiquer la solution. S’il procède de la sorte, c’est qu’il entend simplement reproduire l’histoire. Et en effet, dès qu’on se posa la question de la messianité de Jésus, on dut naturellement rapprocher de ses prétentions ce que l’on savait de sa patrie et de sa famille. Entre le fait apparent de son origine galiléenne et l’indication messianique de la prophétie de Michée, le conflit était inévitable.

La réflexion sur la non-reconnaissance du Christ par les chefs de la nation, a’it, 48, ne reflète pas aA-ec

plus de Araisemblance une objection du monde juif contemporain de l'éAangéliste. Elle est. au contraire, très naturelle dans le milieu contemporain du SauA-eur. Tous les documents attestent la morgue hautaine des autorités religieuses de Jérusalem et leur prétention à imposer à tous leurs moindres décisions ; il n’est pas étonnant qu’elles aient a’ouIu régler l’opinion de la foule au sujet du Christ ; et c’est ce qu’atteste, en effet, toute l’histoire synoptique : Marc. II. 6. 16. 24 : m. 6. 22 ; au, 5 : aiii, ii ; xi, 28, etc

318. 3° La crainte au sujet des Romains. — Très significatiA’c apparaît aussi l’inquiétude manifestée par le sanhédrin à la suite de la résurrection de Lazare, xi. 47-48. La crainte que les Romains ne prennent ondjrage du mouvcment faA’orable à Jésus et qu’ils ne Aiennent s’emparer de Jérusalem et de la nation juiAC. m peut raisonnablement se comprendre du judaïsme contemporain de l'éA-angéliste. par rap I port aux progrès de l’Eglise chrétienne, mais bien seulement des Juifs contemporains du SauA’cur, par rapport au moinement messianique qui se dessine autour de lui.

319. 4° La réflexion de Jude. — Enfin, c’est bien une repartie prise sur le AÎf de la réalité que la réflexion prêtée à <> Jude, non l’Iscariote « , au cours des entretiens du Cénacle, xia-, 22 : « Seigneur, d’où A^ient que tu Aeux te manifester à nous, et non au monde ? » La brusque interrogation, qui trahit une préoccupation analogiie à celle des frères de Jésus touchant la manifestation éclatante du royaume messianique, A’ii, 3-4. n’entre pas dans le thème du discours auquel elle Aient s’insérer, et le divin Maître poursuit son développement sans tenir compte de l’interruption de son apôtre. On ne comprendrait pas cela, dans l’hypothèse où l’auteur tirerait l’entretien de son imagination. Le fait qu’il l’attribue à un disciple ; qui porte le même nom que Judas, et qu’il est obligé de distinguer soigneusement du traître, achèAc de donner à la réflexion un cachet historique indiscutable.

350. 5° La perspective eschatologique. — Nous avons AU (u"" 282-2Ô3) que le quatrième éA’angéliste n’aA-ait aucunement supprimé l’eschatologie synoptique, mais aA ait gardé son relief à la perspectiAC de l’aAènement final du Seigneur. Ce qui est particulièrement digne de remarque, c’est qu’en divers endroits il semble supposer ce dernier avcnement prochain.

« L heure v^ent, fait-il dire à Jésus, et elle est In, où

les morts entendront la voix du Fils de Dieu… L’heure vient où tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa A’oix et ressusciteront, les bons pour la Aie, les mainais pour la condamnation. » a-, 28-29.

« Dans la maison de mon Père, dit encore le Sauvcur, 

il y a plusieurs demeures ; sinon, je aous l’aurais dit ; car je A-ais aous préparer une place. Et quand je serai allé et que je a ous aurai préparé une place, je rcviendrai et je aous prendrai auprès de moi, afin que, là où je suis, aous soyez aous aussi. » xiv, 2-3, cf. 28 ; XVI, 16.

On ne peut nier la signification eschatologique de ces paroles : le retour du Christ est la parousie comme l’entendent les Synoptiques et saint Paul, et ce retour est censé ne devoir pas beaucoup tarder. Jésus parle comme s’il dcvait rcvcnir avant la mort de ses disciples. Il faut en conclure que l'éAangéliste maintient la perspectÎAe de la fin du monde à la limite de la génération présente. Or, comprendrait-on cela d’un théologien de la troisième génération chrétienne, écrivant un EAangile idéal au point de a ue de l’Eglise de son temps ? N’est-ce pas. au contraire, une preuAC décisiAe que notre auteur reste fidèle à l’histoire et entend reproduire le langage authentique de Jésus ?

351. C’est ce qu’oblige également à penser le lan1749

EVEQUES

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gage du chapitre xxi. 22. Là est rappelée une parole du Christ, qui paraît annoncer sa Aenue avant la moi’t du dernier de ses disciples : « Si je veux, dit-il en parlant du bien-aimé, qu’il demeure jusquà ce que je vienne, que t’importe ? » Sans doute, l'écrivain corrige l’interprétation excessive qui a été donnée de cette parole : le Maître na pas dit que le bien-aimé ne mourrait point. D’autre part, l'évangéliste a pu entendre que Jésus n’avait pas nécessairement prédit pour la génération présente son avènement glorieux, qu’il avait seulement parlé d’une venue préliminaire, spéciale, ordonnée à l'établissement du royaume dans sa phase terrestre, en attendant la venue pour le royaume triomphant. Il n’en est pas moins vrai qu’il met en plein relief les paroles qui concernent l’imminence de cet avènement, en leur conservant exactement leur apparence eschatologique. On Aoit lîien là encore l'écrivain soucieux de garder la réalité de l’histoire.

383. G" J.'Iiiiinanité du Christ. — N’y a-t-il pas enlin une bonne garantie de l’historicité du quatrième Evangile dans ce fait que le Sauveur, malgré qu’il soit identifié expressément dans le prologue au Verbe de Dieu et déclaré Dieu, est néanmoins appelé '( homme m (r, 30 ; iv, 29 ; vii, 46 ; aiii, 40 ; ix, 2^ ; x, 33 ; XI, 4 ;  ; xviii, 14, 17, 29 ; xix, 5), « Fils de l’homme » (r, 51 ; iii, 13, 14 ; v, 27 ; vi, 27, 54, 62 ; viii, 28 ; IX, 35 ; XII, 23, 34). présenté avec une humanité aussi réelle, aussi fortement accusée que dans les premiers Evangiles et sans qu’on lui épargne le moins du monde les infirmités, ni les humiliations, ni les souffrances, ni la mort (i, 45 ; vi, 42 ; iv, 6 ; XIII, 4-"J ; VII, 20 ; VIII, 48 ; xvni, 20, 30, 40 ; xix, i-3, 6, 15. 17-18, 28-30)? dans ce fait aussi qu’il évite de se déclarer ouvertement le Messie jusqu'à la fin de son ministère, qu’il réA'èle sa préexistence céleste avec une opportunité et une mesure remarquables, qu’il couvre enfin d’un A'érilable voile sa divinité proprement dite, jusqu'à marquer sa distinction d’avec Dieu en termes non moins surprenants que ceux des Evangiles antérieurs (xvii, 3 ; xx, 17)?

C’est donc en maints endroits et sous maints rapports, que les discours du quatrième Evangile accusent des souvenirs authentiques gardés de l’histoire et de l’enseignement de Jésus.

333. CoNCLUsiox. — Ainsi, qu’on l’envisage au point de vue des idées ou au point de vue des faits, la teneur de notre document ne contredit jias ce que nous savons par ailleurs (n" 136-185) de l’origine de l’ouvrage : elle est telle que l'écrit peut fort bien avoir été composé par l’apôtre que Jésus aimait. Les conclusions obtenues touchant l’aposlolicilé du livre gardent donc toute leur force. Or, nous avons vu que par elles-mêmes elles sont déjà décisives. C’est donc avec une définitive assurance que nous pouvons proclamer le quatrième Evangile œuvre de l’aix’itre saint Jean. Mais, par un contre-coup très logique, ce fait de l’origine johannique de notre document, en même temps qu il explique an mieux le caractère d’iiistoricité qu’il a fallu reconnaître à l’ensemble de ses récits et de ses discours, confirme d’une façon péremptoire cette historicité et nous permet d’en apprécier largement la nature et le degré.

324. Si notre Evangile est de saint Jean, c’est évidemment un document d’une importance exceptionnelle. Sans doute, l’apôtre a pu inq)rimer son cachet propre dans la manière de raconter les miracles du Sameur, dans le choix qu’il a fait des scènes évangéliques, dans le relief relatif donné aux traits qui les composent. Il est nu'-me inconteslal)le que ses comptes rendus de discours ne ])r(tendent pas reproduire la pleine réalité ; à la distance d’un demi-siècle.

il ne pouvait, sans un miracle auquel Dieu n'était nullement obligé, avoir retenu intégralement les paroles du Christ et de ses interlocuteurs, et l’on peut parfaitement penser qu’il les a exprimées plus d’une fois sous une forme qui se ressentait de l’expérience acquise et accusait le travail accompli dans ses pensées par l’elTet de ses longues méditations. Mais nous sommes ici dans le simple domaine du probable, sans qu’il soit possible de préciser dans quelle mesure le disciple a pu marquer de son empreinte la pensée originale du Maître. Rien n’est plus aisé que de formuler sur ce point une théorie générale : rien ne l’est moins que de l’appliquer au détail concret de l’Evangile.

333. A dire vrai, cette délimitation rigoureuse n’est pas nécessaire pour une juste appréciation de la valeur essentielle de notre document. S’il est l'œuvre de l’apôtre saint Jean, nous pomons avoir confiance en l’accord général de ses récits et de ses discours avec la réalité. Pour élre apologiste, l’auteur n’en est pas moins historien. Ses narrations ont beau avoir leur cachet propre, elles n’en correspondent pas moins aux faits. Ses discours peuvent porter la marque de son esjirit, ils n’en reproduisent pas moins la pensée authentique du Sauveur. Voilà ce que nous pouvons tenir pour assuré. Et c’est là ce qui fait la valeur incomparable de l’Evangile de saint Jean.

A consulter. — P. Batiffol, Th. Calmes, J. FoxTAiXE, C. Chauvin, E. Jacquier, A. Br.^ssac, op. cit. (no S34). En outre, M. Lepix, La aleiir historique du quatrième Evangile, 1910.

M. Lepin.